Accueil > Présidence > Les discours du Président de l'Assemblée nationale

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit

01/06/2010 - Allocution d’ouverture du séminaire parlementaire sur l’évaluation de la mise en oeuvre du principe de précaution

Messieurs les co-rapporteurs du CEC,

Cher Alain Gest, cher Philippe Tourtelier,

Mesdames et Messieurs les parlementaires, mes chers collègues,

Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux de vous accueillir ici, à l’Assemblée nationale, pour débattre d’un sujet complexe et sensible. Un sujet d’actualité, sur lequel il est de notre devoir, à nous législateurs et responsables politiques, de nous interroger, conformément à notre mission d’évaluation de l’application des lois que nous votons.

Je remercie l’ensemble des éminentes personnalités présentes, que je ne pourrai toutes citer. Vous qui êtes juristes, philosophes, chercheurs, représentants du Gouvernement, des milieux économiques ou des associations environnementales, vous nous faîtes aujourd’hui l’honneur de participer à nos travaux et de les enrichir par votre connaissance approfondie du sujet.

J’adresse ces mêmes remerciements à Gérard Leclerc, Président de La Chaîne Parlementaire, qui a accepté de s’impliquer personnellement dans cet après-midi de réflexion et d’animer nos débats.

A l’automne dernier, le nouveau Comité d’Evaluation et de Contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale, que j’ai l’honneur de présider, a retenu comme premier sujet de son programme de travail la question de l’évaluation de la mise en œuvre du principe de précaution inscrit à l’article 5 de la Charte de l’Environnement.

Il a désigné nos deux excellents collègues, Alain Gest et Philippe Tourtelier, co-rapporteurs sur ce sujet et c’est de leur rapport d’étape, et des questions qu’il pose, dont nous allons débattre aujourd’hui.

Je tiens à les féliciter chaleureusement pour le remarquable travail de fond qu’ils ont effectué et je vous suis reconnaissant, Mesdames et Messieurs, d’avoir accepté de participer à ce premier séminaire parlementaire du Comité d’Evaluation et de Contrôle.

La démarche que nous vous proposons est, vous l’aurez compris, quelque peu innovante, et je l’estime, pour ma part, importante. Elle s’inscrit dans une réflexion parlementaire en cours, elle y contribue pleinement, et je souhaite vivement que les échanges qui vont suivre nous ouvrent des pistes de réflexion pour préciser, sinon la notion elle-même, du moins le cadre dans lequel doit s’appliquer le principe de précaution.

***

Cinq ans après sa constitutionnalisation, le principe de précaution qui avait soulevé des débats passionnés, suscite encore bien des interrogations sur les conséquences qu’il emporte dans certains domaines.

D’un simple principe de gestion environnementale, il s’est imposé progressivement comme un principe cardinal de gestion des risques, réclamé par l’opinion, invoqué par les autorités publiques et les médias, sans qu’il soit toujours tenu compte de sa définition juridique.

De la culture des OGM à l’implantation des antennes relais de téléphonie mobile, de la campagne de vaccination contre le virus H1N1 à l’arrêt du trafic aérien à la suite de la dispersion du désormais célèbre nuage de cendres islandais, l’actualité ne cesse de faire référence au principe de précaution. Parfois pour en justifier l’application, mais aussi pour la contester, et ce à tel point que, depuis deux ans, le nombre de voix demandant son abrogation s’est sensiblement accru.

Je n’en citerai pour exemple que le rapport de Jacques Attali, rapport de la Commission pour la libération de la croissance française qui, en janvier 2008, s’interrogeait sur les risques qu’il peut comporter, ou ce journal du soir bien connu qui titrait, il y a quelques semaines, sur une double page : « le principe de précaution est-il un danger ? ».

Le principe est devenu un « repère médiatique », son application s’est étendue des dommages à l’environnement à l’ensemble des risques sanitaires, un glissement de sens s’est opéré entre ce qui relève de la précaution – c’est-à-dire d’un risque incertain – et ce qui relève du principe de prévention, c’est-à-dire de la gestion d’un risque connu et avéré.

Cette confusion est particulièrement regrettable car rien n’est plus néfaste pour le principe de précaution que l’excès de précaution auquel peut mener une interprétation erronée.

Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas ici de « jeter le bébé avec l’eau du bain ». La démarche de précaution est nécessaire. Elle s’impose aux autorités publiques comme une forme d’engagement à la vigilance. Elle est aussi un moteur du progrès, lorsque l’application du principe donne lieu à un supplément de recherches afin d’identifier la réalité de risques hypothétiques en l’état actuel des connaissances.

Mais mal compris, mal interprété, le principe de précaution peut être aussi mal appliqué. Si l’on ne met pas en parallèle les avantages et les risques – comme le fait par exemple tout médecin qui prescrit un traitement – le principe de précaution peut alors conduire à un blocage du progrès scientifique et de l’innovation. Ce progrès qui est au cœur de l’histoire de l’humanité, qui est le moteur de nos sociétés contemporaines et de l’économie d’un pays comme la France, dans lequel la recherche et le développement des technologies nouvelles sont les clés de la compétitivité de demain.

A titre personnel, je suis, certains d’entre vous le savent, très préoccupé par les conséquences qu’une interprétation confuse, hâtive, du principe de précaution a eues dans le secteur des biotechnologies, et par celles qu’elle pourrait avoir dans celui des nanotechnologies, deux domaines dont les applications technologiques et industrielles sont fondamentales pour notre pays.

Il ne s’agit là que d’exemples, mais qui focalisent les peurs de l’opinion, pour laquelle le principe de précaution intervient comme un instrument de protection absolue, et qui, surtout, illustrent le glissement de l’application du principe du domaine environnemental au domaine sanitaire. C’est là un point essentiel de notre réflexion et nous en débattrons tout à l’heure.

Notre pays est aujourd’hui le seul à avoir inscrit le principe de précaution au plus haut sommet de la hiérarchie des normes. S’il n’est pas question de revenir sur sa constitutionnalisation, nous devons néanmoins nous interroger sur les dérives qu’entraîne une interprétation erronée, sur les conséquences de son extension au domaine sanitaire et réfléchir, comme le prescrit d’article 5 de la Charte de l’Environnement, à la « mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques » et à la nécessité de prendre des « mesures proportionnées », lorsque nous décidons de l’appliquer.

***

Telles sont, brièvement, mes chers collègues, Mesdames et Messieurs, les raisons pour lesquelles nous devons ouvrir une discussion sereine et sans préjugés sur l’évaluation de la mise en œuvre du principe de précaution et sur l’application de ce principe sous ses différents aspects, juridiques, scientifiques, économiques ou encore médiatiques.

Vous allez, dans les heures qui suivent, examiner toutes les questions soulevées par le rapport d’étape d’Alain Gest et de Philippe Tourtelier : de la rédaction même du principe et de sa portée juridique, aux modalités pratiques de sa mise en œuvre, que nos rapporteurs résument intelligemment sous le terme de « pilotage en régime de précaution ».

Nous déterminerons, à l’issue de ce séminaire dans quelle mesure et jusqu’où il convient de préciser la signification du principe et d’améliorer son dispositif de mise en œuvre. Avant que le Parlement ne décide, ou pas, d’une initiative législative, nous sommes aujourd’hui dans le temps indispensable de l’analyse et de la réflexion, et je vous remercie une fois encore d’y participer.

Je vous souhaite de fructueux travaux et, sans plus attendre, je cède la parole à nos deux rapporteurs pour entrer dans le vif du sujet.