Accueil > Documents parlementaires > Propositions de loi
La version en format HTML, à la différence de celle en PDF, ne comprend pas la numérotation des alinéas.
Version PDF
Retour vers le dossier législatif

Document
mis en distribution

le 24 février 2010


N° 2294

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 février 2010.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête relative
à l’
application de la loi sur la nationalité,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Noël MAMÈRE, Yves COCHET, François de RUGY, Martine BILLARD, Marie-Hélène AMIABLE, Huguette BELLO, Marie-Georges BUFFET, Jacqueline FRAYSSE, François ASENSI, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Jean-Jacques CANDELIER, André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Marc DOLEZ, André GERIN, Pierre GOSNAT, Jean-Paul LECOQ, Alfred MARIE-JEANNE, Roland MUZEAU, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXÈS,

députés.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis plusieurs mois, de nombreux citoyens français se trouvent confrontés à une situation inique et humiliante : la remise en cause de leur nationalité. Voulant renouveler leurs papiers d’identité (carte d’identité, passeports), ils se voient contester par des fonctionnaires de l’administration chargés de l’état civil, leur qualité de citoyens français acquise depuis leur naissance. Systématiquement, leur est demandé un certificat de nationalité qu’ils ont des difficultés à fournir, dans la mesure où leurs parents se sont souvent retrouvés en France à la suite de difficultés rencontrées dans leurs pays et de l’histoire tourmentée du XXe siècle. Les enfants de parents d’origine juive, de parents nés à l’Est, ou ceux des pays du Maghreb ou d’Afrique suite à la décolonisation ou encore ceux qui sont arrivés en France à cause de catastrophes naturelles, sont en particulier visés par l’application tatillonne de la loi. Les populations des régions d’outre-mer risquent également de rencontrer des difficultés pour renouveler leurs pièces d’identité en raison des vagues d’immigration qui se sont succédé dans ces territoires jusqu’au début du XXe siècle.

Outre que cette situation est vexatoire, elle est évidemment inacceptable du point de vue du droit à la nationalité, parce qu’elle crée une suspicion de fait sur des citoyens et une discrimination entre des catégories de français, en fonction de leur lieu de naissance ou de celui de leurs parents. Des personnes de nationalité française depuis des décennies – et qui ont toujours été considérées comme françaises – se voient ainsi opposer un refus de délivrance de certificat de nationalité française et donc de renouvellement de passeport ou de carte nationale d’identité. Ces personnes se retrouvent, de facto, apatrides, car elles ne sont plus considérées comme françaises par l’administration alors qu’elles n’ont jamais opté pour d’autres nationalités. 12 % des demandes de certificats de nationalité ont été ainsi rejetées en 2007 contre 5 % en 2002, selon une enquête du journal Libération.

Cette situation provient de l’imbroglio issu des lois Pasqua, confirmées par les lois Chevènement et Sarkozy, et appliquées par des circulaires parfois contradictoires. Elle repose aussi sur l’évolution du droit de la nationalité. Auparavant, l’ordonnance d’octobre 1945 instaurait l’acquisition automatique (sans aucune autre démarche) de la nationalité française par mariage. La loi de 1973 a aboli cette automaticité en faveur de l’acquisition par déclaration. Le décret du 30 décembre 2005 relatif aux passeports électroniques a accéléré les tracasseries administratives.

Le Pôle de la nationalité française, nouvelle entité qui regroupe l’ensemble des services de la nationalité depuis le décret n° 2009-561 du 19 mai 2009, oblige un citoyen français mis en cause à fournir des preuves qui remontent sur deux générations et qui, de plus, n’est pas limitative. Pour ce faire, il s’appuie sur l’article 30 du code civil : « La charge de la preuve en matière de nationalité française incombe à celui dont la nationalité est en cause », aussitôt contredit par son article 30-2 : « Néanmoins, lorsque la nationalité française ne peut avoir sa source que dans la filiation, elle est tenue pour établie, sauf la preuve contraire si l’intéressé et celui de ses père et mère qui a été susceptible de la lui transmettre ont joui d’une façon constante de la possession d’état de Français. »

Nous sommes donc dans une zone floue où la carte d’identité n’est plus qu’une présomption de nationalité parmi d’autres. Malgré les déclarations du ministère de l’intérieur s’engageant à appliquer de façon large la possession d’état de français, le phénomène perdure. Il vient d’être dénoncé par un appel de la Ligue des droits de l’homme qui met en évidence un traitement discriminatoire appliqué aux Français nés à l’étranger, ou nés en France de parents étrangers ou devenus français par naturalisation. Cet appel, signé par des milliers de personnes concernées, considère qu’il y a « quelque chose d’intolérable à faire ainsi de millions de français d’origine les plus diverses des personnes suspectes à priori de fraude ». Au moment où un débat confus et déplacé sur l’identité nationale a été institué par le gouvernement sous l’autorité du président de la République, la remise en cause de la nationalité de dizaines de milliers de personnes contribue à troubler une opinion déjà déstabilisée par un débat stigmatisant pour les Français d’origine étrangère comme pour les immigrés résidents sur notre sol.

Il est de notre devoir de tout entreprendre pour comprendre les dysfonctionnements intervenus dans l’application de la loi que nous avons élaborée et votée en tant que parlementaires. Le Parlement doit jouer son rôle et permettre un débat parlementaire qui se déroule d’une manière sereine. Nous devons faire la lumière sur la nature des circulaires qui régissent l’application de ces lois, sur les ordres donnés par l’administration aux fonctionnaires chargés de l’appliquer et sur les voies de recours existants. Nous devons faire le point sur le nombre exact de demandes de confirmation de nationalité ayant été rejetées, sur leurs raisons, et proposer des dispositions pour en finir avec cette situation inacceptable au regard de l’égalité des citoyens.

Sous le bénéfice de ces observations, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, d’adopter la proposition de résolution suivante.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 140 et suivants du Règlement, est créée une commission d’enquête de trente membres relative à l’application de la loi sur la nationalité. Elle devra notamment faire le point sur les dysfonctionnements de l’administration, sur les contradictions entre les différents décrets, circulaires et dispositions de la loi sur la nationalité pour que soit rétabli un traitement normal et égal pour tous de la délivrance des pièces d’identité.


© Assemblée nationale