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le 1er juillet 2008


N° 980

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 juin 2008.

PROPOSITION DE LOI

visant à permettre de traduire les services de contrôle médical devant les tribunaux de l’incapacité,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

PAR MM. Olivier JARDÉ, Jacques Alain BÉNISTI, Thierry BENOIT, Marc BERNIER, Jérôme BIGNON, Émile BLESSIG, Étienne BLANC, Patrice CALMÉJANE, Mme Chantal BOURRAGUÉ, MM. Loïc BOUVARD, Éric CIOTTI, Philippe COCHET, Patrice DEBRAY, Lucien DEGAUCHY, Raymond DURAND, Christian ESTROSI, Daniel FASQUELLE, Daniel FIDELIN, Mme Cécile GALLEZ, MM. Claude GATIGNOL, Didier GONZALÈS, Michel GRALL, Michel LEJEUNE, Mme Colette LE MOAL, MM. Maurice LEROY, Thierry MARIANI, Mme Henriette MARTINEZ, Patrice MARTIN-LALANDE, Christian MÉNARD, Damien MESLOT, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Jean-Marc NESME, Jean-Luc PRÉEL, Didier QUENTIN, Frédéric REISS, Jacques REMILLER, Jean-Marc ROUBAUD, Francis SAINT-LÉGER, Rudy SALLES, François SCELLIER, Éric STRAUMANN, Jean-Sébastien VIALATTE, Philippe VIGIER et André WOJCIECHOWSKI,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’entrée en vigueur du décret du 3 juillet 2003 relatif au contentieux de la sécurité sociale a fait surgir des difficultés dans le fonctionnement des juridictions de sécurité sociale, et particulièrement dans le domaine du contentieux de l’incapacité. Ces difficultés concernent en premier lieu la communication par les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) des documents justifiant le taux d’incapacité permanente partielle (IPP) accordé à un salarié, lorsque l’employeur conteste ce taux. En effet, le médecin représentant la caisse dont la décision est contestée (ou « le médecin conseil de la sécurité sociale ») et le médecin représentant le requérant ne font plus partie de la juridiction comme auparavant. Quant au médecin expert, toujours présent, il ne participe en revanche plus au délibéré.

Prenant acte de ces changements, les caisses considèrent que le respect du secret médical n’est plus assuré et sont de plus en plus nombreuses à refuser de communiquer à l’employeur, y compris au médecin désigné par lui, et souvent à la juridiction elle-même, les documents justifiant le taux d’IPP accordé.

En second lieu, force est de constater que les tribunaux du contentieux de l’incapacité (TCI) ne rendent pas de décisions homogènes en la matière. Nombreux sont les tribunaux qui, prenant acte du refus de la caisse de communiquer les pièces médicales du dossier, déclarent la décision d’attribution de la rente d’IPP inopposable à l’employeur. Cette solution n’est pas satisfaisante puisque le taux d’IPP se trouve, de facto, ramené à zéro. Or, si une discussion sur les sujets médicaux avait pu s’instaurer, le taux d’IPP aurait été soit maintenu soit minoré en fonction des séquelles subsistantes.

Dans le même temps, d’autres tribunaux adoptent des attitudes fort différentes, voire opposées. C’est ainsi que le TCI de Paris, constatant l’absence de pièces médicales dans son dossier, a adressé une injonction de produire aux services administratifs de la caisse primaire et au service de contrôle médical dépendant de la caisse nationale. Ces injonctions de produire ont suscité une forte opposition de la part des services de contrôle médical, qui ont fait appel au nom de l’empêchement légitime que constituerait le secret médical. Et la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents de travail (CNITAAT) voit s’accumuler un stock de plus en plus important d’appels sur ce point.

A l’inverse, le TCI de Bordeaux déboute systématiquement les employeurs de leur demande au motif que l’article L. 1110-4 du code de la santé publique interdit toute entorse au secret médical. Ses jugements, frappés d’appel, viennent eux aussi encombrer la CNITAAT.

Entre les deux, certains tribunaux refusent de prononcer l’inopposabilité de la décision de la caisse mais ramènent toutefois le taux d’IPP à zéro. La plus grande confusion règne donc.

Cette situation ne saurait perdurer. C’est pourquoi il nous faut établir et confirmer deux affirmations :

Le respect du secret médical ne s’oppose pas à ce que, dans le cadre d’un contentieux portant sur le taux d’IPP, les pièces médicales justifiant cette décision soient communiquées au demandeur quel qu’il soit et à la juridiction.

Le décisionnaire, en matière de fixation du taux d’IPP, qui devrait être attrait devant la juridiction compétente est le service de contrôle médical.

I. – Le secret médical n’est pas absolu et doit céder dans les cas prévus par la loi sans pour autant que l’autorisation du patient doive être sollicitée.

C’est ce que prévoient les articles 226-14 du code pénal, 1110-4 du code de la santé publique et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

Les dispositions légales existantes seraient donc suffisantes si la jurisprudence de la Cour de cassation était claire.

En effet une loi, constituant, selon l’article 8 de la CEDH, une mesure nécessaire à la protection des « droits et libertés d’autrui », serait suffisante. Le Conseil constitutionnel a précisément considéré que les droits de la défense sont « un droit fondamental à caractère constitutionnel » (1). Le secret médical devrait donc céder pour permettre l’exercice des droits de la défense, principe consacré par la loi suprême de l’État.

Il s’agit bien en l’espèce du respect des droits de la défense. En effet, la décision par laquelle une caisse primaire attribue un taux d’IPP à un assuré, victime d’un sinistre professionnel, fait grief à son employeur puisque le capital représentatif de rente va être imputé à son compte pour le calcul de son taux de cotisation (2). L’employeur est d’ailleurs admis à contester cette décision par l’article L. 143-1, 2°, du code de la sécurité sociale.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation a tout récemment admis que la production des pièces relatives à la santé d’une personne pouvait être justifiée, sans que son avis ou celui de ses ayants droits soit sollicité, si elle restait proportionnée, par la défense des intérêts des demandeurs (3).

Pour la chambre commerciale, la protection des droits de la défense justifie donc la levée du secret médical sous réserve – c’est l’évidence – qu’elle soit proportionnée au but à atteindre.

Dans la lignée de la chambre commerciale, la CNITAAT a estimé que les articles du code de la sécurité sociale relatifs à l’obligation de transmission des documents médicaux (R. 441-13 et R. 143-8 CSS) valaient autorisation de levée du secret médical, en cas de contestation d’un taux d’IPP au sens de l’article 226-14 du code pénal.

Cependant, les hésitations de la Cour de cassation rendent nécessaire une clarification.

Par un arrêt du 22 novembre 2007 (4), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a, en effet, semblé vouloir dire que seul l’expert désigné par le tribunal pouvait prendre connaissance des documents médicaux utiles à sa mission.

Si l’on en croit donc la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, la caisse ne pourrait refuser de communiquer les documents médicaux à l’expert, à condition que celui-ci remplisse sa mission en dehors de tout débat contradictoire, puisque l’employeur ou le médecin désigné par lui, ne pourrait prendre connaissance de ces documents.

Ces hésitations, voire contradictions jurisprudentielles, justifient amplement l’intervention de la loi. Cette intervention s’impose d’autant plus que les services du ministère de la santé  et de la caisse nationale ont diffusé une interprétation de ce dernier arrêt de la Cour de cassation, qui abolit les droits d’une partie à prendre connaissance des éléments de preuve produits par l’adversaire (article 15 du NCPC et principe de respect des droits de la défense).

Dans le respect du secret médical et des droits de la défense, il suffirait de prévoir que seuls les médecins aient accès aux informations médicales.

Plus généralement, il est opportun de régler le sort de tous les contentieux d’ordre médical qu’ont à connaître les juridictions de sécurité sociale.

II. – Quelle entité attraire devant le TCI et comment, en pratique, lever le secret médical ?

Si les textes paraissent, en théorie, suffisants pour affirmer que la caisse primaire doit être attraite devant le TCI, certains arguments plaident en faveur de la primauté du service médical.

En effet, on constate dans la réalité que le service médical ne transmet que rarement le rapport d’incapacité permanente aux services administratifs de la caisse, ce qui suppose que seul le service médical décide du taux d’IPP, sans que les services administratifs aient à y redire.

Cette réalité vient d’ailleurs d’être légalisée par l’article 117 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008. Selon le II de cet article : « l’article L. 442-5 du code de la sécurité sociale est ainsi rédigé :

« Les articles L. 315-1 et L. 315-2 sont applicables aux accidents de travail. »

Autrement dit, les avis du service du contrôle médical, tels qu’ils sont prévus par l’article L. 315-1, s’imposent à la caisse, ainsi qu’il est prévu à l’article L. 315-2, en matière d’accident de travail, alors que tel n’était pas le cas auparavant.

Dorénavant les services administratifs des caisses pourraient fort bien exciper de cette modification pour demander à être mis hors de cause, au motif que c’est le service de contrôle médical qui a décidé du taux d’IPP.

Il serait donc logique d’attraire le service de contrôle médical devant le tribunal du contentieux de l’incapacité, qui est à la fois le détenteur des documents médicaux et le décideur du taux d’IPP. Une telle solution éviterait par ailleurs d’alourdir la procédure devant les TCI, contraints d’adresser systématiquement une injonction de produire aux services de contrôle médical.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Le 2° de l’article L 143-1 du code de la sécurité sociale est ainsi rédigé :

« 2° Aux avis des services du contrôle médical relatifs à l'état d'incapacité permanente de travail et notamment au taux de cette incapacité, en cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle ; »

Article 2

Le chapitre IV du titre IV du livre Ier du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° L’intitulé de la section 3 est ainsi rédigé :

« Dispositions relatives à la communication des pièces médicales » ;

2° L’intitulé de la section 4 est ainsi rédigé : Pourvoi en cassation » et cette section contient l’article L. 144-5 ;

3° L’intitulé de la section 5 est ainsi rédigé : « Dépenses de contentieux » et cette section contient l’article L. 144-5 qui devient l’article L. 144-6.

Article 3

Dans la section 3, telle qu’elle résulte de l’article 2, il est rétabli un article L. 144-4 ainsi rédigé :

« Art. L. 144-4. – Pour tous les recours et appels, pendant ou à venir, relatifs : aux différends, d’ordre médical, visés à l’article L. 142-1 du présent code ou à l’article L. 751-32 du code rural et aux contestations visées aux 1°, 2°, et 3° de l’article L. 143-1 du présent code, les services administratifs des organismes prestataires, les services du contrôle médical ayant compétence territoriale sur ces organismes ainsi que tout tiers détenteurs sont tenus de transmettre au médecin consultant ou expert de la juridiction et aux médecins désignés par les parties, dès qu’ils été ont informés du recours lorsqu’ils sont parties au litige, ou sur injonction lorsqu’ils sont tiers détenteurs, le dossier médical, ou tout document médical spécifié, qu’ils détiennent concernant la personne dont l’état de santé est l’objet du litige examiné par cette juridiction sans que le secret médical puisse être opposée à celle-ci. »

1 () Décision n° 93-325 DC, 13 août 1993 : Justices janv. 1995, p. 201, obs. Molfessis.

2 () Application de l’article D.242-6-3 CSS.

3 () Cass. com. 15/05/2007, n° 06-10606, publié au Bulletin.

4 () Cass. civ. 2e, n° 06-18250, publié au Bulletin.


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