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N° 3847

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 octobre 2011.

PROPOSITION DE LOI

tendant à conférer aux missions locales la faculté d’agir en justice contre les parents manquant à leur obligation alimentaire
vis-à-vis de leur enfant majeur,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Sophie DELONG, Philippe Armand MARTIN, Philippe BOËNNEC, Jean-Claude BOUCHET, Bernard BROCHAND, Patrice CALMÉJANE, Marie-Christine DALLOZ, Olivier DASSAULT, Bernard DEBRÉ, Bernard DEPIERRE, Dominique DORD, Marianne DUBOIS, Alain FERRY, Gérard HAMEL, Michel HERBILLON, François-Michel GONNOT, Michel GRALL, Arlette GROSSKOST, Louis GUÉDON, Christophe GUILLOTEAU, Françoise HOSTALIER, Jacqueline IRLES, Jacques LAMBLIN, Dominique LE MÈNER, Geneviève LEVY, Jean-Pierre MARCON, Guy MALHERBE, Alain MARC, Muriel MARLAND-MILITELLO, Patrice MARTIN-LALANDE, Henriette MARTINEZ, Jean-Claude MATHIS, Gérard MENUEL, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Bérengère POLETTI, Didier QUENTIN, Michel RAISON, Frédéric REISS, Jean-Luc REITZER, Daniel SPAGNOU, Éric STRAUMANN, Jean-Marie SERMIER, Michèle TABAROT et Marie-Jo ZIMMERMANN,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Il est souhaité la possibilité pour les missions locales d’agir en justice contre des parents afin d’obtenir le remboursement de certaines sommes qu’elles ont été amenées à engager au titre de l’insertion sociale et professionnelle de leur enfant.

I. La portée de l’obligation alimentaire posée par l’article 371-2 du code civil

L’article 203 du code civil dispose que « les époux contractent ensemble, par le seul fait du mariage, l’obligation de nourrir, entretenir et élever leurs enfants ». Les articles suivants précisent les conditions et la nature de cette obligation.

L’article 371-2 du code civil apporte les précisions suivantes :

« Chacun des parents contribue à l’entretien et l’éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins de l’enfant ». « Cette obligation ne cesse pas de plein droit lorsque l’enfant est majeur ».

Cette obligation dite « alimentaire » a un objet relativement large. Elle inclut l’ensemble des besoins d’entretien et d’éducation. Ainsi, à titre d’exemple, les frais nécessités par la formation professionnelle de l’enfant entrent dans son champ d’application (Civ.2, 19 octobre 1977 : Gaz. Pal.1978, Somm.8).

Ce devoir d’entretien ne cesse pas à la survenance de la majorité, comme le rappelle le second alinéa de l’article 371-2 issu de la loi du 4 mars 2002 mais consacrant une évolution jurisprudentielle antérieure à celle-ci. (Civ.2, 12 juil.1971, n° 69-14601).

II. L’impossibilité pour les missions locales, en l’état actuel du droit, de saisir le juge d’une action en remboursement

Les missions locales pour l’insertion professionnelle et sociale des jeunes sont soit des associations (dans la majorité des cas), soit des groupements d’intérêt public. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 5314-2 du code du travail, « elles peuvent être constituées entre l’État, des collectivités territoriales, des établissements publics, des organisations professionnelles et syndicales et des associations ».

Les missions locales, selon l’article L. 5314-2 du code du travail, « ont pour objet d’aider les jeunes de seize à vingt-cinq ans révolus à résoudre l’ensemble des problèmes que pose leur insertion professionnelle et sociale en assurant des fonctions d’accueil, d’information, d’orientation et d’accompagnement ». Leur rôle consiste aussi à favoriser « la concertation entre les différents partenaires en vue de renforcer ou compléter les actions conduites par ceux-ci, notamment pour les jeunes rencontrant des difficultés particulières d’insertion professionnelle et sociale ». Elles ont enfin pour tâche de contribuer « à l’élaboration et à la mise en œuvre, dans leur zone de compétence, d’une politique locale concertée d’insertion professionnelle et sociale des jeunes ».

À ce titre, les missions locales sont amenées, pour aider les jeunes dont elles assurent le suivi, à engager un certain nombre de frais. À titre d’illustration, on peut citer les aides financières à la mobilité ou encore les aides à l’hébergement d’urgence et au logement.

La question se pose de savoir si ces missions locales, après avoir engagé ces frais, peuvent en solliciter le remboursement de la part des parents, sur le fondement de l’obligation alimentaire qui incombe à ces derniers.

La position de la doctrine pourrait inciter à y répondre par l’affirmative. Le professeur Alain Bénabant écrit en effet: « les tiers particuliers ou organismes publics, qui auraient été amenés à exposer des dépenses pour le mineur (soins, etc...) sont en droit de se retourner contre les parents pour en obtenir le remboursement » (A. Bénabant, Droit civil de la famille, 10e édition, 2001 n° 845). Par ailleurs, dotées de la personnalité morale, les missions locales sont en mesure non seulement de contracter (par exemple en vue de l’embauche de salariés de droit privé), mais aussi d’ester en justice (par exemple pour intenter un procès prud’homal).

Toutefois, il est permis de douter que, en l’état actuel du droit, l’action en remboursement d’une mission locale soit recevable. En effet, plus que des payeurs, les missions locales constituent essentiellement des relais pour le financement par d’autres organismes. À titre d’exemple, les missions locales « garantissent l’accès au droit à l’accompagnement des jeunes (…) et mettent en œuvre le contrat d’insertion dans la vie sociale » (CIVIS), pour reprendre les termes de la circulaire n° 2005-09 du 19 mars 2005 de la Direction générale à l’emploi et à la formation professionnelle. Or, le contrat d’insertion est « conclu avec l’État » (article L. 5131-4 du code du travail), et son titulaire « peut bénéficier d’une allocation versée par l’État » (article L. 5131-6 du code du travail). Par voie de conséquence, une mission locale qui en réclamerait le remboursement pourrait se voir opposer l’absence d’intérêt pour agir, sur le fondement de l’article 31 du code de procédure civile qui dispose que «  l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ».

On notera d’ailleurs que, lorsque les organismes publics agissent aujourd’hui en recouvrement de pensions alimentaires, ils le font en vertu de textes exprès. Il en va ainsi en matière d’aide sociale. L’article L. 132-6 du code de l’action sociale et des familles dispose que « les personnes tenues à l’obligation alimentaire instituée par les articles 205 et suivants du code civil sont, à l’occasion de toute demande d’aide sociale, invitées à indiquer l’aide qu’elles peuvent allouer aux postulants et à apporter, le cas échéant, la preuve de leur impossibilité à couvrir la totalité des frais », et l’article L. 132-7 ajoute qu’« en cas de carence de l’intéressé, le représentant de l’État ou le président du conseil général peut demander en ses lieu et place à l’autorité judiciaire la fixation de la dette alimentaire et le versement de son montant, selon le cas, à l’État ou au département qui le reverse au bénéficiaire, augmenté le cas échéant de la quote-part de l’aide sociale ».

Il en va également ainsi des établissements publics de santé, au sujet desquels l’article L. 6145-11 du code de la santé publique précise :

« Les établissements publics de santé peuvent toujours exercer leurs recours, s’il y a lieu, contre les hospitalisés, contre leurs débiteurs et contre les personnes désignées par les articles 205, 206, 207 et 212 du code civil »

« Ces recours relèvent du juge aux affaires familiales »

La jurisprudence n’a pas étendu ce droit aux recours aux établissements de santé privés. En effet, d’après un arrêt de la Cour de cassation du 5 mai 1993 (Civ.1, 5 mai 1993, n° 91-17.037), les dispositions de l’article précité « ne donnent une action directe contre les débiteurs d’aliments qu’aux établissements du service public : le fait qu’un établissement privé soit habilité à assurer l’hébergement des personnes âgées ne l’autorise pas à exercer un recours réservé aux seuls organismes publics ».

Au terme d’un raisonnement analogue, on est conduit à affirmer qu’une mission locale, ayant la forme d’une association de droit privé dans la très grande majorité des cas, ne saurait, en l’absence de tout texte exprès lui donnant compétence pour ce faire, exercer une action en remboursement contre les parents du jeune à qui elle prodigue ses services.

Compte tenu des observations précédentes, il est proposé de permettre aux missions locales de saisir le juge aux affaires familiales aux fins de voir condamner des parents à l’exécution de leur dette alimentaire.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Après l’article L.5314-2 du code du travail, il est inséré un article L.5314-2-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 5314-2-1. – Les missions locales pour l’insertion professionnelle et sociale des jeunes sont subrogées dans la créance alimentaire dont disposent les jeunes majeurs qu’elles aident à l’égard de leurs parents. Elles peuvent exercer un recours contre les personnes mentionnées aux articles 203 et 371-2 du code civil aux fins d’obtenir l’exécution à leur profit de cette obligation alimentaire.

« Ce recours relève de la compétence du juge aux affaires familiales. »


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