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Roger Salengro

Chambre des députés, séance du 13 novembre 1936

 

Discussion d'une interpellation

[Scrutin]

 

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de l'interpellation de M. Henri Becquart sur les étranges anomalies que l'examen du dossier militaire d'un membre du Gouvernement a révélées et sur la présence dans le ministère d'un homme sur la conduite militaire duquel continuent à peser les plus graves suspicions.

La parole est à M. Henri Becquart pour développer son interpellation.

M. Henri Becquart. Messieurs, un membre, du Gouvernement est, en ce moment, l'objet de la part de ses anciens camarades et de ses anciens chefs d'une des plus graves accusations qui puissent être portées contre l'honneur d'un homme.

Ces accusations, Monsieur le président du Conseil, vous ne les connaissez pas, puisque vous vous êtes vanté de ne jamais lire le journal qui les a publiées. (Applaudissements à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.)

M. Renaud Jean. La presse vendue !

M. Henri Becquart. Mais vous avez aussitôt parlé de campagne abjecte.

M. Arthur Ramette. Vous nous parlerez de l'évêque Charost, votre ami !

M. Henri Becquart. C'est probablement du même terme que vous vous servirez pour me répondre tout à l'heure. Flétrir la calomnie, nous sommes unanimes pour le faire. (Interruptions à l'extrême gauche.) Mais, dans l'affaire qui nous occupe, il n'y a pas de campagne, il n'y a qu'une série de témoignages, tous concordants sur le fond, d'hommes bien placés et seuls, avec l'intéressé, qualifiés pour savoir ce qui s'est passé le 7 octobre 1915.

Ces témoignages, avec une unanimité impressionnante, affirment tous leur conviction que M. Roger Salengro, aujourd'hui ministre de l'intérieur, alors cycliste au 6e bataillon du 233e régiment d'infanterie, a, ce jour-là, déserté à l'ennemi. Ces hommes ont signé leur déclaration  ; ils en prennent toute la responsabilité. Et vous avouerez que cela exige, un certain courage. (Mouvements divers.)

M. Renaud Jean. Ils y ont mis le temps !

M. Henri Becquart. Ce sont tous d'anciens combattants.

M. Arthur Ramette. Vous avez profité des dommages de guerre ! (Applaudissements à l'extrême gauche.)

M. Henri Becquart. Ce sont tous des anciens combattants ayant, de façon splendide, accompli leur devoir. (Interruptions à l'extrême gauche communiste.)

M. le président. Messieurs, dans un débat de caractère aussi pénible (très bien ! très bien !)

M. Arthur Ramette. Il est à la mesure du capitalisme du Nord !

M. le président. Monsieur Ramette, je vais être obligé de vous rappeler à l'ordre...

Dans un débat aussi pénible, messieurs, je vous demande de donner l'exemple de la dignité, (Applaudissements.)

M. Henri Becquart. Comme l'a dit M. le président, le sujet est trop douloureux et trop grave pour que je me laisse détourner par je ne sais quelles diversions qui n'ont aucun rapport avec le sujet.

Puisque vous ne lisez pas Gringoire, monsieur le président du conseil, je me permettrai de vous donner lecture des noms et états de service de ces anciens combattants :

Soldat Ducrocq, aujourd'hui caporal, deux fois blessé, décoré de la croix de guerre, médaillé militaire. ; Caporal Sénéchal, décoré de la croix de guerre ;

Soldat Jourdin, aujourd'hui sergent, plusieurs fois cité, dont une fois à l'ordre de l'année, médaillé militaire ;

Sergent Robitaille, trois fois blessé, trois fois cité, médaillé militaire ;

Maréchal des logis Danset, aujourd'hui capitaine, deux fois blessé, trois fois cité, chevalier de la Légion d'honneur ;

Sergent Leloup, une fois blessé, deux fois cité, médaillé militaire ;

Sergent Lesage, deux fois blessé, sept fois cité, chevalier de la Légion d'honneur ;

Sergent Cathelain, décoré de la croix de guerre ;

Adjudant Dessaint, amputé de la cuisse droite, trois fois cité, médaillé  militaire ;

Adjudant Macke, blessé le 6 octobre 1915, décoré de la croix de guerre ;

Sergent Lafaux, aujourd'hui capitaine, cinq fois blessé, quatre fois cité, chevalier de la Légion d'honneur ;

Sous-lieutenant Damois, aujourd'hui capitaine, trois fois blessé, cinq fois cité, chevalier de la Légion d'honneur ;

Capitaine Arnould, faisant fonction de chef de bataillon, aujourd'hui lieutenant-colonel, plusieurs fois blessé et cité, officier de la Légion d'honneur ;

Colonel Hepp, qui fut, avant la guerre, lieutenant-colonel au 33e régiment d'infanterie, qui prit le commandement du 23e, le 2 août 1915, et garda ce commandement jusqu'au 23 avril 1916, jour où, à Verdun, il fut grièvement blessé, amputé, plusieurs fois cité, commandeur de la Légion d'honneur.

Je ne parle pas des autres, officiers, sous-officiers et soldats qui m'ont parlé, qui m'ont écrit, mais qui m'ont demandé de taire leur nom.

Mais il y a un fait que je liens à souligner: depuis qu'on sait que je cherche la lumière sur celte douloureuse affaire... (Exclamations à l'extrême gauche.)

M. Arthur Ramette. Vous auriez dû consulter le capitaine Verdier, par exemple.

M. Henri Becquart. ... j'ai reçu quantité de lettres. On m'a indiqué des noms de personnes susceptibles de me renseigner.

J'ai écrit à, toutes, sans exception. Toutes les réponses que j'ai reçues ou bien confirment l'hypothèse de la culpabilité ou bien déclarent tout ignorer de l'affaire. Pas une ne conclut à l'innocence. (Applaudissements à droite.)

Il vous a paru facile, monsieur le président du conseil, d'écarter en bloc tous ces témoignages, de faire fi de tous ces témoins dont les blessures et les services méritaient tout au moins plus d'égards.

Dans la recherche de la vérité, l'opinion publique est plus exigeante. Elle estime que ces témoignages valent au moins d'elle examinés. Mais les écarter a priori, comme vous le faites, ne peut qu'augmenter son désarroi et son inquiétude.

Il n'y a pas ici, messieurs, une affaire politique... (Rires et vives interruptions à l'extrême gauche et à gauche.)

M. Raymond Gernez. Au contraire !

M. Henri Becquart. ...et je regrette pour vous que vous ne le compreniez pas. Exclamations prolongées sur les mêmes bancs.)

A gauche. Vous avez attendu dix-neuf ans pour soulever celle affaire !

M. Henri Becquart. Je vous répondrai tout à l'heure.

Dans tous les partis de ce pays, sur tous les bancs de cette Assemblée, il est des hommes qui ont fait magnifiquement leur devoir.

Voix nombreuses à l'extrême gauche. Henriot ! Henriot !

A droite. Et Marty ! A Moscou ! Salengro ! (Bruit.)

M. le président. Je vous demande de ne mettre en cause aucun collègue. Le débat deviendra vite impossible si vous continuez sur ce ton.

M. Henri Becquart. J'avais pensé qu'au-dessus de nos querelles politiques, entre anciens combattants sans reproche, il pouvait au moins subsister une certaine solidarité. C'est au nom de celte solidarité que je suis à cette tribune pour demander la lumière et la justice. (Très bien ! très bien ! à droite.)

Dans une interview qu'il vient, un peu malgré lui, d'accorder à un grand hebdomadaire, M. Salengro voudrait réduire cette affaire à une petite rivalité de politique locale. Quelle misère !

Il me resterait, sur la politique de M. Salengro et sur celle du Gouvernement dont il fait partie, assez de motifs et de moyens de le combattre pour que je sois heureux, si c'était possible, de trouver dans la fraternité qui doit unir les anciens combattants un terrain de réconciliation. (Applaudissements à droite. Mouvements divers.)

Je ne suis pas ici en accusateur ; je ne suis, à cette tribune-, que l'écho de l’émotion de l'opinion publique (Interruptions et rires à l'extrême gauche) qui ne tient pas du tout à ce que M. Salengro soit coupable, mais qui ne veut pas que son ministre de l'intérieur puisse être soupçonné de l'être. (Nouvelles interruptions à l'extrême gauche.)

M. le président. Si ces interruptions continuent, je serai obligé de suspendre la séance.

M. Henri Becquart. J'aurais voulu éviter le scandale, car je pressentais le tort qu'à l'étranger surtout une telle affaire pouvait causer à mon pays. (Exclamations à l'extrême gauche.)

Dès le 10 juillet, par une lettre personnelle, j'ai mis M. le ministre de la défense nationale au courant de l'émotion que je sentais grandir dans les milieux des anciens combattants du 233e...

M. Henry Andraud. Pas tous, parlez de vos gens !

M. Henri Becquart. ...et dans toute la région que j'ai l'honneur de représenter.

M. Vaillant-Couturier. Dépêchez-vous de faire votre opération et que ce soit fini ! (Vives réclamations à droite.)

M. Félix Grat. Vous n'êtes pas encore président du conseil. C'est peut-être pour demain mais pas pour aujourd'hui !

M. Henri Becquart. Tant que M. Salengro n'était que simple député, beaucoup répugnaient à l'accuser.

Certaines conversations avaient donné lieu à quelques accusations écrites que M. Salengro n'avait jamais démenties. Ces accusations avaient été lancées tout d'abord dans les milieux communistes, et je serais heureux de savoir si M. Florimond Bonte... (Vives interruptions à l'extrême gauche communiste.)

M. Florimond Bonte. Nous avons parlé des fabricants de sacs de terre, de tous les voleurs des dommages de guerre, des allumeurs des ouvriers du textile et vous parlerez des patrons qui se trouvaient avec les Kommandanturs. (Interruptions à droite.)

M. Charles des Isnards. Taisez-vous, les objecteurs de conscience !

M. Arthur Ramette. Vous êtes les amis de ceux qui ont livré Jacquet !

M. le président.Je vous rappelle à l'ordre.

M. Henri Becquart. Nous demandons tout simplement si M. Florimond Bonte...

M. Arthur Ramette. Dégénéré ! (Vives protestations à droite.)

M. le président.Monsieur Ramette, je vous rappelle à l'ordre avec inscription au procès-verbal.

M. Henri Becquart. Messieurs, vous voyez combien les communistes sont gênés lorsqu'on leur demande si M. Florimond Bonte confirmera ou démentira les propos qui lui ont été prêtés. (Interruptions à l'extrême gauche communiste.)

M. Florimond Bonte. Je laisse celte infamie à M. Daudet, qui l'a écrite dans le journal de l'assassin Maurras. (Réclamations et bruit à droite.)

M. Henri Becquart. Mais si les principaux témoins qui n'habitent pas Lille et qui avaient le droit de se désintéresser du député-maire de cette ville n'avaient pas jugé utile de rompre le silence, il était facile de prévoir qu'il n'en serait plus de même devant l'accession de M. Salengro au ministère de l'intérieur.

J'espérais donc qu'en écrivant à M. le ministre de la défense nationale, celui-ci, qui devait être en possession de tous les documents relatifs à cette affaire, accepterait de publier, ou tout au moins de communiquer, à des personnalités non suspectes de complaisance politique pour M. Salengro et qui n'auraient pas refusé leur témoignage, le dossier qui établissait son innocence.

Si l'examen de ce dossier n'apportait pas les preuves capables d'apaiser l'opinion publique et de dissiper les doutes des anciens du 233e, j'espérais – peut-être allez-vous me trouver bien candide – que le Gouvernement trouverait le moyen de se séparer discrètement de son ministre do l'intérieur. Car ici, messieurs, il y a une question d'honneur national. Je dirai même, devant le péril extérieur dont personne ici ne se dissimule la gravité, à une heure où, plus que jamais, il est indispensable de maintenir élevé le moral de son armée, réserves comprises, qu'il y va pour le pays de sa sécurité nationale. (Exclamations et interruptions à l'extrême gauche.)

M. René Lebret. Au lendemain de l'anniversaire de l'armistice, vous devriez vous taire !

M. Henri Becquart. Si M. Salengro est innocent, il faut qu'il soit lavé de toute suspicion.

M. Renaud Jean. C'est vous qui êtes innocent. (Rires à l'extrême gauche.)

M. Henri Becquart. Il faut qu'on démontre à, ses anciens camarades en quoi ils se trompent en l'accusant, et on ne démontre rien par des cris et par des injures.

S'il y a des calomniateurs, il faut qu'ils soient châtiés. (Exclamations et rires à l'extrême gauche.)

A l'extrême gauche. Alors, quel sera votre châtiment !

M. Félix Grat. Que d'avocats à l'extrême gauche ! On voit que le Gouvernement a besoin d'être défendu. (Interruptions à l'extrême gauche. Bruit.)

M. le président. Messieurs, il est impossible que ce débat, qui est si pénible pour des Français, continue dans un tel désordre. (Vifs applaudissements.)

M. Henri Becquart. Mais s'il subsiste des charges contre le ministre de l'intérieur, il ne devrait pas rester un jour de plus au Gouvernement. Je crois que nous serons tous d'accord pour dire qu'un ministre de la République n'a pas le droit d'être soupçonné.

M. le ministre de la défense nationale s'est refusé à toute publication, à toute communication, jusqu'à ces derniers jours. Il s'est borné à m'adresser des lettres qu'il a qualifiées de catégoriques, mais qui ne m'ont pas paru de nature à détruire les témoignages qui m'avaient été apportés, et le scandale que j'avais redouté pour mon pays éclata sans que j'y eusse aucune part, même indirecte, (Interruptions à l'extrême gauche.) Les témoignages se firent jour et bientôt affluèrent, provoquant dans tout le pays une émotion que rien jusqu'ici n'a réussi à apaiser.

Nous allons voir ce que disent ces témoignages et la façon dont le Gouvernement y a répondu.

M. Cornavin. Combien a été payé Gringoire pour tout cela ?

M. Henri Becquart. Je vous ai lu les noms des principaux accusateurs. Je ne vais pas vous lire tous leurs témoignages.

Il est seulement à noter que tous sont d'accord sur la façon dont le cycliste Salengro a quitté les lignes françaises.

Celui-ci, inscrit au carnet B avant la guerre, comme antimilitariste et révolutionnaire {Applaudissements à l'extrême gauche. Vives exclamations à droite) avait été incarcéré, le 2 août 19H.

Dans les tranchées, lecteur assidu du Bonnet Rouge, de sinistre mémoire, il continuait sa propagande.

Il peut y avoir, dans les divers témoignages, quelques divergences sur certaines circonstances de détail, sur l'heure du départ, par exemple.

Après vingt et un ans, vous admettrez que les souvenirs peuvent se brouiller et combien d'entre nous, au sujet d'un fait de guerre dont ils sont certains, n'hésiteraient pas aujourd'hui sur l'heure ou même sur la date à laquelle il s'est passé ?

M. Renaud Jean. Où étiez-vous ce jour-là ? {Exclamations à droite. Bruit.)

M. le président.Il est impossible de poursuivre la discussion dans de telles conditions.

M. Henri Becquart. Si vous voulez connaître mes états de services, je vous les communiquerai ; nous les comparerons. (Applaudissements à droite.)

Sur le fait même, il y a unanimité ; il n'y a aucune discordance.

Après l'échec, très dur, de l'attaque du 6 octobre, les tranchées françaises et allemandes se trouvaient de part et d'autre d'une crête, donc invisibles de l'une à l'autre. Entre les tranchées françaises et la crête, un espace de cent cinquante mètres, invisible aux Allemands et que, le 6 octobre, nos troupes avaient franchi d'un seul élan sans essuyer un coup de fusil.

Sitôt la crête franchie, un espace où se trouvaient des barbelés allemands et aussi, hélas ! de nombreux corps, tombés au cours de l'attaque, invisibles des tranchées françaises.

Tous les témoins affirmèrent que, le 7 octobre, au cours d'une journée d'un calme plat, sans attaque et sans fusillade, a une heure qui semble pouvoir être fixée aux environs de seize heures, le cycliste Salengro quitta les lignes françaises après s'être désarmé et déséquipé, atteignit la crête et disparut aux yeux des Français.

On entendit trois coups de feu. Certains affirment qu'on entendit aussi le cri « camarade ». Mais les témoins ne sont pas unanimes sur ce point. {Exclamations et rires à l'extrême gauche.)

M. Georges Scapini. Cela vous parait tellement comique ? (Applaudissements à droite.)

M. Henri Becquart. Salengro, qui n'était ni tué, ni blessé, ne reparut plus.

Tous les témoins affirment que, pour eux, ni pour aucun de ceux qui les entouraient, il n'y eut le moindre doute. Ils eurent immédiatement la conviction que Salengro venait de déserter.

Celui-ci, de son côté, ne nous a jamais dit ce qui s'était passé derrière la crête.

Messieurs, je n'affirme rien (Vives protestations à l'extrême gauche), je n'étais pas là. Je me borne à vous rapporter les témoignages d'hommes qui étaient présents, qui ont vu, de leurs yeux vu, et je suis étonné de l'étrange présomption de ceux qui, ne sachant rien de l'affaire, puisqu'ils n'y assistaient pas, écartent sans s'y arrêter et même sans les lire, les témoignages de ceux qui se trouvaient sur les lieux.

Pour pouvoir quitter nos lignes, le cycliste Salengro avait déclaré vouloir ramener les corps de camarades tombés la veille. C'est la thèse que reprend aujourd'hui la défense.

Pourtant, un témoin, le capitaine Lafaux a affirmé que, peu de temps après son arrivée en Allemagne, le prisonnier Salengro écrivait à sa marraine de guerre qu'il avait été fait prisonnier en pleine bataille, le 6 octobre, alors qu'il se battait, disait-il, comme un lion. (Interruptions à l'extrême gauche.  Bruit.)

M. le président.Je vous prie, messieurs, d'écouter l'orateur sans l'interrompre.

M. Henri Becquart. Le dossier doit permettre de faire la preuve de cette affirmation puisque, dans le procès-verbal signé de MM. Pichot et de Barral, dont nous parlerons tout à l'heure, ceux-ci déclarent qu'avant le conseil de guerre une commission rogatoire fut envoyée à Paris afin que l'on interroge cette marraine de guerre.

Eh bien ! si l'affirmation du capitaine Lafaux est fausse, qu'on nous le dise. Si elle est exacte, notons cette singulière contradiction. On ne comprendra pas pourquoi M. Salengro, s'il a été fait prisonnier dans des circonstances aussi nobles que celles qu'il invoque aujourd'hui, a éprouvé le besoin d’être auprès de sa marraine de  guerre.

Il y a, au surplus, une question que m'ont posée beaucoup d'anciens combattants du 233e : quel est le corps que M. Salengro voulait ramener ? Il ne l'a jamais dit.

M. le ministre de la défense nationale a parlé d'une lettre du sergent Demailly. Au vu de cette lettre dans la presse, un ancien sous-officier du 233e m'a écrit que lui-même était intime avec le sergent Demailly, qu'il ne le quittait guère et ignorait tout à fait que Demailly, qui était de Bapeaume, et voyageur de commerce avant la guerre, eût la moindre relation d'amitié avec l'étudiant Salengro, de Lille.

D'autres, en particulier M. Jougeryck, ont dit qu'il s'agissait du sergent Coutencin, fils d'un quincaillier de Lille, ce qui est plus  plausible.

Un éclaircissement sur ce point serait utile, mais je n'insiste pas. (Interruptions à l'extrême gauche.)

Il n'y a tout de même pas de quoi plaisanter. (Applaudissements à droite.)

Il est fort possible que M. Salengro, dans un élan d'héroïsme, soit parti à la recherche d'un corps, que ce soit l'un ou l'autre, parée que tous ses camarades lui étaient également chers. Mais cette tâche était-elle possible ?

Là encore nous avons des témoignages contradictoires.

C'est, d'abord, celui de l'adjudant Macke, paru dans Gringoire du 30 octobre. (Exclamations à l'extrême gauche)

Eh ! oui, l'adjudant Macke, je vous l'ai dit blessé le 6 octobre aux côtés de Demailly – ils s'étaient promis de se porter secours en cas de blessure – déclare ceci :

« Quelques-uns seulement indemnes  ; vingt-cinq, dont les sergents Demailly et Balloir, étaient restés sur le terrain. Blessé, je ne pouvais rien pour eux. Même non blessé, je n'aurais pu penser à leur porter secours là où ils étaient tombés. Il était, en effet, impossible d'approcher à vingt mètres des positions allemandes sans aller à une mort certaine et inutile, ou à la capture, ce qui était plus grave encore, étant donné l'intérêt que les prisonniers présentaient toujours pour le service des renseignements des armées, surtout en pleine bataille. »

M. Henry Andraud. C'est une opinion.

M. Henri Becquart. Oui.

M. Henry Andraud. Il dit qu'il ne pouvait y aller.

M. Henri Becquart. L'adjudant Macke fait ici allusion aux bombardements de nos lignes, en particulier des postes de commandement, qui ont suivi.

Certains ont fait un rapprochement entre la capture, volontaire ou non, de M. Salengro et ce bombardement. Pour ma part, je ne m'y arrête pas. Quelle que soit la façon dont M. Salengro soit entré dans les lignes allemandes, je ne veux pas croire, tout de même, au moins pour la région que nous avons l'honneur de représenter l'un et l'autre, que M. Salengro ait poussé l'inconscience et la trahison jusqu'à faire massacrer des camarades. (Applaudissements à droite. Vives interruptions et réclamations à l'extrême gauche.)

J'ai personnellement reçu deux lettres qui confirment le témoignage de l'adjudant Macke. Elles émanent de deux hommes présents aux actions du 6 octobre 1915).

L'une porte ceci :

« Son rôle de cycliste ne l'autorisait pas à cette mission. Et puis, on ne va pas seul pour ramener des morts et des blessés restés sur le terrain. Cela ne tient pas debout. De plus, la configuration du terrain ne le lui permettait pas. Les blessés se trouvaient hors de vue des lignes françaises, en contre-pente d'une crête à 110 mètres des tranchées allemandes. »

Dans une lettre postérieure, il revient sur cette idée et me dit ceci :

Il est dommage que personne n'ait fait prévaloir qu'il fallait une idée de déserter pour se hasarder, à 4 heures de l'après-midi, tandis qu'il faisait encore jour, pour tenter de ramener des corps tombés à 20 ou 30 mètres des lignes ennemies, alors que ces corps étaient nettement invisibles du point de départ et qu'on ne pouvait -se payer le luxe d'aller choisir le camarade tombé au milieu de tant d'autres. Non ! j'ai vu aller chercher des blessés et des morts, mais pas dans ces conditions et pas seul, ce que personne ne peut faire à 200 mètres des lignes. »

Un autre témoin, également présent le 6 octobre, déclare :

« Salengro répond dans la presse qu'il aurait été fait prisonnier au moment où il tentait de ramener des corps de gradés et de soldats tués entre les lignes. Ce soin incombait aux brancardiers du régiment. Ceux-ci, en effet, dînant toute là nuit, ont ramassé les blessés graves. Le cycliste Salengro n'avait qu'à demander à se joindre à eux pour accomplir un devoir de camaraderie sacré. Cette autorisation lui eût été accordée par tous ses chefs. Or, il n'a rien demandé. C'est la seule conduite qui pouvait lui être défavorable qu'il a adoptée.

« Au surplus, comment aurait-il pu lui, chétif, gringalet – c'est le Salengro d'il y a vingt ans – ramasser seul un camarade, un corps rigide ?

«  C'est bien le cas de le dire: qui veut trop prouver se condamne.

« J'ajoute que le règlement sur le service en campagne (instructions pratiques) défendait expressément à quiconque, sous peine d'abandon de poste, de quitter son poste sous quelque  prétexte que ce soit.

Et le règlement ajoute : « Soigner ou ramener des blessés, conduire des prisonniers, ravitailler », ces soins incombaient à des équipes spéciales: brancardiers, nettoyeurs, ravitailleurs. » (Interruptions à l'extrême gauche.)

Voilà l'opinion de témoins connaissant les hommes, le terrain et les circonstances. (Nouvelles interruptions sur les mêmes bancs.)

Dans sa lettre du 11 septembre, M. le ministre de la défense nationale déclare que d'après un rapport qu'il a vu, le lieutenant Deron, en voyant partir Salengro, se serait écrié: « Il aura la croix de guerre. »

I ! l'aurait méritée amplement, à condition que, s'il ne tombait pas sous les balles allemandes, il revienne, même ayant échoué dans sa mission. (Interruptions à extrême, gauche.)

Il n'y a pas de milieu: la conduite de M. Salengro, le 7 octobre, est celle d'un héros ou celle d'un déserteur. Or nous devons constater que M. Salengro n'a fait l'objet, de la part de ses chefs, d'aucune proposition de récompense, mais d'une plainte qui devait le conduire en conseil de guerre.  (Applaudissements à droite.)

Je cherche à éclairer et à apaiser l'opinion publique. C'est dans cette intention que je vous ai décrit, d'après les dépositions de témoins oculaires, ce qui s'est passé le 7 octobre 1915.

Je vous ai dit comment se présentait l'accusation. Nous allons voir quelle a été, devant ces témoignages, la réaction de l'intéressé et du Gouvernement.

M. Salengro – et cela n'a pas manqué d'impressionner fortement l'opinion – n'a pas usé des armes que lui donne la loi pour défendre son honneur.

Il pouvait poursuivre pour diffamation ceux qu'il qualifiait de calomniateurs ; il ne l'a pas fait. Il a publié une série de démentis qui ne pouvaient convaincre l'opinion publique.

Il a fait, en outre, paraître dans la presse quelques témoignages qui lui seraient favorables. Je les ai étudiés sans parti pris. Je me suis demandé ce qu'en penseraient ceux qui, depuis des années, croient à la culpabilité de M. Salengro ou ceux qui confronteraient ces témoignages avec ceux de l'accusation.

M. Louis Guichard. Vous n'y croyez pas, vous. Vous l'avez dit tout à l'heure.

M. le président. Monsieur Guichard, je vous prie de ne pas interrompre.

Mes chers collègues, il y a intérêt à terminer le plus rapidement possible ce débat, qui n'est pas heureux pour le pays. i>(Vifs applaudissements unanimes.)

M. Henri Becquart. Messieurs, ces témoignages ont paru dans la presse. Je n'insisterai pas. Ils sont en contradiction avec ceux que j'ai produits tout à l'heure  ; mais, sur le fait même de la désertion, les circonstances du départ de M. Salengro, ils n'infirment en rien ce qui a été dit, puisque aucun de ces témoins n'a assisté au départ. Si je n'insiste pas, c'est parce que je ne veux pas abuser des instants de la Chambre.

Nous verrons tout à l'heure, par la conclusion que je présenterai, comment on pourra examiner de nouveau ces témoignages et les confronter avec les autres.

M. Albert Mennecier. Vous êtes plus à plaindre que M. Salengro. (Vives interruptions à droite.)

M. le président. Si l'on continue à interrompre l'orateur, je suspendrai la séance.

M. Henri Becquart. Toujours est-il, messieurs, que ces témoignages n'ont pas suffi à apaiser l'opinion.

C'est alors que M. Salengro fit appel à la solidarité ministérielle.

Il obtint de M. le ministre de la défense nationale l'autorisation de publier les principaux passages des lettres que celui-ci m'avait adressées le 3 et le 11 août.

Cela m'obligea à déclarer publiquement que, devant les témoignages fournis par le journal Gringoire, je ne pouvais plus me contenter de la première réponse de M. le ministre de la défense nationale et je demandais la publication du dossier complet. M. le ministre de la défense nationale préféra m'adresser une nouvelle lettre, que le public entendit à la radio et que je lus dans les journaux avant qu'elle me parvînt....

M. Edouard Daladier, ministre de la défense nationale. Il en a été de même, pour les vôtres.

M. Henri Becquart. ...lettre dans laquelle, sur un ton de polémique, il continuait ses affirmations précédentes et donnait de très brefs extraits de certains documents sur lesquels je reviendrai.

Pas plus que la défense de M. Salengro, la lettre de M. Daladier ne pouvait apaiser l'opinion. La lumière n'était pas faite et, de plus en plus, la clameur publique l'exigeait.

Le Gouvernement l'a compris ; mais, au lieu de s'arrêter à la solution normale du jury d'honneur, il institua une procédure stupéfiante. M. le président du conseil désigna lui-même les deux associations d'anciens combattants qui auraient à déléguer chacune un de ses membres pour examiner cette douloureuse affaire ; il prit soin d'écarter, malgré son importance et ses 900 000 membres, une association dont on ne peut suspecter le patriotisme et le loyalisme : l'Union nationale des combattants. (Applaudissements à droite.)

M. Albert Rivière, ministre des pensions. La Chambre me permettra d'apporter une précision. M. de Barral, qui jouit de l'estime de tous ses camarades et qui mérite leur confiance, a été désigné par le bureau unanime de la Confédération des anciens combattants pour faire partie de ce jury d'honneur. J'ajoute que l'Union nationale des combattants est représentée dans ce bureau. (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche. Interruptions à droite.)

M. Henri Becquart. D'après les tenues de la lettre de M. le président du conseil, l'Union nationale des combattants se trouvait écartée ipso facto.

A cet organisme ainsi composé par la volonté souveraine du Gouvernement, sans aucun accord avec les témoins accusateurs, à cet organisme qui n'était ni «in jury d'honneur ni une commission, on apporta un dossier.

L'unique mission de cet organisme était de faire l'inventaire de ce dossier sans pouvoir entendre les témoins.

Pour couvrir d'un grand nom cette étrange opération, vous avez, monsieur le président du conseil, fait donner au général Gamelin, généralissime désigné des armées françaises, l'ordre de prendre la présidence de ce comité.

Vous savez comment, en soldat discipliné, le général Gamelin accepta ; vous savez aussi comment, avec sa parfaite honnêteté, avec sa grande autorité, avec son impartialité et son honneur de soldat, il se tira du mauvais pas où vous l'aviez mis. (Vifs applaudissements à droite. Réclamations à l'extrême gauche et à gauche.)

M. Léon Blum, président du conseil. C'est abominable !

M. Henri Becquart. Ce comité publia son rapport. Le général Gamelin ne le signa pas, il ne fit que certifier la correction des opérations effectuées en sa présence, ce dont personne n'aurait jamais douté.

M. le président du conseil. Ah !

M. le ministre de la défense nationale. Ce n'est pas sûr.

M. Henri Becquart. Ce rapport provoque dans l'opinion une stupeur. Le Gouvernement avait prétendu l'aire la lumière et justifier de façon éclatante son ministre de l'intérieur et, malgré la procédure insolite employée, l'affaire n'était pas éclaircie et le cas du ministre de l'intérieur apparaissait à tous les non prévenus, à tous ceux qui s'étaient tenus au courant des témoignages, plus mauvais encore qu'auparavant.

Certains journaux ont écrit – et vous me le direz sans doute tout à l'heure – que ce rapport met un point final à l'affaire.

Non, monsieur le président du conseil. Pas plus aujourd'hui qu'il y a quinze jours, le point final n'est mis a celte affaire, puisque la lumière n'est pas faite, ni la Vérité démontrée. (Applaudissements à droite Interruptions à l'extrême gauche.)

Et c'est parce que la vérité n'est pas démontrée, que la lumière n'est pas faite, que nous, qui cherchons avant tout la vérité et la justice, et qui ne cherchons que cela, nous devons constater que le procès-verbal de MM. Pichot et de Barral ne fait qu'attiser nos inquiétudes, ne suffit pas à nous éclairer et n'apaise pas l'émotion du pays. (Exclamations à l'extrême gauche et sur plusieurs bancs à gauche.)

Que nous apprend cet inventaire ? Il porte sur deux questions que nous allons examiner successivement: 1° y a-t-il eu un acquittement ? y a-t-il eu une condamnation à mort ?

Sur le premier point, le procès-verbal répond affirmativement. Il y a eu acquittement, prononcé le 20 janvier 1910, par le conseil de guerre de la 51° division.

Cela ne m'a pas surpris, la parole de M. Daladier m'avait suffi. Je n'avais jamais, du reste, mis en doute, ni nié l'acquittement. M. le ministre de la défense nationale pourra vous dire que, dès ma lettre du 10 juillet, je faisais mention de l'acquittement prononcé au début de 1916, mais je demandais des éclaircissements sur les conditions dans lesquelles avait été prononcé cet acquittement.

II y a plusieurs sortes d'acquittements.

Certains détruisent l'accusation, ce sont des jugements d'innocence.

D'autres libèrent, sans doute l'accusé de toute peine et de toute poursuite et pour des raisons dont le tribunal est seul juge, le déclarent non coupable. Ils absolvent l'accusé, mais laissent subsister la réalité du fait ayant motivé la poursuite.

M. Renaud Jean. Quel jésuite ! (Vives réclamations à droite.)

M. le président. Je ne peux pas laisser dire cela.

M. Renaud Jean. Je le dis quand même, c'est la vérité.

M. le président. Alors, je vous rappelle à l'ordre.

M. Henri Becquart. La raison de la gravité du fait reproché à M. Salengro et de la situation que ce dernier occupe dans le Gouvernement, l'opinion ne peut se contenter d'un verdict d'indulgence.

Si M. Salengro n'était qu'un simple citoyen, la question serait moins grave. (Interruptions à l'extrême gauche), mais il est ministre de l'intérieur et cela change du  tout au tout.

C'est pourquoi il est essentiel de connaître les faits qui ont provoqué l'acquittement. Or, le procès-verbal est muet sur ce point. Ceci est d'autant plus regrettable que l'acquittement d'un contumax est rare, rarissime même.

La condamnation par contumace n'est pas exécutoire. Elle tombe d'elle-même dès que le condamné peut venir présenter sa défense...

M. André Le Troquer. Il y a un commencement d'exécution redoutable, c'est l'affichage à la porte de l'intéressé.

M. Henri Becquart. On la considère comme une solution d'attente qui permettra de juger à nouveau l'accusé en pleine connaissance de cause après l'avoir entendu et avoir entendu son défenseur.

Pour expliquer l'acquittement d'un contumax, il faut que l'accusation se soit trouvée pulvérisée, anéantie. Elle n'a pu l'être qu'a l'audience, car si l'enquête n'avait pas révélé des charges suffisantes il y aurait eu un non-lieu et l'affaire ne serait pas revenue devant le conseil de guerre.

L'acquittement est inexplicable sans la production à l'audience d'un document, d'un témoignage apportant la preuve éclatante de l'innocence de AI Salengro.

S'il en fut ainsi, il est impossible qu'il n'en soit pas resté trace sur les notes d'audience qui, d'après MM. Pichot et de Barral, figurent au dossier.

Pourquoi ne pas publier ce document ? Pourquoi le procès-verbal n'en fait-il pas connaître la teneur ? Quel soulagement ce serait pour tous et quel magnifique moyen de mettre fin à ce cauchemar qui obsède le Gouvernement et qui empoisonne fous les Français qui ne peuvent se faire a l'idée d'avoir pour ministre de l'intérieur un déserteur à l'ennemi ! (Applaudissements à droite. – Vices interruptions à l'extrême gauche.)

Ici se présente une objection : Si ce document ou ce témoignage a été produit pourquoi le tribunal s'est-il divisé ? Pourquoi deux des juges sur cinq ont-ils conclu à la culpabilité ?

Et puis, pourquoi, dans cette procédure par contumace, les témoins ont-ils comparu ? L'article 120 du code de justice militaire est formel. Il stipule, dans son paragraphe .t, que « les rapports et procès-verbaux, les dépositions des témoins et les autres pièces de l'instruction sont lus en entier à l'audience ».

Vous voyez combien ces obscurités permettent à l'opinion d'imaginer je ne sais quelles interventions politiques. (Interruptions à l'extrême gauche.) Ces obscurités permettent à l'opinion de rester sceptique quand on fait état de l'acquittement. Ces obscurités, je vais tâcher d'en dissiper quelques-unes.

J'ai reçu des éclaircissements sur ce qui s'est passé dans la séance du conseil de guerre du 20 janvier 1910.

J'ai, d'abord, reçu les témoignages de deux anciens combattants qui assistaient en spectateurs a cette séance. Ces deux témoins ne se connaissent pas. L'un m'a apporté son récit, il y a deux ans. Il a fait l'objet d'un article paru dans la Concorde lilloise, qui a été revu et corrigé par lui avant l'impression.

M. Salengro connaît certainement cet article. Il a paru le 1er décembre 1934. Il n'a jamais été démenti. Ce témoin est mort l'année dernière.

L'autre témoin m'a envoyé son témoignage, il y a quinze jours. Il confirme le premier, qu'il ne connaissait fias ; il le confirme dans ses moindres détails.

Voici ce que disait le premier témoignage :

« Les dépositions des soldats et sous-officiers furent toutes nettement défavorables au futur maire de Lille qui, pas plus alors qu'aujourd'hui, ne se cachait de ses opinions et qui, au dire des témoins, ne cessait de répéter qu'il « en avait marre ». (Exclamations et rires à l'extrême gauche et à gauche.) Mais quelqu'un intervint en sa faveur. Ce fut le capitaine Deron, catholique pratiquant, ancien rédacteur au Courrier du Pas-de-Calais, tué héroïquement peu après.

« Celui-ci déclara notamment aux juges que l'internationalisme de l'accusé, les propos antipatriotiques qu'il tenait et qu'il connaissait personnellement, pour en avoir discuté avec lui, n'étaient pas une preuve suffisante qui permit de condamner un homme à la peine capitale. A ses yeux de chrétien, il y avait doute et ce doute s'opposait a la condamnation. » (Applaudissements à l'extrême gauche, à gauche et sur divers bancs.)

L'autre témoin me dit ceci:

« Tous les témoins ont été unanimes à charger Salengro. Deron, seul, a eu une altitude différente. Au président du conseil de guerre qui lui demandait: « En votre âme et conscience, pouvez-vous déclarer que Salengro a déserté ? », Deron répondit : « Non, je ne le peux pas. »

Celait là une réponse de doute (Interruptions à l'extrême gauche), et il est évident que si l'on avait posé la question inverse, la réponse eut été la même. (Nouvelles interruptions à l'extrême gauche. Bruit.)

Ce témoin ajoute qu'après la séance du conseil, il partit avec Deron et qu'il rencontra un commandant qui, frappant familièrement sur l'épaule de Deron, lui dit: « Allons, mon brave Deron, vous savez bien qu'il n'y a que vous pour croire à l'innocence de Salengro. »

Donc, aux dires des témoins, l'audience, pas de coup de théâtre. Une seule déposition, celle du lieutenant Deron, n'accable pas l'accusé, mais elle n'est inspirée que par un très haut sentiment de charité chrétienne et par ce désir qu'ont les officiers français de sauver la mise de leurs hommes lorsque le salut de la pairie n'est pas en jeu. Elle n'invoque que le doute. Il ne faut pas oublier que c'est le lieutenant Deron qui, le premier, a signalé au commandant la disparition de Salengro et sa crainte qu'il n'eût déserté.

Il est difficile d'admettre que celte déposition, contredite par d'autres et par des rapports accusateurs, ait pu, dans une procédure par contumace, provoquer l'acquittement.

Il ne s'agissait, d'ailleurs, dans ce cas, que d'un verdict d'indulgence dicté par l'incertitude.

Y eut-il donc autre chose ? Cette fois, c'est M. Salengro lui-même qui va nous fournir la lumière.

Parmi les cinq membres du conseil de guerre, figurait un certain capitaine Macquart. Ce capitaine, mort en 1917 au champ d’honneur et devant la mémoire duquel je m'incline, était un des chefs du parti socialiste du Nord et, à ce titre, ami personnel et politique de M. Salengro.

On peut s'étonner qu'il ait été désigné pour faire partie d'un conseil de guerre appelé à juger une affaire où l'accusé était son ami et plus encore qu'il ait accepté de siéger dans ce conseil de guerre. (Exclamations à. l'extrême gauche. Interruptions à droite.)

Je n'ai pas à apprécier les motifs qui l'ont fait agir. Mais je dois vous faire savoir que, quelque temps après, le capitaine Macquart écrivait a ses amis une relation de ce qui s'était passé ce jour-la. Je crois que cette lettre a été publiée après la guerre par un journal socialiste du Nord. J'en retrouve les principaux extraits dans une petite feuille, les Hommes du Nord, éditée pendant la campagne électorale de 1924, pour favoriser, sous les auspices de Delory, les candidats socialistes, au premier rang desquels était M. Roger Salengro.

Dans le dossier qu'il a envoyé à la presse au mois de septembre dernier, M. Salengro a cité le début de ces extraits, mais il en a supprimé la phrase qui me paraît essentielle.

Le capitaine Macquart qui, ne l'oublions pas, écrit à des parents ou à des amis de M. Salengro, commence ainsi sa lettre:

« Le commissaire du Gouvernement reconnaît que Salengro n'a pas déserté .Interruptions à l'extrême gauche), qu'il est allé simplement tenter de ramener le corps d'un ami. Mais si Salengro n'est pas un déserteur, c'est un misérable socialiste. Il reçoit l'Humanité » (Rires et applaudissements à l'extrême gauche.)

D'après le capitaine Macquart, le commissaire du Gouvernement dit :

« Salengro reçoit l’Humanité, distribue des tracts du parti socialiste. Il a acquis sur ses camarades et même sur certains officiers un ascendant déplorable.  »

Et toujours d'après le capitaine Macquart, le commissaire du Gouvernement ajoute :

« En le condamnant à mort, vous condamnerez, en même temps, les déplorables doctrines qu'il a répandues. » (Applaudissements et exclamations à l'extrême gauche et sur de nombreux bancs à gauche.)

M. Joseph Lagrosillière. Voilà l'aveu !

L'affaire est jugée.

M. Henri Becquart. Je demande à cette Assemblée, même à vous, messieurs (l’orateur s'adresse à l'extrême gauche), même a ceux qui se piquaient autrefois et se piquent encore d'antimilitarisme, s'ils croient possible qu'un officier ou un magistrat fiançais siégeant en séance publique de conseil de guerre, devant un public de soldats venus en spectateurs, aurait pu prononcer ces paroles sans soulever immédiatement des protestations.

Croyez-vous qu'un officier ou un magistrat français ait pu dire devant ce même auditoire que l'accusé n'était pas coupable du crime pour lequel il était poursuivi, mais qu'il fallait le condamner à mort tout de même, à cause de ses opinions ? (Interruptions à l'extrême gauche.) Moi, je ne le crois pas. (Applaudissements à droite.)

Même si, par impossible, ces paroles sacrilèges avaient été prononcées, il me semble qu'elles auraient produit une vive sensation. (Interruptions à l'extrême gauche.)

Si le commissaire du Gouvernement avait ainsi abandonné en fait l'accusation, croyez-vous que les témoins qui ont assisté. a cette séance n'en auraient pas gardé le souvenir ?

Croyez-vous qu'ils ne l'auraient pas dit dans les témoignages que je viens de citer ? Surtout, est-ce que cela ne se retrouverait pas dans les notes d'audience qui figurent au dossier? S'il en est ainsi, qu'on nous le dise ; nous ne demandons qu'à savoir ; mais je suis persuadé qu'il n'en est rien.

Le capitaine Macquart continue son récit.

Les cinq juges, dont il faisait partie, se sont retirés en chambre du conseil. A ce moment-là, paraît-il, une tendance se manifeste en faveur de la condamnation. Je lis alors le texte des Hommes du Nord ; le capitaine Macquart se dresse et déclare :

« Le commissaire du Gouvernement... » – c'est toujours sa lettre qui reprend l'affirmation précédente – « ... a reconnu que Salengro n'a pas déserté, mais que ce qu'il fallait frapper en lui, c'était le socialiste. » (Applaudissements à l'extrême gauche.)

A droite. Quelle mauvaise foi !

M. Henri Becquart. « J'ai un aveu à vous faire – dit Macquart – j'ai l'honneur d'appartenir au même parti, à la même fédération que mon ami Salengro. Or, pas plus que lui, je n'ai failli à mon devoir de Français. »

Le capitaine Macquart défend son ami et je n'ai pas l'intention de le lui reprocher. Mais il ajoute cette phrase, que M. Salengro a supprimée dans son communiqué à la presse et qui nie parait être celle qui jette le plus de lumière sur cette affaire : « Je vous informe donc qu'au risque d'être accusé à mon tour de désertion, je file à Paris dire la vilenie qu'on se propose de commettre. »

Messieurs, si vous voulez bien vous rappeler qu'à ce moment-là – le 20 janvier 1916 – nous sommes en pleine campagne contre les conseils de guerre, campagne menée par M. Paul Meunier, avec, comme par hasard, pour soutien M. Tunnel, qu'une proposition de loi, bouleversant les juridictions militaires, a été votée par la Chambre et est en instance devant le Sénat, vous devez penser quelle impression et quel effet peut faire sur un conseil de guerre la menace de Macquart de provoquer une agitation politique.

Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle est une tentative caractérisée de pression. (Exclamations à l'extrême gauche.)

Supposez un instant qu'une intervention de ce genre se soit produite en sens inverse et qu'une condamnation ait été prononcée à la suite d'une telle menace faite en chambre du conseil. N'était-ce pas un cas de cassation indiscutable, et le jugement n'aurait-il pas été annulé instantanément ?

Voilà, messieurs, ce que nous savons des circonstances dans lesquelles, par trois voix contre deux, M. Salengro fut acquitté le 20 janvier 1916.

S'il y eut autre chose, nous ne demandons qu'à le savoir. Je le répète, nous ne poursuivons qu'un but: la recherche de la vérité. Mais, à la lumière des faits que nous connaissons, nous sommes forcés de conclure que cet acquittement, prononcé par des juges dont nous n'avons pas à apprécier les motifs, ne détruit pas l'accusation (Exclamations à l'extrême gauche), ni les témoignages que j'ai cités au début de mon exposé, et est incapable d'ébranler la conviction des anciens du 233»

Tant que d'autres preuves, d'autres documents ne seront pas fournis, ceux-là resteront persuadés que Salengro a bénéficié d'une mesure extraordinaire d'indulgence, due à l'intervention d'un de ses amis. L'indulgence qui pouvait s'expliquer pour le petit cycliste de 1915 perdu dans la foule des combattants ne se justifie, plus pour l'homme qui a la prétention, en 1936, de participer au Gouvernement do ce pays. (Vives interruptions à l'extrême gauche.)

Du reste, d'autres questions se posent.

Cet acquittement est-il valable ? Tous les témoins dont j'ai cité les noms affirment que Salengro a d'abord été condamné à mort.

Albert Jourdin, caporal, puis sergent fourrier, affirme avoir, de sa main, copié un jugement de condamnation à mort.

Il maintient énergiquement son affirmation même après la publication du procès-verbal Pichot-de Barral et demande une expertise d'écriture.

Le caporal Sénéchal se souvient d'avoir clé de ceux qui furent de garde dans la salle du conseil de guerre qui prononça la condamnation à mort.

La plupart des autres témoins affirment avoir lu ou transmis ce jugement ou avoir entendu la lecture.

Il  est facile de parler d'aberration mémoire ou d'hallucination collective. Cela n'explique rien et il est indispensable de tout expliquer.

Il est certain que, juridiquement, à condition que tout se soit passé régulièrement, le fait de l'acquittement, le 20 janvier 1910, exclut toute possibilité de condamnation par contumace, soit avant, soit après.

Mais, devant les affirmations concordantes et multiples, devant les anomalies que le procès-verbal Pichot-de Barral a révélées dans le dossier militaire et que nous examinerons tout à l'heure, il est permis de se demander si tout s'est passé régulièrement. (Interruptions à l’extrême gauche.)

Il est non moins certain que si l'on découvrait, par hasard, que les témoins ont raison et qu'une condamnation à mort a été prononcée avant, ce n'est pas, comme on pourrait le croire, l'acquittement qui détruirait la condamnation, c'est la condamnation qui annulerait l'acquittement, puisqu'une condamnation par contumace est intangible si l'on n'y a pas fait opposition.  (Interruptions à l'extrême gauche.)

Il faut éclaircir ce point. M. le ministre de la défense nationale m'a écrit qu'il n'avait trouvé aucune trace d'un jugement de condamnation dans les archives du conseil de guerre de la 51° division. Je le crois.

Le procès-verbal Pichot-de Barral constate également que les états des jugements rendus par le conseil de guerre de la 51e  division ne mentionnent qu'un seul jugement portant le nom du soldat Salengro, celui du 20 janvier 1916, qui l'a acquitté.

Mais des témoins affirment avoir eu connaissance d'un jugement de condamnation à mort.

Nous nous trouvons devant des affirmations contradictoires. Est-il impossible de les concilier? Y a-t-il possibilité d'une condamnation par une juridiction autre que le conseil de guerre. (Interruptions à l'extrême gauche.)

M. le président. Veuillez, messieurs, garder le silence.

M. Henri Becquart. Messieurs, je vais abréger.

Il y a, dans cette affaire, toute une série de faits mystérieux qu'il convient d'expliquer, dans l'intérêt du Gouvernement.

Il faut expliquer la complication de l'instruction, avec la multiplicité des rapports, avec la commission rogatoire à Paris, qui est extraordinaire dans une procédure par contumace. Il faut expliquer pourquoi les témoins ont été entendus, alors qu'il aurait suffi de lire leurs dépositions.

Il faut expliquer la croyance générale à la condamnation et montrer pourquoi aucun des témoins que j'ai cités n'a eu connaissance du jugement d'acquittement.

Messieurs, dans cette affaire, je cherche désespérément la lumière. Si vous voulez disculper M. Salengro, il faut dissiper ces obscurités, d'autant plus que l'examen du dossier militaire a révélé d'étranges anomalies.

Voila un livret matricule, dont MM. de Baral et Pichot ont dû demander communication, car cette pièce essentielle, qui est la photographie de la vie militaire d'un homme, ne figurait pas au dossier qu'on leur a remis.

Le livret matricule, dans lequel toutes les mutations et positions doivent être inscrites, ne porte aucune trace d'une comparution devant le conseil de guerre, comparution que personne ne nie, et l'on s'aperçoit que la page 1 a été refaite.

Il serait intéressant de savoir si c'est la page 1 ou le folio 1, car on ne voit pas comment on aurait pu refaire la page 1 sans refaire la page 2.

Or, c'est la page 2 qui est intéressante, puisque sur cette page doivent être inscrits les services et positions diverses, dans la colonne de gauche, dans un cadre spécial, les condamnations.

Normalement, on ne refait pas les livrets matricules. Ils sont « tabous », a dit un sergent-major, et ils sont en papier fort, capables de durer toute une vie.

Cette page aurait été refaite on 1932. Comment connaît-on la date de cette réfection ? Et pourquoi en 1932 ? Au lendemain de la guerre, on aurait compris que, par suite d'un accident de transport ou autre, un livret matricule eut été détérioré et refait. Mais en 1932 ?

Y a-t-il, dans les archives du 233e, plusieurs livrets ayant été refaits de cette façon ?

Celle réfection est-elle une irrégularité tombant sous le coup des articles 115 et 147 du code pénal ou bien est-elle une mesure générale, qui n'aurait été prise, du reste, que pour des soldats ayant subi des condamnations effacées par l'amnistie?

Voilà des renseignements qu'il aurait été utile de nous donner.

Et voici qu'on découvre, sur le feuillet 5 du livret matricule, d'une part, la mention d'acquittement, 20 janvier 1916, mais aussi le mot, le fameux mot que les témoins affirment avoir entendu et que M. Salengro a toujours nié, le mot :

« condamné ».

Il est vrai que ce mot est suivi de mentions incompréhensibles et contradictoires.

Mais ce n'en est que plus inquiétant.

On ne peut imaginer qu'un même sergent-major ou un même fourrier ait écrit, d'affilée, une phrase commençant par le mot « condamné » et se terminant par les mots non coupable, acquitté ».

L'homme capable d'une telle absurdité aurait été réformé pour faiblesse mentale. On comprend que, devant celte révélation, le sergent fourrier Jourdin réclame une expertise. (Interruptions à l'extrême gauche.)

Il écrit, dans le Moniteur du Calvados:

« L'authenticité même de ce livret peut-elle être établie ? Oui, par l'expertise des écritures, comparées avec celles du sergent-major Leblond des fourriers Six et Jourdin. Mais je doute fort que ce livret soit soumis à mon examen.

« En tout cas, pour mon compte, je n'accepte pas d'être accusé d'avoir lancé des ragots pour le plaisir de nuire. La vérité doit jaillir. »

Et le sergent fourrier Jourdin déclare:

« L'honneur d'un simple citoyen vaut bien celui  d'un ministre.  »

Pouvons-nous, messieurs, donner tort à ce citoyen qui se refuse à passer pour un calomniateur ?

Enfin MM. de Baral et Pichot constatent la disparition du rapport du commandant Arnould en date du 18 octobre 1915. Or, ceci m'a fortement troublé.

Dans sa lettre du 11 septembre dernier, M. le ministre de la défense nationale fait état de ce rapport comme s'il l'avait eu sous les yeux. Le 30 octobre, MM. de Barral et Pichot constatent que ce rapport ne figure plus au dossier. S'il était disparu entre le 11 septembre et le 30 octobre, il me semble que cela deviendrait singulièrement grave.

Monsieur le ministre de la défense nationale, dans votre lettre du 11 septembre, vous faisiez état du rapport du 18 octobre.

M.  le ministre de  la défense nationale.

Oui.

M. Henri Becquart. Le 30 octobre, le procès-verbal de MM. Pichot et de Barral déclare que ce rapport ne figure plus au dossier.

M. le ministre de la défense nationale.

Il n'y a jamais figuré, monsieur Becquart. Il y a eu deux rapports: le premier, qui a été dressé au bout d'une dizaine de jours environ – je cite de mémoire – par le commandant Arnould, dont vous avez parlé. Ce rapport a disparu du dossier et sa disparition est attestée en marge du second rapport du même commandant Arnould, qui a été rédigé un mois après.

Dans la transmission de ce second rapport, l'annotation du général de brigade dont vous avez cité le nom permet de reconstituer ce qui était l'élément essentiel du premier.

C'est là-dessus que je me suis fondé lorsque je vous ai écrit.

M. le président du conseil. C’est exact.

M. le  ministre de la défense nationale.

Le premier rapport a disparu du dossier par la volonté des autorités militaires de l'époque et elles l'ont dit très loyalement. (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)

En marge du second rapport Arnould, il y a cette inscription à l'encre rouge:

 « Le présent rapport annule le premier. »

Le premier rapport a été détruit et je le regrette infiniment, monsieur Becquart.

Plusieurs membres à droite. Nous aussi.

M.  le ministre de la défense nationale.

Vous avez raison de le regretter, car, si nous l'avions eu, j'ai la certitude que cette campagne aurait été impossible. (Vifs applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)

Pourquoi ? C'est facile à comprendre.

Dans les jours qui ont suivi la disparition de Salengro, le commandant Arnould dresse son premier rapport, et il y a lieu de penser qu'il ne conclut pas à des poursuites, puisqu'il n'est suivi d'aucun acte de procédure. Il faut croire par conséquent que le commandant Arnould prend à son compte la thèse du lieutenant Deron, à savoir que Salengro ne saurait être un déserteur. C'est certainement ce qu'il y avait dans ce premier rapport, et j'en trouve la preuve dans l'absence de poursuites que je viens de constater. (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)

Je ne parle pas pour être applaudi. Je parle pour dire la vérité (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs) et pour exprimer l'émotion douloureuse que j'éprouve, a voir se perpétuer une campagne qui est au moins déplorable. (applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)

Ainsi, le premier rapport n'a pas été suivi d’inculpation : C'est donc qu'il admettait la » bonne foi » de Salengro et ce mot de « bonne foi », il est repris dans le second rapport du  17 novembre.

Il faut expliquer au général de division pourquoi on met si longtemps à poursuivre un fait de désertion. Il faut lui expliquer pourquoi on n'a pas poursuivi dans les huit jours ou dans les quinze jours. L'explication, le général de brigade la donne en transmettant ce second rapport du commandant Arnould. Il dit: Dans un premier rapport j'avais conclu à la bonne foi de Salengro.

Je cite encore de mémoire, mais je pense que M. le président du conseil voudra bien citer ce texte qui éclaire toute l'affaire.

Voilà ce que je vous ai déjà répondu, monsieur Becquart. (Vifs applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)

Je tenais à le dire une fois de plus, en prenant, bien entendu, la responsabilité de mes paroles.

Lorsque, après le second rapport, sur lequel on s'expliquera tout à l'heure, le conseil de guerre s'est réuni ; lorsque, jugeant par contumace, il a acquitté ; lorsque, l'accusé n'ayant pas d'avocat, l'accusé ne pouvant se défendre, l'accusé n'ayant personne dans l'enceinte du conseil de guerre pour parler en son nom, il est acquitté, je m'étonne que vous vous obstiniez à vouloir, vous, un ancien combattant... (Vifs applaudissements prolongés à gauche, à l'extrême, gauche et sur plusieurs bancs du centre. - Sur plusieurs bancs à gauche. MM. les députés se lèvent et applaudissent. - Interruptions à droite.)

Messieurs, ceci n'est pas une question de   parti  politique...

M. Georges Roulleaux Dugage. Monsieur le ministre de la défense nationale... (Interruptions à l'extrême gauche et à gauche.)

M. le président. Monsieur Roulleaux Dugage, vous n'avez pas la parole.

Si vous voulez intervenir, veuillez vous faire inscrire.

M. le ministre de la défense nationale.

Autrefois, on pouvait parler de l'autorité de la chose jugée.

Voilà un jugement rendu, à la majorité par le conseil de guerre : alors que l'accusé était absent, alors que pesait sur lui cette atmosphère que vous avez signalée, il a été acquitté.

Y a-t-il vraiment, monsieur Becquart un intérêt national à vouloir déchirer un jugement rendu légalement par un conseil de guerre français? (Vifs applaudissements à i'extrême, gauche et à gauche.)

Vous dites alors ; Pourquoi ne publiez-vous pas toutes les pièces ?

Prenez garde, messieurs ! Vous allez donc vous engager dans cette voie ? Il sera donc entendu que, vingt ans après la guerre, on pourra reprendre dans la presse tout entière les jugements des conseils de guerre français ? Y a-t-il vraiment un homme sérieux, y a-t-il vraiment, sur ces bancs, un patriote pour le vouloir ? Je le regretterais pour lui.

Voilà un jugement régulier, normal, rendu en pleine guerre par des officiers français en leur âme et conscience, sous l'impression directe des faits. Je dis que ce jugement est définitif et je suis sûr d'être d'accord avec l'opinion française. i>{Vifs applaudissements prolongés à gauche, à l'extrême gauche et sur divers bancs du centre.)

M. Henri Becquart. Monsieur le ministre, il n'y a chez moi qu'une obstination : c'est celle de vouloir faire la lumière, de dissiper ce cauchemar.

Je l'ai dit dès le début de mon intervention: je ne suis pas venu ici en accusateur. (Interruptions à l'extrême gauche et à gauche. – Interruptions à droite.)

Je suis venu pour exprimer l'émotion qui s'est fait jour dans ce pays et pour vous demander de nous aider  à la dissiper. Vous devez bien constater que les documents produits jusqu'à présent n'ont pas suffi à éclairer complètement l'opinion. Vous avez dit que le rapport disparu devait conclure à l'innocence. Or le commandant Arnould, qui l'a rédigé, concluait formellement et catégoriquement à la culpabilité. Interrogez-le ! Confrontez les témoins avec les documents ! (Applaudissements à droite.)

M. le ministre de la défense nationale.

On veut, recommencer le procès ! C'est invraisemblable !

M. Henri Becquart. Il y a des anomalies dans le dossier. Le livret matricule a été refait. A-t-on confronté le nouveau livret avec le registre matricule ? En faisant cette comparaison, on verrait si les deux mentions sont bien conformes, s'il n'y a aucune déchirure, aucune rature, aucune surcharge. Si vous ne la faites pas, on pourra encore avoir des doutes. L'opinion a des doutes, je n'y peux rien.

Consultez le journal de marche, sur lequel toute la vie du régiment est pour ainsi dire photographiée.

Vous voulez confondre les accusateurs ? Il y a un moyen bien simple. Que disent les témoins ? Qu'ils ont entendu, au rapport, la lecture de la condamnation...

M. le ministre de la guerre. Mais non !

M. Henri Becquart. Vérifiez, voyez le cahier de rapports. Je ne vous demande que cela. Si vous innocentez M. Salengro, j'en serai enchanté pour l'honneur de mon pays. Mais faites la lumière ! Faites cesser cet épouvantable cauchemar ! Voyez-vous, dans cette affaire, je cherche désespérément la lumière.

Ce que nous voulons, ce n'est pas le rayon prudemment dirigé par l'entrebâillement de deux persiennes, c'est la pleine lumière qui ne laisse aucun point dans l'ombre.

Si vous avez paru croire, monsieur le président du conseil, que je défendais un peu trop la thèse de l'accusation c'est que j'ai eu l'impression, depuis le début de cette affaire, que le Gouvernement avait aveuglement embrassé le parti de la défense. Je ne demande qu'une chose: c'est que le malaise que je sens depuis des années  à Lille, se dissipe. C'est que s'apaise l'émotion qui a été soulevée dans ce pays.

Cette émotion, le procès-verbal Pichot-de Barral ne l'a pas calmée. J'en ai la preuve tous les jours par les lettres et les témoignages qui me parviennent.

Monsieur le président du conseil, pour donner à l'opinion les apaisements qu'elle réclame, pour en finir avec cette situation effroyable, il n'y a qu'un moyen : réunir un jury d'honneur, composé d'anciens combattants....

M. Renaud Jean. Présidé par M. Philippe Henriot ?

M. Henri Becquart. ...accepté par M. Salengro et par ses accusateurs.

Ce jury d'honneur aurait le droit de se faire délivrer tous les documents qu'il estimerait nécessaires. Il entendrait les témoins. Il confronterait les témoignages avec les documents officiels. Ainsi, parfaitement éclairé, aucun point n'étant laissé dans l'ombre, il rendrait sa sentence, qui dissiperait tous les doutes et ferait taire toutes les rumeurs.

Si vous vous refusez à cette procédure, la seule loyale et logique, comment empêcherez-vous l'opinion de dire que vous avez   peur  de  la lumière ?

On m'a dit, hier, que dans une affaire de ce genre, il fallait faire vingt fois la preuve. J'ai l'impression que je vous ai apporté vingt fois la preuve qu'il y a, dans cette affaire, des obscurités qu'il faut dissiper.

C'est pourquoi j'insiste auprès du Gouvernement pour qu'il ne repousse pas ma demande de constitution d'un jury d'honneur et je demande à la Chambre de ne pas écarter le seul moyen qui reste de disculper définitivement le ministre de l'intérieur (Applaudissements à droite et sur divers bancs au centre. Interruptions à l'extrême gauche.)

M. le président. La parole est à M. le président du conseil.

M. le président du conseil. Messieurs, c'est à moi que M. Becquart a adressé son interpellation...

A droite. M. le ministre de la guerre a la parole. (Protestations à gauche et à l'extrême gauche.)

M. le président. Je vous prie de ne pas interrompre.

M. le président du conseil. Je n'ai pas besoin de dire à la Chambre dans quelle intention d'esprit... (Interruptions à droite.)

M. le président. Je vous prie d'écouter M. le président du conseil.

M. Henry Ponsard. Monsieur le président, veuillez dire cela à M. le ministre des colonies, qui interpelle nos collègues ! {Protestations à gauche et à l'extrême gauche.)

M. le président. Monsieur Ponsard, vous n'avez pas la parole.

M. le président du conseil. Je n'ai pas besoin de dire à la Chambre dans quelle intention d'esprit j'aborde un tel débat.

Je n'ai pas à lui apporter une affirmation,...

M. Biétrix. Comme pour la dévaluation ! (Mouvements divers.)

M. le président du conseil. ...une démonstration ; et cela, parce que la preuve est faite, parce qu'il existe une pièce qui fait foi, ou qui doit faire foi pour vous, messieurs, et pour tous les honnêtes gens...  (Interruptions et bruit à droite.)

M. César Campinchi. (s'adressant à la droite). Vous posez des questions et vous ne voulez pas qu'on y réponde. (Protestations à droite.)

M. François de Saint-Just. Monsieur Campinchi, vous auriez dû commencer par obtenir de vos amis qu'ils fassent silence lorsque M. Becquart était à la tribune. {Interruptions à gauche et à l'extrême fauche.)

M. le président. Monsieur de Saint-Just, veuillez ne pas interrompre.

M. le président du conseil. ...je veux dire: le procès-verbal qui a été établi par M. Maurice de Barral...

Sur divers bancs à droite. Plus haut ! (Protestations à l'extrême gauche.)

M. le président. Monsieur le président du conseil, je vais être obligé de suspendre la séance. Je m'en excuse auprès de vous ; mais je ne crois pas que la Chambre soit en état d'écouter: elle n'a plus assez de sang-froid. (Interruptions à droite.)

Croyez-vous, messieurs, que ce débat soit réjouissant pour des Français ? (interruptions à droite.)

M. Henry Ponsard. Il faut vous en prendre à l'extrême gauche, monsieur le président.

M. le président. Je vous prie de reconnaître que j'ai fait tout ce qui dépendait de moi pour défendre, le droit de parole de M. Becquart. (Nouvelles interruptions à droite. – Vives exclamations et protestations à l'extrême gauche. >– Mouvement prolongé. – Bruit. – Tumulte.)

La séance est suspendue.

(M. le. président se couvre et quitte la salle des séances.)

(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt minutes, est reprise à dix-sept heures quarante-cinq minutes.)

M. le président. La séance est reprise.

Mes chers collègues, au moment où la séance reprend et où M. le président du conseil va monter à la tribune, voulez-vous permettre à votre président de vous adresser quelques mots ?

Voulez-vous lui permettre de vous rappeler qu'il y a, non pas quelques jours, mais quelques heures, les Français, devant les anciens combattants, devant la tombe du Soldat inconnu, devant les représentants étrangers, déclaraient, comme ils la pensent, qu'il y a des intérêts et des idées qu'ils mettent au-dessus de leurs divisions politiques. (Applaudissements à l'extrême gauche, à gauche, au centre et sur de nombreux bancs à droite.)

Voulez-vous me permettre de vous rappeler que, du dehors – et cela aussi vous le savez bien – on mesure, à l’heure présente, les forces morales de la France ? (Vifs applaudissements sur les mêmes bancs.) L'appréciation que l'on en fait est un des cléments certains de la sécurité de notre peuple. (Nouveaux applaudissements.)

Dans ces conditions, votre président vous demande de l’aider a terminer dans le calme et avec rapidité un débat dont on a justement dit qu'il est douloureux.

Il vous le demande simplement, mais ardemment, avec l'espoir que ces paroles descendront profondément dans vos consciences pour que des manifestations passagères et apparentes ne fassent pas illusion sur vos sentiments vrais. (Vifs applaudissements prolongés sur un très grand nombre de bancs.)

J'ai fait mon devoir, vous allez faire le vôtre. (Applaudissements unanimes.)

La parole est à M. le président du conseil.

M. le président du conseil. Je me permets de rappeler à la Chambre les paroles que je prononçais au moment où sa séance s'est trouvée interrompue Je lui disais que je n'avais pas a lui apporter une démonstration, en ce sens que la preuve est faite, qu'il existe une pièce qui fait foi, ou qui doit faire foi, pour vous et pour tous les esprits honnêtes, je veux dire le procès-verbal établi par MM. Maurice de Barral et Henri Pichot, en présence et sous le contrôle du général Gamelin, chef d'état-major général de l'armée.

La force probante de ce document est telle que je ne prétends pas y ajouter ici quoi que ce soit ; je me bornerai, si je peux dire, à en animer les conclusions et, peut-être, à le compléter par quelques détails précis qui seront tous, sans exception, empruntés au dossier.

Puis je proposerai à la Chambre les réflexions et les conclusions qui me paraissent nécessaires.

Au commencement d'octobre 1915, Roger Salengro appartenait au 233°régiment d'infanterie, 51e division.

Il était cycliste du chef de bataillon qui, dans un rapport du 19 décembre – ce chef de bataillon n'est autre que le chef de bataillon Arnould – s'exprime ainsi :

« Durant les journées des 5, 6, 7 octobre, l'attitude de ce soldat, sous un bombardement infernal, fut celle d'un soldat à la fois brave et dévoué pour ses chefs et ses camarades, s'offrant a rendre service aux uns et aux autres, circulant hors des boyaux pour rassembler les comptes rendus et les pièces journalières des compagnies. »

Le 7 octobre, vers quatre heures de l'après-midi, Roger Salengro se trouvait au poste de secours où il avait accompagné un de ses camarades blessé. Le médecin du poste était le docteur Willot, médecin auxiliaire.

Le docteur Willot demande à Salengro des nouvelles du lieutenant Deron, commandant la 24e compagnie, celle à laquelle Salengro avait appartenu jusqu'à sa désignation comme cycliste du chef de bataillon.

On n'avait pas entendu parler du lieutenant Deron depuis l'attaque de la veille, Salengro répondit: « J'y vais », et il se dirigea vers la 24e compagnie où il rencontra vivant et sans blessures le lieutenant Deron, auquel je laisse maintenant la parole :

« Le 7 octobre, dans l’après-midi, dit le lieutenant Deron, je me trouvais, avec ma compagnie, dans une tranchée de départ d'où j'étais allé la veille à l'assaut. Je vis arriver Salengro qui venait me féliciter aimablement et serrer la main aux camarades qui survivaient à l'attaque de la veille, qui avait été très chaude.

« Au cours de la conversation, Salengro me parla du sergent Demailly qui avait été tué la veille.

« Nous nous étions promis mutuellement, me dit-il, en cas de malheur, de tenter l'impossible pour rapporter à la famille du mort ses papiers personnels.

« Je le félicitai immédiatement de sa pensée, mais je lui fis observer, comme j'en avais le devoir, toute l'imprudence de son projet. Je lui dis notamment:

« Vous voyez cette crête. Immédiatement après, vous serez exposé au feu et aux coups de l'ennemi. Surtout, ne dépassez pas la crête.

« En avant de la tranchée, le champ de bataille était couvert de cadavres.

« A ce moment-là, je n'avais sur Salengro pas même l'ombre- d'un soupçon, d'autant mieux que par sa fonction de cycliste du commandant, il pouvait détenir des secrets militaires.

« A défaut d'autres arguments, la confiance du commandant de Salengro aurait éloigné tous mes soupçons sur cet homme.

« Je savais que Salengro était socialiste convaincu et militant. On m'avait dit qu'au jour de la mobilisation il avait été arrêté comme suspect au point de vue national. Mais je dois à la vérité de dire, que depuis son incorporation, en tout cas depuis son arrivée à la compagnie, le patriotisme de Salengro n'avait jamais été suspect. Il avait tenu des propos qui n'étaient pas suspects au point de vue national. Au contraire. Lorsque le feu de l'ennemi eut cessé, Salengro abandonna son équipement et s'avança dans la direction de l'ennemi en rampant. Il s'approcha de quelques cadavres et je l'ai vu très nettement dégrafer la capote du soldat tué. fouiller dans sa poche et retirer un objet qu'il remit ensuite dans sa poche. J'ignore si ce cadavre était celui du sergent Demailly, mais je ne le crois pas, car on m'a dit que Demailly était tombé beaucoup plus prés des fils de fer, c'est-à-dire des Allemands.

« Salengro s'approchait terriblement de la crête. Je pris mes jumelles pour l'observer. A ce moment, un soldat cria: « Il mérite la croix de guerre. » Je répondis ; « Il l'aura. »

« Puis, Salengro disparut derrière la crête. Quelques instants après j'entendais distinctement trois coups de feu. Je n'ai plus revu Salengro. » (Mouvements divers.)

Cela, messieurs, est extrait du procès-verbal de comparution du lieutenant Deron devant le rapporteur du conseil de guerre, le 30 décembre 1915. Mais je puis dire également à la Chambre, parce qu'ils sont peut-être plus précis et plus vivants, quelques fragments des notes d'audience, auxquelles M. Becquart a fait allusion, notes d'audience prises par le greffier pendant la déposition du lieutenant Deron devant le conseil de guerre.

« Avant d'être cycliste, dit le lieutenant Deron. Salengro était dans ma compagnie. Très bon soldat, jamais l'ombre d'une difficulté. »

« Sur interpellation : « Il n'a jamais professé d'opinions antimilitaristes, au contraire. Après l'attaque, il s'est informé de ses anciens camarades, est venu saluer les survivants, a parlé de la promesse faite à Demailly. Il a dit: « Mon lieutenant, je veux chercher le corps de Demailly. » Il a insisté. Je lui ai dit: soit ! allez, mais je vous interdis de passer la crête.

« Il a enlevé son ceinturon. Il est allé en rampant. Je l'ai vu nettement s'arrêter devant quelques cadavres, mais ne pas mettre les mains dans les poches. Il a rencontré un troisième cadavre. Je l'ai vu nettement mettre la main dans la poche, en retirer quelque chose, le mettre dans sa poche à lui, puis il a continué. »

« Sur interpellation :

« Mon impression est toujours bonne. Il venait, à mon avis, de trouver un autre camarade, peut-être moins aimé que Demailly.

« Un homme voisin a dit: « Il mérite la croix de guerre. »

« J'ai dit: « Il l'aura. »

Il a eu une autre croix ! (Mouvements divers.)

« On a tiré. Il était encore à la lisière, ignorant sans doute le point où il se trouvait. Puis, il a disparu. »

Voilà donc dans quelles conditions Roger Salengro disparaît et l'on ne s'étonnera pas si, dans ces conditions, aucune information n'est ouverte. Le chef de bataillon Arnould établit lui-même, en date du 18 octobre, le rapport auquel faisait allusion tout à l'heure M. le ministre de la guerre et qui concluait nécessairement au classement de l'affaire. Le général de brigade conclut également, à la même date, à la bonne foi de Salengro.

On a donné tout à l'heure à la Chambre quelques détails sur cette circonstance. Vous savez, dès à présent, que ce rapport concluait nécessairement à la non information, puisqu'aucune information n'était alors ouverte. C'est la seule pièce qui manque aujourd'hui au dossier.

Il y a, en effet, un document qui a disparu, mais c'est celui-là. Seulement, les documents ne disparaissent pas toujours si complètement qu'ils ne laissent quelques traces.

Or, en tête de son rapport du 17 novembre, celui qui concluait pour la première fois à l'ouverture d'une information, le commandant Arnould a écrit textuellement:

« Le présent rapport, dressé après nouvelle enquête, annule le précédent en date du 18 octobre 1915.»

Comme M. Daladier vous l'a dit tout à l'heure, le général de brigade, en donnant son avis réglementaire, consigné à la suite de ce même rapport du 17 novembre, fait lui-même allusion à ce précédent rapport dans lequel il avait conclu à la bonne foi de Salengro.

Rien ne s'était donc passé entre le 18 octobre et le 17 novembre.

Mais, le 17 novembre, l'affaire changeait de face. Que s'était-il produit ? Le commandant Arnould avait appris dans des circonstances d'ailleurs assez romanesques, que le soldat Salengro était vivant.

Vous vous souvenez, car ce détail est consigné dans la déposition du lieutenant Deron, qu'en quittant la tranchée, Salengro avait déposé son équipement. Or, on avait trouvé quelques papiers dans sa cartouchière et l'un d'eux portait l'adresse de la marraine de guerre de Salengro, qui habitait Paris.

Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de citer ici le nom de celte marraine qui était une femme d'une très haute honorabilité. Elle a été interrogée, comme on vous l'a dit, par commission rogatoire et elle a déclaré quelques semaines plus tard :

« C'est mon filleul de guerre. J'ai appris incidemment qu'il était des régions libérées et qu'il ne recevait ni lettres ni paquets. Je me suis offerte pour lui envoyer ce dont il pourrait avoir besoin. Je ne l'ai jamais vu. »

Ici, deux versions différentes dans le dossier, selon qu'on se réfère au rapport du 19 décembre du commandant Arnould, ou à sa déposition devant le conseil de guerre: dans son rapport le commandant Arnould dit qu'il a écrit alors à la marraine de guerre de Salengro ; devant le conseil de guerre il a déclaré qu'il s'était trouvé en rapport indirect avec elle pendant une permission à Paris.

Toujours est-il que le commandant Arnould apprit alors d'elle qu'elle venait de recevoir des nouvelles de Roger Salengro, prisonnier au camp de Grafenwohr en Allemagne, près de la frontière de Bohême.

Ainsi Salengro était vivant. Et aussitôt, messieurs, c'est le commandant Arnould qui le déclare, le soupçon apparaît. Il apparaît en même temps que renaît un atroce préjugé. Vous vous rappelez avec quel soin le lieutenant Deron, dans sa déposition, insistait sur le fait qu'il n'avait jamais entendu Salengro tenir de propos antimilitaristes. Mais malgré tout, et en dépit de sa jeunesse, Salengro était un militant socialiste, un militant déjà connu. Il avait figuré sur le carnet B, en illustre compagnie, et de la part d'un .socialiste, on pouvait évidemment tout croire.

Pour vous montrer avec, quelle partialité assurément inconsciente les faits ,se reconstituent alors dans l'esprit des chefs de .Salengro, je vous lirai la fin du rapport du commandant Arnould concluant pour la première fois à l'ouverture d'une information. C'est le rapport du 17 novembre qu'il établit à son retour de Paris. Voici la fin de ce rapport :

« Il semblerait donc, étant donné le passé du soldat, dont les idées antimilitaristes lui avaient valu d'être mis en prison le jour de la mobilisation, qu'on se trouve en présence d'une vulgaire désertion à l'ennemi. »

Et le chef de corps ajoute :

« Le fait que le cycliste Salengro avait quitté les lignes sans armes avait paru très suspect au chef de corps qui connaissait les fâcheux antécédents de ce soldat. »

Voilà donc la procédure engagée, et voilà aussi expliqué le retard qui avait paru singulier à M.  Bequart, si j'en juge par l'une de ses lettres au ministre de la guerre, et dont vous connaissez maintenant la cause.

Vous voyez pourquoi c'est seulement le 17 novembre que se déclenche la procédure militaire.

Après ce rapport du 17 novembre – tout cela est au dossier – nouveau rapport, plainte, ordre d'informer, information, information rendue beaucoup plus lente du fait que le régiment était passé de Champagne à Verdun et que les témoins demandaient quelquefois un certain délai avant de se rendre aux convocations de l'officier rapporteur.

C'est le 20 janvier que le conseil de guerre se réunit à Verdun. Il est composé de la façon suivante :

Président: lieutenant-colonel de Morcourt ; juges: chef de bataillon Chouren, capitaine Macquart, lieutenant Miesch, adjudant Barratte.

Sont entendus comme témoins – il n'y en a pas d'autres devant le conseil de guerre, s'il y en a eu d'autres depuis lors – le commandant Arnould, le lieutenant Deron, les sergents Ghesquière et Descamps, le soldat Roger.

Et, par trois voix contre deux, Roger Salengro est acquitté.

M. Becquart a parlé tout à l'heure d'un verdict extraordinaire d'indulgence. Je conviens, en effet, qu'il y a quelque chose d'extraordinaire dans ce verdict. Ainsi que le disait tout à l'heure mon ami M. le ministre de la guerre, s'il y a quelque chose d'extraordinaire, c'est l'acquittement.

Je vous rappelle que Salengro était absent, qu'il était vivant, qu'il n'avait pas de défenseur.

Le commissaire du Gouvernement, d'autre part, avait requis la condamnation avec insistance, et ce représentant du ministère public était un homme très redoutable par son talent.

En règle générale, on vous a dit combien les exceptions étaient rares. Tout contumax était alors presque fatalement condamné. Salengro est acquitté.

Il est acquitté en raison, je le pense, de la déposition du lieutenant Deron, en raison du scrupule des juges devant un cas comme celui qui leur était soumis-, et aussi, très vraisemblablement, pour la raison que M. Becquart a indiquée : parce que, parmi les juges, Salengro trouva un défenseur en la personne du capitaine Macquart.

Messieurs, ni vous, ni moi, ni personne n'a à entrer dans le secret des délibérations d'un tribunal, qui est le secret de la conscience. Salengro est acquitté. Il est définitivement acquitté, bien que contumax. Cela doit valoir et durer pour la vie entière.

En effet, sauf quelques incidents très vite réglés au cours d'une période électorale, vingt ans de silence s'écoulent. Et tout à coup voici qu'une légende vraiment monstrueuse se forme, se développe, apparaît : Salengro a été acquitté, soit ! Mais, dit-on, il a été acquitté après une première condamnation.

Bien entendu, comme toutes les légendes, comme tous les mythes, celui-ci varie et se diversifie, parce que tout mythe est par essence multiforme.

Pour les uns, Salengro a bien été acquitté, le 20 janvier 1916, mais il aurait été condamné auparavant, très peu de temps après sa disparition ; et on fait état, pour justifier cette conjoncture, de, l'espace de temps anormal, dit-on, qui s'est écoulé entre la disparition et la comparution devant le conseil de guerre.

Pour les autres, il aurait été, au contraire, condamné le 20 janvier 1916, et il aurait été acquitté beaucoup plus tard, à la fin de la guerre, après une  sentence de révision par un conseil de guerre du gouvernement militaire de Paris.

Mais, messieurs, le, fonds commun du mythe et de la légende sous leurs diverses formes, c'est l'existence d'une première sentence de condamnation qui aurait été cassée, ou révisée, dans des conditions que, d'ailleurs, on ne précise pas autrement et qui aurait été suivie d'une sentence d'acquittement devenant, par cela même, suspecte. C'est cela, messieurs, le fond de la légende.

Peut-être n'a-t-elle pas trouvé une très grande place dans le discours que vous venez d'entendre ; car cette articulation qui est l'articulation fondamentale, qui est à la base de la campagne dirigée contre Roger Salengro, il semble, monsieur Becquart, que dans ce discours si habile, si insidieux, vous n'en ayez plus tenu grand compte. Vous avez assurément senti combien cette position était aujourd'hui difficile à tenir et vous avez préféré placer le débat sur un autre terrain, en évoquant des témoignages qui visent tous le fond, c'est-à-dire en refaisant à la tribune même le procès que le conseil de guerre a jugé définitivement par un acquittement le 20 janvier 1916.

Quoi qu'il en soit, la légende se développe. Après les élections de 1936, après la constitution du Gouvernement où Roger Salengro occupe le poste de ministre de l'intérieur, la campagne prend nettement forme et consistance.

M. Becquart écrit quatre fois au ministre de la guerre, les 10 juillet, 20 juillet, 6 août, 4 septembre.

Le ministre de la guerre, qui a rassemblé au ministère tous les éléments du dossier, qui en a fait lui-même l'examen et la vérification, répond à trois reprises, en lettres de plus en plus précises et de plus en plus catégoriques : lettre du 3 août, lettre du 11 août, Iettre du 11 septembre.

Vous connaissez déjà, messieurs, cette lettre du 11 septembre signée par M. Daladier. Mais, dussé-je vous demander quelques minutes de patience de plus, permettez-moi de vous la relire. Voici ce qu'écrivait, le 11 septembre, le ministre de la guerre à M. Becquart :

« Monsieur le député,

« J'ai déjà adressé à vos lettres une réponse catégorique. Vous m'en adressez une quatrième, après l'avoir communiquée à divers journaux. Vous invoquez le témoignage du commandant Arnould et du sergent-fourrier Jourdin pour soutenir à votre tour que Roger Salengro a été condamné à mort pour désertion par un premier conseil de guerre... » – car c'est cela la légende –...

M. Henri Becquart. Ce qui était faux. Je n'ai jamais écrit cela.

M. le président du conseil. « ...puis acquitté plus tard par un second conseil de guerre dans des conditions qui laisseraient des doutes sur l'innocence de l'accusé.

« J'ai examiné moi-même tout le dossier. J'ai lu avec soin l'état, dressé pendant la guerre, de tous les jugements rendus par les conseils de guerre de la 51e division. Du 7 octobre 1915, jour où Salengro fut fait prisonnier, jusqu'au 20 janvier 1916, jour où il fut poursuivi et acquitté, il n'y eut que ce seul jugement, que ce seul conseil de guerre relatif à Roger Salengro. Ceux qui affirment, vingt ans après les événements, avoir vu un jugement de condamnation à mort, et même l'avoir recopié, sont victimes de singulières aberrations de mémoire ou se laissent entraîner par de méprisables passions politiques.

« Mais vous vous étonnez que le conseil de guerre de la 51e division n'ait jugé que le 20 janvier 1916 des faits qui remontent au 7 octobre 1915. Ce retard vous parait anormal et pour le combler, on imagine qu'il y eut d'abord un conseil de guerre qui condamna Roger Salengro à mort.

« C'est une fable grossière. La vérité est • qu'un premier rapport établi le 18 octobre 1915 admettait, selon la déclaration du général de brigade Valières, la bonne foi de Salengro. Il n'eut aucune suite judiciaire. On croyait alors que Salengro avait été tué ou du moins blessé, puisqu'on avait entendu de nos lignes trois coups de feu tirés par les Allemands avant la disparition de Salengro.

« Mais on apprit, au milieu de novembre 1915... » – je vous ai raconté exactement dans quelles circonstances – « ... que Salengro avait été fait prisonnier sans avoir été blessé. Dès lors, on conclut qu'il pourrait bien être un vulgaire déserteur, d'où le rapport du 17 novembre 1915, l'ordre de poursuivre, l'enquête, la convocation du conseil de guerre. Salengro est acquitté.

« Je dois aussi vous signaler qu'avant de conclure à l'envoi en conseil de guerre, le rapport du commandant Arnould commence ainsi : »

Je vous l'ai lu déjà tout à l'heure.

« Le soldat Salengro était cycliste du chef de bataillon durant les journées des 5, 6 et 7 octobre. L'attitude de ce soldat, sous un bombardement infernal, fut celle d'un soldat à la fois brave et dévoué pour ses chefs et ses camarades.

« C'est  en  plein jour, vers  seize  heures,... » – probablement un peu plus tard, quand on rapproche toutes les pièces du dossier, car c'est à seize heures qu'il s'est présenté au poste de secours du médecin Willot, d'où il est allé ensuite à la 24e compagnie – « ... c'est en plein jour que Roger Salengro a disparu en avant des lignes.

« Un témoin, le lieutenant Deron, a déposé : Salengro s'approchait de la crête. Je pris mes jumelles pour l'observer. A ce moment, un soldat cria : il mérite la croix de guerre. Il l'aura, répondis-je.

« Le seul conseil de guerre qui ait jugé Salengro l'a acquitté, fait d'autant plus remarquable que l'accusé était contumax, c'est-à-dire absent et sans défenseur, et que, dans la plupart des cas de contumace, un jugement de condamnation était rendu à l’effet de provoquer plus tard un jugement contradictoire.

« Le scandale n'est donc pas du côté où vous vous obstinez à le chercher, il est dans cette campagne abjecte, inspirée par des passions politiques qui ne respectent ni la vérité des faits, ni l'autorité souveraine de la chose jugée, fondement de l'ordre public. » (Applaudissements répétés à l'extrême gauche, à gauche et sur de nombreux bancs au centre.)

M. Fernand Wiedemann-Goiran. Décorez-le ! Au Panthéon ! (Vives exclamations à l'extrême gauche.)

M. le président du conseil. Je suis certain que la Chambre voudra m'écouter en silence jusqu'au bout (Très bien ! très bien !) mais je pense aussi qu'après une pareille lettre, je peux le dire, tout aurait pu et tout aurait dû s'arrêter.

M. Georges Scapini. Très bien !

M. le président du conseil. M. le ministre de la défense nationale avait lui-même compulsé et vérifié les pièces ; il affirmait, mieux, il démontrait qu'il n'y avait pas, qu'il ne pouvait pas y avoir deux jugements successifs, qu'il n'y en avait qu'un  et que ce jugement unique était un jugement d'acquittement.

Qui donc aurait le droit de douter de sa parole ! On n'avait vraiment qu'à s'incliner et qu'à se taire.

Mais non ! messieurs, la campagne persiste, la campagne redouble, et vous savez dans quelles conditions. Cette campagne était devenue le fait et le bien particulier d'une feuille qu'en effet je ne lis pas, que je ne touche pas (Vifs applaudissements à l’extrême gauche, à gauche et sur divers bancs au centre), d'une feuille dont je ne veux même pas prononcer le nom ici, mais que j'ai bien le droit de qualifier de feuille infâme. (Vifs applaudissements répétés à l'extrême gauche, à gauche et sur divers bancs au centre. Exclamations à droite.)

M. Jean Chiappe. Je renvoie l'épithète au Populaire !

M. Charles des Isnards. Gringoire est un journal français. L'Humanité est un journal russe !

M. Fernand Wiedemann-Goiran. C’est un directeur de journal qui s'exprime ainsi ! C’est un scandale. Vous faites une opération commerciale. Donnez votre démission du conseil d'administration du ion du Populaire !

M.  le président. Monsieur Wiedemann-Goiran, vous abusez des interruptions !

M. Jean Chiappe. Monsieur le président du conseil, voulez-vous me permettre de vous interrompre ?...

J'enregistre votre refus.

M. le président du conseil. Cette feuille, messieurs, avait fait sienne la campagne contre Roger Salengro. Elle y voyait un moyen d'attaque contre lui, contre nous, contre vous (Exclamations à droite) et aussi, peut-être, un moyen de publicité pour elle.

Par conséquent, messieurs, la feuille, la feuille infâme (Interruptions à droite) se plaît au jeu et s'acharne. Elle provoque tous ces témoignages, conscients ou inconsciemment produits par l'aberration du souvenir, quelquefois sécrétés par la haine

M. Biétrix. Poursuivez leurs auteurs !

M. le président du conseil. On a lu, messieurs, les états de services des témoins, .le m'incline bien volontiers devant leurs états de services.

Plusieurs membres à droite. Heureusement !

M. le président du conseil. Mais je constate qu'aucun d'entre eux n'a été témoin devant le conseil de guerre.

S'il s'agit de vérifier ici des témoignages, sortirai-je ceux qui sont arrivés par douzaines, par vingtaines à Roger Salengro. Il s'agit ici de vérifier les faits et si vous voulez constater jusqu'à quel point peuvent être sujets à caution des témoignages, même produits de la meilleure foi du monde, songez que c'est le commandant Arnould qui a affirmé que la sentence du 20 janvier 1916 était un verdict de condamnation, alors qu'il assistait à l'audience du conseil de guerre, qu'il y figurait comme témoin et que si quelque chose est certain, indéniable, c'est que la sentence du 20 janvier 1916 est une sentence d'acquittement^

Il y a un sergent fourrier qui affirme avoir recopié de sa main un jugement de condamnation à mort.

II. est vraisemblable, puisqu'il n'existe pas de jugement de condamnation à mort, qu'il confond avec le rapport de l'officier rapporteur ou avec les conclusions du commissaire du gouvernement.

Mais, encore une fois, messieurs, je ne veux pas entrer dans cet examen critique, car je n'apporte pas ici des témoignages, je n'apporte que des faits qui sont empruntés au dossier officiel.

Quoi qu'il en soit, chaque semaine la campagne redouble, la campagne de calomnies et de mensonges. Nous assistons à cela et nous nous demandons – j'appelle ici gravement l'attention de la Chambre – : « Qu'est-ce qu'on peut faire? »

Que peut faire en effet, en pareil cas, un homme public atteint au plus profond de son honneur ?

M. Biétrix. On poursuit !

M. le président du conseil. Je veux m'expliquer ici, sous ma responsabilité, parce que, vous le savez, cela va loin. Les hommes publics sont désarmés devant le mensonge et devant la calomnie. (Vifs applaudissements à l'extrême gauche, à gauche, au centre et sur divers bancs à droite.)

Quand on cherche le moyen de désarmer la mauvaise foi et, surtout, ce qui est plus important, de convaincre la bonne foi – car l'immense majorité des hommes de ce pays sont de bonne foi – on est là, sans trouver, on hésite, on cherche et l'on se sent impuissant !

Vous me disiez : on poursuit.

Messieurs, il y a deux façons de poursuivre. Si l'affaire est de la compétence du tribunal correctionnel, pas de preuve possible. La condamnation automatique ne signifiera rien et ne lavera personne. Si l'on va en cour d'assises... Je veux dire là-dessus ce que je pense, quoique j'aie honte à le dire. Je le dis pourtant, je le dis avec gravité, avec tristesse.

Nul ne peut plus être sûr que la partialité politique ne faussera pas... (Vifs applaudissements.)

A droite. C'est la justice populaire !

M. le président du conseil. Laissez-moi aller jusqu'au bout.

Nul ne peut plus être sûr que la partialité politique ne faussera pas le verdict ou, du moins, ou, surtout, personne ne peut plus répondre que l'opinion ne récusera pas la décision du jury, quelle qu'elle soit, en l'expliquant par la partialité politique. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

Cela  est grave, je  vous l'assure.

Alors, car il faut que la vérité soit établie, une idée nous vient. Nous nous disons : « Le dossier, c'est lui qui enferme la vérité. Il est toujours là. Il est complet...

A droite. Non ! non !

M. le président du conseil. …il est complet sauf l'exception que j'ai indiquée et dont je vous ai dit, après M. le ministre de la guerre, la signification. Il est intact. Personne n'y a touché. Rien n'y manque. (Interruptions sur quelques bancs à droite.)

Messieurs, ce sont MM. de Barral et Pichot et le général Gamelin qui l'affirment.

Alors nous pensons à provoquer un examen de ce dossier dans des conditions de sincérité, d'impartialité, je dirais presque de solennité telles que la conclusion s'impose enfin à tous les juges de bonne foi. Nous demandons à la Confédération nationale des combattants de désigner un de ses membres. Ce n'est pas nous qui l'avons désigné. C'est elle.

Nous prions l'association qui compte le plus grand .nombre d'anciens combattants de designer à son tour un représentant. Ce n'est pas nous qui l'avons désigné. C'est elle. Enfin, nous prions l'officier qui est placé au plus haut poste de commandement de l'armée française d'assumer la surveillance et le contrôle de l'examen. Et nous disons à ces hommes: « Voilà le dossier. Entourez-vous de tels renseignements et de tels conseils qu'il vous plaira. Vos conclusions seront rendues publiques quelles qu'elles soient. » Je vous le demande, est-ce qu'on pouvait faire mieux ?

Pouvait-on imaginer une opinion qui fût moins contestable pour la masse des citoyens de ce pays que celle que se formeraient ainsi MM. de Barral et Pichot sous le contrôle et sous la garantie du général Gamelin ?

Pour ma part, je ne le crois pas.

On nous a dit que l'Union nationale des combattants n'était pas représentée. M. Rivière a déjà répondu sur ce point. Rien n'empêchait la C.N.C. de désigner comme son mandataire un membre de l'Union nationale des combattants. Elle a porté son choix sur M. de Barral ; c'est à elle qu'en incombe l'initiative et non pas à nous, et si elle a choisi M. de Barral, c'est peut-être, laissez-moi vous le dire, parce qu'on s'est souvenu que M. de Barral avait été appelé à siéger à cette cour spéciale de justice militaire qui a réhabilité je ne dirai pas des innocents mais des mémoires d'innocents. (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche). La commission examine donc les dossiers. Elle se rend compte aussitôt que la thèse centrale de la campagne menée contre Salengro, la thèse des deux sentences successives et contradictoires, se heurte à une impossibilité, je veux dire à une absurdité juridique.

Il est un fait certain, indéniable, que M. Becquart lui-même n'a pas songé une minute aujourd'hui à contester, c'est qu'il existe un jugement du 20 janvier 1916 et que c’est un jugement d'acquittement. Toute la procédure a été conservée, aucun doute n'est concevable. Il ne peut pas y avoir de jugement antérieur.

Je vous l'ai prouvé par le déroulement chronologique des faits. Mais, surtout, messieurs, réfléchissez je vous en prie un instant. Si Roger Salengro avait été condamné à mort antérieurement au 20 janvier 1916, il aurait été condamné comme contumax, puisqu'il avait disparu depuis le mois d'octobre et comment, à moins de purger sa contumace, aurait-il pu comparaître à nouveau devant un conseil de guerre ? (Applaudissements à l’extrême gauche, à gauche et sur divers bancs au centre, et à droite.)

Comment, en tout cas, ne serait-il pas fait la moindre mention de cette première procédure au cours de la seconde ?

Par conséquent, rien avant, c’est certain.

Mais, de même qu'il ne peut rien y avoir avant, il ne peut rien y avoir après. Pourquoi ? Mais parce qu'un acquittement, même par contumace, est définitif et Salengro acquitté ne pouvait plus être traduit devant une juridiction quelconque.

La commission aurait pu se contenter de cette démonstration juridique, évidente à première vue et appuyée par des avis formels : celui du directeur de la justice militaire, celui de M. Laroque, conseiller à la cour de cassation. Cependant, elle ne s'en contente pas.

On vous a dit ce qu'elle a fait. Elle s'est fait représenter tous les états des jugements rendus par le conseil de guerre de la 51e division et ces états – un certain nombre d'entre vous le savent, je l'ai constaté encore il y a quelques heures – ces états sont rédigés dans des conditions matérielles telles, avec, des intervalles si réguliers entre chaque mot, que la moindre altération ou la moindre interpolation sauterait immédiatement aux yeux les moins prévenus.

La commission, examinant tous ces états, n'y trouve pas trace d'une autre sentence Salengro. Il n'y en a qu'une : la sentence d'acquittement du 20 janvier 1916.

La commission ne se borne pas à ces recherches. Peu de temps après, le 7 octobre, le 233e régiment d'infanterie est passé de la 51e division à la 1re division d'infanterie. Mêmes recherches et mêmes résultats dans les états de la 1re division d'infanterie.

On a affirmé – c'est la thèse du commandant Arnould – que l'arrêt d'acquittement avait été prononcé plus tard par le 2e conseil de guerre du gouvernement militaire de Paris. Mêmes recherches, constatées par un certificat formel de l'officier greffier, dans les archives du 2e conseil de guerre de Paris, et la commission, unanime, est ainsi amenée à conclure :

« Il résulte de l'examen des documents présentés :

« 1° Qu'aucun jugement visant le soldat Salengro n'a été rendu entre le 7 octobre 1915, date de la disparition de l'accusé, et le 20 janvier 1916, date à laquelle il a été jugé par le conseil de guerre de la 51e division ;

« 2" Que le soldat Salengro a été acquitté par le jugement rendu par contumace par le conseil de guerre de la 51e division le 20 janvier 1916, lequel a un caractère définitif. »

Est-ce que cela va être fini, celle fois ? (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.) Eh bien ! non, malgré la publication de cette sentence, ce n est pas fini.

Hier encore, la même feuille lançait une nouvelle variante du mythe. Elle parlait d'un dossier, le dossier du prisonnier, qui aurait disparu, dans des conditions suspectes, des archives du quai de la Rapée, le 30 octobre dernier. On déclare que ce dossier contenait contre Salengro des charges extraordinaires et qu'on a voulu le soustraire à toute recherche, à tout examen.

En effet – dans tout mensonge, dans toute calomnie, il y a une petite trace de vérité – ce dossier a bien été retiré, le 30 octobre, des archives du quai de la Rapée. Savez-vous par qui et comment ? Je vais le dire à M. Becquart. Dans son ardent désir de voir la lumière inonder tous les esprits, toutes; les consciences, il ne pourra que s'en réjouir. Il en est sorti tout simplement sur la demande de la commission de Barral-Pichot et du général Gamelin. (Applaudissements et rires à l'extrême gauche et à gauche.)

C'est le général Gamelin qui a fait retirer ces pièces, parce que la commission, ne voulant omettre aucun élément d'information, a pris la précaution, à tout hasard, de demander la communication de ces pièces, qu'elle a restituées aussitôt, parce qu'elle n'y a rien trouvé qui fût de nature à l'intéresser.

Cela est constaté non seulement par le procès-verbal établi par le ministère des pensions, mais par la mention apposée par le général Gamelin lui-même sur le dossier qui avait été remis à la commission.

Vous voyez à quoi on en est aujourd'hui réduit.

Nous n'avons voulu – je pense que la Chambre nous en louera – dans cette affaire, rien laisser dans l'ombre ; nous avons voulu lui apporter tous les éléments, toutes les parcelles de vérité dont nous pouvions disposer.

Je veux en venir maintenant à un point qu'a aussi traité M. Becquart et qui est en train de prendre une grande importance dans cette accusation mobile, changeante, se renouvelant elle-même sans cesse. Je veux parler de ce qu'on a appelé les anomalies des documents matriculaires, sur lesquelles la commission avait déjà fait pleine lumière, dont je veux à mon tour dire un mot et sur lesquelles je serai d'ailleurs en état d'apporter – M. Becquart s'en réjouira une fois de plus – un peu de lumière supplémentaire.

La commission de Barral-Pichot avait fait venir de Lille le dossier matriculaire de Roger Salengro.

Il est exact que le folio numéro 1 a été refait en 1932. Il est exact que, sur le premier folio du livret matriculaire actuel, ne figure la mention d'aucune comparution devant un conseil de guerre, ni condamnation bien entendu, ni acquittement.

Une fois de plus, on en a tiré argument pour dire: Vous voyez bien, tout est truqué dans cette affaire, tout est machiné ; on a arraché et remplacé la première |feuille du livret pour que toute trace de la condamnation disparût.

Messieurs, vous allez voir comme l'explication est simple ; on aurait pu y penser ; seulement, même quand on calomnie, on ne saurait penser à tout.

Si, sur le premier feuillet actuel du livret matricule, toute mention relative à une procédure de conseil de guerre a disparu, c'est tout simplement – ce que je vais vous lire maintenant est uni extrait du rapport établi il y a quelques jours par le contrôleur général de première classe de l'administration de l'armée. Vidal – parce que « l'instruction du 15 décembre 1918, modifiant l'article 36 de l'instruction du 8 juin 1911 sur la tenue des pièces matricules, a prescrit que les jugements d'acquittement, même pour insoumission ou désertion, ne devaient plus être inscrits et qu'il y avait lieu d'établir de nouveaux livrets et de nouveaux feuillets matricules n'en portant aucune trace. » (Applaudissements et. rires à l'extrême gauche et à gauche.)

Êtes-vous content, monsieur Becquart ? Votre conscience ombrageuse et susceptible est-elle maintenant satisfaite ?

Cette circulaire de 1918 est une circulaire du temps où Clemenceau était président du conseil et ministre de la guerre.

M. Jean-Pierre Plichon. Heureux temps !

M. Marius Moutet, ministre des colonies. Dites cela à M. Caillaux.

M. le président du conseil. Oui, dites cela à M. Caillaux. (Sourires.)

On peut s'étonner qu'on ait attendu jusqu'à 1932 pour appliquer complètement celte circulaire. Mais, que voulez-vous, c'est comme cela. Ce n'est qu'en 1932 qu'on a refait les livrets matricules, en exécution d'une circulaire de 1918. Vous allez même voir dans un instant qu'on ne l'a pas fait complètement, car je vais ajouter ceci, toujours pour satisfaire le désir de vérité de M. Becquart.

Cet ancien feuillet, qui a été remplacé en vertu de l'instruction de 1918, je peux lui apprendre qu'il n'a pas été détruit. Il existe encore. Il a été retrouvé, dans des conditions telles que son authenticité ne peut un instant être mise en doute, au bureau de recrutement de Lille.

L'instruction a été donnée, à cette époque, de ne pas détruire les premiers folios enlevés des livrets et remplacés par des folios nouveaux, et tous ces premiers feuillets existent. Celui qui concerne le livret matricule de Salengro a été retrouvé au bureau de recrutement.

Eh bien ! ce folio, qui existe encore, qui a été retrouvé, c'est lui qui va fournir à la Chambre l'explication, je crois vraiment bien évidente, d'une autre anomalie dont, tout à l'heure, M. Becquart a fait grand état.

Si le livret matricule actuel, conformément à l'instruction de 1932, ne porte plus aucune mention d'ordre pénal, il existe un document matriculaire, le feuillet du modèle n° 5, qui, lui, porte deux mentions contradictoires, déjà relevées – M. Becquart en conviendra – par la commission de Barral-Pichot.

Sur ce feuillet n° 5, qui est une sorte de fiche d'état-civil contenant toutes les indications essentielles du livret matricule on lit – je demande à la Chambre, pour suivre cette démonstration, un instant d'attention particulière...

M. le président.La Chambre vous écoule attentivement.

M. le président du conseil. Je l'en remercie.

...on lit, dans la colonne de gauche, sous la rubrique « Services. – Positions diverses » : « Conseil de guerre de la 51e division d'infanterie, séant à Verdun, a rendu le jugement suivant, le 20 janvier... » – janvier en toutes lettres – « ...1916 : « Inculpé de désertion à l'ennemi ; contumax ; non coupable ; en conséquence, le conseil acquitte le nommé Salengro. »

Mais, dans la colonne de droite, portant la rubrique imprimée: « Condamnations », on lit: « Condamné par le conseil de guerre de la 51e D. I., siégeant à Verdun, le 20-11-16...» – date entièrement écrite en chiffres – « ...inculpé de désertion à l'ennemi  ; contumax  ; non coupable  ; acquitté. » (Mouvements.)

Ainsi, sur cette feuille matricule n° 5, deux mentions: la mention de la colonne de gauche et la mention de la colonne de droite ; deux mentions contradictoires entre elles et la seconde contradictoire avec elle-même, puisqu'on ne peut pas être à la fois condamné et acquitté.

Vous avez vu que la commission de Barral-Pichot avait établi, sans contredit possible, qu'un seul jugement avait été rendu par le conseil de guerre de la 51e division d'infanterie et que ce verdict était un acquittement.

Vous pouvez lire dans son procès-verbal, ]par surcroît, qu'il était matériellement impossible – car elle a fait aussi cette recherche – d'après le journal des marches et opérations de la 51e division, que son conseil de guerre eût siégé a Verdun le « 20-11-10 », c'est-à-dire le 20 novembre 1916.

Messieurs, en aucun cas, l'erreur absurde d'un scribe, erreur que M. Becquart a déclaré être incompréhensible, mais qui existe cependant, puisque le document existe et porte dans la même phrase le mot « condamné » et le mot « acquitté », en aucun cas, dis-je, l'erreur absurde d'un scribe ne pourrait jeter l'ombre d'une ombre sur l'évidence des faits, sur l'évidence des preuves.

Mais alors, messieurs, quand on examine l'ancien feuillet, l'ancien folio n° 1 du livret  matricule...

M.  Fernand Wiedemann-Goiran. Qui a été gardé par miracle. racle. (Interruptions   à l'extrême gauche.)

M. le président du conseil. ...remplacé en 1932 par application de l'instruction de 1918, on comprend en quelque mesure l'erreur qui a été commise.

L'ancien feuillet, que j'ai eu sous les yeux, ne porte pas deux mentions: « acquittement », d'une part, le 20 janvier 1916 et, d'autre part, cette espèce de condamnation-acquittement à la date du 20 novembre 1916 ; il n'en porte qu'une, qui est la suivante : « Condamné par le conseil de guerre de la 51e D. I. séant à Verdun le 20-1-10... » – retenez bien cela, parce que tout est là – « ...inculpé de désertion à l'ennemi, contumax, non coupable, acquitté. »

Donc, messieurs, un seul conseil de guerre mentionné sur le verso de l'ancien folio n° 1 du livret matricule, un seul conseil de guerre, celui du 20-1-1916, c'est-à-dire celui qui a acquitté. Et, sous la rédaction du scribe, le premier membre de phrase: « Condamné par le conseil de guerre » ne peut, manifestement, pas vouloir dire autre chose que : « jugé par le conseil de guerre », « traduit devant le conseil de guerre », puisque... (Interruptions à droite. – Applaudissements à l'extrême gauche, et à gauche. – Mouvements divers.)

Je ne comprends pas que la Chambre veuille se dérober à une démonstration que je crois, pourtant, bien  évidente.

Je répète que, sur cette mention de l'ancien folio détaché, il n'est fait allusion qu'à une seule sentence de conseil de guerre, celle du 20-1-1916, qui est, incontestablement, un acquittement.

Or, messieurs, c'est cette formule de l'ancienne feuille détachée du livret matricule qui a été reportée littéralement sur le feuillet n° 5, sous la rubrique: « Condamnations » et, messieurs, si l'on a inscrit: « 20-11-16 » – 20 novembre 1916 – au lieu de: « 20-1-16 », c'est qu'en effet – et on s'en rend compte quand on examine la pièce – il était possible de se méprendre, à une lecture rapide. Immédiatement au-dessus de : « 20-1-16», se trouve: « 51e D. I. », à la ligne au-dessus et à la même place ; la queue descendante du « 5 » tombe assez bas, sur le document, pour qu'elle ait l'air de faire un second 1...

M.  Fernand Wiedemann-Goiran. C'est de la sorcellerie ! nbsp;! (Exclamations à l’extrême gauche et à gauche.)

M. le président du conseil. ...au devant du « 1 » de « 20-1-1916 » ; de sorte que le scribe, en reportant, sur le feuillet n° 5, la mention du premier folio du livret matricule, a écrit: « 20-11-16 », au lieu de : « 20-1-1916 ».

Quand on voit les pièces, la chose saute aux yeux. Il est évident que je ne puis traduire qu'imparfaitement cette évidence avec des mots ; mais je tenais à fournir à la Chambre cette explication parce que je voulais lui donner l'impression – j'espère y avoir réussi – que je lui fournissais, sur tous les points, des explications complètes et décisives.

Je les donne aussi parce que, dans mon sentiment, tout au moins selon mes conjectures, c'est cette formule de la colonne de droite de la feuille n° 5 – connue et divulguée je ne sais pas ou je ne veux pas savoir comment, qui a alimenté la légende.

Je répète que celle formule est contradictoire avec l'autre mention de la même feuille, qui est la seule exacte, contradictoire et absurde en elle-même puisqu'elle parle de condamnation au commencement et d'acquittement à la fin. Je répète qu'elle vise une date fausse. Je répète qu'elle relate une circonstance impossible, qu'elle se heurte à l'évidence irréfutable et inébranlable des faits, c'est-à-dire: un seul conseil de guerre, une seule sentence et cette sentence étant un acquittement.

Cependant, je crois que c'est de là que tout est sorti.

Après les explications que je viens de vous fournir, je pense que l'imputation reposant sur celte formule doit vous apparaître maintenant comme entièrement réduite à néant, ce dont tous les amis de la vérité se féliciteront. (Vifs applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)

Messieurs, il y a quelque chose qui est vrai, c'est que Roger Salengro a réellement comparu devant un conseil de guerre. II est vrai qu'il a réellement subi une condamnation, niais c'est un conseil de guerre allemand qui l'a jugé comme prisonnier et qui l'a condamné.

J'ai sous les yeux le procès-verbal du jugement rendu le 11 juillet 1916, par le conseil de guerre de la onzième brigade d'infanterie de Nuremberg, dans l'affaire instruite contre les prisonniers de guerre français du camp de prisonniers d'Amberg, contre Roger Salengro et 39 autres, car, dans cette affaire aussi, je suis obligé d'en convenir, Roger Salengro était un meneur. (Vifs applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)

Qu'avait-il fait ? Il avait déterminé ses camarades de captivité à refuser le travail dans une fonderie. Il avait pris la parole en leur nom.

Les visas de l'arrêt du conseil de guerre allemand relatent le discours tenu aux prisonniers et les menaces qui leur sont adressées.

« C'est alors, dit l'arrêt, que l'inculpé Roger Salengro s'avança et déclara, au nom des autres inculpés, que tous les autres prisonniers étaient prêts au travail le plus dur partout, que, cependant, ils ne pouvaient concilier avec leur conscience de  travailler dans une fonderie

« Le lieutenant Solch tenta de leur expliquer clairement qu'ils devaient effectuer ce travail, car il n’avait aucun rapport officiel avec les opérations de la guerre et il leur fit entrevoir qu'avant leur rapatriement en France, chacun d'eux recevrait une attestation écrite comme quoi ils auraient exécuté ce travail, non pas volontairement, mais seulement sur ordre, sous la menace des punitions les plus sévères.

« Les inculpés opposèrent alors à cela qu'on n'accorderait pas la moindre valeur, en France, à un tel papier. Ils devaient plutôt se laisser fusiller que de travailler dans une usine métallurgique. » {Vifs applaudissements à l'extrême gauche, à gauche et sur divers bancs an centre. – Sur ces bancs, MM. les députés se lèvent et applaudissent longuement.)

Pour ces motifs, chacun des inculpés fut, en effet, condamné à deux ans de prison, le conseil de guerre examinant, dans ses considérants, la question de savoir si Roger Salengro, comme meneur, méritait une  peine plus sévère que les autres.

Je crois que je puis maintenant conclure, parce que j'ai achevé. Je ne crois pas que jamais, dans une affaire de cette nature, une certitude plus complète ait pu être établie. Je ne crois pas que jamais la vérité ait pu être cernée plus étroitement et de plus près.

Vous savez ce qui est vrai el vous savez qu'il est impossible qu'autre chose soit vrai. Vous savez que la campagne menée contre Roger Salengro, au nom de l'honneur militaire et du patriotisme, repose sur l'altération de la vérité.

Pouvons-nous enfin espérer que cette séance y apporte un terme ?

Messieurs, je le voudrais. Je n'ose pas affirmer que j'en sois sûr ; je n'ose pas affirmer que la feuille infâme s'avoue vaincue, (Rires à droite.)

M. André Le Troquer. Elle mérite ce qualificatif.

M. le président du conseil. De quoi s'agit-il pour elle ? Elle a déjà, dans des circonstances qu'aucun de vous n'a oubliées, jeté l'outrage sur une nation amie...

Sur plusieurs bancs à droite. Quelle nation ?

M. le président. Si vous interrompez, je serai obligé de vous rappeler à l'ordre.

M. le président du conseil. ...et elle cherche aujourd'hui à déshonorer un homme qui, que vous le vouliez ou non, représente la nation française devant le monde. Cela court ; cela s'insinue ; cela circule au delà des frontières ; cela est reproduit avidement par tout ce qui nous redoute, par tout ce qui nous jalouse, par tout ce qui nous hait.

Mais, blesser son pays, c'est bien peu de chose, quand on peut atteindre, à travers lui, des adversaires détestés ; et l'on est tout de même de grands patriotes ! (Vifs applaudissements à l'extrême gauche et à gauche. – Interruptions à droite.)

M. Georges Roulleaux Dugage. Qui a dit un jour: « Je vous hais » ?

M. le président. Monsieur Roulleaux Dugage, vous n'avez pas la parole.

M. François Fourcault de Pavant. Vous ne donnerez pas de leçons de patriotisme aux anciens combattants.

M. le président du conseil. Peu importe, messieurs, que la boue rejaillisse sur le renom de la France, si l'honneur d'un adversaire peut en être souillé. (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche)

Je vous en prie, méditez cela.

Et puis, je vous le demande aussi, pensez à l'homme, car il y a un homme dans cette affaire, un homme avec un cœur d'homme (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche), un homme qui est votre collègue, que vous connaissez tous.

Il y a un homme qui, depuis des semaines, est affreusement torturé. (Interruptions à droite.)

Oh ! je le sais bien, messieurs, et vous le savez comme moi, on essaie dans ce cas-là de contraindre, de refouler en soi sa souffrance. On dit à ses amis : Ce n'est rien, cela ne compte pas.

Et puis, quand les amis vous suivent des yeux, ils vous voient un visage altéré. Alors, ils éprouvent dans leur amitié, dans leur tendresse, à quel point un cœur d'homme peut être rongé par une calomnie  comme celle-là.

Peut-être, Roger Salengro, n'en avez-vous pas encore suffisamment l'habitude. Vous vous y ferez sans doute, avec le temps.

Mais, pour les infâmes, cette souffrance infligée à un homme n'a pas plus d'importance que l'atteinte portée à la nation.

Je dis tout cela, messieurs, sans passion aucune, parce que j'ai pris l'habitude. Mais je dis aussi que cela ne peut plus durer. (Vifs applaudissements à l'extrême gauche et à gauche MM les députés siégeant sur ces bancs se lèvent et applaudissent )

C'est ce que je vous demande d'affirmer aujourd'hui, et je remercie cordialement M. Becquart de vous en avoir fourni l'occasion.

Vous êtes, messieurs, les représentants de la souveraineté nationale, et c'est votre vote qui doit être la sentence définitive. Vous n'avez pas à acquitter l'innocent, les juges militaires s'en sont chargés ; mais vous avez, vous, à flétrir les coupables. (Vifs applaudissements à l'extrême gauche et à gauche. – MM. les députés siégeant sur ces bancs se lèvent et applaudissent. – M le président du conseil, de retour à son banc, donne l'accolade à M. le ministre de l'intérieur.)

M. le président. Nous revenons à la discussion de l'interpellation de M. Becquart.

La parole est à M. Vallat. (Applaudissements à droite.)

M. Xavier Vallat. Messieurs, je m'en voudrais de rompre par une longue intervention l'atmosphère de sérénité relative qui a marqué au moins la seconde partie de cette séance. Je serai donc très bref.

Je voudrais, en quelques minutes, répondre à la fin du discours de M. le président du conseil.

L'accusation portée contre M. Salengro est évidemment la plus terrible que l'on puisse porter contre un homme.

Le Gouvernement l'a si bien compris qu'il a donné un tour de faveur, si j ose dire, à l'interpellation s'y référant, alors qu'il ajournait en bloc des interpellations évoquant des sujets d'un intérêt d'apparence plus général.

C'est que nous sommes, messieurs – et nous avons tous le droit d'en être fiers – dans un pays où il n'est personne qui n'accepte de tout perdre, fors l'honneur. (Applaudissements.)

Je suis d'accord avec M. le président du conseil, et je crois avec tout le monde, sur un point: c'est qu'il faut en finir avec l'affaire Salengro, nettement, clairement, à la française. (Très bien ! très bien ! à droite.)

Plusieurs membres à l'extrême gauche. C'est fini.

M. Xavier Vallat. J'entends bien que pour M. le président du conseil et peut-être pour beaucoup d'entre-vous, messieurs, surtout parmi les nouveaux, le scrutin qui interviendra tout à l'heure liquidera cette affaire.

Excusez-moi de vous dire que c'est une erreur.

M. Izard. Cela dépend de vous.

M. Xavier Vallat. Non, cela ne dépend pas de moi.

C'est une erreur, dis-je, contre laquelle je voudrais mettre en garde la Chambre, le Gouvernement et particulièrement M. le ministre de l'intérieur.

Il y a. treize ans, j'ai eu l'occasion de dire, à cette tribune, à M. Raymond Poincaré, qui avait cru trouver dans un vote de confiance du Parlement le moyen de mettre un terme à l'abominable campagne menée par les communistes, qui tendaient à le représenter comme l'un des promoteurs de la guerre de 1914 : « Monsieur le président du conseil, il n'est pas d'exemple qu'un ordre du jour parlementaire ait arrêté une campagne de presse. »

La Chambre, à une majorité écrasante, rendit justice à M. Raymond Poincaré. Cela n'empêcha par l'Humanité de continuer à l'appeler « Poincaré-la-guerre ».

M. Lucien Hussel. M. Poincaré a rendu hommage à la mémoire d'Antériou, que vous aviez accusé.

M. Xavier Vallat. Je vais en parler, monsieur Hussel, et ce sera un argument pour moi.

A l'extrême gauche communiste. C'est une diversion.

M. Xavier Vallat. Non, ce n'est pas une diversion.

Messieurs, le pays est nécessairement tenté de n'accorder à nos votes, en pareille matière, que le crédit limité qu'il accorde à nos scrutins d'invalidation. Il y voit beaucoup plus des votes de partisans que des verdicts rendus par des juges.

Par surcroît, les exemples ne manquent pas d'hommes politiques, ayant appartenu les uns à des ministères d'union nationale, les autres à des ministères de cartel, qui ont été innocentés par des votes parlementaires quelques semaines avant que des commissions d'enquête n'établissent leur indignité.

Cela explique peut-être que l'homme de la rue n'accorde pas à nos sentences, en pareille matière, toute l'autorité de la cause jugée. Et peut-être, après tout, faut-il que nous nous en prenions à nous-mêmes si cet homme de la rue, qui pense déjà communément qu'à l'Académie on est nourri en ville, pense qu'au Parlement on est blanchi pour rien.

Mais il faut pourtant en finir. Il le faut, monsieur le ministre, pour vous, sans doute, pour nous tous, et j'ajoute pour le pays.

La plus charmante des femmes qui s'intéressent à la politique, Mme Suzanne Schreiber, écrivait, ces jours-ci, à la fin d'un article consacré à votre louange:

« Si, sur la foi de calomnies sans fondement réel, l'étranger peut nous croire gouvernés par des nommes indignes de détenir en leurs mains le pouvoir et de parler au nom de la France, la France tout entière en souffre. Ce n'est pas seulement le ministre de l'intérieur ni le Gouvernement qu'atteignent les flèches perfides, c'est la France telle qu'on la voit au delà des frontières et qui a besoin pour vivre d'un grand prestige et de tout son honneur. »

Je pense ainsi, et c'est pourquoi je vous demande avec instance, monsieur Salengro, de finir par où vous auriez dû commencer, non pas même lorsque Gringoire vous a mis en cause, mais dans des jours beaucoup plus lointains, dès 1920 et 1921, quand le Prolétaire, organe des communistes du Nord, lançait déjà contre vous cette atroce accusation. (Applaudissements à droite.)

Vous n'avez à votre disposition, je vous l'assure, qu'un moyen efficace de mettre un terme à cette campagne, d'écarter définitivement la calomnie, si calomnie il y a : c'est le jury d'honneur, un jury d'honneur composé d'anciens combattants que j'aurais, à votre place, la coquetterie de choisir parmi mes adversaires politiques...(Exclamations à l'extrême gauche.)

Parfaitement !...un jury d'honneur qui verrait tout, qui pourrait consulter tous les documents, qui pourrait entendre tous les témoins, surtout ceux qui vous ont chargé, qui ont pu se tromper, s'abuser, mais dont les magnifiques titres de guerre, qu'on nous rappelait tout à l'heure, nous interdisent de penser a priori qu'ils ont été capables de se vendre.

Ce jury d'honneur rendra sa sentence et il n'y aura pas un honnête homme, France, qui osera la discuter. (lnterruptions à l’extrême gauche communiste.)

M. Vaillant-Couturier. Il s'agit simplement, pour vous, de prolonger l'affaire.

M. Xavier Vallat. Je voudrais, monsieur le ministre, pour vous convaincre, vous rappeler un fait qui m'est personnel, et qu’'évoquait  tout à l'heure M. Hussel.

Il m'est arrivé, voici huit ans, à cette tribune, de porter contre un ministre en fonctions, aujourd'hui disparu, une accusation qui, sans avoir la gravité de celle qui vous atteint, se référait aussi à son passé militaire.

Ma conviction se fondait sur une pièce officielle, originale, que je tenais d'un ancien ministre de la guerre, mort lui aussi, tombé sous les balles d'assassins.

Comment n'aurais-je pas cru à la vérité que je croyais lire dans cette page ?

Le président du conseil d'alors, M. Raymond Poincaré, a couvert son ministre. Fort de la certitude que je croyais détenir, je suis remonté à la tribune et je me souviens, en toute humilité, que, ce jour-là, j'ai été hué par la moitié de la chambre, comme jamais parlementaire ne le fut.

J'ai demandé qu'un jury d'honneur nous départageât.

L'accusé refusa ce jury d'honneur pendant quinze jours, puis, sous la pression de nos camarades anciens combattants il accepta. Il n'eut pas à s'en repentir, monsieur le ministre.

Il désigna deux de ses amis ; je désignai, sur la foi de leurs titres de guerre, deux anciens combattants que je n'avais jamais vus.

M. Lucien Hussel. Mais il n'y avait pas eu de jugement, dans le cas de M. Antériou. (Mouvements divers.)

M. Xavier Vallat. Le dossier leur fut soumis en ma présence et nous constatâmes que, si la pièce que j'avais produite était bien exacte, elle était incomplète et ne mentionnait pas la blessure qui donnait à l'accusé le droit d'avoir la carte du combattant.

Par un ordre du jour arrêté d'accord, publié par toute la presse, fut close ainsi une polémique douloureuse pour tous les deux et où j'avais engagé, pour ma part, toute ma bonne foi.

Je voudrais, monsieur le ministre, que cet exemple, dont j'ai fait les frais à ce moment-là, vous servît. (Applaudissements à droite.)

Exigez vous-même un jury d'honneur, dont la sentence ne pourra être taxée par personne de partialité politique. C'est l'adversaire politique qui vous le demande, monsieur le ministre, l'adversaire politique qui préfère avoir le droit d'estimer les hommes qu'il combat, mais surtout, au surlendemain de ce jour anniversaire où tous les hommes de France qui ont eu l'honneur de servir la patrie sous les armes ont communié, au moins pendant quelques heures, dans le souvenir de leurs frères disparus, c'est l'ancien combattant qui ne voudrait pas que pût peser sur l'un de ceux qui détiennent, une partie du pouvoir en France, l'ombre du soupçon d'avoir pu être un lâche et un fratricide. (Applaudissements à droite.)

M. le président. La parole est à M. Andraud.

M. Henry Andraud. Je veux d'un mot faire observer à M. Vallat que, dans l'affaire à laquelle il a fait allusion, il n'y avait pas eu de jugement, pas de chose jugée. Un doute pouvait donc subsister et le jury d'honneur pouvait être alors demandé et accepté.

Mais M. le président du conseil a établi qu'il y avait chose jugée et définitivement jugée. Les deux cas ne se ressemblent pas, je ne comprends donc pas la proposition de M. Vallat. {Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)

M. le président.La parole est à M. Hymans.

M. Max Hymans. Je n'ai pas voulu interrompre M. Vallat. Mais je désire, après l'observation de M. Andraud, lui poser, à mon tour, une question.

M. Vallat est un homme de bonne foi : que pense-t-il de l'arbitrage de M. de Barral et de M. Pichot, sous la présidence du général Gamelin ?

M. Xavier Vallat. J'en pense ce qu'en pense le général Gamelin lui-même. (Applaudissements à droite.)

M. le président.La parole est à M. Doussain.

M. Gustave Doussain. Messieurs, je ne demande pas souvent la parole dans cette enceinte. Je la prends aujourd'hui avec une émotion sincère et je vous demande de m'écouter pendant quelques instants.

J'ai fait la guerre comme combattant volontaire. Je n'en tire aucune vanité. Je me place simplement, en ce moment, sur le plan patriotique. Je rappelle, pour fixer les idées, qu'au point de vue politique, j'appartiens à la minorité de cette Assemblée.

J'ai suivi avec curiosité et souvent avec angoisse, la campagne qui a été menée contre M. Roger Salengro, avec qui – et nous sommes entrés dans cette Chambre, je crois, ensemble, en 1928 – je n'ai jamais eu l'occasion d'échanger une seule parole.

J'ai été profondément troublé par les accusations qui ont été portées contre lui et, tout â l'heure, j'ai été impressionné peut-être plus profondément encore, par les arguments que M. le président du conseil a apportés a cette tribune.

Je suis en ce moment, moi le patriote, l'ancien combattant, le républicain, en présence d'un cas de conscience et je dois vous l'exposer.

Je ne demanderai pas, comme M. Vallat, la constitution d'un jury d'honneur. C'est autre chose que j'ai attendu, c'est autre chose que j'attends.

J'attends que, dans cette séance, du banc des ministres jaillisse une étincelle. Ce que j'attends, ce que nous avons attendu, que nous attendons encore, c'est le cri de protestation, le cri d'indignation de M. Salengro disant à la Chambre :

« Non ! Je suis injustement accusé. Je n'ai pas déserté. »

Je demande à M. Salengro de pousser cette clameur et je déclare, sur !e ruban que je porte à la poitrine, que, de toutes les forces de ma conscience et de mon âme, je le croirai.

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur. (Vifs applaudissements à l'extrême gauche et à gauche. – MM. les députes, sur ces bancs et MM. les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

M. Roger Salengro,. ministre de l'intérieur. La guerre, j'ai le droit d'en parler. Je l'ai faite, comme tant d'autres.

Soldat des régions envahies, je me battais pour la libération des miens. Français, j'entendais abattre le militarisme allemand, convaincu que sa défaite serait la victoire, non seulement, de mon pays, mais de la paix entre les peuples. (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)

Militant d'un parti politique, je prétendais partout servir d'exemple, car je pensais qu'au retour des tranchées n'auraient le droit de parler que ceux-là qui avaient été capables de faire leur devoir. {Applaudissements à l'extrême gauche, à gauche et sur divers bancs au centre.)

Un après-midi d'octobre, quand j'ai franchi le parapet, je savais que je risquais la mort. Mais la vie m'eût été à charge si j'avais trahi l’engagement que j'avais pris, si je n'étais pas demeuré fidèle au pacte qui me liait à l'homme qui gisait entre les lignes.

Et en Allemagne, quand, bravant la troupe en armes, j'ai refusé de travailler contre mon pays, cette fois encore, je savais que je faisais mon devoir.

De ces heures sombres, je garde le témoignage d'un capitaine allemand qui, devant l'un de mes trois conseils de guerre au delà du Rhin, proclamait:

« Si un Allemand, en France, avait eu son attitude, notre devoir, à son retour, serait de le saluer bien bas. »

Socialiste? Oui ! Mais soldat sans peur et sans reproche. (Vifs applaudissements à l'extrême gauche, à gauche el sur divers bancs au centre. – Sur ces bancs, MM. les députés se lèvent. – MM. les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

M. le président. M. Mennecier a déposé une demande d'affichage de l'émouvant et magnifique discours de M. le président du conseil.

Je n'ai pas besoin de dire avec quel empressement je donnerais satisfaction à notre collègue si le règlement me le permettait.

Il suffit de consulter l'article 55 du règlement pour voir qu'il ne le permet pas.

Mais rien n'est plus facile, en particulier, à M. Mennecier, que de déposer une proposition de résolution tendant à modifier l'article 55. Dès que cette proposition, après avoir été rapportée par la commission du règlement, aurait été votée par la Chambre, je serais très heureux de pouvoir accepter une demande qu'aujourd'hui je suis dans l'obligation de ne pas recevoir.  [Très bien ! très bien !)

J'ai reçu deux ordres du jour.

Le premier, déposé par MM. Paul Elbel, Edouard Jonas et Renaitour, est ainsi conçu :

« La Chambre,

« Constatant l'inanité des accusations apportées à la tribune contre un membre du Gouvernement,

« Flétrit les campagnes d'outrages et de calomnies qui ne peuvent qu'énerver l'opinion publique, exaspérer les passions partisanes, propager les méthodes de violence et déconsidérer notre pays aux yeux de l'étranger ;

« Fait confiance au Gouvernement pour soumettre sans délai au Parlement un projet de loi qui, tout en sauvegardant la liberté de la presse, permette à tous les citoyens de défendre leur honneur contre la calomnie et la diffamation,

« Et repoussant toute addition,

« Passe à l'ordre du jour. »

Le deuxième ordre du jour, dépose par M.  Xavier Vallat, est ainsi libellé :

« La Chambre,

« Sans prendre parti dans un débat visant l'honneur d'un homme politique attaqué dans son passé militaire,

« Demande à M. le ministre de l'intérieur de provoquer lui-même la constitution d'un jury d'anciens combattants auquel tous les éléments d'information seront soumis, et devant la sentence duquel tout le monde devra s'incliner ;

« Et repoussant toute addition,

« Passe à l'ordre du jour. »

M. le président du conseil. Le Gouvernement accepte l'ordre du jour de M. Elbel.

M. le président. La parole est à M. Petsche, sur les ordres du jour.

M. Maurice Petsche. Messieurs, quelques amis et moi, désireux de mettre un terme à une campagne de calomnies à laquelle nous ne nous associons pas, mais ne pouvant cependant manifester notre confiance à un gouvernement que politiquement, nous combattons, nous demandons le vote sur l'ordre du jour de M. Elbel par division après la première partie, avant les mots: « fait confiance au Gouvernement ».

Nous avons la volonté, en honnêtes gens, de terminer une campagne de calomnies. (Applaudissements au centre, à gauche et à l'extrême gauche.)

Celle campagne de calomnies n'est pas d'aujourd'hui. Elle a atteint successivement, depuis vingt ans, tous les hommes oui ont dirigé la République et, aux jours d’angoisse, lorsque ce pays se retourne vers ceux qui peuvent le diriger, il n'est pas un seul de ces hommes sur lequel on n'ait laissé planer un soupçon.

Nous ne voulons plus de cela !

Il y a aujourd'hui un danger mortel...

A l'extrême gauche. Fasciste !

M. Maurice Petsche. ...qui vient de l'extérieur, qui vient de toutes parts, qui risque de diviser les Français en deux clans hostiles, leur faisant chercher des affinités ailleurs, parce qu'ils n'ont plus confiance dans les hommes qui les gouvernent.

Nous ne voulons pas de cela ! Nous pouvons faire, sur une question de confiance intérieure, des réserves sur la politique d'un gouvernement. Mais nous ne voulons plus qu'entre Français on se calomnie et on s'accuse. (Vifs applaudissements au centre, à gauche, à l'extrême gauche et sur quelques bancs à droite.)

M. le président. La parole est à M. Roulleaux Dugage.

M. Georges Roulleaux Dugage. Messieurs, malgré la très habile plaidoirie de M. le président du conseil et l'intervention de M. Salengro lui-même à la tribune, je dois dire, parce que c'est la vérité, qu'un doute subsiste en mon esprit, comme il subsistera dans beaucoup d'autres, j'en suis convaincu, sur la culpabilité ou la non-culpabilité de M. Salengro. (Interruptions à l'extrême gauche.)

Je tiens à répéter ce que j'ai dit, au cours de la .séance, dans un tumulte qui a empêché M. le ministre de la guerre d'entendre mes paroles ; et ce sera l'explication de mon vote :

Il y a de longues semaines que, à la place de M. Salengro, tout homme d'honneur aurait donné sa démission de ministre pour pouvoir, comme simple citoyen, poursuivre ses accusateurs, les confondre si possible et se disculper entièrement devant l'opinion publique. (Applaudissements sur divers bancs à droite. Protestations et rires à l'extrême gauche et à gauche.)

M. le président. La priorité en faveur de l'ordre du jour de M. Elbel et de ses collègues n'est pas contestée ?...

Je vais consulter la Chambre sur l'ordre du jour de M. Elbel et de ses collègues.

M. Petsche a demandé la division avant les mots: « fait confiance au Gouvernement ».

Le Gouvernement accepte-t-il cette division ?

M. le président du conseil. Oui, monsieur le président.

M. le président. Je rappelle les termes de cette première partie de l'ordre du jour :

« La Chambre,

« Constatant l'inanité des accusations apportées à la tribune contre un membre du Gouvernement.

« Flétrit les campagnes d'outrages et de calomnies qui ne peuvent qu'énerver l'opinion publique, exaspérer les passions partisanes, propager les méthodes de violence et déconsidérer notre pays aux yeux de l'étranger,... »

Je mets aux voix la première partie de l'ordre du jour.

Je suis saisi d'une demande de scrutin par le groupe socialiste.

Le scrutin est ouvert.

(Les votes sont recueillis. – MM. les secrétaires en font le dépouillement.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin :

Nombre  des  votants.........    530

Majorité absolue.............   206

Pour l'adoption......   427

Contre  ..............    103

La Chambre des députés a adopté.

Je rappelle les termes de la seconde partie de l'ordre du jour de M. Elbel et de ses collègues:

« ... Fait confiance au Gouvernement pour soumettre sans délai au Parlement un projet de loi qui, tout en sauvegardant la liberté de la presse, permette à tous les citoyens de défendre efficacement leur honneur contre la calomnie et la diffamation,

« Et, repoussant toute addition,

« Passe à l'ordre du jour. »

Je suis saisi d'une demande de scrutin par le groupe  socialiste.

Le scrutin est ouvert.

(Les votes sont recueillis. – MM. les secrétaires en font le dépouillement.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin :

Nombre  des votants.........   5755

Majorité absolue.............    288

Pour l'adoption......   374

Contre  ..............   201

La Chambre des députés a adopté.

Je mets aux voix l'ensemble de l'ordre du jour.

(L'ensemble de l'ordre du jour, mis aux voix, est adopté.)

 _________________________________

 SCRUTIN (N° 153)

 

Sur la deuxième partie de l'ordre du jour de MM. Elbel, Jonas et Renaitour.

(Examen du dossier militaire d'un membre du Gouvernement.)

Nombre des votants..............   567

Majorité absolue..................  284

 

Pour  l'adoption...........   380

Contre  ...................  187

 

La Chambre des députés a adopté.

 

Ont voté pour :

 

MM.

Albert (André).

Albertin (Fabien) (Bouches-du-Rhône)

Albertini (Auguste) (Hérault)

Allemane

Andraud

Arbeltier

Archimbaud (Léon).

Arnol

Aubaud

Amleguil.

Auriol (Vincent).

Badie (Vincent),

Barel

Baron (Charles) Basses-Alpes

Baron (Etienne) (Tarn-et-Garonne))

Barthe (Edouard).

Barthélémy

Bartolini.

Basquin.

Paul Bastid (Cantal),

Beaugrand.

Beauvillain.

Biéchard

Bêche,

Bédin.

Bedouce.

Beltrémieux

Benenson.

Benoist

Bérenger (Raymond) (Eure-et-Loir).

Bergery

Berlia

Berlioz.

Bernier (Paul).

Béron.

Berthézenne

Bertrand (William).

Besnard-Ferrron

Bezos

Bibié (Maxence).

Biondi.

Blanchet.

Blancho (Loire-Inférieure)

Blanchoin (Maine-et-Loire)

Bloch

Bloncourt.

Blum (Léon).

Bondoux.

Bonnet (Georges).

Bonncvay.

Bonte

Bussoutrot

Boudet (Allier),

Bouhey (Jean).

Bouisson (Fernand) (Bouches-du-Rhône).

Boulay (Henri)  (Saône-et-Loire).

Boulet (Paul) (Hérault))

Bousgarbiès.

Brachard.

Briquet.

Brout.

Brun.

Brunet (René) (Drôme).

Buisset.

Burtin.

Cabanis (Paul).

Cabanncs.

Cadot.

Camel.

Campargue.

Campinchi.

Camus

Capron (Seine).

Carron (Savoie)

Castagnez  (Cher).

Castel.

Catalan (Gers).

Catelas (Somme).

Cayrel.

Chambonnet

Chasseigne.

Chateau.

Chaussy.

Chichery

Choufflet

Cogniot

Colin.

Collomp (Joseph) (Var)

Compayré.

Cornavin.

Cossonncau.

Costes (Seine).

Pierre Cot (Savoie).

Coulaudon.

Courrent.

Courson.

Cristofol.

Croizat.

Crutel.

Dadot.

Daille.

Daladier,

Daroux.

Daul (Bas-Rhinl

David (Haute-Garonne).

Debrégéas.

Declercq.

Decréquy.

Delabie (Maurice).

Delattre.

Delbos (Yvon) (Dordogne).

Delom-Sorbé.

Demusois.

Dereuse.

Deschizeaux.

Deudon (Maurice).

Dewez.

Dezarnaulds.

Dormoy

Dubois (Oran).

Dubon (Landes).-

Dubosc (Louis).

Duclos (Jacques) ;Seine).

Duolos  (Jean)  (Seine-et-Oise).

Ducos (Hippolyte).

Dupont (André) (Eure).

Dupré.

 

Dupuis (Armand) (Oise).

Emile Dutilleul.

Elbel.

Esparbès (Ernest)

Fajon (Seine).

Faure (

Raymond rin.

Février.

Fié.

Fieu.

Fiori.

Forcinal.

Fouchard.

Fourrier.

Froment.

Frossard.

Frot (Eugène),-

Fully.

Galimand.

Gaou.

Garchery.

Gardiol.

Gasparin.

Geistdoerfer.

Gélis (Seine).

Genlin (Aube);

Gernez.

Ginet (Jean).

Gitton.

Gouin (Félix).

Gounin (Charente).

Gout.

Grésa.

Gros (Arsène).

Grumbach.

Guastavino.

Guerret.

Guichard.

Gnidet.

Amédée Guy.

Hauet.

Hollande.

Honei.

Hussei.

Hymans.

Isore   (Pas-de-Calais).

Izard  (Meurthe-et-Moselle).

Jardillier.

Jaubert.

Jean (Renaud).

Jonas

Jonlery.

Jules Julien.

La Chambre.

Lafaye

Lagrange

Lagrosillière.

Lambin

Lanory.

Langumier.

Lapie.

Lareppe.

Larguier  (Aimé).

Laroche.

Lassalle.

Laurens (ile) (Loir-et-Cher).

Laurent (Augustin) (Nord).

Laville.

Lazurick.

Le Bail.

Lebas.

Lebret.

Le rre.

Ledoux.

Lefèvre.

Lejeune.

Le Maux.

Le Roux.

Leroy.

Le Troquer.

Lévy (Rhône).

Lévy-Alphandéry.

L'Hévéder.

Liautey.

Longuet (Théophile).

Loubradou.

Lozeray.

Lucchini.

Luquot.

Lussy (Charles).

Mabrut.

Maës.

Maffray.

Majurel.

Malric.

Malroux.

Malvy.

Manent (Gaston).

Marchandeau.

Margaine.

Marie (André).

Marquet.

Martel (Henri) (Nord).

Martin (Henri) (Marne).

Martin (Léon) (Isère).

Marty (André) (Seine).

Massé  (Emile)  (Puy-de-Dôme).

Masson (Louis).

Massot (Marcel).

Mauguière.

Mellenne

Pierre Mendès-France.

Mendiondou.

Menier (Georges).

Mennecier.

Mercier (Seine).

Métayer.

Jean Meunier  (Indre-et-Loire).

Meyer (Léon).

Michard-Pellissier.

Michel (Pierre) (Côtes-du-Nord).

Michels (Charles) (Seine).

Midol.

Miellet.

Mitton.

Monmousseau.

 

Monnerville.

Monnet.

Montel.

Môquet.

Morin (Ferdinand).

Moutet (Marius).

Mouton.

Muret.

Musmeaux.

Naphle.

Naudin.

Nicod

Nouelle.

Pageot.

Palmade.

Parayre.

Parsal (André).

Pascaud.

Patenôtre (Raymond).

Paulin (Albert).

Pécherot.

Perfetti.

Péri.

Périn (Emile) (Nièvre).

Perrein (Emile) (Maine-et-Loire).

Perrin (Albert) (Isère).

Perrot.

Peschadour.

Petit.

Philip.

Philippot.

Piginnier,

Pillot.

Camille Planche (Allier).

Plancke (Gabriel) (Nord).

Plard.

Pomaret.

Georges Potut.

Pourtalet.

Prachay.

Prigent (Tanguy).

Priogoliet.

Prot (Louis) (Somme)

Quinet.

Quinson.

Ramadier.

Ramette.

Raux  (Nord).

Rauzy.

Ravanat.

Régis

Renaitour.

Réthoré

Richard (Paul) (Rhône).

Richard (René) (Deux-Sèvres).

Riffaterre

Rigal.

Riou (Gaston)

Rives.

Rivière.

Maurice Robert.

Roche (Léon).

Rochet.

Roldes (Maxence).

Rolland.

Rollin (René) (Haute-Marne).

Romastin.

Rotinat.

Roucayrol.

Hubert Rouger.

Roumajon.

Rous (Joseph)  (Pyrénées-Orientales).

Roux (François) (Saône-et-Loire).

Roy (Emmanuel)

Rucart.

Saint-Martin.

Saint-Venant.

Salette.

Satineau.

Saussot.

Jammy Schinidt.

Sclafer.

Louis Sellier

Serandour.

Serda.

Sérol (Albert) (Loire).

Serre.

Sévère.

Sibué.

Silvestre.

Sion.

Soula.

Spinasse.

Raymond Susset.

Tasso (Henri).

Tellier (Alphonse).

Tessan (de).

Tessier.

Thiébaut (Gaston).

Thiélaine.

Thiolas.

Thivrier.

Thomas (Eugène) (Nord).

J.-M. Thomas (Saône-et-Loire)

Thonon.

Thorez.

Thorp (René)

Tillon.

Touchard.

Triballet.

Vaillandet.

Vaillant-Couturier,

Valat (Fernand) (Gard).

Valentin (Charles) (Nord).

Valière.

Vantilelcke.

Vardelle.

Vassal.

Vazeilles.

Vidal (Raymond).

Vienot.

Villedieu.

Voirin.

Jean Zay.

Zunino.

 

Ont voté contre :

 

MM.

Aillières (d').

Antier.

Aramon (Bertrand d').

Audiffret-Pasquier (duc d').

Bacquet.

Barbot.

Bardoul (Emerand).

Bastide (Joseph) (Aveyron).

Bataille.

Baudry.

Bazin.

Beaudoin.

Becquart.

Béranger (Pierre) (Eure).

Bernex

Biétrix.

Blaisot.

Blanc

Boucher.

Bouissoud (Charles) (Saône-et-Loire).

Bousquet.

Boux de Casson.

Bret (Georges).

Michel Brille

Bureau (Georges),

Burgeot

Cadic.

Candace.

Champeaux (de).

Chiappe.

Claudet.

Clermont-Tonnerre (de).

André Cointreau.

Coral (de).

Cousin.

Creyssel.

Crouan.

Daher (Bouches-du-Rhône).

Dariac (Adrien).

Delzangles.

Denais (Joseph).

Denis.

Desbons  (Hautes-Pyrénées).

Deschanel.

Devaud.

Diesbach (de).

Pierre Dignac.

Dommange.

Gustave Doussain (Seine).

Drouot (Haute-Saône),

Duault (Côtes-du-Nord).

Albert Dubosc.

Duhoys Fresney.

Duchesne-Fournet.

Dupont Alphonse (Ain).

Frédéric Dupont (Seine).

Duval (Alexandre).

Elmiger.

Elsaesser.

Enjalbert.

Fauchon (Manche).

Fernand-Laurent.

 

Flandin (Pierre-Etienne).

Fould.

Fourcault de Pavant.

Framond (de).

Fuchs.

Gaillemin.

Jean Gapiand.

Gaston-Gérard.

Gaurand.

Gellie (Gironde).

Genty (Seine-Inférieure).

Gerente.

Gillet (Pierre).

Girault.

Grandmaison (Robert de).

Crat.

Guérin.

Guernier.

Gullung.

Harcourt (duc d').

Harter.

Hartmann.

Heid.

Henriot.

Hervé.

Ihuel.

Inizan.

Des lsnards.

Jacqulnot.

Joly.

Juigné (marquis de).

Kérillis (de).

Lachal.

La Ferronnays (marquis de).

La Groudière (de).

La Myre-Mory (de) Laniel.

Lardier (Emile).

Lecacheux.

Le Cour Grandmaison (Jean).

Le Poullen.

Lestapis (de).

Levesque.

Lohéac.

Luart (du).

Lucas.

Lyrot (de).

Macouin.

Magnan.

Marin (Louis).

Martel (Louis) (Haute-Savoie).

François-Martin (Aveyron).

Massé (Joseph) (Cher).

Masteau (Vienne).

Mathé.

Mazerand.

Meck.

Michel (Augustin) (Haute-Loire).

Moncelle.

Monfort.

Montaigu (de).

Montalembert (de).

Montigny (Jean).

 

 

Morane.

Moreau.

Moustier (marquis de).

Nader.

Niel.

Parmentier.

Pébollier.

Peissel.

Pellé.

Perreau-Pradier (Pierre).

Peter.

Peugeot.

Pinault.

Pinelli.

Pitois.

Plichon.

Poitou-Duplessy.

Polignac  de).

Polimann.

Ponsard.

Provost de La Fardinière.

Quenelle.

Radulph.

Reille-Soult.

Reynaud (Paul).

Robbe.

Rocca-Serra (de).

Roehereau.

Louis Rollin (Seine).

Rossé.

Roulleaux Dugage.

Saint-Just (François) de)..

Saint Pern (de).

Salles (Antoine).

Saurin.

Scapini.

Schuman (Robert).

Seltz (Thomas).

Sérot (Robert) (Moselle).

Simon (Paul).

Soulier (Edouard).

Stürmel.

Suzannet (de).

Taittinger.

Taudiière.

Temple.

Thellier (Paul).

Thibon.

Tinguy du Pouët (de).

Tixier-Vignancour.

Tranchand.

Trémintin.

Valentin (François) (Meurthe-et-Moselle).

Vallat (Xavier).

Vallette-Viallard.

Vaur.

Vincent (Adolphe).

Wallach.

Walter (Michel).

Wiedemann-Goiran.

Ybarnégaray.

 

 

 

N'ont pas pris part au vote :

 

MM.

Aubert.

Barély (Léon).

Brandon.

Brunet (Auguste) (Réunion).

Burrus

Dahlet (Bas-Rhin).

Delaunay..

Doriot.

Escartefigue.

Gallet (Marius).

Hennessy (Jean).

Hueber.

Mallarmé.

Marescaux.

Médecin.

Morinaud.

Mourer.

Nachon.

Oberkirch.

Petsche (Maurice).

Salengro.

Talandier.

Willzer.

 

Absents par congé :

 

MM.

Baud (Jura).

Haudouin-Bugnet.

André Beauguitte.

Beaumont (de).

René Besse.

Buyat.

Chappedelaine (de).

Chaulin-Servinière.

Colomb Pierre (Vienne).

Coquillaud.

Courtehoux.

Delcos François (Pyrénées-Orientales).

Desgranges.

Dupuy (Pierre) (Inde française).

Goussu.

Héraud (Marcel).

Le Pévedic.

Mande  (Georges).

Jean Mistler.

Monzie (de).

Pezel.

Piélri.

Saudubray.

Tristan.

 

N'a pas pris part au vote :

M. Edouard Herriot, qui présidait la séance.

 

Les nombres annoncés; en séance avaient été de ::

Nombre des votants..............    575

Majorité absolue..................   288

Pour l'adoption...........   374

Contre   ...................   201

 

Mais, après vérification, ces nombres ont été rectifiés conformément a la liste de scrutin ci-dessus.