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N° 2011

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 novembre 2009.

PROJET DE LOI

autorisant l’approbation du protocole n° 14 bis à la convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, amendant le système de contrôle de la convention,

(Renvoyé à la commission des affaires étrangères, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉ

au nom de M. François FILLON,

Premier ministre,

par M. Bernard KOUCHNER,
ministre des affaires étrangères et européennes.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le protocole n° 14 bis à la convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (ci-après, « la convention ») a été adopté à Strasbourg le 12 mai 2009 par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe. Ouvert à la signature le 27 mai 2009, et aussitôt signé par la France, ce protocole vient amender le système de contrôle de la convention, dont la Cour européenne des Droits de l’Homme (ci-après « la Cour ») est le pilier principal.

Depuis son adoption, le mécanisme de contrôle des droits prévus dans la convention a déjà été modifié à plusieurs reprises. Il a, en particulier, fait l’objet d’une profonde réforme par le protocole n° 11, adopté en 1994 et entré en vigueur le 1er novembre 1998. Le rôle décisionnel du Comité des ministres dans le traitement des requêtes fut alors aboli et une nouvelle Cour siégeant à plein temps fut instituée, devant laquelle tout requérant individuel se voyait ouvert le droit de soumettre directement sa cause. Ce faisant, le protocole n° 11 n’a pas uniquement cherché à renforcer le caractère juridictionnel du mécanisme en question. Il visait également à le simplifier afin de raccourcir la durée de traitement des procédures. De fait, le nombre de requêtes individuelles introduites à cette époque avait considérablement progressé : de 5 279 en 1990, il était passé à 10 335 en 1994.

Cette rationalisation du système de contrôle de la convention s’est toutefois rapidement avérée insuffisante face à l’augmentation persistante du nombre d’affaires, due tout autant à l’adhésion à la convention de treize nouveaux États, du mois de mai 1994 au mois de mai 2004, qu’à un accroissement général du volume de requêtes déposées à l’encontre des anciens États Parties. De 18 164 affaires portées devant la Cour en 1998, on est en effet passé à 49 850 affaires attribuées à une formation judiciaire en 2008. Alors qu’à ce jour plus de 100 000 dossiers sont pendants, le phénomène semble devoir se poursuivre, au point d’entraîner un risque grave de paralysie de la Cour.

Un processus de réflexion sur la nécessité d’une nouvelle réforme a donc été lancé dès la Conférence ministérielle sur les Droits de l’Homme, tenue à Rome les 3 et 4 novembre 2000 pour marquer le 50e anniversaire de l’ouverture à la signature de la convention. Il a abouti à l’élaboration d’un protocole n° 14 à la convention, prévoyant, principalement, les innovations suivantes :

– création de formations à juge unique, ayant compétence pour déclarer les requêtes irrecevables ;

– nouvelles compétences des comités de trois juges (qui se prononcent aujourd’hui sur la seule irrecevabilité) pour déclarer certaines affaires recevables et rendre des arrêts lorsque la question soulevée par l’affaire a déjà fait l’objet d’une jurisprudence bien établie de la Cour ;

– nouveau critère de recevabilité, en vertu duquel la Cour pourrait déclarer irrecevable toute requête individuelle lorsque le requérant n’a subi aucun préjudice important (sauf si « le respect des Droits de l’Homme » appelle un examen au fond ou si l’affaire n’a pas été examinée par un tribunal interne) ;

– nouvelles possibilités ouvertes au Comité des ministres en matière d’exécution, permettant en particulier d’engager une procédure devant la Cour pour obtenir une décision indiquant si l’État a rempli ou non son obligation d’exécuter ;

– allongement du mandat des juges de six (renouvelables) à neuf ans (non renouvelables).

Ces mesures visaient avant tout à améliorer le système de contrôle prévu par la convention, en conférant à la Cour les moyens procéduraux et la flexibilité nécessaires pour réduire le temps consacré aux requêtes manifestement irrecevables ainsi qu’aux affaires « clones », et lui permettre de concentrer son attention sur les affaires les plus importantes.

Signé par la France le 13 mai 2004, et approuvé par la loi n° 2006-616 du 29 mai 2006, le protocole n° 14 n’a cependant pu entrer en vigueur depuis cette date, du fait du refus russe de le ratifier. En attendant l’entrée en vigueur du protocole n° 14, que la Russie n’a pas écarté définitivement, les États parties à la convention sont donc convenus d’adopter, en tant que mesure intérimaire et provisoire, un protocole n° 14 bis, limité à certaines des mesures d’ordre procédural contenues dans le protocole n° 14.

Ce texte, qui nécessite le consentement de trois États membres seulement pour entrer en vigueur (à la différence du protocole n° 14, qui exigeait un consensus), reprend sans modification les dispositions du protocole n° 14 relative au filtrage des affaires.

*

Le renforcement des capacités de filtrage de la Cour se traduit d’abord par la mise en place de formations à juge unique. L’objectif poursuivi est de permettre à la Cour de traiter plus rapidement les dossiers insusceptibles d’aboutir. À l’heure actuelle, les décisions d'irrecevabilité ne peuvent être rendues que par un comité de trois juges ou une chambre. En confiant aux nouvelles formations de juge unique la faculté de déclarer irrecevables ou de rayer du rôle les requêtes individuelles dans la mesure où « une telle décision peut être prise sans examen complémentaire » (article 4 du protocole), le protocole aura pour effet d’accélérer considérablement le traitement des requêtes dans lesquelles l’irrecevabilité s’impose d’emblée. Les statistiques démontrent que 90 % des affaires sont à ce jour déclarées irrecevables. Dans ce lot, toutes ne sont pas de prime abord dénuées de fondement et ne relèveront pas de cette procédure simplifiée. Mais plusieurs milliers de requêtes devraient pouvoir être filtrées de cette manière.

À l’effet positif découlant de cette multiplication des formations de filtrage fonctionnant simultanément viendra s’ajouter le gain de temps généré par le fait que les juges siégeant en formation de juge unique seront déchargés de leur rôle de rapporteur. Des postes de rapporteurs, tenus par des membres du greffe, seront en effet créés à cette fin (article 2 du protocole). Néanmoins, la décision sur l’irrecevabilité relèvera naturellement de la seule responsabilité du juge, ce qui préservera le caractère juridictionnel du processus.

Il va de soi qu’un juge ne pourra pas siéger comme juge unique dans les affaires qui concernent la Haute Partie contractante au titre de laquelle il a été élu (article 3 du protocole). Par ailleurs, en cas de doute sur la recevabilité, le juge unique se dessaisira de l’affaire et la soumettra à un comité ou à une chambre (article 4 du protocole).

En parallèle, les comités de trois juges ont vu leur compétence s’accroître. Jusqu’à présent, ils se bornaient à rendre des décisions d’irrecevabilité, et ce dans les affaires où une telle décision pouvait être prise « sans examen complémentaire ». Seules les chambres sont actuellement habilitées à déclarer des affaires recevables et à les trancher au fond (articles 28 et 29 de la convention). Dans le cadre de la présente réforme, les comités conserveront naturellement la faculté de rendre des décisions d’irrecevabilité. Ils pourront au surplus déclarer recevables les requêtes individuelles et statuer conjointement sur le fond « lorsque la question relative à l’interprétation ou à l’application de la convention qui est à l’origine de l’affaire fait l’objet d’une jurisprudence bien établie de la Cour » (article 4 du protocole).

Sont ainsi visées les affaires pour lesquelles aucune exception d’irrecevabilité ne peut être retenue et dont le fond ne présente aucune différence notable avec des requêtes déjà jugées. Elles constituent une part significative des arrêts de la Cour et occasionnent une perte de temps non négligeable (réunion d’une chambre de sept juges pour les trancher) alors précisément que leur similitude avec des requêtes antérieures leur ôte tout réel enjeu juridique. Ainsi, la nouvelle compétence des comités permettra tout à la fois d’alléger la charge de travail des chambres et d’accélérer le traitement de ces affaires « clones » qui ne requerront plus que l’implication de trois juges.

Dans ce contexte, il convient d’entendre l’expression « jurisprudence bien établie de la Cour » comme visant, entre autres, une jurisprudence constante d’une chambre ou un arrêt de principe de la Grande Chambre. Les comités devront se prononcer à l’unanimité, gage du fait que l’affaire correspond sans conteste à une jurisprudence clairement fixée. Les arrêts ainsi rendus seront définitifs.

*

Le protocole prévoit enfin des dispositions finales concernant son entrée en vigueur (article 6 du protocole), auxquelles s’ajoute un mécanisme par lequel une Haute Partie contractante peut opter pour son application provisoire dans l’attente de son entrée en vigueur à l’égard de cette Haute Partie, ce qui vise à faciliter l’application la plus rapide possible du protocole à l’égard du plus grand nombre possible d’États. L’article 8 du texte vise, pour sa part, à couvrir la situation dans laquelle une requête serait présentée contre deux ou plus États alors que le protocole n° 14 bis ne serait pas en vigueur ou appliqué à titre provisoire, ou encore que les dispositions correspondantes du protocole n° 14 ne seraient pas davantage appliquées à titre provisoire à leur égard (1).

Enfin, l’article 9 du protocole n° 14 bis prévoit qu’il cessera de s’appliquer à la date d’entrée en vigueur du protocole n° 14. Ces dispositions reflètent le fait que ce protocole a été prévu en tant que mesure provisoire et intérimaire, en attendant l’entrée en vigueur toujours espérée du protocole n° 14.

Telles sont les principales observations qu’appelle le protocole n° 14 bis à la convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, amendant le système de contrôle de la convention qui, comportant des dispositions de nature législative, est soumis au Parlement en vertu de l’article 53 de la Constitution.


PROJET DE LOI

Le Premier ministre,

Sur le rapport du ministre des affaires étrangères et européennes,

Vu l’article 39 de la Constitution,

Décrète :

Le présent projet de loi autorisant l’approbation du protocole n° 14 bis à la convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, amendant le système de contrôle de la convention, délibéré en conseil des ministres après avis du Conseil d’État, sera présenté à l’Assemblée nationale par le ministre des affaires étrangères et européennes, qui sera chargé d’en exposer les motifs et d’en soutenir la discussion.

Article unique

Est autorisée l’approbation du protocole n° 14 bis à la convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, amendant le système de contrôle de la convention, signé à Strasbourg le 27 mai 2009, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Fait à Paris, le 4 novembre 2009.

Signé : François FILLON

Par le Premier ministre :
Le ministre des affaires étrangères
et européennes


Signé :
Bernard KOUCHNER

1 () Les États membres du Conseil de l’Europe ont également admis par consensus, le 12 mai 2009, la possibilité, par déclaration, d’une application anticipée et provisoire des dispositions du protocole 14 concernant les formations à juge unique et les nouvelles compétences des comités de trois juges. Cette solution, qui n’emporte pas la préférence de la France, a cependant été également admise parallèlement pour satisfaire certains États membres soucieux de ne pas avoir à procéder à un nouveau processus interne de ratification.


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