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N° 1611

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 avril 2009.

PROPOSITION DE LOI

visant à protéger l’intérêt de l’enfant
dont les parents sont séparés
,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Christian MÉNARD, Henriette MARTINEZ, Jean PRORIOL, Béatrice PAVY, Alain MOYNE-BRESSAND, Philippe Armand MARTIN, Sophie DELONG, Jacqueline IRLES, Bruno SANDRAS, Jean-Marie BINETRUY, Patrice CALMÉJANE, Françoise HOSTALIER, Cécile GALLEZ, Jean-Pierre MARCON, André FLAJOLET, Frédéric REISS, Olivier DASSAULT, Jean-Marc LEFRANC, Marie-Jo ZIMMERMANN, Jacques REMILLER, Jean-Paul GARRAUD, Gérard LORGEOUX, Colette LE MOAL, Daniel SPAGNOU, Jean-Pierre DOOR, Michel HEINRICH, Yves DENIAUD, Charles de COURSON, Didier QUENTIN, Philippe FOLLIOT, Thierry BENOIT, Lucien DEGAUCHY, André WOJCIECHOWSKI, Jean-Louis BERNARD, Fabienne LABRETTE-MÉNAGER, Josette PONS, Brigitte BARÈGES, Jacqueline IRLES, Marc BERNIER, Alain COUSIN, Gérard MILLET, Arlette GROSSKOST, Michel LEJEUNE, Michel VOISIN, Philippe VITEL, Gabriel BIANCHERI, Jean-Louis LÉONARD, Philippe BOËNNEC, Christian PATRIA, Francis HILLMEYER, Loïc BOUVARD et Yannick FAVENNEC,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Avec un recul de sept ans, il s’avère que l’article 373-2-9 de la loi du 4 mars 2002, concernant la légalisation de la résidence alternée, expose les enfants à des risques importants au niveau de leur développement affectif.

En effet, depuis le vote de ce texte législatif (pensé à l’origine pour des préadolescents et des adolescents), la résidence alternée a été appliquée à des enfants très jeunes, voire des nourrissons, les séparations parentales avec des enfants de plus en plus jeunes ne cessant de croître. Ces décisions sont prises sans tenir compte des préconisations retenues par l’ensemble des pédopsychiatres et psychologues ayant publié leur expérience sur ce sujet : absence de conflit important entre les parents, proximité géographique, respect du besoin de stabilité affective et de stabilité du lieu de vie pour les enfants en bas âge, lieu de scolarisation unique.

En conséquence, des résidences alternées « égalitaires » (au sens d’un temps égal passé par l’enfant chez chaque parent), ou des mesures équivalentes (temps de garde strictement égal entre père et mère avec changement de lieu d’hébergement tous les deux ou trois jours) ont été mises en place pour des bébés de six mois et des nourrissons changent sept fois de lieu d’hébergement en dix jours ; C. Brisset, Défenseur des enfants, cite dans son rapport 2005, une décision de résidence alternée prise par un juge français ordonnant qu’un enfant de six mois passe six semaines chez son père reparti vivre aux USA et six semaines chez sa mère en France ; des enfants sont scolarisés dans deux écoles différentes sur décision judiciaire ; bien qu’une mère ait subi de graves violences conjugales, une résidence alternée est mise en place, la maintenant sous l’emprise de son ex-compagnon ; certains jugements ordonnent une date d’arrêt de l’allaitement pour pouvoir débuter ce mode d’hébergement, etc.

Sans être dans des situations aussi extrêmes que celles développées ci-dessus, force est de constater que la loi du 4 mars 2002 n’offre aucun garde-fou. Beaucoup d’enfants ne s’adaptent pas à la résidence alternée dont l’expérience montre qu’elle n’est malheureusement pas, le plus souvent, remise en question par les juges des affaires familiales une fois qu’elle a été mise en place, quels que soient les symptômes présentés par l’enfant. Nous disposons aujourd’hui, d’un ensemble de travaux français et internationaux, pédopsychiatriques et psychiatriques, qui montrent que la résidence alternée ordonnée sans précaution est à l’origine de troubles psychiques : sentiment d’insécurité avec apparition d’angoisses d’abandon qui n’existaient pas auparavant (ces enfants ne supportant plus l’éloignement de leur mère même dans une pièce voisine et demandant à être en permanence en contact avec elle) ; sentiment dépressif avec regard vide pendant de longues heures ; troubles du sommeil, eczéma, agressivité, perte de confiance dans les adultes. Il existe une quasi-impossibilité de faire reconnaître ces signes de souffrance psychique par le système judiciaire, les rares médecins qui se risquent à rédiger des certificats médicaux étant systématiquement mis en cause devant le Conseil de l’Ordre par une des parties. Ces troubles persistent jusqu’à l’âge adulte sous la forme de dépression et d’angoisse chronique. Le nombre d’enfants qui présentent cette pathologie (plusieurs nouveaux cas par semaine) constitue un véritable problème de santé publique.

Ceci était prévisible si on se rappelle que la loi du 4 mars 2002 a été élaborée sans qu’ait été demandé l’avis des sociétés savantes (Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Association française de psychiatrie, branche française de l’Association mondiale de santé mentale du nourrisson, Société française de pédiatrie). Depuis 2002, Y. Gauthier, professeur de pédopsychiatrie à Montréal (2008) parle d’enfants cobayes ; M. Gagnon (2006), pédopsychiatre à Montréal, qui a procédé à un recensement de toutes les publications portant sur ce sujet, montre que la résidence alternée est particulièrement risquée en cas de conflit, et souligne que c’est plus la qualité des moments passés avec le père qui est déterminante que la quantité pour l’établissement d’un bon lien père-enfant ; aux USA le rapport Lye (1999) (rédigé par deux juges de la Cour suprême de l’état de Washington, d’autres magistrats et professionnels), reprenant les publications réalisées sur ce sujet, conclut que lorsqu’une garde alternée est imposée, les enfants sont fortement et gravement exposés aux conflits des parents. On peut aussi citer les travaux de J.Y. Hayez (2005), professeur de pédopsychiatrie à Bruxelles, M. Berger et A. Ciccone (2004), professeurs de psychopathologie de l’enfant, P. Levy-Soussan (2006), N. Guedeney (2004), H. Rottman, pédopsychiatres, F. Lecat (2007), pédiatre, et le séminaire de réflexion sur la résidence alternée réalisé au ministère de la santé et de la famille le 5 février 2007. Tout récemment, E. Izard (2009), pédopsychiatre, vient de publier un article démontrant que la résidence alternée peut avoir des effets nocifs liés à la répétition de la perte de la figure d’attachement principale et de la perte des lieux de vie chez des enfants âgés de trois à onze ans, bien qu’il n’y ait aucune conflictualité entre les parents séparés. Certains de ces enfants déclarent même que leur institutrice est la seule personne stable de leur existence.

Il est, par ailleurs, à noter qu’un grand nombre de résidences alternées (40 à 50 %) sont sollicitées par des hommes ayant exercé des violences contre leur femme de manière répétée, ces demandes n’ayant, dans ce cas, non l’objectif d’assurer le bien-être de l’enfant, mais celui d’exercer une emprise sur la vie de leur ex-compagne, voire de la punir de la séparation. Un homme qui frappe sa femme devant leur enfant perd à ce moment toute compétence parentale puisqu’il le soumet à un spectacle particulièrement angoissant.

Nous voyons bien qu’à la lecture de l’ensemble de ces données, il est indispensable de modifier la loi en tenant compte du principe de précaution et d’assurer l’objectif essentiel de l’intérêt de l’enfant, défini comme la protection de son développement physique, affectif, intellectuel, et social. Ceci nécessite l’introduction des principes de progressivité en fonction de l’âge, de proximité, de non violence entre les parents. Ces modifications de la loi ne visent pas à « éloigner » les pères, mais à adapter la législation aux besoins fondamentaux de sécurité affective des enfants. Le professeur Murat, qui a participé à l’élaboration de la loi du 4 mars 2002, a précisé en 2006 que « cette loi ne fait pas de la résidence alternée un modèle », et rappelle que « l’autorité parentale est un droit-fonction qui se définit par ses fins, en particulier permettre le développement de l’enfant dans le respect dû à sa personne » (art. 371-1 du code civil) et non par ses moyens.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Les premier et deuxième alinéas de l’article 373-2-9 du code civil sont ainsi rédigés :

« La résidence de l’enfant est fixée prioritairement au domicile de l’un des parents. A défaut, elle peut l’être en alternance, au domicile de chacun d’eux, selon des durées et des modalités à déterminer, avec la nécessité, pour les deux parents, à remplir leur obligation parentale d’entretien, d’obligation d’aliments ou de pension alimentaire.

« À la demande de l’un des parents ou en cas de désaccord entre eux sur le mode de résidence de l’enfant, le juge peut ordonner, à titre provisoire, soit une résidence au domicile de l’un des parents, soit une résidence en alternance dont il détermine les modalités et la durée. Au terme de celle-ci, le juge statue définitivement sur la résidence de l’enfant, tout en fixant cette dernière prioritairement au domicile de l’un des parents. »

Article 2

L’article 373-2-11 du code civil est complété par des 6° et 7° ainsi rédigés :

« 6° Si l’enfant est âgé de moins de six ans, le principe de progressivité, dans la durée et les modalités de l’hébergement de l’enfant chez le parent qui n’est pas le premier pourvoyeur de soins, ainsi que la nécessité pour les deux parents de remplir leur obligation parentale d’entretien, d’obligation d’aliments ou de pension alimentaire. 

« 7° La nécessité que l’enfant soit scolarisé dans un seul établissement scolaire. »

Article 3

Après l’article 373-2-12 du code civil, il est inséré un article 373-2-12-1 ainsi rédigé :

« Art. 373-2-12-1. – La résidence alternée ne sera pas ordonnée en cas de conflit et d’absence de communication entre les parents sur les modalités d’hébergement de l’enfant et en cas de violences conjugales avérées, ou de non-respect des obligations parentales d’entretien, d’obligation d’aliments ou de pension alimentaire. »


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