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No 3083

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 janvier 2011.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES(1)

sur
la protection des droits fondamentaux en Europe
et les relations entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe
,

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Yves BUR,

Député

——

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Michel Herbillon, Jérôme Lambert, Didier Quentin, Gérard Voisin vice-présidents ; M. Jacques Desallangre, Mme Marietta Karamanli, MM. Francis Vercamer secrétaires ; M. Alfred Almont, Mme Monique Boulestin, MM. Pierre Bourguignon, Yves Bur, Patrice Calméjane, François Calvet, Christophe Caresche, Philippe Cochet, Bernard Deflesselles, Lucien Degauchy, Michel Delebarre, Michel Diefenbacher, Jean Dionis du Séjour, Marc Dolez, Daniel Fasquelle, Pierre Forgues, Mme Marie-Louise Fort, MM. Jean-Claude Fruteau, Jean Gaubert, Hervé Gaymard, Guy Geoffroy, Mmes Annick Girardin, Anne Grommerch, Elisabeth Guigou, Danièle Hoffman-Rispal, MM. Régis Juanico, Marc Laffineur, Robert Lecou, Michel Lefait, Lionnel Luca, Philippe Armand Martin, Jean-Claude Mignon, Jacques Myard, Michel Piron, Franck Riester, Mmes Chantal Robin-Rodrigo, Valérie Rosso-Debord, Odile Saugues, MM. André Schneider, Philippe Tourtelier.

SOMMAIRE

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Pages

RÉSUMÉ DU RAPPORT 7

INTRODUCTION 9

PREMIERE PARTIE : LE RAYONNEMENT ET LA PROTECTION VIGILANTE DES DROITS DE L’HOMME, L’AMBITION COMMUNE EUROPEENNE 13

I. « L’EUROPE PAR LE DROIT » LA PRIMAUTÉ HISTORIQUE DU CONSEIL DE L’EUROPE, RÉFÉRENCE INCONTOURNABLE DANS LA PROTECTION DES DROITS 13

A. LE CONSEIL DE L’EUROPE, L’ARCHITECTE ET LE GARANT DES DROITS FONDAMENTAUX EUROPÉENS 13

1. Une action décisive dans la production et dans le respect des normes à l’échelle du continent 13

a) L’ambition fondatrice : faire l’Europe par l’édiction d’un droit commun, mais faire l’Europe à l’unanimité 13

b) La mutation radicale et réussie après 1989 avec l’accent mis sur l’assistance à la mise en place de l’Etat de droit et sur la veille quotidienne du respect des droits 17

2. La Cour européenne des droits de l’homme, le protecteur des droits de 800 millions d’Européens 19

B. UNE CRISE DE CROISSANCE AU TOURNANT DES ANNÉES 2010 ? 20

1. Le Conseil de l’Europe, confronté à une certaine dispersion de ses actions et à la modestie de ses moyens, cherche à mieux recentrer ses missions 20

2. L’embouteillage des affaires, la Cour européenne des droits de l’homme « victime » de son succès ? 22

II. « LES DROITS PAR L’EUROPE » LES DROITS FONDAMENTAUX AU CœUR DE L’UNION EUROPÉENNE DU TRAITÉ DE LISBONNE 24

A. UNE CONSTRUCTION EUROPÉENNE LONGTEMPS INDIFFÉRENTE AUX DROITS DE L’HOMME ? LA DÉTERMINATION DES JUGES ET LA FORCE DE L’INTÉGRATION 24

1. La protection des droits fondamentaux dans la Communauté européenne, une construction longtemps exclusivement jurisprudentielle 24

2. L’élargissement des domaines d’action de l’Union dans les années 1990 a imposé l’entrée des droits fondamentaux dans les traités 25

B. LE TRAITÉ DE LISBONNE, UNE « RÉVOLUTION » DES DROITS DE L’HOMME DANS L’UNION 26

1. La Charte des droits fondamentaux, désormais dotée d’une force juridique, devient la boussole de l’action commune 26

a) La cristallisation de droits et principes déjà existants 26

b) Un document exemplaire et prometteur 28

c) Un meilleur accès des citoyens à la justice européenne 30

2. Une forte volonté politique de mettre les droits de l’homme au cœur de l’action commune 30

3. L’adhésion à la Convention européenne des droits fondamentaux, une opportunité pour unifier les « deux Europes » des droits de l’homme 32

DEUXIEME PARTIE : RÉUSSIR L’UNIFICATION DE L’EUROPE DES DROITS DE L’HOMME PAR UNE ÉTROITE COLLABORATION ENTRE L’UNION EUROPÉENNE ET LE CONSEIL DE L’EUROPE 35

I. SAISIR L’OPPORTUNITÉ D’UNIFIER LA PROTECTION JURIDICTIONNELLE DES DROITS FONDAMENTAUX A L’ECHELLE DU CONTINENT 35

A. UN PROCESSUS LENT ET COMPLEXE, REPOSANT SUR L’ASSENTIMENT UNANIME DES 47 ETATS FORMANT L’UNION EUROPÉENNE ET LE CONSEIL DE L’EUROPE 35

1. Une procédure longue et complexe, qui devrait prendre plusieurs années 35

2. De nombreux garde-fous destinés à protéger les spécificités de l’Union 37

B. DES OBSTACLES TECHNIQUES, LIÉS À LA NÉCESSITÉ DE RESPECTER LES PARTICULARITÉS ONTOLOGIQUES DU DROIT DE L’UNION 39

1. La question de l’étendue du contrôle du droit européen par la Cour de Strasbourg : est-il nécessaire de « protéger » les traités ? 39

2. La question des relations entre la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme : comment préserver une interprétation cohérente des droits et des textes par deux institutions différentes ? 41

3. La question décisive de la sagesse et de l’efficacité de la justice face à l’afflux des requêtes 42

a) L’exigence de clarté, de cohérence et de stabilité du droit 42

b) L’exigence d’accessibilité de la justice 43

II. RENFORCER LA COHÉRENCE DES ACTIONS DU CONSEIL DE L’EUROPE, RÉFERENCE INCONTOURNABLE, ET L’UNION EUROPÉENNE, BRAS ARMÉ DU RAYONNEMENT DES DROITS 44

A. L’AGENCE EUROPÉENNE DES DROITS FONDAMENTAUX UN BEL OUTIL EN QUÊTE DE RECONNAISSANCE 44

1. Une création contestée 44

2. Des travaux remarquables 47

a) L’édification d’un appareil statistique et de réseaux d’une exceptionnelle qualité 47

b) Une coopération prometteuse avec le Conseil de l’Europe 48

3. Mieux faire de l’expertise de l’Agence un atout pour l’Union européenne comme pour le Conseil de l’Europe 51

B. L’INDISPENSABLE CLARIFICATION DES TÂCHES ENTRE L’UNION EUROPÉENNE ET LE CONSEIL DE L’EUROPE 52

1. Faire des institutions du Conseil de l’Europe les forums et les principaux protecteurs de la démocratie et des droits à l’échelle du continent 53

2. Faire des travaux du Conseil de l’Europe la référence commune à la base des actions de l’Union et mieux s’appuyer sur son expérience en évidant toute redondance 55

TRAVAUX DE LA COMMISSION 57

CONCLUSIONS ADOPTEES PAR LA COMMISSION 69

ANNEXES 73

ANNEXE 1 : LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR 75

ANNEXE 2 : DISPOSITIONS DU TRAITE SUR L’UNION EUROPEENNE 77

ANNEXE 3 : CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX DE L’UNION EUROPEENNE 79

ANNEXE 4 : CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES 91

RÉSUMÉ DU RAPPORT

Avec le traité de Lisbonne, l’Union européenne s’est dotée d’un arsenal complet de protection des droits fondamentaux :

– la Charte des droits fondamentaux, qui énonce depuis 2000 des principes et des droits civils, politiques, économiques et sociaux mais aussi de « nouvelle génération », pour la première fois rassemblés dans un seul document clair et accessible, bénéficie désormais d’une valeur juridique équivalente à celle des traités ;

– les voies de recours des particuliers auprès de la Cour de justice de l’Union européenne sont étendues, en particulier à tout l’espace de liberté, de sécurité et de justice ;

– une forte volonté politique émerge pour mettre les droits de l’homme tout en haut de l’agenda européen.

Toutefois, l’entrée en force de l’Union intervient dans un domaine qui constitue la raison d’être du Conseil de l’Europe, première organisation européenne de l’Histoire, qui a su édifier un dispositif de protection des droits d’une qualité, d’une expérience et d’une efficacité incontournables, jouant un rôle décisif pour ancrer la démocratie et l’Etat de droit dans les nouvelles démocraties libérées de l’emprise soviétique depuis 1989. Face à ce nouveau partenaire à la force de frappe financière et juridique incomparable, le Conseil de l’Europe traverse une profonde crise d’identité.

Dans ce contexte, il est plus nécessaire que jamais d’établir de fortes complémentarités entre les deux expressions de l’« Europe des droits de l’homme », pour traquer les redondances inacceptables dans un contexte d’assainissement budgétaire et écarter la menace de droits et libertés « à deux vitesses » selon que l’on habite d’un côté ou de l’autre des frontières de l’Union européenne.

Le traité de Lisbonne parcourt la moitié du chemin en prévoyant que l’Union européenne adhère à la Convention européenne des droits de l’homme.
Il fournit ainsi l’opportunité d’une unification juridique de l’Europe, en confiant à la Cour européenne des droits de l’homme, fleuron du Conseil de l’Europe, la mission de veiller à ce que le droit européen, tout comme les droits nationaux, respectent toujours la conception exigeante qu’elle s’est faite des principes et des libertés intangibles inscrits dans la Convention européenne des droits de l’homme dont on célèbre aujourd’hui le soixantième anniversaire.

Cette adhésion, suspendue à l’assentiment unanime des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe, prendra du temps. Elle devra protéger les spécificités du droit de l’Union, ses traités comme le rôle particulier de sa Cour de Luxembourg dans l’interprétation des normes communes. Son succès suppose aussi que les deux Cours conjurent leur mutuel risque d’asphyxie face à l’afflux des requêtes.

Cette unification juridique doit cependant être complétée par un rapprochement des actions des deux organisations.

En dépit des fortes réserves qu’avait suscitées sa création, l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a réussi à ouvrir la voie en expérimentant une collaboration quotidienne et mutuellement bénéfique avec le Conseil de l’Europe.

Le Conseil de l’Europe et l’Union Européenne peuvent désormais aller plus loin.

Le Conseil de l’Europe, engagé dans un courageux recentrage de ses missions sur les droits fondamentaux, doit retrouver une impulsion politique grâce au réinvestissement des Etats et à une meilleure hiérarchisation de ses priorités, tirant parti du rassemblement en son sein de 47 Etats, et 800 millions de citoyens, pour aborder, sans faux-semblants, les sujets les plus prégnants.

L’Union européenne, pour sa part, doit veiller à toujours donner aux travaux et aux actions du Conseil de l’Europe toute leur place, nécessairement prééminente, en justifiant rigoureusement les éventuelles plus-values qu’elle prétend leur apporter.

Un débat annuel réunissant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et le Parlement européen pourrait opportunément donner une impulsion, et un visage, à cette collaboration renouvelée.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Forts de leur conviction qu’« il n’y aura pas de paix sur cette planète tant que les droits de l’homme seront violés en quelque partie du monde que ce soit », selon les mots célèbres de René Cassin, les fondateurs de l’Europe ont toujours étroitement associé l’ambition d’une Europe unie à l’exigence du respect inébranlable des valeurs du Vieux continent, les droits fondamentaux que toute personne, où qu’elle se trouve, tire de son appartenance à l’Humanité.

Au lendemain de la guerre, sur les ruines encore brûlantes de la barbarie, les premiers Européens ont ainsi donné naissance au fils aîné de la coopération continentale, le Conseil de l’Europe, en arrimant son destin à la protection des droits et des libertés fondamentales.

Au fil des décennies, l’institution de Strasbourg, ville symbole de la réconciliation du continent, est devenue la référence incontournable des droits de l’homme, et sa Cour de justice s’est imposée de Lisbonne à Vladivostok comme « la » Cour suprême garantissant à 800 millions de citoyens le respect des principes fondamentaux autour desquels s’est tissé l’esprit européen.

Mais les droits de l’homme s’imposèrent aussi, et très vite, en ressort décisif du second projet de construction d’une Europe unie.

Si les Communautés européennes fondées à partir de 1951 déployèrent en effet leurs racines dans le terreau concret des « solidarités de fait », forgeant plus aisément les outils novateurs de l’intégration dans les domaines économiques, elles n’en placèrent pas moins le respect des droits de la personne au centre de leurs préoccupations, d’abord sous l’action déterminée de leurs juges de Luxembourg, puis dans le ciment des traités lorsque l’Union étendit ses compétences à des matières comme la justice ou les affaires intérieures, et son emprise territoriale aux nouvelles démocraties de l’ancien rideau de fer.

Cette évolution trouve sa consécration dans le traité de Lisbonne, qui donne un statut équivalent à celui des traités à la Charte des droits fondamentaux proclamée à Nice en décembre 2000.

Par cohérence, le traité édifie une architecture complète de protection des droits, élargissant notamment les recours des particuliers auprès de la Cour de justice de l’Union européenne ou donnant toute leur place aux défenseurs séculiers, aux artisans quotidiens des droits et libertés en Europe, les Parlements.

Toutefois, l’émergence spectaculaire de ce nouveau partenaire, dont la force de frappe financière et juridique est sans commune mesure avec ses propres moyens, a légitimement attisé l’inquiétude du Conseil de l’Europe, engoncé dans le carcan de l’unanimité propre aux organisations internationales traditionnelles.

Ce dernier est ainsi sorti d’un véritable « âge d’or » où il a réussi, en se dotant d’un arsenal d’assistance, de promotion et de contrôle des droits et des libertés sans précédent dans l’Histoire, à solidement ancrer à l’Est l’Etat de droit, la démocratie et les droits de l’homme, pour rentrer aussitôt dans une nouvelle crise d’identité.

Or rien ne serait plus dommageable pour l’Union européenne que de ne pas saisir la chance que constitue l’existence d’une « Grande Europe » des droits fondamentaux, étendue aux 47 Etats qui partagent cet « esprit européen » qui constituait l’aspiration ultime des fondateurs, ou de ne pas capitaliser sur l’expérience irremplaçable et sur la vocation pionnière de l’Europe de Strasbourg dans la concrétisation des principes et des libertés les plus actuels.

Parce que le combat pour les droits de l’homme ne peut souffrir que l’on se disperse, ou pire, qu’on laisse affleurer des « doubles standards », des droits de l’homme à deux vitesses. Ne substituons pas au rideau de fer, qui a laissé si longtemps la moitié de l’Europe dans l’ombre, un nouveau rideau de velours où les droits et libertés fondamentales ne signifieraient pas la même chose selon qu’on habite d’un côté ou de l’autre des frontières de l’Union.

Parce que les racines des violations des droits ne connaissent pas de frontière, comme le montrent les exemples éloquents de la traite des humains ou des migrations de la misère. Et parce que pour être crédibles, les principes fondamentaux doivent être universels, donc doivent pouvoir être défendus efficacement où que l’on se trouve sur le continent.

Au moment où la crise économique et financière souffle sur les braises des extrémismes et des replis identitaires, plus que jamais, le combat des droits fondamentaux a besoin de toutes les bonnes volontés. Il a aussi besoin de débats apaisés et sereins privilégiant aux postures dénonciatrices dont l’actualité récente a montré l’inanité, le terrain solide des progrès concrets.

Dans ce contexte, l’œuvre accomplie par le Conseil de l’Europe, l’effort de réforme salutaire qu’il s’impose courageusement, tout comme les considérables apports que recèle le traité de Lisbonne du côté de l’Union européenne invitent à l’optimisme.

L’Europe dispose désormais de la chance de joindre ses forces, en conjuguant les travaux de ses deux organisations pour porter toujours plus haute l’exigence des droits fondamentaux qui, en dernière analyse, est l’empreinte même de notre identité commune.

PREMIERE PARTIE : LE RAYONNEMENT ET LA PROTECTION VIGILANTE DES DROITS DE L’HOMME, L’AMBITION COMMUNE EUROPEENNE

I. « L’EUROPE PAR LE DROIT »
LA PRIMAUTÉ HISTORIQUE DU CONSEIL DE L’EUROPE, RÉFÉRENCE INCONTOURNABLE DANS LA PROTECTION DES DROITS

A. Le Conseil de l’Europe, l’architecte et le garant des droits fondamentaux européens

1. Une action décisive dans la production et dans le respect des normes à l’échelle du continent

a) L’ambition fondatrice : faire l’Europe par l’édiction d’un droit commun, mais faire l’Europe à l’unanimité

Le Conseil de l’Europe, l’aîné de la coopération européenne, est la réaction la plus immédiate des Etats européens face aux horreurs de la guerre et à l’impuissance de la Société des Nations.

Son impulsion originelle revient à Winston Churchill qui, dès mars 1943, appelle à former sur les décombres d’une Europe meurtrie une organisation régionale profondément nouvelle, dénommée « Conseil de l’Europe ».

Les assises du Congrès de l’Europe de La Haye du 7 au 10 mai 1948, qu’il préside, concrétisent cette ambition en invitant les Gouvernements à créer une asssemblée consultative, cheville ouvrière de l’intégration européenne, qui soit composée de personnalités issues des parlements nationaux.

Des laborieuses négociations intergouvernementales qui s’engagent entre septembre 1948 et mai 1949 naissent ensuite l’ambition fondatrice, le grand principe et la redoutable ambiguïté dont la convergence fixe la clef de voûte de l’organisation de Strasbourg.

■ L’ambition tend à la constitution d’une « Union européenne », dès l’époque envisagée en ces termes.

Le Conseil de l’Europe, fondé à Londres le 5 mai 1949, a pour objectif, selon les mots de Joseph Bech, Premier ministre luxembourgeois, de « créer et entretenir un état d’esprit européen ». Robert Schuman commentait ainsi la signature de la France : « aujourd’hui, nous jetons les fondations d’une coopération spirituelle et politique, de laquelle naîtra l’esprit européen, principe d’une vaste et durable union supranationale ».

L’article 1er du traité de Londres dispose ainsi, de manière très générale, que « le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes qui sont leur patrimoine commun et de favoriser le progrès économique et social ».

Cette vocation a fait du Conseil le laboratoire d’idées, l’explorateur audacieux des nombreux chemins de l’intégration européenne.

Il n’est ainsi guère de domaine qui n’ait été abordé par le Conseil de l’Europe, à l’exception notable de la défense, pourtant l’objet de la première résolution de son Assemblée parlementaire en 1950 sur l’armée européenne, et dans une moindre mesure des matières économiques dans lesquelles, en dépit de quelques initiatives (2), le Comité des ministres a renoncé à exercer les compétences que lui confère son statut.

– En matière d’éducation et de culture, le Conseil a adopté dès 1954 une convention culturelle européenne visant à promouvoir la conscience européenne et la libre circulation des idées, complétée par divers instruments plus spécifiques mais de portée modeste (3) et par un rôle précurseur dans le processus de Bologne d’harmonisation des diplômes universitaires.

– En matière de santé, le Conseil peut se prévaloir du succès de la pharmacopée européenne, constituée à partir de 1964 et à laquelle l’Union européenne elle-même est devenue partie en 1994, qui garantit la qualité des médicaments par l’élaboration de normes communes et obligatoires et facilite ainsi leur circulation.

– En matière de justice, de très nombreuses conventions, bien qu’inégalement et partiellement ratifiées par les Etats, mettent en place des mécanismes de coopération judiciaire centrés sur des problématiques particulières (transfèrement des personnes condamnées, cybercriminalité, produits médicaux frauduleux, etc.).

– En matière sociale, la Charte sociale européenne signée à Turin en 1961 vise à étendre aux droits sociaux la méthode éprouvée de la protection des droits fondamentaux mise en place à partir de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, sans aller toutefois jusqu’à l’institution d’une Cour dédiée.

La Charte sociale garantit ainsi de nombreux droits portant principalement sur les conditions de travail, la liberté syndicale, le droit à l’égalité de traitement entre les sexes, la protection sociale, le droit au logement, la protection contre la pauvreté.

Elle s’appuie sur un dispositif original de ratification « à la carte » qui permet aux Etats d’adapter leurs engagements au niveau atteint par leur droit social, tout en les incitant à progresser.

Le respect des engagements souscrits par les 28 Etats qui ont ratifié la Charte révisée en 1996 est soumis au contrôle d’un comité européen des droits sociaux qui adopte des conclusions, de sa propre initiative ou en réponse à des saisines collectives formées par des partenaires sociaux.

Ces conclusions sont ensuite soumises au Comité des ministres, qui peut émettre des recommandations, certes dénuées de portée juridique mais dotées d’un réel poids politique, à l’attention des Etats qui ne respectent pas leurs engagements.

– C’est cependant dans le domaine des droits de l’homme que le Conseil de l’Europe s’est imposé comme une référence incontournable, tirant parti de la réunification du continent européen en 1989 pour se doter d’un arsenal juridique d’une ampleur inégalée.

■ Toutefois, en réaction à l’expérience désastreuse de la Société des Nations, minée par la disproportion manifeste entre l’ampleur de ses ambitions et la modestie de ses moyens, le Conseil de l’Europe a enraciné ses actions dans le ciment du droit.

Ses politiques prennent en effet la forme de conventions internationales, contraignantes pour les Etats signataires, dont la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée le 4 novembre 1950 et dotée dès 1959 d’une Cour européenne des droits de l’homme chargée d’en contrôler le respect en examinant les recours directs des citoyens, est l’emblème le plus éclatant.

Dans un même esprit, les Etats membres ont accepté que la plupart des instruments juridiques soient assortis et renforcés par un mécanisme de surveillance collective généralement confié au Comité des ministres.

■ Sans doute parce qu’il embrassait trop tôt un champ très étendu empiétant largement sur les prérogatives traditionnelles des Nations, le Conseil de l’Europe n’a toutefois pas su se donner les moyens de l’étreindre en dépassant la redoutable ambiguïté qui a présidé à sa formation.

– Il a certes emprunté à l’inspiration fédérale, qui animait en particulier les délégations française et belge lors de sa création, l’institution à l’époque radicalement nouvelle d’une Assemblée composée de parlementaires nationaux, dont l’audace du recrutement a toutefois été tempérée par un rôle purement consultatif, que résumait et nuançait d’une formule son Président Pierre Pflimlin en 1963 : « presque aucun pouvoir, mais une réelle autorité morale ».

Aujourd’hui ses 318 membres titulaires et 318 suppléants (4) sont désignés par chaque Parlement national de façon à refléter sa composition politique.

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) tient une session annuelle ordinaire à Strasbourg, divisée en quatre parties de session d’une semaine en janvier, avril, juin et octobre.

Au terme de débats souvent passionnés, elle peut adopter des recommandations, adressées au Comité des ministres, des résolutions et des avis.

Elle élit en outre le Secrétaire général du Conseil de l’Europe et, sur la base d’une liste de trois candidats présentée par chaque Etat membre, les 47 juges composant la Cour européenne des droits de l’homme.

– Mais, dans la plus pure tradition intergouvernementale défendue avec âpreté en 1949 par le Gouvernement britannique, les pouvoirs décisionnels ont été concentrés dans les seules mains du Comité des ministres.

Présidé par un Etat membre selon une rotation semestrielle des Etats et réunissant, deux fois par an, les ministres des affaires étrangères des Etats parties ou leurs représentants, le Comité arrête la stratégie et le budget annuel du Conseil.

Il élabore les conventions, ensuite signées et ratifiées par les Etats parties.

Il contrôle enfin les respects par les Etats de leurs engagements en adoptant notamment, lorsqu’il l’estime utile, des recommandations non contraignantes.

La faible portée normative de ses décisions a cependant été aggravée par sa coutume, désormais solidement ancrée, de n’agir qu’à l’unanimité lorsque le Statut du Conseil de l’Europe lui aurait permis de se contenter de réunir une majorité des deux tiers des Etats.

Dans un même esprit, les effets juridiques des principaux instruments du Conseil, les conventions, sont suspendus à leur ratification par chaque Etat, qui demeure ainsi libre du degré d’engagement auquel il souhaite souscrire.

Ce déséquilibre manifeste entre des ambitions illimitées et un mode de décision verrouillé par le droit de veto donné à chaque Etat est l’exact miroir inversé du second projet d’édification d’une union européenne lancée en 1951 sur une base d’abord modeste, avec la postérité que l’on sait.

b) La mutation radicale et réussie après 1989 avec l’accent mis sur l’assistance à la mise en place de l’Etat de droit et sur la veille quotidienne du respect des droits

La réunification européenne de 1989 a donné une nouvelle vie au Conseil de l’Europe.

Passant de 23 Etats membres en 1989 à 38 en 1996 avant de s’élargir à la Russie (1996) et aux Etats du Caucase (1999 à 2001) puis à la Bosnie et à la Serbie (2002 et 2003), le Conseil embrasse désormais, avec 47 membres, l’ensemble du continent à l’exception de la Biélorussie.

Antichambre de l’Union européenne pour les démocraties libérées de l’emprise soviétique, il a profité de cette mutation historique pour consolider et enrichir son arsenal de promotion des droits en capitalisant sur l’acquis de la Convention européenne des droits fondamentaux.

La méthode retenue avec succès tout au long des années 1980 repose, d’une part, sur une assistance concrète et pertinente à l’installation d’un Etat de droit et, d’autre part, sur la mise en place de mécanismes de contrôle et de suivi du respect des engagements qui accoutument une surveillance permanente et collective de l’état des droits de l’homme dans tous les pays européens.

■ Dans cet esprit, la Commission pour la démocratie par le droit, dite « Commission de Venise », composée depuis 1990 d’experts indépendants, fournit une assistance technique aux autorités nationales afin de les aider à se conformer aux standards européens en matière de droit électoral et de droit constitutionnel.

Acteur clef de la diffusion du patrimoine constitutionnel européen, étendant ses travaux à de nombreux Etats non européens comme le Chili, la Corée du Sud ou le Maroc, cette commission accompagne les Etats membres dans l’édification d’un Etat de droit et la formation des acteurs concernés.

■ La Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, adoptée en 1987, confie pour sa part à un Comité européen de prévention de la torture, composé d’experts indépendants désignés pour 4 ans par le Comité des Ministres, la mission de contrôler que les lieux de détention (prisons, commissariats, hôpitaux psychiatriques…) des Etats parties soient indemnes de tout mauvais traitement à l’égard des personnes privées de liberté.

Les recommandations sans concession qu’il formule à l’issue d’inspections régulières ou en réponse à des évènements exceptionnels, comme ce fut par exemple le cas en 2000 dans le Caucase à l’issue de la guerre en Tchétchénie, jouissent d’un fort écho dans les opinions publiques.

■ La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance, créée en 1993 et elle aussi composée d’experts indépendants désignés par les Etats, se concentre quant à elle sur la lutte contre le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme et l’intolérance, en rédigeant des études largement reprises par les médias et en formulant des recommandations aux Etats concernés.

■ La Convention-cadre pour la protection des minorités nationales adoptée en 1995 prévoit notamment que les Etats contractants soumettent à l’appréciation du Conseil des Ministres les progrès qu’ils accomplissent dans la mise en œuvre des principes de la Convention.

■ Pour couronner cet édifice, le Conseil a institué en 1999 le Commissaire aux droits de l’homme.

Elu par l’Assemblée parlementaire pour six ans, il exerce une magistrature morale afin de « promouvoir l’éducation et la sensibilisation aux droits de l’homme » en tirant pleinement parti de sa visibilité médiatique et de son accès aux plus hautes autorités des Etats membres.

Ses travaux se divisent en rapports généraux sur chaque Etat, que l’actuel Commissaire M. Thomas Hammarberg a souhaité centrer sur des propositions précises dont le contrôle de l’application fait généralement l’objet d’un second rapport, et en rapports transversaux sur des problématiques précises préalablement identifiées (aujourd’hui les droits économiques et sociaux dans le contexte de la crise, les migrations, les roms, les droits des enfants, les adolescents délinquants et la liberté des médias).

En privilégiant souvent à une posture dénonciatrice, souvent inefficace en ce qu’elle « raidit » les autorités des Etats stigmatisés, une approche constructive centrée sur des recommandations précises, le Commissaire au droit de l’homme contribue de manière décisive à forger l’agenda des droits de l’homme en Europe, ayant notamment mis en lumière les difficultés liées aux discriminations à l’égard des Roms ou à l’incidence sur les droits fondamentaux des dispositifs de lutte contre le terrorisme.

2. La Cour européenne des droits de l’homme, le protecteur des droits de 800 millions d’Européens

L’instrument privilégié et exemplaire de la protection des droits de l’homme par le Conseil de l’Europe demeure toutefois la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) et son gardien vigilant, la Cour européenne des droits de l’homme, qui siège à Strasbourg.

La Convention signée le 4 novembre 1950 à Rome constitue en effet le premier système international contraignant de protection des droits de l’Histoire.

Sa profonde originalité tient en effet à ce qu’elle confère des droits directement à toutes les personnes relevant de la juridiction des Etats parties, appliqués directement par les juges nationaux et dont le respect est garanti par l’institution, depuis 1959, d’une Cour traitant des affaires une fois (5) toutes les voies de recours internes épuisées (6).

L’autorité des arrêts de la Cour de Strasbourg est assise sur sa capacité à sanctionner les Etats violant les dispositions de la Convention en les condamnant à verser aux requérants des amendes pécuniaires ainsi que sur la responsabilité du Comité des ministres, qui doit contrôler la bonne exécution par les Etats de leurs obligations.

L’efficacité du système repose sur son intégration aux systèmes juridiques nationaux, les juges de droit commun de la Convention étant les magistrats nationaux, chargés d’en assurer le respect.

En un demi-siècle et quelque 12 000 arrêts, la Cour de Strasbourg s’est imposée dans les opinions publiques comme la « Cour suprême » incontestée des droits fondamentaux en Europe, développant une jurisprudence audacieuse solidement intégrée aux législations nationales et régulièrement enrichie par l’adoption de protocoles additionnels à la Convention (droit à l’instruction, à des élections libres, interdiction de la peine de mort, des expulsions collectives d’étrangers, etc.).

Les législations des Etats parties ont été profondément influencées afin de concrétiser les droits reconnus par la Convention. La Cour a notamment imposé l’adoption d’une loi sur les écoutes téléphoniques en France, la refonte du régime de privation de liberté dans les maisons de correction en Suisse, l’abrogation de la législation sur le vagabondage, la subvention des établissement scolaires francophones de la région flamande et l’égalité de droits entre enfants légitimes et illégitimes en Belgique, la modernisation du traitement des prisonniers hospitalisés en Autriche, l’assouplissement de l’instruction religieuse obligatoire en Suède ou l’interdiction des châtiments corporels dans l’enseignement public au Royaume-Uni…

Guidés par le principe qu’un droit ne vaut que s’il peut effectivement être exercé et défendu, les juges de Strasbourg ont parallèlement encouragé la modernisation des systèmes juridiques nationaux, selon les principes du droit à être entendu dans un délai raisonnable par un juge (garanti par l’article 6 § 1 de la CEDH et qui a fait l’objet de 26 % des violations constatées depuis 1959), du droit à un procès équitable (article 1er, 21 % des violations) et du droit à un recours effectif devant un juge (article 13, 8 %). Dans cet esprit, la Grèce, la Turquie et l’Italie hier, la France aujourd’hui (7), ont adopté ou s’apprêtent à adopter des réformes profondes de leur régime de détention provisoire, garantissant notamment la présence d’un avocat au cours de la garde à vue.

B. Une crise de croissance au tournant des années 2010 ?

1. Le Conseil de l’Europe, confronté à une certaine dispersion de ses actions et à la modestie de ses moyens, cherche à mieux recentrer ses missions

■ En dépit du remarquable enrichissement de son appareil de protection des droits fondamentaux et de la réunification réussie en son sein du continent européen, le Conseil de l’Europe affronte aujourd’hui une crise d’identité.

La spectaculaire montée en puissance de l’Union européenne, qu’elle soit géographique, avec l’élargissement, ou politique, avec l’extension de ses compétences à des domaines au cœur des prérogatives traditionnelles de l’Europe de Strasbourg, accentue en effet en miroir les faiblesses du Conseil de l’Europe.

– Le carcan de l’unanimité, tout d’abord, entame très fortement sa capacité d’initiative. Le Comité des ministres a ainsi, par exemple, été bloqué pendant dix-huit mois dans un débat portant sur la seule présentation des rapports sur la situation en Georgie après le conflit de 2008, dix mois passés non pas à régler un problème, mais à discuter de la manière d’en rendre compte !

– Cette contrainte, inhérente à la méthode intergouvernementale, est synonyme d’impuissance lorsqu’elle ne trouve pas le relais d’une force d’impulsion politique.

Or la présence de plus en plus aléatoire des ministres des affaires étrangères aux sessions ministérielles du Comité des ministres, des taux de participation insuffisants et déclinants des parlementaires aux réunions de commission et aux débats en plénière à l’Assemblée parlementaire, une forte réduction des effectifs des représentations permanentes des Etats auprès du Conseil, allant jusqu’à sa disparition pure et simple dans le cas de l’Islande, la réticence et les retards croissants dans la ratification des conventions… sont autant de témoignages d’un désinvestissement inquiétant.

Cette dérive laisse une place croissante aux faux-semblants de la Realpolitik et aux menaces des doubles standards, certains enjeux décisifs des droits de l’homme ne trouvant plus leur place dans les discussions, faute de rencontrer la volonté politique d’aborder les sujets qui fâchent.

– En parallèle un fossé se creuse entre l’étendue des domaines d’actions du Conseil et la modestie de ses moyens, en particulier budgétaires.

Son budget annuel de 218 millions d’euros, figé depuis 2005 et au sein duquel les dépenses consacrées à la Cour européenne des droits de l’homme, à près de 60 millions d’euros, connaissent une vive progression, représente 0,1 % des ressources de l’Union européenne, 0,2 % des moyens qu’elle dégage pour la cohésion et même seulement 17 % de l’aide extérieure qu’elle consacre aux droits de l’homme.

Près des deux tiers du budget sont grevés par les dépenses affectées à un personnel de 2 200 agents, ne permettant pas de dégager la « masse critique » nécessaire à l’efficacité de nombreux programmes dans des domaines isolés (culture, éducation, etc.).

A ces faiblesses s’ajoute une certaine fragmentation des acteurs et des missions du Conseil de l’Europe qui entretient une impression de dispersion et de saupoudrage encore mal compensée par un effort de hiérarchisation des priorités.

■ Conscients de ces faiblesses, les chefs d’Etat et de gouvernements ont adopté au cours de la Conférence de Varsovie de mai 2005 un plan d’action dont le nouveau Secrétaire général de l’organisation, M. Thorbjorn Jagland, a dégagé une ambitieuse feuille de route pour le recentrage des missions du Conseil autour de la protection des droits de l’homme.

De nombreux projets ont ainsi été suspendus ou supprimés, tandis que certaines activités considérées comme subsidiaires trouvaient un prolongement moins rigide dans des accords partiels sollicitant des contributions volontaires.

Cet élagage s’est accompagné d’un effort de rigueur administrative passant par l’établissement d’une direction de l’audit interne, l’interruption du versement des indemnités particulières, le doublement de la période de progression des fonctionnaires entre deux échelons et la rationalisation du réseau extérieur du Conseil. Il s’appuie sur de vigoureuses réductions d’effectifs, qui ont atteint 26 postes en 2011 mais qui demeurent freinées par le faible rythme des départs à la retraite d’une administration « jeune », ne dépassant pas 10 par ans d’ici 2015.

2. L’embouteillage des affaires, la Cour européenne des droits de l’homme « victime » de son succès ?

■ La Cour européenne des droits de l’homme, fleuron du Conseil de l’Europe, accuse au même moment d’importantes tensions opérationnelles liées à l’emballement du nombre de requêtes qui lui sont soumises.

Les recours introduits à Strasbourg ont ainsi été multipliés par six en dix ans, passant de 14 000 en 1999 à 57 000 en 2009.

En dépit d’un net accroissement des traitements, le nombre des affaires pendantes a été multiplié par dix dans le même temps, atteignant désormais 120 000, soit un déficit de 1 800 requêtes par mois.

Un tel rythme expose le système au risque d’asphyxie en allongeant inconsidérément les délais de traitement de recours dans des matières où une justice trop lente est un déni de justice.

L’examen détaillé des requêtes rend plus pressante encore la nécessité d’une réforme profonde :

– 57 % des affaires pendantes concernent seulement quatre Etats (la Russie avec 28 %, la Turquie avec 11 %, l’Ukraine avec 9 % et la Roumanie avec 8 %), 86 % des arrêts rendus par la Cour en 2008 n’ayant concerné que 12 Etats sur les 47 membres du Conseil de l’Europe. Cette concentration conduit à se demander si l’on n’a pas fait reposer sur la Cour une charge excessive en attendant d’elle qu’elle pallie l’inadéquation structurelle de certains systèmes juridiques ;

– 70 % des arrêts portent sur des affaires répétitives, traités aux dépens de recours quelquefois beaucoup plus urgents ;

– dans le même temps, de nombreux retards s’accumulent dans l’exécution par les Etats des arrêts de la Cour, le nombre d’affaires pendantes devant le Comité des ministres, chargé d’en garantir l’effectivité, dépassant désormais 9 000 affaires, dont 80 % répétitives.

■ Pour remédier à cette situation, d’importantes réformes ont été engagées. A cette fin, le protocole no 14 à la Convention, ratifié par le 47ème Etat, la Russie, le 4 janvier 2010 et entré en vigueur le 1er juillet dernier, six ans après sa conclusion, et la Conférence intergouvernementale d’Interlaken des 18 et 19 février 2010 ont exploré deux voies prometteuses.

– Afin d’accélérer le traitement des affaires répétitives, le protocole no 14 permet aux Etats volontaires d’autoriser à la Cour à confier le filtrage des requêtes par un juge unique et d’examiner les affaires répétitives dont la jurisprudence est clairement établie dans une formation de jugement réduite à trois juges, contre sept habituellement. La Conférence d’Interlaken a persévéré dans cette direction en encourageant le développement des procédures de transaction, en appelant à une meilleure hiérarchisation du traitement des affaires en fonction du préjudice subi et en invitant la Cour à adopter des « arrêts pilotes » constituant des standards clairs et prévisibles pour les juridictions nationales.

– Toutefois, la responsabilité principale dans la lutte contre l’engorgement du système incombe aux Etats eux-mêmes.

Une protection efficace des droits fondamentaux suppose un respect plus rigoureux du principe de subsidiarité, grâce auquel le flux des requêtes infondées, ou déjà éclaircies par la jurisprudence de la Cour, peut être endigué directement par les juridictions nationales.

Elle exige aussi que les arrêts rendus soient concrétisés par l’adoption de normes internes compatibles avec la Convention.

Une telle appropriation de la Convention par les Etats membres passe par une meilleure formation des magistrats nationaux à la dimension européenne, sur laquelle mise beaucoup la Cour de Strasbourg et par une plus grande attention portée notamment dans nos parlements à l’évolution de sa jurisprudence.

Surtout, il est essentiel de renforcer le dispositif de sanction à l’égard des Etats réticents à exécuter rapidement les arrêts définitifs. Le Comité des ministres doit ici prendre toutes ses responsabilités en usant plus fréquemment de sa faculté de saisir la Cour de procédures en manquement à l’encontre des Etats qui ne tirent pas toutes les conséquences de leurs condamnations.

II. « LES DROITS PAR L’EUROPE »
LES DROITS FONDAMENTAUX AU C
œUR DE L’UNION EUROPÉENNE DU TRAITÉ DE LISBONNE

A. Une construction européenne longtemps indifférente aux droits de l’homme ? La détermination des juges et la force de l’intégration

1. La protection des droits fondamentaux dans la Communauté européenne, une construction longtemps exclusivement jurisprudentielle

Empruntant un tout autre chemin que le Conseil de l’Europe, tôt engagé dans l’établissement d’une communauté de valeurs fondée sur la protection vigilante des libertés fondamentales, les Communautés européennes, solidement implantées à partir de 1951 dans le terreau concret des « solidarités de fait », ont déployé leurs racines dans des domaines économiques sans aborder directement la question des droits de l’homme.

Toutefois, de l’absence de dispositions spécifiques dans les traités n’a pas découlé l’ignorance ou l’indifférence aux droits fondamentaux.

Dès 1969, pour apaiser l’inquiétude de plusieurs Cours constitutionnelles nationales (8) effrayées de ne pas retrouver un niveau des Communautés, dont la législation avait acquis une force juridique supérieure aux dispositions nationales, une garantie des droits fondamentaux au moins équivalente à celle fournie par leurs Constitutions nationales, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) s’est attachée à interpréter le droit communautaire à la lumière et sous l’autorité des droits fondamentaux communs aux Etats membres (CJCE, 12 novembre 1969, Stauder).

Les juges de Luxembourg ont ainsi considéré que les droits fondamentaux font partie du droit européen en tant que « principes généraux du droit », identifiant quelques grands principes inspirés des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres (CJCE, 17 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft) et de nombreux instruments internationaux parmi lesquels la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales occupe naturellement une place privilégiée (CJCE, 28 octobre 1975, Rutili).

Ils ont aussi veillé à ce que le respect de ces droits s’impose non seulement aux institutions communautaires, mais aussi aux Etats membres lorsqu’ils agissent pour appliquer le droit européen.

2. L’élargissement des domaines d’action de l’Union dans les années 1990 a imposé l’entrée des droits fondamentaux dans les traités

■ Au cours des années 1990, l’élargissement de la Communauté européenne et son intervention croissante dans des domaines pour lesquels la protection des droits fondamentaux revêt une importance décisive, en particulier la justice, les affaires intérieures ou la politique étrangère et de sécurité commune, ont encouragé l’édification de dispositifs protecteurs propres à l’Union.

L’article 6, alinéa 2 du traité sur l’Union européenne dans sa rédaction issue du traité de Maastricht a d’abord intégré à la lettre des traités l’esprit de la jurisprudence de la CJCE en disposant que « l’Union respecte les droits fondamentaux tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres en tant que principes généraux du droit communautaire ».

Le traité d’Amsterdam a ensuite renforcé le statut des droits fondamentaux en imposant, dans l’article 6 § 1 du traité sur l’Union européenne, le respect des droits de l’homme et de l’Etat de droit aux pays candidats et en créant, dans l’article 7, une procédure de suspension des droits allant jusqu’aux droits de vote en cas de violation « grave et persistante » des droits fondamentaux par un Etat membre.

■ Il est toutefois vite apparu que de simples références à des principes et des droits non codifiés et dégagés au fil de l’eau par la jurisprudence ne répondaient pas à l’exigence d’accessibilité et de clarté qui conditionne l’efficacité des droits fondamentaux.

Pour remédier à ce « déficit de droit », le ministre allemand des affaires étrangères, M. Joschka Fischer, a dès lors suggéré la rédaction d’une Charte des droits que les chefs d’Etat et de Gouvernement au cours du Conseil européen de Cologne de juin 1999 ont voulu apte à « ancrer leur importance exceptionnelle et leur portée de manière visible pour tous les citoyens ».

Sa rédaction fut confiée, selon un modèle original promis à un bel avenir, à une Convention de 62 membres, réunissant 30 parlementaires nationaux, 16 députés européens, 15 représentants des Etats membres et un représentant de la Commission européenne sous la présidence de M. Roman Herzog.

Au terme de travaux consensuels et transparents, sollicitant abondamment les contributions de la société civile, la Convention a achevé ses travaux en octobre 2000, avant que le Conseil européen de Nice des 7 et 8 décembre 2000 ne proclame solennellement la Charte sans toutefois l’intégrer, en raison des réserves britanniques, au corps des traités et par conséquent sans la doter d’une valeur juridique.

B. Le traité de Lisbonne, une « révolution » des droits de l’homme dans l’Union

Parachevant la nouvelle architecture des droits fondamentaux dans l’Union, le traité de Lisbonne modifie radicalement l’exposé et le statut des droits de l’homme en Europe, en donnant une force juridique à la Charte des droits fondamentaux, en étendant la capacité des citoyens européens à défendre leurs droits auprès de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, ancienne CJCE) et en prévoyant l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme.

1. La Charte des droits fondamentaux, désormais dotée d’une force juridique, devient la boussole de l’action commune

L’article 6, alinéa 2, du traité sur l’Union européenne dans sa rédaction issue du traité de Lisbonne reconnaît désormais à la Charte des droits fondamentaux de l’Union « la même valeur juridique que les traités ».

a) La cristallisation de droits et principes déjà existants

■ Ce nouveau statut ne signifie toutefois pas que l’Europe s’est brutalement dotée d’un « Bill of Rights » énonçant de nouveaux droits individuels intangibles dont les citoyens seraient fondés à réclamer toute la concrétisation.

– En effet, en premier lieu, le deuxième alinéa de l’article 6 précise que les dispositions de la Charte « n’étendent en aucune manière les compétences de l’Union telles que définies par les traités ».

Cette réserve, lointain écho des fameuses craintes d’Alexander Hamilton que l’adoption du Bill of Rights américain ne fournisse à l’Etat fédéral américain le prétexte d’étendre continuellement sa compétence, implique que les droits et principes de la Charte ne s’imposent, et donc ne sont opposables, qu’aux institutions de l’Union et aux Etats membre « uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union ».

Allant plus loin encore, le Royaume-Uni, inquiet de l’impact potentiel des droits sociaux énoncés dans la Charte sur sa législation du travail, et la Pologne, soucieuse de préserver les spécificité de son droit de la famille, ont obtenu de bénéficier de dérogations inscrites dans un protocole annexé au traité de Lisbonne.

Ce dernier interdit à la Cour de justice ou à toute juridiction interne de déclarer une disposition du droit national incompatible avec une quelconque disposition de la Charte, en excluant en particulier que les droits sociaux puissent créer des droits justiciables autres que ceux qui existent déjà.

Cet « opting out » constitue un symbole d’autant plus regrettable qu’il est à bien des égards en trompe-l’œil. En effet, la Charte se contente souvent de formaliser des principes généraux du droit, la Cour de Luxembourg gardant la faculté d’en dégager de nouveaux, qui demeurent par essence opposables à tous les Etats membres lorsqu’ils appliquent le droit européen.

– En second lieu, en effet, la Charte ne porte pas l’ambition de définir de nouveaux droits, conformément au mandat restrictif donné à la Convention de 1999, mais constitue plutôt une cristallisation de principes déjà consacrés dans des textes et traditions antérieures communes à tous les Etats membres.

Ainsi, un peu plus de la moitié des droits énoncés codifient des principes généraux du droit déjà identifiés par la CJCE, tandis que les dispositions les plus novatrices sont étroitement inspirées de textes internationaux en vigueur (Chartes sociales de l’Union et du Conseil de l’Europe, conventions sur la bioéthique...) solidement arrimés aux législations nationales.

Dans un même esprit, seuls les droits fondamentaux civils et politiques « classiques » sont présentés dans la Charte et dans les explications qui l’accompagnent comme directement opposables aux autorités publiques européennes.

Grâce à une subtile distinction entre « droits » et « principes » introduite à la demande du Royaume-Uni et s’inspirant très directement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel français (9), les droits économiques et sociaux « positifs », comme le droit à l’éducation ou le droit de travailler, ne sont pas immédiatement applicables et ne sont donc invocables devant le juge qu’à des fins d’interprétation ou de contrôle de la légalité des actes qui les mettent en œuvre. Ces réserves, traditionnelles, ne les privent toutefois pas pour autant de tout effet juridique, puisque les tribunaux pourront s’y référer et en interpréter la portée lorsqu’ils seront saisis de textes européens qui tendent à les concrétiser.

b) Un document exemplaire et prometteur

Ces réserves posées, il n’en demeure pas moins que la Charte des droits fondamentaux, organisée dans un style concis conforme au souci pédagogique qui inspirait ses rédacteurs, constitue un document exemplaire en ce qu’elle regroupe, pour la première fois, les droits civils, politiques, économiques et sociaux, qu’elle actualise aux évolutions technologiques, politiques et sociales les plus récentes.

■ L’énoncé des droits civils et politiques (droit à la vie, interdiction de la torture, respect de la vie privée et familiale, libertés d’expression, de réunion et d’association) s’efforce de reprendre les droits déjà garantis par la CEDH, éclairés par les acquis de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, en y ajoutant des dispositions qui la modernisent ou en comblent les lacunes :

– l’article 3 de la Charte introduit un droit de la personne à son intégrité physique et mentale en déclinant les principes fondamentaux issus de la Convention du Conseil de l’Europe sur les droits de l’homme et la biomédecine signée à Oviedo le 4 avril 1997 : consentement libre et éclairé du patient, et interdiction des pratiques eugéniques, du clonage reproductif et de l’usage du corps humain aux fins de profit financier ;

– les articles 8, 37, 38 et 24 intègrent dans le champ des droits fondamentaux des droits dits de « nouvelle génération » : droit à la protection des données personnelles, à un environnement conforme aux exigences du développement durable, droits des consommateurs et droits de l’enfant ;

– le droit d’accès à la justice, dont dispose l’article 47, est élargi en levant sa limitation par l’article 6 de la CEDH aux contestations sur les droits et obligations de caractère civil et sur le bien-fondé de toute accusation en matière pénale.

■ La Charte complète ce dispositif traditionnel par des droits attachés à la citoyenneté européenne ou élargis à tout le territoire de l’Union.

– le principe ne bis in idem, selon lequel nul ne peut être jugé ou puni deux fois pour la même infraction, est étendu, par l’article 50, aux condamnations prononcées par les juridictions de deux Etats membres différents, et non plus seulement à l’intérieur d’un même Etat ;

– les droits des citoyens européens définis dans les traités sont intégralement repris : droit de vote et d’éligibilité aux élections européennes et municipales, droit de saisir le médiateur européen, droit de pétition devant le Parlement européen, liberté de circulation et de séjour et droit à une protection diplomatique et consulaire (articles 20 à 24) ;

– s’y ajoutent deux innovations importantes. L’affirmation d’un droit d’accès aux documents (article 42), certes circonscrit aux seuls résidents dans l’Union et rédigé de manière imprécise, constitue néanmoins une réelle avancée. Le « droit à une bonne administration » (article 41), reconnu « à toute personne », est sans doute le plus susceptible de connaître une importante postérité. Les principes qu’il décline, du droit d’être entendu avant toute décision défavorable, d’accéder à son dossier personnel, d’être traité impartialement et équitablement « dans un délai raisonnable » à l’obligation imposée à l’administration de motiver ses décisions et de réparer les dommages qu’elle cause, certes souvent objets d’une abondante jurisprudence européenne (10), devraient exercer un impact puissant sur les administrations européennes et surtout nationales, susceptibles de se les voir opposer lorsqu’elles exercent leurs nombreuses missions d’application du droit européen.

■ Bien que durement débattus au cours de la Convention de 1999, les droits économiques et sociaux, aujourd’hui inégalement protégés dans l’espace européen (la Charte sociale précitée de 1961 du Conseil de l’Europe n’a été ratifiée que par une minorité d’Etats membres), forment un noyau substantiel, allant des droits traditionnels à l’information et à la consultation des travailleurs, à la négociation collective et au droit de grève jusqu’à l’énoncé d’un droit d’accès aux services de placement, aux prestations de sécurité sociale, aux services sociaux et à l’aide au logement, le droit à une protection en cas de licenciement injustifié et à des conditions de travail « justes et équitables ».

Comme il a été vu, la portée juridique de ces principes est atténuée par leur absence d’effet direct. Cela ne préjuge pas pour autant de leur avenir. Leur promotion au statut de droits fondamentaux constitue en effet un signal fort à l’attention des juridictions nationales et européennes, invitées ainsi à leur donner un poids réel en particulier lorsque des recours mettent en balance des normes qui leur sont antagonistes.

Cette constatation peut d’ailleurs s’étendre à l’ensemble de la Charte.

Comme tout exposé des droits fondamentaux, la Charte porte en elle la perspective d’une « vie propre », grâce à laquelle des droits considérés au moment de leur rédaction comme efficacement bornés peuvent s’émanciper des interprétations restrictives qui ont présidé à leur énoncé pour déployer des ressorts originaux.

Cette probabilité émancipatrice est d’autant plus forte que la Charte s’adresse à 500 millions d’habitants, susceptibles de tirer parti d’un document clair pour nourrir des contentieux croissants tant il est vrai, et heureux, qu’en matière de droits fondamentaux, « l’offre crée la demande ».

c) Un meilleur accès des citoyens à la justice européenne

■ Dans le même temps, en effet, le traité de Lisbonne tend en effet à « normaliser » la protection juridictionnelle des droits en élaguant les restrictions obscures qui limitaient jusqu’alors la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne.

La suppression de la structure en pilier permet en effet d’étendre le contrôle de droit commun de la Cour à l’ensemble de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, domaine le plus susceptible de nourrir des contentieux touchant aux droits fondamentaux.

Elle devient aussi compétente pour connaître les recours formés par les particuliers portant sur les mesures restrictives prises à leur encontre, tel, par exemple, le gel des avoirs liés à l’inscription sur une liste des organisations terroristes, en matière de politique étrangère et de sécurité commune.

■ La portée de cette simplification bienvenue doit toutefois être nuancée.

Le traité ne crée pas un recours spécifique pour violation alléguée des droits fondamentaux.

Il n’assouplit pas les rigoureuses conditions de recevabilité des recours en annulation des particuliers, qui doivent être directement et individuellement concernés par l’acte attaqué (11).

2. Une forte volonté politique de mettre les droits de l’homme au cœur de l’action commune

Les dispositions du traité sont par ailleurs efficacement relayées par une volonté politique affirmée de placer les droits de l’homme tout en haut de l’agenda européen.

■ Plusieurs évolutions institutionnelles en témoignent.

La montée en puissance du Parlement européen, comme l’intégration des parlements nationaux dans le jeu décisionnel, en particulier grâce à leur nouvelle mission de contrôle du respect, par les actes législatifs européens, du principe de subsidiarité, renforcent l’attention portée aux droits fondamentaux, préoccupation cardinale et séculaire des parlementaires.

Dans cet esprit, le Parlement européen a su tirer parti, au moment de la conclusion des accords « Swift » d’échange de données bancaires ou « PNR » de fourniture de données sur les passagers transatlantiques dans le cadre de la coopération entre les Etats-Unis et l’Union pour la lutte contre le terrorisme, de son nouveau pouvoir d’approbation des accords internationaux conclus entre l’Union et les pays tiers pour promouvoir une conception exigeante du respect des droits fondamentaux. Dans un même élan, il a placé les droits de l’homme au cœur des recommandations qu’il a exprimées, dans sa résolution du 25 novembre 2009, sur le Programme de Stockholm fixant les priorités de l’édification de l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

La Commission européenne s’est, elle aussi, attachée à concrétiser cette nouvelle priorité en confiant à un Commissaire dédié et promu au rang de Vice-président du collège, Mme Viviane Reding, la protection des droits fondamentaux, rattachée au portefeuille de la justice et de la citoyenneté.

■ La Commission a par ailleurs présenté, le 20 octobre 2010, une communication ambitieuse visant, selon les termes de Mme Viviane Reding, à faire de « la Charte la boussole de toutes les politiques de l’Union ».

A cette fin, tous les projets d’actes élaborés par la Commission européenne devront désormais être précédés d’une phrase de vérification systématique et exhaustive de leur compatibilité et de leur influence sur les droits fondamentaux, ces « check lists » détaillées étant étendues aux actes d’exécution adoptés en comitologie.

Les analyses d’impact jointes aux propositions d’actes législatives, rédigées sous l’appui et le contrôle du Comité d’analyses d’impact, devront ainsi comporter une section consacrée à leur incidence sur les droits et principes garantis par la Charte.

En parallèle, afin de s’assurer que les Etats membres prennent pleinement ces droits en considération lorsqu’ils appliquent le droit européen, la Commission veillera à leur adresser des recommandations précises lorsqu’ils transposent des directives susceptibles de mettre en cause ou en œuvre les droits fondamentaux, et, à les assister, lorsque c’est utile, dans le cadre de groupes d’experts ad hoc, à l’image des formations établies pour suivre la transposition de la direction 2008/115 « retour » ou pour appliquer la décision-cadre 2008/919 sur la lutte contre le terrorisme.

En tout état de cause, la Commission a affirmé avec force sa détermination à utiliser tous les moyens juridiques à sa disposition, en particulier les procédures d’infractions auprès de la Cour de justice de l’Union européenne, à l’encontre des Etats enfreignant, dans l’application du droit européen, les droits fondamentaux.

■ En outre, la Commission européenne a décidé de présenter chaque année un rapport sur l’application de la Charte afin d’organiser un débat annuel avec le Conseil et avec le Parlement européen sur les progrès accomplis dans la protection des droits et d’identifier les principales difficultés recensées à l’échelle de l’Union.

Dans une même préoccupation de transparence et de publicité, le portail e-justice devra fournir dès 2011 des informations claires et abordables sur les voies de recours ouvertes aux citoyens en cas de violation alléguée des dispositions de la Charte, tandis qu’une formation spécifique sera organisée au sein des réseaux judiciaires européens et du Forum européen pour la justice, qui réunit les professionnels du droit à l’échelle de l’Union.

3. L’adhésion à la Convention européenne des droits fondamentaux, une opportunité pour unifier les « deux Europes » des droits de l’homme

Grâce au traité de Lisbonne, l’Union européenne s’est ainsi dotée d’un dispositif de protection des droits particulièrement étoffé et d’une modernité sans équivalent dans le monde.

Cette entrée en force intervient cependant dans un champ déjà occupé, avec une efficacité remarquable, par un Conseil de l’Europe fort de ses 60 ans de spécialisation sur la protection des droits de l’homme et de l’exceptionnelle légitimité de sa Cour des droits de l’homme.

Cette coexistence de deux ordres juridiques de protection des droits en Europe soulève trois types de difficultés.

■ L’existence de deux grands textes autonomes, la Convention européenne des droits de l’homme et la Charte des droits fondamentaux, pourrait induire une certaine fragmentation des droits fondamentaux, soumis à l’interprétation de deux cours distinctes et promus par deux cadres institutionnels autonomes.

– Ce risque a été certes atténué, en premier lieu, par le souci des Conventionnels de 1999 de rapprocher la rédaction des dispositions équivalente de la Charte de celles de la CEDH, en particulier en joignant à chaque article des « explications », jouissant de la même portée juridique que les articles de la Charte, très directement inspirées de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. De manière générale, l’article 52 § 3 de la Charte dispose que les droits qu’elle énonce et qui figurent également dans la CEDH doivent faire l’objet d’une interprétation identique, « cette disposition ne faisant pas obstacle à ce que le droit de l’Union apporte une protection plus étendue ».

– En second lieu, cette convergence d’interprétation rejoint la pratique solidement établie du dialogue entre les Cours de Luxembourg et de Strasbourg et la « signification particulière » (12), équivalente à une pleine reconnaissance de jurisprudence, qu’a toujours reconnu la première à la seconde.

■ La deuxième difficulté liée à une coexistence des deux « Europe » des droits de l’homme met en jeu la crédibilité et de la transparence du système de protection des droits en Europe, tant à l’égard des citoyens que des Etats parties aux deux organisations et des Etats tiers.

– Les citoyens risquaient de demeurer privés à l’encontre du droit européen d’un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme particulièrement connu et apprécié, alors même qu’ils en jouissent à l’égard de leur droit national.

Il est vrai que la Cour de justice européenne accorde un niveau de protection considéré comme « équivalent » par la Cour européenne des droits de l’homme, dont elle reprend l’essentiel des solutions jurisprudentielles.

Cependant, comme il a été vu supra, les recours ouverts aux particuliers auprès de la Cour de justice européenne sont fortement circonscrits, voire inexistants dans certains domaines heureusement restreints par le traité de Lisbonne.

Il aurait été difficilement justifiable que les actes européens échappent à l’emprise des droits fondamentaux lorsque le droit national ne connaît aucune disposition soustraite au contrôle des juges de Strasbourg.

– Les Etats membres de l’Union, pour leur part, seraient restés dans la situation paradoxale où ils peuvent être condamnés par la Cour de Strasbourg pour une violation de la Convention même lorsqu’ils se contentent de mettre en œuvre le droit communautaire.

Le contrôle aujourd’hui opéré par la Cour européenne des droits de l’homme sur les mesures d’application du droit européen est certes minimal, puisqu’il s’exerce sur la base d’une présomption selon laquelle la protection des droits fondamentaux dans le système de l’Union peut normalement être considérée comme « équivalente » à celle de la Convention (CEDH, 13 septembre 2001, Bosphorus).

Les juges de Strasbourg conservent néanmoins la capacité de réfuter au cas par cas cette présomption lorsque la protection communautaire est « manifestement » déficiente.

Ainsi, la Cour n’a-t-elle pas hésité à dénoncer une loi britannique exécutant un traité européen pour déterminer le corps électoral des élections parlementaires européennes à Gibraltar (CEDH, 18 février 1999, Matthews).

– Enfin, ne pas dresser de ponts entre l’Union et le Conseil de l’Europe multiplierait la probabilité de voir se construire sur ces deux rives des dispositifs redondants alors même que les Etats s’astreignent aujourd’hui à un effort d’assainissement budgétaire sans précédent, et laisserait émerger lentement le spectre redoutable d’une Europe des droits fondamentaux à deux vitesses.

Pour tourner résolument le dos à cette perspective désastreuse, le traité de Lisbonne a prévu, dans l’article 6 § 2 du Traité de l’Union européenne, que « l’Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales », et, par conséquent, qu’elle soumette l’intégralité de son droit au contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme, offrant l’occasion d’une unification de l’Europe des droits fondamentaux dont l’élan devrait largement dépasser la seule question juridictionnelle pour donner une forme nouvelle à la coopération entre les deux organisations.

DEUXIEME PARTIE : RÉUSSIR L’UNIFICATION DE L’EUROPE DES DROITS DE L’HOMME PAR UNE ÉTROITE COLLABORATION ENTRE L’UNION EUROPÉENNE ET LE CONSEIL DE L’EUROPE

I. SAISIR L’OPPORTUNITÉ D’UNIFIER LA PROTECTION JURIDICTIONNELLE DES DROITS FONDAMENTAUX A L’ECHELLE DU CONTINENT

A. Un processus lent et complexe, reposant sur l’assentiment unanime des 47 Etats formant l’Union européenne et le Conseil de l’Europe

L’adhésion de l’Union à la CEDH n’est pas une préoccupation nouvelle.

Proposée dès 1979 par la Commission européenne, puis une nouvelle fois en 1990 et en 1993, elle a cependant été jugée impossible dans la cadre des traités actuels par la Cour de justice des Communautés européennes qui, dans son avis 2/94 du 28 mars 1996, estimait qu’elle « revêtirait une envergure constitutionnelle » et exigerait par conséquent une révision non seulement des traités de l’Union, mais aussi de la Convention elle-même.

Le traité de Lisbonne donne l’impulsion décisive, tout en assortissant cette perspective bienvenue de nombreux garde-fous et garanties procédurales propres à assurer une transition harmonieuse et mûrement débattue.

1. Une procédure longue et complexe, qui devrait prendre plusieurs années

L’adhésion requerra en effet l’assentiment unanime non seulement de l’ensemble des Etats membres de l’Union, mais aussi celui du Parlement européen, des 27 Parlements nationaux de l’Union et des 47 Etats parties à la CEDH, à plusieurs étapes des négociations.

L’article 218 § 8 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) dans sa rédaction issue du traité de Lisbonne dispose ainsi, tout d’abord, que le Conseil de l’Union devra, par des décisions prises à l’unanimité, autoriser l’ouverture des négociations, puis arrêter le mandat de négociation proposé par la Commission européenne avant, en fin de parcours, d’autoriser la signature puis conclure les accords. Cette dernière décision devra être précédée de l’approbation du Parlement européen, tenu dûment informé à toutes les étapes de la procédure (article 218, § 6 et 10 du TFUE).

Il importe enfin de remarquer que l’article 218 du TFUE précité permet à un Etat membre, à la Commission ou au Parlement européen de recueillir l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne sur la compatibilité de l’accord d’adhésion avec les traités européens. Le rapporteur estime d’ailleurs indispensable de solliciter l’avis de la Cour, principale institution concernée par l’adhésion, d’autant plus rapidement que leurs délais moyens de formulation dépassent en général une année.

Par suite, l’accord devra être ratifié par tous les Etats membres de l’Union, conformément à leurs exigences constitutionnelles respectives, ainsi que par l’ensemble des Etats parties à la CEDH.

Tant l’expérience de la ratification des traités européens, dont la durée s’établit en moyenne à trois ans que celle des protocoles à la CEDH, le 14ème étant entré en vigueur plus de quatre ans après sa conclusion, laissent augurer d’un processus lent et d’autant plus complexe que la recherche d’un assentiment unanime au sein des 47 Etats du Conseil de l’Europe pourrait ouvrir le jeu des marchandages traditionnels aux vastes négociations intergouvernementales.

■ Dans ce cadre, les premiers débats au Conseil de l’Union européenne se sont engagés fin 2009 sur la base de la proposition de mandat de négociation présentée formellement par la Commission européenne le 24 mars 2010.

Sous l’impulsion décisive de la présidence espagnole du Conseil, le Conseil affaires générales a adopté un mandat dès le 4 juin après que le Parlement européen eut approuvé le 19 mai la proposition de résolution et un rapport de M. Ramon Jauregui Atondo présenté devant la commission des affaires constitutionnelles (AFCO) le 4 mai.

Le contenu précis des directives de négociation est confidentiel afin de préserver la capacité de négociation de la Commission européenne.

Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe ayant pour sa part donné le 28 mai mandat occasionnel au Comité directeur pour les droits de l’homme (CDDH), les négociations ont débuté au sein d’un groupe de travail informel, réunissant le CDDH et la Commission européenne, en présence de représentants quatorze Etats, pour moitié appartenant à l’Union (Allemagne, Finlande, France, Lettonie, Pays-Bas, Roumanie et Royaume-Uni) et pour moitié au seul Conseil de l’Europe (Albanie, Arménie, Croatie, Norvège, Russie, Suisse, Turquie), ainsi que du greffe de la Cour européenne des droits de l’homme, auxquels devrait se joindre, à la demande de la Commission européenne, un délégué de la Cour de justice de l’Union européenne. Deux sessions se sont déjà tenues, les 20 au 22 septembre et les 19 au 22 octobre dernier.

Le mandat du Conseil de l’Europe prévoit, de manière optimiste, que ce groupe soit en mesure de présenter un instrument juridique établissant les modalités d’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme pour, « au plus tard », le 30 juin 2011.

2. De nombreux garde-fous destinés à protéger les spécificités de l’Union

Outre ces procédures complexes et très progressives, le traité de Lisbonne encadre rigoureusement les modalités d’adhésion de l’Union.

■ Le § 2 de l’article 6 du Traité de l’Union européenne dispose ainsi que l’adhésion « ne modifie pas les compétences de l’Union telles qu’elles sont définies par les traités ».

En outre, l’article 1er du protocole relatif à l’adhésion, de même valeur juridique que le corps des traités, dispose que l’accord d’adhésion devra « refléter la nécessité de préserver les caractéristiques de l’Union et du droit de l’Union » en particulier en ce qui concerne « les modalités particulières de l’éventuelle participation de l’Union aux instances de contrôle de la Convention européenne » (qui ne saurait permettre aux institutions de l’Union de se substituer aux Etats membres dans leurs compétences nationales) et « les mécanismes nécessaires pour garantir que les recours formés par des Etats non membres et les recours individuels soient dirigés correctement contre les Etats membres et/ou l’Union, selon le cas ».

Dans un même esprit, son article 3 dispose que les Etats membres continueront d’être liés par l’article 344 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux termes duquel ils « s’engagent à ne pas soumettre un différend relatif à l’interprétation ou à l’application des traités à un mode de règlement autre que ceux prévus par ceux-ci ».

Ces dispositions délimitent clairement le champ de l’adhésion en imposant que soit définie une procédure permettant de tracer la frontière entre ce qui relève des compétences et des responsabilités de l’Union et ce qui ressortit de celles des Etats membres avant que la Cour européenne des droits de l’homme ne puisse statuer.

– A cette fin, la Commission européenne a proposé la définition d’un mécanisme de « codéfendeur » permettant à l’Union de se joindre aux affaires impliquant un Etat membre lorsqu’un recours met en cause le droit de l’Union européenne.

Le rapporteur estime qu’une telle procédure, qui devra être approuvée à l’unanimité par le Conseil de l’Union, ne saurait utilement être « systématique », et devrait demeurer subordonnée à l’assentiment de l’Etat contre lequel est dirigé le recours, conformément au respect du principe de subsidiarité.

– Dans une même logique, la participation des instances européennes aux organes de la CEDH, nécessairement sur le « pied d’égalité » exigé par le Parlement européen dans sa résolution précitée, doit respecter elle aussi la répartition des compétences fixée par le traité.

Ainsi, si la représentation spécifique de l’Union devra être prévue au sein du Comité des ministres du Conseil de l’Europe lorsqu’il statue sur la supervision et sur l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, son droit de vote pourrait utilement être limité aux affaires concernant directement le droit de l’Union.

Plus complexe opérationnellement et sans doute moins nécessaire serait la limitation aux seules affaires impliquant l’Union du mandat du juge dont devrait bénéficier l’Union au sein de la Cour européenne des droits de l’homme à l’égal de l’ensemble des 47 Etats parties. Il n’en reste pas moins indispensable que sa nomination soit conforme à celle des autres juges, l’Union proposant une liste de trois candidats soumis à l’élection de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe dans laquelle le Parlement européen devrait être représenté de la même manière que les parlements nationaux.

■ L’article 2 du protocole précité précise pour sa part que les réserves formulées par les Etats membres à l’égard de la CEDH devront intégralement être respectées.

Dans cette logique, il apparaît opportun que l’Union se contente d’adhérer aux seuls protocoles à la CEDH ratifiés par tous ses Etats membres.

On rappellera en effet que la CEDH a fait l’objet de 14 protocoles additionnels qui n’ont pas tous été ratifiés par l’ensemble des Etats membres (13). S’il est juridiquement possible de permettre à l’Union d’adhérer à des protocoles qui n’ont pas été approuvés par les 27, il est néanmoins plus prudent de s’en tenir au « plus petit dénominateur commun », en aménageant éventuellement la possibilité d’adhérer, dans le futur, à d’autres protocoles lorsque les 27 unanimes l’estimeront utile.

B. Des obstacles techniques, liés à la nécessité de respecter les particularités ontologiques du droit de l’Union

Les principaux débats se concentrent sur quelques difficultés, certes techniques, mais qui n’en soulèvent pas moins des questions fondamentales tenant à « la nécessité de préserver les caractéristiques du droit de l’Union » dont le protocole précité ne précise toutefois ni la nature ni la portée.

1. La question de l’étendue du contrôle du droit européen par la Cour de Strasbourg : est-il nécessaire de « protéger » les traités ?

La première caractéristique du droit de l’Union européenne est la nature particulière de ses textes fondateurs, traités internationaux dont l’entrée en vigueur est suspendue à leur ratification par tous les Etats membres.

■ Or, sans précision particulière, l’édifice communautaire tout entier, y compris les traités, entrerait dans la prise du contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme qui a déjà montré, dans l’arrêt Matthews précité, qu’elle n’hésiterait pas à s’en saisir.

Il est extrêmement peu probable, il est vrai, qu’une quelconque disposition des traités puisse être exposée à l’allégation de violation des droits fondamentaux.

– Toutefois, l’existence d’un tel risque, même marginal, doit être confrontée tant à l’extrême lourdeur de la procédure de révision des traités, qui exige la réunion d’une Convention composée de parlementaires européens et nationaux, la tenue d’une conférence intergouvernementale et le succès de 27 procédures nationales de ratification, qu’à la « dangerosité » particulière de l’ouverture de telles négociations, sources de débats souvent acharnés au moment où l’Union souhaite clore sa longue introspection institutionnelle pour mettre toutes ses forces dans l’élaboration de politiques concrètes offrant une immédiate plus-value à ses citoyens.

Dans ce contexte, l’identification par la Cour européenne des droits de l’homme de difficultés particulières dans le corps même des traités ne manquerait de soulever de très importantes difficultés politiques, dont il semble opportun de se prémunir.

– Par ailleurs les traités sont les fruits d’équilibres complexes et dynamiques, dont les capacités d’évolution fondent la nature originale de l’intégration européenne qui ne saurait rester figée à des compromis politiques conjoncturels.

La Cour de justice de l’Union européenne a ainsi joué un rôle décisif dans l’interprétation « dynamique » des textes fondateurs, conciliant le respect de la lettre des traités avec l’esprit du développement européen.

Elle a ainsi su dégager un stock impressionnant de droits fondamentaux alors même que les traités fondateurs étaient restés longtemps silencieux sur cette question.

Elle s’est aussi attachée à trouver des équilibres satisfaisants entre des principes parfois antagonistes, afin de ne pas immobiliser la marche commune et d’étayer la légitimité des institutions.

Cette « plasticité » de l’interprétation des traités trouve un témoignage éclairant par exemple dans l’arrêt Laval du 18 décembre 2007, où la Cour a dû concilier les principes fondamentaux de la liberté d’établissement et des droits syndicaux. En l’espèce, elle a reconnu que si la complexité de la législation suédoise du travail et du salaire minimum contrevenait manifestement au principe de libre prestation des services en Europe, les blocus menés par les syndicats suédois contre une entreprise qui l’ignorait pouvaient néanmoins « constituer une raison impérieuse d’intérêt général » pour protéger d’Etat d’accueil contre un éventuel dumping social et devaient donc être admis au titre du droit de mener une action collective, « partie intégrante des principes généraux du droit communautaire ».

– Enfin, l’adhésion pourrait remettre en cause des éléments importants des traités pourtant objets de difficiles négociations.

Ainsi, alors même que les Etats membres ont veillé à tenir la CJUE à distance de l’essentiel des éléments de leur politique étrangère et de sécurité commune en restreignant, dans l’article 24 du traité sur l’Union européenne, son contrôle aux recours sur des décisions prévoyant des mesures restrictives à l’encontre des personnes, ils ne semblent avoir pris conscience de fait que ces précautions seront réduites à néant si l’ensemble du droit communautaire entre indistinctement dans le champ du contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme.

■ Diverses solutions pourraient opportunément écarter cette perspective dangereuse.

– Il serait ainsi possible que l’Union « protège » son droit primaire en émettant des réserves prévues par l’article 57 de la Convention.

– Une autre option serait de confier à la Cour de Strasbourg le soin d’accorder aux traités une présomption générale de conformité, qui ne serait remise en cause qu’en cas d’insuffisance « manifeste », selon l’inspiration de sa jurisprudence Bosphorus précitée.

2. La question des relations entre la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme : comment préserver une interprétation cohérente des droits et des textes par deux institutions différentes ?

La deuxième grande spécificité du droit européen est sa nature à la fois décentralisée et pré-fédérale, marquée par deux éléments originaux :

– l’application « quotidienne » du droit relève des juridictions nationales, juges de droit commun de l’Union et par conséquent principaux interlocuteurs des citoyens pour l’application du droit européen ;

– la cohérence du dispositif est garantie par le mécanisme de la question préjudicielle, qui permet aux juridictions de renvoyer à la Cour de justice de l’Union européenne l’appréciation de la validité ou l’interprétation d’un acte européen dont elles estiment qu’elles ne sont pas « claires ».

Ce système garantit la cohérence d’un droit appliqué dans 27 Etats membres dont les traditions juridiques sont parfois profondément divergentes, grâce au rôle central et exclusif joué en dernier ressort par la Cour de Luxembourg rompue aux subtilités de l’intégration européenne, tout en reposant sur la confiance, puisque la question préjudicielle est une simple faculté donnée aux juridictions nationales, seule les juridictions de cassation ayant l’obligation de saisir la Cour en cas de doutes sur la légalité ou sur l’interprétation d’un acte européen.

■ L’adhésion de l’Union européenne à la CEDH pourrait mettre ce système efficace sous tension.

Son objet est en effet de permettre à la Cour européenne des droits de l’homme d’examiner les actes européens de droit dérivé, les directives, les règlements et leurs mesures d’exécution.

Or, le caractère facultatif du renvoi préjudiciel ouvre la possibilité que la Cour de Strasbourg soit saisie d’un litige sur lequel la juridiction nationale n’a pas jugé utile de consulter la Cour de justice de l’Union européenne, lui donnant l’occasion de se substituer à cette dernière dans l’interprétation même du droit communautaire.

Il est d’ailleurs probable qu’en réaction les juridictions nationales choisissent de recourir plus fréquemment aux questions préjudicielles, accroissant les pressions sur un système juridictionnel européen conçu pour fonctionner avec un nombre relativement limité de renvois. Le risque est fort que les délais de traitement des recours, déjà trop lents, soient significativement allongés.

■  La conjuration d’un tel risque se heurte à d’importantes difficultés opérationnelles.

– De nombreux pays ont, par exemple, manifesté leur intérêt pour la mise en place d’un recours préjudiciel nouveau, permettant à la Cour de Strasbourg de saisir la Cour de Luxembourg pour l’interprétation d’un acte européen non « clair » et ne faisant pas l’objet d’une jurisprudence établie.

L’architecture concrète d’une telle procédure suppose toutefois de répondre à quelques questions difficiles : la Cour européenne des droits de l’homme serait-elle obligée de saisir la Cour de justice de l’Union européenne ? Ne devrait-elle le faire que si la Commission européenne le demande au cours d’une affaire ? etc.

– Il serait aussi possible de mettre en place un système de filtre, par exemple grâce à l’institution d’une chambre des requêtes commune aux deux Cours, sur le modèle du tribunal des conflits français, chargée de traiter les affaires litigieuses.

■ Le rapporteur estime essentiel que la solution retenue, quelle qu’elle soit, n’aboutisse pas à complexifier excessivement les procédures pour des cas qui devraient en tout état de cause demeurer très rares, et surtout n’allonge pas un peu plus des délais de jugement déjà à la limite du supportable.

Il rappelle que les clefs du succès résident moins dans la définition procédures byzantines, autant de nouveaux parcours d’obstacle pour les citoyens, que dans la qualité des relations et du dialogue que sauront nouer entre elles les juridictions, dans les mains desquelles repose toute entière notre capacité à tenir la promesse d’un ordre juridique des droits de l’homme efficace et unifié à l’échelle du continent.

3. La question décisive de la sagesse et de l’efficacité de la justice face à l’afflux des requêtes

Aux yeux des citoyens, en effet, seul comptera le respect des impératifs d’accessibilité de la justice et de clarté des droits, car un droit ne peut être efficacement protégé que s’il est connu, et aisément défendu.

a) L’exigence de clarté, de cohérence et de stabilité du droit

L’exigence de clarté suppose que les juges sachent donner une interprétation cohérente, hiérarchisée et stable des droits fondamentaux.

■ Or, les risques de contrariété de jurisprudence sont aujourd’hui d’autant plus forts que l’Union européenne s’est dotée d’un arsenal de protection des droits substantiellement différent de la Convention européenne des droits fondamentaux.

Il est vrai que l’article 52 de la Charte, qui prévoit que « dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention », tout comme la tradition du dialogue solidement établie entre la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice de l’Union européenne, plaident pour une réelle cohérence dans l’interprétation des droits fondamentaux.

Pour autant, l’expérience montre généralement qu’il est difficile d’éviter les contradictions lorsque deux textes distincts sur un même sujet ayant un libellé différent sont interprétés par deux tribunaux différents, sans parler des tribunaux nationaux des 27 Etats membres de l’Union.

Dans ce contexte, la seule solution est l’affirmation sans ambiguïté de la prééminence de la Cour européenne des droits de l’homme pour les droits garantis par la Convention, appelés ainsi à constituer le « stock minimal et irréfragable » des droits des Européens, la CJUE gardant toute compétence pour donner corps aux droits supplémentaires, ou approfondis, liés aux dynamiques propres de la Charte. La Cour de Strasbourg s’imposerait ainsi comme « la » Cour suprême des droits de l’homme, tant à l’égard de l’Union qu’à celui des 47 Etats formant le continent européen.

Cette position fait peser sur elle une importante responsabilité.

■ La clarté du droit, c’est aussi sa stabilité, et l’harmonie de son évolution avec les aspirations profondes de l’esprit public. Elle repose donc sur une jurisprudence équilibrée, solidement étayée et mesurée. Elle suppose aussi des juges d’une irréprochable compétence, qui pourrait être confortée par l’aménagement des procédures de sélection des juges de Strasbourg passant par exemple par l’émission d’avis confiés à un comité ad hoc d’experts, ou de pairs, avant leur élection par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

■ La clarté du droit c’est enfin son exécution irréprochable.

A cet égard, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe devra mieux assurer, comme il a été vu supra, sa mission de dialogue avec la Cour européenne des droits de l’homme et mieux garantir l’exécution des arrêts rendus.

b) L’exigence d’accessibilité de la justice

L’accessibilité de la justice, pour sa part, suppose qu’elle soit rendue dans des délais raisonnables.

Il a été vu supra que la Cour européenne des droits de l’homme faisait aujourd’hui face à de très fortes tensions opérationnelles, peinant à stabiliser un stock d’affaires pendantes d’une ampleur inédite.

Dans le même temps, la Cour de justice de l’Union européenne elle-même semble à la limite de ses capacités, traitant 600 affaires par ans, proches du plafond généralement évalué à 700 affaires, alors même que le traité de Lisbonne élargit considérablement ses compétences et par conséquent nourrit dès à présent un flux croissant de requêtes.

II. RENFORCER LA COHÉRENCE DES ACTIONS DU CONSEIL DE L’EUROPE, RÉFERENCE INCONTOURNABLE, ET L’UNION EUROPÉENNE, BRAS ARMÉ DU RAYONNEMENT DES DROITS

En réunifiant le « droit européen des droits de l’homme », le traité de Lisbonne donne une impulsion décisive au rapprochement entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe.

Toutefois, la coïncidence manifeste des ambitions des deux organisations recèle des opportunités considérables de synergies, dont l’exploration, très largement entamée, doit maintenant déboucher sur un partenariat renouvelé, apaisant les craintes légitimes des acteurs de voir naître une compétition, voire une duplication pure et simple des actions dans un domaine où seule compte l’atteinte de résultats concrets pour les citoyens.

A. L’Agence européenne des droits fondamentaux un bel outil en quête de reconnaissance

Le premier et plus fort symbole de l’aire de méfiance réciproque qui a d’abord présidé à l’irruption de l’Union européenne dans un domaine qui constitue la raison d’être du Conseil de l’Europe fut l’accueil réservé à la création d’une Agence européenne des droits fondamentaux en 2007, dont les moyens généreux contrastent avec l’austérité budgétaire que s’imposent depuis 2005 les institutions de Strasbourg.

Dans ce contexte parfois tendu, le rapporteur s’est rendu à Vienne auprès de l’Agence afin d’examiner concrètement la nature de ses travaux et d’apprécier la qualité des relations qu’elle entretient avec le Conseil de l’Europe.

1. Une création contestée

Anticipant sur l’entrée en vigueur des dispositions protectrices des droits de l’homme incluses dans la Constitution européenne et reprises dans le traité de Lisbonne, l’Union européenne a en effet promu début 2007 le modeste Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes, créé en 1998 mais dont l’action avait été sévèrement évaluée en 2002 par la Cour des comptes européenne, en Agence des droits fondamentaux.

Elle a été établie à Vienne par le Conseil européen des 12 et 13 décembre 2003 au cours duquel le siège de nombreuses agences et organismes européens avait été fixé… sans que l’Autriche n’obtienne aucun d’entre eux.

La Délégation pour l’Union européenne de l’Assemblée nationale, sur le rapport de M. Christian Philip, avait alors exprimé son scepticisme sur l’utilité d’une telle création en déplorant la multiplication des agences dans l’Union et en invitant les autorités européennes à veiller à ce que la future Agence développe de fortes synergies avec le Conseil de l’Europe dont l’expertise sur les droits de l’homme lui apparaissait mieux consolidée.

Il est vrai que cette question prend place dans les débats plus larges qui dénoncent « l’agenciarisation » de l’Europe par laquelle, depuis une vingtaine d’année, il n’est guère de difficultés, de crises, ou même de volonté des Etats d’accueillir une nouvelle administration européenne, qui n’aient rencontré en réponse la fondation d’une énième Agence, au risque de nourrir une inflation spectaculaire, le budget communautaire leur ayant versés 560 millions d’euros en 2009 tandis que leurs effectifs doublaient en cinq ans pour atteindre 4 800 agents… Le rapport du sénateur Denis Badré (« Où vont les agences européennes ? »), déposé en octobre 2009 au nom des commissions des affaires européennes et des finances du Sénat, analyse précisément cette question.

■ La définition des missions de l’Agence par le règlement no 168/2007 du Conseil du 15 février 2007 témoigne d’ailleurs des fortes réticences qui ont présidé à sa création.

Les Etats membres ont en effet veillé à ce que l’Agence ne puisse conduire l’Union à exercer dans le domaine des droits fondamentaux des compétences que les traités ne lui reconnaissent pas. Ainsi ne dispose-t-elle que de trois compétences strictement encadrées :

– l’information et la collecte de données afin de mettre et point et d’encourager la diffusion de données pertinentes, objectives et fiables sur la situation des droits de l’homme dans l’Union ;

– la fourniture de conseils aux institutions européennes et aux Etats membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, sous la forme d’avis spontanés ou à la demande du Parlement européen, du Conseil et de la Commission et grâce à la publication d’un rapport annuel et de rapports thématiques ;

– la sensibilisation du public au respect des droits de l’homme au moyen de la mise en œuvre d’une politique ambitieuse de communication et d’une coopération intense avec la société civile.

En revanche, le règlement précité interdit à l’Agence :

– d’examiner les plaintes individuelles ;

– de contrôler la légalité des actes législatifs européens ou de formuler une opinion sur le respect par les Etats membres des obligations qui leur incombent en vertu des traités ;

– d’examiner la situation des droits de l’homme dans un ou plusieurs Etats membres particuliers.

■ Son conseil d’administration, présidé actuellement par Mme Ilze Brands Kehris, est composé de personnalités disposant d’une « expérience adéquate dans la gestion d’organisations du secteur public ou du secteur privé » et « de connaissances dans le domaine des droits fondamentaux », dont deux représentants désignés pour cinq ans par la Commission européenne, un par le Conseil de l’Europe et un expert indépendant nommé par chaque Etat membre.

Le directeur, aujourd’hui M. Morten Kjærum, est élu pour cinq ans, prorogeables trois ans, par le conseil d’administration sur la base d’une liste de candidats établie par la Commission après que le Conseil et le Parlement européen aient rendu leurs avis. Assisté d’un bureau exécutif, il prépare et exécute les décisions du conseil d’administration et assure la gestion quotidienne de l’Agence.

Enfin, le comité scientifique, composé de onze personnalités indépendantes « hautement qualifiées dans le domaine des droits fondamentaux » désignées pour cinq ans par le conseil d’administration après avis de la commission compétente du Parlement européen, est le garant de la qualité scientifique de ses travaux.

■ Pour mener à bien ses missions, l’Agence dispose en 2010 d’un budget de 20 millions d’euros, monté en puissance progressivement (14 millions d’euros en 2007, 15 en 2008 et 17 en 2009).

Près de 11 millions d’euros sont consacrés à la rémunération du personnel (dont 6 millions d’euros pour les 72 agents de l’Agence et 1,5 million d’euros pour les 9 agents contractuels) tandis que les frais de fonctionnement hors salaires atteignaient 2,5 millions d’euros (dont 1,2 million d’euros pour la location de l’immeuble qui l’accueille à Vienne).

Les dépenses opérationnelles, qui ont très nettement augmenté avec l’intensification des actions de l’Agence, portent principalement sur l’organisation d’événements avec la société civile (0,8 million d’euros), sur les campagnes de communication et d’information (0,7 million d’euros) et surtout la collecte d’informations (5 millions d’euros).

2. Des travaux remarquables

Le rapporteur a recueilli de ses auditions, tant auprès de l’Agence à Vienne qu’auprès des nombreux acteurs du Conseil de l’Europe qu’il a rencontrés, des jugements très positifs et solidement étayés tant sur la qualité des travaux de l’Agence que sur celle des relations qu’elle entretient avec le Conseil de l’Europe.

a) L’édification d’un appareil statistique et de réseaux d’une exceptionnelle qualité

L’Agence s’est d’abord attachée à se doter d’instruments d’une précision remarquable.

■ A la différence du Conseil de l’Europe, qui s’appuie principalement, dans la logique de surveillance et de confiance entre pairs qui inspire ses missions, sur les données et les experts nationaux complétés par des contrôles ad hoc menés par ces organes de contrôle, l’Agence a édifié, conformément à sa mission, un appareil statistique exceptionnellement fouillé, animé d’un souci constant d’emprise sur le terrain et de relations directs avec les personnes concernées.

Ainsi, par exemple, 28 500 membres des minorités ont à ce jour fait l’objet d’entretiens personnalisés avec les experts de l’Agence. La conviction de l’Agence est en effet qu’une protection efficace des droits fondamentaux repose avant tout sur l’identification de données pertinentes mesurant concrètement les principales difficultés rencontrées sur le terrain et permettant de surveiller des indicateurs précis de résultats et d’évolution, susceptibles de donner l’alerte lorsque des violations manifestes des droits apparaissent ou perdurent.

Par exemple, au cours des travaux menés sur les droits de l’enfant l’Agence a pu identifier la problématique particulière et dramatique des enfants seuls demandeurs d’asile, dont le nombre signale fréquemment l’apparition de difficultés connexes, par exemple liées à la traite des êtres humains.

Dans une même logique, les études de terrain sur l’homophobie en Europe ont démontré que cette question dépassait très largement un traitement général appuyé sur la lutte contre la discrimination, en sollicitant tous les aspects des politiques européennes (droit à la libre circulation, par exemple des conjoints homosexuels, asile, mais aussi sport, média et éducation…). Les travaux de l’Agence ont ainsi permis au Parlement européen, qui les avait sollicités, de renoncer à l’édiction d’une directive générale et transversale au profit d’un traitement plus ciblé au sein des divers instruments existants.

■ Ce souci de recensement systématique et exhaustif rencontre la philosophie de l’Agence, soucieuse de privilégier une démarche de « conviction par la preuve » (evidence-based advisory), armée par des comparatifs rigoureux et la promotion des meilleures pratiques, à une posture dénonciatrice de tel ou tel Etat membre d’ailleurs vigoureusement prohibée par ses statuts.

Ainsi, par exemple, dans son rapport sur l’état des autorités de lutte contre la discrimination dans l’Union publié en mai 2010, l’Agence a choisi de dresser un comparatif détaillant précisément leurs pouvoirs, leur financement, leur accessibilité et de leurs indicateurs de résultats dans chacun des Etats membres en s’abstenant d’adopter des conclusions qui s’imposent d’elles-mêmes de la qualité du constat établi.

■ L’Agence a parallèlement mis en place des réseaux étendus lui permettant de nouer des liens pérennes et réguliers avec la société civile (grâce à une « plate-forme européenne des droits fondamentaux » qui réunit plus de trois cents participants de la société civile), avec les autorités gouvernementales des Etats membres (réseau des officiers de liaison, désignés en général au sein des ministères de la Justice) et avec les autorités consultatives et administratives des droits de l’homme. Un « comité de suivi des opinions » a par ailleurs été mis en place à Vienne pour contrôler les progrès effectués à partir des travaux de l’Agence.

b) Une coopération prometteuse avec le Conseil de l’Europe

L’expérience montre que les travaux de l’Agence ont été généralement menés en étroite concertation avec le Conseil de l’Europe.

■ Afin d’éviter tout doublon entre deux institutions dont les activités portent sur des domaines identiques, l’Agence et le Conseil de l’Europe ont en effet conclu, le 15 juillet 2008, un accord-cadre encourageant une étroite coopération.

Outre la représentation du Conseil de l’Europe au sein du conseil d’administration et du comité exécutif de l’Agence évoquée supra, l’accord prévoit ainsi que le Secrétaire général du premier et le directeur de la seconde désignent chacun dans leur institution une personne de référence chargée d’assurer une coordination permanente. Ils s’engagent par ailleurs à se consulter mutuellement sur leurs principaux projets (établissement du programme de travail annuel de l’Agence et rédaction de son rapport annuel) et peuvent décider de mener des activités conjointes (organisation de conférences et d’ateliers, collecte de données ou création et entretien d’une plate-forme commune de débats sur internet). Enfin, des échanges réguliers de personnels sont encouragés.

Cette coopération quotidienne, confirmée par l’ensemble des acteurs auditionnés par le rapporteur tant au Conseil de l’Europe qu’à l’Agence, est chapeautée par une réunion annuelle faisant le bilan de la coopération entre les deux institutions du Comité des ministres du Conseil de l’Europe avec les représentants du Conseil de l’Union et de la Commission.

■ En pratique, cette coopération a pris de multiples formes.

– En premier lieu, une communauté de vues s’est établie sur le choix des sujets explorés, reflétant une commune préoccupation de coller au plus près des difficultés concrètes expérimentées sur le terrain.

Ainsi, après s’être concentrée sur quelques thématiques générales (publication sur « le combat ethnique, la discrimination et la promotion de l’égalité » et rapport sur « le racisme et la xénophobie dans les pays membres de l’UE » en 2007) tout en exerçant efficacement, mais rarement, sa mission de conseil aux institutions de l’Union (avis sur les « progrès accomplis dans l’égalité des chances et la non-discrimination dans l’UE » sur la « proposition de décision cadre sur la lutte contre le racisme et la xénophobie » en 2007 puis sur « la proposition de décision cadre du Conseil sur l’utilisation de Passenger Name Record (PNR) » en 2008), l’Agence a pris le relais de quelques grands thèmes aussi étudiés par le Conseil de l’Europe, se concentrant sur les droits des enfants (publication en 2007 d’un rapport pour « développer des indicateurs sur la protection, le respect et la promotion des droits des enfants dans l’UE » tandis que le Conseil de l’Europe organisait une conférence sur « la justice internationale pour les enfants » et adoptait une recommandation sur les « enfants victimes : éradiquons toutes les formes de violence, d’exploitation et d’abus ») et des personnes handicapés.

Cette convergence est tout aussi manifeste sur la question des discriminations à l’égard des Roms, plusieurs campagnes de sensibilisation du Conseil de l’Europe (« dites non à la discrimination » ou « je suis une femme rom européenne ») ayant été suivies de la publication de deux rapports de l’Agence en 2009 et 2010 (« les conditions de logement de Roms dans les pays membres de l’UE »). Des cycles de conférences communes ont ensuite encouragé la tenue les 8 et 9 avril dernier à Cordoue d’un sommet européen sur la population rom.

– Dans l’ensemble, cette convergence des sujets ne s’est pas traduite par une redondance des travaux. Les valeurs ajoutées de l’Agence sont réelles, et profitent souvent au Conseil de l’Europe lui-même.

Ainsi, tout d’abord, ses moyens confortables lui offrent l’opportunité d’édifier, comme il a été vu supra, un appareil statistique d’une exceptionnelle qualité sur lequel peuvent ensuite s’appuyer les organes du Conseil.

Par exemple, le Conseil de l’Europe a choisi de se fonder sur les résultats obtenus par l’Agence dans les 27 Etats membres sur l’homophobie pour étendre leur champ à l’Europe des 47, en se contentant d’appliquer les mêmes méthodes aux 20 autres Etats parties non membres de l’Union, disposant ainsi d’indicateurs précis à l’échelle du continent pour un coût fortement diminué grâce aux travaux de l’Agence.

Ensuite, sur la base de ces études de terrain communes aux deux institutions, l’Agence retient une approche de plus en plus concrète et focalisée sur les solutions qu’est susceptible d’apporter l’Union européenne.

Ainsi, dans le cadre de ses travaux sur les Roms, a-t-elle été la première à suggérer que les fonds structurels européens soient fléchés en direction de ces populations gravement marginalisées dans leurs pays d’origine. Dans un même esprit, ses priorités actuelles de travail (protection des données personnelles, efficacité des autorités nationales de lutte contre les discriminations, profilage ethnique, etc.) s’inspirent très nettement de l’agenda des institutions de l’Union.

Une répartition des rôles implicites en émerge dans laquelle l’Agence explore un niveau de protection sans cesse plus élevé dans les domaines où l’Union peut agir, en déployant un travail préparatoire poussé, mais légitimement progressif, une étude durant en moyenne deux à trois années, tandis que le Conseil garantit à l’échelle du continent le respect rigoureux et ambitieux d’un stock incontestable de droits fondamentaux en assumant un rôle plus immédiatement politique et opérationnel.

Cette coopération n’est certes pas exempte de redondances lorsque l’une des institutions intervient dans un domaine dans lequel l’autre jouit d’une expertise manifeste.

Ainsi, par exemple, l’étude de l’Agence sur « les droits fondamentaux de personnes en incapacité intellectuelle et des personnes avec problème de santé mentale » menée en 2009 a repris sans réelles avancées les principales conclusions du plan d’action pour les personnes handicapées adopté par le Conseil de l’Europe dès 2006.

Toutefois, ce type de constat, lié aux inévitables ajustements d’une Agence façonnant progressivement son expertise, semble de plus en plus rare.

– En dernier lieu, les deux institutions se rencontrent pour concentrer leurs moyens dans une stratégie de communication complémentaire, en particulier afin de lutter contre les discriminations (« guide d’action pédagogique pour la diversité, la participation et les droits de l’homme » du Conseil de l’Europe en 2008 ou rapport sur l’« homophobie et les discriminations à raison de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre dans les Etats membres de l’Union » rédigé par l’Agence qui a aussi publié en 2010 un manuel sur la jurisprudence européenne en matière de non-discrimination).

3. Mieux faire de l’expertise de l’Agence un atout pour l’Union européenne comme pour le Conseil de l’Europe

■ Au total, comme le relève la résolution 1756 (2010) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 5 octobre 2010, sur le rapport de M. Boriss Cilevics, « l’Agence des droits fondamentaux et le Conseil de l’Europe ont mis en place des formes appropriées de coopération », utilisant « des outils différents dans la conduite de leurs activités courantes », les données et analyses factuelles fournies par l’Agence pouvant utilement « compléter les travaux entrepris par le Conseil de l’Europe ».

Il est vrai que la frontière entre les activités des deux institutions est poreuse et doit faire l’objet d’un suivi attentif.

Cela implique, d’un côté, que l’Agence veille à tenir pleinement compte des préoccupations et des travaux du Conseil lorsqu’elle définit sa stratégie pluriannuelle et qu’elle continue à utiliser les acquis de Strasbourg comme les références premières et principales de ses démarches.

En parallèle, le Conseil de l’Europe peut trouver dans l’Agence une nouvelle source d’expertise particulièrement utile, s’il parvient à mieux concentrer les travaux de ses divers organes afin, d’une voix claire et cohérente, de devenir le principal architecte de l’agenda des droits de l’homme en Europe.

■ Ici réside d’ailleurs un paradoxe étonnant. Il est apparu au rapporteur au fil de ses entretiens que les travaux de l’Agence étaient souvent bien mieux connus des divers acteurs du Conseil de l’Europe que des institutions de l’Union européenne elles-mêmes qu’elle a pourtant pour vocation d’éclairer.

Cela tient sans doute, d’une part, à la modestie de la couverture médiatique des travaux de l’Agence, contrepartie sans doute inéluctable de la prudence préméditée de ses conclusions.

– Il apparaît néanmoins nécessaire que la Commission européenne, le Conseil, et, dans une moindre mesure, le Parlement européen qui semble pour sa part avoir mieux saisie toutes les opportunités que recèle l’expertise de l’Agence, recourent plus fréquemment à ses compétences.

– Dans un même esprit, avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne qui place les droits fondamentaux au cœur des traités et qui autorise désormais l’Agence à s’exprimer sur les matières de coopération judiciaire pénale(14), il serait utile que l’Agence concentre une partie importante de ses activités sur la création des normes européennes.

Ainsi pourrait-elle plus directement suggérer aux autorités de l’Union des dispositifs précis de protection dans tous les domaines où l’Europe intervient (notamment, par exemple, dans l’articulation entre le marché unique et la lutte contre les discriminations), en tirant mieux partie de sa faculté d’émettre des avis de sa propre initiative.

■ De manière plus général, il semble que les travaux de l’Agence ne jouissent pas d’une audience à la hauteur de leur qualité.

– Sans doute devrait-elle jouer un rôle plus important dans la sensibilisation du public aux droits fondamentaux, selon des vecteurs de communication appropriés et moins étroitement destinés aux cénacles étroits des spécialistes.

– Mais de manière plus essentielle encore, le rapporteur estime indispensable qu’elle se rapproche, et qu’elle consulte plus fréquemment les gardiens séculiers et les artisans quotidiens de la protection des droits de l’homme que sont les parlements nationaux, dont les travaux pourraient très utilement être enrichis par la qualité statistique et analytique des instruments dont dispose désormais l’Agence de Vienne.

B. L’indispensable clarification des tâches entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe

Les conclusions que motive l’analyse objective des liens désormais solidement tissés entre l’Agence des droits fondamentaux et les organes du Conseil de l’Europe pourraient d’ailleurs opportunément inspirer le chantier plus vaste des relations entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe.

Le rapporteur est en effet convaincu que la culture de la complémentarité est en effet moins le fruit de procédures complexes et méfiantes que de démarches progressives et concrètes, assises sur quelques constats lucides :

– la force la plus précieuse est la capacité de façonner l’agenda, de définir les priorités de l’action. Peu importe ensuite qui contribue, et dans quelle proportion, à la réalisation des objectifs dès lors que ceux-ci sont adossés à une forte volonté politique. Ici, le Conseil de l’Europe, fort de son expérience incontournable et exemplaire, bénéficie d’atouts irremplaçables ;

– les deux institutions disposent aujourd’hui de compétences et de moyens très étroitement complémentaires.

L’Union européenne, bien sûr, bénéficie de la force de frappe financière et juridique, et peut s’appuyer sur son aptitude à décider que lui offre son homogénéité politique et ses procédures libérées du carcan de l’unanimité.

Mais le Conseil de l’Europe a pour lui son expérience incontournable dans le contrôle sourcilleux des engagements pris par les Etats en matière des droits et la tribune médiatique qui lui confère la Cour de Strasbourg et ses autres organes qui ont trouvé leur place dans les débats publics, comme le Commissaire aux droits de l’homme ou le comité de prévention de la torture.

Surtout, la cohérence géographique est de son côté, tant il est vrai que la résolution des principaux défis qui se posent aujourd’hui en matière de droit de l’homme, comme par exemple la traite des êtres humains, suppose de s’attaquer à leur racine et donc de pouvoir agir dans un cadre aussi vaste que possible.

1. Faire des institutions du Conseil de l’Europe les forums et les principaux protecteurs de la démocratie et des droits à l’échelle du continent

Dans cet esprit, le recentrage entamé des activités du Conseil de l’Europe sur sa vocation de développement et de protection des droits fondamentaux est bienvenu.

Pour tenir toutes ses promesses, il doit être relayé par une plus grande convergence, une forte hiérarchisation et une réelle visibilité des activités de ses différents organes, pour fixer des priorités claires et tirer partie d’un message fort adressé à l’opinion publique.

■ L’exemple du traitement des difficultés rencontrées par les Roms et les gens du voyage en Europe est, à cet égard, éclairant.

Le Conseil de l’Europe a en ces matières, en effet, joué depuis longtemps un rôle irremplaçable pour la promotion des droits de ces communautés marginalisées.

Son Comité des ministres a ainsi adopté deux recommandations décisives, la (2000)4 et la (2006)10, qui portent sur l’éducation des enfants et sur l’accès des Roms et des gens du voyage au système de santé, fixant clairement les priorités les plus urgentes pour l’intégration de ces populations.

En parallèle, il a mis en place un service dédié, la division des Roms et gens du voyage, pour mettre en œuvre une politique ciblée de protection des minorités, de lutte contre l’intolérance et de combat contre l’exclusion sociale, organisant de nombreux évènements et des campagnes d’information luttant efficacement contre les préjugés.

Un comité d’experts sur les Roms et les gens du voyage a parallèlement été institué en 1995 pour suivre la situation des Roms et des gens du voyage en Europe, analyser les politiques mises en œuvres au niveau national, apprécier l’efficacité et la postérité des recommandations du Comité des ministres et élaborer des lignes directrices, au besoin en publiant des avis publics dont le dernier, en 2005, concernait la situation des Roms au Kosovo.

Le Conseil de l’Europe a en outre noué un accord original de partenariat avec le Forum européen sur les Roms et gens du voyage, organisation de représentation des Roms en Europe.

Enfin, le comité européen des droits sociaux décrit supra constate régulièrement des violations de la Charte sociale à raison des difficultés particulières d’intégration des gens du voyage (logement, participation aux élections locales) ou des mesures d’expulsion prises par les Etats parties, la France notamment ayant fait l’objet, suite aux recommandations du comité saisi par le Centre européen des droits des Roms, d’une résolution critique adoptée par le Comité des ministres le 30 juin 2010.

L’expertise et l’expérience du Conseil de l’Europe sont ainsi absolument incontournables, et les pistes d’amélioration qu’il a dégagées patiemment forment, de l’avis unanime, les priorités les plus urgentes et les plus concrètes dont tous les acteurs européennes doivent se saisir.

Pour autant, en dépit de cet acquis et de ce potentiel remarquable, il aura fallu attendre les violentes polémiques de l’été 2010 pour que ces activités décisives rencontrent un écho médiatique et soient enfin relayées et approfondies par une impulsion politique à la hauteur des enjeux.

Ce n’est ainsi que le 20 octobre 2010 que la réunion des représentants « de haut niveau » des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe a dessiné un ambitieux programme, dit « déclaration de Strasbourg », à laquelle l’Union européenne elle-même s’est ralliée.

Par suite, le Conseil de l’Europe et l’Agence des droits fondamentaux ont même décidé, le 2 novembre dernier, de travailler en commun sur cette question, en se concentrant sur les suites à donner à la « déclaration de Strasbourg », et de faire de leur collaboration un « modèle pour la coopération interinstitutionnelle en Europe ».

■ Cet exemple éloquent, comme bien d’autres, montre sans ambiguïté que le Conseil de l’Europe a avant tout besoin aujourd’hui, plus que jamais, de trouver un nouvel élan politique.

– Il dispose des outils pour le faire émerger, qu’il s’agisse de son Comité des ministres, qui gagnerait à réunir réellement des ministres et non simplement, comme trop souvent, leurs représentants, et surtout de son Assemblée parlementaire, expression irremplaçable des démocraties européennes, et très opportunément engagée dans un effort de réforme que pilote aujourd’hui notre collègue M. Jean-Claude Mignon, député et président de la délégation française à l’APCE, en étroite complémentarité avec le plan d’action appliqué par le Secrétaire général du Conseil de l’Europe.

– Pour y parvenir, le rapporteur estime indispensable que l’institution se saisisse des vrais sujets pour débattre sans concession de la situation des droits de l’homme en Europe, comme le fait très régulièrement son Assemblée parlementaire, mais plus inégalement son Comité des ministres.

Ce choix dépend exclusivement du courage politique des acteurs.

Mais quelle autre enceinte que celle qui réunit désormais tous les Etats du continent, à l’exception de la Biélorussie, et rassemble dans de même forum l’Union européenne, la Russie et la Turquie, serait en capacité de le faire ?

– Ensuite, le Conseil de l’Europe pourrait utilement se doter d’un « grand moment » de débat, durant lequel, une fois l’an, le Comité des ministres puis l’Assemblée parlementaire discuteraient des grandes priorités des droits de l’homme et de la démocratie en Europe, en prenant soin de choisir quelques sujets précis exigeant une réponse immédiate des Etats, sans esquiver les questions non consensuelles.

– Ce débat pourrait ensuite être relayé au sein de l’Union européenne, par exemple par l’organisation, au plus près de la publication du rapport de la Commission européenne sur l’application de la Charte des droits fondamentaux décrit supra, d’un débat entre l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et le Parlement européen, à Strasbourg, afin de fixer les contours des missions de chacun dans la réalisation des objectifs communs.

2. Faire des travaux du Conseil de l’Europe la référence commune à la base des actions de l’Union et mieux s’appuyer sur son expérience en évidant toute redondance

En sens inverse, l’Union européenne doit veiller à donner toute sa place, nécessairement prééminente, aux travaux du Conseil de l’Europe.

– A cette fin, le rapport annuel sur l’application de la Charte des droits fondamentaux désormais rédigé par la Commission européenne devrait opportunément comporter un chapitre sur la convergence des travaux de l’Union et du Conseil de l’Europe.

– Dans un même esprit, l’ensemble des travaux préparatoires aux actes européens menés sur le front des droits fondamentaux par la Commission européenne doit faire toute sa place au bilan des actions du Conseil de l’Europe.

– Ce souci de complémentarité pourrait même aller jusqu’à l’introduction systématique, dans l’exposé des motifs des propositions d’actes européens concourant à l’objectif de protection et de concrétisation des droits fondamentaux, d’une section justifiant précisément les plus-values attendues de l’action de l’Union européenne par rapport aux acquis et aux travaux du Conseil de l’Europe, sur le modèle de la section consacrée au respect du principe de subsidiarité dans laquelle la Commission européenne précise en quoi l’action commune apporte une réelle valeur ajoutée au regard des politiques nationales.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 11 janvier 2011, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d’information.

« Le rapporteur. L’actualité nous en fournit malheureusement souvent la preuve, la protection des droits de l’homme est un combat sans répit, qui exige une détermination et une vigilance sans faille. Ainsi, sur les ruines de la barbarie du premier XXème siècle, la construction européenne a arrimé son destin à celui de la promotion des libertés et des principes inhérents à la dignité humaine. C’est depuis 1949 la vocation du Conseil de l’Europe, la « première » tentative d’édification d’une Europe unie. Mais c’est aussi une dimension essentielle de l’Union européenne, héritière de la « seconde » édification européenne de 1951, et qu’on aurait tort de croire, sous la pression de la crise et des replis identitaires, à l’abri des répugnantes tentations des extrémismes.

Dans ce contexte, il faut avoir à l’esprit l’une des innovations les plus importantes, mais malheureusement l’une des plus discrètes, du traité de Lisbonne. Forgeant de nouvelles armes sur le front des droits de l’homme, notre nouveau traité a en effet doté l’Union d’un arsenal de protection des droits et des principes fondamentaux d’une exceptionnelle qualité.

Il a en particulier accordé une valeur juridique équivalente à celle des traités à la Charte des droits fondamentaux proclamée à Nice en décembre 2000.

La portée de ce progrès doit certes être nuancé. Loin de toute rupture juridique, la Charte s’intègre dans une longue tradition respectueuse des droits de l’homme. Si la construction européenne a longtemps déployé ses racines dans les domaines économiques, ses juges de Luxembourg ont tôt veillé à soumettre les actes européens à de nombreux « principes généraux du droit », communs à tous les Etats membres, qu’ils ont progressivement identifiés. Le traité de Maastricht a figé cette jurisprudence dans le marbre des traités. Puis le traité d’Amsterdam, soumettant les pays candidats à une exigence d’irréprochabilité sur les droits de l’Homme, a introduit à l’encontre des Etats coupables d’une violation « grave et persistante » des valeurs européennes des sanctions rigoureuses, allant jusqu’à la privation des droits de vote, mais improbables, car soumises à l’unanimité.

Par ailleurs, la Charte ne crée aucun nouveau droit ex nihilo. Elle constitue à l’inverse une cristallisation des principes déjà consacrés dans les traditions et les textes antérieurs communs à tous les Etats membres.

Enfin, les droits et les principes qu’elle proclame ne s’imposent qu’aux institutions de l’Union et aux Etats membres seulement lorsqu’ils appliquent le droit européen, et non lorsqu’ils exercent leurs compétences nationales.

Ces réserves relatives à la portée des innovations introduites par le traité de Lisbonne ne doivent pas pour autant éclipser les deux principaux apports de la Charte.

Tout d’abord, pour la première fois dans l’Histoire, se trouvent rassemblés dans un seul document, aisément lisible et accessible, un ensemble ambitieux de droits civils, politiques, économiques et sociaux actualisés aux évolutions les plus récentes.

L’énoncé des droits civils et politiques modernisent ainsi les droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme en introduisant les droits dits de « nouvelle génération » : droit à l’intégrité physique et mentale, notamment face au clonage et à la médecine, droit à la protection des données personnelles, droits des consommateurs et des enfants.

La Charte égrène ensuite des droits économiques et sociaux très ambitieux, allant du droit syndical au droits d’accès aux services de l’emploi et à la sécurité sociale en passant par l’aide au logement ou le droit à des services sociaux. Certes, ces droits ne sont pas directement opposables aux autorités publiques. Cependant leur respect s’imposera dans les actes européens qui tendent à les concrétiser, les juges étant invités à leur donner un poids réel lorsque des recours mettent en balance des normes qui leur sont antagonistes.

C’est d’ailleurs le destin des déclarations des droits de l’homme, et la grande plus-value de la Charte. Elle porte en-elle la perspective d’une « vie propre », d’un dynamisme grâce auxquels des droits considérés comme bornés au moment de leur rédaction peuvent s’émanciper des interprétations restrictives, tant il est vrai, et heureux, qu’en matière de droits de l’homme « l’offre crée la demande ».

Le second avantage important de la Charte est qu’elle donne une nouvelle impulsion politique en plaçant les droits fondamentaux tout en haut de l’agenda européen.

Dans cette dynamique, le Parlement européen s’est montré déterminé à saisir ses nouveaux pouvoirs, comme celui d’approuver la conclusion des engagements internationaux dans le cas de Swift ou des PNR, pour défendre une conception exigeante des droits de l’homme.

Dans un même esprit, la Commission européenne, qui dispose désormais d’une Commissaire aux droits fondamentaux, Mme Reding, ayant en outre le statut de vice-présidente de la Commission, a affiché sa volonté de faire de la Charte « la boussole de toutes les politiques de l’Union ». Elle a ainsi décidé, dans sa communication du 20 octobre 2010, d’assortir toutes ses propositions d’une étude d’impact sur les droits fondamentaux et de rédiger un rapport annuel sur l’application de la Charte dans l’Union.

Toutefois, cette entrée en force de l’Union intervient dans un domaine déjà occupé, et avec un très net succès, par le Conseil de l’Europe.

L’aîné de la coopération européenne a en effet su édifier un dispositif de protection des droits d’une qualité, d’une expérience et d’une efficacité incontournables.

Son fleuron est évidemment la Convention européenne des droits de l’homme, dont on célèbre aujourd’hui le soixantième anniversaire, et sa Cour de Strasbourg qui s’est imposée, en matière de droits de l’homme, comme la Cour suprême incontestée de 800 millions de citoyens, développant une jurisprudence audacieuse solidement intégrée aux législations nationales.

Mais le Conseil de l’Europe a aussi institué de très nombreux mécanismes de contrôle et de suivi des droits, qui ont accoutumé à l’échelle du continent tout entier une surveillance permanente de l’état des droits de l’homme.

Citons, parmi les nombreux acteurs que j’ai rencontrés, la « Commission de Venise » qui diffuse le patrimoine constitutionnel européen dans le monde entier, la Commission pour la prévention de la torture, dont les rapports sans concession sur l’état des prisons sont désormais des rendez-vous réguliers de l’actualité, ou le Commissaire aux droits de l’homme, qui depuis 1999 exerce une magistrature morale en tirant parti de sa visibilité médiatique et de son accès aux plus hautes autorités des Etats.

Grâce à ces outils exceptionnels et au travail remarquable de son Assemblée parlementaire, forum démocratique du continent rassemblant les parlementaires de quarante-sept pays, dont notre collègue M. Jean-Claude Mignon préside avec talent la délégation française, le Conseil de l’Europe a ainsi joué un rôle décisif pour ancrer la démocratie et l’Etat de droit dans les nouvelles démocraties libérées de l’emprise soviétique.

Or, à peine sorti de cet « âge d’or » de l’après-1989, le Conseil de l’Europe doit maintenant affronter une nouvelle crise d’identité face au nouveau partenaire qu’est l’Union européenne, à la force de frappe financière et juridique sans égal. Chacun connaît en effet les faiblesses du Conseil.

Ses moyens, d’abord, sont très modestes. Son budget, gelé depuis 2005, ne dépasse pas 218 millions d’euros, soit 0,2 % des crédits consacrés par l’Union à la cohésion sociale ou 15 % du budget du seul Parlement européen. Ses procédures de décision, ensuite, sont souvent verrouillées par la rude contrainte de l’unanimité, lorsque Bruxelles dispose à l’inverse des moyens de trancher et d’agir vite. Enfin, le Conseil a pu accuser, au cours des années 90, une certaine dispersion de ses activités dans de trop nombreux domaines isolés, comme la culture ou l’éducation, dans lesquels il ne disposait pas toujours de la « masse critique » nécessaire, sans que ce constat ne s’étende d’ailleurs à ses activités les plus précieuses, comme la pharmacopée européenne.

Il n’en reste pas moins que le Conseil de l’Europe demeure « la » référence incontournable dans le domaine des droits de l’Homme grâce à la diversité de ses instruments, à son expérience et, surtout, à son emprise sur tout le continent.

Arrivant en second, l’Union européenne doit ainsi tenir pleinement compte des activités du Conseil, une trop forte étanchéité entre les deux institutions menant inéluctablement à la redondance, au risque d’affaiblir leurs actions réciproques, de contredire l’effort d’assainissement budgétaire que s’imposent tous les Etats européens, et, pire, de laisser émerger des doubles standards selon que l’on habite d’un côté ou de l’autre des frontières de l’Union.

Fort heureusement, mes travaux m’ont permis de constater que ce rapprochement indispensable des deux Europe des droits de l’homme est aujourd’hui en bonne voie. Il est vrai que le traité de Lisbonne parcourt la moitié du chemin en imposant que l’Union adhère à la Convention européenne des droits de l’homme. Il fournit ainsi l’opportunité d’une unification juridique de l’Europe des droits, en confiant à la Cour européenne des droits de l’homme la mission de veiller à ce que le droit européen, comme tous les droits nationaux, respecte toujours la conception exigeante qu’elle s’est faite des droits civils et politiques à la base de notre contrat social.

Cette adhésion, bien engagée grâce à l’adoption en juin dernier des mandats de négociation, prendra du temps, puisqu’elle sera suspendue à une ratification unanime dans les quarante-sept Etats du Conseil de l’Europe et de l’Union.

Elle suppose de lever des obstacles techniques importants pour protéger les spécificités du droit de l’Union européenne.

Je pense notamment au statut particulier des traités, si difficiles à modifier, comme nous sommes bien placés pour le savoir en France. Est-il opportun que la Cour de Strasbourg puisse censurer des dispositions des traités fondateurs et rouvrir ainsi la boîte de Pandore des négociations intergouvernementales ? Je ne le crois pas, et nous semblons nous orienter vers une solution plus satisfaisante grâce à laquelle ces textes fondamentaux feraient l’objet de « réserves » protectrices.

Mais je pense aussi au précieux monopole de la Cour de Luxembourg dans l’interprétation du droit européen, qui seul garantit la cohérence d’un droit appliqué au quotidien par les juges de 27 Etats aux traditions juridiques souvent différentes.

Dans un même esprit, l’existence de deux textes différents, la Charte et la Convention européenne, interprétés par deux Cours indépendantes, pourrait attiser des contradictions de jurisprudences. Le mieux, à mes yeux, est de s’en remettre à la qualité du dialogue entre les deux cours, en sauvegardant la prééminence de l’une, la Cour de Strasbourg, sur les droits communs aux deux textes.

Mais l’essentiel est ailleurs. Les droits n’ont de réalité que s’ils peuvent être aisément et rapidement défendus par les citoyens. A cet égard, le plus grand danger qui guette l’Europe des libertés est l’embolie des juridictions. La Cour de Strasbourg est aujourd’hui proche de l’asphyxie, en dépit des réformes récentes, faisant face à un stock de 120.000 affaires pendantes. La Cour de Luxembourg atteint à son tour l’extrême limite de ses capacités. Un effort de rationalisation devra être entrepris, sans lequel la confiance des citoyens menace d’être significativement érodée.

Cette unification juridique doit toutefois être complétée par un rapprochement des actions concrètes des deux organisations européennes.

Les craintes de redondance entre le Conseil et l’Union ont rencontré une incarnation presque caricaturale avec la création, en 2007, d’une Agence de l’Union européenne des droits fondamentaux dont les moyens budgétaires, avec 20 millions d’euros par ans, et humains, avec un staff de presque cent experts, contrastent durement avec la cure d’austérité que s’impose Strasbourg depuis de nombreuses années.

Notre commission avait alors vivement critiqué cette énième manifestation de l’« agenciarisation » de l’Europe par laquelle, au cours des dernières années, il n’est guère de crises ou même de volonté d’Etat d’accueillir une institution européenne qui n’ait rencontré en réponse l’institution d’une nouvelle Agence, nourrissant une inflation spectaculaire qui grève désormais 600 millions d’euros du budget européen.

Cette préoccupation à l’esprit, j’ai souhaité examiné de près les plus-values concrètes de l’Agence, en me rendant à Vienne et en interrogeant à son sujet tous mes interlocuteurs, tant à Strasbourg qu’à Bruxelles. Ces travaux m’ont permis de dégager quelques conclusions que j’espère consensuelles.

La qualité des travaux de l’Agence me semble tout d’abord absolument incontestable.

L’Agence a en effet su édifier, conformément à son statut, un appareil statistique exceptionnellement fouillé et précis, animé d’un souci constant d’emprise sur le terrain et de relations directs avec les personnes concernées.

La conviction de ses experts est en effet qu’une protection efficace des droits repose avant tout sur l’établissement de données pertinentes mesurant concrètement et régulièrement les principales difficultés rencontrées sur le terrain. Ces études exhaustives permettent de mieux cibler l’action publique. Ainsi, au cours de ses travaux sur les droits de l’enfant, l’Agence a pu identifier la problématique particulière des enfants seuls demandeurs d’asile, dont le nombre signale fréquemment l’apparition de difficultés connexes, par exemple liées à la traite des êtres humains.

Cette démarche technique est plus complémentaire que redondante avec celle du Conseil de l’Europe.

Elle l’est par nécessité, parce que Strasbourg ne dispose manifestement pas des moyens de mener des études d’une telle ampleur. Le commissaire au droit de l’homme m’a ainsi indiqué que les travaux de l’Agence lui offraient une considérable plus-value, en mettant à sa disposition un appareil statistique qu’il ne pourrait établir seul, lui-même se contentant d’en étendre les méthodes aux autres membres du Conseil.

Les démarches des deux institutions sont aussi complémentaires dans leur philosophie.

L’Agence privilégie une approche de « conviction par la preuve », armée par des comparatifs rigoureux et la promotion des meilleures pratiques, à une posture dénonciatrice de tel ou tel Etat que lui interdisent d’ailleurs ses statuts. Cette « modération » explique sans doute la modestie de sa couverture médiatique, qui peut nuire à sa légitimité mais certainement pas à la qualité de ses travaux.

A l’inverse, les organes du Conseil de l’Europe s’inscrivent dans une démarche beaucoup plus immédiatement politique et opérationnelle, tirant pleinement partie de leur visibilité médiatique.

De cette complémentarité spontanée est d’ailleurs né un mode de coopération à bien des égards exemplaire. Face aux réticences du Conseil de l’Europe, l’Union a veillé à étroitement associer Strasbourg au fonctionnement quotidien de l’Agence. Le Conseil est ainsi représenté au sein de son conseil d’administration et de son comité exécutif. Il participe à l’élaboration de son programme de travail annuel. Une personne de référence assure dans les deux organes une coopération permanente, tandis qu’une réunion annuelle du Comité des ministres de Strasbourg fait le bilan des actions entreprises.

Dans les faits, après une période d’ajustement, il semble qu’une véritable communauté de vue se soit établie tant sur le choix des sujets explorés que sur les modalités de leur traitement. Ainsi, par exemple, le Conseil et l’Agence ont décidé, le 2 novembre dernier, de travailler désormais en commun sur la question des Roms en se concentrant sur l’application des dispositions concrètes du plan d’action adopté le 20 octobre 2010 par les quarante-sept Etats du Conseil de l’Europe.

Il m’est même apparu, de manière paradoxale, que les travaux de l’Agence étaient souvent bien mieux connus des acteurs du Conseil de l’Europe que des institutions de Bruxelles elles-mêmes qu’elle a pourtant pour vocation d’éclairer !

Cette constatation motive d’ailleurs mes recommandations. Plutôt que de réclamer une bien improbable suppression d’une Agence au bilan flatteur, il me semble plus judicieux de renforcer encore ses liens avec le Conseil, qui dispose ainsi d’un nouvel outil, tout en invitant les institutions européennes, et nos parlements nationaux, à mieux recourir à cette expertise remarquable.

Cette expérience pourrait d’ailleurs opportunément inspirer le chantier plus vaste des relations entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe.

La culture de la complémentarité est en effet, à mes yeux, beaucoup moins le fruit de procédures tatillonnes que de démarches progressives et concrètes, assises sur quelques constats lucides. La force la plus précieuse est la capacité de façonner l’agenda, de définir les priorités. Ici, le Conseil de l’Europe, fort de son expérience, bénéficie d’atouts maîtres. Les deux Europe sont beaucoup plus complémentaires qu’on ne le dit trop souvent. A l’Union, certes, la force de frappe financière et juridique. Mais le Conseil dispose de ses propres forces : son expertise, unanimement reconnue, la tribune médiatique que lui congère sa Cour de Strasbourg et ses organes qui ont trouvé leur place dans le débat public ; surtout, la cohérence géographique est de son côté, tant il est vrai que les défis contemporains en matière de droits fondamentaux supposent aujourd’hui de s’attaquer à leurs racine.

Dès lors, chacun doit savoir se concentrer sur ses plus-values. Le Conseil de l’Europe doit ainsi, à mes yeux, retrouver un réel élan politique pour s’imposer comme « le » forum et « le » gardien des droits fondamentaux en Europe. Le courageux recentrage des activités engagé par son Secrétaire général va dans la bonne direction. Mais pour aller plus loin, ses Etats membres doivent mieux s’impliquer, par exemple en s’assurant que son Comité des ministres réunissent réellement des ministres, et non leurs simples représentants comme trop souvent, ou en veillant à ce qu’il se saisisse de vrais sujets pour débattre sans concession de la situation des droits de l’homme, comme le fait très régulièrement son Assemblée parlementaire. Ce renouveau serait utilement incarné par un « grand débat » annuel fixant les grandes priorités de l’agenda des droits et dénonçant les violations les plus manifestes, relayé par l’organisation d’une session commune entre l’Assemblée parlementaire du Conseil et le Parlement européen.

L’Union européenne, pour sa part, doit veiller à laisser toute sa place, nécessairement prééminente, aux travaux du Conseil de l’Europe, par exemple en consacrant un chapitre de son rapport annuel sur l’application de la Charte à l’état de convergence des travaux des deux institutions et en introduisant dans toutes les propositions européennes un considérant justifiant précisément les plus-values attendues de l’action de l’Union par rapport aux acquis du Conseil de l’Europe.

M. Pierre Forgues. Je souscris à ces principes. Ces organismes reposent principalement sur des principes déclaratifs. Je demeure cependant sceptique lorsque le rapporteur explique que la Charte européenne des droits fondamentaux aura, de par sa valeur juridique, un grand impact. L’on voit notamment bien comment, lorsque les saisines se multiplient, les juridictions se trouvent dans une situation impossible, telle que la CEDH dont vous venez de nous indiquer qu’elle doit faire face à quelques 120 000 dossiers en attente. La justice doit être rendue au niveau national. L’actualité récente nous a notamment démontré les difficultés auxquelles se heurte la presse en Hongrie, alors même que ce pays assure la présidence de l’Union européenne ! Que faire si la charte n’y est pas respectée ? Je souhaite que toute la fermeté nécessaire soit mise en œuvre pour résoudre ce problème car il serait inacceptable que le pays exerçant la présidence de l’Union ne respecte pas un droit aussi fondamental que la liberté de la presse.

Le rapporteur. Je pense que le nombre de recours auprès des juridictions européennes démontre bien le besoin des citoyens. Toutes les justices nationales ne sont pas au même niveau et les droits de l’homme ne sont pas défendus de manière identique dans tous les pays d’Europe. Bien sûr, les juges nationaux sont chargés de l’application du droit national et du droit européen. Mais la perspective d’une juridiction européenne est nécessaire car ce processus permet progressivement d’élever le niveau de défense des droits fondamentaux.

En ce qui concerne la présidence de l’Union européenne, nous avons été interpellés par la nouvelle législation hongroise sur la liberté de la presse. Si le processus de sanctions est lourd et relativement improbable, le Premier ministre hongrois a d’ores et déjà indiqué qu’il modifierait la loi si elle s’avérait non conforme au droit européen. Les pressions exercées porteront, espérons le, leurs fruits.

M. Jean-Claude Mignon. Je souhaite saluer le travail du rapporteur. Parler des droits fondamentaux en Europe est très important et il est heureux qu’Yves Bur se soit intéressé au rôle du Conseil de l’Europe et aux débats actuels sur ces questions. Le Conseil de l’Europe est la plus ancienne organisation paneuropéenne visant à éviter que les droits fondamentaux ne soient bafoués et à prévenir les conflits. Il accomplit parfaitement ses fonctions qui sont variées : ce ne sont pas seulement les droits de l’homme qui sont traités par le Conseil de l’Europe, son assemblée parlementaire, la CEDH, le Comité de prévention contre la torture et le commissaire européen des droits de l’homme. Leurs missions vont au-delà. Pourtant, son budget se réduit comme peau de chagrin, n’ayant pas été augmenté depuis 2005, et l’Union européenne a décidé de créer une agence des droits fondamentaux pour refaire ce que fait le Conseil de l’Europe. M. Prescott a dénoncé le fait qu’on ait créé cette agence pour faire plaisir aux Autrichiens. Il faut lire le rapport de notre collègue sénateur Denis Badré, parlementaire en mission, sur les agences européennes qui coûtent très cher.

Pas moins de vingt membres du Conseil de l’Europe n’appartiennent pas à l’Union européenne (citons la Russie, la Turquie et la Norvège) et ne comprennent pas cette gabegie alors que le Conseil de l’Europe dispose de services très compétents et d’une très grande expérience. En outre, le citoyen européen ne comprend pas la coexistence des deux cours de justice, dont il faudrait se demander si l’on a vraiment les moyens de les entretenir. On peut se demander si, au final, une seule cour devrait être maintenue. La CEDH, qui existe depuis cinquante ans, n’a plus les moyens de fonctionner alors qu’elle effectue un travail remarquable. Je crains que ce que le rapporteur appelle l’«Europe de Strasbourg » ne soit très fragilisée et la ville de Strasbourg elle-même est dans une situation difficile. Dans le même temps, la subvention de l’Union à l’agence des droits fondamentaux est passée de 15 millions d’euros en 2008 à 20 millions d’euros en 2010. Le poste des salaires et indemnités a progressé de 2,6 millions d’euros à 6,8 millions d’euros sur la même période et le budget atteindra 22 millions d’euros en 2012. Ses effectifs ont quasiment doublé de 2007 à 2010. Rappelons que le budget de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe est de 15 millions d’euros seulement.

En conclusion, il est vraiment maladroit d’avoir créé cette agence, vis-à-vis des membres du Conseil de l’Europe qui ne font pas partie de l’Union européenne. Le Conseil réalise très consciencieusement un travail de qualité. Rappelons aussi le rôle de la commission du monitoring créée en 1989 après la chute du mur de Berlin. L’Union de l’Europe Occidentale a récemment été supprimée car elle n’apparaissait pas importante aux yeux des Vingt-sept mais a-t-on réfléchi aux autres pays membres ? M. Pierre Lellouche, lorsqu’il était secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes, a reconnu que l’agence des droits fondamentaux est une agence de trop. Je suis moi-même très opposé à cette agence créée à grands frais et qui n’apporte aucune valeur ajoutée s’agissant de la protection des droits fondamentaux sur le continent européen.

Mme Pascale Gruny. Sur la Charte des droits fondamentaux, je peux dire, ayant été coordinatrice de la Commission des pétitions au Parlement européen, que le préambule de la Charte est rassurant avec sa mention du respect des compétences et des tâches de la Communauté et du principe de subsidiarité. Ce principe s’est par exemple appliqué à propos d’une pétition concernant la liberté de la presse en Roumanie et d’une autre concernant le respect du droit de propriété par la loi littoral en Espagne. Le principe de subsidiarité, c’est très bien mais quelle en est l’application concrète ?

Je rejoins Jean-Claude Mignon sur les deux cours de justice – où va-t-on ? – et sur les agences. Il faut arrêter leur multiplication. On avait demandé une augmentation du budget de l'Union européenne pour financer les nouvelles compétences créées par le traité de Lisbonne à côté des politiques communes agricole et régionale, et cette demande a été rejetée. Le contrôle budgétaire n’a d’ailleurs pas validé les comptes de certaines agences. Les conclusions du rapport s’achèvent au point 8 en considérant essentiel que le Conseil de l'Europe et l’Agence européenne des droits fondamentaux entreprennent plus régulièrement des missions communes, ce qui revient à souhaiter leur mutualisation avec des économies à la clé, car il faut faire attention à l’argent public. Je suis vraiment défavorable aux agences.

Le rapporteur. Les cours de justice sont le résultat d’une histoire. La Cour de justice de l'Union européenne a vocation à intégrer le droit européen dans le cadre de l'Union européenne mais pas au-delà de ses frontières. La Cour européenne des droits de l’homme a vocation à imposer le respect de la Convention européenne des droits de l’homme dont elle est issue. On ne peut pas réunir les deux cours parce qu’elles ne jugent pas la même chose. La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour l’application du droit européen aux vingt-sept Etats membres, la Cour européenne est compétente pour l’application de la Convention aux quarante-sept Etats membres du Conseil de l'Europe.

Il faut faire en sorte que la Cour européenne de Strasbourg soit la Cour européenne pour tout les droits communs à la CEDH et à la Charte, le « cœur » des droits fondamentaux, et que la Cour de justice de Luxembourg le soit pour l’interprétation du droit de l’Union européenne et des droits propres liés à la Charte des droits fondamentaux.

Il y a aujourd'hui une bonne entente entre les deux cours. J’ai ainsi pu constater sur le terrain que leurs relations étaient harmonieuses grâce à la prééminence reconnue à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg sur les droits et principes communs à la Charte et à la CEDH. Il y a une sorte de « gentlemen’s agreement » entre les deux cours pour reconnaître cet état de fait, l’avenir seul pouvant nous dire si ces bonnes pratiques doivent être formalisées dans des textes.

Le vrai problème est de limiter l’embouteillage des 120.000 affaires en cours devant la Cour de Strasbourg et peut-être faudra-t-il créer une structure préalable pour examiner la recevabilité d’un certain nombre de droits ou mettre en œuvre une automaticité dans le traitement d’affaires répétitives. Les procédures devant la Cour de Strasbourg sont de plus en plus lentes, nourrissant un stock énorme d’affaires pendantes. La Cour de Luxembourg atteint au même moment la limite de ses capacités avec environ 750 jugements par an. Ce risque d’asphyxie pose évidemment la question des moyens accordés aux deux juridictions.

Une autre vraie question est celle de l’Agence européenne des droits fondamentaux. Je me suis rendu à Vienne avec une solide méfiance à l’égard de cette énième Agence. Or paradoxalement, les jugements sévères exprimés par les politiques sont en totale contradiction avec l’expérience des techniciens, tant les experts de l’Agence que les acteurs du Conseil de l’europe, comme le Commissaire aux droits de l’homme, qui m’ont décrit le fonctionnement harmonieux de leur coopération et ont salué la qualité du travail de l’Agence.

Il faudra évidemment se poser la question de la multiplication des agences de l'Union européenne qui représentent globalement un budget de 600 millions d’euros, et il serait important que la Cour des comptes européenne se préoccupe du fonctionnement et de l’utilité de « l’agenciarisation » de plusieurs sujets.

En revanche, il me paraît délicat de réclamer la suppression de l’Agence, d’autant plus qu’il s’agit de droits de l’homme. Il faut plutôt veiller à organiser un travail plus étroit entre les organes, l’Agence permettant à bien des égards de suppléer aux moyens qui manquent au Conseil de l'Europe. Les ressources de l’Agence vont d’ailleurs se stabiliser après leur montée en puissance entre 2007 et 2012. Il faut instaurer un partenariat actif entre les deux institutions pour permettre à l’Agence de venir en appui du Conseil de l'Europe avec sa force de frappe financière. Cette complémentarité peut seule justifier le maintien de l’Agence, mais il ne faut pas oublier que les Etats n’en sont pas au point de donner directement de l’argent au Conseil de l'Europe.

Concernant l’adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme, le processus va être extrêmement lent car, si l'Union européenne a défini très rapidement son mandat de négociation, la négociation va prendre du temps du côté du Conseil de l'Europe. La ratification ensuite par chaque pays risque d’être l’occasion pour certains d’entre eux de négocier sur d’autres sujets connexes à la Convention européenne des droits de l’homme.

Je propose aussi que l'Union européenne ne se substitue pas aux Etats membres et que, dans le Comité des ministres où elle disposera d’un siège et d’un droit de vote, elle n’utilise ce droit que quand il s’agit du droit européen mais ne le revendique pas quand il s’agit de l’analyse des droits nationaux.

Le Président Pierre Lequiller. Je vais essayer de faire une proposition de compromis pour nos conclusions, prenant en compte les points de vue de chacun, notamment celui de Jean-Claude Mignon, différent de celui de notre rapporteur, sachant que les conclusions proposées par le rapporteur soulignent déjà les réserves sur la création de nombreuses agences, insistent sur les doubles emplois et vont ainsi dans le sens des préoccupations de Pascale Gruny et Jean-Claude Mignon. Le sens du rapport d’Yves Bur est de constater qu’une complémentarité s’est créée et que l’Agence est utile et très utilisée par le Conseil de l'Europe.

Pour concilier les points de vue, je propose qu’au point 8 sur le danger de chevauchement des activités, on insère, après « qu’il est par conséquent essentiel », les mots suivants : « , si l’Agence est maintenue dans l’avenir, ce qui mérite réflexion, ».

On observe ainsi le fonctionnement actuel, qui semble aller dans le bon sens mais on introduit l’idée que la question du maintien de l’Agence ne peut être éludée et doit donc être examinée à la lumière de l’expérience.

Je précise par ailleurs que j’ai demandé à Yves Bur de faire ce rapport à la demande de Jean-Claude Mignon quand il est entré à la Commission.

M. Jean-Claude Mignon. Que faites-vous de la Russie, de la Turquie et des autres pays hors de l'Union européenne et de l’importance du Conseil de l'Europe pour l’ensemble de ces Etats ?

Le rapporteur. Ce qui m’interpelle, c’est la différence d’analyse entre les politiques, l’Assemblée parlementaire, du Conseil de l'Europe notamment, et les techniciens du droit qui, eux, nous ont dit que ça marchait plutôt bien. Ce n’était pas par pure politesse, parce que nous sommes allés au fond des choses sans langue de bois. L’Agence apporte au Conseil et aux services du commissaire aux droits de l’homme une technicité qu’ils ne peuvent pas se payer et permet au Conseil d’avancer dans ses constats et ses recommandations.

M. Jean-Claude Mignon. Je suis chargé d’un rapport en vue de proposer des réformes du Conseil de l'Europe dans la ligne que les quarante-sept Etats membres ont demandée lors de l’élection du secrétaire général, et dans lequel je traite aussi de ce que nous venons d’évoquer. Je pense qu’il faut que nous soyons en phase et je suis d’accord avec la proposition du Président.

Je souhaiterais également une modification sur la phrase du rapport qui indique que l'Europe de Strasbourg et l'Europe de Bruxelles doivent désormais aller plus loin. Mettre l’accent sur les deux Europe me gêne et j’en parle devant un élu alsacien.

Le rapporteur. L’Agence ne se développera pas davantage à Vienne et la Cour de Strasbourg est le cœur du sujet, qu’il faut préserver et renforcer financièrement à l’avenir.

Mme Pascale Gruny. Il faut faire attention à ne pas opposer les deux Europe, celle de Bruxelles et celle de Strasbourg dans le corps du rapport. Il y a une économie locale et régionale à Strasbourg qu’il ne faut pas fragiliser alors qu’elle subit les fréquents assauts de ceux qui, au Parlement européen, demandent son repli vers Bruxelles, à chaque grève ou retard de train.

Le rapporteur. C’était l’esprit : l'Europe des droits de l’homme et l'Europe de l'Union européenne que l’on peut remplacer par le Conseil de l'Europe et l'Union européenne. »

Sur proposition du rapporteur, la Commission a ensuite adopté les conclusions dont le texte figure ci-après.

CONCLUSIONS ADOPTEES PAR LA COMMISSION

La Commission des affaires européennes,

Vu les articles 2, 6, 7 et 49 du traité sur l’Union européenne,

Vu le protocole (no 8) relatif à l’article 6, paragraphe 2, du traité sur l’Union européenne sur l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, annexé au traité de Lisbonne,

Vu la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales,

Vu la recommandation de décision du Conseil autorisant la Commission à négocier l’accord d’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (SEC [2010] 305 final),

Vu la communication de la Commission européenne sur la stratégie pour la mise en
œuvre effective de la Charte des droits fondamentaux par l’Union européenne (COM [2010] 0573),

Vu le mémorandum d’accord entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne (CM [2007] 74),

Vu les rapports d’activité et les rapports annuels de l’Agence européenne des droits fondamentaux,

1. Se félicite du renforcement de l’appareil de protection des droits fondamentaux de l’Union européenne avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, en particulier grâce à la valeur juridique, identique à celle des traités, conférée à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

2. Salue la volonté des institutions de l’Union européenne de placer la sauvegarde et la promotion des droits de l’homme et des libertés fondamentales au c
œur de leurs préoccupations, relevant en particulier l’engagement de la Commission européenne à mener une étude d’impact sur les droits garantis par la Charte pour toutes ses nouvelles propositions législatives ;

3. Rappelle toutefois que l’action décisive, l’expérience incontournable et la qualité des nombreux instruments et organes du Conseil de l’Europe pour protéger et promouvoir les droits de l’homme occupent une place nécessairement prééminente. Pour éviter l’apparition d’une Europe des droits à deux vitesses, et au moment où les Etats européens s’astreignent à un vigoureux effort d’assainissement budgétaire, il est plus nécessaire que jamais d’écarter tout risque de chevauchement entre les activités de l’Union et celles du Conseil de l’Europe ;

4. Salue dans ce contexte la perspective de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. A cet égard, la Commission :

a) Se félicite de l’engagement rapide des négociations d’adhésion ;

b) Estime essentiel que le futur accord respecte les spécificités juridiques de l’Union, conformément aux dispositions du protocole no 8 annexé au traité de Lisbonne, en particulier le monopole d’interprétation du droit de l’Union par la Cour de justice de l’Union européenne et le statut particulier du droit primaire tel qu’il résulte des traités, qui devra être préservé du contrôle de conventionalité effectué par la Cour européenne des droits de l’homme ;

c) Rappelle son attachement au principe d’accessibilité de la justice et au droit à un jugement dans un délai raisonnable, menacés par l’engorgement des juridictions européennes ;

5. Indique toutefois que l’unification juridique de l’Europe des droits de l’homme doit être complétée par la mise en place d’une intense coopération entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe. A cette fin :

a) Le Conseil de l’Europe, engagé dans un remarquable effort de réforme et de recentrage de ses activités sur la protection et la promotion des droits fondamentaux et des valeurs européennes, doit bénéficier d’une nouvelle dynamique politique passant notamment par une plus forte implication des autorités politiques des Etats membres dans les activités de ses divers organes ;

b) L’Union européenne, pour sa part, doit veiller à faire de l’action du Conseil de l’Europe la référence de base de tous ses travaux dans le domaine des droits de l’homme, en justifiant précisément les plus-values qu’elle entend apporter par rapport aux réalisations du Conseil de l’Europe et en dressant un bilan régulier de leur coopération, par exemple dans le rapport annuel établi par la Commission européenne sur l’application de la Charte des droits fondamentaux ;

c) Cette collaboration pourrait utilement être matérialisée par l’organisation d’un débat annuel commun sur l’état et l’agenda des droits de l’homme en Europe rassemblant le Parlement européen et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ;

6. Rappelle les réserves qu’elle avait formulées lors de la création de l’Agence européenne des droits fondamentaux, déplorant la multiplication des agences de l’Union européenne, dont le fonctionnement et les valeurs ajoutées concrètes doivent faire l’objet d’évaluations plus rigoureuses et régulières ;

7. Constate que les risques de double emploi entre l’Agence et les organes du Conseil de l’Europe ne se sont pas matérialisés jusqu’à présent, grâce à la mise en
œuvre de formes appropriées de coopération institutionnelle, à l’émergence d’une réelle culture de complémentarité et à la qualité des travaux de l’Agence, qui bénéficient aussi à l’action du Conseil de l’Europe ;

8. Estime néanmoins que le danger de chevauchement des activités demeure et qu’il est par conséquent essentiel, si l’Agence est maintenue à l’avenir, ce qui mérite réflexion, que l’acquis du Conseil de l’Europe en matière de protection des droits fondamentaux serve toujours de référence principale dans les travaux de l’Agence et que les deux organes entreprennent plus régulièrement des missions communes.

ANNEXES

ANNEXE 1 :
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR

1. A Paris

- M. Jean-Claude Mignon, député, président de la Délégation française à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

2. A Strasbourg

- M. Paul Dahan, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès du Conseil de l’Europe ;

- M. Thomas Hammarberg, commissaire aux droits de l’homme, au Conseil de l’Europe

- M. Philippe Boillat, directeur général des droits de l’homme et des affaires juridiques, au Conseil de l’Europe ;

- M. Jean-Paul Costa, président de la Cour européenne des droits de l’homme.

3. A Bruxelles

- MM. Martin Selmayr et Michael Shotter, respectivement chef de cabinet et conseiller en charge des droits fondamentaux, au sein cabinet de Mme Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne en charge de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté ;

- M. Pierre-Antoine Molina, conseiller juridique auprès de la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne ;

- M. Luis Romero Requena, directeur général du service juridique de la Commission européenne ;

- M. Ramon Jauregui Atondo, député européen, rapporteur sur les aspects institutionnels de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

4. A Vienne

- Mme Ilze Brands Kehris et M. Morten Kjaerum, respectivement présidente et directeur de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi que des experts de l’Agence.

ANNEXE 2 :
DISPOSITIONS DU TRAITE SUR L’UNION EUROPEENNE

Traité sur l’Union européenne

ARTICLE 6

1. L’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux du 7 décembre 2000, telle qu’adaptée le 12 décembre 2007, à Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités.

Les dispositions de la Charte n’étendent en aucune manière les compétences de l’Union telles que définies par les traités.

Les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte sont interprétés conformément aux dispositions générales du titre VII de la Charte régissant l’interprétation et l’application de celle-ci et en prenant dûment en considération les explications visées dans la Charte, qui indiquent les sources de ces dispositions.

2. L’Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Cette adhésion ne modifie pas les compétences de l’Union telles qu’elles sont définies dans les traités.

3. Les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux.

Protocole relatif à l’article 6, paragraphe 2,

du traité sur l’Union européenne sur l’adhésion de l’Union à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

LES HAUTES PARTIES CONTRACTANTES

SONT CONVENUES des dispositions ci-après, qui sont annexées au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne :

ARTICLE PREMIER

L’accord relatif à l’adhésion de l’Union à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (ci-après dénommée "Convention européenne"), prévue à l’article 6, paragraphe 2, du traité sur l’Union européenne, doit refléter la nécessité de préserver les caractéristiques spécifiques de l’Union et du droit de l’Union, notamment en ce qui concerne:

a) les modalités particulières de l’éventuelle participation de l’Union aux instances de contrôle de la Convention européenne;

b) les mécanismes nécessaires pour garantir que les recours formés par des États non membres et les recours individuels soient dirigés correctement contre les États membres et/ou l’Union, selon le cas.

ARTICLE 2

L’accord visé à l’article 1er doit garantir que l’adhésion de l’Union n’affecte ni les compétences de l’Union ni les attributions de ses institutions. Il doit garantir qu’aucune de ses dispositions n’affecte la situation particulière des États membres à l’égard de la Convention européenne, et notamment de ses protocoles, des mesures prises par les États membres par dérogation à la Convention européenne, conformément à son article 15, et des réserves à la Convention européenne formulées par les États membres conformément à son article 57.

ARTICLE 3

Aucune disposition de l’accord visé à l’article 1er ne doit affecter l’article 292 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

ANNEXE 3 :
CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX DE L’UNION EUROPEENNE

PRÉAMBULE

Les peuples d’Europe, en établissant entre eux une union sans cesse plus étroite, ont décidé de partager un avenir pacifique fondé sur des valeurs communes.

Consciente de son patrimoine spirituel et moral, l’Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité; elle repose sur le principe de la démocratie et le principe de l’État de droit. Elle place la personne au cœur de son action en instituant la citoyenneté de l’Union et en créant un espace de liberté, de sécurité et de justice.

L’Union contribue à la préservation et au développement de ces valeurs communes dans le respect de la diversité des cultures et des traditions des peuples d’Europe, ainsi que de l’identité nationale des États membres et de l’organisation de leurs pouvoirs publics aux niveaux national, régional et local; elle cherche à promouvoir un développement équilibré et durable et assure la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux, ainsi que la liberté d’établissement.

À cette fin, il est nécessaire, en les rendant plus visibles dans une Charte, de renforcer la protection des droits fondamentaux à la lumière de l’évolution de la société, du progrès social et des développements scientifiques et technologiques.

La présente Charte réaffirme, dans le respect des compétences et des tâches de l’Union, ainsi que du principe de subsidiarité, les droits qui résultent notamment des traditions constitutionnelles et des obligations internationales communes aux États membres, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, des Chartes sociales adoptées par l’Union et par le Conseil de l’Europe, ainsi que de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’Homme. Dans ce contexte, la Charte sera interprétée par les juridictions de l’Union et des États membres en prenant dûment en considération les explications établies sous l’autorité du praesidium de la Convention qui a élaboré la Charte et mises à jour sous la responsabilité du praesidium de la Convention européenne.

La jouissance de ces droits entraîne des responsabilités et des devoirs tant à l’égard d’autrui qu’à l’égard de la communauté humaine et des générations futures.

En conséquence, l’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés ci-après.

TITRE I

DIGNITÉ

ARTICLE 1 - Dignité humaine

La dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée.

ARTICLE 2 - Droit à la vie

1. Toute personne a droit à la vie.

2. Nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté.

ARTICLE 3 - Droit à l’intégrité de la personne

1. Toute personne a droit à son intégrité physique et mentale.

2. Dans le cadre de la médecine et de la biologie, doivent notamment être respectés:

a) le consentement libre et éclairé de la personne concernée, selon les modalités définies par la loi;

b) l’interdiction des pratiques eugéniques, notamment celles qui ont pour but la sélection des personnes;

c) l’interdiction de faire du corps humain et de ses parties, en tant que tels, une source de profit;

d) l’interdiction du clonage reproductif des êtres humains.

ARTICLE 4 - Interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants

Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

ARTICLE 5 - Interdiction de l’esclavage et du travail forcé

1. Nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude.

2. Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire.

3. La traite des êtres humains est interdite.

TITRE II

LIBERTÉS

ARTICLE 6 - Droit à la liberté et à la sûreté

Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté.

ARTICLE 7 - Respect de la vie privée et familiale

Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications.

ARTICLE 8 - Protection des données à caractère personnel

1. Toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant.

2. Ces données doivent être traitées loyalement, à des fins déterminées et sur la base du consentement de la personne concernée ou en vertu d’un autre fondement légitime prévu par la loi. Toute personne a le droit d’accéder aux données collectées la concernant et d’en obtenir la rectification.

3. Le respect de ces règles est soumis au contrôle d’une autorité indépendante.

ARTICLE 9 - Droit de se marier et droit de fonder une famille

Le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l’exercice.

ARTICLE 10 - Liberté de pensée, de conscience et de religion

1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. Le droit à l’objection de conscience est reconnu selon les lois nationales qui en régissent l’exercice.

ARTICLE 11 - Liberté d’expression et d’information

1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières.

2. La liberté des médias et leur pluralisme sont respectés.

ARTICLE 12 - Liberté de réunion et d’association

1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association à tous les niveaux, notamment dans les domaines politique, syndical et civique, ce qui implique le droit de toute personne de fonder avec d’autres des syndicats et de s’y affilier pour la défense de ses intérêts.

2. Les partis politiques au niveau de l’Union contribuent à l’expression de la volonté politique des citoyens de l’Union.

ARTICLE 13 - Liberté des arts et des sciences

Les arts et la recherche scientifique sont libres. La liberté académique est respectée.

ARTICLE 14 - Droit à l’éducation

1. Toute personne a droit à l’éducation, ainsi qu’à l’accès à la formation professionnelle et continue.

2. Ce droit comporte la faculté de suivre gratuitement l’enseignement obligatoire.

3. La liberté de créer des établissements d’enseignement dans le respect des principes démocratiques, ainsi que le droit des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses, philosophiques et pédagogiques, sont respectés selon les lois nationales qui en régissent l’exercice.

ARTICLE 15 - Liberté professionnelle et droit de travailler

1. Toute personne a le droit de travailler et d’exercer une profession librement choisie ou acceptée.

2. Tout citoyen de l’Union a la liberté de chercher un emploi, de travailler, de s’établir ou de fournir des services dans tout État membre.

3. Les ressortissants des pays tiers qui sont autorisés à travailler sur le territoire des États membres ont droit à des conditions de travail équivalentes à celles dont bénéficient les citoyens de l’Union.

ARTICLE 16 - Liberté d’entreprise

La liberté d’entreprise est reconnue conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales.

ARTICLE 17 - Droit de propriété

1. Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général.

2. La propriété intellectuelle est protégée.

ARTICLE 18 - Droit d’asile

Le droit d’asile est garanti dans le respect des règles de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés et conformément au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après dénommés "les traités").

ARTICLE 19 - Protection en cas d’éloignement, d’expulsion et d’extradition

1. Les expulsions collectives sont interdites.

2. Nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants.

TITRE III

ÉGALITÉ

ARTICLE 20 - Égalité en droit

Toutes les personnes sont égales en droit.

ARTICLE 21 - Non-discrimination

1. Est interdite toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.

2. Dans le domaine d’application des traités et sans préjudice de leurs dispositions particulières, toute discrimination exercée en raison de la nationalité est interdite.

ARTICLE 22 - Diversité culturelle, religieuse et linguistique

L’Union respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique.

ARTICLE 23 - Égalité entre femmes et hommes

L’égalité entre les femmes et les hommes doit être assurée dans tous les domaines, y compris en matière d’emploi, de travail et de rémunération.

Le principe de l’égalité n’empêche pas le maintien ou l’adoption de mesures prévoyant des avantages spécifiques en faveur du sexe sous-représenté.

ARTICLE 24 - Droits de l’enfant

1. Les enfants ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien-être. Ils peuvent exprimer leur opinion librement. Celle-ci est prise en considération pour les sujets qui les concernent, en fonction de leur âge et de leur maturité.

2. Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

3. Tout enfant a le droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt.

ARTICLE 25 - Droits des personnes âgées

L’Union reconnaît et respecte le droit des personnes âgées à mener une vie digne et indépendante et à participer à la vie sociale et culturelle.

ARTICLE 26 - Intégration des personnes handicapées

L’Union reconnaît et respecte le droit des personnes handicapées à bénéficier de mesures visant à assurer leur autonomie, leur intégration sociale et professionnelle et leur participation à la vie de la communauté.

TITRE IV

SOLIDARITÉ

ARTICLE 27 - Droit à l’information et à la consultation des travailleurs au sein de l’entreprise

Les travailleurs ou leurs représentants doivent se voir garantir, aux niveaux appropriés, une information et une consultation en temps utile, dans les cas et conditions prévus par le droit de l’Union et les législations et pratiques nationales.

ARTICLE 28 - Droit de négociation et d’actions collectives

Les travailleurs et les employeurs, ou leurs organisations respectives, ont, conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales, le droit de négocier et de conclure des conventions collectives aux niveaux appropriés et de recourir, en cas de conflits d’intérêts, à des actions collectives pour la défense de leurs intérêts, y compris la grève.

ARTICLE 29 - Droit d’accès aux services de placement

Toute personne a le droit d’accéder à un service gratuit de placement.

ARTICLE 30 - Protection en cas de licenciement injustifié

Tout travailleur a droit à une protection contre tout licenciement injustifié, conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales.

ARTICLE 31 - Conditions de travail justes et équitables

1. Tout travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité.

2. Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés.

ARTICLE 32 - Interdiction du travail des enfants et protection des jeunes au travail

Le travail des enfants est interdit. L’âge minimal d’admission au travail ne peut être inférieur à l’âge auquel cesse la période de scolarité obligatoire, sans préjudice des règles plus favorables aux jeunes et sauf dérogations limitées.

Les jeunes admis au travail doivent bénéficier de conditions de travail adaptées à leur âge et être protégés contre l’exploitation économique ou contre tout travail susceptible de nuire à leur sécurité, à leur santé, à leur développement physique, mental, moral ou social ou de compromettre leur éducation.

ARTICLE 33 - Vie familiale et vie professionnelle

1. La protection de la famille est assurée sur le plan juridique, économique et social.

2. Afin de pouvoir concilier vie familiale et vie professionnelle, toute personne a le droit d’être protégée contre tout licenciement pour un motif lié à la maternité, ainsi que le droit à un congé de maternité payé et à un congé parental à la suite de la naissance ou de l’adoption d’un enfant.

ARTICLE 34 - Sécurité sociale et aide sociale

1. L’Union reconnaît et respecte le droit d’accès aux prestations de sécurité sociale et aux services sociaux assurant une protection dans des cas tels que la maternité, la maladie, les accidents du travail, la dépendance ou la vieillesse, ainsi qu’en cas de perte d’emploi, selon les règles établies par le droit de l’Union et les législations et pratiques nationales.

2. Toute personne qui réside et se déplace légalement à l’intérieur de l’Union a droit aux prestations de sécurité sociale et aux avantages sociaux, conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales.

3. Afin de lutter contre l’exclusion sociale et la pauvreté, l’Union reconnaît et respecte le droit à une aide sociale et à une aide au logement destinées à assurer une existence digne à tous ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, selon les règles établies par le droit de l’Union et les législations et pratiques nationales.

ARTICLE 35 - Protection de la santé

Toute personne a le droit d’accéder à la prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux dans les conditions établies par les législations et pratiques nationales. Un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union.

ARTICLE 36 - Accès aux services d’intérêt économique général

L’Union reconnaît et respecte l’accès aux services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les législations et pratiques nationales, conformément aux traités, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l’Union.

ARTICLE 37 - Protection de l’environnement

Un niveau élevé de protection de l’environnement et l’amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans les politiques de l’Union et assurés conformément au principe du développement durable.

ARTICLE 38 - Protection des consommateurs

Un niveau élevé de protection des consommateurs est assuré dans les politiques de l’Union.

TITRE V

CITOYENNETÉ

ARTICLE 39 - Droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen

1. Tout citoyen de l’Union a le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen dans l’État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État.

2. Les membres du Parlement européen sont élus au suffrage universel direct, libre et secret.

ARTICLE 40 - Droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales

Tout citoyen de l’Union a le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales dans l’État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État.

ARTICLE 41 - Droit à une bonne administration

1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l’Union.

2. Ce droit comporte notamment:

a) le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre;

b) le droit d’accès de toute personne au dossier qui la concerne, dans le respect des intérêts légitimes de la confidentialité et du secret professionnel et des affaires;

c) l’obligation pour l’administration de motiver ses décisions.

3. Toute personne a droit à la réparation par l’Union des dommages causés par les institutions, ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres.

4. Toute personne peut s’adresser aux institutions de l’Union dans une des langues des traités et doit recevoir une réponse dans la même langue.

ARTICLE 42 - Droit d’accès aux documents

Tout citoyen de l’Union ainsi que toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État membre a un droit d’accès aux documents des institutions, organes et organismes de l’Union, quel que soit leur support.

ARTICLE 43 - Médiateur européen

Tout citoyen de l’Union ainsi que toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État membre a le droit de saisir le médiateur européen de cas de mauvaise administration dans l’action des institutions, organes ou organismes de l’Union, à l’exclusion de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’exercice de ses fonctions juridictionnelles.

ARTICLE 44 - Droit de pétition

Tout citoyen de l’Union ainsi que toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État membre a le droit de pétition devant le Parlement européen.

ARTICLE 45 - Liberté de circulation et de séjour

1. Tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.

2. La liberté de circulation et de séjour peut être accordée, conformément aux traités, aux ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire d’un État membre.

ARTICLE 46 - Protection diplomatique et consulaire

Tout citoyen de l’Union bénéficie, sur le territoire d’un pays tiers où l’État membre dont il est ressortissant n’est pas représenté, de la protection des autorités diplomatiques et consulaires de tout État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État.

TITRE VI

JUSTICE

ARTICLE 47 - Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial

Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter.

Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l’effectivité de l’accès à la justice.

ARTICLE 48 - Présomption d’innocence et droits de la défense

1. Tout accusé est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

2. Le respect des droits de la défense est garanti à tout accusé.

ARTICLE 49 - Principes de légalité et de proportionnalité des délits et des peines

1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou le droit international. De même, il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit une peine plus légère, celle-ci doit être appliquée.

2. Le présent article ne porte pas atteinte au jugement et à la punition d’une personne coupable d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d’après les principes généraux reconnus par l’ensemble des nations.

3. L’intensité des peines ne doit pas être disproportionnée par rapport à l’infraction.

ARTICLE 50 - Droit à ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction

Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi.

TITRE VII

DISPOSITIONS GÉNÉRALES RÉGISSANT L’INTERPRÉTATION
ET L’APPLICATION DE LA CHARTE

ARTICLE 51 - Champ d’application

1. Les dispositions de la présente Charte s’adressent aux institutions, organes et organismes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l’application, conformément à leurs compétences respectives et dans le respect des limites des compétences de l’Union telles qu’elles lui sont conférées dans les traités.

2. La présente Charte n’étend pas le champ d’application du droit de l’Union au-delà des compétences de l’Union, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles pour l’Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies dans les traités.

ARTICLE 52 - Portée et interprétation des droits et des principes

1. Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.

2. Les droits reconnus par la présente Charte qui font l’objet de dispositions dans les traités s’exercent dans les conditions et limites définies par ceux-ci.

3. Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue.

4. Dans la mesure où la présente Charte reconnaît des droits fondamentaux tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, ces droits doivent être interprétés en harmonie avec lesdites traditions.

5. Les dispositions de la présente Charte qui contiennent des principes peuvent être mises en œuvre par des actes législatifs et exécutifs pris par les institutions, organes et organismes de l’Union, et par des actes des États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, dans l’exercice de leurs compétences respectives. Leur invocation devant le juge n’est admise que pour l’interprétation et le contrôle de la légalité de tels actes.

6. Les législations et pratiques nationales doivent être pleinement prises en compte comme précisé dans la présente Charte.

7. Les explications élaborées en vue de guider l’interprétation de la présente Charte sont dûment prises en considération par les juridictions de l’Union et des États membres.

ARTICLE 53 - Niveau de protection

Aucune disposition de la présente Charte ne doit être interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et libertés fondamentales reconnus, dans leur champ d’application respectif, par le droit de l’Union, le droit international et les conventions internationales auxquelles sont parties l’Union, ou tous les États membres, et notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ainsi que par les constitutions des États membres.

ARTICLE 54 - Interdiction de l’abus de droit

Aucune des dispositions de la présente Charte ne doit être interprétée comme impliquant un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Charte ou à des limitations plus amples des droits et libertés que celles qui sont prévues par la présente Charte.

ANNEXE 4 :
CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME
ET DES LIBERTES FONDAMENTALES


telle qu’amendée par les Protocoles no 11 et no 14

Ces pages comprennent le texte de la Convention telle qu’amendée par son Protocole no 14 (STCE no 194) à compter de la date de son entrée en vigueur le 1er juin 2010.

Le texte de la Convention avait été précédemment amendé conformément aux dispositions du Protocole no 3 (STE no 45), entré en vigueur le 21 septembre 1970, du Protocole no 5 (STE no 55), entré en vigueur le 20 décembre 1971, et du Protocole no 8 (STE no 118), entré en vigueur le 1er janvier 1990, et comprenait en outre le texte du Protocole no 2 (STE no 44) qui, conformément à son article 5, paragraphe 3, avait fait partie intégrante de la Convention depuis son entrée en vigueur le 21 septembre 1970. Toutes les dispositions qui avaient été amendées ou ajoutées par ces Protocoles avaient été remplacées par le Protocole no 11 (STE no 155), à compter de la date de son entrée en vigueur le 1er novembre 1998. A compter de cette date, le Protocole no 9 (STE no 140), entré en vigueur le 1er octobre 1994, avait été abrogé et le Protocole no 10 (STE no 146) était devenu sans objet.

*

* *

Les gouvernements signataires, membres du Conseil de l’Europe,

Considérant la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, proclamée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948 ;

Considérant que cette déclaration tend à assurer la reconnaissance et l’application universelles et effectives des droits qui y sont énoncés ;

Considérant que le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres, et que l’un des moyens d’atteindre ce but est la sauvegarde et le développement des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Réaffirmant leur profond attachement à ces libertés fondamentales qui constituent les assises mêmes de la justice et de la paix dans le monde et dont le maintien repose essentiellement sur un régime politique véritablement démocratique, d’une part, et, d’autre part, sur une conception commune et un commun respect des droits de l’homme dont ils se réclament ;

Résolus, en tant que gouvernements d’Etats européens animés d’un même esprit et possédant un patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit, à prendre les premières mesures propres à assurer la garantie collective de certains des droits énoncés dans la Déclaration universelle,

Sont convenus de ce qui suit:

Article 1 – Obligation de respecter les droits de l’homme

Les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente Convention:

Titre I

Droits et libertés

Article 2 – Droit à la vie

1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

2. La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :

a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;

b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ;

c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection.

Article 3 – Interdiction de la torture

Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

Article 4 – Interdiction de l’esclavage et du travail forcé

1. Nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude.

2. Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire.

3. N’est pas considéré comme «travail forcé ou obligatoire» au sens du présent article :

a) tout travail requis normalement d’une personne soumise à la détention dans les conditions prévues par l’article 5 de la présente Convention, ou durant sa mise en liberté conditionnelle ;

b) tout service de caractère militaire ou, dans le cas d’objecteurs de conscience dans les pays où l’objection de conscience est reconnue comme légitime, à un autre service à la place du service militaire obligatoire ;

c) tout service requis dans le cas de crises ou de calamités qui menacent la vie ou le bien-être de la communauté ;

d) tout travail ou service formant partie des obligations civiques normales.

Article 5 – Droit à la liberté et à la sûreté

1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;

b) s’il a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ;

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

d) s’il s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité compétente ;

e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

2. Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.

3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation.

Article 6 – Droit à un procès équitable

1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3. Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience.

Article 7 – Pas de peine sans loi

1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise.

2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d’une personne coupable d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d’après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées.

Article 8 – Droit au respect de la vie privée et familiale

1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

Article 9 – Liberté de pensée, de conscience et de religion

1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

Article 10 – Liberté d’expression

1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.

Article 11 – Liberté de réunion et d’association

1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’Etat.

Article 12 – Droit au mariage

A partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit.

Article 13 – Droit à un recours effectif

Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles.

Article 14 – Interdiction de discrimination

La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.

Article 15 – Dérogation en cas d’état d’urgence

1. En cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie contractante peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où la situation l’exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international.

2. La disposition précédente n’autorise aucune dérogation à l’article 2, sauf pour le cas de décès résultant d’actes licites de guerre, et aux articles 3, 4 (paragraphe 1) et 7.

3. Toute Haute Partie contractante qui exerce ce droit de dérogation tient le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe pleinement informé des mesures prises et des motifs qui les ont inspirées. Elle doit également informer le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe de la date à laquelle ces mesures ont cessé d’être en vigueur et les dispositions de la Convention reçoivent de nouveau pleine application.

Article 16 – Restrictions à l’activité politique des étrangers

Aucune des dispositions des articles 10, 11 et 14 ne peut être considérée comme interdisant aux Hautes Parties contractantes d’imposer des restrictions à l’activité politique des étrangers.

Article 17 – Interdiction de l’abus de droit

Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite Convention.

Article 18 – Limitation de l’usage des restrictions aux droits

Les restrictions qui, aux termes de la présente Convention, sont apportées auxdits droits et libertés ne peuvent être appliquées que dans le but pour lequel elles ont été prévues.

Titre II

Cour européenne des Droits de l’Homme

Article 19 – Institution de la Cour

Afin d’assurer le respect des engagements résultant pour les Hautes Parties contractantes de la présente Convention et de ses protocoles, il est institué une Cour européenne des Droits de l’Homme, ci-dessous nommée «la Cour». Elle fonctionne de façon permanente.

Article 20 – Nombre de juges

La Cour se compose d’un nombre de juges égal à celui des Hautes Parties contractantes.

Article 21 – Conditions d’exercice des fonctions

1. Les juges doivent jouir de la plus haute considération morale et réunir les conditions requises pour l’exercice de hautes fonctions judiciaires ou être des jurisconsultes possédant une compétence notoire.

2. Les juges siègent à la Cour à titre individuel.

3. Pendant la durée de leur mandat, les juges ne peuvent exercer aucune activité incompatible avec les exigences d’indépendance, d’impartialité ou de disponibilité requise par une activité exercée à plein temps; toute question soulevée en application de ce paragraphe est tranchée par la Cour.

Article 22 – Election des juges 1

Les juges sont élus par l’Assemblée parlementaire au titre de chaque Haute Partie contractante, à la majorité des voix exprimées, sur une liste de trois candidats présentés par la Haute Partie contractante.

Article 23 – Durée du mandat et révocation 2

1. Les juges sont élus pour une durée de neuf ans. Ils ne sont pas rééligibles.

2. Le mandat des juges s’achève dès qu’ils atteignent l’âge de 70 ans.

3. Les juges restent en fonction jusqu’à leur remplacement. Ils continuent toutefois de connaître des affaires dont ils sont déjà saisis.

4. Un juge ne peut être relevé de ses fonctions que si les autres juges décident, à la majorité des deux tiers, que ce juge a cessé de répondre aux conditions requises.

Article 24 – Greffe et rapporteurs 2

1. La Cour dispose d’un greffe dont les tâches et l’organisation sont fixées par le règlement de la Cour.

2. Lorsqu’elle siège en formation de juge unique, la Cour est assistée de rapporteurs qui exercent leurs fonctions sous l’autorité du président de la Cour. Ils font partie du greffe de la Cour.

Article 25 – Assemblée pléniaire 2

La Cour réunie en Assemblée plénière :

a) élit, pour une durée de trois ans, son président et un ou deux vice-présidents; ils sont rééligibles ;

b) constitue des Chambres pour une période déterminée ;

c) élit les présidents des Chambres de la Cour, qui sont rééligibles ;

d) adopte le règlement de la Cour ;

e) élit le greffier et un ou plusieurs greffiers adjoints ;

f) fait toute demande au titre de l’article 26, paragraphe 2.

Article 26 – Formations de juge unique, comités, Chambres et Grande chambre 2

1. Pour l’examen des affaires portées devant elle, la Cour siège en formations de juge unique, en comités de trois juges, en Chambres de sept juges et en une Grande Chambre de dix-sept juges. Les Chambres de la Cour constituent les comités pour une période déterminée.

2. A la demande de l’Assemblée plénière de la Cour, le Comité des Ministres peut, par une décision unanime et pour une période déterminée, réduire à cinq le nombre de juges des Chambres.

3. Un juge siégeant en tant que juge unique n’examine aucune requête introduite contre la Haute Partie contractante au titre de laquelle ce juge a été élu.

4. Le juge élu au titre d’une Haute Partie contractante partie au litige est membre de droit de la Chambre et de la Grande Chambre. En cas d’absence de ce juge, ou lorsqu’il n’est pas en mesure de siéger, une personne choisie par le président de la Cour sur une liste soumise au préalable par cette Partie siège en qualité de juge.

5. Font aussi partie de la Grande Chambre, le président de la Cour, les vice-présidents, les présidents des Chambres et d’autres juges désignés conformément au règlement de la Cour. Quand l’affaire est déférée à la Grande Chambre en vertu de l’article 43, aucun juge de la Chambre qui a rendu l’arrêt ne peut y siéger, à l’exception du président de la Chambre et du juge ayant siégé au titre de la Haute Partie contractante intéressée.

Article 27 – Compétence des juges uniques 3

1. Un juge unique peut déclarer une requête introduite en vertu de l’article 34 irrecevable ou la rayer du rôle lorsqu’une telle décision peut être prise sans examen complémentaire.

2. La décision est définitive.

3. Si le juge unique ne déclare pas une requête irrecevable ou ne la raye pas du rôle, ce juge la transmet à un comité ou à une Chambre pour examen complémentaire. »

Article 28 – Compétence des comités 4

1. Un comité saisi d’une requête individuelle introduite en vertu de l’article 34 peut, par vote unanime,

a) la déclarer irrecevable ou la rayer du rôle lorsqu’une telle décision peut être prise sans examen complémentaire ; ou

b) la déclarer recevable et rendre conjointement un arrêt sur le fond lorsque la question relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses Protocoles qui est à l’origine de l’affaire fait l’objet d’une jurisprudence bien établie de la Cour.

2. Les décisions et arrêts prévus au paragraphe 1 sont définitifs.

3. Si le juge élu au titre de la Haute Partie contractante partie au litige n’est pas membre du comité, ce dernier peut, à tout moment de la procédure, l’inviter à siéger en son sein en lieu et place de l’un de ses membres, en prenant en compte tous facteurs pertinents, y compris la question de savoir si cette Partie a contesté l’application de la procédure du paragraphe 1.b.

Article 29 – Décisions des Chambres sur la recevabilité et le fond 1

1. Si aucune décision n’a été prise en vertu des articles 27 ou 28, ni aucun arrêt rendu en vertu de l’article 28, une Chambre se prononce sur la recevabilité et le fond des requêtes individuelles introduites en vertu de l’article 34. La décision sur la recevabilité peut être prise de façon séparée.

2. Une Chambre se prononce sur la recevabilité et le fond des requêtes étatiques introduites en vertu de l’article 33. Sauf décision contraire de la Cour dans des cas exceptionnels, la décision sur la recevabilité est prise séparément.

Article 30 – Dessaisissement en faveur de la Grande Chambre

Si l’affaire pendante devant une Chambre soulève une question grave relative à l’interprétation de la Convention ou de ses protocoles, ou si la solution d’une question peut conduire à une contradiction avec un arrêt rendu antérieurement par la Cour, la Chambre peut, tant qu’elle n’a pas rendu son arrêt, se dessaisir au profit de la Grande Chambre, à moins que l’une des parties ne s’y oppose.

Article 31 – Attributions de la Grande Chambre 1

La Grande Chambre :

a) se prononce sur les requêtes introduites en vertu de l’article 33 ou de l’article 34 lorsque l’affaire lui a été déférée par la Chambre en vertu de l’article 30 ou lorsque l’affaire lui a été déférée en vertu de l’article 43 ;

b) se prononce sur les questions dont la Cour est saisie par le Comité des Ministres en vertu de l’article 46, paragraphe 4 ; et

c) examine les demandes d’avis consultatifs introduites en vertu de l’article 47.

Article 32 – Compétence de la Cour 1

1. La compétence de la Cour s’étend à toutes les questions concernant l’interprétation et l’application de la Convention et de ses protocoles qui lui seront soumises dans les conditions prévues par les articles 33, 34, 46 et 47.

2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide.

Article 33 – Affaires interétatiques

Toute Haute Partie contractante peut saisir la Cour de tout manquement aux dispositions de la Convention et de ses protocoles qu’elle croira pouvoir être imputé à une autre Haute Partie contractante.

Article 34 – Requêtes individuelles

La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit.

Article 35 – Conditions de recevabilité 1

1. La Cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes, tel qu’il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus, et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive.

2. La Cour ne retient aucune requête individuelle introduite en application de l’article 34, lorsque

a) elle est anonyme ; ou

b) elle est essentiellement la même qu’une requête précédemment examinée par la Cour ou déjà soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et si elle ne contient pas de faits nouveaux.

3. La Cour déclare irrecevable toute requête individuelle introduite en application de l’article 34 lorsqu’elle estime :

a) que la requête est incompatible avec les dispositions de la Convention ou de ses Protocoles, manifestement mal fondée ou abusive ; ou

b) que le requérant n’a subi aucun préjudice important, sauf si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles exige un examen de la requête au fond et à condition de ne rejeter pour ce motif aucune affaire qui n’a pas été dûment examinée par un tribunal interne.

4. La Cour rejette toute requête qu’elle considère comme irrecevable par application du présent article. Elle peut procéder ainsi à tout stade de la procédure.

Article 36 – Tierce intervention 1

1. Dans toute affaire devant une Chambre ou la Grande Chambre, une Haute Partie contractante dont un ressortissant est requérant a le droit de présenter des observations écrites et de prendre part aux audiences.

2. Dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, le président de la Cour peut inviter toute Haute Partie contractante qui n’est pas partie à l’instance ou toute personne intéressée autre que le requérant à présenter des observations écrites ou à prendre part aux audiences.

3. Dans toute affaire devant une Chambre ou la Grande Chambre, le Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe peut présenter des observations écrites et prendre part aux audiences.

Article 37 – Radiation

1. A tout moment de la procédure, la Cour peut décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances permettent de conclure :

a) que le requérant n’entend plus la maintenir; ou

b) que le litige a été résolu; ou

c) que, pour tout autre motif dont la Cour constate l’existence, il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête.

Toutefois, la Cour poursuit l’examen de la requête si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses protocoles l’exige.

2. La Cour peut décider la réinscription au rôle d’une requête lorsqu’elle estime que les circonstances le justifient.

Article 38 – Examen contradictoire de l’affaire 4

La Cour examine l’affaire de façon contradictoire avec les représentants des parties et, s’il y a lieu, procède à une enquête pour la conduite efficace de laquelle les Hautes Parties contractantes intéressées fourniront toutes facilités nécessaires.

Article 39 – Règlements amiables 4

1. A tout moment de la procédure, la Cour peut se mettre à la disposition des intéressés en vue de parvenir à un règlement amiable de l’affaire s’inspirant du respect des droits de l’homme tels que les reconnaissent la Convention et ses Protocoles.

2. La procédure décrite au paragraphe 1 est confidentielle.

3. En cas de règlement amiable, la Cour raye l’affaire du rôle par une décision qui se limite à un bref exposé des faits et de la solution adoptée.

4. Cette décision est transmise au Comité des Ministres qui surveille l’exécution des termes du règlement amiable tels qu’ils figurent dans la décision.

Article 40 – Audience publique et accès aux documents

1. L’audience est publique à moins que la Cour n’en décide autrement en raison de circonstances exceptionnelles.

2. Les documents déposés au greffe sont accessibles au public à moins que le président de la Cour n’en décide autrement.

Article 41 – Satisfaction équitable

Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable.

Article 42 – Arrêts des Chambres

Les arrêts des Chambres deviennent définitifs conformément aux dispositions de l’article 44, paragraphe 2.

Article 43 – Renvoi devant la Grande Chambre

1. Dans un délai de trois mois à compter de la date de l’arrêt d’une Chambre, toute partie à l’affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre.

2. Un collège de cinq juges de la Grande Chambre accepte la demande si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses protocoles, ou encore une question grave de caractère général.

3. Si le collège accepte la demande, la Grande Chambre se prononce sur l’affaire par un arrêt.

Article 44 – Arrêts définitifs

1. L’arrêt de la Grande Chambre est définitif.

2. L’arrêt d’une Chambre devient définitif :

a) lorsque les parties déclarent qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre ; ou

b) trois mois après la date de l’arrêt, si le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre n’a pas été demandé ; ou

c) lorsque le collège de la Grande Chambre rejette la demande de renvoi formulée en application de l’article 43.

3. L’arrêt définitif est publié.

Article 45 – Motivation des arrêts et décisions

1. Les arrêts, ainsi que les décisions déclarant des requêtes recevables ou irrecevables, sont motivés.

2. Si l’arrêt n’exprime pas en tout ou en partie l’opinion unanime des juges, tout juge a le droit d’y joindre l’exposé de son opinion séparée.

Article 46 – Force obligatoire et exécution des arrêts 1

1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution.

3. Lorsque le Comité des Ministres estime que la surveillance de l’exécution d’un arrêt définitif est entravée par une difficulté d’interprétation de cet arrêt, il peut saisir la Cour afin qu’elle se prononce sur cette question d’interprétation. La décision de saisir la Cour est prise par un vote à la majorité des deux tiers des représentants ayant le droit de siéger au Comité.

4. Lorsque le Comité des Ministres estime qu’une Haute Partie contractante refuse de se conformer à un arrêt définitif dans un litige auquel elle est partie, il peut, après avoir mis en demeure cette Partie et par décision prise par un vote à la majorité des deux tiers des représentants ayant le droit de siéger au Comité, saisir la Cour de la question du respect par cette Partie de son obligation au regard du paragraphe 1.

5. Si la Cour constate une violation du paragraphe 1, elle renvoie l’affaire au Comité des Ministres afin qu’il examine les mesures à prendre. Si la Cour constate qu’il n’y a pas eu violation du paragraphe 1, elle renvoie l’affaire au Comité des Ministres, qui décide de clore son examen.

Article 47 – Avis consultatifs

1. La Cour peut, à la demande du Comité des Ministres, donner des avis consultatifs sur des questions juridiques concernant l’interprétation de la Convention et de ses protocoles.

2. Ces avis ne peuvent porter ni sur les questions ayant trait au contenu ou à l’étendue des droits et libertés définis au titre I de la Convention et dans les protocoles ni sur les autres questions dont la Cour ou le Comité des Ministres pourraient avoir à connaître par suite de l’introduction d’un recours prévu par la Convention.

3. La décision du Comité des Ministres de demander un avis à la Cour est prise par un vote à la majorité des représentants ayant le droit de siéger au Comité.

Article 48 – Compétence consultative de la Cour

La Cour décide si la demande d’avis consultatif présentée par le Comité des Ministres relève de sa compétence telle que définie par l’article 47.

Article 49 – Motivation des avis consultatifs

1. L’avis de la Cour est motivé.

2. Si l’avis n’exprime pas en tout ou en partie l’opinion unanime des juges, tout juge a le droit d’y joindre l’exposé de son opinion séparée.

3. L’avis de la Cour est transmis au Comité des Ministres.

Article 50 – Frais de fonctionnement de la Cour

Les frais de fonctionnement de la Cour sont à la charge du Conseil de l’Europe.

Article 51 – Privilèges et immunités des juges

Les juges jouissent, pendant l’exercice de leurs fonctions, des privilèges et immunités prévus à l’article 40 du Statut du Conseil de l’Europe et dans les accords conclus au titre de cet article.

Titre III

Dispositions diverses

Article 52 – Enquêtes du Secrétaire Général

Toute Haute Partie contractante fournira sur demande du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe les explications requises sur la manière dont son droit interne assure l’application effective de toutes les dispositions de cette Convention.

Article 53 – Sauvegarde des droits de l’homme reconnus

Aucune des dispositions de la présente Convention ne sera interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales qui pourraient être reconnus conformément aux lois de toute Partie contractante ou à toute autre Convention à laquelle cette Partie contractante est partie.

Article 54 – Pouvoirs du Comité des Ministres

Aucune disposition de la présente Convention ne porte atteinte aux pouvoirs conférés au Comité des Ministres par le Statut du Conseil de l’Europe.

Article 55 – Renonciation à d’autres modes de règlement des différends

Les Hautes Parties contractantes renoncent réciproquement, sauf compromis spécial, à se prévaloir des traités, conventions ou déclarations existant entre elles, en vue de soumettre, par voie de requête, un différend né de l’interprétation ou de l’application de la présente Convention à un mode de règlement autre que ceux prévus par ladite Convention.

Article 56 – Application territoriale

1. Tout Etat peut, au moment de la ratification ou à tout autre moment par la suite, déclarer, par notification adressée au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, que la présente Convention s’appliquera, sous réserve du paragraphe 4 du présent article, à tous les territoires ou à l’un quelconque des territoires dont il assure les relations internationales.

2. La Convention s’appliquera au territoire ou aux territoires désignés dans la notification à partir du trentième jour qui suivra la date à laquelle le Secrétaire général du Conseil de l’Europe aura reçu cette notification.

3. Dans lesdits territoires les dispositions de la présente Convention seront appliquées en tenant compte des nécessités locales.

4. Tout Etat qui a fait une déclaration conformément au premier paragraphe de cet article, peut, à tout moment par la suite, déclarer relativement à un ou plusieurs des territoires visés dans cette déclaration qu’il accepte la compétence de la Cour pour connaître des requêtes de personnes physiques, d’organisations non gouvernementales ou de groupes de particuliers, comme le prévoit l’article 34 de la Convention.

Article 57 – Réserves

1. Tout Etat peut, au moment de la signature de la présente Convention ou du dépôt de son instrument de ratification, formuler une réserve au sujet d’une disposition particulière de la Convention, dans la mesure où une loi alors en vigueur sur son territoire n’est pas conforme à cette disposition. Les réserves de caractère général ne sont pas autorisées aux termes du présent article.

2. Toute réserve émise conformément au présent article comporte un bref exposé de la loi en cause.

Article 58 – Dénonciation

1. Une Haute Partie contractante ne peut dénoncer la présente Convention qu’après l’expiration d’un délai de cinq ans à partir de la date d’entrée en vigueur de la Convention à son égard et moyennant un préavis de six mois, donné par une notification adressée au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, qui en informe les autres Parties contractantes.

2. Cette dénonciation ne peut avoir pour effet de délier la Haute Partie contractante intéressée des obligations contenues dans la présente Convention en ce qui concerne tout fait qui, pouvant constituer une violation de ces obligations, aurait été accompli par elle antérieurement à la date à laquelle la dénonciation produit effet.

3. Sous la même réserve cesserait d’être Partie à la présente Convention toute Partie contractante qui cesserait d’être membre du Conseil de l’Europe.

4. La Convention peut être dénoncée conformément aux dispositions des paragraphes précédents en ce qui concerne tout territoire auquel elle a été déclarée applicable aux termes de l’article 56.

Article 59 – Signature et ratification 1

1. La présente Convention est ouverte à la signature des membres du Conseil de l’Europe. Elle sera ratifiée. Les ratifications seront déposées près le Secrétaire général du Conseil de l’Europe.

2. L’Union européenne peut adhérer à la présente Convention.

3. La présente Convention entrera en vigueur après le dépôt de dix instruments de ratification.

4. Pour tout signataire qui la ratifiera ultérieurement, la Convention entrera en vigueur dès le dépôt de l’instrument de ratification.

5. Le Secrétaire général du Conseil de l’Europe notifiera à tous les membres du Conseil de l’Europe l’entrée en vigueur de la Convention, les noms des Hautes Parties contractantes qui l’auront ratifiée, ainsi que le dépôt de tout instrument de ratification intervenu ultérieurement.

Fait à Rome, le 4 novembre 1950, en français et en anglais, les deux textes faisant également foi, en un seul exemplaire qui sera déposé dans les archives du Conseil de l’Europe. Le Secrétaire général du Conseil de l’Europe en communiquera des copies certifiées conformes à tous les signataires.

______________________

(1) Texte amendé conformément aux dispositions du Protocole no 14 (STCE no 194).

(2) Article renuméroté, intitulé et texte amendés conformément aux dispositions du Protocole no 14 (STCE no 194).

(3) Nouvel article conformément aux dispositions du Protocole no 14 (STCE no 194).

(4) Intitulé et texte amendés conformément aux dispositions du Protocole no 14 (STCE no 194).

1 () La composition de cette Commission figure au verso de la présente page.

2 () L’Assemblée parlementaire s’est ainsi dotée d’une Commission des affaires économiques, qui entretient des rapports privilégiés avec l’OCDE. Elle a aussi inspiré, en 1961, l’adoption d’une position commune européenne lors des négociations du Kennedy Round au sein du GATT.

3 () S’imposent particulièrement la convention pour la protection de l’héritage architectural adoptée en 1985, les « routes culturelles européennes » et la Charte des langues régionales ou minoritaires proclamée en 1992, les « Journées européennes du patrimoine » initiées en 1991 ou Eurimages qui a consacré depuis 1988 plus de 370 millions d’euros au financement de près de mille cinq cents films et documentaires européens.

4 () La France, comme les quatre autres « grands » Etats que sont l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni et la Russie, dispose d’une délégation de 18 membres titulaires et 18 suppléants, composée de 24 députés et de 12 sénateurs. Elle est présidée par M. Jean-Claude Mignon, député de Seine et Marne.

5 () Jusqu’à l’entrée en vigueur du protocole no 11 le 1er novembre 1998, les requêtes portées à Strasbourg faisaient d’abord l’objet d’un examen préliminaire par la Commission européenne des droits de l’Homme qui décidait de leur recevabilité et proposait un règlement amiable avant que la Cour ne soit saisie, soit par la Commission, soit par un Etat intéressé. Si l’affaire n’était pas déférée, le Comité des ministres statuait. Désormais, les particuliers peuvent saisir directement la Cour.

6 () L’acception de la compétence de la Cour est longtemps restée facultative. Ainsi la France n’a-t-elle ouvert les recours aux particuliers qu’en 1981, après n’avoir ratifié la CEDH qu’en 1974. Toutefois, désormais, la ratification de la CEDH incluant la juridiction obligatoire de la Cour est devenue une condition pour être membre de l’organisation.

7 () Dans l’arrêt CEDH, 14 octobre 2010, Brusco c/ France, la Cour a en effet constaté que le droit français antérieur à la réforme du 15 juin 2000 violait notamment la Convention en ne permettant pas à l’avocat d’assister son client dès le début de la garde à vue, rappelant que « la personne placée en garde à vue a le droit d’être assistée d’un avocat dès le début de cette mesure ainsi que pendant les interrogatoires, et ce a fortiori lorsqu’elle n’a pas été informée par les autorités de son droit de se taire », droit qui ne peut être limité que par des exceptions dûment justifiées, confirmant implicitement la nécessité d’une réforme identifiée par le Conseil constitutionnel français dans sa décision no 2010/14/22 QPC du 30 juillet 2010 et concrétisée dans le projet de loi relatif à la garde à vue adopté par le Conseil des ministres le 13 octobre dernier.

8 () Arrêts San Michele du 27 décembre 1965 en Italie ou Solange I  du 29 mai 1974 en Allemagne de l’Ouest.

9 () Décision no 94-359 DC du 19 janvier 1995.

10 () Par exemple CJCE, 31 mars 1992, Burban.

11 () La CJUE maintient aujourd’hui en effet une interprétation stricte de cet intérêt à agir en exigeant que le requérant soit individuellement concerné en raison « de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui le caractérise par rapport à toute autre personne » (CJCE, 15 juillet 1964, Plaumann c/Commission), rejetant (CJCE, 1er avril 2004, Jégo-Quéré) la timide ouverture suggérée par le Tribunal de première instance qui proposait de retenir une simple « affectation », certaine et actuelle, « de sa situation juridique en restreignant ses droits ou en lui imposant des obligations » (TPI, 3 mai 2002, Jégo-Quéré).

12 (1) CJCE, 28 octobre 1975, Rutili et CJCE, 21 septembre 1989, Hoechst.

13 () Par exemple le protocole no 12, qui interdit toute forme de discrimination à l’égard de tout droit protégé par le droit national, même lorsqu’il n’est pas prévu dans la Convention, n’a pas été ratifié à ce jour par la France.

14 () Le règlement de 2007 précité excluait en effet des attributions de l’Agence les normes européennes relevant du troisième pilier de l’Union (coopération judiciaire pénale et coopération policière). L’intégration de ce dernier dans les compétences de droit commun de l’Union (la « communautarisation ») par le traité de Lisbonne évoquée supra lève automatiquement cette contrainte. Cette intégration dans le champ de compétence de l’Agence de sujets très liés aux droits fondamentaux (mandat d’arrêt européen, lutte contre le terrorisme, échange de preuves, coopération policière…) est d’autant mieux venue qu’ils portent sur les domaines dans lesquels les mécanismes de contrôle de l’Union sont les plus faibles.