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05/04/2008 – Discours de clôture de la Journée du Livre politique prononcé à l’Hôtel de Lassay

Mesdames, Messieurs,

Chers Amis,

Cette dix-septième édition du Livre Politique fut, cette année encore, un beau succès. J’en félicite très chaleureusement ceux qui y ont contribué, au premier rang desquels la présidente de « Lire la Politique », Luce Perrot, le président du prix du livre politique, Régis Debray, les autres jurés – journalistes – de ce prix, ainsi que les jurés parlementaires du prix du Livre des députés. Je tiens aussi à remercier les personnalités de premier plan qui ont bien voulu participer aux différentes tables rondes. Edith Cresson, Pierre Mazeaud, Louis Schweitzer, Nicolas Baverez, pour n’en citer que quelques uns, ont su donner aux débats de la journée un ton et une hauteur de vue exemplaires. Si cette journée fut un succès, c’est aussi et surtout grâce aux livres eux-mêmes, c’est-à-dire aux auteurs, nombreux et talentueux qui ont écrit, cette année sur la politique et qui, pour beaucoup, sont venus aujourd’hui participer à cette journée. Aux auteurs, mais aussi bien sûr aux lecteurs. Car sans lecteurs, pas de livres, sans bons lecteurs, surtout, pas de bons livres. A cet égard, le nombre et la qualité des livres présentés aujourd’hui dit assez que la politique est plus que jamais un objet littéraire de premier choix, un sujet qui marche ! Tant mieux, dit, bien sûr, l’homme politique que je suis. Tant mieux, dit encore, le citoyen, le lecteur, le français que je ne suis pas moins.

Heureuse combinaison, en effet, que celle des livres et de la politique. Le succès d’aujourd’hui n’est pas né d’hier. Depuis que la France est la France, on y écrit des livres, on y fait de la politique. Littérature et politique, deux passions bien françaises, qui donnent le ton de nos conversations, qui ont fait notre histoire, notre caractère national et notre gloire. Car la grandeur de la France, sa réputation, sa séduction de par le monde, tiennent sans doute avant tout à notre littérature et de notre histoire politique. La France dans le monde, c’est Napoléon et Chateaubriand, De Gaulle et Voltaire.

Littérature et politique, deux passions bien françaises, mais deux passions liées l’une à l’autre, enchevêtrées, indissociables.

En France, la politique est au cœur de la plus grande littérature, de la littérature la plus pure, la plus classique qui soit. Ronsard, c’est « Mignonne allons voir si la rose », c’est aussi son Discours sur les misères de ce temps. Ronsard mais aussi La Bruyère, Montaigne, Pascal, Chateaubriand, Saint-Simon, Lamartine, Dumas, Sartre, Montesquieu, Tocqueville, Constant, Bossuet, Beaumarchais ou Zola. La liste est longue de nos grands auteurs qui ont écrit sur la politique, qui ont commenté, réfléchi, proposé.

C’est en effet l’une des caractéristiques de la littérature française, sans doute, cette pâte politique, comme c’est l’une des caractéristiques de notre politique et de notre histoire d’avoir toujours été imprégnées de livres, de lettres et d’idées. La Révolution, ne l’oublions pas, avant de descendre dans la rue, est née dans les salons, elle est fille des Lumières, de Rousseau, de Montesquieu comme de Beaumarchais. Ce goût de la liberté, cette indépendance d’esprit, cet amour de la justice qui, pour le meilleur, nous caractérisent, c’est celle de Montaigne comme de De Gaulle.

Oui, la politique a fait nos livres, les livres ont fait notre politique. Avant d’être un guerrier, le roi de France est un homme de lettres – un homme de lettres et de droit. Il ne soumet pas, il explique. Sans cesse le pouvoir se justifie par les raisons les plus hautes. C’est le fond. Puis il y a la forme, c’est-à-dire le style. Quel monarque en France, fût-il républicain, a jamais renoncé au style ? Quel est celui qui n’en eut pas ? Car le naturel, plus à la mode aujourd’hui, en est un, évidemment. Grands hommes d’Etat, grands hommes de plume : Richelieu, Talleyrand, Danton, Saint-Just, Napoléon, Chateaubriand, Jaurès, Blum, Lamartine qui, en 1848, faillit être élu premier Président de la République.

Nul mystère, nul hasard, dans cette rencontre, elle est au cœur de qu’est la France : non un fait, une donnée, immobile, mais une construction, une idée qui sans cesse se réalise, par à coup, par crises, mais – et c’est l’essentiel – sur le fondement permanent de deux constantes: la langue et l’Etat. L’une et l’autre organise le réel à l’aune d’une seule loi : la raison. La raison, c’est l’intelligence, la justice, la clarté. Telle est cette fameuse universalité de la France, de sa langue comme de ses principes.

La raison, sans doute, mais bien autre chose aussi, qui se cache dans les replis de cet amour indéfectible et mêlé de la France pour ses livres et sa politique, quelque chose de plus souple, de plus doux, un heureux mélange de gravité et de légèreté, d’allant et de mélancolie, d’enthousiasme et d’ironie.

Car ce que nous apprend aussi la littérature, c’est la complexité du réel. Les livres, dans leur multitude, quasi infinie, dans ces couches de lectures qui nous constituent au fil des années, les livres nous disent que le sens des choses n’est pas si simple, qu’il n’est pas unique, monolithique et certain. Les livres en somme nous apprennent l’art de la distance. Cette distance a un autre nom, celui de civilisation, ou de liberté.

C’est pourquoi je vois dans cette rencontre française de la politique et de la littérature, autre chose encore qu’une coïncidence de style ou de caractère. Dans ce lien entre littérature et politique, je vois le meilleur des garde-fous.

A l’heure de l’image toute puissante, de l’immédiateté, du langage de l’instant, ce lien que je crois essentiel entre littérature et politique ne va plus de soi.

Si tout menace ce lien précieux, il demeure. Tant de livres consacrés à la politique ! Le nombre et la qualité de ces analyses, témoignages, récits, essais, pamphlets me convainquent de la vitalité heureuse de notre littérature politique, de l’intérêt de nos intellectuels – écrivains, philosophes, journalistes – pour le débat et la vie politique française. Et ces livres sont lus. L’affluence d’aujourd’hui, comme le fait que ces livres figurent souvent au palmarès des meilleures ventes, confirment l’intérêt du public pour la littérature politique. Serait-ce vraiment le cas si, comme d’aucuns l’affirment, la politique n’était qu’un spectacle ou qu’un jeu ?

Plus que jamais, la politique a besoin des livres. Car la politique ne se limite pas à la politique.

L‘action, toujours plus rapide et plus envahissante, ne doit pas se faire au détriment de la réflexion. Quand les emplois du temps des acteurs que nous sommes n’en finissent de s’allonger et de s’accélérer, quand l’urgence devient perpétuelle, la politique doit pouvoir s’appuyer sur d’autres acteurs, sur d’autres vecteurs, que ceux qui la font directement.

C’est bien, aussi, ce qu’ont montré les débats de cette après-midi, que ce soit sur la future réforme des institutions ou sur le volontarisme en politique. Les hommes politiques que nous sommes ont beau travailler à ces questions chaque jour, y être plongé jusqu’au cou, il est certaines dimensions de ces questions qui ne peuvent s’appréhender que dans une certaine distance et temps plus long.

A l’image doit se joindre le texte, aux textes les explications textes, au brouhaha des affirmations, le chuchotement du doute : ainsi la politique prend corps.

Je ne souhaite qu’une chose, Mesdames et Messieurs les auteurs, que vous continuiez à écrire, à nous juger,à nous critiquer – et je conclurai d’un vœu : que nous soyons l’an prochain plus nombreux encore, ce sera la preuve que nous aurons bien travaillé.