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N° 769

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er avril 2008.

DÉCLARATION

du Gouvernement sur la situation en Afghanistan,

PRÉSENTÉE

PAR M. François FILLON,

Premier ministre.

Monsieur le président,

Mesdames et messieurs les députés,

Le 11 septembre 2001 le monde découvrait avec effroi le terrorisme de masse. Ce jour-là un défi sanglant et morbide était lancé à toute la communauté internationale. La source de cet attentat se situait en Afghanistan avec le soutien du régime obscurantiste des talibans.

Dès l’automne 2001, six résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU sont venues préciser le cadre dans lequel devait s’exercer la réponse des nations. La résolution 1368, notamment, ouvrait le droit à la légitime défense, la 1373 appelait à la collaboration de tous les États contre le terrorisme, la 1378 définissait le cadre dans lequel devait s’inscrire l’avenir démocratique de l’Afghanistan et la 1386 créait la Force internationale d’assistance à la sécurité, dont le mandat a été renouvelé chaque année et étendu progressivement à l’ensemble de l’Afghanistan.

Le 7 octobre 2001, les États-Unis engageaient les opérations militaires, épaulés, notamment, par la France qui avait ouvert son espace aérien, noué une coopération navale et offert son appui en matière de renseignements.

Le 3 octobre 2001, Lionel Jospin, alors Premier ministre, venait dans cet hémicycle pour exposer la position française à la suite des attentats du 11 septembre, puis, le 21 novembre, il venait préciser les termes de l’engagement de la France en Afghanistan. Depuis, cette participation n’a cessé d’évoluer en fonction des besoins et des circonstances.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, sur la demande de votre président, Bernard Accoyer, et de l’opposition, le Président de la République a souhaité que la représentation nationale soit informée de la politique de la France en Afghanistan. Il a voulu ce débat afin d’éclairer les décisions que va prendre notre pays.

Tout au long de la Ve République, et contrairement à ce qu’on laisse entendre, le Parlement a été régulièrement informé des opérations militaires.

Mais il est exact qu’il ne partage pas la responsabilité de l’engagement de nos forces. Une raison l’explique, c’est la Constitution de la Ve République qui ne le permet pas.

Son article 35, qui prescrit que « la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement », est aujourd’hui tombé en désuétude. Les formes modernes de la guerre nous ont éloignés de cet article. L’engagement des forces militaires est du ressort du pouvoir exécutif, notamment du Président de la République, chef des armées. Notre situation est d’ailleurs en cela comparable à celle de la Grande-Bretagne. Cette prérogative du pouvoir exécutif n’exclut pas l’information, voire le débat, et je souhaite d’autant plus, mesdames et messieurs les députés, que celui-ci soit utilisé de manière plus systématique que, depuis les années 1980, les grands engagements stratégiques et militaires de notre pays ont tous été conclus dans un esprit d’union nationale, ce dont nous devons nous féliciter.

L’implication du Parlement relève de l’information et du débat en fonction des situations.

L’opération sur Kolwezi en 1978 avait donné lieu à une information de la représentation nationale, de même que notre intervention au Tchad en 1983. Notre intervention au Kosovo, en mars 1999, avait été l’occasion d’un débat sans vote, deux jours après le début des bombardements.

En 2006, un débat a eu lieu deux mois après le vote de la résolution créant la FINUL II. Enfin, la participation de la France aux opérations militaires en Afghanistan à partir de décembre 2001 a donné lieu à un débat sans vote après une intervention de Lionel Jospin.

Seul notre engagement militaire au cours de la première guerre du Golfe a fait l’objet d’un vote consécutif au débat, selon la procédure de l’article 49, alinéa 1er, c’est-à-dire l’engagement de la responsabilité du Gouvernement.

Il s’agissait d’une opération massive analogue à une entrée en guerre contre un État souverain qui avait envahi son voisin, et personne ici ne peut raisonnablement confondre cet événement avec celui qui nous occupe à présent.

Dois-je également rappeler que ce vote est intervenu le 16 janvier 1991, à quelques heures du déclenchement des hostilités armées, et alors même que l’ensemble du dispositif Daguet était déjà positionné depuis plusieurs semaines sur le terrain ? Certains d’entre vous ont participé à ce débat et en conservent un souvenir aigu. Pas moi, car je me trouvais à cet instant auprès des forces françaises en Arabie Saoudite.

Aujourd’hui, une partie de l’opposition souhaite un vote. Je lui réponds en reprenant les propres termes de Lionel Jospin du 9 octobre 2001 lors d’une réponse à une question d’actualité posée par Alain Bocquet qui réclamait un débat avec vote : « Vous savez – disait-il dans cet hémicycle – que nous ne pouvons pas faire appel à l’article 35, qui prévoit la déclaration de guerre, car ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Vous savez qu’on peut toujours utiliser l’article 49 alinéa 1er, mais celui-ci suppose un vote de confiance. […] Ce n’est pas un article prévu pour l’engagement de la France dans ce genre d’opérations. »

Je ne puis être plus clair que mon prédécesseur, qui avait raison de considérer que la procédure du vote de confiance n’est pas adaptée à l’engagement de nos forces dans une opération de maintien de la paix comme nous en conduisons en Côte d’Ivoire, au Liban ou au Kosovo.

Telle est la situation institutionnelle actuelle. Toutefois, cinquante ans après la création de la Ve République, il vous sera bientôt proposé de renforcer le rôle du Parlement en matière de politique étrangère et d’intervention militaire. L’avant-projet de loi constitutionnelle prévoit que le Parlement sera tenu informé dans les meilleurs délais de l’envoi de nos forces sur des théâtres d’opérations extérieurs et – c’est la novation – que celui-ci autorisera la prolongation éventuelle de ces opérations au-delà de six mois. Il prévoit de plus que les deux assemblées auront le pouvoir de voter des résolutions et qu’elles pourront également le faire sur les sujets de politique étrangère. Je ne doute pas que ces dispositions feront l’unanimité sur vos bancs !

Mesdames et messieurs les députés, nous sommes en Afghanistan depuis décembre 2001 et il s’agit aujourd’hui de débattre de la prolongation d’un effort engagé de longue date.

Avec un peu plus de 2 300 hommes, dont 1 700 dans la Force internationale, sur près de 61 000, l’engagement militaire de la France la situe au septième rang des quarante nations contributrices de troupes. Nous nous plaçons ainsi entre les Pays-Bas et la Pologne, loin derrière les contributions de plusieurs de nos partenaires européens, qui sont presque tous présents sur le théâtre afghan : la Grande-Bretagne avec 8 600 hommes, l’Allemagne avec 3 500 hommes, l’Italie avec 2 400 soldats et les Pays-Bas avec 2 000 hommes.

Installés autour de Kaboul, les soldats français remplissent des actions de sécurisation ainsi que des missions d’encadrement des troupes afghanes en opération. Ils sont engagés dans des actions de combat : six Rafale et Mirage 2 000 participent au dispositif allié de protection des troupes. Ces avions sont appuyés depuis le Kirghizistan et le Tadjikistan par des moyens de transport et de ravitaillement en vol. Enfin, une force navale française opère depuis l’Océan Indien dans le cadre de l’opération « Liberté immuable ».

Depuis plus de six ans, nos soldats contribuent donc à la sécurisation de l’Afghanistan.

J’ai à cet instant une pensée particulière, empreinte de gravité et de considération, pour tous ceux qui sont là-bas et qui risquent leur vie. À ce jour, quatorze de nos soldats sont tombés en Afghanistan.

Ces quatorze soldats sont tombés pour une certaine idée de la dignité humaine, à laquelle le peuple afghan aspire, tombés pour qu’il n’y ait plus de 11 septembre, tombés pour rendre ce monde plus sûr. Je sais que votre assemblée soutient nos forces armées et qu’elle ne les oublie pas.

Mesdames et messieurs les députés, l’Afghanistan ne doit plus jamais redevenir le foyer du terrorisme international. Ce pays encore vulnérable est un carrefour stratégique sensible, où voisinent une Asie centrale qui cherche sa voie, un Iran qui biaise avec les règles de la communauté internationale, une démocratie indienne qui lutte contre la menace d’attentats et un Pakistan qui, possédant l’arme nucléaire, est sous la pression des fondamentalistes.

Mesdames et messieurs les députés, quelle était la situation de l’Afghanistan en 2001 ? C’était une dictature médiévale, un foyer de violence, une base arrière du terrorisme international. Al Qaïda y avait implanté ses camps d’entraînement. Des extrémistes, illuminés par une vision dévoyée de l’Islam, y trouvaient accueil et soutien. Sa population était soumise au joug de fer des talibans : abolition des droits les plus fondamentaux ; oppression de la femme, intolérance érigée en doctrine de gouvernement ; interdiction de la musique, du théâtre et de la télévision ; destruction des bouddhas de Bamyan ; lapidation publique des condamnés.

L’Afghanistan d’avant 2001, c’étaient 15 millions de femmes sans visage, interdites d’école et privées de soins ; c’étaient 30 millions d’Afghans ployant sous le régime du fanatisme et de la haine.

Depuis 2001, les efforts de la communauté internationale, des autorités locales et du peuple afghan ont commencé à porter leurs fruits ! L’Afghanistan possède désormais des institutions démocratiques.

L’Afghanistan possède désormais des institutions démocratiques. Les femmes y jouissent de droits similaires à ceux des hommes.

Le nombre d’enfants scolarisés est passé de 900 000 en 2001 à 6,4 millions aujourd’hui. À Kaboul, il existe désormais cinq universités comprenant quatorze facultés et 10 000 étudiants. En ce qui concerne la santé, la mortalité infantile a baissé de 26 %. Aujourd’hui, 80 % de la population a accès aux soins, contre 8 % en 2001. En matière d’infrastructures, 4 000 kilomètres de routes ont été construits.

Dans le domaine économique, les pays de l’OTAN ont conduit plus de mille projets de développement, pour un coût global de plus de 200 millions d’euros. La croissance de l’économie afghane atteint aujourd’hui un rythme de 13 %.

L’Union européenne a engagé une aide de 3,7 milliards d’euros pour la période 2002-2006 ; 600 millions d’euros ont été annoncés par la Commission européenne entre 2007 et 2010. Ces fonds vont principalement à l’amélioration de l’État de droit, à la réforme des services publics et aux infrastructures.

À la demande du Président Karzaï, la France organisera à Paris, en juin, une grande conférence propre à entraîner une mobilisation accrue de la communauté internationale.

Dans le domaine sécuritaire, l’armée afghane atteint désormais 50 000 hommes et bientôt 80 000. La France prend une part très active à la formation de cette armée. L’Union européenne et les États-Unis travaillent à la mise en place d’une police moderne, déjà dotée de 75 000 hommes. Soixante-dix pour cent des incidents sécuritaires sont aujourd’hui cantonnés à 10 % du territoire.

Tous ces succès, mesdames et messieurs les députés, sont encore insuffisants et sont surtout fragiles, très fragiles.

Ils réclament de notre part de la persévérance, mais également un renouvellement de la stratégie commune. Un renouvellement pour amplifier la sécurisation du pays, pour approfondir son développement économique et social, pour accélérer le plein exercice de la souveraineté nationale par les autorités afghanes.

Ce sont-là les objectifs que le Président de la République fera valoir demain à Bucarest. Comme il l’a indiqué par ailleurs : « La France a proposé à ses alliés de l’Alliance atlantique une stratégie pour permettre au peuple afghan et à son gouvernement légitime de construire la paix. »

« Si ces conditions sont acceptées, la France proposera, lors du sommet de Bucarest, de renforcer sa présence militaire. »

Voilà ce qui a été précisément dit, et voilà pourquoi je vous indique que les modalités de cet effort ne sont pas encore arrêtées.

Le 18 février, le chef de l’État a écrit à ses homologues de l’OTAN pour leur indiquer les conditions suivantes : la confirmation par les alliés de leur détermination à maintenir leur effort dans la durée ; l’adoption d’une stratégie politique partagée ; une meilleure coordination des efforts civils et militaires sur le terrain ; enfin, l’accroissement de l’effort de formation au profit des forces de sécurité afghanes. Cet effort doit permettre une véritable « afghanisation » de la sécurité du pays, c’est-à-dire la prise en charge par les Afghans de leur propre sécurité – et rien ne nous paraît plus important que cette « afghanisation » qui dessine à moyen terme l’autonomie de l’État afghan et, donc, l’horizon de notre retrait.

Ces conditions seront débattues demain, et le Président de la République, au regard de vos analyses et au vu des conclusions du sommet, précisera notre engagement.

Celui-ci devra tenir compte de notre dispositif sur place, des réalités de terrain et des réponses de nos partenaires à nos questions. Nos forces armées engagées en Afghanistan peuvent être amenées à s’investir davantage dans les échelons du commandement, en particulier à Kaboul, mais aussi dans la formation de l’armée afghane, dans les unités réparties dans les provinces d’Afghanistan pour y assurer la sécurité des populations et y garantir les progrès de la reconstruction. Les effectifs pourraient être de l’ordre de quelques centaines de soldats supplémentaires.

Mesdames et messieurs les députés, derrière notre débat, trois voies se dessinent. Ou bien nous retirons nos troupes et alors ce serait le signe que nous n’assumons plus nos responsabilités vis-à-vis de l’ONU et que nous rompons la solidarité qui nous unit à nos plus fidèles alliés, dont plusieurs s’apprêtent à accroître leurs effectifs. D’une certaine manière, le sort de l’Afghanistan nous deviendrait totalement indifférent.

Ou bien nous choisissons le statu quo ; et alors c’est l’enlisement de nos objectifs et l’impuissance de la France à peser sur la stratégie de la communauté internationale.

Ou bien nous accentuons nos efforts, aux conditions que nous avons posées, et alors nous amplifions ensemble les chances de la paix.

Cette paix pour l’Afghanistan conditionne largement une part de notre sécurité et donc une part de notre liberté. C’est un combat difficile, mais c’est un combat juste.


© Assemblée nationale