Accueil > Documents parlementaires > Propositions de loi
La version en format HTML, à la différence de celle en PDF, ne comprend pas la numérotation des alinéas.
Version PDF
Retour vers le dossier législatif

Document

mis en distribution

le 16 juillet 2008


N° 1018

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 juillet 2008.

PROPOSITION DE LOI

visant à assurer le respect des droits des demandeurs d’asile,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Serge BLISKO, George PAU-LANGEVIN, Jean-Marc AYRAULT, Gérard CHARASSE, Pierre BOURGUIGNON, Pascal TERRASSE, Patricia ADAM, Jean-Paul BACQUET, Dominique BAERT, Claude BARTOLONE, Delphine BATHO, Gérard BAPT, Gisèle BIEMOURET, Patrick BLOCHE, Daniel BOISSERIE, Jean-Michel BOUCHERON, Marie-Odile BOUILLÉ, Christophe BOUILLON, Danielle BOUSQUET, Jérôme CAHUZAC, Thierry CARCENAC, Bernard CAZENEUVE, Guy CHAMBEFORT, Jean-Paul CHANTEGUET, Alain CLAEYS, Jean-Michel CLÉMENT, Marie-Françoise CLERGEAU, Pierre COHEN, Catherine COUTELLE, Frédéric CUVILLIER, Claude DARCIAUX, Pascal DEGUILHEM, Guy DELCOURT, Michèle DELAUNAY, Michel DELEBARRE, Bernard DEROSIER, Marc DOLEZ, Julien DRAY, Tony DREYFUS, Jean-Pierre DUFAU, William DUMAS, Jean-Louis DUMONT, Laurence DUMONT, Jean-Paul DUPRÉ, Odette DURIEZ, Philippe DURON, Olivier DUSSOPT, Christian ECKERT, Henri EMMANUELLI, Corinne ERHEL, Albert FACON, Martine FAURE, Hervé FÉRON, Valérie FOURNEYRON, Michel FRANÇAIX, Jean-Louis GAGNAIRE, Guillaume GAROT, Jean GAUBERT, Catherine GÉNISSON, Paul GIACOBBI, Jean-Patrick GILLE, Joël GIRAUD, Jean GLAVANY, Daniel GOLDBERG, Pascale GOT, Marc GOUA, Jean GRELLIER, Élisabeth GUIGOU, Danièle HOFFMAN-RISPAL, François HOLLANDE, Christian HUTIN, Sandrine HUREL, Monique IBORRA, Françoise IMBERT, Michel ISSINDOU, Serge JANQUIN, Henri JIBRAYEL, Régis JUANICO, Armand JUNG, Jack LANG, Jean LAUNAY, Marylise LEBRANCHU, Jean-Yves LE BOUILLONNEC, Jean-Yves LE DÉAUT, Bruno LE ROUX, Michel LEFAIT, Patrick LEMASLE, Catherine LEMORTON, Annick LEPETIT, Bernard LESTERLIN, Serge LETCHIMY, Michel LIEBGOTT, Martine LIGNIÈRES-CASSOU, Louis-Joseph MANSCOUR, Jacqueline MAQUET, Marie-Lou MARCEL, Jean-René MARSAC, Philippe MARTIN, Martine MARTINEL, Frédérique MASSAT, Gilbert MATHON, Didier MATHUS, Sandrine MAZETIER, Didier MIGAUD, Pierre-Alain MUET, Philippe NAUCHE, Alain NÉRI, Marie-Renée OGET, Françoise OLIVIER-COUPEAU, Dominique ORLIAC, Christian PAUL, Jean-Luc PÉRAT, Jean-Claude PEREZ, Marie-Françoise PÉROL-DUMONT, Sylvia PINEL, Philippe PLISSON, Catherine QUÉRÉ, Jean-Jack QUEYRANNE, Dominique RAIMBOURG, Marie-Line REYNAUD, Chantal ROBIN-RODRIGO, Alain RODET, Marcel ROGEMONT, Bernard ROMAN, René ROUQUET, Patrick ROY, Michel SAINTE-MARIE, Odile SAUGUES, Christophe SIRUGUE, Jean-Louis TOURAINE, Marisol TOURAINE, Philippe TOURTELIER, Jean-Jacques URVOAS, Daniel VAILLANT, André VALLINI, Michel VERGNIER, André VÉZINHET, Alain VIDALIES, Jean-Claude VIOLLET, Jean-Michel VILLAUMÉ et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche (1) et apparentés (2),

députés.

____________________________

(1)  Ce groupe est composé de : Mmes Patricia Adam, Sylvie Andrieux, MM. Jean-Marc Ayrault, Jean-Paul Bacquet, Dominique Baert, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Mme Delphine Batho, M. Jean-Louis Bianco, Mme Gisèle Biemouret, MM. Serge Blisko, Patrick Bloche, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Jean-Michel Boucheron, Mme Marie-Odile Bouillé,

M. Christophe Bouillon, Mme Monique Boulestin, M. Pierre Bourguignon, Mme Danielle Bousquet, MM. François Brottes, Alain Cacheux, Jérôme Cahuzac, Jean-Christophe Cambadélis, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Mme Martine Carrillon-Couvreur, MM. Laurent Cathala, Bernard Cazeneuve, Jean-Paul Chanteguet,

____________________________

Alain Claeys, Jean-Michel Clément, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Gilles Cocquempot, Pierre Cohen, Mmes Catherine Coutelle, Pascale Crozon, M. Frédéric Cuvillier, Mme Claude Darciaux, M. Pascal Deguilhem, Mme Michèle Delaunay, MM. Guy Delcourt, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Michel Destot, Marc Dolez, Julien Dray, Tony Dreyfus, Jean-Pierre Dufau, William Dumas, Jean-Louis Dumont, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Mme Odette Duriez, MM. Philippe Duron, Olivier Dussopt, Christian Eckert, Henri Emmanuelli, Mme Corinne Erhel, MM. Laurent Fabius, Albert Facon, Mme Martine Faure, M. Hervé Féron, Mmes Aurélie Filippetti, Geneviève Fioraso, M. Pierre Forgues, Mme Valérie Fourneyron, MM. Michel Françaix, Jean-Claude Fruteau, Jean-Louis Gagnaire, Mme Geneviève Gaillard, MM. Guillaume Garot, Jean Gaubert, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Patrick Gille, Jean Glavany, Daniel Goldberg, Gaëtan Gorce, Mme Pascale Got, MM. Marc Goua, Jean Grellier, Mme Élisabeth Guigou, M. David Habib, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. François Hollande, Mmes Sandrine Hurel, Monique Iborra, M. Jean-Louis Idiart, Mme Françoise Imbert, MM. Michel Issindou, Éric Jalton, Serge Janquin, Henri Jibrayel, Régis Juanico, Armand Jung, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Pierre Kucheida, Mme Conchita Lacuey, MM. Jérôme Lambert, François Lamy, Jack Lang, Mme Colette Langlade, MM. Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Marylise Lebranchu, MM. Patrick Lebreton, Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Michel Lefait, Jean-Marie Le Guen, Mme Annick Le Loch, M. Patrick Lemasle, Mmes Catherine Lemorton, Annick Lepetit, MM. Bruno Le Roux, Jean-Claude Leroy, Bernard Lesterlin, Michel Liebgott, Mme Martine Lignières-Cassou, MM. François Loncle, Victorin Lurel, Jean Mallot, Louis-Joseph Manscour, Mmes Jacqueline Maquet, Marie-Lou Marcel, MM. Jean-René Marsac, Philippe Martin, Mmes Martine Martinel, Frédérique Massat, MM. Gilbert Mathon, Didier Mathus, Mme Sandrine Mazetier, MM. Michel Ménard, Kléber Mesquida, Jean Michel, Didier Migaud, Arnaud Montebourg, Pierre Moscovici, Pierre-Alain Muet, Philippe Nauche, Henri Nayrou, Alain Néri, Mmes Marie-Renée Oget, Françoise Olivier-Coupeau, M. Michel Pajon, Mme George Pau-Langevin, MM. Christian Paul, Germinal Peiro, Jean-Luc Pérat, Jean-Claude Perez, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, MM. Philippe Plisson, François Pupponi, Mme Catherine Quéré, MM. Jean-Jack Queyranne, Dominique Raimbourg, Mme Marie-Line Reynaud, MM. Alain Rodet, Bernard Roman, René Rouquet, Alain Rousset, Patrick Roy, Michel Sainte-Marie, Michel Sapin, Mme Odile Saugues, MM. Christophe Sirugue, Pascal Terrasse, Jean-Louis Touraine, Mme Marisol Touraine, MM. Philippe Tourtelier, Jean-Jacques Urvoas, Daniel Vaillant, Jacques Valax, Mme Françoise Vallet, MM. André Vallini, Manuel Valls, Michel Vauzelle, Michel Vergnier, André Vézinhet, Alain Vidalies, Jean-Michel Villaumé, Jean-Claude Viollet et Philippe Vuilque.

(2)  Mme Chantal Berthelot, MM. Guy Chambefort, Gérard Charasse, René Dosière, Paul Giacobbi, Mme Annick Girardin, MM. Joël Giraud, Christian Hutin, Serge Letchimy, Albert Likuvalu, Mmes Jeanny Marc, Dominique Orliac, Sylvia Pinel, Martine Pinville, M. Simon Renucci, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Marcel Rogemont et Mme Christiane Taubira.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le droit d’asile est un principe à valeur constitutionnelle. Celui-ci est inscrit dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel renvoie le préambule de la Constitution de 1958, qui dispose par son quatrième alinéa : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». La Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés modifiée par le Protocole de New York du 31 janvier 1967 a fixé le premier statut international du réfugié. Cette convention a été ratifiée par la France le 23 juin 1954. Le réfugié y est défini comme toute personne qui, « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La France a été longtemps un pays d’accueil pour les demandeurs d’asile. On pense ainsi dans les années 1970 aux nombreux réfugiés chiliens puis d’Asie du Sud-est, notamment du Cambodge et du Vietnam. Le droit d’asile souffre aujourd’hui d’un mouvement de fermeture des frontières au niveau national et européen. Pourtant, le droit d’asile doit être détaché de toute politique de régulation des flux migratoires. C’est un droit protégé par des conventions internationales que chaque État se doit de respecter.

En 2007, la demande d’asile a baissé de 9,7 % en France pour la quatrième année consécutive. 35 520 demandes ont été enregistrées auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Malgré cette diminution du flux de demandeurs d’asile, la législation modifiée ces dernières années va dans le sens d’une restriction de leurs droits.

C’est afin de respecter tant nos engagements internationaux que nos principes constitutionnels que cette proposition de loi vise à abroger la procédure prioritaire en matière d’asile ainsi que le caractère non suspensif du recours des demandeurs en procédure accélérée. Elle tend également à revenir sur la liste des pays d’origine sûrs.

La procédure prioritaire : une procédure accélérée restrictive de droits

En 2007, plus d’un quart des demandeurs d’asile ont vu leur demande traitée en procédure accélérée, dite « procédure prioritaire ». Celle-ci a pour conséquence une limitation condamnable des droits des demandeurs.

Le déclenchement de cette procédure particulière découle de la décision du préfet de refuser ou de retirer le document provisoire de séjour. Ainsi, la nature de la procédure de demande d’asile est liée à une décision de police d’admission des étrangers, décision très éloignée des garanties devant encadrer la procédure de demande d’asile.

Les préfectures peuvent refuser l’admission au séjour d’un étranger qui demande à bénéficier de l’asile dans quatre cas mentionnés à l’article L741-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Les étrangers dont la demande d’asile relève de la compétence d’un autre État (1°), les étrangers ayant la nationalité d’un pays pour lequel ont été mises en oeuvre les stipulations du 5 du C de l’article 1er de la convention de Genève ou d’un pays considéré comme un pays d’origine sûr (2°), les étrangers dont la présence constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’État (3°) et enfin les étrangers dont la demande d’asile repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures d’asile ou n’est présentée qu’en vue de faire échec à une mesure d’éloignement prononcée ou imminente (4°).

Dans les trois derniers cas, le demandeur peut saisir l’OFPRA mais celui-ci examine la requête selon la « procédure prioritaire ». Le demandeur d’asile doit déposer sa demande d’asile complète à la préfecture dans les 15 jours (au lieu de 21 jours pour la procédure « normale ») et l’OFPRA doit statuer dans un délai de 15 jours, délai ramené à 96 heures si le demandeur se trouve en centre de rétention. Par ailleurs, à la différence des autres demandeurs d’asile, le demandeur en procédure accélérée n’a ni titre valant autorisation provisoire de séjour, ni accès à l’allocation temporaire d’attente, ni droit à un hébergement en centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA).

Le non accès aux CADA pose un problème d’égalité d’accès aux droits. Les CADA offrent un accompagnement social et juridique indispensable. Ainsi, le taux de reconnaissance du statut de réfugié en 2007 (OFPRA et annulation de la Cour Nationale du Droit d’Asile -CNDA) pour les demandeurs d’asile hébergés dans un CADA de France Terre d’asile était de 60,68 %. Le taux de reconnaissance global était, quant à lui, de 29,9 %. Dans le cas susmentionné, la délivrance d’une protection est deux fois supérieure pour les demandeurs en CADA par rapport à l’ensemble des demandeurs. Les demandeurs en procédure prioritaire sont donc privés de moyens leur permettant de défendre correctement leur demande.

Ils sont, de plus, privés de moyens d’existence à la différence des autres demandeurs qui bénéficient de l’allocation temporaire d’attente. Cette aide financière n’est pas négligeable tant elle permet aux demandeurs de payer leur hébergement, de se nourrir ou encore de se déplacer notamment pour l’entretien devant l’OFPRA.

L’exclusion des demandeurs d’asile en procédure prioritaire de l’allocation temporaire d’attente et d’accès aux CADA s’oppose à la directive européenne 2003/9 CE relative aux normes minimales d’accueil des demandeurs d’asile. Celle-ci dispose notamment que « les États membres prennent des mesures relatives aux conditions matérielles d’accueil qui permettent de garantir un niveau de vie adéquat pour la santé et d’assurer la subsistance des demandeurs ».

Ces dérogations au droit commun de protection des demandeurs d’asile sont d’autant plus graves que l’on constate un accroissement continu de la part des demandes traitées en procédure prioritaire. En 1996, 2,75 % des demandes étaient traitées en procédure prioritaire. En 2002, l’OFPRA a été saisi de 4 388 demandes en procédure prioritaire par les préfets soit 8,3 % de l’ensemble des demandes d’asile. En 2004, ce chiffre était de 9 212 soit 16 % du total. Cette procédure a concerné plus de 30 % de l’ensemble des demandes examinées en 2006 soit sept points de plus qu’en 2005. Enfin, en 2007, 8 376 demandeurs d’asile ont été placés en procédure prioritaire, soit plus de 28 % des demandes. Les procédures prioritaires sur premières demandes concernent principalement les Turcs, les Algériens, les Maliens et les Haïtiens et sur réexamens, les Sri Lankais, les Turcs, les Bangladais et les Haïtiens.

Une autre conséquence du placement en procédure prioritaire est le caractère non suspensif du recours devant la CNDA, anciennement dénommée Commission des recours des réfugiés. Ainsi, les demandeurs peuvent être reconduits dans leur pays d’origine avant même que la juridiction d’appel ait statué.

La limitation des droits découlant de la procédure prioritaire a été condamnée à de nombreuses reprises. L’ancien commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, M. Alvaro Gil-Robles, dans son rapport sur le respect effectif des droits de l’Homme en France1, relevait, à propos de la procédure prioritaire, qu’elle est « loin d’offrir les mêmes garanties que la demande d’asile de droit commun. En définitive, elle ne laisse qu’une chance infime aux demandeurs. En effet, le recours qu’ils peuvent déposer devant la Commission des recours des réfugiés n’est pas suspensif et ils peuvent donc être expulsés pendant la procédure ». La Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) relève, dans son avis en juin 2006 sur le droit d’asile, le recours excessif aux « procédures prioritaires appliquées à près d’un quart des demandes d’asile et non assorties de toutes les garanties requises pour un examen équitable des dossiers, notamment celle d’un délai raisonnable d’instruction et le droit au recours suspensif ». En février 2008, le haut-commissariat des réfugiés (HCR) a demandé une utilisation plus limitée en France des procédures dites “exceptionnelles”, et en particulier de la “procédure prioritaire”.

Par conséquent, il semble nécessaire et urgent de mettre fin à la « procédure prioritaire » qui prive de droits et précarise les demandeurs d’asile.

Une liste de pays d’origine sûrs contestable et contestée

La procédure prioritaire s’applique notamment aux demandeurs d’asile originaires d’un pays considéré comme « sûr ». La notion de « pays d’origine sûr » a été introduite par la loi du 10 décembre 2003. Au sens du 2° de l’article L. 741-4 du CESEDA, un pays est considéré comme sûr « s’il veille au respect des principes de liberté, de la démocratie et de l’état de droit, ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Le conseil d’administration de l’OFPRA a établi une liste de 15 pays2.

Cette liste semble très éloignée de la réalité interne de ces pays. Le Conseil d’État a d’ailleurs annulé, le 13 février 2008, la décision du conseil d’administration de l’OFPRA d’intégrer à la liste des pays d’origine sûrs à partir du 30 juin 2005 l’Albanie et le Niger. Le Conseil d’État a considéré qu’« en dépit des progrès accomplis, la République d’Albanie et la République du Niger ne présentaient pas, à la date de la décision attaquée, eu égard notamment à l’instabilité du contexte politique et social propre à chacun de ces pays, les caractéristiques justifiant leur inscription sur la liste des pays d’origine sûrs au sens du 2° de l’article L. 741-4 de ce code. »

Une telle liste ne s’inscrit pas dans un processus de protection des réfugiés. Bien au contraire, elle réduit les droits des demandeurs originaires de certains pays. Cette définition par rapport à la sûreté d’un pays ne se justifie pas au regard du taux de reconnaissance du statut de réfugié élevé pour certains pays. En 2007, la CNDA a accordé le statut de réfugié à un tiers des demandeurs d’asile originaires de Bosnie ayant fait un recours. En 2007, le taux d’accord de l’OFPRA pour les ressortissants du Mali est de 78,4 %. Il est difficile de parler de pays d’origine sûrs lorsque trois quarts des demandeurs se voient délivrer une protection au titre de l’asile. L’ancien commissaire aux droits de l’homme, Alvaro Gil-Roblès, avait d’ailleurs fait part de ses doutes concernant la liste fixée par la France dans son rapport du 15 février 2006.

La CNCDH dans son avis de juin 2006 sur la politique d’asile avait affirmé « sa ferme opposition à l’introduction en droit européen et en droit interne de la notion de « pays d’origine sûr » qui contrevient aux dispositions de la Convention de Genève en matière de non discrimination des demandeurs d’asile selon le pays d’origine » et a demandé le retrait de la notion de « pays d’origine sûr » de la législation française.

L’incompatibilité de la notion de pays d’origine sûr avec la Convention de Genève est claire. En effet, une telle liste introduit une discrimination prohibée à l’article 3 de la Convention qui dispose que « les États contractants appliqueront les dispositions de cette Convention aux réfugiés sans discrimination quant à la race, la religion ou le pays d’origine ». Il y a bien une différence de traitement entre demandeurs d’asile selon leur nationalité ou leur origine géographique.

Une interprétation variable du recours abusif aux procédures d’asile

Une autre catégorie de demandeurs d’asile est placée en procédure prioritaire : ce sont ceux dont les demandes sont jugées abusives ou frauduleuses. Plusieurs hypothèses sont couvertes par cette disposition notamment les demandes présentées sous une fausse identité, les demandes multiples présentées par la même personne sous des identités différentes ou encore les demandes présentées lors de la notification d’une mesure d’éloignement ou d’une décision de refus de délivrance ou de renouvellement d’un titre de séjour.

Le dépôt de demande d’asile tardive peut être jugé abusif par les préfectures. Il apparaît que cette notion de tardivité varie selon les préfectures. Un an de présence à Paris, six mois à Toulouse, quelques semaines pour les préfectures de l’Ain et des Ardennes3.

Devant le caractère extensif du recours à ces dispositions pour refuser l’admission et leur application hétérogène sur le territoire, sa suppression est souhaitable. Quoi qu’il en soit, dans le respect du principe d’égalité entre les demandeurs, les conditions de dépôt de la demande d’asile doivent être indépendantes de la procédure qui sera appliquée pour son examen.

La nécessité d’un recours suspensif pour un droit au recours effectif

Le recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a un caractère suspensif, sauf dans le cas de procédure prioritaire. Le demandeur peut donc être éloigné du territoire dès la notification de la décision de rejet de l’OFPRA avant même sa saisine de la CNDA.

De plus, la CNDA a considéré dans une décision du 1er juillet 2007 que tout demandeur sollicitant le statut de réfugié « se trouve nécessairement en dehors de son pays d’origine ». La Cour a précisé que «  le retour involontaire dans son pays d’origine d’un requérant, qui n’a pas entendu renoncer à sa demande de protection, a pour conséquence d’interrompre provisoirement l’instruction de son affaire dés lors que le recours est, dans ces conditions, temporairement sans objet ». Ainsi, la CNDA n’examine pas les demandes des étrangers renvoyés dans leur pays d’origine. L’absence de recours suspensif supprime par conséquent le recours lui-même.

L’importance de l’effet suspensif du recours est par ailleurs indéniable si l’on prend en compte le fait que près d’une décision sur cinq de l’OFPRA est annulée par la CNDA. Il y a aujourd’hui plus de protections accordées par la juridiction de recours que par l’office de première instance. Ainsi, en 2007, sur un total de 8 781 protections accordées, 38,7 % l’ont été par l’OFPRA (soit 3 401 protections délivrées) et 61,3 % par la CNDA (soit 5 380 protections).

Concernant plus précisément les pays considérés comme sûrs, le taux d’annulation de la CNDA en 2007 est de 30,3 % pour les recours formés par des personnes originaires de Bosnie Herzégovine et de 23,4 % pour des demandeurs originaires de Géorgie (114 annulations sur 487 décisions rendues). Par conséquent, 114 demandeurs à qui la France a accordé une protection au titre de l’asile auraient pu être éloignés du territoire, mettant en péril leur vie. En 2006, le taux de reconnaissance pour les ressortissants des 17 pays d’origine sûrs est de 5,95 % après examen de l’OFPRA. Ce taux passe à 30,61 % après examen par la CNDA.

Ces résultats montrent bien l’utilité du recours devant la CNDA. En plaçant ces personnes, dont la vie est menacée dans leur pays, en procédure prioritaire, nous les privons d’un recours suspensif. Combien d’étrangers ont été reconduits dans leur pays avant même le jugement de la CNDA ? Ce risque est incompatible avec la Convention de Genève de 1951 qui pose le principe, dans son article 33 qu’« aucun des États contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. (...) »

Plus généralement, le droit à un recours effectif est garanti par l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme qui pose le droit à un recours effectif : « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ». Il est également reconnu par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Le HCR, dans ses observations en mars 2005 sur la proposition de directive du Conseil relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres avait souligné que le « droit à un recours effectif devait inclure l’effet suspensif ». Il précisait : « Compte tenu du nombre relativement élevé de décisions annulées suite à un recours et étant donné les conséquences potentiellement graves des décisions erronées prises en premier ressort, l’effet suspensif des recours en matière d’asile constitue une garantie essentielle. Pour qu’un recours juridique soit effectif, les demandeurs devraient être autorisés à rester dans l’État membre jusqu’à ce qu’il ait été statué sur leur recours. Le HCR prie instamment les États de veiller à ce que leur législation nationale prévoie l’effet suspensif des recours contre une décision négative. »

Les pouvoirs publics ont, semble-t-il, pris conscience, dans une certaine mesure, de la nécessité d’un recours suspensif.

Dans un arrêt GEBREMEDHIN c/France rendu le 26 avril 2007, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que l’absence d’un recours juridictionnel de plein droit suspensif, ouvert aux étrangers dont la demande d’asile à la frontière a été refusée méconnaissait les articles 3 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. La loi du 20 novembre 2007 a pris acte de cette condamnation et a donné un caractère suspensif au référé liberté lorsqu’il est dirigé contre les décisions de refus d’entrée prises au titre de l’asile.

Par ailleurs, les autorités françaises dans leur réponse au Livre vert de la Commission européenne sur l’asile de juin 2007, au paragraphe intitulé « Harmoniser les procédures d’asile » ont proposé que « l’Union retienne à tout le moins le principe d’un recours qui soit systématiquement juridictionnel et suspensif ».

Il est temps de tenir ces engagements au niveau national en rendant le recours pour tous les demandeurs d’asile suspensif.

Pour l’ensemble de ces raisons, cette proposition de loi a pour objectif d’abroger la procédure prioritaire (article 2). Est supprimée, par ailleurs, la liste des pays d’origine sûrs (articles 1 et 3). Les motifs de « fraude délibérée » ou de « recours abusif » ou de « demande d’asile présentée qu’en vue de faire échec à une mesure d’éloignement » ne seront plus invocables par le préfet pour refuser l’admission en France d’un étranger au titre de l’asile (article 4). L’article 6 vise à instaurer un recours suspensif pour l’ensemble des demandeurs d’asile qui pourront également bénéficier sans distinction de l’allocation temporaire d’attente (article 7). L’article 5 opère une coordination nécessaire du fait de la suppression du 4° du L. 741-4 du CESEDA ainsi que de la procédure prioritaire. Enfin, l’article 8 tend à compenser les nouvelles charges dues à l’augmentation des bénéficiaires de l’allocation temporaire d’attente et des demandeurs d’asile pouvant être hébergés en CADA.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Le deuxième alinéa de l’article L. 722-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi rédigé :

« Le conseil d’administration fixe les orientations générales concernant l’activité de l’office. Il délibère sur les modalités de mise en oeuvre des dispositions relatives à l’octroi du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire. »

Article 2

Le deuxième alinéa de l’article L. 723-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est supprimé.

Article 3

Le 2° de l’article L. 741-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi rédigé :

« 2° L’étranger qui demande à bénéficier de l’asile a la nationalité d’un pays pour lequel ont été mises en oeuvre les stipulations du 5 du C de l’article 1er de la convention de Genève susmentionnée ; »

Article 4

Le 4° de l’article L. 741-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est abrogé.

Article 5

L’article L. 742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi rédigé :

« Art. L. 742-5. – Dans le cas où l’admission au séjour a été refusée pour l’un des motifs mentionnés aux 2° et 3° de l’article L. 741-4, l’étranger qui souhaite bénéficier de l’asile peut saisir l’office de sa demande. »

Article 6

L’article L. 742-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi rédigé :

« Art. L. 742-6. – L’étranger présent sur le territoire français dont la demande d’asile entre dans l’un des cas visés aux 2° et 3° de l’article L. 741-4 bénéficie du droit de se maintenir en France jusqu’à la notification de la décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou, si un recours a été formé, jusqu’à la notification de la décision de la Cour nationale du droit d’asile.

« En cas de reconnaissance de la qualité de réfugié ou d’octroi de la protection subsidiaire, l’autorité administrative délivre sans délai au réfugié la carte de résident prévue au 8° de l’article L. 314-11 et au bénéficiaire de la protection subsidiaire la carte de séjour temporaire prévue à l’article L. 313-13. »

Article 7

Le 1° de l’article L. 5423-9 du code du travail est abrogé.

Article 8

L’augmentation de la charge résultant pour l’institution nationale publique mentionnée à l’article L. 5321-1 du code du travail de l’application de ces dispositions est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle au droit prévu aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

1 Comm.DH (2006)2 - Rapport établi suite à sa visite en France du 5 au 21 septembre 2005.

2 Bénin, Bosnie-Herzégovine, Cap-Vert, Croatie, Georgie, Ghana, Inde, Madagascar, Mali, Macédoine, Maurice, Mongolie, Sénégal, Tanzanie, Ukraine

3 Rapport d’Observation de la Cimade, Main basse sur l’asile, juin 2007


© Assemblée nationale