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N° 3244

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 mars 2011.

PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE

visant à renforcer l’égalité entre salariés issus du privé et fonctionnaires
dans l’accès au
mandat de député,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Muriel MARLAND-MILITELLO, Charles de COURSON, Alfred ALMONT, Brigitte BARÈGES, Marc BERNIER, Françoise BRANGET, Patrice CALMÉJANE, Georges COLOMBIER, Marie-Christine DALLOZ, Jean-Pierre DECOOL, Bernard DEFLESSELLES, Sophie DELONG, Dominique DORD, Yannick FAVENNEC, Jean-Claude FLORY, Nicolas FORISSIER, Marie-Louise FORT, Jean-Michel FOURGOUS, Marc FRANCINA, Yves FROMION, Franck GILARD, Louis GISCARD d’ESTAING, François-Michel GONNOT, Michel GRALL, Arlette GROSSKOST, Louis GUÉDON, Christophe GUILLOTEAU, Michel HERBILLON, Jacqueline IRLES, Maryse JOISSAINS-MASINI, Pierre LASBORDES, Jean-Marc LEFRANC, Lionnel LUCA, Daniel MACH, Franck MARLIN, Jean-Claude MATHIS, Christian MÉNARD, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Georges MOTHRON, Alain MOYNE-BRESSAND, Jean-Pierre NICOLAS, Yanick PATERNOTTE, Bernard PERRUT, Jean ROATTA, Marie-Josée ROIG, Valérie ROSSO-DEBORD, Jean-Marie SERMIER, Fernand SIRÉ, Lionel TARDY, Michel TERROT, Patrice VERCHÈRE, Michel VOISIN, André WOJCIECHOWSKI, Pierre-Christophe BAGUET, Émile BLESSIG, Dino CINIERI, Anne GROMMERCH, Francis HILLMEYER, Jean-Christophe LAGARDE, Yves NICOLIN, Bérengère POLETTI, Michel SORDI, Jean-Claude THOMAS, Michel ZUMKELLER, Étienne BLANC et Loïc BOUVARD,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Afin d’accroître l’égalité d’accès à la fonction de député et ainsi permettre une plus grande mixité et un plus grand renouvellement des élus siégeant au Palais Bourbon, 37 députés ont déposé un amendement initié par Muriel Marland-Militello. Cet amendement no 24 proposait d’obliger les députés appartenant à la fonction publique, à choisir, après deux mandats parlementaires successifs, entre le statut de la fonction publique et la fonction de député, en cas d’une troisième réélection consécutive.

Examiné en hémicycle le 21 décembre 2010, l’amendement no 24 au projet de loi organique relatif à l’élection des députés est adopté à 0 h 36. Coup de théâtre ! À 1 h 27, le Gouvernement usant de ses prérogatives demande une deuxième délibération et obtient l’annulation de l’amendement no 24.

I. – UNE ASSEMBLÉE OÙ LES FONCTIONNAIRES SONT SUR-REPRÉSENTÉS

Depuis plusieurs législatures, un bon tiers des membres de l’Assemblée nationale sont issus de la fonction publique. Le taux était de 41 % sous la onzième législature, 30 % sous la douzième législature dont 7 % de hauts fonctionnaires, et pour la législature actuelle (2007-2012), près de 35 % (fonctionnaires et retraités de la fonction publique).

De manière chronique, la fonction publique est donc surreprésentée au sein de l’Assemblée au regard de son poids réel dans la population active. En proportion, il y a près de deux fois plus de fonctionnaires ou de retraités de la fonction publique à l’Assemblée nationale que dans la société française, qui d’ailleurs est bien loin d’être sous-administrée.

Force est de constater que ce statut plus favorable, dont les fonctionnaires ne sont pas responsables, focalise l’attention sur eux et alimente l’« antifonctionnarisme », tout en suscitant l’antiparlementarisme sous prétexte que la composition de l’Assemblée nationale n’est pas assez représentative.

II. – LA SITUATION ACTUELLE

Dispositions communes aux fonctionnaires et aux salariés du privé candidats à un mandat parlementaire

Tout candidat, salarié du privé ou fonctionnaires, peut bénéficier d’un congé (L. 3142-56 à L. 3142-59 du code du travail).

D’un point de vue pratique, ces facilités de temps s’analysent comme des autorisations d’absence non rémunérées. La personne concernée est libre de choisir à quel moment et pour quelle durée elle souhaite en bénéficier à la double condition que chaque absence soit au moins d’une demi-journée entière et qu’il en avertisse son employeur au moins vingt-quatre heures avant (art. L. 3142-57 du code du travail). L’employeur, qu’il soit privé ou public, ne peut alors pas s’opposer à cette absence.

Il convient de souligner que la durée de ces absences est assimilée à une période de travail effectif pour la détermination des droits à congés payés ainsi que des droits liés à l’ancienneté.

Il est à noter que le fonctionnaire bénéficie tout de même d’un avantage comparatif avant l’élection, lors de sa campagne : l’agent qui souhaite bénéficier de plus de 20 jours d’absence peut demander à être placé en position de disponibilité pour convenances personnelles. L’administration ne peut s’opposer à cette demande qu’en raison des nécessités de service, contrairement à un congé sans solde dans le privé où l’employeur peut toujours s’opposer.

Après l’élection, des conditions de retour à l’emploi différentes

* Le salarié de droit privé français

Le contrat de travail d’un salarié membre de l’Assemblée nationale ou du Sénat est, sur sa demande, suspendu jusqu’à l’expiration de son mandat, s’il justifie d’une ancienneté minimale d’une année chez l’employeur.

À l’issue de son ou ses mandats, si la période de suspension du contrat n’excède pas 5 ans (art. L3142-62 du code du travail), le salarié retrouve son précédent emploi, ou un emploi analogue assorti d’une rémunération équivalente, dans les deux mois suivant la date à laquelle il a avisé son employeur de son intention de reprendre cet emploi.

Il bénéficie alors des avantages acquis par les salariés de sa catégorie durant l’exercice de son mandat.

Une réadaptation professionnelle en cas de changement de techniques ou de méthodes de travail est prévue.

Lorsque le mandat est renouvelé (sauf si le premier mandat a duré moins de cinq ans) ou si le salarié élu passe d’une assemblée à une autre, le contrat de travail du salarié est rompu. Il bénéficie simplement d’une priorité de réembauche pendant une durée d’un an.

Dans les faits, cette garantie est difficile à mettre en oeuvre, particulièrement dans les PME, ce qui renforce la prise de risque pour un salarié de s’engager dans un mandat législatif.

* Le fonctionnaire français

En cas d’élection à un mandat parlementaire, un décret du 16 septembre 1985 prévoit que ce fonctionnaire est mis, de droit, en détachement. L’article 45 de la loi du 11 juillet 1984 portant statut général de la fonction publique définit le détachement comme la position d’un fonctionnaire placé hors de son corps d’origine mais qui continue de bénéficier, dans ce corps, de ses droits à l’avancement et à la retraite.

S’agissant des droits à la retraite, en 2007, un amendement de Michel Diefenbacher, Daniel Garrigue et Didier Quentin a été adopté dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008. Cet amendement a mis un terme à une anomalie qui permettait, aux fonctionnaires élus au Parlement, de pouvoir continuer à cotiser à leur régime de retraite de fonctionnaires et à y acquérir des droits, alors même qu’ils sont obligatoirement affiliés aux régimes de pension de l’Assemblée nationale et du Sénat. Désormais les députés issus de la fonction publique ne peuvent plus, pendant la durée de leur mandat parlementaire, continuer à acquérir de droits à retraite dans le régime de la fonction publique.

Après ses mandats, le fonctionnaire en position de détachement peut réintégrer son corps d’origine à tout moment, quelle que soit la durée de ses mandats. Ayant été placé en position de détachement et non de disponibilité, le député issu de la fonction publique aura bénéficié de son avancement d’échelon durant ses mandats, ce qui constitue un immense avantage comparé au salarié du privé.

La prise de risque est donc complètement différente. Ainsi subsiste-t-il toujours une inégalité majeure entre le statut du salarié et celui du fonctionnaire s’agissant de l’accès au mandat de député : les députés issus du privé doivent, dans les faits, bien souvent abandonner leurs fonctions professionnelles, et prendre le risque de ne pas retrouver leur place, une fois qu’ils ne seront plus députés.

III – DES EXEMPLES CHEZ NOS VOISINS

Au Royaume-Uni, le principe est celui de la démission du fonctionnaire avant de faire acte de candidature. En effet, le respect de la neutralité oblige la plupart des fonctionnaires à ne pas participer à des activités de campagnes électorales. Seuls les fonctionnaires d’exécution et les fonctionnaires affectés à des emplois techniques, dits « fonctionnaires politiquement libres » peuvent participer à des campagnes électorales.

En outre, en application de la loi sur l’inéligibilité à la chambre des communes de 1975, les hauts fonctionnaires, les juges, les ambassadeurs, les membres des forces armées et des forces de police, les membres rémunérés des conseils d’administration d’entreprises nationales et d’entreprises privées nommés par le gouvernement, ainsi que les membres du conseil de la banque d’Angleterre sont inéligibles.

Seuls les fonctionnaires « politiquement libres » peuvent être réintégrés dans leur emploi s’ils ne sont pas élus. Ils doivent en faire la demande dans la semaine qui suit la proclamation des résultats.

À la cessation du mandat, et malgré la démission, un fonctionnaire « politiquement libre » doit être réintégré dans son administration d’origine, sous certaines conditions : une absence de moins de 5 ans de son emploi, et 10 ans d’activité préalables au mandat. La demande doit être présentée dans les trois mois suivants la fin du mandat, et si les deux premières conditions ne sont pas remplies, la pratique veut que les demandes soient considérées aussi favorablement que possible.

En Suisse, un employé de la Confédération n’est pas obligé de démissionner pour être candidat à une élection au Parlement. Il doit, en revanche, donner sa démission en cas d’élection, en raison de l’incompatibilité instaurée par l’article 14 de la loi sur l’Assemblée fédérale, aux termes duquel « ne peuvent être membres de l’Assemblée fédérale, les membres du personnel de l’administration fédérale, y compris les unités administratives décentralisées, des services du Parlement, des tribunaux fédéraux, du secrétariat de l’Autorité de surveillance du ministère public de la Confédération et du ministère public de la Confédération, de même que les membres des commissions extra-parlementaires avec compétences décisionnelles, pour autant que les lois spéciales n’en disposent pas autrement ».

Le parlementaire est déchu automatiquement de son mandat dans les six mois qui suivent la date à laquelle l’incompatibilité a été établie s’il n’a pas renoncé entre-temps à la fonction concernée.

IV – MODIFICATION DU RÉGIME D’INCOMPATIBILITÉ

L’incompatibilité se définit comme « l’impossibilité légale de cumuler certaines fonctions ou occupations » avec le mandat parlementaire. À la différence de l’inéligibilité, elle n’empêche pas a priori l’élection, mais elle impose un choix à l’élu dans un temps imparti après la naissance de cette incompatibilité.

Dans son article 25, la Constitution de 1958 prévoit qu’il appartient à la loi organique de fixer le régime des incompatibilités parlementaires, compétence réaffirmée à plusieurs reprises par le Conseil constitutionnel.

Agir en faveur d’un plus grand renouvellement du personnel politique et d’une plus grande mixité de la représentation nationale : un impératif démocratique

Dans ce but, la présente proposition de loi organique vise à réduire l’avantage comparatif actuel en rendant la réalisation d’un troisième mandat consécutif incompatible avec le statut de fonctionnaire. Cette échéance a été choisie de manière à ne pas stigmatiser les députés-fonctionnaires puisque la durée moyenne des mandats parlementaires est de 7 ans et demi (donc inférieure à deux mandats consécutifs).

En outre, les députés élus une troisième fois consécutive qui choisiront de servir la Nation au Palais Bourbon plutôt que dans la fonction publique matérialiseront encore davantage leur engagement, agissant par là même à la fois contre l’antiparlementarisme et contre l’« antifonctionnarisme ».

PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE

Article unique

Après l’article L.O. 142 du code électoral, il est inséré un article L.O. 142-1 ainsi rédigé :

« Art. L.O. 142-1. – La qualité de membre de la fonction publique est incompatible avec la réalisation d’un troisième mandat consécutif de député. »


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