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N° 3270

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 mars 2011.

PROPOSITION DE LOI

visant à garantir l’égalité de rémunération
entre les
femmes et les hommes,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Martine BILLARD, Marie-George BUFFET, Roland MUZEAU, Marie-Hélène AMIABLE, François ASENSI, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Jean-Jacques CANDELIER, André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE, André GERIN, Pierre GOSNAT, Maxime GREMETZ, Jean-Paul LECOQ, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER, et Michel VAXÈS,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis 1972, année de l’inscription dans le code du travail de l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes, pas moins de six lois ont été adoptées spécifiquement sur l’égalité professionnelle, sans compter les décrets, les transpositions de directives européennes, l’accord interprofessionnel de 2004 ou les lois portant diverses dispositions d’adaptation quant aux droits des femmes. Malgré les engagements du candidat Sarkozy et les effets de manches de ses gouvernements, force est de constater que la situation reste d’une cruelle inégalité entre les femmes et les hommes. Aucun de ces textes de loi n’est réellement contraignant et en conséquence, peu nombreuses sont les entreprises qui les appliquent correctement.

Le monde du travail se fait ainsi le miroir de la place des femmes dans notre société. Ce sont elles qui fournissent en plus grand nombre les rangs des précaires de notre pays, ce sont elles qui souffrent le plus de l’inégale répartition des richesses, de l’intensification des cadences, des temps partiels imposés, de la violence au travail, de retraites insuffisantes et, finalement, de l’organisation du travail en général.

Notre République ne peut pas tolérer plus longtemps une telle iniquité. Nous devons prendre collectivement nos responsabilités une bonne fois pour toutes en ne permettant plus à cette situation de perdurer.

Les député-e-s, communistes, républicains et du Parti de gauche, affirment qu’il n’y a pas de situations particulières qui justifieraient qu’un travail égal ne soit pas rétribué de la même façon pour tout le monde et qu’il ne peut s’agir là que d’une situation de pure discrimination.

Nous constatons que le seul engagement à respecter la loi n’est pas suffisant, l’obligation de moyen ayant largement montré son inefficacité. La présente proposition de loi vise donc à mettre en place une obligation de résultats pour les entreprises qui poursuivraient dans cette voie discriminatoire.

*

Des promesses de la droite à la réalité

Le 6 avril 2007, lors de son discours « Femmes et égalité des chances », le candidat Sarkozy avait pris de nombreux engagements concernant notamment l’égalité professionnelle. Autant de promesses qui n’ont jamais été tenues. Parce que, disait-il, « les droits des femmes sont fragiles et incomplets dans leur vie professionnelle », « je donnerai deux ans aux entreprises pour aligner les salaires des femmes sur ceux des hommes ». Fausse nouveauté, c’est exactement ce que prévoyait la loi du 23 mars 2006 : supprimer les écarts de rémunération au plus tard le 31 décembre 2010. Un pur effet d’annonce car les femmes gagnent toujours 27 % de moins en moyenne que les hommes et même 32 % de moins pour les plus diplômées et les plus âgées.

Nicolas Sarkozy avait par ailleurs affirmé qu’il tiendrait cet engagement en contraignant les entreprises « sous peine de sanctions car cela fait cinquante ans que, sans sanction, on n’y arrive pas. » Et c’est bien là que le bât blesse. En quatre ans de mandat, et malgré la promesse qu’il ferait de « l’égalité salariale et professionnelle entre les hommes et les femmes un axe majeur de [son] quinquennat », rien n’a changé. Depuis la loi sur les retraites de l’automne 2010, seule l’ouverture de négociations ou la réalisation d’un plan d’action sur l’égalité professionnelle fait l’objet d’une pénalité et encore, seulement à partir de 2012. On est bien loin des promesses des gouvernements successifs de supprimer l’écart salarial en deux ans en sanctionnant les entreprises.

Pour le reste, le Gouvernement s’est principalement contenté de poursuivre la transposition des directives européennes, notamment sur l’égalité de traitement. Ainsi, la loi du 27 mai 2008 définit les notions de discrimination directe et indirecte, assimile les faits de harcèlement moral et sexuel aux discriminations et renforce la protection des victimes. Mais aucune disposition nouvelle ne concerne les salaires. Cette loi portait pourtant sur « la lutte contre les discriminations ». En évitant d’y inclure les rémunérations, le Gouvernement semble accepter le fait que les différences de salaires ne soient pas une discrimination. Par ce simple fait, il va dans le sens de ceux qui l’expliquent par des éléments structurels (temps de travail inférieur, compétences moindres, etc.) ou pire, par une inégalité naturelle entre les genres.

Il est primordial que toutes les entreprises ouvrent des négociations avec les représentants du personnel sur les questions de l’avancement, de la progression de carrière ou de l’accès à la formation. Il est en revanche impensable que ces négociations n’aient pas d’objectifs de résultats et que l’on laisse perdurer plus longtemps l’inégale rémunération d’un même travail entre les femmes et les hommes. Affirmer l’inverse reviendrait à légitimer que la discrimination dont sont victimes les femmes reposerait sur une inégalité de fait. Le Medef a lui même reconnu dans l’accord interprofessionnel de 2004 que 8 % de l’écart de rémunération hommes-femmes était injustifié. L’Insee estime cet écart directement lié au genre autour de 10 %. Ainsi donc 10 % de l’écart de salaire entre les femmes et les hommes est un pur effet de discrimination lié au genre de la personne.

Les politiques menées depuis 2002 aboutissent à une stagnation, voire à une augmentation des inégalités

En matière d’écart de rémunération entre les femmes et les hommes, l’arrivée au pouvoir de la droite a marqué une dégradation de la situation, la première depuis près de 20 ans. Effectivement, le ratio entre salaire des femmes et salaire des hommes est ainsi passé de 82,1 % en 2002 à 80,8 % en 2008, son plus bas niveau depuis 1995. Il s’agit du premier vrai recul alors qu’entre 1960 et 1995, ce ratio était passé de 65 % à moins de 80 %.

La loi sur les retraites est un bon exemple de politique qui aggrave considérablement la situation. Avant la réforme, le montant moyen de la retraite des femmes représentait 62 % de celui des hommes. Soit une inégalité accrue de près de 20 points entre les périodes d’emploi et de retraites. De plus 30 % des femmes – contre 5 % des hommes – doivent attendre 65 ans pour pouvoir prendre une retraite sans décote. Les femmes partent d’ailleurs plus tard en retraite – 61,4 ans contre 59,5 ans pour les hommes –, et 41 % d’entre elles seulement effectuent une carrière complète contre 86 % des hommes, ce qui entraîne une différence de vingt trimestres cotisés – 137 contre 157. En conséquence, le montant moyen des retraites des femmes est de 826 euros quand celle des hommes est supérieure à 1 600 euros. La loi sur les retraites, en repoussant l’âge légal de départ, va donc largement accentuer une situation où 8 retraitées pauvres sur 10 sont d’ores et déjà des femmes.

Une précarité qui touche spécifiquement les femmes

Ces exemples ne sont malheureusement pas les seuls révélateurs des discriminations dont sont victimes les femmes. Elles représentent 47 % des actifs en France mais sont surreprésentées dans toutes les catégories précaires de la société. Elles sont ainsi 50 % des chômeurs inscrits à Pôle Emploi, leur taux d’emploi était de 75 % en 2009 quand il avoisinait 90 % pour les hommes. Elles occupent 60 % des CDD et 82 % des emplois à temps partiel. Les travailleurs en sous-emploi (temps partiel subi principalement) étaient pour plus de 80 % des femmes en 2009.

Multiplier les chiffres ne serait pas d’une grande utilité si l’on n’énonçait pas clairement que le recours à la précarisation institue bien souvent le travail des femmes en variable d’ajustement du système et est de façon structurelle l’apanage des politiques libérales. Ces dernières s’appuient largement sur l’instrumentalisation du travail féminin pour en tirer profit via des salaires plus bas, des conditions de travail inégales ou plus flexibles. Aujourd’hui mieux formées que les hommes et moins bien payées qu’eux, les femmes constituent une richesse importante et une main-d’œuvre corvéable pour les entreprises. Seule une égale rémunération pourra en finir avec cette situation de dumping social.

Or, d’une part le machisme, ancré et entretenu, justifie bien souvent à lui seul une pure logique discriminatoire, d’autre part la logique économique renforce cette perversion quand elle veut que le moindre salaire des femmes permette de rattraper « le coût supplémentaire lié à une grossesse et à la maternité ». Lutter contre la domination masculine ambiante dans notre société passe donc aussi par une égalité stricte et appliquée des salaires.

L’égalité entre les femmes et les hommes, un principe fondamental de notre République

Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 sur lequel s’appuie la Constitution française proclame dans son article 3 que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ». Parmi les premières revendications pour les droits des femmes, y compris dans les cahiers de doléances de la Révolution française, il y a toujours eu une lutte pour que les femmes puissent bénéficier, outre des droits politiques et civiques, des mêmes droits économiques que les hommes et, pendant bien longtemps, que leurs maris. Cela a toujours constitué un principe des conditions de l’émancipation et de la lutte contre la misogynie : droit et accès au travail puis plus tard, accès et gestion aux comptes bancaires, séparation des biens, et aujourd’hui rémunération égale à travail égal.

Garantir l’égale rémunération effective des hommes et des femmes est l’un des éléments nécessaires – bien que non suffisants – pour atteindre l’autonomie financière, sociale et gagner une nouvelle bataille pour l’émancipation. Bien que d’autres éléments soient à prendre en compte comme l’accès à la formation, à des services publics améliorés ou nouveaux (comme celui de la petite enfance), à des congés liés à l’arrivée des enfants repensés, la présente proposition de loi vise à renverser une logique de précarisation des femmes et de mise en concurrence des travailleurs.

Car l’existence encore aujourd’hui de tels écarts démontre que ce combat pour l’égalité est loin d’être arrivé à son terme. Aussi, nous posons que lutter contre l’obscurantisme de la domination masculine et pour la liberté des femmes, contre leur instrumentalisation libérale et pour une égalité sociale, passe par l’obtention définitive et effective du droit à une rémunération égale à travail égal. Pour que les combats, au cours de l’histoire, de toutes ces femmes et de tous ces hommes, illustres et anonymes, n’aient pas été vains.

*

Une proposition de loi pour l’égale rémunération entre femmes et hommes.

La loi sur les retraites de l’automne 2010 contient, dans son article 99 portant sur la négociation relative à l’égalité entre les femmes et les hommes, un moyen de contourner les négociations. Il s’agit d’une régression car, contrairement à la rédaction précédente du projet, la loi prévoit que l’obligation d’un accord soit remplacée par celle d’un accord ou d’un plan d’action. À la différence de l’accord, qui est négocié avec les représentants du personnel, ce plan d’action est décidé de façon unilatérale par l’employeur. Par ailleurs, la simple déclaration d’un plan d’action suspend pendant trois ans l’obligation d’intégrer la question de l’égalité de rémunération entre femmes et hommes dans les négociations annuelles obligatoires (NAO). Enfin, bien qu’une pénalité ait été introduite, l’article ne prévoit pas de nouvelle date butoir, revenant ainsi sur l’idée de contraindre à une obligation de résultats.

Dans le cadre d’une négociation avec le ministère du travail, les organisations syndicales ont accepté la modification du rapport de situation comparée (RSC) qui doit permettre de mesurer les inégalités entre les femmes et les hommes. Peu sont les entreprises qui l’ont mis en œuvre à ce jour alors qu’elles sont tenues de le faire.

Or, le décret d’application du nouveau modèle de RSC n’a toujours pas été publié. Un vide juridique est ainsi créé, qui permet aux entreprises d’échapper à cette obligation, fragilise les conditions de réalisation d’un constat précis des inégalités de situation professionnelle, et par conséquent freine les possibilités de remédier à ces inégalités.

L’absence d’obligation de résultats ouvre la voie à des accords de branche qui ne font que reprendre strictement la loi. D’autres accords ne respectent même pas les obligations portant sur l’égalité. Jusqu’ici, l’administration les refusait, mais maintenant, elle se contente d’émettre des réserves. Cette pratique met les organisations syndicales dans une situation contradictoire : soit elles acceptent ces accords mais les femmes sont pénalisées soit elles refusent et il n’y a plus d’accord. Il est à regretter que la modification de la Constitution entrée en vigueur en 2008 ait certes introduit les études d’impact préalables aux votes des lois mais n’ait pas retenu, suite au refus du Sénat, l’obligation d’étude d’impact intégrant la dimension de genre.

Pour les député-e-s, communistes, républicains et du Parti de gauche, ces nouvelles dispositions introduites dans la loi sur les retraites aboutissent donc à une stagnation, voire à une régression dans l’avancée vers l’égalité effective des salaires entre les femmes et les hommes.

La présente proposition de loi vise donc à instaurer une pénalité pour les entreprises qui, au 31 décembre 2012, ne respecteraient pas l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes telle que définie par le code du travail.

Cette pénalité concerne les entreprises qui ont d’ores et déjà l’obligation de mettre en œuvre des négociations ou des plans d’actions sur l’égalité professionnelle. Elle est calculée sur la base de 10 % de la masse salariale sur la période constatée de non respect de l’égale rémunération entre les femmes et les hommes.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Après l’article L. 2242-7 du code du travail, est inséré un article L. 2242-7-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 2242-7-1. – La suppression effective des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes doit être réalisée au plus tard au 31 décembre 2012. A défaut, les entreprises d’au moins cinquante salariés sont soumises à une pénalité à la charge de l’employeur lorsqu’elles ne respectent pas l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes telle que considérée par les articles L. 3221-2 et suivants de ce présent chapitre.

« Le montant de la pénalité prévue au premier alinéa du présent article est fixé au maximum à 10 % des rémunérations et gains au sens du premier alinéa de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et du premier alinéa de l’article L. 741-10 du code rural et de la pêche maritime versés aux travailleurs salariés ou assimilés au cours des périodes au titre desquelles l’entreprise est en infraction aux articles mentionnés au premier alinéa. Le montant est fixé par l’autorité administrative, dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État, en fonction des efforts constatés dans l’entreprise en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ainsi que des motifs de sa défaillance quant au respect des obligations fixées au même premier alinéa.

« Le produit de cette pénalité est affecté au fonds mentionné à l’article L. 135-1 du code de la sécurité sociale. »


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