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N° 3364

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 avril 2011.

PROPOSITION DE LOI

relative aux conditions d’adoption des prescriptions de l’État
dans les
domaines de compétences des collectivités territoriales,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Messieurs

Michel BOUVARD, Vincent DESCOEUR, Jean-Michel FERRAND, Jean-François MANCEL, Jean-Claude MATHIS, Jean-Marie MORISSET, Alain MOYNE-BRESSAND et Jean-Marie ROLLAND,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Si la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 a officiellement consacré le caractère décentralisé de la France, notre pays n’a pas encore conféré aux collectivités territoriales et à leurs élus un degré d’autonomie et de responsabilité en pleine adéquation avec les exigences d’une véritable démocratie locale.

Le fait est que la décentralisation à la française se doit de concilier la libre administration des collectivités territoriales avec les impératifs d’une République déclarée indivisible et assurant l’égalité de tous devant la loi. Comme le Conseil constitutionnel l’a lui-même précisé, la première doit s’exercer dans le respect des prérogatives de l’État. Bien que cette jurisprudence ait vu le jour avant la révision constitutionnelle de 2003, elle implique des exigences qui n’ont point été remises en cause par celle-ci et qui, aux yeux des rédacteurs de la présente proposition de loi, ne sauraient l’être : l’État reste et doit rester garant de valeurs qui, à l’instar du principe d’égalité ou de la solidarité nationale (pour ne citer que ces deux exemples), sont pour ainsi dire inscrits dans l’ADN de notre République.

Pour autant, le nécessaire respect des prérogatives de l’État ne doit pas conduire, pour reprendre les termes du Conseil constitutionnel, à « méconnaître les prérogatives reconnues aux assemblées délibérantes des collectivités territoriales par le troisième alinéa de l’article 72 de la Constitution, aux termes duquel « ces collectivités s’administrent librement par des conseils élus » (décision n° 2004-490 du 12 février 2004). Plus généralement, les interventions de l’État, aussi légitimes soient-elles dans leur principe, ne sauraient se traduire par des prescriptions qui auraient pour effet de mettre à mal la libre administration des collectivités territoriales, principe clef de l’organisation décentralisée de la France.

Telle est pourtant la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui notre pays.

Parce qu’elles se sont vu confier par la loi l’exercice de certaines compétences, des collectivités territoriales, de plus en plus nombreuses, se trouvent aujourd’hui dans l’obligation de financer, dans les domaines en question, des dépenses résultant de prescriptions de l’État -généralement sans concertation préalable.

En d’autres termes, l’État décide, les collectivités territoriales paient...

Force est de constater que cette déresponsabilisation du décideur répond difficilement aux canons de la bonne gouvernance : comment la démocratie, qui implique que les citoyens jugent les élus sur leur gestion, peut-elle fonctionner lorsque les gestionnaires ne sont pas les décideurs ? Comment un État moderne peut-il continuer à s’accommoder d’un cloisonnement étanche entre les prescripteurs et les payeurs ?

Force est de constater qu’elle nuit gravement la crédibilité de nos engagements européens, car la Commission émettrait probablement de sérieuses réserves sur un programme de stabilité des finances publiques dans un État dans lequel une part considérable des dépenses resteraient durablement imputée à des collectivités qui n’en auraient pas la maîtrise.

En définitive, force est de constater que cette déresponsabilisation hypothèque gravement la soutenabilité des dépenses des collectivités territoriales, comme le démontre malheureusement la situation de nombreux départements : même si les chiffres peuvent varier selon les observateurs, il n’est pas contesté que c’est par dizaines que se comptent les départements menacés, à très court terme, d’asphyxie budgétaire du fait de l’explosion des dépenses obligatoires mises à leur charge, notamment dans le domaine social (allocation personnalisée d’autonomie, prestation de compensation du handicap et revenu de solidarité active).

Il est donc de la responsabilité du législateur de ce saisir, et cela sans délai, de ce problème de fond : comment concilier, d’une part, les prérogatives de l’État et l’objectif de solidarité nationale avec, d’autre part, le principe de libre administration des collectivités territoriales et la soutenabilité de leurs finances publiques ?

Pour y parvenir, la présente proposition de loi, initialement présentée au Sénat par Alain Lambert qui ne put la défendre, vise à responsabiliser l’État prescripteur lorsqu’il prend des mesures dont le financement relève des collectivités territoriales.

Les mesures prévues par celle-ci pour toutes les collectivités territoriales visent à assurer la transparence et le dialogue entre les différentes parties prenantes préalablement à l’édiction de normes par l’État :

– par l’exigence d’une évaluation ex ante de l’augmentation de charge susceptible de résulter pour les collectivités ou leurs groupements des normes ayant pour conséquence d’augmenter, directement ou indirectement, leurs dépenses obligatoires (article 3) ;

– par l’exigence d’une motivation spécifique, mettant en avant les considérations qui permettent de conclure à la sincérité et à la justesse de cette évaluation, lorsqu’une telle norme est adoptée malgré l’avis défavorable ou en s’écartant des recommandations de la commission consultative nationale des normes (article 2) ; dans le même esprit, il est exigé une motivation explicite des décrets pris malgré un avis négatif du Comité des finances locales (article 1er). Cette motivation permettra au juge administratif, en cas de contentieux, de contrôler la justesse et la sincérité de l’évaluation ;

 par l’exigence, toujours en ce qui concerne les normes de l’État ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses obligatoires de collectivités territoriales ou de leurs groupements, d’un dispositif prévoyant les modalités et le montant de la compensation de l’augmentation de charge en question (article 3). Il doit bien être entendu que cette exigence ferait peser sur le Gouvernement une obligation d’information et non, formellement, de compensation : obligé d’indiquer comment et à quelle hauteur il envisage de compenser le surcoût de charge pour les collectivités territoriales, l’État resterait libre dans le choix des modalités et du montant d’une éventuelle compensation ; il pourrait fort bien, juridiquement, aller jusqu’à dire qu’il ne compense que partiellement, voire pas du tout les charges imposées aux collectivités... mais au moins, dans une telle hypothèse, les choses seraient claires et le citoyen mis à même d’apprécier la responsabilité du prescripteur.

Afin d’éviter toute ambiguïté sur le caractère législatif de certaines de ces mesures – et notamment d’éviter qu’une procédure de déclassement puisse les remettre en question du jour au lendemain –, une proposition de loi organique vous est parallèlement présentée par les signataires de la présente proposition de loi ordinaire.

Tel est l’objet de la proposition de loi qu’il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Le troisième alinéa de l’article L. 1211-3 du code général des collectivités territoriales est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Les décrets pris malgré un avis négatif du comité sont assortis d’une motivation explicite. »

Article 2

Le deuxième alinéa de l’article L. 1211-4-2 du même code est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Elle peut formuler des observations et propositions sur l’évaluation envisagée en application de l’article L. 1611-1, y compris, le cas échéant, sur les modalités prévues par le projet de décret pour compenser l’augmentation de charge susceptible d’en résulter pour les collectivités ou leurs groupements ; toute norme qui s’écarte de ces propositions est assortie d’une motivation comprenant l’énoncé des considérations permettant de conclure à la sincérité et à la justesse de l’évaluation et, le cas échéant, de répondre aux autres observations de la commission. »

Article 3

L’article L. 1611-1 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Toute norme de l’État ayant pour conséquence d’augmenter, directement ou indirectement, une dépense imposée aux collectivités territoriales ou à leurs groupements est assortie d’une évaluation de l’augmentation de charge qui en résulte pour les collectivités ou les groupements concernés ; elle prévoit le montant de la compensation envisagée pour ces collectivités et groupements et, le cas échéant, ses modalités. »

Article 4

Les charges qui pourraient résulter pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 403, 575, 575 A et 991du code général des impôts.


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