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17/01/2011 – Vœux à la presse

Madame la Présidente de l’Association de la presse parlementaire, Chère Sophie HUET,

Mesdames et Messieurs,

Vous comprendrez qu’après l’assassinat odieux de nos deux jeunes compatriotes au Niger, mes premières pensées s’adressent aux familles et aux proches d’Antoine de LÉOCOUR et de Vincent DELORY, inhumés aujourd’hui à Linselles.

Mes pensées vont également aux otages français retenus dans le monde, en particulier à vos confrères et amis Stéphane TAPONIER et Hervé GHESQUIERE, ainsi qu’à leurs trois accompagnateurs, retenus en Afghanistan, depuis le 30 décembre 2009, alors qu’ils ne faisaient que leur devoir.

Mes pensées émues vont aussi, suite aux évènements survenus à Tunis, à Lucas MEBROUK DOLEGA, votre confrère

Mesdames, Messieurs,

C’est bien sûr aussi à vous, réunis aujourd’hui à l’Hôtel de Lassay, que je veux adresser mes vœux personnels pour une nouvelle année, que je souhaite avant tout apaisée et solidaire.

Je forme le vœu que vos équipes, vos rédactions, puissent travailler dans les meilleures conditions possibles et que se prolongent les liens que vous entretenez avec les parlementaires, des liens humains qui sont au cœur de la démocratie.

A l’Assemblée, quelque soit le jugement porté sur l’action gouvernementale, un constat s’impose, le travail parlementaire depuis trois ans et demi est dense, trop dense et trop bousculé parfois même. Mais notre mission, légiférer et contrôler l’action publique, ne nous a pas empêchés de moderniser l’Institution par une importante réforme de la procédure législative et une profonde rénovation de nos actions d’évaluation et de contrôle.

Parmi les Nations, fortes des réformes entreprises, la France est aujourd’hui l’une des mieux protégées. Alors que la situation internationale reste complexe, menaçante et imprévisible.

Pour autant, le travail qui reste à accomplir est important. La crise, brutale, exacerbe les tensions et les inquiétudes. Elle nous oblige. Nous devons poursuivre les réformes à un rythme soutenu. Nous n’avons pas le choix, parce que répondre aux priorités des Français est une exigence sociale et politique, un devoir moral.

L’Assemblée nationale entre dans l’année 2011 déterminée : les réformes attendues par les Français sont nombreuses. 2011 devra être une année réaliste et active.

La crise a renforcé l’exigence d’équité et de compétitivité. Ces exigences surgissent dans une conjoncture contrainte, celle de la maîtrise des déficits publics et de la dette de la Nation.

Cette dette s’élève à quelques 1 600 Milliards d’euros, tandis que la France doit emprunter chaque jour 400 Millions d’euros. Ces chiffres sont astronomiques. 1 600 Milliards d’euros, soit l’équivalent de 25 000 Airbus A320, de 20 siècles de budget de mon département, la Haute-Savoie. Ou bien encore de la construction d’une autoroute d’une longueur équivalente à la distance de la Terre à la Lune.

Dans ce contexte, il faut hiérarchiser les priorités : la compétitivité et la justice sociale. La compétitivité dont dépendent l’emploi, le pouvoir d’achat, c’est à dire le niveau de vie et la protection sociale des Français. La justice sociale sans laquelle rien n’est possible moralement et politiquement.

Ainsi, sur ma proposition, la Conférence des Présidents a décidé, à l’unanimité, la semaine dernière, de créer une mission d’information sur la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale, les deux problèmes socio-économiques principaux de notre pays.

La mission associera majorité et opposition, afin de parvenir à une analyse partagée et, pourquoi pas, à des recommandations convergentes.

Cantonner le débat au temps de travail, le limiter aux 35 heures conduirait à voir s’affronter des positions dogmatiques que l’on connaît. Ce n’est pas en prolongeant cet affrontement que l’on résoudra les problèmes de grande ampleur auxquels la France est confrontée.

En effet, l’un des principaux freins à notre compétitivité est le coût du travail. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en France, les cotisations sociales patronales assises sur les salaires s’élèvent à 28%, à 23% en Allemagne, à 17% au Royaume-Uni.

Or, nos choix sont dictés par l’impératif absolu de la sauvegarde et de la relance de l’économie, pour répondre à la première des préoccupations de nos concitoyens : l’emploi, érodé par les délocalisations.

S’agissant de justice sociale et de solidarité, tout autant que de compétitivité, je me félicite que le Président de la République se soit saisi d’un autre enjeu : la fiscalité du patrimoine, dont l’Assemblée nationale débattra au cours de l’année 2011. Sur ce terrain, les attentes et les exigences seront grandes.

C’est aussi dans ce pacte de solidarité que s’inscrit l’un des derniers grands chantiers du quinquennat, la dépendance des personnes âgées. 1 200 000 de nos compatriotes sont concernés. Or, 20% des familles ne peuvent faire face aux dépenses liées à la perte d’autonomie de leurs proches. Il s’agit d’un enjeu de solidarité, dont l’Assemblée nationale va s’emparer.

Le gouvernement engage la concertation nationale. Elle réunit notamment les partenaires sociaux et, bien sûr, des parlementaires.

Elle rendra ses conclusions avant l’été. Ainsi, les premières mesures, prévues dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale 2012, devraient être examinées, ici même, à l’automne.

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Parce qu’il est de notre responsabilité de nous emparer des grands débats de société, des enjeux d’avenir, l’Assemblée s’est saisie de la révision des lois bioéthiques.

J’ai instauré une Commission spéciale pour l’examen du projet de loi de révision des lois de bioéthique.

Elle réunit 70 députés, sous l’autorité de son président Alain CLAEYS et de son rapporteur Jean LEONETTI. Elle travaille sur des sujets aussi sensibles, complexes, que la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes, la gestation pour autrui. Le débat s’ouvrira au Palais Bourbon le 8 février.

Pour la première fois, et à ma demande, un chapitre du rapport de la mission d’information qui a préparé cette révision des lois bioéthiques, était consacré aux neurosciences, dont je pense qu’elles poseront de plus en plus de problèmes à l’avenir, soulevant des défis éthiques inimaginables.

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D’une toute autre nature seront les débats qui porteront sur l’introduction des jurés populaires dans les tribunaux correctionnels.

Il s’agit d’un changement profond. Ces débats seront à coup sûr intenses.

D’autres textes institutionnels nous occuperont utilement cette année, notamment, l’évolution institutionnelle des statuts des Outre-Mer.

2011 mettra à l’honneur nos territoires ultramarins. L’illumination des colonnes du Palais Bourbon, le 2 février, inaugurera cette « Année des Outre-mer », voulue par le Président de la République et à laquelle l’Assemblée s’associe: nous accueillerons, au mois de mai, un colloque sur le thème « des Outre-mer français : une chance pour la France et l'Europe dans le monde ».

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Comme l’actualité nous le rappelle avec les évènements de Tunisie, le monde ne s’arrête pas aux Quatre Colonnes, les grands défis actuels sont planétaires. Le Parlement lui aussi, est entré naturellement dans la mondialisation.

En lien avec les grands Parlements du monde, l’Assemblée nationale crée des coopérations fécondes, approfondit de grands partenariats stratégiques, notamment avec la Chine, avec le Brésil, et bien d’autres pays. Cette part du travail parlementaire est mal connue, elle est pourtant conséquente.

C’est le cas aussi avec le Bundestag, parce que raisonner à l’échelle de l’Europe est devenu un impératif. Avec le Bureau, avec le groupe d’amitié, j’entretiens avec mon homologue, Norbert LAMMERT, Président du Bundestag, des échanges réguliers sur tous les grandes réformes qui doivent être conduites en Europe : sur la PAC, les grands projets, les questions énergétiques…

Avec nos partenaires allemands, nous organiserons, le 3 février, au Sénat, avec Gérard LARCHER, un colloque sur l’avenir de la PAC.

Pour sauvegarder le niveau de vie dans la zone Euro, il est essentiel que la France et l’Europe défendent leurs idées dans le nouveau concert des nations qui émerge : la zone euro doit trouver et conforter sa place au centre de la nouvelle gouvernance mondiale.

Dans le cadre des objectifs de la politique étrangère de la France, les temps forts de 2011 seront marqués par la présidence française du G20 et du G8. Le Président de la République a souligné le rôle que les Parlements sont amenés à y jouer.

J’organiserai, ici même, en septembre, un « Sommet des Parlements », un G8 parlementaire élargi, auquel j’invite, aux côtés de nos partenaires traditionnels, plusieurs grands pays émergents. Nous débattrons, en particulier, des enjeux énergétiques.

En ces temps dangereux, la diplomatie parlementaire ne peut qu’être utile.

*

Pour mettre en œuvre cette feuille de route chargée, nous nous devons d’être réactifs. Je suis confiant, car l’Assemblée nationale s’est adaptée aux défis de notre temps.

La 13e législature est marquée par une réforme profonde, la plus importante de la Ve République. Cette réforme, nous l’avons déclinée dans le Règlement de notre Assemblée.

La révision constitutionnelle de 2008 a procédé à un rééquilibrage institutionnel, sans remettre en cause les principes fondamentaux de la Ve République, voulus par le Général de Gaulle.

Deux ans après la mise en œuvre des nouvelles dispositions, les effets escomptés sont réels. Je suis convaincu que les majorités qui se succéderont à l’avenir ne la remettront pas en cause.

La revalorisation du Parlement et l’octroi aux citoyens de nouveaux droits sont bien effectifs. Nos institutions sont solides, c’est une chance pour la France, en particulier en temps de crise.

Le rôle de l’Assemblée nationale est renforcé dans ses deux missions fondamentales : légiférer et contrôler.

Pour se moderniser, il a fallu affronter bien des turbulences. Vous en avez été les premiers témoins. Il est vrai que depuis le début de la législature, le Palais Bourbon a connu des heures difficiles, des temps agités, même si tout est aussi affaire d’hommes et de circonstances. Même si les avancées sont incontestables, j’en suis convaincu, des améliorations restent nécessaires.

Désormais, l’enjeu n’est plus le temps, c’est le fond qui prime. Le travail parlementaire est approfondi sur les textes majeurs, notamment ceux qui concernent les libertés publiques.

Le temps législatif programmé favorise une meilleure organisation de nos débats. Il permet un véritable débat sur les amendements examinés.

Cette réforme permet surtout de mettre un terme à une dérive dangereuse qui prospérait depuis trop longtemps et affaiblissait notre Institution : l’obstruction.

Désormais, les incidents de procédure sont devenus rares, alors qu’ils pouvaient dépasser la centaine sur certains textes.

Le droit d’amendement n’est plus dénaturé par des milliers d’amendements répétitifs.

Les textes les plus importants font l’objet tout au plus de quelques centaines d’amendements, c’est probablement encore trop, mais, désormais, il y a de véritables débats sur leur contenu. On est loin des 137 000 amendements déposés en 2006 sur le projet de loi relatif au secteur de l’énergie.

Je reste particulièrement attentif à ce que le temps législatif programmé ne puisse être détourné ni par la majorité, ni par l’opposition.

En 2010, il y eut deux tentatives ostensibles de détournement de l’article 49-13 du Règlement, qui prévoit la possibilité d’explications de vote individuelles après le vote du dernier article d’un texte.

Je voudrais revenir sur celle qui a concerné la réforme des retraites, avec, au dernier moment, l’inscription de 167 députés pour des explications de vote personnelles : il s’agissait de retarder un vote solennel, pourtant fixé par la Conférence des Présidents. Il s’agissait pour l’opposition de réinventer l’obstruction.

Je ne laisserai pas l’obstruction se réinstaller et dévaloriser le pouvoir du Parlement au profit de la rue. C’est un enjeu de modernité et de solidité pour notre démocratie : désormais à l’Assemblée nationale, comme dans toutes les démocraties modernes, le temps et les manœuvres stériles de dernière minute ne sont plus l’enjeu : c’est bien le fond qui prime.

Bien des améliorations restent encore à apporter au fonctionnement de notre Assemblée. Avec le Comité paritaire sur le suivi de l’application du Règlement de l’Assemblée nationale installé le 17 novembre 2010, que je préside, je continuerai à en préciser les règles et leur déclinaison.

L’application du temps législatif programmé requiert encore des améliorations. Certaines règles de la Chambre des Communes pourraient être source d’inspiration. Des « motions de programme » issues d’un accord entre la majorité et l’opposition y permettent de diviser la discussion d’un texte et d’allouer à chaque partie un temps précis de discussion.

Parce que garant de la bonne organisation de nos travaux, je reste soucieux d’éviter que des articles ou des amendements substantiels soient insuffisamment discutés en séance, faute d’une maîtrise raisonnable et efficace de la répartition du temps de parole au sein des groupes.

Avec le Comité paritaire, je souhaite que la publicité audiovisuelle des travaux en commission soit dorénavant le droit commun, et le huis clos, l’exception. Cette exception serait décidée, le cas échéant, par le bureau de la commission.

Je suis certain que l’Assemblée gagnerait à cette avancée et que nos concitoyens pourraient ainsi disposer d’une autre vision du travail parlementaire.

En ce qui concerne l’autre mission constitutionnelle du Parlement, le contrôle, l’agenda est aussi bien rempli.

Le Comité d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée évaluera, à la demande du groupe socialiste, le dispositif d’exonération fiscale et sociale des heures supplémentaires.

Les autres sujets d’évaluation seront l’Aide Médicale d’Etat et la CMU, la politique d’aménagement du territoire en milieu rural, la performance des politiques sociales en Europe et l’hébergement d’urgence.

Ce que nous devons améliorer, c’est l’organisation des séances de la semaine de contrôle.

Certes, beaucoup de sujets peuvent être abordés à cette occasion. Ainsi, dans la prochaine semaine de contrôle du 2 février, nous aurons des débats consacrés à l’examen des rapports du Comité d’évaluation et de contrôle sur la politique en faveur des quartiers défavorisés, sur l’OTAN à la demande du Groupe SRC ; sur les 10 ans de la loi SRU, à la demande du groupe GDR ; sur l’hôpital public, suite au rapport de la Mission d’Evaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité Sociale (MECSS).

Mais nous devons améliorer le déroulement des séances de contrôle : inventer une nouvelle forme de séance publique, plus interactive et contradictoire, dans un espace plus restreint, un véritable petit hémicycle équipé en multimédia, tel que la salle Lamartine.

C’est ce que nous avons fait lors de l’examen des conclusions du rapport du Comité d’évaluation et de contrôle sur l’application du principe de précaution. Nous renouvellerons cette expérience qui fut un succès.

C’est un véritable partage des responsabilités en matière de contrôle qui s’est instauré entre la majorité et l’opposition. Je m’en félicite : ce partage est aussi inédit que bénéfique pour notre pays.

Les progrès intervenus sont indéniables. Jamais autant de pouvoirs n’avaient été donnés à l’opposition, ils sont substantiels ; à ce jour, ils ont, et c’est heureux, tous été utilisés.

A l’égalité du temps de parole et des postes de co-rapporteurs, s’est ajoutée la mise en œuvre du droit de tirage de création des commissions d’enquête. Ce droit est désormais effectif : les commissions d’enquête sur la spéculation financière à la demande du groupe SRC et sur la situation de l’industrie ferroviaire à l’initiative du groupe GDR en attestent.

C’est la première fois, sous la Ve, que l’opposition obtient la création de commissions d’enquête, sans que l’accord de la majorité soit requis.

Au-delà des clivages partisans, l’esprit collégial auquel je crois profondément, l’esprit républicain, résoudront, j’en suis persuadé, bien des problèmes.

Notre pays compte désormais avec un Parlement plus fort. Aux côtés d’un exécutif lui aussi fort. Hiérarchiser les priorités est désormais possible. La « priorité parlementaire » est une réalité. L’ordre du jour partagé, entre les semaines d’ordre du jour gouvernemental et parlementaire est, dans les faits, un ordre du jour négocié, en harmonie avec l’esprit des institutions de la Ve République.

Il est un dernier point que je souhaite évoquer : c’est l’instauration de la Question prioritaire de Constitutionnalité. Ce droit nouveau pour les citoyens constitue un progrès important.

Tout l’enjeu consiste à trouver un juste équilibre entre le respect des droits individuels et l’intérêt général.

Les questions soulevées et l’importance des décisions d’abrogation prononcées ont des conséquences sur l’ordre du jour des assemblées.

La multiplication des dispositions abrogées, à l’initiative de requêtes généralement individuelles, nécessite de nouvelles interventions du législateur. Elle bouleverse un ordre du jour déjà chargé consacré, par définition, aux priorités d’intérêt général portées par l’exécutif et le législatif.

C’est pourquoi, il m’apparaît indispensable que le Parlement puisse travailler dans la sérénité, sans urgence sur des sujets sensibles et souvent complexes.

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Mesdames, Messieurs,

J’aurais encore beaucoup à vous dire, mais je vais maintenant avoir le plaisir de poursuivre en répondant à vos questions.

Auparavant, permettez-moi de souhaiter à nouveau une bonne année, la meilleure possible, à vous, aux vôtres, à la presse parlementaire en particulier, et la presse en général.