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No 3764

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 septembre 2011.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES(1)

sur
la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) no 562/2006 afin d’établir des règles communes relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles (COM [2011] 560 final/no E 6612),

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Didier QUENTIN,

Député

——

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Michel Herbillon, Jérôme Lambert, Didier Quentin, Gérard Voisin vice-présidents ; M. Jacques Desallangre, Mme Marietta Karamanli, MM. Francis Vercamer secrétaires ; M. Alfred Almont, Mme Monique Boulestin, MM. Pierre Bourguignon, Yves Bur, Patrice Calméjane, François Calvet, Christophe Caresche, Philippe Cochet, Jean-Yves Cousin, Bernard Deflesselles, Lucien Degauchy, Michel Delebarre, Michel Diefenbacher, Jean Dionis du Séjour, Marc Dolez, Daniel Fasquelle, Pierre Forgues, Mme Marie-Louise Fort, MM. Jean-Claude Fruteau, Jean Gaubert, Hervé Gaymard, Guy Geoffroy, Mmes Annick Girardin, Anne Grommerch, Pascale Gruny, Elisabeth Guigou, Danièle Hoffman-Rispal, MM. Régis Juanico, Robert Lecou, Michel Lefait, Lionnel Luca, Philippe Armand Martin, Jean-Claude Mignon, Jacques Myard, Michel Piron, Mmes Chantal Robin-Rodrigo, Valérie Rosso-Debord, Odile Saugues, MM. André Schneider, Philippe Tourtelier

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

I. L’ENCADREMENT ACTUELLEMENT APPLICABLE AU RÉTABLISSEMENT DU CONTRÔLE AUX FRONTIÈRES INTÉRIEURES 7

II. DES PROPOSITIONS QUI POSENT PROBLÈME AU REGARD DU PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ 11

A. DESCRIPTION DES MESURES PROPOSÉES 13

B. APPRÉCIATION AU REGARD DE LA SUBSIDIARITÉ 15

CONCLUSION 19

TRAVAUX DE LA COMMISSION 21

PROPOSITION DE RESOLUTION EUROPEENNE 23

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

L’espace Schengen est l’une des plus grandes réalisations européennes, symbole fort d’une Europe concrète qui a su faciliter la vie de ses citoyens et des ressortissants étrangers au sein d’un espace regroupant vingt-cinq Etats.

Au mois d’avril dernier, la décision des autorités italiennes de délivrer des titres de séjour provisoires aux ressortissants tunisiens arrivés illégalement sur son territoire a été à l’origine d’une polémique sur les grandes difficultés auxquelles peuvent être confrontés les Etats membres dans la surveillance des frontières extérieures de l’espace Schengen dont ils ont la charge, ainsi que sur la libre circulation au sein de cet espace pour les titulaires du titre de séjour italien.

Par une lettre conjointe en date du 26 avril 2011, le président de la République Nicolas Sarkozy et le président du Conseil des ministres italien Silvio Berlusconi ont saisi la Commission européenne, demandant plusieurs aménagements, tant des règles applicables à l’espace Schengen (code frontières Schengen) que de la politique commune en matière d’immigration et d’asile.

Soutenus par le Conseil européen du 24 juin 2011, les aménagements devaient porter notamment sur la création d’une nouvelle clause de sauvegarde permettant de réintroduire le contrôle aux frontières intérieures en cas d’afflux massif d’immigrants ou de manquement d’un Etat membre dans la surveillance des frontières extérieures.

La Commission européenne a ainsi déposé le 19 septembre 2011 une proposition réformant l’ensemble des dispositions permettant aux Etats membres de réintroduire le contrôle aux frontières intérieures en cas de menace grave à l’ordre public ou à la sécurité intérieure.

La Commission européenne propose de communautariser la procédure, ce qui porte, selon le rapporteur, atteinte au respect du principe de subsidiarité.

I. L’ENCADREMENT ACTUELLEMENT APPLICABLE AU RÉTABLISSEMENT DU CONTRÔLE AUX FRONTIÈRES INTÉRIEURES

Signé le 14 juin 1985, l’accord de Schengen prévoit une suppression progressive des contrôles aux frontières au sein de l’espace Schengen, constitué alors du territoire des cinq Etats signataires. En contrepartie de la libre circulation, les contrôles aux frontières extérieures de l’espace Schengen sont renforcés.

La convention de Schengen(2), signée le 19 juin 1990, est entrée en vigueur le 26 mars 1995. Renforçant très significativement la coopération policière et la lutte contre l’immigration illégale, elle vise la suppression des contrôles aux frontières intérieures entre les Etats signataires et la création d’une frontière extérieure commune où sont effectués les contrôles d’entrée dans l’espace Schengen selon des procédures identiques.

Peu à peu, l’espace Schengen s’est étendu à la quasi-totalité des pays de l’Union. Le Royaume-Uni et l’Irlande n’appliquent pas la totalité de l’acquis de Schengen et n’en sont pas membres à part entière. Chypre, qui a demandé un délai supplémentaire, n’en est pas membre. L’Islande, la Norvège et la Suisse ont rejoint l’espace Schengen en tant qu’Etats associés. La Bulgarie et la Roumanie sont en cours d’intégration dans cet espace.

Il convient de rappeler les positions spécifiques du Royaume-Uni, de l’Irlande et du Danemark vis-à-vis de l’espace Schengen. Le protocole joint au traité d’Amsterdam prévoit que l’Irlande et le Royaume-Uni peuvent participer à tout ou partie des dispositions de l’acquis de Schengen après un vote du Conseil à l’unanimité des Etats parties aux accords et du représentant du gouvernement de l’Etat concerné(3). Bien qu’ayant signé la convention de Schengen, le Danemark peut choisir d’appliquer ou non toute nouvelle mesure prise, même si une telle mesure constitue un développement de l’acquis Schengen. Le Danemark est toutefois lié par certaines mesures en matière de politique commune des visas.

Une clause de sauvegarde a été prévue dès l’origine et permet aujourd’hui à un Etat membre de rétablir les contrôles à ses frontières dans deux situations(4) :

- en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure, pour une période limitée à trente jours au maximum (ou à la durée prévisible de la menace si celle-ci excède trente jours). Lorsqu’il envisage ce rétablissement des contrôles, il en avise dès que possible les autres pays de l’Union et la Commission européenne. Le Parlement européen en est également informé. Les Etats membres et la Commission européenne se consultent, au moins quinze jours avant la date envisagée pour le rétablissement;

- de manière urgente et exceptionnelle, lorsque l’ordre public ou la sécurité intérieure l’exige, l’Etat membre peut réintroduire immédiatement le contrôle aux frontières intérieures et notifie ensuite sa décision aux autres Etats et à la Commission européenne.

La procédure à suivre en cas d’événement prévisible est la suivante (article 24 du code frontières Schengen) : l’Etat avise dès que possible les autres États membres ainsi que la Commission européenne et fournit les informations ci-après dès qu’elles sont disponibles:

« a) les motifs de la réintroduction envisagée, en précisant les événements qui constituent une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure ;

b) le champ d’application de la réintroduction envisagée, en précisant le lieu où le contrôle aux frontières doit être rétabli ;

c) le nom des points de passages autorisés ;

d) la date et la durée de la réintroduction envisagée ;

e) le cas échéant, les mesures que les autres États membres devraient prendre. »

La Commission européenne peut ensuite émettre un avis.

S’engage alors, au moins quinze jours avant la date envisagée pour la réintroduction du contrôle aux frontières, une consultation entre l’État membre envisageant de réintroduire le contrôle aux frontières, les autres États membres et la Commission européenne, portant sur les informations données par l’Etat et, si elle a émis un avis, le rapport de la Commission européenne, afin d’organiser, « le cas échéant, la coopération mutuelle entre les États membres et d’examiner la proportionnalité des mesures par rapport aux événements qui sont à l’origine de la réintroduction du contrôle aux frontières ainsi que la menace pour l’ordre public ou la sécurité intérieure. »

Lorsque l’ordre public ou la sécurité intérieure d’un État exige une action urgente, l’article 25 du code frontières Schengen dispose que « l’État membre concerné peut, exceptionnellement et immédiatement, réintroduire le contrôle aux frontières intérieures. » L’État membre « en avise immédiatement les autres États membres et la Commission, et communique les informations visées à l’article 24, paragraphe 1, et les raisons qui justifient le recours à cette procédure. »

L’État membre qui envisage de prolonger le contrôle aux frontières fournit aux autres États membres et à la Commission européenne toutes les indications appropriées sur les raisons de la prolongation. La Commission européenne peut émettre un avis.

L’État membre qui a réintroduit le contrôle aux frontières intérieures (événement prévisible) confirme la date de la levée du contrôle et soumet en même temps, ou dans un bref délai, au Parlement européen, au Conseil et à la Commission européenne, un rapport sur cette réintroduction.

Les autorités italiennes ont décidé de délivrer le 5 avril 2011 aux Tunisiens arrivés clandestinement en Italie des titres de séjour provisoires au titre de la protection subsidiaire. Cette décision a soulevé un débat très vif sur la possibilité, pour les titulaires du titre de séjour, de circuler librement dans l’espace Schengen ainsi que sur le manque de solidarité au sein de l’Union s’agissant de la politique de l’immigration. Le nombre de Tunisiens arrivés en Italie entre janvier 2011 et juin 2011 est estimé à 34 000.

Les autorités françaises ont procédé à des contrôles aléatoires renforcés afin de vérifier le respect des conditions applicables à la libre circulation5.

Le 5 avril, un accord italo-tunisien a été signé selon lequel la Tunisie s’engageait à réadmettre ses ressortissants arrivés illégalement sur le territoire italien à partir du 6 avril.

Suite à la saisine de la Commission européenne par les autorités françaises et italiennes par la lettre conjointe du 26 avril 2011 précitée, le Conseil « Justice et affaires intérieures » s’est réuni le 12 mai 2011. Il a examiné la communication de la Commission européenne sur les migrations du 4 mai, publiée en réponse aux demandes d’adaptation de la politique européenne en matière de migration.

L’attention s’est focalisée notamment sur la possibilité de restaurer les contrôles systématiques aux frontières intérieures en cas d’afflux massif d’immigrants ou en cas de défaillance d’un Etat membre dans la surveillance des frontières extérieures dont il a la charge (clause de sauvegarde).

Dans ses conclusions du 24 juin 2011, le Conseil européen a rappelé que la liberté de circulation constitue une liberté fondamentale, que les Etats membres ayant la charge de la surveillance des frontières ont une responsabilité à l’égard de l’ensemble des Etats membres et que la solidarité doit jouer vis-à-vis des Etats en difficulté.

S’agissant de la clause de sauvegarde, le Conseil européen a conclu :

« Un mécanisme devrait être mis en place pour faire face à des circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement global de la coopération Schengen, sans porter atteinte au principe de la libre circulation des personnes. Il devrait comporter une série de mesures applicables de manière progressive, différenciée et coordonnée afin d'aider un État membre soumis à une forte pression aux frontières extérieures. Ces mesures pourraient comprendre des visites d'inspection et un soutien technique et financier, ainsi que le recours à l'agence Frontex dans ses fonctions d'assistance, de coordination et d'intervention.

En tout dernier ressort, dans le cadre de ce mécanisme, une clause de sauvegarde pourrait être introduite afin d'autoriser, à titre exceptionnel, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures en cas de situation véritablement critique, lorsqu'un État membre n'est plus en mesure de respecter ses obligations au titre des règles Schengen. Une telle mesure serait prise sur la base de critères objectifs précis et d'une évaluation commune et aurait une portée et une durée strictement limitées, compte tenu de la nécessité de pouvoir réagir à des situations d'urgence. Cela n'affectera pas les droits des personnes jouissant de la libre circulation en vertu des traités. »

La Commission européenne a été invitée à présenter une proposition concernant un tel mécanisme en septembre 2011.

II. DES PROPOSITIONS QUI POSENT PROBLÈME AU REGARD DU PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ

Dans sa communication intitulée : « Gouvernance de Schengen - Renforcer l'espace sans contrôle aux frontières intérieures » (COM(2011)561 du 16 septembre 2011), la Commission européenne indique, pour justifier la présente proposition de règlement ainsi que celle relative à la gouvernance de l’espace Schengen6, qu’elle « souhaite mettre sur pied une action coordonnée au niveau de l'UE qui garantisse que les principes fondamentaux du droit de l'Union, et notamment le droit à la libre circulation, soient sauvegardés, et qui permette de prendre en considération l'ensemble des intérêts européens dans la sécurisation de l'espace Schengen, tout en fixant des bornes aux initiatives nationales unilatérales qui, isolées, ne sauraient constituer une réponse efficace à des menaces partagées. Veiller à ce que la réintroduction exceptionnelle et temporaire des contrôles aux frontières intérieures soit décidée conformément à la méthode communautaire et prendre en considération la responsabilité politique générale de la Commission devant le Parlement européen sont des éléments essentiels et indispensables du présent ensemble de mesures. »

La proposition de règlement prévoit, outre la création d’une procédure nouvelle de rétablissement du contrôle aux frontières intérieures en cas de graves manquements persistants dans le contrôle aux frontières extérieures ou les procédures de retour, de communautariser les clauses de sauvegarde existantes en cas de menace grave à l’ordre public ou à la sécurité intérieure. Elle va ainsi au-delà des demandes du Conseil européen.

Selon le principe de subsidiarité défini au point 3 de l’article 5 du traité sur l’Union européenne, « en vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu'au niveau régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union.

Les institutions de l'Union appliquent le principe de subsidiarité conformément au protocole sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Les parlements nationaux veillent au respect du principe de subsidiarité conformément à la procédure prévue dans ce protocole. »

Le principe de proportionnalité, défini au point 4 de l’article 5 TUE, dispose que « le contenu et la forme de l’action de l’Union n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités ».

Dans le cas présent, la Commission européenne a fondé sa proposition sur l’article 77, paragraphes 1 et 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne:

« 1. L'Union développe une politique visant :

a) à assurer l'absence de tout contrôle des personnes, quelle que soit leur nationalité, lorsqu'elles franchissent les frontières intérieures ;

b) à assurer le contrôle des personnes et la surveillance efficace du franchissement des frontières extérieures ;

c) à mettre en place progressivement un système intégré de gestion des frontières extérieures.

2. Aux fins du paragraphe 1, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, adoptent les mesures portant sur :

a) la politique commune de visas et d'autres titres de séjour de courte durée ;

b) les contrôles auxquels sont soumises les personnes franchissant les frontières extérieures ;

c) les conditions dans lesquelles les ressortissants des pays tiers peuvent circuler librement dans l'Union pendant une courte durée ;

d) toute mesure nécessaire pour l'établissement progressif d'un système intégré de gestion des frontières extérieures ;

e) l'absence de tout contrôle des personnes, quelle que soit leur nationalité, lorsqu'elles franchissent les frontières intérieures. »

Il ne fait aucun doute que la libre circulation des personnes au sein de l’espace Schengen appartient au champ des compétences communautaires.

Toutefois, la question ici posée est également celle de la compétence des Etats membres en matière d’ordre public et de sécurité intérieure. L’article 4 du traité sur l’Union européenne dispose que l’Union « respecte les fonctions essentielles de l'État, notamment celles qui ont pour objet d'assurer son intégrité territoriale, de maintenir l'ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. » Selon l’article 72 TFUE, « le présent titre [espace de liberté, de sécurité et de justice] ne porte pas atteinte à l'exercice des responsabilités qui incombent aux États membres pour le maintien de l'ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure. »

A. Description des mesures proposées

La proposition de règlement prévoit trois types de procédure de rétablissement du contrôle aux frontières intérieures, la première en cas d’événements prévisibles, la deuxième en cas d’urgence et la troisième en cas de défaillance d’un Etat membre dans la surveillance des frontières extérieures de l’espace Schengen dont il a la charge.

S’agissant, en premier lieu, des menaces prévisibles, le nouvel article 23 du code frontières Schengen dans sa rédaction issue de la proposition de règlement, disposerait que « en cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure au niveau de l'Union ou à l'échelon national dans l'espace sans contrôle aux frontières intérieures, le contrôle aux frontières intérieures peut être exceptionnellement réintroduit sur tous les tronçons ou sur certains tronçons spécifiques des frontières intérieures d'un ou de plusieurs États membres durant une période limitée d'une durée maximale de trente jours ou pour la durée prévisible de la menace grave si elle est supérieure à trente jours. L'étendue et la durée de la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures ne doivent pas excéder ce qui est strictement nécessaire pour répondre à la menace grave. »

Si nécessaire, si la durée de la menace était prolongée, la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures pourrait être maintenue pour des périodes renouvelables ne dépassant pas trente jours. Toutefois, la durée totale de la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures ne pourrait excéder six mois.

La proposition de règlement précise qu’il appartiendrait à l'État membre concerné d’évaluer la mesure dans laquelle cette réintroduction est susceptible de remédier correctement à la menace pour l'ordre public ou la sécurité intérieure au niveau de l'Union ou à l'échelon national, et d’évaluer la proportionnalité de la mesure par rapport à cette menace.

L’Etat membre aurait à présenter une demande à la Commission européenne au plus tard six semaines avant la réintroduction prévue (ou dans un délai plus court si les circonstances le nécessitent).

Il devrait fournir les informations suivantes (nouvel article 24) à l’appui de sa demande ainsi qu’aux autres Etats membres et au Parlement européen:

« (a) les motifs de la réintroduction envisagée, y compris toutes les données pertinentes détaillant les événements qui constituent une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure au niveau de l'Union ou à l'échelon national ;

(b) la portée de la réintroduction envisagée, en précisant le ou les tronçon(s) de la ou des frontière(s) intérieure(s) où le contrôle doit être rétabli ;

(c) le nom des points de passage autorisés ;

(d) la date et la durée de la réintroduction envisagée ;

(e) le cas échéant, les mesures que les autres États membres devraient prendre. »

Avant de prendre une décision, la Commission européenne pourrait demander davantage d’informations aux Etats membres, à Frontex, Europol ou Eurojust ou à tout autre organe de l’Union, d’une part, et effecteur des inspections sur place afin de vérifier les informations.

La proposition de règlement prévoit que la Commission européenne prendrait la décision de réintroduire le contrôle et déciderait également de la prolongation éventuelle. Elle pourrait également décider de réintroduire le contrôle de sa propre initiative. La Commission européenne serait assistée par un comité7, composé des représentants des Etats membres. Les actes seraient adoptés conformément à la procédure de comitologie prévue à l’article 5 du règlement no 182/2011 (procédure d’examen par le comité) : lorsque le comité émet un avis favorable, la Commission européenne adopte le projet d’acte et lorsqu’il émet un avis défavorable, la Commission européenne n’adopte pas le projet d’acte. Les votes au sein du comité ont lieu à la majorité qualifiée ou, pour les actes à adopter sur proposition de la Commission européenne, à la majorité simple.

En cas d’urgence, la Commission européenne pourrait adopter des actes d’exécution qui s’appliquent immédiatement. Deux semaines après son adoption, l’acte devrait être soumis au comité et abrogé dans le cas où ce dernier émet un avis défavorable (article 8 du règlement no 182/2011).

Le nouvel article 25 du code frontières Schengen porterait, en deuxième lieu, sur la procédure spécifique dans les cas nécessitant une action immédiate. L'État membre concerné pourrait, exceptionnellement et immédiatement, rétablir un contrôle aux frontières intérieures, pour une période limitée n'excédant pas cinq jours. Il devrait en aviser les autres États membres et la Commission européenne et communiquer les informations visées à l'article 24. Si la menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure se prolongeait au-delà de cinq jours, la Commission européenne déciderait de la prolongation du contrôle aux frontières intérieures.

La proposition de règlement prévoit, en troisième et dernier lieu, un nouveau dispositif en cas de manquements graves et persistants dans la surveillance des frontières extérieures. Cette clause de sauvegarde, que les Etats membres, dont la France, avaient souhaité voir instituée, serait créée au nouvel article 26 du règlement. Selon la nouvelle procédure, dans les cas où la Commission constate de « graves manquements persistants dans le contrôle aux frontières extérieures ou les procédures de retour », « et dans la mesure où ces manquements représentent une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure au niveau de l'Union ou à l'échelon national, le contrôle aux frontières intérieures » pourrait être réintroduit pour une période n'excédant pas six mois. Trois prolongations de six mois chacune pourraient être décidées par la Commission européenne si les manquements n’étaient pas résolus.

La décision de la réintroduction des contrôles aux frontières et les décisions éventuelles de prolongation seraient prises selon la procédure de comitologie.

B. Appréciation au regard de la subsidiarité

En ce qui concerne les deux premiers cas de figure, la procédure proposée n’est, selon le rapporteur, pas acceptable au regard d’enjeux qui touchent au cœur de la souveraineté nationale.

Dans un communiqué de presse commun en date du 13 septembre 2011, les ministres de l’intérieur de l’Allemagne, de la France et de l’Espagne ont rejeté les propositions de la Commission européenne s’agissant des cas d’atteinte à l’ordre public ou à la sécurité intérieure :

« Selon ces propositions, la Commission européenne assumerait également la responsabilité de décider le rétablissement temporaire de contrôles aux frontières intérieures non seulement dans le cas [de la défaillance d’un Etat membre dans le contrôle des frontières extérieures] mais de manière générale, pour des cas qui jusqu’à présent ont relevé de la souveraineté nationale des Etats membres, par exemple ceux d’une menace terroriste ou de la protection d’un évènement politique ou sportif majeur.

Claude Guéant, Hans-Peter Friedrich et Antonio Camacho considèrent que le respect de la souveraineté nationale est primordial pour les Etats membres. Ils n’approuvent pas le vœu de la Commission européenne qui souhaite assumer la responsabilité de prendre des décisions sur des mesures opérationnelles dans le domaine de la sécurité.

C’est aux Etats membres de maintenir l’ordre public et d’assurer leur sécurité intérieure. Dans le cadre de cette responsabilité, leurs interventions doivent veiller à assurer au maximum la liberté de circulation en garantissant le niveau le plus élevé de protection du public. »

Il parait infondé de vouloir communautariser des décisions prises en réponse à des menaces locales alors même que, l’expérience le montre, les contrôles aux frontières, lorsqu’ils sont rétablis, ne concernent le plus souvent que des zones limitées et pour un temps très bref, et ne peuvent être considérés comme ayant un impact communautaire tel que la décision doive être prise au niveau européen. Ces procédures demeurent exceptionnelles et que les Etats membres en font un usage très ciblé.

Dans sa communication sur la gouvernance de Schengen, la Commission précise elle-même l’usage limité qu’ont fait les Etats de la réintroduction des contrôles aux frontières :

« Cette possibilité de réintroduire les contrôles aux frontières intérieures [a] été utilisée 22 fois depuis l'entrée en vigueur du code [frontières Schengen] en octobre 2006. Depuis la publication de ce rapport [du 13 octobre 2010], les contrôles aux frontières intérieures ont été réintroduits par des États membres à quatre nouvelles reprises, en dernier lieu par la Norvège et la Suède à la suite des actes terroristes perpétrés en Norvège.

Dans la plupart des cas, cependant, la réintroduction des contrôles aux frontières a été utilisée pour permettre aux autorités policières de gérer les mesures de sécurité à prendre dans le cadre de grands événements sportifs, de manifestations politiques ou de réunions politiques de haut niveau. La réintroduction unilatérale des contrôles aux frontières n'a jamais dépassé 30 jours; elle a généralement duré beaucoup moins longtemps.

Souvent, les informations que les États membres sont tenus de fournir aux autres États membres et à la Commission n'arrivent toutefois pas assez tôt ou sont insuffisamment détaillées pour permettre à la Commission d'émettre utilement un avis au sujet de la notification. »

La Commission européenne qui, dans le processus décisionnel actuel, exerce un contrôle a posteriori et peut saisir la CJUE, n’a pas, selon le rapporteur, à se voir transférer la compétence de décider de la réintroduction du contrôle aux frontières, alors que la question centrale serait celle du maintien de l’ordre public et de la sauvegarde de la sécurité intérieure.

L’action envisagée devrait continuer à relever des Etats membres, sous le contrôle de la Commission européenne. Cette dernière ne justifie d’ailleurs pas précisément sa proposition autrement que par le fait qu’une réponse européenne coordonnée serait justifiée « car il va de soi que toute décision de réintroduire des contrôles aux frontières intérieures – même pour une période limitée et dans une zone géographique restreinte – aura des répercussions humaines et économiques qui se feront sentir en dehors de l'État membre recourant à de telles mesures ». Le fait que la libre circulation des personnes soit un bien commun n’est pas à remettre en cause. Toutefois, l’argument des répercussions humaines et économiques n’est pas précisé. Il n’est pas non plus fait mention d’un cas dans lequel, par le passé, un Etat membre aurait abusivement rétabli ses contrôles aux frontières intérieures. Selon les informations transmises au rapporteur, il n’y a pas eu de rétablissement qui aurait été jusqu’à donner lieu à un contentieux devant la Cour de justice de l’Union européenne.

Il convient de souligner qu’il n’est pas, par le présent avis, question de remettre en cause l’existence d’un contrôle communautaire des décisions des Etats. Il faut à cet égard rappeler la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne. La Cour est compétente pour connaître de l’application des articles 23 et suivants du code frontières Schengen. Comme le soulignent les informations transmises au rapporteur, si la Cour admet que les Etats membres disposent d’une certaine marge de manœuvre pour apprécier l’existence d’une menace à l’ordre public ainsi que sa gravité, ils ne peuvent avoir en la matière une liberté totale. Dans son arrêt Van Duyn (arrêt de la CJCE du 4 décembre 1974 - 41/74), la Cour indique qu’« il convient de souligner que la notion d’ordre public dans le contexte communautaire et, notamment, en tant que justification d’une dérogation au principe fondamental de la libre circulation des travailleurs, doit être entendue strictement, de sorte que sa portée ne saurait être déterminée unilatéralement par chacun des Etats membres sans le contrôle des institutions de la Communauté ; qu’il n’en reste pas moins que les circonstances spécifiques qui pourraient justifier d’avoir recours à la notion d’ordre public peuvent varier d’un pays à l’autre et d’une époque à l’autre, et qu’il faut ainsi, à cet égard, reconnaître aux autorités nationales compétentes une marge d’appréciation dans les limites imposées par le traité ». La Cour a ensuite expliqué « qu'en tant qu'il peut justifier certaines restrictions à la libre circulation des personnes relevant du droit communautaire, le recours par une autorité nationale à la notion de l'ordre public suppose, en tout cas, l'existence, en dehors du trouble pour l'ordre social que constitue toute infraction à la loi, d'une menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société » (arrêt de la CJCE du 27 octobre 1977, 30/77 Bouchereau).

En outre, l’efficacité même de ces mesures qui ne sont prises qu’en cas d’absolue nécessité impose de laisser aux Etats membres la capacité d’agir, sous contrôle a posteriori de la Commission européenne. La proposition de la Commission européenne recèle en effet des risques de blocage importants. La possibilité pour la Commission européenne de décider d’elle-même du rétablissement des contrôles, en dehors du cas de l’article 26, génère également beaucoup d’interrogations.

Le rapporteur note que le choix fait par la Commission européenne d’appliquer une procédure de comitologie à une décision nécessairement politique, qui ne peut se réduire à des considérations techniques, pose des questions de principe et, en outre, des difficultés pratiques liées à la lourdeur de la procédure ainsi qu’à la difficulté pour des représentants de pays membres très éloignés de la réalité concrète des menaces à l’ordre public dans un autre pays membre, de prendre une décision sur la nécessité d’un rétablissement des contrôles.

En revanche, concernant l’article 26, une prise de décision au niveau européen en cas de défaillance d’un Etat membre dans la surveillance de ses frontières extérieures apparaît plus logique puisque l’on peut penser que l’Etat défaillant en matière de contrôles aux frontières extérieures ne va pas de lui-même restaurer les contrôles à ses frontières intérieures.

CONCLUSION

En conclusion, selon le rapporteur, il existe bien deux types de problèmes distincts, menace à l’ordre public ou à la sécurité intérieure, d’une part, et manquements graves et persistants dans le contrôle des frontières extérieures, d’autre part, que la Commission européenne souhaite mettre sur le même plan avec un processus décisionnel similaire.

L’état actuel du droit en cas de menace grave à l’ordre public ou pour la sécurité intérieure, que les Etats membres n’avaient pas l’intention de voir évoluer lorsqu’ils demandaient la création d’un nouveau mécanisme applicable en cas de défaillance d’un Etat membre dans la surveillance des frontières extérieures communes dont il a la charge, constitue un équilibre et une articulation satisfaisants des compétences des Etats membres et des compétences communautaires.

Une remise en cause complète de cet équilibre pose problème au regard du principe de subsidiarité car les Etats membres sont les mieux à même d’apprécier la nécessité du rétablissement des contrôles aux frontières et devraient pouvoir procéder au rétablissement, sous réserve d’un contrôle a posteriori de la Commission européenne, ce qui correspond au système actuel. Elle n’est pas non plus conforme au principe de proportionnalité.

En conséquence, il est proposé d’adopter, au titre du contrôle du respect du principe de subsidiarité, un avis négatif sur les articles 23 à 25 du règlement (CE) no 562/2006 dans leur rédaction issue de la présente proposition de règlement.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 27 septembre 2011, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d’information.

L’exposé du rapporteur a été suivi d’une intervention.

« M. Jacques Myard. La situation décrite par le rapporteur illustre la dérive du droit communautaire dans le domaine de la sécurité. Avec Schengen, on avait un accord intergouvernemental qui fonctionnait bien. L’avoir communautarisé est regrettable, le processus nous échappe, même si la Commission européenne ne passera évidemment pas en force. »

Puis la Commission a approuvé la proposition de résolution dont le texte figure ci-après.

PROPOSITION DE RESOLUTION EUROPEENNE

L’Assemblée nationale,

Vu l'article 88-6 de la Constitution,

Vu l’article 151-9 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu l’article 5 du traité sur l’Union européenne,

Vu le protocole no 2 sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité annexé au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu les articles 72 et 77 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu le règlement no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) no 562/2006 afin d'établir des règles communes relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles (COM [2011] 560 final/no E 6612),

Considérant l’équilibre actuel dans la répartition des compétences entre les Etats membres et la Commission européenne en cas de réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures de l’espace Schengen, tel qu’il est institué par les articles 23 à 31 du règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) ;

Considérant que la proposition de règlement tend à réformer la procédure existante de réintroduction du contrôle aux frontières intérieures en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure ;

Considérant que la proposition de règlement vise à ce que la Commission européenne prenne elle-même, en cas d’événement prévisible, la décision de réintroduire le contrôle aux frontières intérieures, sur la base notamment des éléments d’information fournis par l’Etat concerné, alors que la décision revient actuellement à l’Etat membre, soumis au contrôle a posteriori de la Commission européenne ;

Considérant que cette proposition prévoit qu’en cas d’événement nécessitant une action immédiate, un Etat membre pourrait exceptionnellement prendre la décision de réintroduire le contrôle pendant une période limitée à cinq jours, toute prolongation relevant d’une décision de la Commission européenne ;

Considérant que les Etats membres, en dehors de la procédure spécifique nouvelle de réintroduction pour manquements graves persistants qu’il est proposé de créer, sont les mieux à même d’apprécier les menaces à l’ordre public et à la sécurité intérieure et de prendre les décisions qui s’imposent en conséquence, dans le cadre établi par le règlement no 562/2006 ;

Considérant que la décision de réintroduction du contrôle aux frontières intérieures ne peut être communautarisée dans les conditions prévues par la proposition de règlement sans qu’il ne soit porté atteinte au respect du principe de subsidiarité ;

1. Constate et affirme ainsi que la proposition de règlement précitée n’est pas conforme au principe de subsidiarité ;

2. Demande que la proposition de règlement soit modifiée en conséquence.

1 () La composition de cette Commission figure au verso de la présente page.

2 () Convention d’application de l’accord de Schengen entre les gouvernements des Etats de l’Union économique du Benelux, la République fédérale d’Allemagne, et la République française, relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes.

3 () Le Royaume-Uni a demandé, en mars 1999, à coopérer à la coopération policière et judiciaire en matière pénale, à la lutte contre les stupéfiants et au système SIS. L’Irlande a également demandé à participer à certaines dispositions de l’acquis de Schengen couvrant, à une exception près, les mêmes dispositions que la demande du Royaume-Uni.

4 () Chapitre II du Titre III du code frontières Schengen (règlement no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes).

5 () Les conditions de circulation à l’intérieur de l’espace Schengen font l’objet de dispositions précises. Les personnes titulaires d’un titre de séjour ou d’une autorisation provisoire de séjour délivré par un Etat membre peuvent, sous le couvert de ce titre ainsi que d’un document de voyage, circuler librement pendant une période de trois mois au maximum sur le territoire des autres Etats membres. Les intéressés doivent pouvoir justifier de l’objet et des conditions du séjour envisagé et disposer de moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour que pour le retour dans le pays d’origine. Ils ne doivent pas être considérés comme pouvant compromettre l’ordre public ou la sécurité nationale.

6 () Proposition modifiée de règlement portant création d’un mécanisme d’évaluation et de suivi destiné à contrôler l’application de l’acquis de Schengen, COM(2011)559.

7 () Au sens du règlement no 182/2011 du 16 février 2011 établissant les règles et principes généraux relatifs aux modalités de contrôle par les États membres de l’exercice des compétences d’exécution par la Commission.