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N° 4376

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 février 2012.

PROPOSITION DE LOI

tendant à la suppression du mot « race » dans notre législation,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Michel VAXÈS, Marie-Hélène AMIABLE, François ASENSI, Huguette BELLO, Martine BILLARD, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Marie-George BUFFET, Jean-Jacques CANDELIER, André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE, André GERIN, Pierre GOSNAT, Jean-Paul LECOQ, Alfred MARIE-JEANNE, Roland MUZEAU, Daniel PAUL et Jean-Claude SANDRIER,

député-e-s.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 13 mars 2003 notre Assemblée a discuté de cette proposition de loi qui vise à supprimer le mot race de notre législation. Elle avait été rejetée par la majorité qui prétendait être d’accord sur la philosophie et sur la finalité pédagogique du texte, mais arguait qu’en termes juridiques le dispositif n’était pas transposable en droit. Le président de la commission des lois d’alors faisait également valoir que la proposition de loi avait le mérite de coller à la vérité scientifique et de faire de la pédagogie.

Face aux propos de certains membres du Gouvernement, il nous a paru opportun, près de neuf ans plus tard, de redéposer ce texte tant il apparait aujourd’hui nécessaire de coller à la vérité scientifique et de faire de la pédagogie.

Le terme de « race » n’est apparu dans la législation française que tardivement. C’est le décret-loi Marchandeau du 21 avril 1939 qui a introduit pour la première fois la « race » dans le lexique juridique. Ce texte réprimait la diffamation commise par voie de presse envers « un groupe de personnes appartenant par leur origine à une race ou à une religion déterminée » dans le but d’exciter la haine entre les citoyens et les habitants.

Cela ne veut pas pour autant dire qu’avant cette date le droit français ignorait la distinction entre les individus selon leur origine ou la couleur de leur peau. Si, dans le Code Noir, promulgué en 1685 qui réglait « ce qui concerne l’état et la qualité des esclaves » dans les Antilles françaises et en Guyane, le terme de « race » était absent, ce code avait pourtant pour objet d’établir une distinction entre les « blancs » et les « noirs » et, par là même, divisait implicitement des groupes humains en « races ». Il y avait ceux à qui l’on reconnaissait les droits civils et politiques, et les autres.

Cependant, dans toute la législation coloniale, nous ne trouverons jamais le mot « race » et les « races » n’avaient pas en tant que telles d’existence juridique officielle.

C’est la législation antisémite de Vichy qui érigera la « race » en catégorie juridique explicite. Le législateur d’alors, dans les tristement célèbres lois du 3 octobre 1940 et du 2 juin 1941, érigeait des règles vexatoires et discriminatoires en raison de l’appartenance à la « race » juive. Ces lois s’attachaient d’ailleurs à donner des définitions de la « race » juive.

À partir de 1945, un grand nombre de textes sont venus proscrire les discriminations fondées sur la « race ». S’il s’agissait là d’une réaction contre le nazisme et le régime de Vichy, il n’en reste pas moins que le législateur a conservé le terme de « race » et, par conséquent, cette catégorie juridique.

Malgré lui, et malgré sa volonté de signifier solennellement que les discriminations raciales et les actes commis contre des individus « à raison de leur appartenance ou de la non appartenance à une nation, une race, une ethnie ou une religion déterminée » étaient inacceptables et contraires à nos valeurs fondamentales, le législateur a reconnu l’existence des « races ».

Qu’ils s’agissent de nos textes fondateurs (le Préambule de la Constitution de 1946, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la Constitution de 1958) ou de nos lois ordinaires, nul ne s’est aventuré à donner une définition de la « race ». Et pour cause : la « race » n’a aucun fondement scientifique.

Afin de mettre un terme à cette incohérence qui veut que la « race » constitue une catégorie juridique, alors que l’ensemble de notre législation vise à combattre le racisme, nous vous proposons d’adopter cette proposition de loi qui tend à supprimer le mot « race » de notre législation.

Il convient, en effet, de supprimer de nos textes le mot « race », qui n’a pas de valeur scientifique et sur lequel les idéologies racistes fondent leur conviction, dans tous les cas où il ne se réfère pas à la désignation d’espèces animales.

Rappelons que le fascisme européen, sous ses formes nazie, mussolinienne, franquiste, a porté à son paroxysme la justification de la haine, du meurtre de personnes appartenant prétendument aux « races » inférieures ou cosmopolites, par le moyen du concept de « race ».

Les scientifiques ont prouvé, comme le rappelle François Jacob, que « la distance biologique entre deux personnes d’un même groupe, d’un même village, est si grande qu’elle rend insignifiante la distance entre les moyennes de deux groupes, ce qui enlève tout contenu au concept de race ».

Dès lors, faut-il reprendre à notre compte la question posée par le généticien Albert Jacquard : « Compte tenu des implications biologiques que tant d’écrits, de doctrines et de politiques ont accrochées, de façon indélébile, au mot “race”, ne serait-il pas prudent de l’éliminer, comme on le fait d’un outil inutile et dangereux ? ».

Nous avons la responsabilité d’y répondre positivement, comme tous les groupes parlementaires l’on affirmé le 10 décembre 2002 lors de la discussion de la proposition de loi visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste.

En supprimant la catégorie juridique de « races » nous cesserions de donner une légitimité juridique aux idéologies racistes et nous affirmerions, enfin, qu’elles s’appuient sur un concept qui n’a aucun fondement scientifique.

Dans nos textes de lois, le mot « race » n’apparaît jamais seul et est toujours accompagné d’autres mots comme «origine», « ethnie », « nation », ou « religion ». Sa suppression n’enlèverait rien au contenu des textes concernés et n’empêcherait nullement les poursuites judiciaires pour motif raciste.

C’est pourquoi, nous vous invitons à voter cette proposition de loi qui tend à supprimer le mot «race» dans nos textes de lois et qui se compose, pour ce faire, de trois articles : un article 1er posant le principe général de suppression du mot « race » pour tous les cas où il ne se réfère pas à la désignation d’espèces animales ; et de deux articles d’application, dont un réglant le cas où il est nécessaire de substituer aux adjectifs dérivés du mot « race » l’adjectif « ethnique ». Nous avons pris le parti de ne pas proposer de modification dans le préambule de la Constitution de 1946 et dans la Constitution de 1958, qui sont les textes fondateurs de notre République et qui ont, par conséquent, une valeur historique.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

À l’exception des textes où il se réfère à la désignation d’espèces animales, le mot « race » est supprimé de la législation française.

Article 2

I. – Au premier alinéa de l’article 211-1 du code pénal, le mot : « , racial » est supprimé.

II. – Au premier alinéa de l’article 2-1 du code de procédure pénale, le mot : « , raciale » est supprimé.

III. – Au premier alinéa de l’article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, le mot : « , raciale » est supprimé.

IV. – Au 8° de l’article 212-1 du code pénal, le mot : « , racial » est supprimé.

V. – Au premier alinéa de l’article 226-19 du code pénal, les mots : « raciales ou » sont supprimés.

Article 3

Au 10° de l’article 212-1 du code pénal, le mot : « racial » est remplacé par deux fois par le mot : « ethnique » et le mot : « raciaux » est remplacé par le mot : « ethniques ».


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