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12/09/2009 – G8 parlementaire : l’utilisation des nouvelles technologies de la communication dans les relations entre les Parlements et la société civile

Je suis heureux de vous présenter notre premier thème d’échanges qui constitue pour nous, responsables d’assemblées élues, un chantier de réflexion très important. Il me donne l’occasion de remercier chaleureusement M. Gianfranco Fini, Président de la Chambre des Députés italienne, qui nous reçoit aujourd’hui à Rome dans des conditions que je crois pouvoir qualifier de remarquables.

Dans quelle mesure les technologies de l’information et de la communication doivent-elles être utilisées pour améliorer les relations entre nos assemblées et les sociétés civiles ? A cette question complexe, je ne prétendrai pas vous apporter de réponse définitive, mais plutôt des éléments de réflexion qui sont le fruit de l’expérience de l’Assemblée nationale française. Je m’appuierai également sur les remarquables travaux du Centre mondial pour les technologies de l’information et de la communication dans les parlements qui a été créé en 2001, à Rome, à l’initiative du Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies et de l’Union interparlementaire.

S’il fallait résumer ma position, je vous dirais la chose suivante : les technologies de l’information doivent être pleinement exploitées pour rendre les travaux parlementaires plus transparents et plus accessibles des citoyens ; mais les principes qui fondent nos régimes représentatifs doivent à mon sens s’opposer à une dématérialisation sans limites du fonctionnement de la démocratie parlementaire, à la constitution d’une agora virtuelle dont les internautes seraient les principaux acteurs.

1. Que les nouveaux médias de l’information soient le vecteur d’une nécessaire démocratisation de l’accès aux résultats des délibérations parlementaires, qui peut en douter ? Qui pourrait le contester ?

Nos Parlements se sont longtemps contentés de publier leurs débats dans des gazettes officielles et d’autoriser la présence du public dans les tribunes de la salle des séances. Ces comptes rendus se limitaient à la retranscription littéraire des annonces et des discours prononcés devant la chambre. Textes de lois, rapports et comptes rendus étaient imprimés et reliés en recueils périodiques.

Mais, mes chers collègues, combien la Gazette parlementaire avait-elle d’abonnés et de lecteurs ? Qui lisait le Bulletin des lois ? Qui consultait les rapports et les archives ? Qui suivait les agendas ? La presse et les éditeurs juridiques sans doute, les attachés du gouvernement et des collectivités, ceux des administrations, des partis politiques, des organisations sociales et professionnelles, les avocats et magistrats.

Ce sont ces professions du droit, intermédiaires entre le législateur et le citoyen, qui devaient diffuser les débats, interpréter les textes et en recomposer la doctrine. Il leur incombait de déduire, à la lecture de toutes ces pièces, les obligations juridiques qu’ils devaient faire connaître et respecter. Or dans nos sociétés de l’information, cette médiation s’efface. Chaque citoyen souhaite accéder sans contraintes ni formalités aux textes et aux images des débats.

Les parlements ont su s’adapter à ce nouvel environnement : ainsi, les comptes rendus de nos débats en séance publique demeurent publiés au Journal officiel, mais sont désormais en ligne pour une consultation rapide et à distance par nos concitoyens. Mais nous avons également su nous doter d’outils nouveaux qui répondent aux demandes légitimes de transparence des institutions et d’accessibilité du droit.

La télédiffusion des débats a d’abord remplacé les relations des débats parlementaires publiées dans la presse quotidienne. Certains pays sont même allés plus loin en créant des outils de télédiffusion spécifiques dédiés à la relation des travaux parlementaires. En France, la loi du 30 décembre 1999 a institué une Chaîne parlementaire composée de deux sociétés de programme, l’une pour l’Assemblée nationale, l’autre pour le Sénat. Présentes sur une TNT désormais accessible aux deux tiers des Français, ces sociétés ont su, par la diversification de leurs programmes, gagner un large public. Il n’est pas rare désormais que les députés soient interpellés dans leur circonscription sur telle ou telle émission de la chaîne parlementaire rendant compte du fonctionnement de notre assemblée. Une réflexion est toutefois en cours sur les missions et les moyens de cet outil audiovisuel. La diffusion de la chaîne parlementaire sur la TNT entraîne en effet des coûts importants pour l’Assemblée nationale et le Sénat qui sont disproportionnés par rapport à leur budget. Par ailleurs, afin de consolider son audience, la chaîne parlementaire a eu tendance à diffuser des programmes dont le caractère parlementaire était peu évident. Enfin, se pose la question d’une mise en commun des moyens des sociétés de programme de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Nos Parlements se sont également dotés de sites gratuits d’actualité et de diffusion en ligne. Leurs internautes y trouvent les publications officielles avant même qu’elles ne soient imprimées. Ils ont accès en même temps que leurs élus aux textes et aux rapports qui servent de support aux discussions publiques. Ils peuvent suivre le déroulement de nos travaux en direct ou les télécharger sur leurs postes, interrompre puis reprendre leur lecture à tout moment et tout cela directement et gratuitement, par une simple connexion domestique. Ils pourront bientôt sur le site de l’Assemblée nationale, comme c’est déjà le cas sur celui de la chambre des députés italienne ou de la chambre des représentants de Belgique, retrouver et télécharger à la demande les images d’une séance passée.

Ainsi, Internet assure la continuité et l’universalité de l’accès aux travaux et aux archives parlementaires. La diffusion ne menace plus la conservation. La navigation par liens hypertextes ou par des arborescences visuelles, les moteurs de recherche documentaire mettent le droit à la disposition de tous, sans distinction de résidence, de fortune ou de handicap.

Ces facilités ne bénéficient pas seulement à la presse et aux professions du droit : elles ont eu pour résultat de placer les travaux parlementaires et le fonctionnement de nos assemblées sous le regard critique et vigilant du grand public. Qu’un article de presse évoque tel ou tel avantage matériel mis à la disposition des parlementaires pour l’exercice de leur mandat et c’est un déferlement de commentaires dans la blogosphère ! Que survienne une nouvelle péripétie dans le déroulement de la séance publique et le président de l’Assemblée se retrouve destinataires de messages d’internautes donnant leur point de vue.

Ces sites permettent aussi d’éduquer le jeune public à la démocratie parlementaire, de relayer tout au long de l’année l’attention que les assemblées porte aux enfants et les journées parlementaires qui leur sont dédiées. Ils apportent à leurs enseignants et plus largement aux parents et aux éducateurs un soutien pédagogique particulièrement apprécié.

Et tout cela à faible coût, puisque ce sont des automates qui publient dépêchent, diffusent, archivent tous les actes parlementaires ; ce sont eux qui facilitent leur traduction et leur interprétation, établissent des dossiers thématiques, composent des codes et des manuels.

Nous devons également évoquer un autre avantage apportées par les nouvelles technologies : celui de la mise en réseau de l’ensemble des informations liées à la politique, au droit… Nous vivons dans un monde d’interdépendances multiples : accords économiques, alliances de défense, échanges culturels… Au sein du G8 se trouvent plusieurs nations membres de l’Union européenne, qui, je le rappelle, constitue une démarche historique sans précédent puisqu’elle assure la construction d’un corpus juridique qui préexiste à un Etat, alors que l’existence d’un droit suppose l’existence d’un Etat. Notre environnement juridique n’est pas purement national et provient des délégations de souveraineté que nous avons consenties. Le lien entre nos sites d’informations et ceux de l’Union européenne nous est apparu en conséquence primordial tant l’Europe prend une place croissante dans nos politiques publiques. Nos concitoyens peuvent donc accéder, via le site de l’Assemblée nationale, à ceux des trois branches institutionnelles de l’Union européenne. A l’heure où l’aventure européenne souffre de doutes, comme l’a montré le taux d’abstention aux dernières élections au Parlement européen, je pense que la visite des sites internet européens peut faire prendre conscience à nos concitoyens du travail qui s’accomplit quotidiennement à Bruxelles, Strasbourg et Luxembourg.

Il va sans dire que ces nouveaux médias nous incitent tous, présidents, députés et commissions parlementaires à faire preuve de responsabilité dans leur usage.

Nous devons veiller à ne pas alimenter un sentiment d’antiparlementarisme toujours prompt à se manifester à la moindre occasion.

Nous devons également prendre garde, c’est une évidence, à ce que nos sites Internet soient parfaitement à jour. Les informations diffusées ne doivent pas seulement être exactes : elles doivent être en tous points conformes aux procédures, aux formes et aux traditions parlementaires. Les facilités offertes par l’outil internet ne doivent pas nous écarter de cette exigence de rigueur. La mise en ligne automatique d’informations doit rester guidée par le même souci de légalité, de pluralisme et de neutralité que celui de nos greffes.

De même, devons nous veiller à préserver le caractère institutionnel de nos sites. Les usages de l’Internet sont souvent plus proches des échanges familiers et privés que des règles du débat public. Les télécommunications en ligne, utilisées par les commissions pour tenir en direct des audiences publiques qui éviteront des déplacements longs et coûteux, ne doivent pas altérer la solennité de leurs échanges.

L’existence des nouvelles technologies nous place devant un engagement, pour l’avenir et pour l’histoire ; celui de préserver l’accès aux documents mis en ligne. Alors que les législatures et les sessions qui se succèdent renvoient celles qui les ont précédées dans l’oubli, la mémoire collective des réseaux numérique peut la garder vivante.

Enfin, j’émettrai une dernière remarque sur l’apport des technologies, qui n’est pas négligeable en ces temps où la préservation de l’environnement est un impératif pour notre planète et se place au cœur des politiques publiques : la dématérialisation des documents et de nos circuits d’information est source d’économie d’énergie et de papier. Pour la première fois de son existence, le bureau de poste de l’Assemblée nationale, qui est l’un des premiers de France par le volume de courrier qu’il traite, a enregistré une diminution de ce volume, qui reflète certainement un transfert des supports de communication. Nous poursuivons cet effort de toutes les manières possibles et mettrons en service prochainement la dématérialisation des amendements, grâce au câblage de notre vénérable hémicycle. Je ne sais si nous pourrons atteindre un objectif « zéro papier », qui serait la conséquence logique de l’extension des nouvelles technologies, mais j’ai la certitude que nous avons une marge considérable de progrès à accomplir.

2. Je crois toutefois tout aussi essentiel de préserver quelques règles de fonctionnement simples respectueuses des principes de la démocratie représentative. Pour le dire plus directement, la démocratie électronique ne doit pas nous éloigner des principes de la représentation politique, sanctionnée par l’élection.

A mon sens, les nouvelles technologies doivent être au service de la démocratie, mais ne peuvent en aucun cas altérer le principe fondamental de souveraineté. C’est parce que nous sommes élus par nos peuples que nous sommes dépositaires de la souveraineté. Dans des sociétés de liberté d’expression, chacun a le droit de parler, de s’exprimer, de protester, mais seuls les élus ont la légitimité de s’exprimer au nom de la nation et de voter les lois. Les technologies de l’information doivent respecter ce principe et être conçues pour servir les élus comme les citoyens. Pour nous qui sommes élus, elles nous permettent un dialogue direct avec les électeurs, au travers, par exemple, de blogs que des députés développent de façon croissante et qui modernisent leur façon de travailler. Ainsi nous permettent-elles de recueillir l’avis ou l’humeur de nos concitoyens à une échelle souvent plus large que celle de nos circonscriptions. De leur côté, nos concitoyens peuvent nous faire part de leurs remarques dans un délai très rapide. Nous avons vécu un exemple récent en France de ces nouveaux comportements, lorsque nous avons légiféré sur la piraterie et la protection des droits d’auteurs sur internet et que nous avons fait face à des réactions parfois violents d’internautes.

Les technologies sont là pour que nous communiquions mieux avec nos concitoyens et que nous améliorions leur information. Je suis en revanche très réservé sur tout usage qui modifierait l’exercice de notre métier de législateur sous le prétexte que la cybernétique offre de nouvelles possibilités. Ainsi je suis réticent à ce que les députés puissent répondre, sur le site de l’Assemblée et en direct, aux questions des internautes, à leurs interpellations comme à leurs sollicitations. De même, je ne crois pas nécessaire d’inviter le public à participer via le web aux débats parlementaires, à déposer opinions et commentaires sur les pages du site institutionnel de l’Assemblée ou d’une commission.

Certes, les outils de gestion de contenu de la deuxième génération des sites Internet ont développé l’idée du web participatif. Certes, également, nous connaissons le goût des internautes pour l’interactivité et les dialogues spontanés, les émotions partagées en direct et sans retenue. Sans doute, toutes les démocraties contemporaines sont-elles enclines à partager la responsabilité de la rédaction du droit entre les élus, les experts et les citoyens.

Mais ce besoin d’instantanéité peut également constituer une menace pour la démocratie parlementaire. Je ne crois pas que les sites des assemblées aient vocation à substituer des forums en ligne aux enceintes délibératives, ni des internautes anonymes aux membres du parlement. Pas plus que les sondages ne peuvent se substituer aux élections, on ne saurait imaginer que les forums citoyens sur Internet remplacent les assemblées. Les parlementaires ne doivent pas légiférer sous la pression de tiers quand bien même il s’agirait de citoyens internautes. La prohibition de tout mandat impératif doit demeurer un des principes fondateurs de notre régime représentatif.

Car dans la réalité que se passerait-il ? Ne nous voilons pas la face. Seul un petit nombre de citoyens feraient usage des outils participatifs que nous pourrions mettre à la disposition. Pour participer à la vie parlementaire en ligne, il faut en effet avoir du temps à consacrer aux questions politiques, en dehors des moments de campagne électorale. Les citoyens les plus mobilisés à défendre une cause, par intérêt personnel, professionnel ou confessionnel, s’empareraient d’une tribune qui légitimera leurs propos alors même qu’ils ne s’expriment qu’à titre personnel ou privé, sans aucune sanction démocratique. Prêter une audience publique sans limites à leurs interventions, sans la médiation d’un parlementaire, donnerait à ces particuliers le même ascendant médiatique sur les élus que les journalistes, sans qu’ils se sentent tenus par la même éthique professionnelle.

Se faisant tour à tour plaideurs, éditorialistes ou censeurs, ils pourront mettre en ligne des montages de textes, de sons et d’images pour insister sur une maladresse ou faire un scandale d’un vote. Leur contrôle permanent des actes, des paroles voire de l’emploi du temps des membres du parlement peut, en outre, troubler des travaux et des délibérations qui réclament de la sérénité et du recueillement.

De même je considère que le rôle premier d’un site parlementaire est de mettre en valeur les documents parlementaires et les comptes rendus de la séance publique et des réunions de commission en tant que résultat de travaux collectifs engagés au nom de l’institution.

Les députés ont évidemment toute leur place sur les sites des assemblées. Il faut en effet mieux faire connaître leurs mandats et les initiatives qu’ils prennent. Chaque député dispose ainsi sur le site de l’Assemblée nationale d’une page répertoriant les interventions en séance publique, les rapports réalisés, les questions posées au gouvernement…

Ce souci de transparence répond au souci des citoyens de suivre l’activité de leur député ou d’identifier l’auteur de tel ou tel rapport. Mais je ne pense pas que les sites parlementaires doivent classer les députés selon le nombre de leurs rapports ou de leurs interventions en séance. Nous savons tous que ces critères ne sont pas pertinents pour apprécier l’activité des parlementaires.

Dernière remarque, je suis réticent à la possibilité d’un dépôt par voie électronique des pétitions. Cette procédure qui trouve ses origines à la révolution française est aujourd’hui tombée en désuétude. Elle ne permet pas réellement aux citoyens d’obtenir satisfaction dans leurs griefs contre l’administration. En dématérialisant le dépôt des pétitions, actuellement encadrée par des règles de forme, on risquerait d’encourager les citoyens à recourir à une procédure qui n’apporte aucune solution de fond à leurs préoccupations.

Mer chers collègues, je conclurai en vous disant que la voie la plus sage pour conforter le lien de confiance réciproque est de choisir avec discernement parmi les moyens que la technique met à notre disposition, ceux qui attesteront, dans l’immédiat et pour l’histoire, de l’attention que les assemblées et leurs commissions portent à l’accomplissement de leurs mission législative et de la réalité et de l’efficacité du contrôle qu’elles exercent sur le gouvernement et les administrations publiques.

La plupart de nos concitoyens n’ont ni le temps ni les moyens de se consacrer aux affaires publiques. Ils ne plaident que pour le bien commun et non pour des intérêts particuliers. Ils demandent à pouvoir s’en remettre à des représentants dont l’élection périodique garantit le dévouement et dont le rôle est de faire prévaloir l’intérêt général. Il nous appartient de leur prouver que nous méritons leur confiance.

Ce sont ces preuves authentiques, tangibles et documentées des efforts que leurs élus consacrent à soutenir le débat public, à dire le droit et à contrôler le gouvernement que nos médias parlementaires doivent leur apporter et conserver pour eux et pour les générations à venir.

Je vous ai fait part de mon analyse et de mon sentiment. Je serais heureux de recueillir les vôtres. Je vous remercie.