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06/04/2009 – Allocution d’ouverture de l’audition publique, organisée par l’OPECST, sur « Les antennes relais à l’épreuve des inquiétudes du public et des données scientifiques »

Monsieur le Rapporteur, Cher Alain Gest,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureux de vous accueillir aujourd’hui à l’Assemblée nationale et je voudrais, avant tout, remercier Claude BIRRAUX, Président de l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques, et Alain GEST, Rapporteur au sein de l’Office, pour l’initiative qu’ils ont prise d’organiser cette audition publique, et pour leur invitation à m'exprimer devant vous sur la question très complexe des relations entre les antennes relais et la santé publique.

J'ai tenu à me rendre disponible pour ouvrir vos travaux en raison de l'importance que j'attache à cette question en elle-même. Mais aussi parce qu'elle est emblématique des tensions qui existent entre l'innovation et le développement technologique, d'une part, et les interrogations du public quant à leur éventuel impact sur la santé ou l’environnement, d'autre part. Elle est emblématique de cette contradiction latente entre la quête du progrès et la crainte des risques qu’il induit.

Les grandes évolutions scientifiques ont toujours fait naître mille questions dans l’esprit de chacun, et c’est légitime. Le progrès lui-même est ambivalent, c’est pour cela qu’il doit être maîtrisé.

Mais derrière les craintes qu’éprouvent nos sociétés lorsqu’elles sont confrontées à des transformations aussi profondes qu’incessantes, se niche aujourd’hui une défiance quasi-systématique, souvent irraisonnée, à l’endroit de la science et du progrès.

Par ma présence ici parmi vous, je souhaite donc encourager tout ce qui impulse le dialogue, la transparence et la raison, les valeurs qui permettent de faire avancer nos connaissances pour mieux appréhender le monde.

La téléphonie mobile illustre le fossé qui existe aujourd'hui entre une société post-industrielle, où les technologies de l'information et de la communication accroissent chaque jour nos connaissances et nos facultés d'action, et une perception suspicieuse du progrès technologique qui cherche à en souligner les éventuels effets négatifs.

Cette inquiétude s’est trouvée fortement amplifiée dans l’opinion publique par de récentes décisions jurisprudentielles qui ont montré toute la complexité du sujet et toute la difficulté d’interprétation du principe de précaution, introduit en 2005 dans notre Constitution.

Aujourd’hui, plus d’un français sur deux possède un téléphone mobile. Il existe peu d'exemples de technologies complexes qui aient pénétré aussi rapidement notre société.

Pour nombre de nos concitoyens, le " portable ", comme on dit, est devenu un élément banal de la vie quotidienne. Il est, pour beaucoup d'entre nous, gage d'efficacité, de rapidité, de sécurité et de confort. Il est même, pour certains, indispensable.

La rançon de ce succès, c'est l'installation d'un grand nombre d'antennes sur des pylônes, des édifices publics, des immeubles de bureaux ou d'habitations, afin d'assurer la couverture optimale du territoire. Une couverture numérique que réclament nos concitoyens et sur laquelle les pouvoirs publics, comme les opérateurs, se sont engagés.

Ces dix dernières années, les Français ont été spectateurs de cette prolifération d'équipements, dont ils ne comprennent pas toujours le rôle ni les propriétés. On compte aujourd’hui plus de 47 0000 de ces antennes relais utilisant le GSM. Elles s’ajoutent aux 23 000 stations UMTS et à l’ensemble des stations autorisées déjà existantes : antennes de radiodiffusion, de télévision, de radio professionnelle, qui émettent également des signaux radioélectriques. La question de l'interaction des radiofréquences, et des ondes électromagnétiques, en général, avec le corps humain, est donc ancienne. C'est finalement la question de la confiance dans les conséquences supposées à long terme qui se pose, et non la question de la confiance accordée aux scientifiques.

La multiplication des antennes, souvent perçue comme anarchique, a fait naître progressivement une inquiétude dans une certaine fraction de la population, inquiétude invoquée surtout pour la santé des enfants ou même des adultes.

Des études existent : elles ont montré l’innocuité des antennes relais. La réglementation actuelle se fonde sur des valeurs limites d’exposition qui tiennent déjà compte d’un facteur de sécurité. Mais les chiffres font débat, car les effets sanitaires de l’exposition aux champs électro-magnétiques ne sont pas encore aussi complètement connus que nous pourrions le souhaiter. D’ailleurs le seront-ils un jour ? Au bout de quel délai les inquiétudes pourront-elles être levées, même si, à ce jour, aucun risque n'a été établi scientifiquement ?

Dans cette situation, avec plus de dix ans de parutions bibliographiques, d'articles scientifiques, et de rapports pour les radiofréquences, et plus d’un demi-siècle pour les champs éléctro-magnétiques, la voix d'associations ou de simples citoyens se fait pourtant entendre de plus en plus fortement, pour exprimer une inquiétude face à un risque redouté voire ressenti mais non établi.

Cette inquiétude concerne d'abord le risque de développement de cancers : sont redoutées spécialement les tumeurs cérébrales ou les leucémies. D'autres craintes portent sur des troubles fonctionnels, tels que des difficultés d'attention, des troubles de l'humeur ou du comportement. Certains de nos concitoyens en sont intimement convaincus. Mais conviction vaut-elle plus que raison ?

Lorsque nous parlons en scientifiques, nous acceptons que le savoir puisse revêtir différents degrés de certitudes. Nous acceptons que les théories les mieux établies voisinent avec des conjectures ou des hypothèses prometteuses.

Nous savons aussi qu’il existe un usage proprement scientifique du doute, qui, loin de paralyser la réflexion permet de faire progresser la recherche. Nous savons que l’expertise scientifique est intimement liée au principe de précaution, mais à un principe dynamique, qui, loin de nous interdire d’agir, nous impose de poursuivre les expérimentations et les recherches pour mieux évaluer les risques et lever les doutes.

Nos concitoyens, eux, attendent, des réponses claires, immédiates, et précises, à leurs questions et à leurs incertitudes, des réponses que les scientifiques ne sont pas toujours en mesure de leur apporter, car jamais un scientifique ne se déclarera sûr à 100%.

C’est ce décalage entre le propre de la démarche scientifique et les doutes exprimés dans l’opinion qui nourrit l’incompréhension, la méfiance, la crainte de courir un risque dont on n’est pas sûr qu’il existe.

Face à cette situation, quelle attitude devons-nous adopter ?

De toute évidence, nous devons être à l'écoute de ces préoccupations et tenter d’y répondre aussi précisément que possible, en sollicitant la recherche. Chacun pouvant adopter ensuite la position et le comportement qui lui sembleront les plus justes.

Nous devons aussi, nous, responsables politiques, avant d’engager toute modification de la réglementation, favoriser au maximum, l’information, la transparence, l’explication et la concertation.

C’est l’objet de la table ronde que le Gouvernement organisera, sur la question des antennes relais, le 23 avril prochain.

C’est aussi tout l’objet de la démarche engagée par l’Office, sous l’impulsion de la Conférence des Présidents de l’Assemblée, qui nous donne l’occasion d’être réunis aujourd’hui.

Car le Parlement ne peut rester indifférent aux craintes, aux attentes ou aux espoirs de la société qu’il a pour vocation de servir. Il doit être, et il est, à travers l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques, ce lieu du dialogue entre la science et la société, entre les experts scientifiques, les responsables politiques et la société civile.

A vous, Mesdames et Messieurs les chercheurs, de redonner à nos concitoyens la soif de science, pour qu’ils puissent se forger leur propre jugement, loin des dogmes et utopies, des polémiques et des pétitions de principe.

A nous de savoir écouter les uns et les autres, de confronter les points de vue, de favoriser la réflexion collective, pour apaiser les tensions, mener des évaluations indépendantes et, le cas échéant, légiférer en toute connaissance de cause sur des sujets complexes.

Car l’une des grandes revendications, une des plus légitimes, de la période contemporaine, c’est l’information, l’expertise et la transparence.

Les citoyens d’aujourd’hui veulent s’assurer que le pouvoir est justement exercé, que les décisions qui sont prises en leur nom ont été prises en toute connaissance de cause. Cette revendication est on ne peut plus fondée. Devant des citoyens toujours mieux informés, nous devons répondre de nos décisions et démontrer que ce n’est qu’à l’issue d’un long processus de consultations, d’évaluations, de débats, de réflexions, que la décision – la meilleure décision possible – a été prise.

Pour autant, et c’est bien sûr la limite politique de ce débat,  cette recherche de la solution la mieux éclairée ne doit pas ouvrir la voie à la déresponsabilisation du politique. C’est au pouvoir politique, seul légitime, et c’est notre honneur, qu’il appartient de trancher, et les incertitudes scientifiques, irréductibles, ne doivent pas être le paravent derrière lequel se cachent nos hésitations, ou pire nos lâchetés.

Mesdames et Messieurs, je vous souhaite d’excellents travaux.