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07/01/2011 – Allocution d’ouverture du colloque Philippe Séguin, La politique : « une affaire de volonté »

Monsieur le Premier ministre,

Mesdames et Messieurs les ministres,

Madame et Messieurs les ambassadeurs,

Mes chers collègues,

Madame Béatrice Séguin,

Madame Catherine Séguin, qui avez organisé cette belle exposition de photographies dans la galerie des tapisseries,

Mesdames, Messieurs, parents et amis de Philippe Séguin, venant de France, mais aussi de Tunisie et du Québec qui lui étaient si chers,

Il y a un an, jour pour jour, nous apprenions la triste nouvelle. Philippe Séguin nous quittait, emportant avec lui cette part de fougue dans l’engagement politique qui lui était propre, ce caractère à la fois attachant et entier. Sa voix, à la profondeur inimitable, s’était tue.

À cet amour passionné de la France qui est le fond de tout gaulliste, Philippe Séguin alliait cette impatience tumultueuse et cette ténacité dans l’effort sans lesquelles il n’est pas de réforme possible, ce mélange de sincérité et de réalisme, de conviction et d’action.

Le pays eut tout de suite conscience qu’il était précieux et que la République venait de perdre un de ses fils les plus valeureux : car le courant de sympathie qui se manifesta immédiatement dans l’opinion ne saluait pas seulement l’homme prématurément frappé par le destin, mais aussi tout ce qu’il représentait dans l’esprit des Français.

Philippe Séguin n’est plus, mais son œuvre politique, elle, lui survivra.

C’est la raison pour laquelle l’Association France.9, que vous présidez, Monsieur le Premier ministre, a pris l’initiative de ce colloque que je suis heureux d’accueillir à l’Hôtel de Lassay.

En rendant hommage à Philippe Séguin, aujourd’hui, il ne s’agit pas de procéder à une rétrospective nostalgique, mais de nous tourner clairement vers l’avenir.

À lui qui fut un travailleur infatigable, nous allons dédier une journée de travaux, sur un thème qu’il a illustré par l’exemple, « La politique : une affaire de volonté ».

Oui, Philippe Séguin aura été l’incarnation du volontarisme, tout au long de sa vie et tout particulièrement, à l’Assemblée, au perchoir. N’écrit-il pas, dans son livre de souvenirs, Itinéraire dans la France d’en haut, d’en bas et d’ailleurs : « Je ne considérais pas la présidence comme une sinécure. J’y venais pour agir ».

Le grand parlementaire qu’était Philippe Séguin nourrissait sa pratique quotidienne de l’action publique par une connaissance intime, profonde, de l’histoire parlementaire, des mécanismes de l’Assemblée nationale et du fonctionnement des parlements étrangers.

C’est parce qu’elle s’inscrivait dans cette vision très large du rôle dévolu à la Représentation nationale que son analyse des dysfonctionnements fut percutante et convaincante, au point de déboucher sur une réforme importante du Règlement de l’Assemblée nationale en 1994, et une révision constitutionnelle en 1995.

Philippe Séguin allait partir de l’esprit de la Constitution pour demander à en revoir la lettre, il voulait réaffirmer le véritable rôle du Parlement en cherchant à mettre fin aux routines et aux détournements de procédure qui risquaient de vider notre vie politique de son sens.

Depuis le début de la Cinquième République, la question revenait, lancinante : « Un Parlement, pourquoi faire ? Quel rôle pour les députés, dans un contexte de parlementarisme rationalisé ? »

Le général de Gaulle lui-même, tout en assumant pleinement le renouveau institutionnel dont il était l’auteur, déplorait ce qu’il appelait « cette sorte de mécanisation morose » des débats au Palais-Bourbon.

Pour Philippe Séguin, il ne suffisait pas d’envisager le problème d’un point de vue théorique, ni de s’accommoder d’un certain vague à l’âme parlementaire. Il fallait trouver des solutions institutionnelles, capables de garantir un bon équilibre entre l’exécutif et le législatif. Il s’y est employé, à travers la révision constitutionnelle de 1995, révision dont il fera pourtant un bilan nuancé après 1997.

Lucide, il avait une vision précise de ce vers quoi il fallait tendre et ne se dissimulait pas que les réformes engagées n’avaient pas atteint tous leurs objectifs. « Il m’aurait fallu dix ans », résumait-il. Pourtant, les évolutions institutionnelles qu’il avait amorcées étaient promises à un bel avenir. Nul doute que l’année perdue par la dissolution lui a manqué pour parfaire sa réforme.

En effet, nous avons médité son message, qui prenait souvent la forme de mots d’ordre : « Gagner la bataille du temps », « Légiférer moins, organiser mieux ».

Il faut lire et relire ce modèle d’analyse et de plan d’action politique que constitue son allocution du 2 avril 1993 : tout juste élu Président de l’Assemblée nationale, Philippe Séguin trace le chemin à parcourir et si lui-même a ouvert la voie, il est frappant de constater que la plupart des objectifs discernés par lui ont finalement été atteints, à travers la révision constitutionnelle de 2008 puis la réforme du Règlement de l’Assemblée nationale de 2009.

Ainsi, cette fameuse et difficile « bataille du temps » a été remportée, quinze ans plus tard, grâce à l’institution du « temps législatif programmé ».

La session unique de neuf mois visait déjà à réorganiser le travail parlementaire pour qu’il se concentre sur les débats les plus importants trois journées par semaine, le reste étant consacré au travail en circonscription.

Mettant fin à ces manœuvres d’obstruction pratiquées sur tous les bancs depuis trente ans, qui dévalorisaient le Parlement, le temps législatif programmé, permet aujourd’hui de consacrer les débats dans l’hémicycle aux articles d’un texte de loi et aux amendements les plus importants.

Il s’agit de privilégier ceux sur lesquels les groupes parlementaires choisissent de faire porter la discussion en priorité. Ainsi, la réforme de la session unique peut-elle être, désormais, pleinement mise en œuvre.

De même, la nouvelle pratique qui permet d’éviter de réexaminer dans l’hémicycle tous les amendements acceptés en commission obéit à cette logique profondément séguiniste de rétablir « un Parlement fort et respecté ».

Cette volonté de revaloriser le Parlement s’est également concrétisée par le passage à un ordre du jour non seulement partagé, mais pour mieux dire, négocié, qui permet au Parlement et au Gouvernement de déterminer ensemble, dans un dialogue permanent auquel vous êtes attentif, Monsieur le Premier ministre, les textes à examiner en priorité.

Pour autant, sous la Cinquième République, légiférer relève toujours principalement d’une initiative de l’exécutif, lui permettant de concrétiser les orientations validées par les électeurs.

Philippe Séguin l’avait compris très tôt : « Le Parlement n’avait strictement rien à gagner à chercher à concurrencer le gouvernement sur le terrain de l’action législative », écrivait-il.

La voie royale du parlementarisme passe plutôt par un contrôle aiguisé de l’action gouvernementale et, là encore, Philippe Séguin était visionnaire en indiquant, de manière explicite : « Je considérais que le contrôle devenait notre fonction prioritaire. »

Car son amour de la France ne l’empêchait nullement d’étudier les expériences étrangères et, en matière de contrôle, Philippe Séguin ne dissimulait pas son intérêt pour les procédures mises au point dans les parlements anglo-saxons.

C’est pourquoi il voulut rendre les séances de questions plus « spontanées », plus rythmées, plus vivantes, mais aussi « accroître et moderniser notre contrôle dans le domaine économique et financier » et « faire en sorte qu’il s’exerce de manière approfondie tout au long de l’année ».

Nous n’avons fait que persévérer dans cette voie en prévoyant des séances de questions pendant les sessions extraordinaires, en créant un Comité d’évaluation et de contrôle, que j’ai souhaité présider personnellement, ou encore en programmant des séances entièrement dédiées au contrôle.

Philippe Séguin a, également, directement inspiré les nouvelles dispositions constitutionnelles qui prévoient  que « la Cour des Comptes assiste le Parlement dans le contrôle de l’action du Gouvernement. »

Des dispositions que nous avons commencées à mettre en oeuvre, avec votre concours actif, Monsieur le Premier Président de la Cour des Comptes.

Cette fonction de contrôle ne s’exerce plus dans un cadre strictement hexagonal, d’ailleurs, et, cela aussi, Philippe Séguin l’avait dit, je le cite : « Le contrôle de l’action européenne du Gouvernement devenait essentiel. »

Un Parlement renforcé ne peut se contenter de transposer des « paquets » de directives, il doit pouvoir peser sur les choix opérés à Bruxelles et à Strasbourg : la nouvelle commission des Affaires européennes ne s’emploie pas à autre chose, en faisant respecter le principe de subsidiarité.

Au reste, Philippe Séguin voulut « mieux ouvrir l’Assemblée sur le monde ». Rappellerai-je qu’il prit l’initiative de ces séances inoubliables pendant lesquelles les chefs d’État et de gouvernement invités par la France ont pu s’exprimer dans l’hémicycle devant les représentants de la Nation française ?

Le premier d’entre eux fut Juan Carlos, le roi démocrate, et nous savons avec quelle jubilation Philippe Séguin, au nom de la République, convia un Bourbon à parler dans le palais du même nom…

Cet esprit d’ouverture, Philippe Séguin l’a manifesté aussi en voulant rendre plus accessible au plus grand nombre. Rappelons que ce fut sous sa présidence que s’ouvrit le site Internet de l’Assemblée nationale, site qui devient chaque jour davantage l’outil central de l’Institution. C’est lui aussi qui engagea les tractations qui allaient aboutir plus tard à la création d’une chaîne parlementaire. C’est encore à Philippe Séguin que nous devons cette grande leçon d’éducation civique qu’est chaque année le Parlement des Enfants.

Enfin, et je terminerai sur ce point parce qu’il est capital, Philippe Séguin conduisit toutes ces réformes avec le souci constant de protéger l’opposition. Il s’était engagé, dès le jour de son élection à la présidence de l’Assemblée nationale, à, je le cite encore, « favoriser l’expression de toutes ses nuances, de toutes ses diversités, donc de toutes ses contributions potentielles ».

Homme de loyauté, il tint parole, sachant bien que l’efficacité, en démocratie, ne peut servir à justifier une atteinte à la libre expression de la minorité.

C’est aussi cet enseignement qu’on retrouve dans la révision constitutionnelle de 2008 et dans la réforme du Règlement : dotée d’un véritable statut, l’opposition parlementaire jouit aujourd’hui de droits spécifiques, en commission comme en séance.

Elle dispose ainsi de postes de co-rapporteurs et d’un temps de parole égal à la majorité dans les activités de contrôle, y compris pendant les séances de questions au Gouvernement, et de plus de temps de parole que la majorité dans le cadre du temps législatif programmé. Elle se voit attribuer la présidence de la commission des Finances et peut, désormais, obtenir la création de commission d’enquête.

L’opposition joue ainsi pleinement son rôle, ce qui est sain et contribue aussi à entretenir la vigueur de notre vie publique.

Mais, comme dans toutes les démocraties, si l’opposition a des droits, elle ne peut, pour autant, avoir tous les droits. Et la majorité issue du suffrage universel doit savoir, au terme de longs débats en Commission et dans l’hémicycle, prendre également ses responsabilités.

Cette vigueur, ce refus de l’immobilisme, Philippe Séguin les a non seulement pratiqués, mais incarnés, dans l’opposition comme dans la majorité. C’est pourquoi il nous a fait si forte impression, c’est pourquoi il nous a laissé tant de souvenirs.

C’est pourquoi, aussi, il a ouvert tant de débats, levé tant de tabous et, finalement, distingué tant de pistes intéressantes que nous avons eu raison de suivre pour moderniser le fonctionnement de l’Assemblée nationale.

Il ne m’appartient pas, en ouvrant ce colloque qui s’annonce dense et riche de multiples témoignages, de dresser un bilan conclusif de ce que fut l’activité politique de Philippe Séguin, mais permettez-moi de formuler au moins deux certitudes : la première, c’est qu’il nous manque ; la seconde, que nous lui devons beaucoup. Et c’est pourquoi je suis heureux, mais aussi ému, d’accueillir ici tous ceux qui l’ont connu, soutenu et aimé.

Je vous remercie et je sais que vos travaux, dans cette maison qu’il a marquée de son empreinte, seront nécessairement fructueux.