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Projet de loi

interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public

Etude d’impact

Mai 2010

SOMMAIRE

1. Le constat : la dissimulation du visage dans l’espace public, un défi lancé au « vivre-ensemble » 3

1.1. L’apparition dans l’espace public de comportements qui posent des questions nouvelles du point de vue de la vie en société 3

1.1.1. La dissimulation du visage : des phénomènes déjà partiellement saisis par le droit français 3

1.1.2. La pratique du port du voile intégral : un phénomène récent et en développement sur le territoire national 4

1.1.3. Une remise en cause du « vivre-ensemble » 5

1.1.4. Une difficulté supplémentaire : la contrainte à la dissimulation du visage 7

1.2. Des comportements dont la gravité appelle une réaction des pouvoirs publics 8

1.2.1. Le droit positif paraît insuffisant pour lutter contre la pratique du port du voile intégral 8

1.2.2. L’encadrement légal du port du voile intégral dans l’espace public fait l’objet de nombreux débats en France 9

1.2.3. La même question est posée dans d’autres pays d’Europe 10

2. Les objectifs : faire régresser la pratique de la dissimulation du visage dans l'espace public pour préserver la cohésion sociale 11

3. Les options 12

3.1. Les options possibles en dehors de l’intervention d’une règle de droit nouvelle apparaissent d’une efficacité limitée 12

3.1.1. La médiation, indispensable mais insuffisante 12

3.1.2. Le vote d'une résolution parlementaire : un acte symbolique fort, dont la portée concrète est incertaine 12

3.1.3. La nécessité de recourir à un acte normatif 13

3.2. La portée des limites à énoncer à une mesure d’interdiction 13

3.2.1. Le choix d’une interdiction par la loi 13

3.2.3. Le choix d’une interdiction générale 14

3.3. Le choix de la sanction 15

4. Analyse des impacts 17

4.1. Les situations visées par les règles contenues dans le projet de loi 17

4.1.1. Champ d’application relatif à l’objet dissimulant le visage 17

4.1.2. Champ d’application géographique 17

4.1.3. Dérogations apportées à cette interdiction générale 17

4.2. Les conditions concrètes d’application 18

4.2.1 Le port d’un vêtement dissimulant le visage fera obstacle à l’entrée dans un lieu affecté à un service public 18

4.2.2 La contravention 18

4.3. Impact juridique 21

4.4. Impact international 21

5. Consultations menées 22

1. Le constat : la dissimulation du visage dans l’espace public, un défi lancé au « vivre-ensemble »

1.1. L’apparition dans l’espace public de comportements qui posent des questions nouvelles du point de vue de la vie en société

Dans les sociétés libres et démocratiques prévaut, en principe, la règle, implicite mais élémentaire que nul échange entre les personnes, nulle vie sociale n’est possible, dans l’espace public, sans réciprocité du regard et de la visibilité : les personnes se rencontrent et entrent en relation à visage découvert.

En France comme dans d’autres pays, des phénomènes récents contreviennent toutefois à ce principe, en ce qu’ils se traduisent par la dissimulation du visage des personnes dans l’espace public.

Cette dissimulation révèle, quand il s’agit d’une pratique constante, une forme préoccupante de repli communautariste et de rejet des valeurs de la République. C’est ainsi que se développe, dans des proportions qui restent encore difficiles à mesurer précisément, le port, volontaire ou contraint, par les femmes d’un voile intégral censé manifester leurs convictions religieuses et qui prend la forme sur le territoire national du niqab1. Ce phénomène, inconnu en France jusqu’à très récemment, suscite légitimement l’inquiétude de nos concitoyens. Il a fait l’objet d’une mission d’information de l’Assemblée nationale, présidée par M. André Gérin et qui a conduit pendant plusieurs mois un travail de réflexion approfondi.

Dans ces différentes hypothèses, la soustraction au regard d’autrui par dissimulation du visage dans l’espace public apparaît comme une démarche d’opposition à la vie commune telle qu’elle est acceptée dans la société française. Destinée à s’opposer à toute forme d’identification ou à manifester une pratique incompatible avec la dignité humaine et avec l’égalité hommes-femmes, la dissimulation du visage dans l’espace public nourrit, dans ces conditions, des interrogations sur les modalités du « vivre-ensemble ».

1.1.1. La dissimulation du visage : des phénomènes déjà partiellement saisis par le droit français

Différents dispositifs ont déjà pour objet ou pour effet de prohiber, dans certaines hypothèses, la dissimulation volontaire du visage dans l’espace public ou dans certains services publics.

On peut mentionner deux exemples à cet égard.

Il s’agit, en premier lieu, de dispositions visant à garantir la sécurité des personnes et des biens, par la prévention ou la répression des infractions au moyen de l’identification des personnes.

C’est ainsi que l’article 78-1 du code de procédure pénale prévoit que « toute personne se trouvant sur le territoire national doit accepter de se prêter à un contrôle d’identité effectué » par les autorités de police, dans certaines conditions précisées par les articles suivants du même code.

Plus récemment, le décret n°2009-724 du 19 juin 2009, relatif à l’incrimination de dissimulation illicite du visage à l’occasion de manifestations sur la voie publique, punit d’une amende de 1500 euros, « le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public ». Il s’agit de lutter plus efficacement contre les actes violents commis par des personnes « cagoulées » en marge de rassemblements sur la voie publique.

Ces normes, dont l’objet est préventif, permettent ainsi de s’opposer à des comportements qui sont susceptibles de mettre en cause la sécurité des biens et des personnes.

Il s’agit, en second lieu, des modalités d’applications du principe de laïcité dans les établissements scolaires.

La loi n°2004-228 du 15 mars 2004 interdit, dans les écoles, collèges et lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse. Il convient de rappeler que cette loi, précédée par un travail de réflexion approfondi et par un large débat public mené par le Médiateur de la République, a finalement été votée de manière consensuelle. Elle a permis de mettre fin aux incertitudes qui prévalaient jusque là quant aux conditions d’admission des élèves portant le voile et qui plaçaient tant les responsables d’établissements scolaires que les jeunes filles concernées en situation délicate. Il en est résulté un apaisement des tensions, sans que soit méconnue la liberté de conscience, comme l’ont jugé tant le Conseil d’Etat (8 octobre 2004, Union française pour la cohésion nationale, n° 269 077) que la Cour européenne des droits de l’homme (30 juin 2009, Aktas c. France, req n° 43563/08).

Dans ces deux grandes hypothèses, le droit français a ainsi su répondre à des comportements ou à des phénomènes contraires à des principes fondamentaux de la vie en société. Ces exemples montrent que la réponse juridique a été efficace et, surtout, qu’elle a permis de réduire le trouble né de certaines attitudes.

1.1.2. La pratique du port du voile intégral : un phénomène récent et en développement sur le territoire national

De l’avis des spécialistes, le port du voile intégral n’est nullement une exigence de l’islam. Cette coutume d’origine moyen-orientale, récemment apparue sur le territoire national, est très éloignée de la pratique habituelle de la religion musulmane.

En France, cette pratique était quasi-inexistante au début des années 2000. Si elle reste encore relativement marginale, elle s’est toutefois accrue au cours des dernières années. Surtout, elle fait naître un débat de société auquel les pouvoirs publics doivent apporter une réponse.

Une étude réalisée par le ministère de l’Intérieur effectuée à l’été 2009 évalue ainsi à 1 900 le nombre de femmes portant le voile intégral en France. On doit préciser que leur recensement reste difficile dès lors que beaucoup d’entre elles sortent peu de leur domicile ou de leur quartier.

Parmi ces 1 900 femmes, 270 seraient établies dans les collectivités d’Outre-mer, principalement à la Réunion, ainsi qu’à Mayotte. 50 % des femmes portant le voile intégral en métropole résident en Ile-de-France. 160 cas sont répertoriés en région Rhône-Alpes. Une centaine de femmes portent le voile intégral en Provence Alpes Côte d’Azur. Ces trois régions concentrent, à elles seules, les deux tiers des femmes portant un tel vêtement en métropole.

Toutes les régions métropolitaines semblent concernées, à l’exception de la Corse.

Enfin, le port du voile apparaît circonscrit aux zones urbanisées et concentrées dans les cités sensibles des grandes agglomérations.

Ainsi que le rappelle le rapport de la mission d’information parlementaire, le ministère de l’intérieur a également réuni des informations permettant d’établir le profil des femmes portant le voile intégral. Celui-ci se caractérise par un âge moyen relativement jeune, puisque la moitié d’entre elles a moins de 30 ans et 90 % a moins de 40 ans. 1% d’entre elles seraient mineures.

Par ailleurs, les deux tiers de ces femmes seraient de nationalité française. Parmi celles-ci, la moitié appartiendrait aux deuxième et troisième générations issues de l’immigration.

Enfin, le quart des femmes portant le voile intégral en France seraient des personnes converties à l’islam, c’est-à-dire nées dans une famille de culture, de tradition ou de religion non musulmane.

1.1.3. Une remise en cause du « vivre-ensemble »

La dissimulation intégrale du visage dans l’espace public heurte plusieurs valeurs essentielles, qui constituent le pacte républicain et sont représentatives de principes fondamentaux de la société française.

Quatre éléments doivent, à cet égard, être soulignés.

En premier lieu, hors circonstances particulières – tenant par exemple à des raisons médicales – ou occasionnelles – telles que des manifestations festives, la dissimulation du visage dans l’espace public a pour effet de rompre le lien social. Elle manifeste le refus du « vivre-ensemble ».

Comme l’ont mis en évidence les nombreuses auditions menées par la mission d’information de l’Assemblée nationale, les règles élémentaires de sociabilité passent par l’échange, le regard, la parole et supposent, en toute hypothèse, l’exposition réciproque des visages. A l’inverse, voiler intégralement son visage, librement ou sous la contrainte, aboutit à la négation de soi et d’autrui et interdit la mise en place d’une relation entre les personnes. Cette pratique est, en soi, porteuse d’une violence symbolique qui déstabilise le pacte social.

En France, le pacte social trouve son expression juridique fondamentale dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dont l’article 4 affirme que ‘La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui’. Comme cela a été affirmé devant la mission d’information de l’Assemblée nationale, qui cache son visage nuit à autrui, « en lui signifiant qu’il n’est pas assez digne, pur ou respectable » pour se présenter à lui à visage découvert.

La dissimulation du visage, hors circonstances spécifiques déjà mentionnées, emporte ainsi par elle-même une forme de distinction symbolique entre celui qui se masque et celui qui ne se voile pas. Cette dissimulation a ainsi pour effet d’exprimer le rejet d’une majorité qui ne cache pas son visage, ou l’appartenance à un groupe spécifique qui se reconnaît par la dissimulation. Elle manifeste une volonté d’isolement du reste de la société, illustrée physiquement par le refus de s’exposer au regard de l’autre qui est ainsi écarté, rejeté.

La dissimulation du visage est, dans ces conditions, un acte grave de rejet de l’autre, trop différent pour être admis à porter un regard sur le visage. Cette différence est encore accentuée par le port du vêtement qui dissimule le visage : ainsi entre celui qui se masque le visage et l’autre, il n’y a plus rien de semblable. Au lieu de se reconnaître, les deux personnes se rejettent mutuellement. Elles ne peuvent d’ailleurs faire autre chose que se rejeter dès lors que, précisément, la dissimulation du visage de l’un les rend trop dissemblables.

C’est en ce sens que la dissimulation du visage est inacceptable au sein de la société française. Elle atteste d’un rejet de l’autre, d’une séparation symbolique et d’une distinction physique qui ne sauraient être admises.

La dissimulation du visage constitue, en deuxième lieu, une atteinte à la dignité de la personne humaine.

Dans le prolongement de l’idée qui vient d’être énoncée, la dissimulation du visage doit en effet être regardée comme incompatible avec ce principe éminent.

Cette valeur essentielle du pacte social est ainsi exprimée par la première phrase du Préambule de la Constitution de 1946, selon laquelle : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ou de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ». Le Conseil constitutionnel en a déduit, dans sa décision du 27 juillet 1994 (n° 343 DC) que « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle ».

Or, des travaux menés par la mission d’information parlementaire, il ressort que le port du voile intégral est largement perçu comme portant gravement atteinte à la dignité de la personne humaine. Ce point de vue est unanime lorsque le port du niqab ne résulte pas du choix de la femme qui le revêt, mais de la contrainte de son entourage.

Plus généralement, l’idée qu’une personne se couvre intégralement le visage lorsqu’elle est dans l’espace public correspond à un effacement de sa propre identité. Que cet effacement soit souhaité ou subi, il est nécessairement deshumanisant. La dignité humaine est liée à la nécessité de montrer et de maintenir sa propre identité. Effacer, dissimuler celle-ci en se recouvrant le visage est un comportement qui est par là même contraire avec le principe de dignité humaine.

La pratique du port du voile intégral témoigne, en troisième lieu, d’une vision fondamentalement inégalitaire des relations entre les hommes et les femmes.

Le principe d’égalité est au fondement même de notre République. L’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen rappelle ainsi que « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. » A cet égard, le port du niqab apparaît comme en opposition radicale avec ce principe : seuls les hommes seraient dignes de vivre à visage découvert, tandis que les femmes seraient condamnées à être enfermées dans une tenue les séparant du monde extérieur et leur interdisant, de fait, de jouer un rôle social.

L’idée selon laquelle, du seul fait qu’elle est une femme, une personne doit se recouvrir intégralement le visage pour évoluer dans l’espace public ne peut être réconciliée avec le principe de l’égalité hommes-femmes. Elle a pour effet d’anéantir l’identité des femmes, leurs droits à l’identité, ce qui est contraire aux valeurs fondamentales de la France.

 

Le port du voile intégral dans l’espace public est, en quatrième lieu, source de menaces pour l’ordre public.

Ces menaces doivent être distinguées quant à leur nature et leur portée. D’une part, le port du voile perturbe, concrètement, le bon fonctionnement de la vie sociale.

Des démarches courantes supposent d’identifier les individus, que ce soit à la sortie des écoles, lorsqu’un parent vient chercher son enfant, dans les bureaux de poste, pour la remise d’un pli, dans les bureaux de vote ou pour régler un achat dans un commerce, par exemple.

La dissimulation du visage pose d’autre part, et dans certaines hypothèses, de véritables problèmes de sécurité publique.

1.1.4. Une difficulté supplémentaire : la contrainte à la dissimulation du visage

Comme le relève le rapport de la mission parlementaire, le port du voile intégral peut résulter de contraintes exercées sur la personne par son entourage, notamment s’il s’agit d’un mineur.

Des cas d’enfants d’une dizaine d’années qui étaient totalement voilées ont du reste été signalés.

Bien qu’il soit difficile d’établir l’existence de contraintes, le principe d’une interdiction absolue et réprimée pénalement de façon suffisamment sévère et dissuasive des actes tendant, par menace, violence ou contrainte, abus de pouvoir ou abus d’autorité, à imposer à une personne, en raison de son sexe, la dissimulation de son visage, fait l’objet d’un consensus.

A l’évidence, en effet, lorsqu’elle est subie et contrainte, la dissimulation du visage est totalement inacceptable au regard des principes qui gouvernent la société française.

1.2. Des comportements dont la gravité appelle une réaction des pouvoirs publics

1.2.1. Le droit positif paraît insuffisant pour lutter contre la pratique du port du voile intégral

Le droit a, pour le moment, apporté des réponses à des difficultés spécifiques, au nom d’objectifs particuliers. Avec le port du voile intégral, c’est d’un problème d’une ampleur très différente qu’il doit se saisir.

La législation actuelle, déjà rappelée pour partie, n’appréhende pas le port du voile intégral comme un problème à part entière.

- L’interdiction systématique du port du voile intégral dans certains espaces répond au principe de laïcité ou à l’exigence du bon fonctionnement des entreprises.

Comme cela a été mentionné, le principe de neutralité des services publics interdit aux fonctionnaires de manifester leur croyance religieuse dans le cadre de leur fonction. Pour les usagers, l’interdiction du port de signes ou tenues manifestant ostensiblement leur appartenance religieuse, justifiée par le principe de laïcité, est limitée aux écoles, collèges et lycées. Aucun autre service public n’a fait l’objet d’une telle mesure générale.

Dans le cadre de l’entreprise, la jurisprudence admet que l’employeur interdise à un salarié de porter une tenue incompatible avec l’exercice de son activité professionnelle.

- L’identification ponctuelle des personnes est nécessaire pour répondre à un impératif de sécurité publique :

Lorsque l’ordre public est menacé, l’identification des personnes peut être rendue obligatoire dans le cadre de contrôles d’identité, ou lors de manifestations sur la voie publique.

La nécessité d’identifier les personnes dans des situations bien précises peut conduire à exiger d’elles qu’elles découvrent leur visage. Cette obligation peut être prévue par des textes législatifs, réglementaires ou par voie de circulaire. Ainsi par exemple, en matière de documents d’identité, un texte législatif ou réglementaire peut exiger l’apposition sur un document officiel d’une photographie tête nue. De même, la note du 24 novembre 2008 du ministre de l’éducation nationale prescrit de ne pas remettre un enfant à une personne dont l’identité ne peut être vérifiée.

- Le fait de contraindre autrui à se dissimuler le visage ne peut être appréhendé qu’indirectement, par les incriminations de droit commun :

Le délit de violence (article 222-13 du code pénal) peut être constitué en dehors de tout contact matériel avec le corps de la victime. Le « délit de violences psychologiques » est spécifiquement prévu par la proposition de loi renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes, adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale. Elle réprime le fait de soumettre son conjoint, partenaire de pacte civil de solidarité, concubin ou ancien conjoint à des « agissements ou des paroles répétées ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie susceptibles d’entraîner une altération de sa santé physique ou mentale ».

La menace avec ordre de remplir des conditions (article 222-18 du code pénal) constitue également un délit.

Cette législation, tant par son caractère fragmenté que par la diversité de ses objectifs, ne permet pas de répondre à l'ensemble des problèmes posés, à la société, par la dissimulation du visage dans l'espace public et, particulièrement, par le port du voile intégral. Si la fréquence des comportements consistant à se dissimuler le visage ou leur nombre ne sont pas très importants, la dimension quantitative du phénomène n’est pas l’essentiel. Par sa nature même, quel que soit le nombre de personnes concernées, le fait de se dissimuler le visage est, on l’a dit, un comportement qui heurte les principes fondamentaux de notre société. Dans ces conditions, une nouvelle réponse juridique doit être trouvée. Celle-ci ne doit pas répondre aux problèmes ponctuels suscités par la dissimulation du visage, mais être l’occasion d’affirmer les valeurs essentielles de notre pacte social.

C’est parce qu’elle va à l’encontre de ces valeurs que la contrainte faite à autrui de dissimuler son visage doit également pouvoir être appréhendée en tant que telle.

1.2.2. L’encadrement légal du port du voile intégral dans l’espace public fait l’objet de nombreux débats en France

Compte tenu de la gravité de l’atteinte qu’elle porte à plusieurs des valeurs essentielles de notre pacte républicain, le Parlement français s’est saisi de la question de la pratique du port du voile intégral sur le territoire national.

Plusieurs initiatives parlementaires ont ainsi été prises sur ce sujet.

Le député Jacques Myard a présenté une proposition de loi, le 23 septembre 2008, dont l’objet est d’ériger en infraction pénale le port d’un voile sur le visage empêchant toute reconnaissance ou identification.

L’important travail mené dans le cadre de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur le port du voile intégral sur le territoire national s’est conclu par le dépôt d’un rapport, le 26 janvier 2010.

Le même jour, a été présentée une proposition de résolution, sur le fondement de l’article 34-1 de la Constitution, sur l’attachement au respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte. Celle-ci a été adoptée par l’Assemblée nationale, le 11 mai 2010, à l’unanimité.

Une proposition de loi présentée par plusieurs députés a par ailleurs été déposée le 5 février 2010, visant à interdire le port de tenues ou d’accessoires ayant pour effet de dissimuler le visage dans les lieux ouverts au public et sur la voie publique ; de même, le 9 février 2010, M. Jean-Louis Masson a déposé au Sénat une proposition de loi tendant à interdire le port de tenues dissimulant le visage de personnes se trouvant dans des lieux publics.

La diversité de ces initiatives témoigne du fait que la représentation nationale entend apporter une réponse appropriée au défi que lance la pratique du port du voile intégral à notre pacte social.

1.2.3. La même question est posée dans d’autres pays d’Europe

D’autres pays européens connaissent, eux aussi, d’importants débats autour de la question du port du voile intégral.

Quelques exemples d’exclusions de salles d’audiences dans les tribunaux ont ainsi marqué la Grande-Bretagne et l’Autriche.

En Allemagne, il n’existe pas d’interdiction générale de dissimulation du visage. Néanmoins, le voile intégral est interdit dans les écoles.

En Belgique, des règlements de police interdisent localement ou non le port du voile intégral. Mais l’existence de régimes différenciés entraînant une insécurité juridique certaine, tant pour les femmes concernées que pour les autorités chargées de sanctionner ce type de comportement, une proposition de loi, adoptée le 29 avril 2010 par la Chambre des représentants du Parlement belge, prévoit de généraliser cette interdiction.

Cette proposition fonde l’interdiction sur plusieurs motifs.

Elle relève ainsi que, dans la mesure où chaque personne circulant sur la voie publique ou dans un lieu public doit être identifiable, le port d’un vêtement masquant totalement le visage pose des problèmes de comportement et de sécurité publique.

La proposition de loi est également justifiée par l’impossibilité de socialiser les personnes dont le visage est dissimulé. Le principe de reconnaissance et d’identification mutuelle, lorsque des êtres humains se trouvent dans l’espace public, fonde le “vivre ensemble”, car le visage incarne, très largement, l’identité des individus, si bien qu’il apparaît – et non le corps entier – sur les cartes d’identité, ou les passeports. Le fait de porter un vêtement, qui couvre le visage, par choix ou par obligation, en raison d’une coutume ou par militantisme politique, ou pour de soi-disant raisons religieuses, n’y change rien.

L’article 3 de la proposition de loi énonce, dans ces conditions, que “Toute personne qui se trouve ou se déplace sur la voie publique doit pouvoir être reconnue et identifiée.”

L’article 4 prévoit que toute personne qui couvre son visage et ne permet pas de la reconnaître et de l’identifier, alors qu’elle se trouve ou se déplace sur la voie publique, encourt une amende de vingt-cinq euros ou un emprisonnement d’un à sept jours, sauf en cas de disposition légale ou réglementaire contraire, comme le port obligatoire du casque par un motard ou un pompier, ou d’un masque par le soudeur.

L’article 5 confirme que “Les ordonnances de police qui autorisent dans des circonstances particulières ou à une période déterminée le port d’un déguisement, restent d’application.” Ces circonstances particulières, sont, par exemple, le carnaval.

Au Danemark le port de la burqa et du niqab dans l'espace public est limité depuis janvier 2010. C'est aux écoles, à l'administration et aux entreprises de fixer des règles à ce sujet via leurs règlements intérieurs.

Aux Pays-Bas, plusieurs projets de loi sont en préparation pour interdire le voile intégral, notamment dans l'enseignement et la fonction publique. Certains établissements scolaires ont déjà édicté des interdictions concernant les vêtements qui couvrent le visage. Par ailleurs, les entreprises de transport public peuvent adopter des règlements intérieurs limitant l'accès des passagers pour des raisons de sécurité, ce qui inclut de fait le port du voile intégral.

Il résulte de l’ensemble de ces exemples que la plupart des pays européens cherchent les voies les plus appropriées pour régir le phénomène nouveau dont les principales caractéristiques ont été rappelées.

2. Les objectifs : faire régresser la pratique de la dissimulation du visage dans l'espace public pour préserver la cohésion sociale

Toute société repose sur un ensemble de signes qui expriment la nature particulière du pacte social qui unit chaque individu à la collectivité qui l'entoure. Une société démocratique se caractérise par sa capacité à articuler un nombre croissant de signes exprimant des cultures, des sensibilités, des convictions, des croyances différentes, sans que soient remis en cause les fondements de son pacte social.

La pratique de la dissimulation du visage dans l'espace public remet en cause l'un de ses fondements. Elle appelle donc une réponse, globale et cohérente, pour réaffirmer les valeurs républicaines.

S'agissant, en particulier, de la question du voile intégral, cette réponse peut s'appuyer sur un large consensus, mis en évidence par les travaux menés par la mission d'information parlementaire : le port de ce vêtement ne peut être toléré sur le territoire national.

Ainsi, il s'agit de poser les limites que la société française entend tracer pour garantir les exigences minimales du « vivre-ensemble » et, par conséquent, de renforcer la cohésion nationale.

Cette démarche doit être menée dans le souci de ne pas stigmatiser les personnes de confession musulmane. Le constat selon lequel le port du voile intégral n'est pas représentatif de l'islam est très largement partagé. S'emparer de cette question ne doit donc pas être perçu comme une restriction de la liberté religieuse mais témoigne, au contraire, du fait que la société française refuse précisément d'assimiler l'islam à des pratiques rétrogrades.

Naturellement, cette démarche, sous-tendue par l'objectif de donner une traduction concrète à la devise de la République, doit reposer sur un fondement juridique propre à assurer le respect des principes constitutionnels et des engagements internationaux de la France.

Elle doit, enfin, aboutir sur un dispositif opérationnel, dont la mise en œuvre concrète ne soit pas excessivement délicate.

3. Les options

3.1. Les options possibles en dehors de l’intervention d’une règle de droit nouvelle apparaissent d’une efficacité limitée

3.1.1. La médiation, indispensable mais insuffisante

La dissimulation du visage dans l'espace public est porteuse d'une violence symbolique qui suscite la réaction du corps social, comme en témoigne le large écho rencontré par les travaux de la mission d'information parlementaire.

Les initiatives de médiation à destination des personnes concernées, tout particulièrement des femmes portant le voile intégral, sont indispensables et doivent être poursuivies pour faire progresser l'acceptation des valeurs de la République là où elles sont encore méconnues ou rejetées. A cet égard, les élus locaux, en particulier les maires, ont un rôle important à jouer par la coordination de l'intervention des différents intervenants sur le terrain. Ils sont également les mieux placés pour initier des démarches de conciliation tenant compte de la diversité des situations. Ce travail doit être mené en lien avec les institutions représentatives du culte musulman (Conseil français du culte musulman et conseils régionaux du culte musulman), qui disposent des moyens de nouer un véritable dialogue avec les femmes portant le niqab et leur entourage et de conduire à leur égard un travail de persuasion au sujet des implications du « vivre-ensemble » dans la société française.

Néanmoins, la pratique du port du voile intégral a valeur de test quant à la capacité de notre République à résister à la tentation du repli communautariste. En tant que telle, elle justifie une réponse qui engage l'ensemble du corps social et qui passe, nécessairement, par une prise de position formelle de la représentation nationale.

3.1.2. Le vote d'une résolution parlementaire : un acte symbolique fort, dont la portée concrète est incertaine

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a attribué au Parlement le pouvoir de voter des résolutions. L'article 34-1 de la Constitution précise que « sont irrecevables et ne peuvent être inscrites à l'ordre du jour les propositions de résolution dont le Gouvernement estime que leur adoption ou leur rejet serait de nature à mettre en cause sa responsabilité ou qu'elles contiennent des injonctions à son égard ».

En l'espèce, s'agissant de répondre à une pratique qui met en cause, notamment au plan symbolique, les règles minimales de la vie en société, elle paraît se prêter particulièrement bien à une réaffirmation solennelle des principes républicains.

A cet égard, la résolution adoptée à l'Assemblée nationale le 11 mai 2010 apparaît bienvenue : réaffirmant « son attachement au respect des principes de dignité, de liberté, d'égalité et de fraternité entre les êtres humains », elle rappelle que « les pratiques radicales attentatoires à la dignité et à l'égalité entre les hommes et les femmes, parmi lesquelles le port d'un voile intégral, sont contraires aux valeurs de la République », affirme que « l'exercice de la liberté d'expression, d'opinion ou de croyance ne saurait être revendiquée par quiconque afin de s'affranchir des règles communes au mépris des valeurs, des droits et des devoirs qui fondent la société » et appelle à la mise en oeuvre de tous les moyens utiles « pour assurer la protection effective des femmes qui subissent des violences ou des pressions, et notamment sont contraintes de porter un voile intégral ».

L'adoption de cette résolution a donné lieu à un vaste consensus politique et rencontré un large écho dans l'opinion. Il est souhaitable qu’elle fasse évoluer certains comportements.

Pour autant, un tel acte est dépourvu de portée normative. Symboliquement chargé de sens, il ne suffit assurément pas, par lui-même, à faire régresser des pratiques unanimement dénoncées comme dangereuses pour l'ordre social.

3.1.3. La nécessité de recourir à un acte normatif

Compte tenu, d'une part, de la gravité des comportements considérés et, d'autre part, de l'insuffisance du droit positif pour y répondre, il apparaît nécessaire de recourir à un acte juridique contraignant pour faire reculer les diverses pratiques de dissimulation du visage dans l'espace public.

Celui-ci est indiscutablement nécessaire pour lutter plus efficacement contre le fait de contraindre une personne à dissimuler son visage, qui ne peut actuellement être poursuivi que de manière indirecte, sur le fondement d'incriminations, telles que les délits de menace ou de violence, qui peuvent se révéler inadaptées selon les circonstances. Le fait de priver arbitrairement une personne de la possibilité d'avoir des relations sociales normales, en lui imposant par exemple le port du niqab, constitue une forme contemporaine d'asservissement de la personne humaine qui requiert cette première réponse normative.

De même, il convient de tirer les conséquences du large consensus qui émerge contre la pratique du port du voile intégral. L'absence de disposition réprimant cette tenue vestimentaire contraire aux valeurs de la République serait perçu comme un aveu de faiblesse face à celles et ceux qui, instrumentalisant la religion à travers l'utilisation de cette tenue, lancent un défi à notre société. C'est pourquoi il en est proposé l'interdiction.

3.2. La portée des limites à énoncer à une mesure d’interdiction

3.2.1. Le choix d’une interdiction par la loi

L’interdiction du port de tenues dissimulant le visage pourrait faire l’objet d’arrêtés municipaux de police, compte tenu du nombre réduit de communes concernées. Cependant, il serait incohérent de risquer un émiettement des règles applicables alors que les valeurs républicaines sont en jeu.

En outre, préconiser des interdictions locales reviendrait à se décharger sur les maires de la responsabilité d’apporter une réponse qui doit être celle de la société française dans son ensemble.

Enfin, le risque de la stigmatisation de certains territoires n’est pas à exclure.

Au demeurant, s’agissant de la sanction de l’instigation à dissimuler son visage, son caractère délictuel relève du domaine de la loi.

S’agissant de l’interdiction de porter une tenue dissimulant son visage, il résulte du partage de compétences opéré par l’article 34 de la Constitution que les contraventions relèvent du pouvoir réglementaire. Cependant, eu égard à la portée et à la nature de l’interdiction prévue, le choix de la loi s’impose : les restrictions apportées par le pouvoir réglementaire aux libertés individuelles ne doivent être ni générales ni absolues, selon une jurisprudence constante du Conseil d’État. Elles doivent en effet être justifiées par des circonstances de temps et de lieu particulières.

En outre, l’interdiction du port du voile intégral dans l’espace public a pour effet de restreindre l'exercice d'une, voire plusieurs libertés fondamentales, et relève, en tant que telle, de la compétence de la loi en vertu de l’article 34 de la Constitution. La jurisprudence du Conseil constitutionnel indique à cet égard qu’« il appartient au législateur d'opérer la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l'ordre public sans lequel l'exercice des libertés ne saurait être assuré » (décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003).

Enfin, la loi a un aspect symbolique fort. Elle est l’expression de la volonté générale, aussi lui appartient-il, lorsque les fondements du pacte social sont menacés, de réaffirmer les valeurs de la République. L’article 5 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui proclame que « la loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société », trouve ici une application concrète.

Le recours à la loi s’inscrit dans la continuité de la résolution votée par l’Assemblée nationale le 11 mai 2010. Celle-ci, même dépourvue de portée normative, a permis d’expliciter et d’affirmer les valeurs que défend le projet de loi.

3.2.3. Le choix d’une interdiction générale

Le projet de loi prévoit une interdiction générale du port d’une tenue destinée à dissimuler son visage, dans l’ensemble de l’espace public. Une interdiction limitée à certains lieux ou à certaines circonstances n’aurait été adaptée ni à la défense des principes mis en cause, ni à une applicabilité aisée de la loi. Elle aurait pu donner lieu à des interprétations multiples visant à en contourner l’effectivité.

Une interdiction générale de la dissimulation du visage vient limiter l'exercice de certains droits. Il convient de souligner que, s'agissant du port du voile intégral, ce n'est pas tant la liberté religieuse que la liberté de conscience qui est en cause, dès lors qu'il n'est pas établi que le port du voile intégral découlerait d'une quelconque prescription religieuse. En tout état de cause, la Cour européenne des droits de l'homme juge que la liberté de conscience « ne garantit pas toujours le droit de se comporter d'une manière dictée par une conviction » et ne confère pas aux individus le droit de se soustraire à des règles qui se sont révélées justifiées (10 novembre 2005, Leyla Sahin, n° 44774/98). Or, en l'espèce, le souci de préserver les règles essentielles de la vie sociale et d'assurer le respect de la dignité de la personne humaine sont des considérations suffisamment fortes et font l'objet d'un consensus général au sein de la société française. S'agissant de principes sur lesquels il n'est pas possible de transiger, ils justifient qu'une interdiction générale soit prononcée par la loi.

3.3. Le choix de la sanction

L’objectif recherché est de parvenir à un mécanisme répressif qui puisse aider à l’évolution des comportements.

Deux cas doivent évidemment être clairement distingués : celui des personnes qui imposent à autrui le port d’un vêtement dissimulant le visage et celui des personnes qui portent un tel vêtement. Au regard à la fois des principes de nécessité et de proportionnalité, les sanctions doivent être différentes, du moins en ce qui concerne la peine principalement encourue.

Dans le premier cas, des sanctions pénales de nature délictuelle, d’emprisonnement et d’amende sont justifiées par la gravité du comportement, qui supposera des actes de contrainte. Une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende paraît adaptée.

Dans le second, une simple amende de nature contraventionnelle paraît suffisante. Le choix existe dès lors entre les amendes prévues pour les cinq classes de contravention par l’article 131-16 du code pénal, soit de 38, 150, 450, 750 ou 1500 euros.

Une amende de première classe de 38 euros paraît insuffisante pour marquer clairement la prohibition du comportement sanctionné.

Une amende de la cinquième classe de 1500 euros (et de 3000 euros en récidive) – actuellement prévue, par exemple, pour les violences volontaires n’entraînant pas d’ITT – serait en revanche excessive.

Une amende de la deuxième classe paraît la plus appropriée.

La question principale est toutefois la détermination d’une peine autre que les peines principales, pouvant être prononcée à titre complémentaire, en plus de la peine ou des peines principales, ou à titre subsidiaire, à la place de ces dernières, et qui présente un caractère pédagogique.

Une peine spécifique pourrait être instituée, consistant par exemple en une injonction de se soumettre à une médiation sociale organisée par un organisme agréé, comme le propose le rapport du Conseil d’Etat, ou consistant en des travaux d’intérêt général « d’un nouveau genre », contraignant les femmes qui portent le voile intégral de suivre un enseignement sur les libertés, sur l’histoire de la République, sur l’histoire du féminisme, sur les religions, comme cela a été envisagé par le rapport de la commission parlementaire.

Cette solution ne paraît toutefois pas justifiée dans la mesure où une telle peine existe en réalité déjà : elle consiste dans le stage de citoyenneté institué par la loi du 9 mars 2004, prévu par l’article 131-6-1 du code pénal, et applicable en matière contraventionnelle conformément à l’article 131-16 (8°), de ce même code.

Comme cela sera précisé dans le IV de la présente étude d’impact, le contenu de cette sanction, qui présente en outre l’avantage de pouvoir être mise en œuvre dans les procédures alternatives aux poursuites, peut en effet être tout à fait adapté à la problématique des personnes portant des vêtements dissimulant leur visage et portant atteinte à la dignité. Il est dès lors inutile de complexifier le droit pénal existant par la création d’une sanction sui-generis, dont la mise en œuvre nécessiterait par ailleurs des dispositions réglementaires relativement complexes. Au surplus, la création d’une peine spécifique et uniquement applicable pour sanctionner ces comportements donnerait l’impression de recourir à une législation totalement exorbitante du droit commun, et qui pourrait pour cette raison être contestée.

S’agissant du délit prévu par l’article 4 du projet de loi, la peine de stage de citoyenneté pourra être prononcée à la place de l’emprisonnement, mais en plus, si le tribunal l’estime nécessaire, de la peine d’amende encourue.

4. Analyse des impacts

4.1. Les situations visées par les règles contenues dans le projet de loi

4.1.1. Champ d’application relatif à l’objet dissimulant le visage

Le présent projet tend à interdire le port par une personne d’une tenue destinée à dissimuler son visage afin que celle-ci puisse être reconnue et identifiée. Dès lors, il ne concerne pas, en toute rigueur, les tenues (vêtements ou accessoires) dont l’objet premier n’est pas la dissimulation du visage et l’absence de reconnaissance mais, par exemple, la protection de l’intégrité physique de la personne (casques de moto pour les conducteurs de deux-roues ; masques de soudeur pour les artisans…), lorsque ces tenues sont effectivement portées conformément à leur objet premier.

4.1.2. Champ d’application géographique

Tout l’espace public est concerné par le présent projet. Il comprend les voies publiques ainsi que les lieux ouverts au public ou affectés à un service public

Les lieux qui accueillent du public peuvent être définis comme étant ceux dont plusieurs personnes, étrangères les unes aux autres, ne peuvent revendiquer l'exclusivité de la fréquentation.

Ainsi, les parcs, les cafés, les transports collectifs et les commerces entrent dans le champ de l'interdiction de la dissimulation du visage.

En revanche, un local associatif, les locaux d’une entreprise privée réservés à son personnel, un foyer, un immeuble, une chambre d'hôtel n'y entrent pas.

S'agissant des lieux affectés à un service public, les principaux établissements concernés sont, notamment, les mairies, les écoles, les hôpitaux, étant précisé que les services publics ne sont pas nécessairement des lieux publics (l’accès aux établissements scolaires et universitaires n’est pas général).

4.1.3. Dérogations apportées à cette interdiction générale

Le projet de loi réserve la situation dans laquelle la dissimulation du visage serait prescrite par une loi ou un règlement ou résulterait, pour des raisons de sécurité (membres des forces spéciales par exemple) de motifs professionnels.

Les contraintes médicales ou les exigences de santé publique sont également prises en compte. Sont à l’évidence visées les hypothèses de pandémies nécessitant la protection du visage. En outre, il va de soi qu’un cycliste a le droit de porter un masque qui, en plus de son casque, aurait tendance à recouvrir l’intégralité de son visage, s'il s’agit, pour lui, en milieu urbain, d’éviter d'inhaler les gaz d’échappement.

En matière d’obligations de sécurité routière, le casque pour un motard, bien que dissimulant son visage dans le cas où il est intégral, reste incontestablement prescrit.

Enfin, l’interdiction de dissimulation du visage ne tend pas à s’appliquer lors de manifestations culturelles ou récréatives organisées en vertu d’usages constants ou d’événements nationaux majeurs. Dans cet esprit, la dissimulation du visage est autorisée lors de fêtes – tels que les carnavals – ou lors de représentations artistiques – théâtre de rue, par exemple.

Au-delà de cette énumération des dérogations possibles, les forces de l’ordre auront pour mission d'appliquer avec discernement et souplesse l'interdiction nouvelle posée par la loi.

4.2. Les conditions concrètes d’application

4.2.1 Le port d’un vêtement dissimulant le visage fera obstacle à l’entrée dans un lieu affecté à un service public

L'interdiction des tenues dissimulant le visage se justifie particulièrement lorsque les usagers s'adressent à l'administration en se rendant dans les services publics. Sauf cas particuliers, toute démarche administrative justifie en effet l'identification de son auteur.

Ainsi, la prohibition des tenues couvrant le visage sécurisera l'action des agents publics confrontés à ce phénomène, que ce soit à la sortie des classes ou dans les hôpitaux, par exemple.

4.2.2 La contravention

L’institution de la contravention prévue à l’article 3 du projet de loi permettra de sanctionner la pratique de la dissimulation du visage, ce qui lui donnera d’abord un effet pédagogique et dissuasif. Elle s’appliquera selon les règles de procédure pénale et de droit pénal suivantes :

4.2.2.1. Verbalisation d’une personne dissimulant son visage

La création d’une incrimination, qu’elle soit contraventionnelle ou délictuelle, ne permet pas aux forces de l’ordre de contraindre par la force une personne portant la burqa à enlever ce vêtement.

Elle leur permet simplement de verbaliser la personne pour constater l’infraction.

L’existence de l’infraction autorise un contrôle d’identité, qui est nécessaire pour établir le procès-verbal de constatation, conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l’article 78-2 du code de procédure pénale.

Une garde à vue, de même qu’une interpellation, ne sont pas possibles s’agissant d’une simple contravention et non d’un délit.

Si la personne peut justifier de son identité, ce qui implique nécessairement que, le temps de la vérification, elle retire les vêtements cachant son visage, aucune contrainte n’est donc possible.

Dans le cas contraire, une vérification d’identité, impliquant que la personne soit conduite au poste de police ou de gendarmerie, sera possible en application des dispositions de l’article 78-2, sous le contrôle d’un officier de police judiciaire et, le cas échéant, du procureur de la République.

4.2.2.2 Suite de la verbalisation de la personne

S’agissant d’une contravention de la 2ème classe, cette infraction relève de la compétence de la juridiction de proximité.

Il n’est pas prévu que cette contravention soit forfaitisée et puisse donner lieu au paiement d’une amende forfaitaire.

Si des poursuites sont engagées, ce sera donc nécessairement par voie de citation directe devant la juridiction de proximité.

Toutefois, le procureur pourra préférer recourir à des alternatives aux poursuites.

Il pourra en particulier recourir aux alternatives prévues par l’article 41-1 du code de procédure pénale, notamment le rappel des obligations résultant de la loi ou encore le stage de citoyenneté. Pour l’application de ces dispositions, le parquet pourra faire appel aux délégués ou aux médiateurs du procureur de la République.

Le procureur pourra également recourir à une composition pénale des articles 41-2 et 41-3 du code de procédure pénale, permettant également le recours à un stage de citoyenneté.

Un dialogue pourra ainsi être institué entre le contrevenant et l’autorité publique, sous l’égide du ministère public.

En cas d’échec de ces procédures alternatives, le parquet pourra engager des poursuites devant la juridiction de proximité, qui si elle déclare la personne coupable de la contravention, pourra prononcer une amende maximale de 150 euros et/ou, un stage de citoyenneté.

4.2.2.3 Contenu du stage de citoyenneté

Le stage de citoyenneté constitue une réponse appropriée en raison de son caractère par nature pédagogique et de la possibilité d’en adapter le contenu.

Le stage de citoyenneté a pour objet, aux termes de l’article R. 131-35 du code pénal, de rappeler au contrevenant les valeurs républicaines de tolérance et de respect de la dignité humaine sur lesquelles est fondée la société et de lui faire prendre conscience de sa responsabilité pénale et civile ainsi que des devoirs qu’implique la vie en société. Il vise également à favoriser son insertion sociale.

L’article R. 131-37 prévoit que le stage de citoyenneté peut être organisé en sessions collectives, continues ou discontinues, composées d’un ou plusieurs modules de formation adaptés à la personnalité des condamnés et à la nature de l’infraction commise.

Ces dispositions permettent donc la mise en place de stages dont le contenu répondra précisément à l’objectif de convaincre la personne de renoncer au port d’un vêtement contraire au principe d’égalité des sexes et au respect de la dignité de l’être humain.

Le choix des modules résulte d’un projet de stage élaboré par la personne ou le service chargé de procéder au contrôle de la mesure, à savoir le délégué du procureur ou le service pénitentiaire d’insertion ou de probation. Ce projet doit être validé par le procureur de la République, après avis du président du tribunal de grande instance. Il est ensuite exposé au contrevenant, préalablement à sa mise en œuvre.

Les modules de stage de citoyenneté impliquent la collectivité puisqu’ils peuvent être élaborés avec le concours des collectivités territoriales et des établissements publics et, le cas échéant, des personnes morales de droit privé ou des personnes physiques participant à des missions d’intérêt général.

Dans la plupart des juridictions, des méthodes de pédagogie active et participative sont utilisées pour favoriser l’expression des stagiaires. Les thèmes abordés concernent les droits et les devoirs qu’implique la vie en société et les composantes juridiques de la citoyenneté, afin de susciter une réflexion sur les conséquences des atteintes à autrui.

Le législateur a inséré un article 20-4-1 dans l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante aux fins de prévoir expressément l’application du stage de citoyenneté aux mineurs de treize à dix-huit ans, sous réserve de l’adaptation du contenu du stage à l’âge du condamné, ce que précisent les articles R. 131-37 et R. 131-41 et suivants du code pénal.

Le stage de citoyenneté est donc applicable aux mineurs.

Il convient toutefois d’observer que les dispositions de l’article 21 de la même ordonnance pourraient être comprises comme limitant le juge de proximité, compétent pour les contraventions des quatre premières classes, dans le choix des sanctions applicables aux mineurs contrevenants entre l’admonestation et la peine d’amende, ce qui lui interdirait de prononcer la peine de stage de citoyenneté. Si cette interprétation devait être retenue, une modification de ces dispositions pourrait paraître nécessaire.

Il convient enfin d’indiquer que le stage de citoyenneté constitue une sanction qui est couramment utilisée par les juridictions.

En 2008, il résulte des informations inscrites au casier judiciaire que 1275 condamnations à cette peine de stage ont été prononcées à titre de peine principale et 252 à titre de peine complémentaire et que 722 stages sont intervenus dans cadre d’une composition pénale. Ces stages concernaient 1632 majeurs et 617 mineurs. Par ailleurs, près de 2200 stages de citoyenneté sont intervenus dans le cadre d’une simple alternative aux poursuites (source issue des cadres du parquet).

4.3. Impact juridique

Les principes qu’elle met en œuvre étant d’application immédiate, la loi n’appelle pas l’intervention de décret d’application.

L’entrée en vigueur des dispositions créant l’incrimination d’instigation à dissimuler son visage sera immédiate, dès lors qu’il convient de doter la République, au plus vite, des moyens juridiques propres à lutter spécifiquement contre cette forme contemporaine d’asservissement de la personne humaine.

En revanche, l’interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public entrera en vigueur six mois après la promulgation de la loi. Ce délai doit permettre de poursuivre le travail de pédagogie mené par la mission d’information parlementaire, pour faciliter la compréhension collective de la mesure d’interdiction, selon deux axes : d’une part, en soulignant que la prohibition du port du voile intégral ne vise pas une confession religieuse en particulier, mais a pour objet de réaffirmer les principes du « vivre-ensemble » ; d’autre part, en sensibilisant autant que possible les femmes portant le voile intégral et de leur entourage au respect de ces principes.

La loi s’appliquera sur l’ensemble du territoire de la République : en effet, les principes qui la sous-tendent ne peuvent faire l’objet d’adaptations aux circonstances locales existant dans les collectivités ultra-marines.

4.4. Impact international

Compte tenu du processus de consultation auquel elle a donné lieu, des principes sur lesquels elle se fonde et de sa portée exacte, la loi ne devrait pas emporter de conséquences du point de vue international. On doit souligner, à cet égard, d’une part, que le port du voile intégral n’est pas reconnu comme une prescription religieuse dans la plupart des pays dans lesquels la principale ou unique religion est l’islam : l’impact de la loi dans le monde musulman devrait, dans ces conditions, rester limité s’agissant de l’image de la France. D’autre part, la France n’est pas le seul Etat dans lequel il a été décidé de réglementer la dissimulation du visage. La France n’est, de ce point de vue, pas isolée et répond à une question soulevée par ailleurs dans d’autres Etats, notamment au sein de l’Union européenne.

De fait, la pratique du port du voile intégral reste un phénomène marginal dans les pays d'Europe comptant une importante population de confession musulmane. Néanmoins, elle suscite des débats dans plusieurs d'entre eux, dès lors qu'elle remet en cause les traditions libérales des sociétés européennes. C'est particulièrement le cas au Danemark, aux Pays-Bas, en Belgique et en Suisse. Chacun de ces pays cherche à donner une traduction juridique au consensus social très fort qui s'exprime contre le développement de cette pratique. Ainsi, il apparaît que la nouveauté de ce phénomène sur le territoire des Etats d'Europe oblige les droits nationaux à expliciter des règles jusqu'alors non écrites et qui s'imposaient d'elles-mêmes, en particulier celle selon laquelle la personnalité juridique est fondamentalement liée à la possibilité d'identifier une personne. Le projet de loi s'inscrit dans ce mouvement qui vise à réaffirmer le primat de la personne humaine face à une forme nouvelle de ségrégation sociale.

5. Consultations menées

Lors de la préparation du projet de loi, le Premier ministre et le Garde des sceaux ont rencontré les principaux représentants des autorités morales et religieuses, en particulier les représentants du Conseil français du culte musulman (CFCM).

Par ailleurs, s'agissant d'un projet de loi visant à réaffirmer solennellement les valeurs de la République, le Premier ministre et le Garde des sceaux ont consulté, à ce sujet, les dirigeants des partis politiques représentés au Parlement.

1 Il s’agit d’un voile couvrant l’ensemble du corps et du visage, à l’exception des yeux. Il se distingue ainsi du hijab, voile musulman traditionnel, qui couvre les cheveux et le cou mais pas le visage. La burqa est une tenue qui dissimule l’intégralité du corps et du visage, y compris les yeux cachés derrière une sorte de grille ; la présence de femmes portant la burqa n’est pas attestée à ce jour.

http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i2262.asp


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