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N° 2887

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 octobre 2010.

PROPOSITION DE LOI

sur l’arbitrage des différends
impliquant des personnes publiques,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Pascal CLÉMENT,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’arbitrage est un mode de règlement des conflits permettant aux parties de désigner elles-mêmes les personnes chargées de le trancher compte tenu de leur expérience, de leur autorité et de leur expertise technique pour le type d’affaires en cause. Il y est recouru de façon privilégiée en matière commerciale, notamment au niveau international.

Il peut également constituer un mode alternatif de règlement juridictionnel des litiges adapté aux besoins des personnes publiques et de leurs partenaires privés. Il présente des avantages certains : la célérité, dès lors que le prononcé de la sentence arbitrale est enfermé dans des délais impératifs ; la souplesse, puisque les parties peuvent déterminer ensemble certains aspects de la procédure ; l’expertise technique, selon la manière dont les parties auront composé le tribunal arbitral.

La justice arbitrale présente d’autres atouts : bien acceptée par les parties qui choisissent les arbitres et ont la maîtrise du calendrier procédural, elle conduit à des sentences de très grande qualité en raison à la fois de l’expertise technique et du temps que peuvent consacrer les arbitres à l’étude de l’argumentation de chaque partie, et, de façon générale, à l’instruction et à l’examen du dossier.

En France, le principe est pourtant celui de l’interdiction faite aux personnes publiques de recourir à l’arbitrage. Le compromis comme la clause compromissoire leur sont par principe prohibés. Cette règle, qui a valeur législative mais non constitutionnelle, s’étend à tous les litiges, de nature commerciale ou administrative, ainsi qu’à toutes les personnes publiques, y compris celles exerçant une activité industrielle ou commerciale.

L’interdiction générale faite aux personnes publiques de recourir à l’arbitrage est de moins en moins adaptée à la société contemporaine : outre que les personnes publiques font elles-mêmes, ou développent avec des partenaires privés, des « affaires » au sens large du terme, il est notable que la France reste l’un des rares États à ne pas avoir étendu les possibilités de recours à l’arbitrage administratif. D’après la Commission des Nations Unies pour le Développement du Commerce International (CNUDCI), certains pays et entreprises étrangères y voient un frein au développement des échanges économiques avec la France.

C’est pourquoi, l’assemblée générale du Conseil d’État a, le 4 février 1993, approuvé un rapport proposant d’étendre le champ de l’arbitrage à l’ensemble des marchés publics ; par ailleurs, un groupe de travail constitué à la demande de Monsieur Pascal Clément, garde des sceaux et ministre de la justice, présidé par Monsieur Daniel Labetoulle, président de la section contentieux du Conseil d’État, a préconisé, en 2007, d’étendre le champ de l’arbitrage public y compris au-delà des différends liés aux marchés publics.

Il faut dire que, depuis une quinzaine d’années, plusieurs textes ont dérogé ponctuellement au principe interdisant aux personnes morales de droit public d’avoir recours à l’arbitrage. Certains de ces textes ont concerné des personnes publiques précisément identifiées ; d’autres ont admis l’arbitrage pour certaines opérations spécifiques.

La multiplication de ces dérogations témoigne non seulement d’une évolution de l’attitude, traditionnellement réservée, des pouvoirs publics à l’égard de la soumission à l’arbitrage des litiges intéressant les personnes publiques, mais encore de l’intérêt que suscite désormais l’arbitrage dans la sphère publique.

Pour reprendre les termes d’un discours prononcé par Monsieur Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, lors de l’ouverture d’un colloque organisé par la Chambre nationale de l’arbitrage privé et public au Palais-Royal le 30 septembre 2009 intitulé L’arbitrage et les personnes morales de droit public, l’arbitrage constitue un mode alternatif de règlement juridictionnel conforme aux besoins des personnes publiques dès lors que les modalités retenues sont adaptées aux missions qui leur sont assignées (v. annexe 1).

D’une part, l’arbitrage est adapté aux besoins des personnes publiques, notamment dans le cadre des conventions de long terme qui les unissent à des personnes privées, comme les partenariats publics privés.

D’autre part, l’arbitrage est adapté aux missions fondamentales des personnes publiques. La justice arbitrale peut en effet garantir le respect de l’intérêt général et le bon fonctionnement des services publics. Il suffit que les parties ne puissent pas confier à un juge autre qu’étatique, et spécialement le juge administratif, le contentieux de l’annulation ou de la réformation des actes unilatéraux édictés par les personnes publiques.

Enfin, l’arbitrage peut garantir aux personnes publiques qu’il préservera les principes fondamentaux inhérents à leur existence et à leur fonctionnement. Il est à noter, d’ailleurs, que sur des sujets plus sensibles, comme la rémunération des arbitres, un certain nombre d’institutions s’engagent à travailler dans la plus parfaite transparence, en mettant à la disposition des personnes publiques intéressées des grilles tarifaires qui sont fonction de la durée et de la complexité du litige et non des enjeux qu’il représente. La bonne gestion des deniers publics est ainsi garantie.

Par ces motifs, les articles suivants peuvent constituer une proposition de loi en faveur du règlement des différends impliquant des personnes publiques par l’arbitrage.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Toute personne morale de droit public qui a conclu un contrat autre que de louage de services peut, par clause compromissoire ou par compromis, soumettre à arbitrage tout litige né de ce contrat et l’opposant à l’un de ses co-contractants.

Article 2

Le litige soumis à arbitrage est jugé selon les règles qui lui sont applicables en vertu de la loi française, sous réserve des cas où celle-ci autorise les parties à déterminer le droit applicable.

Article 3

La clause compromissoire ou le compromis est conclu par l’autorité compétente pour passer le contrat.

Article 4

Lorsque la conclusion d’un contrat requiert l’autorisation d’un organe délibérant, la clause compromissoire fait l’objet d’une délibération distincte.

Article 5

Lorsqu’un contrat est conclu à l’issue d’une procédure donnant lieu à la présentation d’offres concurrentes et qu’une clause compromissoire est envisagée, celle-ci n’est pas soumise à la consultation des candidats mais est négociée avec l’attributaire du contrat.

Article 6

Lorsque le litige relève de la compétence de la juridiction administrative, la procédure arbitrale est régie par les articles L. 5 et L. 8 à L. 10 du code de justice administrative ainsi que par les règles fixées par décret en Conseil d’État.

Article 7

L’article L. 821-2 du code de justice administrative est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions du présent article ne s’appliquent pas lorsque le Conseil d’État est saisi d’un pourvoi en cassation dirigé contre une sentence arbitrale. Toutefois, sur la demande motivée d’une partie, le Conseil d’État peut régler l’affaire au fond après cassation ».

Article 8

Sous réserve des mentions couvertes par un secret protégé par la loi, la personne morale de droit public partie à un litige ayant donné lieu à une sentence arbitrale communique celle-ci aux personnes qui en font la demande dans des conditions définies par décret en Conseil d’État.

Dispositions diverses

Article 9

I. L’article L. 711-1 du code de l’éducation, l’article L. 321-4 du code de la recherche, l’article 69 de la loi du 17 avril 1906 portant fixation du budget général des dépenses et des recettes de l’exercice 1906 et l’article 9 de la loi n° 86-972 du 19 août 1986 portant dispositions diverses relatives aux collectivités locales sont abrogés.

II. L’avant-dernière phrase du huitième alinéa de l’article L. 711-1 du code de l’éducation est supprimée, et au premier alinéa de l’article L. 321-4 du code de la recherche, les mots : « et à recourir à l’arbitrage en cas de litiges nés de l’exécution de contrats de recherche passés avec des organismes étrangers » sont supprimés.

III. L’article L. 311-6 du code de justice administrative est ainsi rédigé :

« Art. L. 311-6. – Par dérogation aux dispositions du présent code déterminant la compétence des juridictions de premier ressort, il est possible de recourir à l’arbitrage dans les cas prévus par la loi n°          du                   sur l’arbitrage des différends impliquant des personnes publiques et dans les cas prévus par :

1° Le second alinéa de l’article 2060 du code civil ;

2° L’article L. 112-24 du code du patrimoine ;

3° L’article 25 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs ;

4° L’article 28 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de la poste et des télécommunications ;

5° L’article 3 de la loi n° 97-135 du 13 février 1997 portant création de l’établissement public “Réseau ferré de France” en vue du renouveau du transport ferroviaire. »

Dispositions transitoires

Article 10

Les dispositions du présent article ne s’appliquent pas aux instances arbitrales en cours à la date de publication du décret pris pour leur application.


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