Accueil > Documents parlementaires > Propositions de loi
La version en format HTML, à la différence de celle en PDF, ne comprend pas la numérotation des alinéas.
Version PDF
Retour vers le dossier législatif

Document
mis en distribution

le 3 février 2010


N° 2234

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 janvier 2010.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’industrie
pharmaceutique française
et plus particulièrement sur Sanofi-Aventis,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Pierre GOSNAT, André CHASSAIGNE, Marie-Hélène AMIABLE, François ASENSI, Martine BILLARD, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Marie-George BUFFET, Jean-Jacques CANDELIER, Jacques DESALLANGRE, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE, André GERIN, Maxime GREMETZ, Jean-Paul LECOQ, Roland MUZEAU, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXÈS,

député-e-s.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 18 décembre 2008, les députés communistes, républicains, du Parti de Gauche, déposaient une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’industrie pharmaceutique et plus particulièrement sur le groupe Sanofi-Aventis. Celle-ci est restée sans suite sans qu’aucune explication ne soit fournie par les députés de la majorité de la commission des affaires économiques.

Les motivations de cette proposition de résolution restent pourtant toujours d’actualité. Les perspectives de gestion de Sanofi-Aventis pour 2010 et l’annonce de la suppression de près de 3 000 emplois au sein du groupe ne font que renforcer l’urgence de la mise en œuvre de cette commission d’enquête.

Un constat s’impose. Le gouvernement n’a tiré aucun enseignement de la crise économique et sociale que traverse notre pays depuis septembre 2008. Pourtant, la crise du capitalisme aurait dû amener les pouvoirs publics, notamment par le biais des représentants de la souveraineté nationale, à mener une réflexion approfondie sur notre système économique et le mode de gouvernance des grandes entreprises nationales et transnationales. Cette question se pose à l’ensemble des acteurs économiques, cependant certains secteurs stratégiques doivent plus particulièrement concentrer l’attention et la mobilisation des parlementaires.

Il en va ainsi pour l’industrie pharmaceutique, acteur central dans le domaine de la santé et enjeu politique majeur. Ce constat est d’autant plus criant qu’il s’inscrit dans un cadre juridique précis. La Constitution de 1946 de l’OMS proclame que « la possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale ». Ces dispositions sont notamment reprises dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, dans l’article 11 de la charte sociale européenne et dans la Convention européenne des droits de l’homme. Or, les principaux groupes pharmaceutiques mondiaux ont fait le choix de la financiarisation au détriment de l’investissement dans la recherche et le développement industriel. La conjoncture actuelle nous encourage à nous questionner sur ces choix de gouvernance, notamment de la part du leader européen, le groupe français Sanofi-Aventis.

Depuis une dizaine d’années, l’industrie pharmaceutique française vit au rythme des fusions acquisitions. Sanofi, fondée en 1973 par la compagnie pétrolière ELF Aquitaine suite à son rachat du groupe pharmaceutique Labaz, fusionne en 1999 avec Synthélabo détenu majoritairement par le groupe français de cosmétiques L’Oréal. Pour sa part, Aventis est le produit du rapprochement entre Rhône-Poulenc, et Hoechst Roussel Uclaf intervenu à la même époque. La fusion Sanofi-Aventis fut particulièrement encouragée par le ministre des finances de l’époque, Nicolas Sarkozy, qui y voyait un moyen « de conforter les acquis stratégiques et le savoir-faire français ».

En 2004, la fusion entre ces deux entreprises donne naissance à un groupe de 100 000 employés dont le chiffre d’affaires s’établit à 30 milliards d’euros en 2009, en augmentation de 5 à 7% par rapport à 2008. Sanofi-Aventis emploie 55 377 personnes en Europe, dont plus de 28 000 en France sur plus de 40 sites. À l’échelle nationale, le groupe SA domine le marché de l’industrie pharmaceutique, les entreprises Servier, Pierre Fabre et Ipsen occupant une place respectable mais plus marginale (6 milliards de CA au total). Plus largement, Sanofi-Aventis est la troisième entreprise française en termes de résultat net après Total et BNP Paribas. Elle représente un tiers des compétences de l’industrie pharmaceutique en France, près de 50 % des effectifs de recherche et développement de l’industrie du médicament et 40 % des effectifs de production. Le groupe Sanofi est incontournable en France et en Europe. Il représente un potentiel scientifique et industriel important. Le capital financier du groupe est détenu à hauteur de 8,24 % par Total et 8,98 % par L’Oréal. Les capitaux français représentent 46 % du capital global de l’entreprise.

La gouvernance de l’entreprise se caractérise par des choix essentiellement financiers, amplifiés depuis 2007. Dans le contexte actuel, cette orientation est encore plus préoccupante. De 2003 à 2007, le dividende versé aux actionnaires a doublé, correspondant à une augmentation de près de 19,4 % par an. Pour l’année 2009, au plus fort de la crise, les dividendes des actionnaires ont enregistré une hausse de 10%.

Enfin, le remaniement à la tête du groupe avec l’arrivée de Chris Viehbacher, soutenu par les grands actionnaires, plaide pour une rémunération plus attrayante. Les perspectives de gouvernance de Sanofi-Aventis ne laissent donc pas présager d’un recul de la dépendance du groupe vis-à-vis des marchés financiers. Le conseil d’administration de Sanofi-Aventis ne semble pas disposé à intégrer dans ses choix en matière d’orientation stratégique les effets de la conjoncture économique actuelle et les limites de la financiarisation à outrance.

Conséquence d’une stratégie uniquement financière, les décisions de la direction de Sanofi-Aventis font planer de lourdes menaces sur la stabilité de l’ensemble de l’industrie pharmaceutique française ainsi que sur la recherche scientifique et médicale. En 2007, sur les 7,1 milliards du résultat net, près de 5,8 milliards ont été consacrés à l’actionnariat : 2,8 milliards en dividendes et près de 3 milliards en rachat d’actions. Un nouveau plan de rachat d’actions à hauteur de 3 milliards a d’ores et déjà été entériné par le CA de mai 2008

Cette pratique exclusivement spéculative a pour finalité unique la destruction d’actions achetées afin d’augmenter le bénéfice net par action, base de calcul des dividendes versées aux actionnaires. En souhaitant maintenir des taux de rémunération du capital à deux chiffres, Sanofi-Aventis diminue les capacités de développement de son activité et maintien une pression constante sur les emplois. Près de 6 milliards en deux ans seront consacrés à cette pratique. Alors même que le gouvernement pourrait octroyer au groupe Sanofi-Aventis jusqu’à 100 millions en crédit d’impôt recherche, celui-ci engage 60 fois plus dans la spéculation. Autre comparaison marquante, l’édition 2009 du Téléthon a contribué à la recherche scientifique à hauteur de 90 millions d’euros, goutte d’eau de solidarité citoyenne dans un océan de spéculation. Les sommes consacrées au capital sont largement supérieures aux sommes injectées dans la recherche scientifique. En 2007, plus de 80 % des recettes ont été prélevées pour les actionnaires contre moins de 25 % en 2005. Depuis l’arrivée de M. Viechbacher à la tête de Sanofi-Aventis, près de 8,5 milliards d’euros ont été injectés dans des opérations financières. Par exemple, L’OPA sur le groupe américain Chattem, annoncée le 11 janvier 2010, coûtera au groupe 1,9 milliard d’euros.

En outre, à l’heure où le Président de la République souhaite « moraliser le capitalisme » en supprimant notamment les parachutes dorés, Sanofi-Aventis a consacré près de 5,6 millions d’euros l’an passé à financer les retraites complémentaires pour quatre anciens dirigeants du groupe. Quant au changement de direction, il se chiffre lui aussi en millions. Chris Viehbacher, nouveau directeur général, voit sa rémunération annuelle fixée à 1,2 million d’euros, à laquelle s’ajoute une rémunération variable oscillant entre 150 % et 200 % de son salaire de base. Le contrat de M. Viehbacher prévoit aussi un parachute doré et une coquette pension de retraite complémentaire. À cela s’ajoutent 265 000 actions Sanofi-Aventis. Gérard Le Fur, ancien directeur général, quitte son poste avec un parachute doré de plus de 2 millions d’euros ! À l’heure où le Président de la République souhaite que la rémunération des dirigeants soit indépendante des marchés financiers, il semble que la direction de Sanofi-Aventis perpétue le modèle traditionnel de gouvernance sans tirer les leçons de la crise financière.

Cette stratégie a un impact réel sur les choix scientifiques du groupe. Aujourd’hui, 80 % des efforts de promotion de Sanofi-Aventis France sont concentrés sur les 10 premiers « produits » du portefeuille, présentés à une population ciblée de médecins, afin de préserver le niveau de marge le plus élevé. Les orientations en matière de recherche sont clairement définies selon des objectifs de rentabilité. Ces choix de gouvernance sont préoccupants pour l’avenir. Jérôme Contamine, directeur financier du groupe, a d’ailleurs reconnu l’abandon de la recherche sur huit molécules innovantes jugées « insuffisamment prometteuses » au plan financier.

Les ressources de l’entreprise ne sont pas réinvesties pour assurer une croissance durable fondée sur le développement des compétences et des technologies. Au total, en deux ans, de 2009 à 2010, 3000 emplois auront été supprimés chez Sanofi-Aventis France : 500 dans les fonctions centrales « corporate », 1 300 dans la recherche et le développement avec la fermeture de 4 sites, 1 000 emplois de visiteurs médicaux et 200 emplois dans le secteur industriel. Sur le seul site de Vitry-sur-Seine, ce sont 470 emplois qui ont été supprimés. Ce site centenaire assure notamment la production de 13 médicaments essentiels dont le Taxotere (anticancéreux) et la Glutamine à la demande expresse de l’OMS. Des compressions d’effectifs ont été effective dans la quasi-totalité des activités de Sanofi-Aventis, y compris en recherche et développement, trois sites en France doivent fermer : Bagneux, Rueil (Hauts-de-Seine) et Labège (Haute-Garonne).

Au total, c’est l’ensemble du territoire français qui souffrirait d’une restructuration de l’activité du groupe. Présent dans 13 régions (Auvergne, PACA, IDF, Aquitaine, Alsace, Rhône-Alpes, Basse et Haute-Normandie, Languedoc-Roussillon, Bretagne, Midi-Pyrénées, Bourgogne, Centre et Picardie), Sanofi-Aventis sous-tend l’activité de centaines de sous-traitants. L’ensemble de la représentation nationale se doit de se mobiliser afin de défendre les bassins d’emploi de SA et de maintenir les tissus industriels français. La politique du groupe Sanofi-Aventis ne saurait se dissocier d’une approche territorialisée des politiques industrielles.

Depuis plusieurs semaines, des salariés de Sanofi Aventis sont en grève pour réclamer une meilleure répartition des richesses au sein de l’entreprise. Alors qu’ils demandent une augmentation de 3 % de leur salaire avec un seuil minimum de 150 euros mensuels, la direction du groupe ne leur propose qu’une augmentation de 1,2% avec un seuil de 600 euros brut annuels. Cette proposition est inacceptable en comparaison avec les 700 000 euros dont a bénéficié en une seule journée Jean-René Fourtou, administrateur du groupe, après la vente de ses stock-options.

Pour notre pays, pour l’Europe, et pour le monde, Sanofi Aventis détient une place qui lui confère une responsabilité première en matière de santé. L’Europe et la France disposent d’atouts stratégiques scientifiques et industriels considérables. Ces grandes entreprises rassemblent des savoir-faire de haut niveau et des activités de hautes technologies. La gouvernance et les choix stratégiques de ces grandes entreprises ont un impact important sur la croissance. La promotion et le développement de l’industrie pharmaceutique sont des choix d’avenir s’ils s’opèrent selon une logique d’amélioration de l’accès aux soins. Les stratégies de gouvernance doivent être guidées par un objectif d’amélioration des traitements existants, par la découverte de nouveaux médicaments répondant aux besoins non satisfaits, et par la mise à disposition des médicaments à des prix accessibles par toutes les populations.

Face à ce constat, les pouvoirs publics se doivent d’intervenir de façon volontariste. Cela se justifie d’autant plus que des millions d’euros d’argent public financent Sanofi-Aventis, par le biais de la sécurité sociale, du crédit d’impôt recherche et enfin par l’achat par l’État français au cours de l’automne 2009 de millions de doses de vaccins contre la grippe H1N1. Pour ce seul vaccin, Sanofi-Aventis a réalisé un chiffre d’affaire mondial de 500 millions au cours de ces trois derniers mois.

C’est pourquoi, nous vous proposons de créer une commission d’enquête parlementaire chargée de produire une analyse approfondie du rôle et de la place de l’industrie pharmaceutique dans notre société et donc de s’intéresser et de questionner ainsi plus particulièrement le mode de gouvernance et les choix stratégiques de Sanofi-Aventis. L’accent sera mis sur les orientations du groupe en matière d’emploi, de recherche et développement et le mode de rémunération des dirigeants. Les députés consacreront une partie de leurs travaux à l’étude de l’utilisation des subventions publiques en perspective d’une éventuelle intervention publique dans la gouvernance du groupe. Enfin, une analyse sera menée sur la constitution d’un pôle public du médicament. Il nous faut penser un nouveau mode d’intervention publique en matière d’industrie pharmaceutique, guidée par l’intérêt général et la recherche de nouveaux traitements en dehors de toute perspective de profits financiers.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

Il est créé, en application des articles 140 et suivants du règlement, une commission d’enquête de 30 membres, sur l’impact des modes de gouvernance et des orientations stratégiques de l’industrie pharmaceutique française et plus particulièrement du groupe Sanofi-Aventis.


© Assemblée nationale