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21/01/2010 – Vœux à la presse

Mesdames et Messieurs,

Une nouvelle année nous réunit ici, à l’Assemblée nationale. J’en suis très heureux, et j’adresse à chacun d’entre vous, à vos familles, à vos proches, mes vœux très sincères de santé et de bonheur. Les événements de la vie, imprévisibles, parfois douloureux, nous rappellent l’ordre des priorités. Telle est la disparition brutale de Philippe Séguin, cette personnalité exceptionnelle qui a profondément marqué notre institution, comme député et comme Président.

Je vous remercie d’être si nombreux, car vous savez l’attention que je porte à nos échanges. Représentants de la presse politique et parlementaire, c’est votre travail qui fait connaître le notre. Votre travail, je tiens à le saluer. Vous l’accomplissez avec curiosité, exigence et passion, quelles que soient les conditions. J’en connais, soyez-en sûrs, les difficultés actuelles. Aux effets de la crise s’ajoutent des bouleversements profonds, ceux des mutations technologiques, des changements d’habitudes et de mentalités. Je n’oublie pas non plus qu’informer, c’est toujours s’exposer, risquer, à différents degrés et parfois jusqu’au bout, puisque votre profession a été lourdement endeuillée en 2009. Nos pensées vont à vos confrères disparus, mais aussi bien sûr à ceux de France 3 actuellement retenus en otage en Afghanistan. Pour eux, et pour la liberté de la presse, ce sont des vœux d’espoir que je forme aujourd’hui.

L’année écoulée a été riche en événements importants, vous le savez mieux que quiconque, et le Parlement comme l’exécutif ont pris toute leur place, dans un contexte économique et social aussi grave qu’inédit.

L’année 2010 commence tragiquement, par le drame effroyable qui frappe le peuple haïtien, un peuple francophone, aujourd’hui dénué de tout. Les députés et le Parlement ont d’ores et déjà décidé de s’engager, en tant que tels, dans l’élan de solidarité, d’assistance et de reconstruction du pays, en s’impliquant dès le moment venu dans la renaissance de l’institution parlementaire haïtienne.

2010 sera une année charnière, pour sortir nous l’espérons durablement de la crise. Une année d’échéances politiques, économiques et sociales majeures. Pour toutes les réformes à venir, l’Assemblée nationale sera en première ligne, une Assemblée plus forte, marquée par l’élan de modernisation de la réforme de 2009.

2009 a bien été l’année du Parlement, puisque nous avons conduit, dans le prolongement de la révision constitutionnelle de 2008, une réforme profonde du Règlement de l’Assemblée nationale. Cette réforme a opéré un rééquilibrage des pouvoirs sans précédent depuis 1958. Elle a redonné du souffle au législatif, sans affaiblir l’exécutif. Si nous n’avons pas changé de République, les hommes et les événements, comme toujours, impriment leur marque.

Après six mois de mise en œuvre, les avancées sont bien là : ordre du jour partagé, élaboration de la loi, évaluation et contrôle des textes votés et des politiques publiques. Pour autant, je veux le dire, tout n’est pas encore abouti, et beaucoup de réglages, et même parfois des modifications substantielles, restent à apporter. 2010 sera importante pour poursuivre cette modernisation.

Le nouveau Règlement permet d’abord de mieux légiférer.  Les études d’impact, l’ordre du jour partagé, l’examen en séance du texte de la commission, le temps législatif programmé, ont changé radicalement les conditions de préparation, d’examen, d’élaboration et de discussion des textes. Autant d’avancées pour le Parlement.

Attendue depuis bientôt trente ans, la fin de l’obstruction, ici, au Palais-Bourbon, est devenue une réalité. On mesurera vite les conséquences de ces changements profonds sur la qualité et l’efficience du travail législatif et sur une meilleure mise en œuvre des programmes législatifs de Gouvernement, c’est à dire de la volonté exprimée par les français lors des élections politiques. Vous qui connaissez si bien cette institution, vous savez ce qu’aurait pu être sans le temps législatif programmé l’examen de textes tels que le repos dominical, la lutte contre la récidive ou le statut de la poste. Nul doute que l’Assemblée, les observateurs, le pays tout entier auraient dû compter avec des dizaines de milliers d’amendements, des centaines d’incidents de séance, des débats interminables, puisqu’avant le temps législatif programmé, l’enjeu était le temps. Désormais, l’enjeu, c’est le fond. Qui pourrait le contester ? Qui pourrait le regretter ? Qui pourrait un jour revenir sur cette avancée ?

Mais encore une fois, nous pouvons, nous devons aller plus loin.

J’entends tout d’abord donner la plus large publicité possible aux travaux des commissions, qui concentrent désormais une part déterminante de l’activité législative. Qui mieux que vous peut le mesurer ? Actuellement, certaines commissions peuvent ouvrir leurs auditions et débats à la presse, mais les retransmissions audio et télévisuelles ne sont pas toujours prévues. C’est pourquoi chaque salle sera pourvue au plus tôt des équipements nécessaires : des travaux importants sont en cours, ils seront achevés en 2011.

Par ailleurs, la semaine d’initiative parlementaire nécessite incontestablement une réflexion et une meilleure mise en oeuvre.

S’agissant des propositions de l’opposition tout d’abord : les séances attribuées aux groupes d’opposition se tiennent sur une seule journée, le jeudi. La capacité pour les groupes d’opposition d’inscrire à l’ordre du jour l’examen de propositions de loi a été ainsi multipliée par trois. Pour autant, le fait majoritaire ne saurait être remis en cause, puisqu’il est le fondement de toute démocratie. Cela suscite une certaine confusion, et pour l’opposition une certaine déception. La réalité est que l’opposition dispose là d’une capacité trois fois plus importante pour défendre ses convictions et ses propositions.

Pour les propositions de lois d’origine majoritaire, je pensais, avec le Comité Balladur, que cette partie de l’ordre du jour serait partagée, c’est à dire fixée d’un commun accord entre le Gouvernement et sa majorité. Tel n’est pas suffisamment le cas à l’heure actuelle. Or l’initiative législative ne doit pas être l’objet d’une compétition, d’une surenchère : ni le pays, ni le Gouvernement, ni la majorité ne sauraient en tirer durablement bénéfice.

S’agissant des nouveaux pouvoirs d’évaluation et de contrôle, le Comité d’évaluation et de contrôle a été installé au mois de juillet, un changement profond.

Ce Comité a engagé des travaux sur trois sujets. Chaque mission est conduite conjointement par deux co-rapporteurs de la majorité et de l’opposition. Le premier rapport du Comité sur l’évaluation de la mise en œuvre du principe de précaution sera adopté au cours du deuxième trimestre. Deux autres rapports sont également en cours, l’un sur l’évaluation des autorités administratives indépendantes, à la demande du groupe SRC, l’autre sur les aides aux quartiers défavorisés, à la demande du groupe UMP.

Le travail engagé est déjà important, même si le Comité n’a pas encore atteint son rythme de croisière, et son activité reste pour l’instant peu connue. Afin de renforcer ses moyens, j’ai déposé une proposition de loi qui sera examinée la semaine prochaine ; elle concerne la possibilité de saisine de la Cour des Comptes et le pouvoir d’investigation des co-rapporteurs.

Sur les droits nouveaux de l’opposition, qui font – c’est de bonne guerre, l’objet de polémiques, la réforme du règlement a permis des avancées incontestables, avec la multiplication par trois des séances d’initiative parlementaire, l’égalité du temps de parole pour toutes les activités de contrôle et la désignation d’un co-rapporteur pour les travaux du Comité d’évaluation et de contrôle. Avec, dans le cadre du temps législatif programmé, le temps allongé de droit à la demande d’un groupe d’opposition, le temps programmé exceptionnel une fois par session et par groupe, l’opposition disposant des 60% du temps des groupes. Avec enfin le droit de tirage sur les commissions d’enquête, qui ne saurait toutefois méconnaître les principes constitutionnels.

Cependant la Constitution, nous en avons été témoins, a vu au fil du temps certaines de ses dispositions détournées. Tel a été le cas de l’article 49-3, conçu initialement pour surmonter des majorités rétives. Il était devenu une arme contre l’obstruction de l’opposition. La réforme a mis un terme à ce dévoiement. Aujourd’hui, je redoute le détournement d’un autre article, le 44-3, c’est à dire la réserve de vote, le vote bloqué. Prévu lui aussi pour pallier des défaillances majoritaires, il ne doit pas servir pour remédier à une mobilisation insuffisante de la majorité pour soutenir les projets de lois gouvernementaux, situation bien différente lorsqu’il s’agit de propositions de loi.

C’est pour cela que nous devons veiller toujours à l’équilibre des règles. C’est le rôle du Président de toute Assemblée que de les faire respecter.

Le détournement des règles, en toute chose, n’est jamais bon. On l’a vu sous la IIIe et la IVe République, où la France a souffert d’un parlementarisme excessif qu’on appellerait aujourd’hui l’hyperparlementarisme.

Derrière une telle dérive, il y a une sorte de prise de pouvoir par des partis ou des groupes, qu’en son temps le Général de Gaulle dénonça et à laquelle la Constitution de 1958 a voulu mettre fin.

Quand, cette semaine encore, l’opposition revendique la possibilité de faire intervenir une centaine de députés au moment des explications de vote des groupes au cours d’un scrutin solennel, en invoquant l’article 49-13 du nouveau Règlement, alors même qu’elle disposait encore à la fin de l’examen du texte de plusieurs heures de temps de parole, il s’agit d’une tentative de détournement patente du droit d’expression individuelle des députés.

Cette tentative est de même nature que celle qui détourna, dans les années 1980, le droit d’amendement, conduisant à son tour au dévoiement de l’usage du 49-3.

C’est ce détournement des règles qui est dévalorisant pour l’Assemblée nationale et pour l’efficacité des institutions. La révision constitutionnelle de 2008 et la réforme du Règlement de 2009 ont entendu y mettre un terme.

Pour débattre de ces questions et parfaire la mise en œuvre de la réforme, j’ai décidé de réunir à nouveau le groupe de travail pluraliste sur le Règlement.

Si en 18 mois l’essentiel de la réforme constitutionnelle est en place, il reste des dispositions organiques à adopter. Elles concernent le contrôle parlementaire sur les nominations, le Conseil Supérieur de la Magistrature, le Conseil Economique, Social et Environnemental et le référendum d’initiative parlementaire. Je demande au Gouvernement qu’elles soient adoptées avant la fin de cette session.

Récemment s’est ouvert un débat sur le Conseil Constitutionnel. Je juge les critiques déplacées.

Pour autant, depuis 1958, le Conseil Constitutionnel a vu considérablement évoluer son rôle dans les institutions, notamment après la réforme de 1974.

A l’occasion de la mise en œuvre au 1er mars de l’exception d’inconstitutionnalité, il m’apparaît logique, nécessaire, que nous nous interrogions sereinement sur l’évolution de l’équilibre institutionnel et juridique. Le médecin que je resterai toujours a appris que tout changement a des conséquences, et que ne pas avoir le courage de les évaluer n’est jamais l meilleur choix.

Enfin, aujourd’hui, je voudrais dire quelques mots sur le rôle des missions d’information parlementaires. Elles travaillent en toute indépendance, elles réunissent des élus de tous les groupes, et sur des questions de société, la recherche du consensus s’impose. Les travaux approfondis de ces missions facilitent l’adoption de textes consensuels. La mission d'information sur le port des signes religieux à l'école en 2003, celle sur la fin de vie en 2005 et celle sur les violences faites aux femmes en 2009 ont ainsi abouti à des conclusions largement partagées, pour le bien de la communauté nationale.

Pour la mission d’information sur le port du voile intégral, son Président André GERIN et son Rapporteur Eric RAOULT me remettront leur rapport le 26 janvier prochain. Je souhaite que leurs conclusions soient largement partagées, et à cet égard, je regrette, et regretterai toujours, les interférences qui pourraient peser sur la liberté et l’indépendance des parlementaires sur les questions de société.

En 2010, des textes importants nous attendent : la définition des dépenses d’avenir, la réforme des retraites, la dépendance des personnes âgées, la réforme territoriale, la fiscalité environnementale ou la révision des lois bioéthiques. L’Assemblée prendra bien sûr toute sa place dans ces débats.

Pour conclure, Mesdames, Messieurs, un Parlement moderne est nécessairement un Parlement ouvert, qui communique, qui informe. Un Parlement connecté.

Les députés ont désormais accès à Internet dans l’hémicycle ; à deux pas, au Salon Euromedia, ils peuvent suivre en direct et même anticiper l’activité des instances européennes. Ils peuvent même le faire de leur bureau.

Le site Internet de l’Assemblée nationale et sa modernisation seront l’une des priorités de 2010. Un site performant, innovant, qui investira tous les champs ouverts par les technologies de l’information et de la communication. Un site accessible, avec des contenus clairs et pédagogiques. Ce site, c’est un impératif démocratique, un outil à la disposition de tous les citoyens, bien sûr des journalistes, car aucun forum numérique, aussi rigoureux et documenté soit-il, ne peut se substituer à l’observation, à l’analyse critique, aux idées des professionnels de l’information que vous êtes.

C’est ce Parlement, Mesdames et Messieurs, que nous continuerons à construire en 2010.

Avant de terminer et de répondre à vos questions, permettez-moi à nouveau de vous souhaiter une excellente année 2010 !