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N° 660

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 janvier 2008

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION A L’AMÉNAGEMENT
ET AU DÉVELOPPEMENT DURABLE DU TERRITOIRE


sur
la carte judiciaire

PAR M. Max ROUSTAN,

Député.

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(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire est composée de : M. Christian Jacob, président ; MM. Philippe Duron, Jean Proriol, Max Roustan, vice-présidents ; MM. André Chassaigne, Philippe Vigier, secrétaires ; MM. Philippe Boënnec, Jean-Paul Chanteguet, Jacques Le Nay, Bernard Lesterlin, Yanick Paternotte, Serge Poignant, Mmes Jacqueline Irles, Marie-Françoise Pérol-Dumont, Sylvia Pinel.

SOMMAIRE

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Pages

SYNTHÈSE 5

INTRODUCTION 11

I.— UNE CARTOGRAPHIE JUDICIAIRE DATÉE 15

A.— UNE ORGANISATION INADAPTÉE À L’EVOLUTION DE LA SOCIÉTÉ ET DES CONTENTIEUX 15

B.— UN ÉCLATEMENT DES SITES PRÉJUDICIABLE AU BON FONCTIONNEMENT DE L’INSTITUTION JUDICIAIRE 17

1. Une carte judiciaire marquée par une très grande hétérogénéité 17

2. Les contraintes liées à l’éparpillement des structures judiciaires 19

II.— LA DÉLICATE RÉFORME DE L’ORGANISATION TERRITORIALE DE LA JUSTICE 25

A.— DE NOMBREUSES TENTATIVES INFRUCTUEUSES 25

B.— LE PROJET PRÉSIDENTIEL : LA FUSION DES CARTES ADMINISTRATIVE ET JUDICIAIRE 28

C.— LA RÉFORME PRÉSENTÉE PAR LE GARDE DES SCEAUX 29

1. Une méthode inconstante 29

2. Une réforme peu intelligible 32

D.— LA NOUVELLE CARTOGRAPHIE DES TRIBUNAUX DE COMMERCE, CONCLUSION D’UN CHANTIER DÉJÀ ENGAGÉ 35

III.— UNE MISE EN œUVRE COMPLEXE QUI NE DEVRA OUBLIER NI LES JUSTICIABLES NI LES TERRITOIRES 37

A.— UNE RÉFORME QUI DEVRA ÊTRE ACCOMPAGNÉE DE MOYENS CONSÉQUENTS 37

1. Le volet immobilier : des contraintes fortes, une mise initiale de fonds considérable 37

2. Un accompagnement social indispensable pour conforter la mobilisation des personnels 42

3. La question de l’indemnisation des auxiliaires de justice 46

4. Les autres postes de dépenses prévisibles 52

B.— LA NÉCESSAIRE PRISE EN COMPTE DES BESOINS DES JUSTICIABLES ET DES RÉALITÉS LOCALES 55

1. Les incidences possibles sur les justiciables et les territoires 55

2. Les limites des recours aux nouvelles technologies de l’information et de la communication 58

3. Le maintien d’une présence judiciaire sous des formes adaptées 63

C.— LA RÉFORME DE LA CARTE JUDICIAIRE PEUT-ELLE, À ELLE SEULE, RÉFORMER LA JUSTICE ? 69

CONCLUSION 75

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 77

I.— AUDITION DE MME RACHIDA DATI, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE 77

II.— EXAMEN DU RAPPORT 96

ANNEXES 103

1. LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR 104

2. LES POINTS FORTS DES AUDITIONS 108

3. CARTES 132

4. STATISTIQUES DES JURIDICTIONS 136

SYNTHÈSE

1. Une géographie des tribunaux datée

La carte judiciaire française est issue de plusieurs strates historiques allant des places-fortes médiévales à la révolution industrielle : on retrouve ainsi les plus fortes concentrations de juridictions en Normandie, dans les Flandres, en Picardie ou en Bourgogne, alors que les zones de population se sont déplacées au profit de la région PACA ou parisienne. La dernière grande réforme, faite par ordonnance, date de 1958, même si les tribunaux de commerce ont fait l'objet d'une restructuration en 1999. Pourtant rapports et tentatives de réforme se sont multipliés depuis le projet de tribunal départemental d'Henri Nallet en 1991, au rapport Carrez en 1994, à la mission Errera sous Mme Guigou en l'an 2000 ou aux "Entretiens de Vendôme" organisés par Mme Lebranchu. Faute de volonté politique et de circonstances exceptionnelles, ils n’ont pu aboutir.

Ces disparités territoriales ne seraient pas un mal si elles ne créaient pas des inégalités criantes en termes de charges de travail, pouvant aller de 1 à 3 et un retard dans le traitement des affaires dans les juridictions surchargées. De plus, le corollaire de cette stratification, c'est l'éparpillement des sites et des moyens: la France ne compte pas moins de 1200 juridictions sur 800 sites. D’où certaines difficultés pour faire fonctionner des petites structures en cas d'arrêt maladie ou pour assurer l'impartialité du procès. Ces microstructures n'ont en outre parfois pas d'activité suffisante pour permettre d'acquérir une compétence ou une spécialisation suffisante, de surcroît lorsqu'il s'agit de juges non professionnels. En revanche, l'argument de l'isolement des juges doit être relativisé : au pénal, des pôles de l'instruction vont être créés, indépendamment de toute refonte de la carte judiciaire, tandis que les juges des TI assurent aussi des audiences au TGI. De même, la réforme de la carte judiciaire ne veut pas dire renforcement de la collégialité si les textes sur les procédures à juge unique ne sont pas modifiés.

La majorité des personnes auditionnées, bien conscientes de ces difficultés et de la relative obsolescence de notre carte judiciaire, n'ont pas rejeté le principe d'une réforme mais souligné la nécessité de privilégier une vision pragmatique, fondée sur les réalités du territoire et les besoins des justiciables, ainsi que sur une concertation approfondie.

La réforme actuelle est la concrétisation d'un engagement du Président de la République, qui se résumait en "une Cour d'appel par région et un TGI par département". Ce schéma, séduisant intellectuellement, s'est vite révélé difficile à mettre en oeuvre, même s'il pouvait apporter une réponse intéressante en matière d'unification de la politique pénale. Ce schéma s'est donc assoupli : au total, seuls 23 TGI, soit 1 sur 8, seront regroupés, aucune cour d'appel n'est concernée, mais 178 sur 473 TI, soit le tiers, disparaîtront et une liste de 63 conseils de prud’hommes susceptibles d'être regroupés, soit 23% du total, est désormais soumise à une consultation de 3 mois. 6 TI se substitueront à un greffe détaché, tandis qu’un sera créé ex nihilo à Montbard en Bourgogne. Ces schémas ont finalement été annoncés par le Garde des Sceaux dans chaque région et non directement de Paris et ont fait suite à une consultation nationale et locale- sous l’égide des chefs de cours et préfets- souvent jugée décevante et trop rapide. Ce changement de méthode de la chancellerie, motivé par le souci louable d’aller sur le terrain, n’a cependant pas permis de lever les interrogations sur les lignes directrices de la réforme. En l’absence de réforme organique, la nouvelle carte judiciaire n’entraîne pas non plus de simplification de l’architecture judiciaire, comme le laissait envisager l’idée de tribunal de première instance, finalement abandonnée.

La réforme annoncée se conjugue à la poursuite d'une restructuration des tribunaux de commerce, qui a été élaborée sur la base des propositions de la conférence des juges consulaires et bénéficie, quant à elle, d'un travail de réflexion et de concertation débuté il y a trois ans. Les tribunaux de commerce récupèrent aussi l'activité des chambres commerciales subsistant auprès d'une vingtaine de TGI, ce qui permet d'unifier le paysage de la justice commerciale en France. Au total, 55 tribunaux de commerce seront regroupés et 5 seront créés.

2. La réforme de la carte judiciaire : une mise en œuvre complexe, qui ne devra oublier ni les justiciables, ni les territoires

La mise en œuvre de cette réforme s'étalera jusqu’en 2010. Même étalé sur trois ans, ce calendrier reste serré, sachant qu'un certain nombre de contraintes ou d'interrogations se posent aujourd'hui.

La question des moyens est sans doute la première, car, sans moyens adéquats, la réforme porte en elle les germes de son échec. Le remède serait alors pire que le mal : là où l'on attendait plus d'efficacité, ce serait une désorganisation du service public de la justice et des délais plus longs. Le premier poste de dépenses sera l'immobilier, pour lequel il serait souhaitable que le Parlement dispose enfin d'une véritable étude d'impact. Les capacités d'accueil des tribunaux de rattachement sont bien souvent limitées voire inexistantes, ce qui nécessite extension, voire construction de nouveaux bâtiments et locations intermédiaires.

Selon la fourchette basse ou haute des estimations données par le garde des sceaux, la chancellerie devra mobiliser entre 85 et 133 millions d'euros par an pendant 6 ans pour le seul volet immobilier de la réforme. Sachant que devront être poursuivis en parallèle les opérations de remises aux normes, le plan de sécurisation des tribunaux ou le déplacement du TGI de Paris, la chancellerie devra nécessairement surmonter les difficultés qu'elle avait pu rencontrer lors de l'exécution du volet immobilier de la dernière loi de programme. D'autant plus que ces dépenses ne pourront être gagées par la revente des locaux, qui dans leur majorité sont mis à disposition : 55% de la superficie du parc judiciaire appartient aux collectivités locales et ce pourcentage est encore plus élevé pour les juridictions de première instance.

Autre poste de dépenses : l'accompagnement des personnels, soit 1844 personnes, accompagnement essentiel si l'on veut éviter une démobilisation au sein de l'institution judiciaire. L'impact sera beaucoup plus fort chez les greffiers et les catégories C que chez les magistrats, habitués à plus de mobilité. Les greffes sont déjà dans une situation tendue, avec 0,87 greffier par magistrat, et il est prévu un quasi-doublement des départs à la retraite dans les 5 ans : il convient donc de ne pas négliger ce volet. Mme Dati a estimé à 30 millions d'euros le montant de ces mesures, qui devraient comprendre une indemnisation forfaitaire, une allocation complémentaire pour le conjoint, le maintien de la NBI, le remboursement des frais de déménagement, un volet action sociale avec la mise à disposition de logements de la SNI, ou des détachements facilités. Les fonctionnaires seront normalement mutés dans la juridiction de rattachement mais il conviendrait de leur accorder une priorité de mutation pour leurs autres demandes.

La réforme de la carte judiciaire aura aussi un impact sur les auxiliaires de justice. Tout d'abord, les avocats avec le risque de perte de leur clientèle institutionnelle et les surcoûts et pertes de temps occasionnés par les déplacements. Il conviendra à cet égard de revoir le barème de l'aide juridictionnelle, qui ne tient compte des frais de déplacement que pour les seules expertises. La dématérialisation des procédures, qui sera effective avec les TGI au pénal dès cette année et au civil en 2009, permettra d'apporter une première solution, même si rien ne vaut un contact avec le juge. Mais encore faut-il que soit résolu le problème d'équipement des avocats, peu enclins à payer le coût d'abonnement au RPVA (660 euros hors taxe par an) et ses frais d'installation, qui sont supérieurs à un abonnement à Internet. Une aide de l'Etat, à l'instar de ce qui a été prévu pour les médecins pour la Carte Vitale, serait opportune pour les membres des barreaux concernés afin d'éviter une concentration de cabinets auprès du TGI de rattachement, concentration qui pourrait rendre plus difficile par exemple la présence d'un avocat lors de la garde à vue. Plusieurs types de compensations sont envisagés par la chancellerie pour les avocats, pour un montant de 20 millions d'euros : mesures individuelles, multipostulation et extension de la représentation obligatoire. Il conviendra cependant que les mesures à portée générale n'aillent pas à l'encontre du but poursuivi, en renforçant l'activité des cabinets des grandes villes, et qu'elles ne contribuent pas à restreindre l'accessibilité de la justice pour tous. La réforme de la carte judiciaire affectera aussi les huissiers, dont la compétence territoriale devait de toute façon être étendue au ressort du TGI dès 2009, et les greffiers des tribunaux de commerce, pour lesquels des passerelles devraient être envisagées vers les autres professions réglementées dans des conditions temporelles adéquates, ainsi que les personnels de leurs offices.

Indépendamment du volet immobilier et des mesures d'accompagnement, la réforme de la carte judiciaire induira d'autres coûts pour l'Etat : une hausse des dépenses de fonctionnement liées au déplacement des magistrats et greffiers pour les tutelles ou pour les audiences foraines, ainsi qu'une mobilisation accrue des forces de l'ordre pour les escortes. A cet égard, la question du déplacement du juge à la place du détenu se posera de plus en plus. Un recours à la visioconférence s'impose aussi, à condition que les maisons d'arrêt en soient davantage équipées.

Au-delà de ces conséquences pour l'Etat, se pose surtout la question des incidences possibles sur les justiciables et les territoires et de la façon de les atténuer. Il ne faut pas nier l'impact symbolique et psychologique de la suppression d'un tribunal, qui pourrait être interprétée comme un désengagement de l'Etat, et passer aux yeux des petits délinquants pour un affaiblissement de son autorité. D'autant plus que se pose la question de l'avenir des dispositifs locaux de prévention de la délinquance, avec l'éloignement du Parquet. La fermeture d'un TGI, avec ses incidences sur les avocats, ne sera pas neutre non plus pour le tissu économique local et il conviendra que l'Etat engage sous l'égide de la DIACT une réflexion d'ensemble sur l'avenir des services au public dans ces territoires, au moment même où sont annoncées des restructurations de régiments ou d'hôpitaux et que se multiplient des délocalisations d'entreprises.

L'éloignement des juridictions pose la question fondamentale de l'accès à la justice pour la population, éloignement qui peut se cumuler avec des contraintes topographiques ou d'absence de desserte en transports en commun. Dans la Nièvre, par exemple, les habitants des communes limitrophes de l'Yonne devront faire un trajet de 80 kms pour trouver une présence judiciaire, trajet qui devra se faire, pour les personnes dépourvues de voiture, en taxi et en bus, ce qui peut s'avérer onéreux. Cette question se pose d'autant plus pour certaines personnes -personnes âgées, handicapées, ménages aux revenus modestes ou surendettés, ou mineurs- et certains contentieux -petits litiges du quotidien, mais aussi tous ceux nécessitant une comparution personnelle, comme le contentieux prud'homal. Le risque est alors de dissuader une partie de la population de faire valoir ses droits en justice ou d'accroître les décisions prises par défaut en matière de contentieux locatif ou de saisies sur rémunération, ce qui renforcerait l'exclusion des plus fragiles et gonflerait après coup le contentieux de l'exécution. Il est donc fondamental d'examiner les besoins des justiciables selon la nature des litiges et la réalité des territoires pour adapter la présence judiciaire sans créer de "déserts judiciaires".

Le recours aux nouvelles technologies de l'information est une nécessité, indépendamment de la refonte de la carte judiciaire, mais il a ses limites et ne doit pas déshumaniser un peu plus la justice. Une accélération des programmes en cours permet désormais une numérisation des procédures pénales et l'interconnexion entre TGI et avocats en matière civile sera généralisée à compter de 2009. Les TGI viennent d'être équipés en visioconférence. Mais un effort important doit absolument être fait pour les TI et le public qui les fréquente, qui n'a pas d'avocat. La Caisse des Dépôts vient seulement de lancer une étude pour un portail grand public et un logiciel pour la gestion des comptes des tutelles. De même, Mme Dati a signé une convention avec France Telecom pour l'expérimentation de "points visio-public" permettant de suivre une procédure en ligne et de dialoguer avec un correspondant à distance, qui pourraient être implantés dans les mairies ou les maisons de justice. Tous ces projets restent cependant embryonnaires alors que la suppression des TI sera effective fin 2009.

Certes, il existe déjà des formulaires en ligne (injonction de payer ou de faire, déclaration au greffe…) mais ils ne sont jamais utilisés faute d'être connus - une campagne de communication est donc souhaitable - et faute d'accompagnement, car il ne s'agit pas d'un simple formulaire administratif. De plus, tout le monde n'a pas accès à Internet, pour des raisons géographiques, financières ou culturelles. C'est pourquoi il est fondamental d'engager une véritable réflexion sur la proximité de la justice et de prévoir une présence judiciaire adaptée pour irriguer l'ensemble de la société et accompagner le justiciable tout au long de ses démarches où qu'il soit. La réponse doit se situer à plusieurs niveaux : accès au juge et accès à la justice.

S'agissant de l'accès au juge, le Garde des Sceaux a pris des engagements sur l'organisation d'audiences foraines pour les petits litiges du quotidien et pour le contentieux familial dans les "tribunaux d'instance renforcés" au lieu et place des anciens TGI. Il conviendra à la représentation nationale de vérifier sur place le respect de ces engagements et surtout leur pérennité dans le temps car l'organisation de ces audiences, très consommatrices de temps et d'hommes, n'est qu'une faculté laissée à l'appréciation des chefs de cour. Il serait souhaitable d’aller plus loin, en consacrant la notion de "tribunal d'instance renforcé" dans le code de l'organisation judiciaire et son corollaire, l'organisation obligatoire d'audiences foraines pour le contentieux familial.

Au-delà des audiences foraines, il faut réfléchir à une autre forme de réponse judiciaire, située à un niveau différent, celui de l'accès à la justice : c'est tout le travail d'accueil, d'information, d'orientation et de suivi des procédures, qui ne pourra être fait en cas de suppression sèche d'un tribunal. Plus qu'une maison de justice et du droit, structure adaptée à la prévention de la délinquance dans certains quartiers, c'est un véritable guichet unique de greffe, qu'il faut mettre en place dans les territoires affectés par la réforme. La nature des prestations proposées pourrait se traduire par une amélioration du service rendu à la population, dans la mesure où sont réalisées certaines adaptations de nature technique - mise en réseau avec les juridictions, qui pourrait bénéficier d'un appui de la DIACT, la DATAR ayant participé aux expérimentations en matière de télétravail entre des TI et leurs greffes détachés il y a quelques années- et juridiques - adaptation des codes de procédures civile et pénale.

En effet, il s'agirait d'offrir un point unifié d'entrée dans le système judiciaire qui serait capable, quelque soit le type de juridiction compétent, d'orienter le justiciable, de lui remettre les imprimés nécessaires mais aussi d'enregistrer sa demande, à l'exception de celles avec ministère d'avocat, de scanner celle-ci et de la transmettre à la juridiction, d'informer sur le suivi de la procédure, de délivrer une copie du jugement et d'enregistrer les voies de recours. Compte de la nature de ces fonctions, il est essentiel que ce soit un greffier qui anime ce guichet, greffier qui pourrait être issu du tribunal supprimé, après une formation. Conciliateurs, auxiliaires de justice et associations de victime pourraient également tenir des permanences.

Bien entendu, il est évident que l’existence d'une telle structure ne doit pas se traduire par un transfert de charges de l'Etat vers les communes, déjà pénalisées par la disparition du tribunal. Il importe aussi que ces structures soient mises en place avant la disparition des tribunaux, même si, par exemple l'enregistrement des demandes ne peut être réalisé que progressivement. Cela a bien sûr un coût, mais incontournable si le justiciable est bien au cœur de la réforme qu'on souhaite mette en œuvre. Cette logique de guichet unique doit également être importée au sein-même des juridictions pour permettre à chacun de s'informer sur une procédure en cours à partir de n'importe quel tribunal, TI, TGI ou conseil des prud'hommes, même d'un ressort différent.

Cette réforme purement mécanique et géographique ne suffit pas par ailleurs à améliorer l'efficacité de la justice. Elle doit bien sûr être associée à un renforcement des moyens de la justice : la France occupe au sein des pays du Conseil de l'Europe les 33ème et 38ème rangs pour le nombre de magistrat et de personnel non juge pour 100000 habitants. Les créations d'emplois restent donc nécessaires, au-delà des redéploiements permis par la réforme. Il conviendra également de fluidifier la gestion des ressources humaines au sein du ministère de la justice.

Enfin, et c'est essentiel, cette réforme mécanique doit s'inscrire dans une réforme beaucoup plus ambitieuse de la justice, qui redonne plus de lisibilité aux procédures et à la répartition des compétences entre juridictions. Même si celle-ci aurait dû s'engager avant, il est heureux qu'une réflexion soit désormais menée en vue d'une meilleure distribution des contentieux en fonction des justiciables et de la nature des matières traitées. Cette commission sera amenée à préciser les contours du contentieux de proximité, qui n'est pas évident comme le prouvent les divergences sur le contentieux familial, et les matières techniques qui devront faire l'objet au contraire d'une spécialisation pour pouvoir être mieux traitées. Il importe maintenant que ces travaux aillent à leur terme et débouchent sur un projet de loi. Il importe également que ces travaux n'éludent pas la question de la proximité et de l'accessibilité de la justice, pour proposer les adaptations et simplifications procédurales nécessaires à la mise en place de guichets uniques.

Mesdames, messieurs,

Si l’on en croit Montesquieu dans ses Lettres persanes, la justice est éternelle et ne dépend point des conventions humaines. Pourtant, seuls des hommes pourvoient à l’administration et à l’organisation judiciaires. Il y a là une contradiction insoluble, qui impose des compromis forcément imparfaits. Ainsi, la Justice comme vertu ne tolère pas l’erreur, mais aucune administration ne saurait toujours atteindre la vérité, écarter le mensonge, éviter l’erreur. L’appel, la cassation, les nouvelles procédures tentent de toujours restreindre au maximum le risque d’un échec. Ce n’est pas l’histoire récente qui doit décourager les efforts entrepris ni atténuer la vigueur des réflexions à venir.

La territorialisation de la Justice, autrement dit l’implantation des institutions judiciaires sur le sol national, n’échappe pas au paradoxe. Un tribunal poursuit une double mission. Dans les faits, le siège local de l’administration judiciaire est le lieu où se décident les poursuites, où se tiennent les procès, où se vident les litiges. Dans ses représentations symbolique et sociale, il est une incarnation. La juridiction abrite le droit. Pour la République française, par héritage de Saint Louis officiant sous le chêne de Vincennes et de Philippe le Bel sacralisant l’expression de la loi, le droit équivaut à l’État, la Justice au jugement de la Nation. Ceci transforme la gestion territoriale du service judiciaire, l’élève à un niveau différent de celui des autres services publics. Il existe des régions relativement éloignées de l’Université et de la Banque de France ; il n’existe – et il ne doit exister – aucune terre où ne s’exerce une présence judiciaire. À ne pas apercevoir physiquement la Justice, le péril serait grand de douter de son existence. La cartographie des juridictions doit veiller à embrasser l’ensemble du territoire d’un maillage qui ne soit trop lâche. Le citoyen entend recourir à un juge qui soit non seulement rapidement accessible mais de surcroît au fait des difficultés qu’il traverse et des épreuves qu’il surmonte. La proximité de la juridiction conditionne la valeur d’un magistrat et son aptitude à rendre justice, presque autant que sa connaissance technique de la science juridique. La France ne peut se permettre d’y renoncer en éloignant par trop les faits de leurs juges.

L’excès inverse, du reste, porterait tout autant de périls. L’État de droit exige une omniprésence de l’application de la loi, mais pas la multiplication des sites judiciaires. Le tribunal n’a pas vocation à siéger partout, mais au centre de tout et au vu de tous, tout en maintenant une distance qui établit le respect du droit. Le bâtiment transcrit ces caractères. Il trouve sa place au cœur de la cité. Une juridiction ne réside pas dans une maison de justice, laquelle n’a qu’une fonction d’information et d’orientation, mais dans un palais de justice. L’expression laisse apparaître l’ordre, la hiérarchie, et le sentiment diffus que ce qui vit à l’intérieur des murs, la Justice, mérite la position élevée d’une fonction sociale extraordinaire. Le choix presque systématique d’une architecture néoclassique, qui affirme le caractère monofonctionnel de l’édifice et lui confère un aspect immédiatement identifiable, accroît cette particularité. Pénétrer dans l’enceinte judiciaire doit être toujours possible mais jamais commun, car chacun a le droit de réclamer Justice mais, ce faisant, il fait appel à une force supérieure à la société, à la force de l’État qui assure la noble mission de redresser les torts et de préserver l’ordre. Dans cette construction symbolique, la distance joue son rôle. Eloignant modérément le juge du lieu du litige, elle accroît son impartialité tout en concentrant ses moyens humains et matériels.

Le temps entre également en considération. Par ses vertus, la Justice est vénérable, elle s’inscrit par conséquent dans le long terme. Dans ses procédures d’abord, le magistrat s’oppose à la culture de l’immédiateté lorsqu’il s’agit de condamner et de punir – même s’il faut prendre garde à ce qu’une procédure trop longue n’attente par elle-même aux libertés individuelles. Ainsi que l’affirmait Montesquieu, les longueurs de la justice sont le prix que chaque citoyen donne pour sa liberté. Dans leurs implantations ensuite, les juridictions bénéficient de la légitimité des traditions et de l’intemporalité. L’âge des juridictions augmente avec leur importance : Aix-en-Provence et Riom, sièges de cour d’appel, accueillaient déjà les parlements et cours des aides d’Ancien Régime. Il résulte de ce rapport au temps un ancrage puissant aux territoires, mais aussi un attachement permanent au statu quo responsable de l’échec des précédentes tentatives de réorganisation territoriale.

Comment, si la proximité importe autant que la distance, parvenir à concilier les deux dans une organisation territoriale cohérente et performante ? Aucune réponse dogmatique n’est envisageable, car l’activité judiciaire ou demande de justice s’exerce dans des espaces fort différents dont les particularités ne se négligent pas. Une façade maritime étendue, une chaîne montagneuse d’altitude, une desserte limitée par les transports publics, tous les éléments de cette nature doivent trouver leur place dans une modification de la cartographie afin de ne léser aucun citoyen de son droit fondamental à l’égalité devant la Justice.

C’est au nom de ces principes que la délégation à l’aménagement et au développement durables du territoire de l’Assemblée nationale a résolu de se saisir de la réforme de la carte judiciaire annoncée par le Président de la République au printemps 2007 et mise en œuvre par le Garde des Sceaux dès l’été suivant. Certes, la Commission des lois aurait été tout aussi à même de s’enquérir de ce sujet. Toutefois, d’une part la décision du gouvernement de privilégier la voie réglementaire dans son action a signifié l’absence d’examen législatif, d’autre part il eût été probable que la commission, comme c’est son rôle, dirige davantage ses investigations vers le domaine judiciaire que vers des considérations relatives à l’aménagement du territoire.

Votre rapporteur s’est attaché à tous les aspects de la modification de la carte judiciaire, tout au long de ses investigations et des quelques quarante auditions réalisées, qui se sont déroulées à mesure que la réforme acquérait ses contours définitifs. Les intérêts des justiciables ont été mis en perspective avec les contraintes territoriales et les impératifs budgétaires de la Chancellerie. Les dispositifs mis en œuvre pour limiter les impacts humains de la réforme, sur les personnels du ministère comme sur les auxiliaires de Justice, ont fait l’objet d’un examen critique. L’étude des moyens alloués et des conséquences sur le parc immobilier n’a pas été oubliée.

Qu’il soit clair que la nécessité d’une réforme de l’organisation judiciaire s’est imposée dès le commencement des recherches, et que votre rapporteur n’a pas entendu se poser en défenseur d’un statut quo territorial. La carte judiciaire remonte à 1958 et la demande de justice s’est depuis beaucoup transformée. Les populations se sont déplacées, les modes de transport ont évolué, les contentieux ont été modifiés. L’administration de la Justice au XXIe siècle ne peut correspondre aux ambitions des citoyens si elle se limite aux sites qui étaient les siens aux débuts de la Ve République et qui, pour beaucoup, plongent leurs racines plus loin encore. Une adaptation était inéluctable pour permettre à l’institution de satisfaire correctement ses devoirs envers la société.

Néanmoins, la réforme aurait pu – et aurait dû – exprimer de plus grandes ambitions qui l’eussent grandement légitimée, lui épargnant de soulever les contestations exprimées au cours de l’automne. L’idée générale d’une modification de la carte judiciaire faisait l’objet d’un consensus. Il restait à tracer la voie, à définir la stratégie poursuivie et les bénéfices escomptés. Le champ de l’action réformatrice, qui s’est borné à une analyse cartographique de la Justice, se devait d’aborder la question du fonctionnement de l’instance, c’est-à-dire les procédures et la nature ainsi que la répartition des contentieux. Cette démarche avait du sens. Pourquoi n’avoir modifié que les ressorts territoriaux, attributions géographiques, et pas les compétences juridictionnelles, attributions techniques ? Cette méthode aurait permis une vaste concertation, l’examen du parlement, le vote d’une loi d’envergure portant une réforme d’ampleur.

En lieu et place, le gouvernement a préféré adapter immédiatement la carte judiciaire et entamer postérieurement une réflexion sur la répartition des contentieux. Ce choix ne laisse pas d’interpeller. Il eût semblé plus logique de définir au préalable les nouvelles fonctions judiciaires, les contentieux, avant de leur assigner des moyens adéquats, les bâtiments, suivant le degré de proximité qu’exige leur jugement. Procéder à l’inverse, comme cela a été fait, revient à se lier pour l’avenir. En outre, le parlementaire remarque qu’une loi viendra prochainement en complément d’un décret, ce qui n’a guère d’équivalent dans l’histoire constitutionnelle. Enfin, sur la forme, les hésitations relevées dans la méthode et les fuites régulières dont la presse n’a cessé de se faire l’écho doivent être déplorées, même si la décision du Garde des Sceaux de se rendre dans la plupart des sièges des juridictions d’appel a contribué à apaiser le monde de la justice.

Aujourd’hui, la réforme de la carte judiciaire est actée, et la publication des décrets semble imminente. La tâche de suivre leur mise en œuvre revient au Parlement dans son ensemble, pour s’assurer que la qualité de la justice en France demeure élevée et que ni ses personnels ni ses auxiliaires ne viennent à en souffrir. La gestion du parc immobilier de la Chancellerie sera utilement examinée, notamment au cours des débats budgétaires, dans la mesure où ce volet apparaît le plus coûteux et le plus délicat. Plus particulièrement, la délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire s’est attachée à apprécier l’impact de la nouvelle carte judiciaire dans les départements, afin que les justiciables voient préservée leur égalité devant les tribunaux, non seulement en termes d’application de la loi mais en matière d’accès à la justice. Le futur projet de loi de refonte des contentieux, second volet de la réforme de l’organisation judiciaire, devra prendre en compte cette préoccupation qu’exprime le présent rapport. La délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire y veillera, en se saisissant le moment venu des propositions de nouvelle répartition des compétences, pour s’assurer qu’elles respectent les spécificités territoriales, l’impératif d’une forme de justice en tous lieux proche du citoyen – le cas échéant à travers la mise en place de guichets uniques de greffe – et les aménagements promis devant le Parlement au cours des débats de l’automne 2007, tels les « tribunaux d’instance renforcés » et les audiences foraines.

Après avoir constaté les éléments plaidant en faveur d’une révision de l’organisation territoriale de l’administration judiciaire, et à la suite d’un examen du contenu et de la méthode de la réforme, votre rapporteur portera une attention particulière à la nature et au coût des mesures d’accompagnement induites par les décisions décrétées.

I.— UNE CARTOGRAPHIE JUDICIAIRE DATÉE

A.— UNE ORGANISATION INADAPTÉE À L’EVOLUTION DE LA SOCIÉTÉ ET DES CONTENTIEUX

La répartition territoriale des tribunaux, encore appelée carte judiciaire, n’a guère évolué depuis 1958. La densité géographique très variable des juridictions est issue de la superposition de différentes strates historiques, parfois très anciennes. Les plus fortes densités de juridictions se retrouvent encore dans des zones correspondant aux anciennes places-fortes et villes médiévales, qui ont connu, de surcroît, une nouvelle strate avec le premier développement industriel, à l'instar de la Normandie, des Flandres (11 tribunaux de grande instance (TGI), 21 tribunaux d’instance (TI) et leurs 3 greffes détachés, 10 tribunaux de commerce (TC) et 21 conseils de prud’hommes (CPH), soit un total de 63 juridictions civiles du premier degré dans le ressort de la cour d'appel de Douai), de la Picardie (9 TGI, 14 TI et 4 greffes détachés, 9 TC et 13 CPH, soit 45 juridictions civiles de premier degré) ou de la Bourgogne. Reflet de réalités démographiques, sociales ou économiques anciennes, cette densité ne correspond plus toujours à la localisation des bassins d'emploi et de population au XXIème siècle. Comme l'indiquait M. Jean-François Carrez, président de la commission de réorganisation et de déconcentration du ministère de la justice, dans son rapport de 1994, le réseau actuel "traduit une capacité remarquable des juridictions à survivre à la disparition des causes qui les avaient successivement fait naître". La localisation des juridictions non autonomes est également figée ; à titre d’exemple, dans l’Allier, le tribunal pour enfants est toujours situé au chef-lieu de département, alors que la population mineure du département est surtout concentrée dans les ressorts du TGI de Cusset (40,03%) et de Montluçon (31,81%).

Par ailleurs, nonobstant l’évolution des moyens de communication et de déplacement, l’architecture générale de l'institution judiciaire du premier degré repose encore sur une circonscription, l’arrondissement, dont l’emprise géographique définie en 1789 devait permettre au citoyen de faire dans la journée l’aller et retour de son domicile au chef-lieu.

La Révolution ayant entrepris d’établir en France une justice unifiée, ce sont la loi sur l’organisation judiciaire des 16 et 24 août 1790, puis la loi du 27 Ventôse an VIII sous le Consulat, qui ont jeté les bases de l’organisation actuelle des juridictions. La disparition des districts en l’an II (1794) et leur remplacement par les arrondissements ont consacré l’aboutissement de l’évolution initiée en 1789 : les tribunaux de districts sont remplacés par les tribunaux d’arrondissement, tandis que 27 tribunaux d’appels, qui prendront le nom de cours d’appels sous l’Empire, sont créés. À la base de l'organisation des juridictions de droit commun figuraient à l'échelle du canton les juges de paix, qui étaient des juges conciliateurs, tandis que le Tribunal de Cassation siégeait à son sommet. Cette organisation devait perdurer pendant plus d’un siècle.

C’est à la fin de la première guerre mondiale qu’une réforme d’envergure de la carte judiciaire est envisagée pour des raisons essentiellement liées aux difficultés financières particulièrement lourdes connues par la France. Ces difficultés provoquèrent une discussion sur le budget de la justice, qui aboutit à la réforme Poincaré en 1926, visant au remplacement des tribunaux d’arrondissement par des tribunaux départementaux. Mais motivée principalement par des préoccupations budgétaires et non par une analyse de l’organisation et de la demande de justice, la mise en œuvre de cette réforme fut de courte durée, sous la pression conjuguée des élus et des professions judiciaires : la loi du 22 août 1929, en divisant les tribunaux départementaux en autant de sections qu’il existait antérieurement de tribunaux d’arrondissement, consacra le rétablissement implicite de ces derniers, avant qu’une loi du 16 juillet 1930 abroge définitivement les dispositions de 1926. Les anciens tribunaux supprimés en 1926 furent réouverts et devinrent des tribunaux de première instance.

Le système judiciaire n’avait guère subi de modification substantielle depuis le Premier Empire et n’en subira pas jusqu’en 1958 : il subsistait 351 tribunaux de premier instance en 1958, contre 359 sous le Premier Empire. Des arrondissements judiciaires peu peuplés avaient conservé la même structure que ceux connaissant un accroissement démographique et une expansion économique considérables, ce qui ne manquait pas de poser de graves déséquilibres dans la répartition des moyens et la charge de travail des juridictions.

Instituée par voie d’ordonnance, la réforme judiciaire initiée par M. Michel Debré en 1958, tout en laissant subsister conseils de prud’hommes et tribunaux de commerce, a supprimé plus de 2000 juridictions, en remplaçant les 2902 justices de paix et les 351 tribunaux de première instance par 455 tribunaux d’instance et 172 tribunaux de grande instance.

Depuis 1958, en dépit des évolutions démographiques et économiques, les modifications apportées à la carte judiciaire sont restées ponctuelles :

– création de 4 cours d’appel (Reims en 1967, Metz en 1973, Versailles en 1975, Papeete en 1981), de 3 tribunaux de grande instance (Bobigny, Nanterre et Créteil en 1967), 8 tribunaux d’instance (Cagnes-sur-Mer, Aulnay-sous-Bois, Juvisy, Puteaux, Ecouen, Saint-Palais, Auray et Elbeuf), 4 tribunaux de commerce (Créteil, Bobigny, Douai et Foix) et d’un tribunal mixte de commerce à Cayenne ;

– suppression en 1991 de 142 greffes détachés (annexes de tribunaux) n’ayant plus d’existence réelle et redéfinition du ressort des 83 unités dont le maintien se justifiait ;

– suppression de 11 conseils de prud’hommes en 1992.

Compte tenu des critiques soulevées par leur fonctionnement, les tribunaux de commerce ont cependant fait l’objet d’une première restructuration en 1999 (36 tribunaux supprimés), prolongée par la fermeture de 7 autres tribunaux par le décret du 27 mai 2005.

Par ailleurs, la conférence des premiers présidents a lors de son audition soulevé la question de l’inadéquation de l’organisation judiciaire civile par rapport à l’évolution des contentieux : les critères de compétence, qui se réfèrent à un quantum et correspondent davantage à une société rurale, ont vieilli, alors que se sont développés des contentieux massifs, tels celui de la circulation routière, de la petite délinquance ou l’explosion du droit de la famille. En 1958, le droit de la famille ne représentait que peu de choses, compte tenu de la quasi-indissolubilité du mariage, et la délinquance était très structurée et encadrée : ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le traitement du droit de la famille exige souvent une présence physique du justiciable mais il a été rattaché au TGI, alors que beaucoup de nos concitoyens frappent d’abord à la porte de la juridiction la plus proche, qui est souvent le tribunal d’instance.

B.— UN ÉCLATEMENT DES SITES PRÉJUDICIABLE AU BON FONCTIONNEMENT DE L’INSTITUTION JUDICIAIRE

1. Une carte judiciaire marquée par une très grande hétérogénéité

Au total, la France compte 1200 juridictions sur 800 sites et se caractérise donc par une atomisation de ses structures judiciaires. Par comparaison, l’Allemagne, qui compte vingt millions d'habitants de plus que la France, dispose de 830 juridictions de droit commun dont 116 Landgerichte et 24 Oberlandgerichte.

La carte judiciaire ne recoupe pas la carte administrative et ses contours sont parfois irrationnels : ainsi, le département de l'Yonne est-il rattaché à la cour d'appel de Paris, et non à la Cour d'appel de Dijon, alors que ses caractéristiques le distinguent nettement des départements franciliens ; de même, le ressort de la Cour d'appel de Versailles s'étend-il jusqu'au département de l'Eure-et-Loir. Cette situation, peu compréhensible pour le justiciable, peut s'avérer un inconvénient dans les relations entretenues entre les juridictions et les services extérieurs de l'État, notamment dans le domaine pénal. Par ailleurs, les découpages des ressorts des juridictions de première instance de droit commun et des juridictions spécialisées ne sont pas forcément harmonisés, ce qui est source de complexité pour le justiciable : ainsi le ressort d'un tribunal d'instance peut relever de tribunaux de commerce différents. Il n'est pas rare non plus que le siège du conseil de prud'hommes ne soit ni celui d'un tribunal d'instance, ni celui du TGI.

Les tailles des juridictions et de leur ressort sont très hétérogènes, de même que leur répartition géographique, comme l'indiquent les statistiques mis en ligne sur le site Internet « carte judiciaire » du ministère de la justice. On trouve ainsi, pour une population de taille comparable (550 000 habitants), 17 juridictions civiles du premier degré en Saône-et-Loire et 6 seulement, soit trois fois moins, en Indre-et-Loire.

L'éventail des tailles de juridiction est particulièrement ouvert : ainsi sont appelées sous le même vocable une cour d'appel dont le ressort ne dépasse pas 260 000 habitants (Bastia) et une cour couvrant 7, 4 millions de personnes (Paris), de même qu'un TGI compétent pour une population inférieure à 70 000 habitants (Millau) et un autre dont le ressort comprend plus de 2 millions de personnes (Paris). Si l'on exclut les deux extrêmes, l'écart démographique entre les différentes cours d'appel est de 1 à 6 et de 1 à 19 pour les TGI. Il est encore plus important pour les tribunaux d'instance : le ressort du TI de Barcelonnette comprend à peine 10 000 habitants, tandis que celui de Bordeaux en comprend plus de 930 000; le rapport démographique reste de 1 à 69 si l'on exclut les deux extrêmes. De même pour les juridictions spécialisées : le conseil des prud'hommes de Bobigny a un ressort avoisinant 1,4 million de personnes tandis que celui de Bédarieux concerne moins de 20 000 personnes. Le rapport s'élève de 1 à 46 entre la démographie des ressorts des différents CPH, en excluant les deux extrêmes.

De nombreuses disparités peuvent être constatées en termes d'activité (affaires nouvelles), qui vont parfois au-delà des écarts de population entre les différents ressorts : rapport de 1 à 140 pour les CPH, de 1 à 58 pour les TI (affaires civiles), rapport de 1 à 30 pour les TGI (en se référant aux seules affaires civiles nouvelles et en excluant les deux extrêmes), rapport de 1 à 155 pour les TC (hors procédures collectives, en se référant aux seules affaires contentieuses et en excluant les deux extrêmes). Si le tribunal de commerce de Nanterre a connu en 2005 plus de 8300 affaires contentieuses et plus de 1600 procédures collectives, le tribunal de commerce de Die n'a eu que 54 affaires nouvelles et 22 procédures collectives.

Les inégalités dans la répartition des charges de travail entre magistrats et fonctionnaires sont criantes. Le rapport Carrez déjà cité faisait état d'un écart de charge de travail de 1 à 3 pour les magistrats et les fonctionnaires entre les 10 TGI les plus chargés (hors Paris, Bobigny, Nanterre, Créteil et Versailles) et les 10 TGI les moins chargés (hors Corse et DOM). Il évaluait ces écarts de 1 à 5 pour les fonctionnaires et les juges d'instance (pour ces derniers, l'auteur n'avait pas retenu l'écart supérieur de plus de trois points issus des statistiques dans la mesure où les juges d'instance des petites juridictions partagent généralement leur temps entre leur TI et les audiences du TGI de rattachement). Jean-François Carrez mettait également en évidence un phénomène de "sandwich" : Paris et les plus petites juridictions sont généralement proportionnellement les plus dotées en magistrats et fonctionnaires avec des ratios de charges assez bas, alors que les juridictions moyennes, en particulier au sein des zones les plus dynamiques en province, ont des niveaux de charge très élevés. Ainsi, par exemple, en 2005, dans les TGI de Verdun, de Riom, de Bar-le-Duc mais aussi de Paris, le ratio du nombre d'affaires civiles nouvelles par magistrat du siège est inférieur à 150 par an alors qu'il atteint 289 à Boulogne-sur-Mer et 320 à Draguignan.

2. Les contraintes liées à l’éparpillement des structures judiciaires

Cet éparpillement de structures judiciaires ne permet pas une optimisation des moyens. La dispersion des magistrats et fonctionnaires entre des juridictions nombreuses empêche de doter les plus importantes d’entre elles d’effectifs suffisants, ce qui provoque des retards dans le traitement des affaires. Compte tenu de leur charge de travail, les juridictions surchargées ont des difficultés à pourvoir certains postes, situation aggravée par le principe de l'inamovibilité des magistrats.

La petite taille de certaines juridictions et le nombre réduit d’affaires qu’elles traitent ne permettent pas non plus une spécialisation du juge. Cet argument est le plus pertinent pour les fonctions spécialisées (instruction) et les juges non professionnels; il est aussi justifié par le développement de certains contentieux techniques (amiante, construction, etc..) qui continuent à être traités indifféremment dans tous les TGI, même ceux dotés d'une seule chambre. Alors que le droit commercial s'est considérablement complexifié ces dernières années, notamment sous l'influence européenne, 6 tribunaux de commerce ont par exemple connu en 2005 à la fois moins de 100 affaires contentieuses nouvelles et moins de 50 procédures collectives : dans ces tribunaux le ratio ne dépasse pas 12 affaires et 5 procédures collectives par an par juge consulaire.


S'agissant des juridictions du travail, dans le ressort de la Cour d'appel d'Agen par exemple, le ratio d'affaires nouvelles par conseiller ne dépassait pas 5 par an dans 4 des 5 conseils de prud'hommes que compte ce ressort. Or, le droit du travail, est comme chacun le sait, en perpétuelle évolution ; comment dans ces conditions arriver à maintenir une certaine sécurité juridique ?

En revanche, l’exigence de spécialisation paraît sans doute moins prégnante pour les juges d’instance, qui sont par nature des juges polyvalents des petits litiges du quotidien.

Le Garde des Sceaux a également mis en avant la nécessité de renforcer la collégialité et de mettre fin à l'isolement des juges, qui peut conduire dans le domaine pénal à certains drames, tels celui d'Outreau. Il faut cependant rappeler que la création des pôles de l'instruction, prévue par la loi du 5 mars 2007 relative à l'équilibre de la procédure pénale, et qui doit intervenir au plus tard le 1er mars 2008, mettra fin à l'isolement des juges d'instruction pour les affaires criminelles et complexes, tout en conservant une certaine proximité de la justice : comme l'a rappelé M. Pascal Clément, ancien Garde des Sceaux, à l'origine de cette loi, lors de son audition, les affaires seront instruites au sein du pôle mais l'audience aura lieu au sein du TGI saisi à l'origine. La réforme de la carte judiciaire n’est pas non plus, comme cela a pu être dit, le corollaire de la loi du 5 mars 2007, qui ne prévoit dans son article 8 qu’un simple rapport du gouvernement au Parlement « faisant le bilan du fonctionnement des pôles de l'instruction, indiquant la proportion d'informations ayant fait l'objet d'une cosaisine et faisant part des perspectives d'évolution de la carte judiciaire » deux ans après l'entrée en vigueur des dispositions du chapitre de cette loi, et ne concerne que la procédure pénale en matière délictuelle et criminelle et non, par exemple, les tribunaux d’instance.

S'il est bien entendu souhaitable de renforcer d'une façon générale l'encadrement des jeunes magistrats sortant directement de l'Ecole Nationale de la Magistrature, il convient également de rappeler que les juges d'instance, s'ils peuvent être amenés à exercer seuls leurs fonctions au sein d'un TI, sont également magistrats du TGI dont ils dépendent et au sein duquel ils participent à des audiences. Cet isolement est donc relatif. De plus, il ne peut s'agir de renforcer la collégialité au sein des TI, dont les affaires sont traitées à juge unique. De même, il faut rappeler que les contentieux à juge unique se sont multipliés au sein des TGI ces dernières années, notamment pour réduire les délais de jugement, et que seule une intervention du législateur pourra revenir sur cette tendance. Il ne suffit donc pas de réformer la carte judiciaire en regroupant les juridictions pour renforcer la collégialité.

Il n'est en revanche pas contestable que certaines structures judiciaires n'ont pas la taille critique pour assurer une continuité du service public dans de bonnes conditions. Elles éprouvent des difficultés à faire face aux diverses absences (arrêts maladie, congés maternité, vacances) et aux éventuelles vacances de poste. La question se pose en particulier pour les greffes détachés, qui sont des annexes des TI comportant quelques fonctionnaires, compte tenu notamment de la rigidité des règles d'affectation : ainsi, si par exemple un fonctionnaire du greffe de Bolbec tombe malade, il ne sera pas possible de pourvoir à cette absence en mobilisant un fonctionnaire du Tribunal d'instance du Havre, dont ce greffe est l'annexe, ni même un fonctionnaire du greffe détaché de Fécamp, relevant du même tribunal d'instance. Et lors des périodes de congés, l'ouverture au public est difficile à assurer. L'absence d'un greffier en chef peut aussi perturber considérablement le fonctionnement d'un tribunal d'instance, compte tenu de l'impossibilité de déléguer à titre occasionnel certaines compétences aux greffiers dans le silence des textes : il en est ainsi de la surveillance des comptes de gestion, des actes de notoriété, des réceptions de consentement ou des procurations de vote. Le directeur général de la gendarmerie nationale, le général Guy Pareyre, a quant à lui évoqué les difficultés rencontrées par certains gendarmes pour joindre les magistrats de petits TGI lors des procédures pénales, alors que l’intervention du juge est de plus en plus exigée à tous les stades de cette procédure.

La faculté de recourir aux juges placés auprès des chefs de cour (1) permet certes de renforcer occasionnellement les juridictions de petite taille à l'occasion d'un arrêt maladie, de la participation à un stage de formation, d'un congé maternité ou des congés annuels mais cette souplesse figurant dans le statut de la magistrature (article 3-1) n'est pas suffisante à elle seule pour pallier ces difficultés, l'effectif des magistrats placés ne pouvant excéder le 1/15ème du total des emplois de magistrats (siège et parquet) du ressort de la cour d'appel concernée. Mme Anne Caron-Déglise et M. Philippe Flores, coprésidents de l'association nationale des juges d'instance, auditionnés par votre rapporteur, reconnaissent ainsi parfaitement « que les micro-juridictions peinent à assurer un service réel » et « qu'il conviendrait donc d'étudier dans chaque ressort le meilleur découpage permettant de créer des juridictions pouvant au minimum accueillir un juge d'instance à temps complet et 5 fonctionnaires et de conserver un maillage suffisant du territoire ». Ces derniers insistent cependant sur le fait que « cette réorganisation ne doit pas nécessairement se traduire par une suppression de toutes les micro-structures au profit des juridictions centrales », au risque d'augmenter les risques d'inefficacité des structures trop lourdes, mais peut également se faire par le regroupement de petits tribunaux ensemble ou par « le prélèvement de certains cantons sur le ressort d'un tribunal plus important. Il sera peut-être également nécessaire de créer de nouveaux TI ou de déplacer leur siège afin de suivre les migrations de population ».

Se pose également la question du respect des conditions d'impartialité du procès pour les petits TGI, qui ont parfois des difficultés à trouver des magistrats pour assurer une collégialité lors d'un arrêt maladie d'un magistrat : par exemple, s'il y a eu référé, le juge qui a statué en référé ne doit pas normalement faire partie de la formation qui va juger l'affaire au fond. De même, comme l’ont souligné les représentants de l’Union syndicale de la magistrature lors de leur audition, les juges de la mise en état ou des libertés et de la détention ne peuvent juger une affaire dont ils ont déjà eu connaissance, conformément aux exigences de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Mme Perrette Rey, présidente de la conférence des juges consulaires, a aussi rappelé lors de son audition l'obligation pour un juge consulaire qui intervient dans le cadre de la prévention des difficultés d'une entreprise de ne pas participer ensuite à la poursuite de la procédure de redressement ou de liquidation.

La refonte de la carte judiciaire est donc un moyen pour obtenir une mutualisation des compétences, dans un cadre assez contraint de gestion de ressources humaines. D’aucuns avancent également la perspective d’économies d’échelle. M. Philippe Ruffier, inspecteur général adjoint des services judiciaires, a estimé que les gains à attendre en termes d’utilisation des moyens et de renforcement du professionnalisme pourraient être les plus forts pour les conseils de prud’hommes. Cependant, plusieurs personnalités auditionnées ont mis en garde votre rapporteur sur la taille optimale des juridictions à privilégier. Le syndicat FO-Magistrats mais aussi M. Pascal Clément, ancien Garde des Sceaux, ont notamment rappelé que les coûts de fonctionnement des gros tribunaux, tels celui de Bobigny ou de Créteil, étaient les plus élevés et que ces tribunaux donnaient souvent une image déshumanisée de la justice.

Par ailleurs, pour les petits tribunaux de commerce, il est difficile de garantir une indépendance et une impartialité du juge, compte tenu de l'étroitesse du milieu économique : le risque est grand pour un commerçant de voir son affaire traitée par un concurrent; de même, il est difficile de traiter de procédures collectives et de sauvegarde des entreprises dans un climat serein et de donner une nouvelle chance à un entrepreneur, lorsque ses difficultés risquent d'être rapidement connues sur la place publique. Par ailleurs, se pose la question de la présence effective du parquet, qui joue un rôle essentiel de garde-fou, auprès de ces petits tribunaux, lorsque ceux-ci sont éloignés des TGI. La notion de proximité n'est donc pas ici forcément souhaitable. En revanche, l’exigence d’éloignement n’est pas forcément la même pour tous les contentieux : un juge d’instance qui ne connaît pas les réalités culturelles et sociales du ressort de son TI ne sera pas forcément un bon juge pour trancher des affaires de bornage par exemple, en Camargue.

Les problèmes liés à l'entretien des 800 sites et à leur sécurisation ont été évoqués par le secrétaire général du ministère de la justice, M. Marc Moinard. Ce dernier a souligné que les économies qui ont pu être réalisées par le ministère ces dernières années avaient été englouties dans les travaux d'entretien ou de restructuration des différents sites, certaines petites juridictions occupant par ailleurs des locaux surdimensionnés par rapport à leur activité. Votre rapporteur souligne cependant que la refonte de la carte judiciaire ne peut être motivée par une seule motivation budgétaire, comme l’illustre l’échec de la réforme Poincaré de 1926.

M. Moinard a également rappelé l'agression survenue à Metz et le suicide d'un prévenu à Laon en juin dernier et fait part des difficultés de sécuriser des juridictions aussi nombreuses et éparpillées. Il a précisé que les tribunaux d'instance n'étaient pas à l'abri de tels incidents, dans la mesure où ils délivraient par exemple des certificats de nationalité et qu’ils recevaient des publics fragilisés (tutelles, crédits impayés…). Mais il convient de rappeler que les mairies, dans la mesure où elles délivrent désormais cartes d’identité et passeports à la place des préfectures, peuvent être confrontées elles aussi à des réactions de violence des administrés. En outre, un plan de sécurisation des tribunaux a été engagé l’an dernier avec le dégel de 20 millions d’euros et sera poursuivi cette année.

Pour ces diverses raisons, le principe même d’une réforme de la carte judiciaire n’a pas été écarté par une majorité des personnalités auditionnées, qui ont davantage fait porter leurs observations ou critiques sur le calendrier particulièrement contraint retenu par le gouvernement, les modalités et les critères envisagés pour cette réforme ou souligné la nécessité d’engager une concertation poussée en la matière, de privilégier une vision pragmatique et de prévoir un accompagnement suffisant des personnels et des professions juridiques. Il convient en tout état de cause de partir du besoin du justiciable, en jonglant entre les exigences de proximité et de spécialité, la réponse ne pouvant être uniforme sur l’ensemble du territoire pour tous les contentieux.

II.— LA DÉLICATE RÉFORME DE L’ORGANISATION TERRITORIALE DE LA JUSTICE

A.— DE NOMBREUSES TENTATIVES INFRUCTUEUSES

La Justice constitue un pilier de la République, il est par conséquent particulièrement ardu d’entreprendre de modifier son organisation territoriale. De ce point de vue, on aurait tort de considérer la France comme l’archétype suranné d’une société bloquée, réfractaire par principe à l’idée même de la réforme, conservatrice par essence et viscéralement attachée aux symboles jacobins de la présence de l’État. Un rapide examen montre au contraire la permanence des cartes judiciaires dans les pays développés et leur lien profond avec les évènements historiques, plus particulièrement avec les derniers bouleversements institutionnels rencontrés par les États.

En Belgique par exemple, l’organisation judiciaire est demeurée identique depuis que le pays s’est séparé du royaume des Pays-Bas en 1830, s’appuyant même pour la localisation des juridictions sur la cartographie édictée par le régime consulaire français. Pareillement, aux États-Unis, qui sont pourtant issus d’une tradition constitutionnelle et politique bien différente de la France, il faut convenir d’une permanence remarquable de la géographie des tribunaux. Mieux encore, le même attachement au statu quo se révèle dès qu’une tentative s’esquisse en faveur d’un changement de structure et de répartition. « La réforme de la justice n’est pas un sport pour les amateurs de petite brise » a-t-on même coutume de lire outre-Atlantique.

La France, donc, n’est pas une exception en termes d’immobilité des structures et de la cartographie judiciaires. Du XIXe siècle à aujourd’hui, et si l’on excepte la réforme entreprise par Raymond Poincaré en 1926 et celle réussie mise en œuvre par Michel Debré en 1958, toutes les intentions de refonte n’ont abouti qu’à des modifications ponctuelles, les Gardes des Sceaux successifs prenant la mesure des difficultés de conception et des bénéfices incertains de transformations d’envergure. Finalement, le changement ne peut intervenir que dans l’exception, en des temps exceptionnels et par des moyens exceptionnels. En 1958, la France vit des troubles politiques graves qui justifient que soient écartées les contestations politiques, les récriminations des groupes d’intérêt et toute autre contrainte qui, toujours auparavant et toujours par la suite, conduisent au retrait des propositions d’évolution. Fruit d’une volonté politique forte, la réforme de 1958 s’opère formellement par voie d’ordonnance sur la base de l’article 92 de la nouvelle Constitution, c’est-à-dire sans consultation du Parlement. La crainte de bouleversements politiques et d’une remise en cause de la concorde civile par contagion des troubles d’Algérie justifiait que l’on restaure ainsi, de toute urgence et sans prendre l’avis de la représentation nationale, cet attribut de l’État et de la République mêlés qu’est la présence judiciaire sur le territoire. Du reste, pour des raisons d’équité, la mise en œuvre de la nouvelle carte judiciaire s’était accompagnée de mesures financières et sociales en faveur des auxiliaires de justice, ce qui avait permis d’éviter les résistances et de lever les dernières objections.

Les décennies récentes ont confirmé le caractère rarissime de la réforme de 1958. Le poids des traditions, le manque de volonté politique et l’absence d’évènements graves nécessitant des mesures brutales ont figé l’implantation des tribunaux, hormis pour quelques toilettages mentionnés dans la première partie. L’histoire récente de la carte judicaire française ne s’est composée en fait, jusqu’à présent, que d’incitations incantatoires au changement sans conséquence dans les faits.

Ainsi, en juillet 1967, le rapport Bardon sur l’organisation et le fonctionnement des cours et tribunaux judiciaires recommande de mettre en adéquation les ressorts des cours d’appel avec les circonscriptions régionales et de supprimer à l’occasion les tribunaux dont le rendement est jugé insuffisant pour parvenir par la concentration des moyens à une amélioration des performances du service public de la Justice.

De même, au printemps 1973, la direction des services judiciaires est à l’origine du rapport Sadon, qui conseille de revoir l’implantation des juridictions sur le territoire en s’adaptant aux mouvements de population.

En 1980, la commission des lois de l’Assemblée nationale présente un rapport de son président Jean Foyer, ancien Garde des Sceaux du Général de Gaulle, qui préconise entre autres une réforme de la carte judiciaire.

En 1989, le directeur des services judiciaires Mayras envisage une concentration accrue des juridictions de première instance par la suppression de juridictions de premier degré, tribunaux d’instance et de grande instance, jusqu’à parvenir à un unique tribunal de grande instance par département – sauf contrainte géographique ou démographique manifeste. Les tribunaux d’instance ne parvenant pas à un seuil de deux cents jugements par an auraient également été regroupés. Néanmoins, par anticipation de la résistance des élus locaux et de l’hostilité des professionnels du droit, il est préféré une généralisation du système du juge unique.

En 1991, une commission sénatoriale de contrôle élabore un rapport, confié à Jean Arthuis, sur les modalités d’organisation et les conditions de fonctionnement des services relevant de l’autorité judiciaire. Les parlementaires soulignent l’importance fondamentale de la justice de proximité, plus familière, plus lisible, plus proche dans le temps. Cet éloge d’une justice proche du justiciable et, en creux, la critique de l’éloignement des magistrats à fin de concentration des moyens, sont aussi dressés par le commissariat général au plan dans le XIe Plan (1993-1997) qui défend l’immédiateté du lien entre le service public et ses usagers. Mais dans le même temps, le rapport du Sénat recommande une réforme de la carte judiciaire pour prendre en compte les évolutions de la démographie et des activités sur le territoire.

En 1991 toujours, un rapport de la Cour des Comptes sur la gestion des personnels de la Chancellerie préconise des réorganisations au sein des juridictions et, pour ce faire, la modification de la carte judiciaire.

Cette multiplication d’avis favorables à une généralisation de la départementalisation à la fin des années 1980 et au début des années 1990 n’a pas suffi à provoquer la réforme de la carte judiciaire. Sous l’autorité d’Henri Nallet, et par l’intermédiaire d’une mission de modernisation, d’un conseil de pilotage et d’un comité d’experts, la Chancellerie lance seulement une gestion déconcentrée à l’échelon départemental et à titre expérimental. Mise en œuvre sur dix départements puis sur trente-cinq par une circulaire du 8 octobre 1992, l’évolution se résume à confier à un tribunal de grande instance du ressort la charge de centraliser les crédits de l’ensemble des juridictions du premier degré. La cour d’appel reste l’échelon de coordination et de programmation des politiques budgétaires.

La stabilité géographique est donc l’apanage des palais de justice, en témoigne cette longue liste de propositions restées sans suite et la faible ampleur des modifications accomplies ces quinze dernières années. Si l’on se concentre sur les tribunaux de grande instance et les cours d’appel, seules trois modifications apparaissent. Il y a d’une part l’institution à Cayenne, en 1991, d’une chambre détachée de la cour d’appel de Fort-de-France. On relève d’autre part, sous le ministère de Mme Guigou (1997-2000), le déplacement de Carpentras à Avignon de la cour d’assises du Vaucluse ainsi que la transformation du tribunal de grande instance de Bressuire en chambre détachée du tribunal de grande instance de Niort. Cette dernière initiative ne donnait du reste pas pleinement satisfaction et, après trois années passées, Bressuire a retrouvé un tribunal de grande instance de plein exercice, restaurant le statu quo ante.

Passées ces légères adaptations qui ne remettaient pas en cause son équilibre général, l’organisation territoriale de la Justice n’est plus modifiée jusqu’à 2007. Des propositions sont bien formulées durant les Entretiens de Vendôme organisés en 2001, mais rien ne les concrétise. La justice de proximité apparaît avec la loi du 9 septembre 2002, mais elle se caractérise davantage par la faible gravité des compétences transférées aux nouveaux juges que par le lieu où ces derniers officient. Il est vrai qu’aucun évènement exceptionnel comparable à ceux de 1958 n’a rendu possible ni souhaitable une refonte des procédures et des implantations judiciaires. Même une rupture politique majeure comme l’alternance politique de 1981 n’a pas engendré une redéfinition des sites de Justice. Il faut attendre les élections présidentielles et législatives de 2007 pour que la carte judiciaire devienne un enjeu politique, objet d’un engagement fort du chef de l’État.

B.— LE PROJET PRÉSIDENTIEL : LA FUSION DES CARTES ADMINISTRATIVE ET JUDICIAIRE

L’organisation de la justice parvient au centre de l’actualité politique nationale avec la révélation des dysfonctionnements qui ont affecté l’instruction pénale de l’affaire dite d’Outreau. Les épreuves subies par les victimes, l’émotion suscitée dans l’opinion et l’ampleur des interrogations suscitées alors sur le système judiciaire français ont conduit l’ensemble du monde politique à se saisir du dossier. L’Assemblée nationale a joué à cette occasion un rôle central à travers une commission d’enquête spécialement constituée qui, entre le 10 janvier et le 12 avril 2006, a procédé à plus de deux cent vingt auditions pendant plus de deux cents heures. Ses travaux ont été une source majeure de la loi du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale, dite loi Clément. La création des pôles de l’instruction représente la mesure-phare du texte et elle implique un redéploiement des juges d’instruction pour que l’architecture pénale nouvelle s’applique correctement.

Les débats sur l’organisation de la justice n’ont pas éludé le volet territorial. Les mouvements rendus nécessaires par les pôles, bien qu’ils ne concernent que la branche pénale de la justice et, en son sein, les seules affaires nécessitant une instruction, ont restauré l’idée toujours exprimée et jamais concrétisée d’une refonte des implantations judiciaires à l’envergure comparable à celle de 1958. Les magistrats comme les auxiliaires de justice conviennent que le schéma territorial se montre perfectible. Dans le contexte d’une campagne électorale particulièrement marquée par une appétence pour le mouvement et une volonté de rompre avec toute forme d’immobilisme, la carte judiciaire, vieille d’un demi-siècle et dont les racines s’étendent jusqu’à la Révolution si ce n’est jusqu’à l’Ancien Régime, fait l’objet de critiques de toutes parts et notamment des deux principaux candidats.

Pour Mme Ségolène Royal, qui reprend les critiques traditionnelles formulées dès les années 1970, l’action du futur chef de l’État doit s’attacher à « recomposer l’organisation judiciaire en fonction des besoins et de la démographie de la population » (article 59 alinéa 2 du Pacte présidentiel). Si la formule vague ne permet pas de déduire la nature de la recomposition souhaitée, elle révèle sans ambiguïté l’ambition de modifier la carte judiciaire.

Les seize propositions de l’UMP en matière de justice, programme du candidat Nicolas Sarkozy, expriment également la volonté de réformer la carte judiciaire, avec plus de précisions toutefois quant aux objectifs poursuivis. Le premier alinéa affirme souhaiter « réformer la carte judiciaire autour d'une cour d'appel par région et d'un tribunal de grande instance par département. Moins de tribunaux d'instance, mais des tribunaux plus importants. » Le projet semble clair : fusionner les cartes administrative et judiciaire, ou plutôt aligner la seconde sur la première de sorte que chaque ressort de cour d’appel corresponde aux limites administratives d’une région et qu’à chaque tribunal de grande instance corresponde une préfecture. La modification des implantations des tribunaux d’instance obéit à une logique quantitative, relative à la taille du ressort, au nombre de personnels affectés et au volume d’affaires traitées – c’est la réflexion souvent esquissée et jamais appliquée selon laquelle la meilleure justice tient moins à la proximité des hommes qu’à la concentration des moyens. Surtout, car la politique pénale éclipse forcément les dimensions civiles de l’action judiciaire, le bénéfice principal attendu consiste en la coordination des activités des services de police et de gendarmerie, structurés sur une base départementale puisque subordonnés au préfet, avec les impulsions d’un procureur de la République désormais unique. Il n’est pas fait mention des juridictions spécialisées, conseils de prud’hommes et autres tribunaux de commerce.

Une fois l’élection du Président Sarkozy acquise et l’Assemblée nationale constituée, le Garde des Sceaux s’est attaché à mener à bien la réorganisation de la carte judiciaire en partant des orientations tracées au cours de la campagne électorale. En fait, et pour de multiples raisons, il est rapidement fait litière de l’ambition proclamée d’une cour d’appel par région et d’un tribunal de grande instance par département. La conception de la nouvelle carte judiciaire donne pourtant lieu à de multiples manifestations d’opposition, nées tant des annonces contradictoires de la Chancellerie que de ses hésitations sur la méthode de travail à privilégier. Six mois sont finalement nécessaires pour imposer une organisation territoriale qui semble ne satisfaire personne tant les objectifs poursuivis ont perdu de leur évidence, tant les critères de décision retenus paraissent aléatoires, tant la nature des juridictions touchées – exclusivement de premier degré – ne traduit pas ce qu’on pourrait qualifier de rupture.

C.— LA RÉFORME PRÉSENTÉE PAR LE GARDE DES SCEAUX

1. Une méthode inconstante

La conduite d’une réforme dépend des objectifs poursuivis et des instruments normatifs retenus pour lui donner forme, alors seulement peuvent être déterminées la stratégie à suivre et les concertations à envisager pour s’assurer d’un consensus éventuellement nécessaire et toujours souhaitable. En 1958, Michel Debré avait profité des circonstances exceptionnelles de la guerre d’Algérie, de la procédure exceptionnelle de l’article 92 de la Constitution, de la légitimité incontestable du Général de Gaulle à la tête de l’État, et de négociations relativement apaisées avec les représentants du monde de la justice. Cette conjonction favorable lui avait permis d’allier vitesse et satisfaction du plus grand nombre.

En 2007, la situation était-elle comparable ? L’objectif de la réforme semblait clair : de nature purement mécanique, l’alignement des cartes administrative et judiciaire ne nécessitait aucune réflexion poussée dans la mesure où elle excluait d’emblée le champ plus ambitieux d’une réorganisation des contentieux et d’une révision des procédures civile et pénale. Seule la promesse engageant les juridictions d’instance aurait pu justifier de définir des critères et de différer l’action. Mais il ne s’agit pas de la réforme la plus susceptible de susciter des oppositions puisqu’elle n’influence pas la structure des barreaux, et du reste aucune connexité n’existe entre la question des tribunaux d’instance d’un côté, des tribunaux de grande instance et des cours d’appel de l’autre côté. De plus, sans remise en cause des contentieux, la réforme de la carte judiciaire se cantonnait dans le domaine règlementaire. Le gouvernement pouvait éluder l’examen de son projet au Parlement, un décret suffisait. Enfin, en tant que promesse du Président de la République nouvellement élu et programme du gouvernement nouvellement nommé, l’alignement sur le département et la région des structures judiciaires jouissait d’une forte légitimité. Rien ne s’opposait, dès les élections législatives voire dès l’installation du nouveau cabinet, à la publication sans délai des décrets mettant fin à l’héritage de 1958.

L’histoire ne s’est pas déroulée de la sorte. Très vite, des obstacles de taille apparaissent. En termes d’aménagement du territoire d’abord, on ne saurait doter d’un seul tribunal de grande instance un département particulièrement peuplé, ou composé de deux bassins de population distincts, ou divisé entre une zone maritime et un arrière-pays agricole, ou toute autre spécificité rendant inopérante l’unicité des lieux de justice. En termes immobiliers ensuite, il serait délicat d’abandonner des palais de justice monofonctionnels et parfois quasiment neufs telle la cour d’appel de Nîmes, pour devoir bâtir des cités judiciaires de grande ampleur ; le Nord, avant la réforme, comptait sept tribunaux de grande instance et aurait dû les concentrer sur un seul site. L’analyse financière enfin impose de renoncer aux plans initiaux d’alignement des cartes. Selon l’hebdomadaire L’Express, il aurait fallu trois milliards d’euros pour couvrir les coûts de construction, de reclassement et de gestion. Les pistes évoquées pendant la campagne sont abandonnées en même temps que l’option d’une réforme immédiate. Il convient désormais de consulter les différents intervenants du monde de la justice et de provoquer le débat.

La Chancellerie a posé les bases de la consultation à la fin du mois de juin 2007, tout en maintenant le caractère prioritaire de la refonte de la carte judiciaire. Les chefs de cours d’appel ont été sollicités pour recueillir les sentiments exprimés dans leur ressort et pour signaler les suggestions recueillies en terme d’organisation territoriale comme en matière de répartition des contentieux. Parallèlement, une instruction commandait aux préfets de réaliser le même travail pour les élus et les administrations ne dépendant pas du ministère de la Justice. À Paris enfin, un comité consultatif de la carte judiciaire regroupant une cinquantaine de représentants d’organisations syndicales et professionnelles de personnels judiciaires et d’auxiliaires de justice devait formuler des propositions de révision.

Cette superposition d’une structure nationale et de consultations à l’échelon déconcentré n’a pas donné les résultats espérés. L’été ne constitue pas la période idéale pour réaliser l’exercice. Les procédures n’ont pas été similaires au sein des différentes cours d’appels et des préfectures. De nombreux interlocuteurs ont affirmé au cours des auditions ne pas avoir été invités à s’exprimer à l’échelon local, souffrant d’exclusions ressenties comme découlant de l’appartenance à un corps ou à un bord politique plutôt qu’à un autre. Les contributions des chefs de cours se sont révélées fort disparates, peu disposées pour certaines à prôner une réduction du prestige de leur juridiction d’appel, et souffrant toutes de l’absence de projet initial porté par le gouvernement qui eût fourni à tous une base de négociation. Surtout, leur publication tardive sur le site Internet ouvert pour l’occasion a alimenté la crainte de décisions déjà prêtes et tenues secrètes. Il faut d’ailleurs reconnaître une certaine justesse à la rumeur étant donné que les grands quotidiens se faisaient alors régulièrement écho de documents issus de la place Vendôme dont personne, et notamment pas les parlementaires, n’avait eu connaissance auparavant et que les annonces futures ont plus souvent corroborés qu’infirmés. Dans l’intervalle, le comité consultatif n’avait délibéré sur rien ; il continuerait, sans quelques-uns de ses membres qui, irrités par l’inaction, décidèrent de le quitter. Il faut cependant se souvenir que des consultations nationales avaient déjà été menées à plusieurs reprises, depuis une quinzaine d’années, sur la réforme de la carte judiciaire, et que l’identification des positions des acteurs ne souffrait d’aucun manque.

En fait, le Garde des Sceaux a résolu à l’automne de s’extraire du principe d’une décision prise au niveau national pour privilégier les annonces en région, dans chacun des sièges des cours d’appels de France. Le changement de méthode a des avantages certains pour nourrir la réflexion et explorer les pistes les plus pertinentes. Il permet de se rendre compte sur le terrain des réalités démographiques et topographiques, de confronter les arguments avec les acteurs de la vie judiciaire locale, de faire œuvre de pédagogie et de déconnecter les enjeux des différents ressorts. Ses inconvénients ne doivent pas, non plus, être minorés. Si une tournée dans les régions a fragmenté les contestations exprimées auparavant au niveau national, elle a abouti aussi à une succession de manifestations de moindre ampleur mais très fortement mobilisatrices dans les barreaux locaux. De plus, la rapidité des déplacements, souvent concentrés sur une journée, n’autorisait qu’un dialogue bref et interdisait l’examen réel des spécificités locales. Surtout, l’annonce fréquente par la presse du schéma territorial retenu et des juridictions vouées à la disparition avant même que le ministre n’ait atteint la cour d’appel concernée a eu raison de l’image de dialogue attachée à ses déplacements. Une collection de plans régionaux se sont substitués à l’établissement d’une carte nationale unique, pour parvenir finalement à un résultat similaire fin novembre. Le caractère prioritaire du dossier et les récriminations incessantes ne permettaient pas de le laisser s’enliser dans le temps.

De façon plus surprenante, les conseils de prud’hommes et les tribunaux de commerce sont entrés dans le champ de la réforme de la carte judiciaire. On évoquera plus loin les seconds, dont la concertation interne a permis d’envisager des suppressions de tribunaux sans heurt majeur ni manifestation de mécontentement de grande ampleur, si ce ne sont les interrogations forcément provoquées par toute nouvelle situation. L’apparition des premiers ne manque en revanche pas de susciter l’étonnement. La promesse électorale du Président de la République n’en faisait pas mention, leur coût de fonctionnement modéré ne semblait pas remettre en cause leur nombre, la présence restreinte des magistrats professionnels en leur sein – réduite à un juge départiteur qui ne se prononce qu’en cas de partage égal des voix – ne laissait pas supposer qu’il faille également les concentrer. La révision de leurs implantations revêt toutefois une forme spécifique puisque, en application de l’article L. 511-3 du code du travail, le conseil général concerné, le conseil municipal concerné, le conseil de prud’hommes intéressé, le premier président de la cour d’appel, les organisations professionnelles et les organisations syndicales représentatives sur le plan national, les chambres de commerce et d’industrie, de métiers et d’agriculture sont priés de faire connaître leurs observations sur tout projet de suppression dans un délai de trois mois à compter de la publication d’un avis au Journal officiel. Celui-ci est paru le 22 novembre 2007, la phase de consultation ne prendra donc fin que le 22 février 2008, dans un calendrier contraint par les prochaines élections prud’homales, prévues à la fin de l’année.

Finalement, si l’on excepte les conversations informelles (au nombre de deux cent trente cinq) entre des élus et le cabinet du ministère de la Justice, la recomposition de la carte judiciaire n’a été soumise au Parlement qu’à deux reprises. À la fin de l’automne, la présentation des crédits de la loi de finances pour 2008 a largement dévié vers l’expression des interrogations de la représentation nationale sur la pertinence et le bien-fondé des orientations du processus depuis le début de l’été. Ensuite, fin 2007, le Garde des Sceaux a répondu favorablement à l’invitation de la Délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire, pour un dialogue avec les députés qui a permis de mieux exposer les principes directeurs de la réforme et de signaler les tempéraments apportés au projet initial. S’il y a lieu de s’en réjouir et de l’en remercier, il n’en reste pas moins que les critères qui ont présidé à l’élaboration de la carte judiciaire n’apparaissent pas de la plus grande clarté.

2. Une réforme peu intelligible

Les interlocuteurs interrogés lors des auditions préalables à la rédaction du présent rapport ont fait apparaître un rejet massif de ce qui était communément défini comme une réforme de caractère mécanique, c’est-à-dire comme une concentration des moyens de l’administration judiciaire par la suppression d’un nombre plus ou moins élevé de juridictions sans que ne soient abordées les questions de la réforme des compétences et de la répartition des contentieux. Au contraire, tous se déclaraient convaincus de l’opportunité d’une réforme ambitieuse de la carte doublée d’une nouvelle organisation organique de la Justice. Les services de police et de gendarmerie ont été les seuls à défendre le principe d’une réforme purement mécanique à fin de départementalisation des tribunaux de grande instance pour des raisons d’unicité du Parquet et, partant, d’unicité de la politique pénale à appliquer par les services départementaux. Mais puisque la départementalisation n’est plus recherchée, leurs arguments ne peuvent venir au soutien de la réforme dans sa conception définitive, et ils s’attachaient plus exactement à une réflexion sur le rôle et la coordination des procureurs qu’à une modification des sites de juridiction.

La Chancellerie a choisi de faire prévaloir la conception mécanique de la réforme, qu’elle a considérée comme un préalable indispensable à une refonte des contentieux sur laquelle une réflexion sera lancée prochainement. Pour justifier cette réforme, il est argué de la nécessaire concentration des moyens pour parvenir à une plus grande compétence des magistrats, à une impartialité plus nette et à une meilleure administration de la justice en termes de gestion humaine et financière. Ces motivations ont leur pertinence, encore qu’il soit permis de penser qu’il serait plus efficace de lutter contre la solitude du juge en formant de nouveaux magistrats qu’en concentrant les juridictions au risque de priver les territoires d’un symbole fort de la présence républicaine en même temps que d’un instrument de développement économique et de régulation sociale. Le Garde des Sceaux a affirmé que l’institution des pôles de l’instruction n’avait pas de lien direct avec la réforme de la carte judiciaire, ce qui correspond à la conviction acquise à la suite de l’examen des textes législatifs et des multiples auditions réalisées. En outre, il apparaît que les cours d’appel n’entrent pas dans la réforme retenue, sans doute pour éviter les difficultés immobilières et de gestion qu’auraient provoquées des suppressions. La permanence demeure une des qualités les plus remarquables des cours : la réorganisation territoriale se cantonne aux juridictions du premier degré.

Il reste à déterminer où placer le seuil en-deçà duquel l’existence d’une implantation n’est pas indispensable aux citoyens vivant dans son ressort. La Chancellerie a procédé à l’examen des rapports de l’inspection des services judiciaires pour dégager des données traduisant des faiblesses d’activité et de dotations en personnel au regard de la moyenne nationale. Le premier critère semble cohérent puisqu’il mesure la demande de justice des habitants ; le second soulève davantage d’interrogations car il ne fait que traduire les décisions antérieures de la place Vendôme dans l’affectation des fonctionnaires. Ainsi, si on peut juger relativement surnuméraires les dix-huit tribunaux de grande instance traitant moins de 1 500 affaires civiles nouvelles ou moins de 2 500 affaires pénales chaque année, le chiffre de cinquante-quatre tribunaux de grande instance comptant moins de dix magistrats donné par le Garde des Sceaux n’entraîne aucune conviction, sinon celle de l’opportunité de procéder à de nouvelles créations de postes. Les bilans statistiques ont été croisés avec une approche qualitative de l’environnement judiciaire : proximité d’un autre tribunal, présence d’un établissement pénitentiaire, existence d’un tribunal pour enfants. La même logique s’est appliquée aux tribunaux d’instance et aux conseils de prud’hommes.

La diversité territoriale a donc été prise en compte dans la réalisation de la nouvelle carte judiciaire mais le ministre a déclaré avec raison qu’elle ne saurait dissimuler des situations aberrantes héritées de la carte de 1958. Il y a seulement neuf kilomètres entre les conseils de prud’hommes de Halluin et de Tourcoing, ce qui de toute évidence apparaît illogique. Cependant, dans la mouture élaborée en 2007, il faudra au citoyen de Château-Chinon parcourir une distance de près de soixante-dix kilomètres pour accéder au juge de proximité le plus immédiat, désormais situé à Nevers, pour un litige de quelques dizaines d’euros. Il y a pareillement ici une situation de toute évidence anormale.

Le Garde des Sceaux a donné des exemples des réalités territoriales qui ont tempéré les rigueurs statistiques. Les anciennes frontières du duché de Bretagne ont conduit à maintenir la Loire-Atlantique dans le ressort de la cour d’appel de Rennes. La croissance démographique de la Seine-et-Marne a justifié le maintien de trois tribunaux de grande instance. Le développement économique a joué son rôle, par exemple dans l’ouest de la Côte d’Or où la nouvelle carte des tribunaux d’instance tient compte de l’existence d’une gare TGV à Montbard. L’équilibre des territoires a plaidé pour le maintien de deux TGI dans le Loiret. Les zones montagneuses ont conservé plus facilement leurs juridictions d’instance, ainsi Pontarlier dans le Doubs. Enfin, la carte administrative a imposé le maintien d’un TGI dans le territoire de Belfort et, outre-mer, la création d’un tribunal de première instance dans la nouvelle collectivité territoriale de Saint-Martin.

La réforme de la carte judiciaire emporte finalement le passage à 862 juridictions en 2010 contre 1 190 aujourd’hui, dont 158 tribunaux de grande instance contre 181. Il n’y aura plus que 302 tribunaux d’instance pour 476 aujourd’hui. Enfin, la consultation lancée fin novembre suggère la disparition de 63 conseils de prud’hommes sur 271, soit un peu moins du quart. La révision de la carte judiciaire répond effectivement à une logique de concentration de moyens constants ; elle équivaut par conséquent pour l’essentiel à une logique de suppression des petites juridictions plus qu’à une réorganisation complète de la répartition des sites sur le territoire.

Il faut saluer les efforts de conciliation réalisés par la Chancellerie, après les quelques errements dans la méthode mentionnés précédemment, entre la froide logique mathématique et les réalités humaines vécues sur le terrain. Toutefois, cette volonté louable aboutit à une multiplication de critères qui génère, au final, un sentiment de flou et des difficultés à cerner la ligne directrice de la réforme. Initiée avec l’ambition de révolutionner l’organisation territoriale de la Justice autour du principe de départementalisation, elle parvient tout juste à une concentration des moyens existants, sans aborder le domaine pourtant unanimement espéré de la refonte organique, sans entraîner non plus de simplification de l’architecture judiciaire comme le promettait le mort-né tribunal de première instance regroupant l’ensemble des contentieux de premier degré, et sans satisfaire la demande des forces de l’ordre d’un interlocuteur unique parmi les magistrats du Parquet.

Un volet de la réforme doit être abordé tout à fait à part, tant il se distingue des autres par la méthode employée et les critères mis en œuvre. Le Garde des Sceaux a lancé une réforme de la carte des tribunaux de commerce remarquable, car fondée sur la concertation et sur les attentes longuement discutées des juges consulaires.

D.— LA NOUVELLE CARTOGRAPHIE DES TRIBUNAUX DE COMMERCE, CONCLUSION D’UN CHANTIER DÉJÀ ENGAGÉ

Il existe une exception des tribunaux de commerce dans l’histoire récente de la carte judiciaire française : les modifications décidées en 2007 sont pour eux les troisièmes en moins d’une décennie, après la suppression de trente-six sites en 1999 et de sept autre en 2005. Le caractère exceptionnel des dysfonctionnements révélés à la fin des années 1990, qui avait justifié la constitution d’une commission d’enquête parlementaire et suscité l’expression de justice en faillite, a semble-t-il brisé les résistances internes à la réforme. Du reste, la matière économique s’accommode particulièrement mal de la stabilité des structures de régulation de conflit. Entamée pendant l’Ancien Régime, l’implantation progressive des tribunaux de commerce correspond à la constatation d’un besoin ressenti à un instant donné mais qui, depuis, a pu disparaître ou plus probablement se déplacer. L’offre de justice commerciale n’est pas appariée aux besoins, c’était déjà la conclusion de la commission Monguilan en 1973 et du rapport Carcassonne en 1984, conclusion renforcée par le fait que l’ordonnance de la réforme de 1958 n’incluait pas les tribunaux de commerce et que, là où il n’existe pas de juridiction consulaire, l’État s’est substitué aux acteurs du marché en dotant les tribunaux de grande instance de chambres commerciales. Toutefois, le poids des traditions n’a pas suffi à préserver la cartographie de la justice commerciale en 1999, tant était patent le constat du caractère néfaste de la proximité en la matière. S’il est bon, en effet, que le juge connaisse le milieu dans lequel il rend la justice, cette considération ne trouve pas à s’appliquer dans la mesure où le juge est élu parmi ses pairs et, par conséquent, trouve son impartialité exposée à toutes les menaces lorsque ses intérêts entrent en résonance avec l’affaire qui lui est soumise. La proximité, dans cette acception, est plus inquiétante que rassurante. La concentration géographique s’impose, tant pour faciliter la gestion de la juridiction que pour éloigner le juge, pour restaurer l’assurance qu’il n’est aucunement partie au dossier.

Une fois menée à bien la réforme massive de 1999 et sa réplique de 2005, les juges consulaires n’ont pas considéré le chapitre clos. Dès 2004, leur conférence s’est penchée sur des perspectives de réforme, qui ont été discutées l’année suivante dans le cadre du conseil national des juges consulaires, de façon à ne pas avoir à précipiter les débats si une nouvelle concentration était envisagée. Ce travail entrepris sans contrainte de temps a permis d’aborder les évolutions de la tâche : 40 % du contentieux a disparu en dix ans par les effets de la médiation entre négociants, tandis que la technicité du droit économique s’est considérablement accrue pour rendre le seul bon sens insuffisant dans l’administration d’une bonne justice commerciale. Pour maîtriser cette complexité juridique, un volume d’affaires conséquent et une spécialisation sont estimés indispensables.

Dès 2005, les juges consulaires ont livré un schéma directeur de leurs implantations, approuvé à l’unanimité. Seul corps à avoir su opérer une démarche prospective en amont de la décision de réforme, il n’a pas été gagné par la fièvre contestataire de l’automne 2007. Ses propositions ont pour l’essentiel rencontré l’assentiment de la Chancellerie, partant du principe que les petites juridictions ne fonctionnent pas en permanence et ne garantissent pas le respect de la théorie des apparences. Le format idéal retenu par la conférence, établi à quinze juges par tribunal – soit un président, sept membres pour le contentieux et sept autres pour les procédures collectives – amenait à un format national de 125 tribunaux de commerce contre 185 en 2007. La conférence suggérait également la fin des chambres commerciales des tribunaux de grande instance. Devant la Délégation à l’aménagement et au développement durables du territoire, le Garde des Sceaux a présenté un projet portant 135 tribunaux de commerce en 2009 et la suppression des chambres commerciales des TGI à l’exception des échevins d’Alsace-Moselle.

Cette méthode de réforme, paisible et consensuelle, représente un modèle dans lequel chacun trouve son intérêt, même si de légitimes questionnements peuvent apparaître sur des points précis, dans lesquels l’équilibre entre proximité et impartialité semble perfectible. La concertation a ses vertus. Elle réclame seulement une attitude positive et prospective ainsi que l’appréhension des difficultés en dehors de toute contrainte de calendrier. Il aurait été souhaitable qu’elle fût appliquée à l’ensemble des juridictions de premier degré concernées par la refonte de 2007.

III.— UNE MISE EN œUVRE COMPLEXE QUI NE DEVRA OUBLIER
NI LES JUSTICIABLES NI LES TERRITOIRES

La publication des décrets en Conseil d’État modifiant la carte judiciaire étant désormais imminente, il convient de se pencher sur les conditions de mise en œuvre de cette réforme, qui devrait s’étaler sur trois ans.

A.— UNE RÉFORME QUI DEVRA ÊTRE ACCOMPAGNÉE DE MOYENS CONSÉQUENTS

1. Le volet immobilier : des contraintes fortes, une mise initiale de fonds considérable

M. Philippe Ruffier, référant « carte judiciaire » au sein de l’inspection des services judiciaires, a souligné lors de son audition qu’« il n’est pas possible d’ignorer l’impact immobilier de la réforme et de faire abstraction des besoins en locaux qui seront générés par la concentration de moyens humains et matériels jusque-là répartis sur plusieurs sites ». Ce dernier a indiqué à votre rapporteur que la prise en compte de cette contrainte pouvait même dans certains cas s’avérer déterminante dans les choix de regroupement qui pourraient être faits.

Les capacités d’accueil des tribunaux sont souvent limitées, voire inexistantes, dans des structures mêmes récentes. C’est ce qu’a constaté votre rapporteur lors de son déplacement au palais de justice de Grenoble : alors même qu’elle a été inaugurée en 2003, cette nouvelle cité judiciaire, qui accueille sur un même site cour d’appel, TGI, TI, conseil de prud’hommes et tribunal de commerce, n’est pas en mesure d’accueillir les magistrats, les fonctionnaires, le public et les archives des deux tribunaux d’instance de Saint-Marcellin et de La Mure. Ce palais de justice étant situé dans un quartier d’affaires en pleine expansion, l’acquisition d’une surface de locaux professionnels reste possible dans un immeuble en construction situé à proximité immédiate. Cependant, comme l’a souligné le Premier président à votre rapporteur, il sera nécessaire de budgéter à la fois l’acquisition de deux niveaux entiers de cet immeuble, mais également de prévoir leur aménagement car ces plateaux seront livrés à l’état brut. Compte tenu de l’échéance assez courte retenue par le garde des sceaux (regroupement des tribunaux d’instance avant fin 2009), il est probable que cet aménagement se limitera dans un premier temps à celui des bureaux des personnels avant que ne soit réalisée une nouvelle salle d’audience. Cette opportunité de disposer d’emprises foncières à distance raisonnable n’est cependant pas une généralité. De nombreux tribunaux ont leur siège dans des bâtiments classés monuments historiques, dont les possibilités d'extension sont limitées et soumises à l'avis de l'architecte des Bâtiments de France, et de surcroît situés dans des centres-villes saturés. L’extension de ces bâtiments est donc très contrainte, pour cette double raison.

De plus, comme l’a souligné M. Rémy Heitz, directeur de l’administration générale et de l’équipement du ministère de la justice lors de son audition, les surfaces de locaux sont déjà insuffisantes dans certaines juridictions à effectifs constants, ce qui contraint magistrats et fonctionnaires à travailler dans des « algecos » de façon parfois durable. Le tableau ci-dessous récapitule le nombre de fonctionnaires et de magistrats travaillant dans des structures modulaires, qui s’établit au total à 357 personnes.

Répartition des bâtiments modulaires
au sein du ministère de la Justice

 

 

 

 

Ville

m² shon

Magistrats

Fonctionnaires

Rouen

252

3

0

Paris

300

1

14

Longjumeau

355

5

1

Bordeaux

158

0

4

Basse-Terre

415

13

5

Strasbourg

3 000

34

21

Ajaccio

1 660

23

42

Niort

77

5

1

Bourgoin-Jallieu

303

3

8

Nancy

694

0

15

Aix-en-Provence

4 200

25

77

Toulouse

950

15

42

 

Total

12 364

127

230

Source : Ministère de la Justice

La concentration des moyens judiciaires se heurtera donc nécessairement à la structure du parc immobilier existant et aux disponibilités foncières locales, ce qui rend inéluctable une mise en œuvre progressive de la réforme sur plusieurs années. M. Rémy Heitz a ainsi évalué à 5 ans la durée minimale pour réaliser dans sa totalité la réforme de la carte judiciaire. Le garde des sceaux, lors de la présentation de son budget devant la Commission des finances du Sénat, s’est d’ailleurs basée sur une durée de six ans pour évaluer la mise en œuvre du volet immobilier de cette réforme. Plusieurs types de solutions devront être envisagés : extensions, constructions de nouveaux sites, prises à bail, montages avec les collectivités locales…

Votre rapporteur souligne l’importance capitale de ce volet de la réforme car ce sont ni plus ni moins les conditions de travail des magistrats et des fonctionnaires ainsi que les modalités d’accueil des justiciables qui sont en jeu. Une mauvaise gestion de ce volet pourrait conduire à une désorganisation du fonctionnement du service public de la justice. Comme l’ont souligné la Conférence nationale des présidents de TGI et les représentants du syndicat FO-Magistrats, la question du phasage des décisions de suppression prises avec la mise en œuvre du volet immobilier sera essentielle pour assurer la continuité du service public de la justice.

Si la suppression de certaines structures permettra de générer à terme certaines économies dans les dépenses d’entretien, ce volet immobilier nécessitera pour sa mise en œuvre la mobilisation immédiate de moyens considérables. Comme l’a précisé M. Rémy Heitz lors de son audition, la construction d’un nouveau tribunal de grande instance s’élève pour une juridiction de taille moyenne à 20 à 40 millions d’euros. Et au montant des investissements à réaliser s’ajoutera celui des locations intermédiaires. Ce coût ne pourra guère être gagé par les produits de cession du patrimoine immobilier libéré à la suite des regroupements de juridiction. M. Rémy Heitz a ainsi mis en avant une double limite aux possibilités de valorisation de ce patrimoine : l’état de vétusté de certains bâtiments d’une part, le statut de ces bâtiments d’autre part.

En effet, seuls 40 % des locaux des juridictions sont la propriété de l’État. 49 % des locaux sont mis à disposition des juridictions par les collectivités locales ; dans ce cas, conformément aux transferts de charges intervenus à la suite des lois de décentralisation de 1983, si les collectivités territoriales sont propriétaires des locaux qu'elles mettent à la disposition des juridictions, c’est le ministère de la justice qui assure la charge financière des obligations des propriétaires (clos et couvert). Les 11 % restant sont loués soit dans le parc privé, soit aux collectivités territoriales ou aux chambres consulaires. M. Rémy Heitz a en outre précisé que si « 55 % du patrimoine immobilier judiciaire, en termes de m2, appartient aux collectivités locales, ce pourcentage est encore plus élevé pour les petites juridictions » : les bâtiments des cours d’appel appartiennent généralement à l’État, ceux des TGI à des conseils généraux, sauf ceux construits après 1987 qui relèvent dans leur majorité du parc domanial, les tribunaux d’instance sont généralement hébergés dans des locaux communaux et la situation est variable pour les conseils de prud’hommes et les tribunaux de commerce. La réforme annoncée par le Garde des Sceaux n’affectant aucune cour d’appel mais une vingtaine de TGI, 55 tribunaux de commerce, 63 conseils de prud’hommes, et surtout 178 tribunaux d'instance, il est clair que seule une petite minorité des bâtiments libérés fait partie du parc domanial et pourra générer des recettes pour l'État. Et tout dépendra du bon état de ces locaux, les difficultés d'entretien du patrimoine judiciaire ayant été une préoccupation récurrente ces dernières années, selon le constat fait par M. Rémy Heitz lors de son audition.

Enfin, il ne faut pas perdre de vue l'état actuel du marché immobilier, caractérisé par des prix élevés. Et quand bien même il y a revente des locaux d'un tribunal d'instance regroupé, ceux-ci sont situés dans une petite ville, dont les prix sont inférieurs aux prix de l'immobilier pratiqués dans la commune du tribunal d'instance d'accueil, généralement situé au siège du TGI.

Faute d'avoir pu disposer d'une véritable étude d'impact du ministère de la justice malgré ses demandes, votre rapporteur ne peut que relever les estimations fournies par le Garde des Sceaux : auditionnée par la Commission des finances du Sénat le 14 novembre dernier, celle-ci a indiqué « qu'une enveloppe budgétaire de 1,5 million d'euros était prévue en 2008 pour des mesures d'accompagnement social de la réforme de la carte judiciaire et que 121 millions d'euros, pour un total de 800 millions d'euros sur six ans, étaient budgétés en matière immobilière" » et a en outre précisé que « les 800 millions d'euros prévus en six ans pour la mise en oeuvre du programme immobilier dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire ne tenaient pas compte du projet de déplacement du tribunal de grande instance de Paris » ; cependant, interrogée le 13 décembre dernier, à l'Assemblée Nationale, par les membres de la délégation sur le coût de la réforme, Mme Rachida Dati a répondu que « le coût immobilier lié à la réforme de la carte judiciaire est estimé à 500 millions d’euros sur six ans ». Votre rapporteur ne peut que s’étonner et s’interroger sur cette différence d’appréciation en l’espace d’un mois, les schémas de réorganisation ayant été quasiment tous annoncés avant la mi-novembre.

Les syndicats ont quant à eux estimé dans une fourchette allant de 1 à 1,5 milliard d'euros le coût total de la réforme, incluant non seulement le volet immobilier mais aussi l'accompagnement social, l'indemnisation des auxiliaires de justice, les surcoûts de fonctionnement liés à l'éloignement et aux déplacements (par exemple, en matière de tutelles ou de scellés) ou encore les escortes. Deux tableaux parus le 28 novembre dernier sur le site du Nouvel Observateur à la suite des révélations des syndicats font par ailleurs état d’une première évaluation du coût immobilier à 248 millions d’euros pour les TGI fusionnés et de 658 millions d’euros pour le reste des juridictions (TI, CPH, TC), soit un total avoisinant les 900 millions. Ces documents de travail internes à la chancellerie, émanant de la direction des services judiciaires et datés de fin septembre, calculant le coût des investissements immobiliers et locations par rapport au différentiel d’effectifs et aux besoins corrélatifs en m2 de surface (surface utile judiciaire et surface dans œuvre (2)), mériteraient sans doute d’être actualisés sur la base des schémas de réorganisation définitifs (3) et d’être affinés en fonction notamment du prix réel au m2 et des disponibilités immobilières réelles dans les juridictions et les villes de rattachement (les tableaux retiennent uniformément un prix de 4 400 euros par m2, une durée de location intérimaire de 6 ans pour les TGI et une exigence de 57 m2 de surface dans œuvre par personne supplémentaire, fonctionnaire ou magistrat). Ils donnent néanmoins une première idée de ce pourrait être la fourchette haute du coût du volet immobilier.

Certains syndicats de fonctionnaires ou d’avocats ont également souligné lors de leur audition la nécessité de prendre en compte les travaux de rénovation qui ont été réalisés « à perte » par l’État ces dernières années dans des tribunaux finalement amenés à être fusionnés. La CFDT a notamment mentionné le cas du TGI de Belley, dans lequel des opérations de rénovation ont été réalisées en 2006 pour un montant de 2 millions d’euros et qui doit être fusionné avec celui de Bourg-en-Bresse en 2010.

Si le coût exact du volet immobilier reste donc encore à préciser, votre rapporteur tient à souligner le contexte très contraint dans lequel devront s’inscrire ces opérations de redéploiement. En effet, le ministère de la justice devra mener de front et en parallèle les opérations immobilières induites par la réforme de la carte judiciaire, l’engagement d’un nouveau programme en matière pénitentiaire (selon les prévisions de l’administration pénitentiaire, la population détenue devrait s’élever à plus de 70 000 personnes en 2012, alors qu’à l’issue de l’actuelle programmation, le parc pénitentiaire atteindra 60 700 places, dont 30 000 auront moins de vingt ans) ainsi que la poursuite des opérations lourdes de remise aux normes (sécurité incendie, accessibilité handicapés, etc…), qui par nature ne peuvent être indéfiniment différées, ou de restructuration (TGI d’Aix en Provence, Palais de justice de Toulouse, relogement du conseil de prud’hommes et du tribunal d’instance de Bobigny par exemple), le déplacement du TGI de Paris et l’achèvement du plan de mise en sûreté des tribunaux décidé l’an dernier.

Il convient de rappeler également que la loi d’orientation et de programmation pour la justice (LOPJ) du 9 septembre 2002 avait déjà prévu un effort conséquent de la Nation en faveur du ministère de la justice mais que l’exécution de la programmation des investissements s’est avérée « très éloignée de la prévision », selon les propos de M. René Couanau, rapporteur spécial des crédits de la Mission « Justice » dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 2008. « Le ministère de la Justice a, en effet, rencontré des difficultés particulières en matière de crédits d’investissement, qui l’ont conduit à annuler certaines des autorisations d’engagement affectées à l’agence de maîtrise d’ouvrage des travaux du ministère de la Justice (AMOTMJ), les conventions signées ayant porté sur des montants trop importants au regard des crédits de paiement susceptibles d’être alloués au cours des prochaines années. Le taux d’exécution prévisible des crédits de paiement effectivement délégués aux ordonnateurs à la fin de l’année 2007 devrait être de 55,1 % pour la Chancellerie, soit 55,1 % d’une prévision de 845 millions d’euros de crédits de paiement ». Sur les crédits d’investissement du programme « Justice judiciaire », c’est-à-dire spécifiques aux juridictions, le rapporteur spécial rappelle aussi que la chancellerie n’a pas été épargnée par les effets de la régulation budgétaire : « Les régulations budgétaires imposées en 2006 et 2007 à hauteur de 5 % des crédits votés par le Parlement ont contraint l’administration à différer le financement d’opérations programmées. L’administration, sous cette pression, n’a conservé que les opérations déjà en travaux et n’a retenu pour les opérations nouvelles que celles ayant trait à la sécurité, à la sûreté des bâtiments, au désamiantage et à la mise en accessibilité des bâtiments ».

La LOPJ ayant de toute façon prévu un montant d’autorisations d’engagement deux fois supérieur à celui des crédits de paiement (4), il était normal que les crédits de paiement ne les couvrent pas en totalité pendant la période de programmation. Mais cela veut dire que la réalisation des projets lancés dans le cadre de la LOPJ devait, indépendamment du retard enregistré, être poursuivie au-delà de la période initiale de programmation, c’est-à-dire après 2007, et donc se conjuguer avec la mise en œuvre du volet immobilier de la réforme de la carte judiciaire. Dans le projet de loi de finances pour 2008, aucune provision spécifique n’a été prévue au titre de la réforme de la carte judiciaire. L’ensemble des crédits du titre V de l’action « soutien » s’élevait à 121 millions d’euros en crédits de paiement mais n’atteignait que 80 millions d’euros d’autorisations d’engagement pour lancer d’éventuelles nouvelles opérations, soit pour ces dernières une baisse de 100 millions d’euros par rapport à 2007 tirant les conséquences des difficultés du programme pour financer les opérations déjà engagées.

Sachant que les besoins de crédits liés à la seule mise en œuvre du volet immobilier de la réforme de la carte judiciaire atteindront 83 à 140 millions d’euros par an, suivant que l’on prenne le bas ou le haut de la fourchette des estimations avancées, il est clair que le ministère de la justice devra dans les six prochaines années impérativement surmonter les difficultés rencontrées lors de l’exécution de la LOPJ et être en mesure de doubler sa capacité d’engagement et de mobilisation de crédits de paiement.

2. Un accompagnement social indispensable pour conforter la mobilisation des personnels

La bonne mise en œuvre de la réforme territoriale par les personnels du ministère de la Justice suppose une prise en compte des éventuelles difficultés que pourraient ressentir ceux dont la juridiction est appelée à disparaître. Dès la phase préparatoire, le Garde des Sceaux s’est montré attentif à cette question. Son discours prononcé lors de l’installation du comité consultatif national mentionne explicitement la volonté de porter « une attention toute particulière (…) aux conséquences sociales de la réforme qui justifieront un effort d'accompagnement soutenu pour les personnels concernés. Une cellule dédiée à l'accompagnement social sera constituée au sein de la mission spécifiquement dédiée à la réforme de la carte. Elle travaillera en lien étroit avec les correspondants locaux qui seront désignés au sein de chaque cour d'appel. Les problèmes de déménagement, de transports, de restauration ne sont pas de vaines revendications. Ces sujets correspondent aux choses vécues au quotidien. »

Les auditions conduites dans le cadre de la réalisation de ce rapport ont confirmé les craintes et les attentes des magistrats et fonctionnaires en la matière. Certains personnels se trouvent en poste suffisamment longtemps dans une structure pour bâtir aux alentours leur maison, leur famille, leur vie. La disparition de la juridiction et l’obligation de mutation qui en découle affectent nécessairement leurs finances et leurs relations sociales et familiales, surtout dans les catégories hiérarchiques les moins élevées dont les traitements ne permettent pas forcément de faire face aux charges directes et indirectes d’un déménagement. La question des modalités de reclassement, tant en termes territoriaux que fonctionnels, se pose également avec acuité.

La Chancellerie semble disposée à prendre des mesures compensatoires pour limiter les désagréments nés de la révision de la carte judiciaire. Cette mission, articulée en deux volets, incombe au secrétariat général du ministère. Le premier axe consiste à informer, à rassurer et à prendre en compte les aspirations de chacun. Une rencontre collective a été organisée avec tous les magistrats et fonctionnaires, avant le 17 décembre 2007, dans le ressort de chaque cour d’appel. Avec la nouvelle année, la « mission carte » répond aux magistrats et aux fonctionnaires qui sollicitent un entretien individuel. À l’échelon local, chaque cour d’appel a vu la désignation d’un correspondant spécifique chargé de l’accompagnement social des personnels déplacés. Le second axe, plus classique, prend la forme d’une négociation avec les organisations syndicales de magistrats et de fonctionnaires pour définir les mesures à mettre en œuvre.

Le redéploiement d’effectifs soulève des difficultés spécifiques au champ de la Justice en raison des particularités du statut de la magistrature, exposé par l’ordonnance portant loi organique du 22 décembre 1958, par rapport au statut de la fonction publique qui régit la carrière des autres personnels du ministère. Tous les magistrats et fonctionnaires dont le tribunal disparaît à la suite de la réforme de la carte judiciaire ont toutefois un droit statutaire à être affectés dans la juridiction de rattachement, même s’ils s’y avèrent surnuméraires.

Pour les magistrats du siège, l’article 64 de la Constitution pose une règle d’inamovibilité explicitée par l’article 4 de l’ordonnance de 1958 : « Le magistrat du siège ne peut recevoir, sans son consentement, une affectation nouvelle, même en avancement. » Mais ce principe se trouve tempéré par une exception prévue à l’article 31 : « Lorsqu’il est procédé à la suppression d’une juridiction, les magistrats du siège et les magistrats du parquet reçoivent une nouvelle affectation » dans des conditions particulières. Celles-ci ont été fixées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 94-355 du 10 janvier 1995 afin d’assurer le respect de l’indépendance de l’autorité judiciaire et du principe d’égalité ; elles équivalent aux garanties dont bénéficient les conseillers référendaires à la Cour de cassation. Neuf mois avant la date de la disparition de la juridiction, les magistrats du siège exercent un droit d’option entre, d’une part, une affectation dans les mêmes fonctions au sein de la juridiction de rattachement et, d’autre part, une nomination dans d’autres fonctions de même niveau hiérarchique dans la juridiction de rattachement ou dans un tribunal limitrophe. Dans cette dernière hypothèse, ils formulent trois vœux ne pouvant se limiter à des emplois de chef de juridiction, et sont nommés, éventuellement en surnombre, dans l’une des trois affectations sollicitées à la date de la disparition de la juridiction d’origine.

Les magistrats du parquet formulent également des souhaits quant à leur nouvelle juridiction, mais ceux-ci n’ont que valeur d’avis dans la décision de la Chancellerie.

Les personnels non magistrats relèvent du statut général de la fonction publique du 13 juillet 1983 et, plus précisément, du statut de la fonction publique de l’État du 11 janvier 1984. La loi dispose seulement que « en cas de suppression d’emploi, le fonctionnaire est affecté dans un emploi de son corps d’origine au besoin en surnombre provisoire. » Il s’agit donc d’une mutation d’office dans la juridiction de rattachement ; les personnels qui souhaitent rejoindre un tribunal différent ne bénéficient normalement d’aucune priorité par rapport aux demandes concurrentes des autres agents du ministère. Les directeurs d’un greffe supprimé ne peuvent retrouver cet emploi, déjà occupé, dans la juridiction de rattachement ; ils sont affectés à un poste d’adjoint ou de chef de service. En raison des besoins du service, les autres fonctionnaires peuvent être amenés à occuper des fonctions différentes de leur activité précédente.

La réforme de la carte judiciaire emporte le déplacement de 1 844 magistrats et fonctionnaires. Le projet d’accompagnement social a fait l’objet d’une publication mi-décembre sur le site Internet dédié à la réforme. Les mesures évoquées, inspirées des restructurations connues dans le passé par les ministères de l’Intérieur et de la Défense, se partagent en un volet indemnitaire, en soutien social et en dispositions statutaires. Devant la Délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire, le Garde des Sceaux a estimé à trente millions d’euros le coût du dispositif, dont un million et demi d’euros provisionnés au titre du projet de loi de finances pour 2008 :

i. indemnité de restructuration pour les magistrats et fonctionnaires en poste dans les juridictions regroupées depuis au moins un an à la date d’effet de regroupement, modulée en fonction de la situation familiale de l’agent et de la nature des sujétions subies. À titre de comparaison, pour les agents du ministère de la défense, l’arrêté du 27 août 2003 pris en application du décret n° 97-600 du 30 mai 1997 instituant un complément spécifique de restructuration prévoyait des indemnités allant de 22 000 à 38 500 euros pour les agents dont la mutation a entraîné un changement de résidence familiale et une indemnisation de près de 6 950 euros pour les agents qui n’ont pas déménagé et pour lesquels le nouveau lieu de travail est situé entre 20 et 80 kilomètres de leur ancienne résidence administrative ;

ii. prise en charge des frais réels de déménagement ;

iii. prise en charge, de manière dégressive, des frais de transport pour les magistrats et fonctionnaires qui choisiront de ne pas déménager ;

iv. compensation, de manière dégressive, de la nouvelle bonification indiciaire pour les agents qui n’en bénéficieraient plus ;

v. indemnité forfaitaire de 6 100€ pour les conjoints contraints à quitter leur emploi et assistance pour en trouver un nouveau ;

vi. pécule pour les fonctionnaires des greffes âgés de 55 à 60 ans qui ne souhaitent pas se déplacer vers une nouvelle juridiction et qui privilégient un départ volontaire ;

vii. appui pour la recherche de logements à louer, grâce notamment à un partenariat conclu en juillet 2007 avec la Caisse des dépôts et consignations qui apportera l’expertise de sa filiale, la SNI, pour identifier les logements appropriés dans les parcs social et privé ;

viii. facilités de détachement pour les fonctionnaires qui souhaiteront rejoindre une autre administration d’État ou la fonction publique territoriale ;

ix. développement du télétravail pour limiter les déplacements entre domicile et juridiction ;

x. priorité ou non, et si oui, selon des modalités à définir, des mutations accordées aux agents concernés par les regroupements de juridiction.

Le dernier point faisait, suivant les informations les plus récentes, toujours l’objet de discussions entre l’administration et les représentants du personnel. Il semble souhaitable que les personnels déplacés bénéficient d’une bienveillance dans l’examen de leurs demandes de mutation dans la mesure où celles-ci seront, au moins pour ce qui concerne le départ de la juridiction, la conséquence d’une politique publique. Le développement du télétravail apparaît en revanche peu réaliste eu égard aux exigences de secret et de confidentialité des informations qui s’appliquent au domaine judiciaire, tant pour la protection des communications que pour la préservation des données en des lieux autres que les palais de justice. Cette piste semble d’ailleurs abandonnée.

Enfin, un reclassement délicat pourrait trouver son issue dans un détachement vers d’autres administrations de l’État et vers la fonction publique territoriale. Cette possibilité reste envisageable essentiellement pour les personnels de catégorie C. En effet, il n’existe pas d’équivalent au corps des greffiers en dehors du ministère de la Justice.

3. La question de l’indemnisation des auxiliaires de justice

La réforme de la carte judiciaire devrait également avoir un impact notable sur certaines professions juridiques et judiciaires, qu’il est essentiel de prendre en compte si l’on souhaite éviter l’apparition de « déserts judiciaires ».

Les avocats sont les premiers concernés, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la suppression d’un TGI entraîne la dissolution d’un barreau et la suppression de l’institution ordinale correspondante. Le personnel de l’ordre des avocats des barreaux concernés sera donc licencié (généralement une secrétaire par ordre) ; des indemnités (licenciement, préavis, congés payés, etc.) devront être versées à ces secrétaires, qui ont souvent une forte ancienneté.

Selon les statistiques émanant du conseil national des barreaux, les barreaux des 23 TGI qui seront supprimés se composent de 504 avocats, dont les conditions d’exercice seront sensiblement affectées par la réforme de la carte judiciaire. Si l’on compte également les personnels des cabinets d’avocats (en moyenne une secrétaire par avocat associé) et les secrétaires des ordres, ce sont donc environ 1 030 personnes au total qui sont directement concernées par la réforme au sein de la profession.

La plus grande inquiétude des avocats installés auprès des juridictions regroupées concerne la perte de leur clientèle institutionnelle : établissements financiers, caisses et organismes sociaux, compagnies d’assurances et de protection juridique … Ces organismes choisissent généralement un ou deux cabinets référents par arrondissement judiciaire, c’est-à-dire par TGI, le plus souvent sélectionnés par leurs directions juridiques, généralement situées au siège social. Souhaitant aller au plus simple, ils reporteront leurs dossiers à leurs cabinets référents habituels des TGI de rattachement.

De plus, les honoraires pour les opérations courantes (assignations, suivi des dossiers de recouvrement) sont généralement fixés selon un barème identique pour tous les cabinets référents. Les cabinets situés dans les ressorts des TGI supprimés pourront donc difficilement facturer leurs frais et temps de déplacement (temps qui ne peut être utilisé pour le traitement d’autres dossiers), quand bien même ils conserveraient une partie de leur clientèle institutionnelle.

Pour les avocats en fin de carrière, la suppression du TGI va dévaluer sensiblement la valeur de leur clientèle et rend plus problématique le transfert de leur cabinet.

L’impact sera aussi le plus fort pour les avocats exerçant seul ; on peut imaginer en effet que les avocats exerçant leur activité à plusieurs dans un même cabinet pourront plus facilement s’organiser par un système de rotation.

Au-delà des seuls institutionnels, la facturation des frais de déplacement liés à l’éloignement géographique des tribunaux pourrait être dissuasive, en particulier lorsqu’il s’agit de petits dossiers. Ces frais ne pourront d’ailleurs pas être facturés au client lorsque l’avocat aura choisi d’installer un cabinet secondaire dans la ville du TGI de rattachement.

La question de la prise en charge des frais de déplacement se posera pour les particuliers, même si ceux-ci sont plus enclins à choisir un cabinet d’avocat proche de leur domicile. Soit l’avocat répercute intégralement ses frais de déplacement ainsi que le temps passé dans les transports dans ses honoraires et le risque est alors de faire payer au justiciable des zones rurales les incidences de la réforme de la carte judiciaire ou de le dissuader d’ester en justice. Soit l’avocat ne les répercute pas intégralement et la rentabilité de son activité se dégrade.

La question se pose avec d’autant plus d’acuité pour les cabinets d’avocats en phase de démarrage (endettement lié au rachat d’une clientèle ou à un investissement récent) ainsi que pour ceux pour lesquels l’aide juridictionnelle (AJ) représente une part importante de leur chiffre d’affaires. En effet, le montant de l’aide juridictionnelle est déjà jugé par nombre d’avocats trop faible (5) pour couvrir les heures passées sur ces dossiers. Des frais de déplacement complémentaires viendront aggraver ce manque de rentabilité, dans la mesure où le barème applicable à la rétribution des missions d’aide juridictionnelle (qui consiste en un forfait différent par type de procédure) ne les prend pas en compte. En effet, au sein de ce barème, la seule majoration possible du coefficient de base liée à la prise en charge de déplacements est celle prévue pour les expertises (9 UV supplémentaires au lieu de 4 pour les expertises sans déplacement), les différents types de majorations étant par ailleurs cumulables dans la limite de 16 UV ; la couverture financière des déplacements et des visites en prison dans le cadre des missions d’AJ est d’ailleurs une revendication classique de la profession. Cette question de la prise en compte des frais de déplacement et des temps de transport dans le barème de l’AJ devra impérativement être revue à la lumière de la nouvelle carte judiciaire.

Enfin, dans l’absence de cette évolution du barème, des interrogations demeurent sur la prise en charge des frais de déplacement dans le cadre de l’aide juridictionnelle partielle : en effet, dans ce cas, l’AJ partielle laisse à son bénéficiaire la charge d’un honoraire librement négocié et fixé par convention avec l’avocat ou d’un émolument au profit des officiers publics et ministériels qui prêtent leur concours. Dans ce cadre, ces personnes, qui, sans être les plus démunies, disposent de revenus modestes (ressources supérieures à 874 euros et inférieures à 1 311 euros) pourraient se voir facturer des frais de déplacement de l’avocat, ces derniers ne pouvant rentrer dans le calcul de la rétribution versée par l’État. Ces justiciables de condition modeste pourraient alors hésiter à se tourner vers l’institution judiciaire ou se trouver incapable de payer cet honoraire complémentaire, dont elles n’avaient pas réellement entrevu l’étendue. D'autant plus que la remise en cause par la Commission européenne de l'application du taux de TVA réduit aux honoraires rentrant dans le cadre de l'aide juridictionnelle partielle (les honoraires d'avocat ne figuraient pas sur la liste des services annexée à la directive sur les taux de TVA) risque prochainement d'augmenter également le montant restant à la charge du bénéficiaire de l'AJ partielle.

Dans ces conditions, la perte d’une part importante de la clientèle et/ou la détérioration de la rentabilité de leur activité amèneront certains cabinets d’avocats à disparaître, d’autres - plus solides - à ouvrir, mais avec des surcoûts importants, un cabinet secondaire dans la ville du TGI de rattachement, tandis que d’autres avocats choisiront de se délocaliser complètement dans cette ville en vue de tenter de conserver leur clientèle. Dans ces trois hypothèses, il y aura un impact sur le personnel salarié de ces cabinets, plus ou moins conséquent, qui se traduira par la mise en œuvre de mesures de licenciement pour les secrétaires et les avocats collaborateurs. En effet, soit le cabinet disparaît et l’intégralité du personnel est licenciée, soit il est décidé d’ouvrir un cabinet secondaire mais celui-ci est financé par une restructuration de personnel, soit le cabinet est délocalisé mais dans cette hypothèse, il est à craindre qu’une partie des salariés n’accepte pas de suivre leur employeur, compte tenu de l’éloignement et du changement de résidence qu’il peut impliquer.

La concentration des cabinets d’avocats dans les villes des TGI de rattachement pourrait conduire à la création de « déserts judiciaires » en l’absence de mesures d’accompagnement suffisantes. Le représentant du syndicat de policiers « Synergie-Officiers » a ainsi mis en garde votre rapporteur sur les difficultés qui pourraient s’accroître pour trouver un avocat disponible et prêt à se déplacer pendant les gardes à vue dans certaines zones, ce qui se traduirait par des inégalités territoriales, difficilement justifiables, entre citoyens pour le respect des droits de la défense.

La mise en œuvre des nouvelles technologies de l’information et de la communication et de la dématérialisation des procédures, dans la mesure où elle évite déplacements et perte de temps pour l’avocat, est sans aucun doute l’une des réponses possibles, à condition que la question de l’équipement informatique des cabinets d’avocats soit résolue et que le nombre d’abonnements au Réseau Privé Virtuel Avocats (RPVA) décolle. Elle doit donc être encouragée par des moyens adéquats, en particulier dans les ressorts des TGI supprimés (voir infra B. 2).

Elle ne sera cependant pas suffisante pour compenser les conséquences économiques de la refonte de la carte judiciaire, notamment la perte de clientèle institutionnelle, qui pourrait conduire certains cabinets d’avocats à disparaître.

La chancellerie réfléchit donc actuellement à des mesures d’indemnisation et de compensation pour les avocats. Mme Rachida Dati a précisé lors de son audition devant la délégation que « des mesures d’accompagnement sont prévues, à hauteur de 20 millions  d’euros pour les avocats, ce chiffre constituant la fourchette haute de l’estimation ». Les pistes évoquées sont la mise en place d’un mécanisme d’indemnisation individuelle pour les cabinets d’avocats implantés dans les ressorts des tribunaux regroupés, la création d’un poste de vice-bâtonnier, un plus large accès à la magistrature, la multipostulation, qui permet à un avocat de postuler dans le ressort de plusieurs TGI, ainsi que l’extension de la représentation obligatoire, au commercial comme au civil. Il conviendra cependant que les mesures collectives finalement retenues n’aillent pas à l’encontre de l’objectif poursuivi, en renforçant l’activité des cabinets plus importants des grandes villes, et qu’elles ne remettent pas en cause l’accessibilité et la gratuité de la justice pour tous, en se conjuguant aux effets de l’éloignement des juridictions.

Si l’extension de la représentation obligatoire peut permettre aux justiciables de mieux se défendre et aux juges de gagner du temps grâce à des dossiers mieux constitués, elle a un coût qui pourrait faire hésiter - notamment lorsqu’il s’agit de petits litiges -, certains justiciables à ester en justice, compte tenu des montants modestes en jeu. On peut penser notamment aux litiges en matière de consommation, en l’absence d’action de groupe. L’élargissement des contentieux pour lesquels la représentation est obligatoire pourrait entraîner aussi une augmentation des cotisations des contrats de protection juridique proposés par les assurances, contrats que certaines personnes ne bénéficiant pas de l’aide juridictionnelle arrêteraient alors de souscrire. En tout état de cause, l’extension de la représentation obligatoire à d’autres contentieux aura une incidence sur les dépenses d’aide juridictionnelle. Cette extension de la représentation obligatoire des avocats ne peut donc être décidée sans une analyse très fine de ses incidences selon la nature des contentieux, des caractéristiques des justiciables concernés et du montant des litiges en cours. Cette réflexion devrait avoir lieu au sein de la Commission Guinchard mise en place par le Garde des Sceaux à la mi-janvier (voir infra C). Celle-ci abordera également l'opportunité d'une déjudiciarisation de certaines tâches voire contentieux (divorces par consentement mutuel par exemple), qui, si elle peut permettre à la population d'accomplir certaines démarches ou procédures sans avoir à accomplir des dizaines de kilomètres, devrait également avoir un impact sur l'activité des cabinets d'avocats. Il conviendra à cet égard d'examiner la plus-value apportée par la présence d'un juge et d'un avocat (protection des parties, mise en avant de l'intérêt général…) et de veiller, dans un contexte marqué par un éloignement géographique accru des juridictions, à ne pas rendre plus complexe l'accès à la justice, pour les procédures juridictionnelles restantes.

Les huissiers de justice, qui interviennent notamment pour l’exécution des décisions de justice, les significations d’actes de procédure quand la notification par voie postale n’est pas prévue ou pour saisir un tribunal par voie d’assignation, s’inscrivent dans une problématique quelque peu différente, dans la mesure où un décret n° 2007-813 du 11 mai 2007 étendait d’ores et déjà leur compétence, actuellement limitée au ressort d’un tribunal d’instance, au ressort du tribunal de grande instance à compter du 1er janvier 2009. Comme l’a indiqué Maître Paul Rochard, président de la chambre nationale des huissiers de justice lors de son audition, « la profession a été conduite à anticiper la réflexion sur la réforme de la carte judiciaire » et les incertitudes pesant sur les contours de cette réforme avant l’annonce des schémas de réorganisation en novembre ont ajouté localement de nouvelles interrogations des huissiers sur les modalités de préparation à leur nouvelle compétence territoriale (y aura-t-il un ou deux TGI dans le département ? Sous quelle forme ? Quelle articulation avec d’éventuelles chambres détachées d’un tribunal de première instance ?).

La conjugaison de ces deux réformes conduira à un regroupement des offices (au nombre de 3 129 en 2005 sur l'ensemble du territoire français), même si, à l'inverse des cabinets d'avocats, leur localisation est soumise à une commission dépendant du ministère de la justice. La chambre nationale des huissiers de justice a ainsi indiqué que certains huissiers partant en retraite et situés en zone rurale, loin des TGI, avaient déjà des difficultés à retrouver des repreneurs pour leur étude, qui avait perdu de sa valeur. Elle a souligné que les huissiers représentaient traditionnellement l’échelon de proximité en matière d’accès à la justice et au droit, compte tenu de leur présence au niveau de chaque canton, et qu’il serait dommage de se priver de ce maillage territorial, d’autant plus lorsque les juridictions s’éloignent. Cette profession se caractérise aussi par le déplacement au domicile de la personne et par la remise personnelle d’un document, mission qui sera plus difficile en cas d’éloignement géographique. Elle assure par ailleurs un service d’audience en matière pénale, qui était rémunéré à hauteur de 7,50 euros pour la journée, ce qui ne permet pas de couvrir d’éventuels frais de déplacements.

Le Garde des Sceaux a précisé les mesures d’accompagnement de ces réformes le 21 décembre dernier lors du forum de la chambre nationale des huissiers de justice : revalorisation récente des tarifs, augmentation des indemnités versées aux huissiers audienciers en matière pénale, prise en compte des situations particulières pour les huissiers qui pourraient être affectés par la refonte de la carte judiciaire, extension des moyens d’action des huissiers en vue de faciliter l’exercice de leurs missions, augmentation de la valeur des constats (qui, juridiquement, n'ont qu'une valeur de renseignement actuellement). Si certaines de ces mesures n'auront pas d'impact budgétaire ou seront financées par le justiciable (revalorisation des tarifs), d'autres (mesures individuelles, revalorisation des services d'audience) représenteront un coût pour l'État, dont le montant n'a pas été annoncé par la chancellerie.

Cette profession se caractérise aussi par une très grande informatisation de ses offices, équipés à plus de 95 % et recourant déjà à la dématérialisation des procédures dans leurs relations avec les organismes sociaux ou certaines administrations. Il conviendrait de mettre à profit cette situation, en mettant en place une interconnexion avec les juridictions (avec les TI pour les saisies-rémunérations par exemple), à l'instar de celle existant entre le RPVA et le RPVJ pour les avocats. Une telle initiative n'est cependant qu'à l'état de projet (sous l'égide de la Caisse des Dépôts), alors que le regroupement des TI doit avoir lieu d’ici fin 2009.

La réforme de la carte judiciaire concernant aussi 55 tribunaux de commerce, elle devrait avoir un impact sur les greffiers des tribunaux de commerce, qui sont des officiers publics et ministériels, et leur personnel. Cet impact devrait cependant être variable suivant les régions. En effet, dans certains cas, 2 voire 3 tribunaux de commerce fonctionnent avec un greffe commun : c'est le même greffier qui assiste par exemple les juges consulaires de Mamers et du Mans dans la Sarthe; le greffier est aussi le même pour les tribunaux de commerce de Vervins, Chauny et Saint-Quentin dans l'Aisne ou pour les tribunaux de commerce de Lisieux et Honfleur. Le rattachement d'une juridiction à l'autre est donc sans incidence pour le greffier; il est même souhaitable selon le conseil national des greffiers de TC dans la mesure où il y a accord des juges élus. Lors de son audition, ce conseil a évalué à 18 le nombre de greffiers rentrant dans cette configuration.

Il a ajouté que, par ailleurs, des confrères avaient été incités à se rapprocher dans le cadre de la réflexion préalable engagée sur l'évolution de la carte judiciaire des TC, sans que le succès soit total. Il y a en effet liberté d'association en la matière et l'on ne peut contraindre deux greffiers à s'associer. La suppression de la compétence commerciale d'une vingtaine de TGI conduira quant à elle à la création de nouveaux TC, qui permettront d'offrir un débouché à certains greffiers, dans la mesure où ces derniers sont mobiles géographiquement.

Dans l'hypothèse d'une disparition sèche d'un office sans association avec un autre greffier, des reconversions pourraient être envisagées vers les autres professions juridiques ou judiciaires (autres officiers publics et ministériels ou accès à la fonction publique voire à la magistrature). Cependant, le conseil national des greffiers des TC a souligné qu'en 1999 les mesures transitoires prévues n'avaient pas été suffisamment préparées et que s'étaient posés des problèmes de diplôme, de stage, de conditions d'accès et de nomination par le Garde des Sceaux. Il conviendra donc de prévoir un laps de temps suffisant pour faciliter les reconversions de ces greffiers. En tout état de cause, si le rachat d'une charge par l'État devait être exceptionnellement envisagé, le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce a indiqué à votre rapporteur que sa valeur variait considérablement selon la taille et le volume d'activité et pouvait se situer entre 100 000 et 300 000 euros.

La réforme de la carte judiciaire n'aura en revanche aucune incidence sur l'activité économique des notaires (à l'exception d'une incidence tout à fait marginale (sur la fixation des modalités de répartition des frais de notaires en cas d'intervention de plusieurs notaires) et devrait améliorer à certains endroits la correspondance entre l'organisation interne de la profession et les ressorts des juridictions.

4. Les autres postes de dépenses prévisibles

En dehors des dépenses liées au volet immobilier, à l’accompagnement social des personnels et à l’indemnisation des auxiliaires de justice, la réforme de la carte judiciaire induira d’autres surcoûts, alors que les économies d’échelles générées par le regroupement des juridictions restent difficiles à quantifier. En effet, il convient de prendre également en compte les frais de déplacement des conseillers prud’hommes pour se rendre au CPH de rattachement (art. L. 51-10-2 du code du travail). À cet égard, la nouvelle rédaction de cet article du code du travail issue de la loi sur la participation et l’actionnariat salarié avait précisé que ce remboursement interviendrait « dans les limites de distance fixées par décret » ; ce décret n’est pas paru à ce jour, la partie réglementaire du code de travail, étant en pleine refonte. Il importe donc que les répercussions liées à la réforme de la carte judiciaire soient prises en compte dans la fixation de ce plafond, afin de ne pas dissuader certains salariés ou petits chefs d’entreprises à renoncer à se présenter aux élections prud’homales.

De même, l’éloignement des juridictions par rapport à certaines communes de leur ressort induira des surcoûts de fonctionnement, notamment en frais de déplacement (par exemple, s’agissant des TI, pour l’apposition et la levée des scellés en matière successorale), d’autant plus si doivent être multipliés des audiences foraines et les déplacements des magistrats dans les maisons de retraite et dans les hôpitaux pour les tutelles, comme l’a annoncé le Garde des Sceaux. Interrogé sur l’organisation des audiences foraines, le Premier président de la cour d’appel de Grenoble a indiqué que l’organisation de ces dernières serait grandement facilitée si les juridictions voyaient étoffer leurs moyens en véhicules. Même s’il ne s’agit pas de surcoûts, des moyens devront être dégagés pour accélérer la réalisation des programmes informatiques et de dématérialisation des procédures.

Indépendamment des moyens à mobiliser par le ministère de la justice, se posera inévitablement la question de la prise en charge par l’État du coût supplémentaire des extractions, c’est-à-dire des conduites sous escorte vers les juridictions, et des incidences de l’allongement des trajets en termes de sécurité, lorsqu’il s’agit de détenus dangereux. À titre d’exemple, le regroupement à Cusset du TGI de Moulins nécessitera l’escorte des détenus du centre pénitentiaire de Moulins-Yzeure sur un trajet de 60 km d’une durée de près d’une heure à l’aller comme au retour. Ce centre, qui comprend 272 places, génère une activité pénale importante (conditions de détention et d’application des peines…). De même, le rattachement au TGI de Brive du tribunal de Tulle obligera à prévoir des escortes supplémentaires sur une trentaine de kilomètres, à l’aller comme au retour, la seule maison d’arrêt du département (structure accueillant notamment les prévenus, c’est-à-dire les détenus en attente de jugement) étant située à Tulle. Comme l’a souligné M. Philippe Ruffier, inspecteur général adjoint des services judiciaires, le problème des escortes n’est pas nouveau mais il risque d’être exacerbé par la réforme de la carte judiciaire, d’autant plus que les nouveaux établissements pénitentiaires, contrairement aux prisons anciennes, sont souvent excentrés. M. Frédéric Péchenard a de son côté reconnu l’inconvénient représenté par ces transferts supplémentaires, tout en estimant que l’impact de la réforme de la carte judiciaire méritait une analyse fine, qui n’a pas encore été faite : les conséquences sur la mobilisation des effectifs de la police judiciaire devraient être négligeables dans la mesure où ces services sont implantés dans des grandes villes, alors que cet impact devrait être plus important pour la direction de la sécurité publique (commissariats) ; tout dépendra de la localisation des TGI de rattachement par rapport aux maisons d’arrêt ; un équilibre pourrait cependant être trouvé entre l’inconvénient d’un plus grand éloignement de la juridiction et l’avantage d’un regroupement sur un seul site des escortes (au lieu de mobiliser le même jour des effectifs pour des escortes en direction de différents tribunaux).

Ces escortes sont particulièrement coûteuses en temps et en personnel pour les forces de l’ordre, situation dénoncée de façon récurrente par les rapporteurs des crédits de la mission « sécurité » lors de l’examen des projets de loi de finances (6), sans que de véritables solutions soient mises en œuvre. La police nationale a ainsi consacré 1 257 066 heures-fonctionnaires en 2005, soit l’équivalent de 807 postes, aux seules escortes et présentations tandis que la gendarmerie a consacré 1 813 348 heures-gendarmes en 2006 pour l’ensemble des opérations de transfèrements et extractions (y compris escortes administratives et celles liées à l’hospitalisation). Le général Parayre, directeur général de la gendarmerie nationale, a indiqué lors de son audition que l’impact des extractions était le plus sensible pour la gendarmerie, dans la mesure où ces tâches désorganisaient alors des brigades à petits effectifs : « lorsqu’une brigade de six personnes est sollicitée pour une escorte, il n’y a plus de surveillance dans la circonscription ». Une circulaire de la gendarmerie, qui détermine les conditions d’exécution de ces missions, précise que toute escorte mobilise trois militaires pour assurer la sécurité de l’individu, celle du public et la présentation devant le magistrat ; l’un d’entre eux remplit les fonctions de chauffeur. Le recours à la visioconférence, pourtant envisagé depuis plusieurs années, reste encore au stade de l’expérimentation et se heurte à l’absence d’équipement dans les établissements pénitentiaires.

En tout état de cause, la réforme de la carte judiciaire impliquera, encore plus qu’avant, que les convocations aux audiences soient suffisamment précises et qu’une rationalisation de ces mouvements soit opérée avec un minimum de planification et d’information de la part des magistrats. En effet, la demande de présentation de plusieurs détenus à autant d’horaires différents est fortement perturbatrice pour les forces de l’ordre, empêchant les chefs de services d’avoir une visibilité sur leurs effectifs et remettant en cause le rythme prévu pour les patrouilles. La question d’un déplacement du juge à la place de celui du prévenu ou d’un détenu risque donc de se poser de plus en plus, compte tenu de l’éloignement de certaines juridictions. Le général Pareyre, directeur général de la gendarmerie nationale, a quant à lui suggéré lors de son audition la création d’un service de l’administration pénitentiaire spécifiquement chargé des opérations d’extraction et de transfèrements.

Le représentant du syndicat de police Synergie-officiers, qui a appelé de ses vœux la création d’une direction centrale du transfert judiciaire dotée d’un budget autonome, a également appelé l’attention de votre rapporteur sur les incidences de la suppression de juridictions sur le déroulement de la garde de vue. En effet, la prolongation de la garde à vue est dans certains cas soumise à une présentation préalable au procureur de la République avant l’expiration du délai initial, ce qui sera plus difficile à mettre en œuvre lorsque ce magistrat est éloigné de plus de cinquante kilomètres des services enquêteurs. Lors d’une enquête préliminaire, l’article 77 du code de procédure pénale dispose que « cette prolongation ne peut être accordée qu’après présentation préalable de la personne à ce magistrat », alors que cette présentation est facultative lors d’un crime ou délit flagrant ; ce n’est qu’à titre exceptionnel que cette prolongation peut être obtenue sur décision écrite et motivée sans présentation au parquet. Interrogé sur ce point, M. Frédéric Péchenard a estimé qu’un tel déplacement pourrait être évité par le recours à la visioconférence et par la dématérialisation des procédures : si les programmes « Ariane » (liaison entre les fichiers de la police et de la gendarmerie) et « Ardoise » (Application de Recueil de la Documentation Opérationnelle et d’Informations Statistiques sur les Enquêtes), opérationnels d’ici juin 2008, doivent permettre d’entamer une première phase de dématérialisation des procédures entre services enquêteurs, « l’idée est, à terme, d’envoyer des PV par flux électronique aux magistrats sans transferts ».

Par ailleurs, en application de l’article 5 paragraphe 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, le déferrement devant le juge doit intervenir dans le plus court délai possible à l’issue de la garde de la vue, les articles 803-2 et 803-3 du code de procédure pénale prévoyant une comparution devant le magistrat le jour-même ou en cas de nécessité dans un délai maximal de 20 heures. L’éloignement de certaines juridictions des lieux de garde à vue risque donc de rendre encore plus délicate cette course contre le temps. C’est pourquoi le syndicat Synergie-Officiers craint que la remise en liberté à l’issue de la garde à vue soit de plus en plus privilégiée pour des raisons tenant à l’éloignement géographique et aux contraintes de transfert.

Enfin, en dehors du coût pour l’État, se pose également la question des incidences sur l’environnement des regroupements opérés dans le cadre de la refonte de la carte judiciaire, en particulier lorsque ceux-ci concernent des zones rurales peu pourvues en moyens de transport collectif, et ce au moment même où notre pays a fait de la lutte contre le réchauffement climatique une priorité.

B.— LA NÉCESSAIRE PRISE EN COMPTE DES BESOINS DES JUSTICIABLES ET DES RÉALITÉS LOCALES

1. Les incidences possibles sur les justiciables et les territoires

Votre rapporteur a été alerté à plusieurs reprises sur les incidences locales de suppressions sèches de juridictions. Il ne faut d’abord pas perdre de vue l’impact symbolique et psychologique d’une telle suppression, qui peut affecter l’image d’une petite ville ou d’une ville moyenne et son attractivité. En effet, la justice étant l’un des piliers du pacte républicain avec l’éducation nationale et la police ou la gendarmerie, cette suppression risque d’être vécue comme un désengagement de l’État, et ce parfois au moment même où cette ville est fragilisée par des sinistres économiques.

De plus, subsiste la crainte que cette suppression ne donne un prétexte à d’autres administrations ou à de grands opérateurs publics ou privés (Poste, France Télécom, EDF, Mutualité Sociale Agricole, etc…) d’opérer des réorganisations, alors même qu’a été signée en juin 2006 une charte pour les services publics en milieu rural mettant en avant « une approche plus globale, initiée à l’échelon territorial pertinent » et imposant un diagnostic partagé des besoins et de l’offre avec l’État, le conseil général et l’association des maires avant toute évolution de services. Alors que se profile un vaste chantier de modernisation de l’État (restructuration des hôpitaux, des régiments, fusion des impôts et du Trésor public, ainsi que celle de l’Unedic et des Assedic), votre rapporteur en appelle à une vision globale et interministérielle pour mener ces réformes selon une logique territoriale, avec l’appui méthodologique de la Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité du territoire (DIACT). Il ne s’agit pas de scléroser l’organisation des services publics mais bien d’éviter que chaque administration ou établissement agisse isolément selon sa propre logique et d’équilibrer les redéploiements par une amélioration globale du service rendu et un appui aux projets de reconversion ou de développement.

Le représentant du syndicat de police Synergie-officiers a quant à lui souligné le signal négatif d’une disparition sèche de toute structure judiciaire donné à la petite délinquance. Comme l’a indiqué la Fédération des maires des villes moyennes, le regroupement des TGI au niveau départemental pose aussi la question de l’avenir de l’action territorialisée du Parquet, qui s’est mise en place au sein des groupes locaux de traitement de la délinquance, structures qui permettent une grande réactivité sur le terrain et doivent être pérennisées. L’implication du procureur de la République, essentielle dans ce travail de collaboration entre élus, magistrats, forces de police et travailleurs sociaux, risque de diminuer, compte tenu de l’éloignement géographique.

Lorsqu’il s’agit en particulier d’un TGI (auquel est rattaché un barreau), l’impact de la fermeture d’une juridiction sur le tissu local n’est pas neutre. Une étude a été réalisée par la Chambre de commerce et d’industrie de Dieppe à la demande du Barreau en juillet 2007 pour évaluer l’impact socio-économique d’une éventuelle fermeture du TGI de Dieppe. Selon cette étude, l’activité judiciaire générerait environ 400 emplois sur la circonscription judiciaire de Dieppe, dont 162 emplois directs (magistrats, greffiers et fonctionnaires, avocats et leurs salariés, greffes du tribunal de commerce), près d’une centaine d’emplois indirects (liés principalement aux études d’huissiers) et environ 150 emplois induits, générés par les achats de biens et services effectués par les salariés des professions juridiques et judiciaires. La suppression du TGI de Dieppe aurait entraîné le transfert d’une centaine d’emplois vers Rouen (magistrats, fonctionnaires, la moitié des avocats et le tiers des huissiers, ainsi qu’une petite partie de leurs personnels) et la disparition de 40 % des emplois directs, indirects et induits (soit 165 emplois environ). Au total, ce scénario entraînerait une perte sèche de plus de 250 emplois pour la circonscription judiciaire de Dieppe. Cette étude évalue aussi à près de 66 000 euros par an la diminution de la taxe professionnelle générée par les cabinets d’avocats et les études d’huissiers, ainsi qu’à près de 7 millions d’euros par an les revenus qui ne seront plus injectés dans l’économie locale par les membres des professions juridiques et judiciaires et leur famille. L’étude évoque enfin l’impact possible sur le marché immobilier local des départs de ces professions. Si le TGI de Dieppe n’est finalement pas supprimé, le TGI de Rochefort de taille à peu près comparable et dont le barreau comporte 47 avocats sera affecté par la réforme de la carte judiciaire.

Le regroupement des juridictions posera la question de l’accès à la justice des populations et des conséquences de l’éloignement géographique sur leur capacité à ester en justice, même si la fréquence d’utilisation des services judiciaires n’est évidemment pas celle des services postaux. Comme l’a indiqué M. Alain Marc, député de l’Aveyron, à votre rapporteur, le rattachement du TGI de Millau à celui de Rodez placera par exemple 90,5 % de la population des communes de sa circonscription à plus de 45 minutes du nouveau TGI fusionné, 86 % à plus d’une heure et 18 % à plus d’une heure et demie. À l’heure actuelle, plus de 80 % de la population de ces communes est située à moins de 45 minutes du tribunal de Millau et aucune n’est située à plus d’une heure et demie. S’il reste en tout état de cause un tribunal d’instance à Millau, ce rattachement peut s’avérer problématique pour toutes les démarches liées au contentieux familial. En Corse du Sud, comme l’ont souligné les chefs de cours dans leur rapport, les habitants de Porto-Vecchio et ceux de Sartène devront parcourir respectivement un trajet en voiture d’une durée de 2 h 30 et d’1 h 30 à l’aller comme au retour pour la moindre démarche judiciaire en cas de rattachement du tribunal d’instance de Sartène et du greffe détaché de Porto-Vecchio au tribunal d’instance d’Ajaccio, dans des conditions souvent difficiles (aléas climatiques, divagation d’animaux, encombrements pendant la période touristique…). Les juridictions les plus importantes ne sont pas forcément situées au centre de leur circonscription judiciaire ou du département. Cette circonstance a d’ailleurs incité la fédération des maires des villes moyennes à suggérer de faire abstraction des limites départementales et à privilégier les bassins de vie pour les regroupements qui s’avéreraient nécessaires. À ces contraintes, s’ajoute parfois un isolement géographique l’hiver pour certaines communes de montagne (cols fermés).

La notion de proximité est aussi une notion relative. Cette exigence dépend à la fois de la nature du contentieux et de la nature du public. Se référant aux travaux de Jacques Commaille, la conférence nationale des présidents de TGI a distingué la justice qui a pour objectif l’élaboration du droit, qui est centripète et nécessite des ressources particulières, et la justice qui a pour objectif la gestion de la société, répondant à une demande de proximité et nécessairement centrifuge. La conférence des présidents de TGI n’a pas caché que la définition des contours du contentieux de proximité n’était pas évidente (s’agit-il des contentieux sans représentation obligatoire ?) mais précisé qu’un renchérissement de l’accès au juge (en raison par exemple des frais de déplacement) pouvait conduire les justiciables à renoncer à ester en justice pour de petits litiges. De même, une personne hésitera à se rendre jusqu’au greffe d’un conseil de prud’hommes éloigné pour obtenir une fiche de paye, une attestation Assedic, un rappel de salaires modique ou le versement d’une indemnité de congés payés. Enfin, il existe des types de contentieux pour lesquels la comparution personnelle des parties est obligatoire. Tel est notamment le cas du contentieux prud’homal à tous les stades de la procédure (la représentation n’est permise qu’en cas de « motif légitime »). Le domaine des tutelles, qui nécessite une audition de la personne concernée par le juge avant toute ouverture d’un dossier, est aussi l’exemple même du contentieux de proximité.

Par ailleurs, l’exigence de proximité est plus forte pour certaines catégories de population, qu’il s’agisse des mineurs, des personnes âgées ou en voie de précarisation. L’association nationale des juges d’instance a fait valoir la singularité du public des tribunaux d’instance compte tenu des matières traitées (surendettement, expulsion locative, saisies sur salaires, crédits impayés…) qui entrent dans le traitement des exclusions. Elle a souligné le risque de décisions prises par défaut, ce qui ne manquerait pas de se traduire par la suite par une incompréhension des décisions prises et un gonflement du contentieux de l’exécution. La marginalisation de certaines populations serait de ce fait accrue. L’association a également mis en avant le risque de priver les parties « d’une solution négociée à l’audience ou en cours de procédure, ce que font encore les tribunaux d’instance, notamment grâce aux liens qu’ils ont mis en place avec les conciliateurs de justice, les services préfectoraux ou sociaux ».

Il est donc essentiel d’examiner les besoins des justiciables selon la nature des litiges et la réalité des territoires pour adapter la présence judiciaire et faire évoluer l’offre de justice, sans créer de « déserts judiciaires ».

2. Les limites des recours aux nouvelles technologies de l’information et de la communication

Le recours aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, sous la forme de la dématérialisation des procédures et du recours à la visioconférence, a été présenté comme une solution palliative à l’éloignement géographique, correspondant à une conception moderne de la proximité. Ces nouveaux moyens doivent permettre de faciliter les échanges, de libérer les auxiliaires de justice de multiples démarches dans les services des juridictions, d’éviter les multiples enregistrements et saisies et d’offrir à tous un accès facilité à la justice. Votre rapporteur est convaincu qu’indépendamment de la réforme de la carte judiciaire, l’appropriation par les juridictions de ces nouvelles technologies est une nécessité et que le monde judiciaire ne saurait se tenir à l’écart d’une modernisation qu’ont déjà engagée la plupart des administrations de l’État ou les collectivités locales ; il convient cependant d’en analyser les contraintes et les limites.

La totalité des cours d’appel dispose depuis le début de ce mois d’au moins une salle d’audience équipée de matériel de visio-conférence et tous les TGI devraient en être équipés d’ici avril 2008. L’article 25 de la loi du 20 décembre 2007 a introduit dans le code de l’organisation judiciaire la possibilité d’utiliser la visio-conférence en matière civile pour l’ensemble des juridictions judiciaires en vue de relier plusieurs salles d’audiences entre elles, les adaptations du code de procédure pénale étant déjà faites. Ce recours à la visio-conférence est cependant subordonné au consentement de l’ensemble des parties, conformément aux exigences posées par le Conseil constitutionnel. En dépit de l’amélioration de cette technique et de la réduction du temps de latence, votre rapporteur a pu constaté que son usage soulevait des réticences chez une partie des magistrats et des avocats et impliquait un changement des mentalités. Un débat existe aussi sur son champ d’application : si le principe de son recours semble soulever peu de difficultés en matière d’application des peines, il n’est pas sûr, par exemple, qu’il soit le plus opportun pour entendre un mineur et le mettre en confiance.

Actuellement, le travail de dématérialisation des procédures le plus abouti a été mené à la Cour de Cassation : communication dématérialisée de tous les actes de procédures par les avocats au Conseil, consultation de l’état de la procédure et création d’un « bureau virtuel » qui permet aux magistrats d’avoir accès à l’ensemble des actes de procédures, de préparer les projets d’arrêts et de les modifier à l’audience.

En matière commerciale, les greffes des TC se sont engagés sur la voie de la dématérialisation des procédures : il est possible depuis 2007 de faire immatriculer une société par voie électronique et à compter du 1er janvier 2008, il sera possible de consulter en ligne les décisions des TC. Cependant, cette dématérialisation n’est pas totale, faute d’une authentification électronique des actes.

En matière civile, le décret du 28 décembre 2005, qui insère un titre XXI dans le nouveau code de procédure civile intitulé « La Communication par voie électronique », prévoit la possibilité d’effectuer par voie électronique « les envois, remises et notifications des actes de procédure, des pièces, avis, avertissements ou convocations, des rapports, des procès-verbaux ainsi que des copies et expéditions revêtues de la formule exécutoire des décisions juridictionnelles », sous réserve du consentement exprès des destinataires. Ces dispositions entrent en vigueur le 1er janvier 2009, avec une application anticipée possible dès la signature d’une convention locale entre le TGI et le barreau. Des premières expérimentations ont déjà été menées dans 5 TGI : Grenoble (depuis 2004), Alès, Lille, Paris (depuis 2003) et Marseille. Une convention-cadre nationale entre le conseil national des barreaux et le ministère de la justice a été signée le 4 mai 2005 puis le 28 septembre dernier. Une liaison entre le Réseau Privé Virtuel Justice (RPVJ) et le Réseau Privé Virtuel Avocats (RPVA) permet la communication entre le logiciel « COMCI TGI » et la plate-forme de services « E-barreau » du côté des avocats. L’objectif est d’arriver à permettre l’accès, voire l’échange ou la consultation de données de l’équivalent informatique du dossier ou du registre des audiences, ainsi que la délivrance des actes et pièces de procédure. Actuellement, le périmètre fonctionnel de la communication électronique dans les TGI où elle est mise en œuvre ne recouvre que les procédures de référés devant le Président, les référés devant le Juge aux affaires familiales, ainsi qu’une grande partie de la procédure de mise en état. D’ici la fin janvier 2008, l’ensemble des TGI devrait disposer de cette version de l’application de communication électronique civile.

La nouvelle version du logiciel « COMCI-TGI » (lot 2 version 3), dont la mise en place sur site pilote pourrait intervenir en novembre 2008, permettra aux juridictions et aux avocats d’effectuer de manière complète les échanges de données structurées sur des réseaux sécurisés. Cependant, outre quelques pannes de serveurs parfois constatées avec la version actuelle dans les sites pilotes, quelques difficultés devront être levées avant 2009 du côté des barreaux pour permettre une communication complète. Les avocats devront préalablement harmoniser les différents logiciels utilisés par leurs cabinets pour que les systèmes soient compatibles (le RPVA nécessite au moins un système d’exploitation du niveau de Windows 98 2ème génération ou Macintosh X) ; il semblerait même que certains avocats ne soient pas encore équipés de boîte e-mail, alors qu’une connexion à Internet est un préalable. La deuxième version du module de communication de « COMCI-TGI » nécessitera le développement d’une nouvelle version du RPVA.

Enfin, l’abonnement pour l’avocat qui veut se connecter au RPVA représente un coût plus important qu’un abonnement à un simple fournisseur d’accès (et auquel il se rajoute). M. Lionel Escoffier, président de la Fédération nationale des unions de jeunes avocats a indiqué lors de son audition que « la location du boîtier représentait un coût de 55 euros hors taxe par mois », soit un coût annuel de 660 euros hors taxe, auquel se rajoutent des frais d’installation (69 euros hors taxe) et la location des éventuelles clés USB d’authentification supplémentaires (l’abonnement au RPVA ne comprend que la remise d’une première clé USB cryptographique). Il a souligné l’existence de petits cabinets encore non informatisés et dépourvus de secrétariat, pour lesquels l’investissement initial sera conséquent. Par ailleurs, à Grenoble, les magistrats, ainsi que maître Patrice Giroud représentant du barreau de Grenoble, ont fait part à votre rapporteur des interrogations soulevées chez un certain nombre d’avocats par le différentiel de coût entre l’abonnement à « e-greffe », système utilisé jusqu’ici en Isère et limité à la mise en état électronique des procédures civiles (149 euros TTC sur trois ans), et l’abonnement au RPVA correspondant à la version complète de « COMCI-TGI ».

A l’instar de ce qui a été prévu pour les cabinets médicaux lors de la mise en place de la carte Vitale, une incitation de l’État, qui pourrait être le cas échéant ciblée sur les barreaux amenés à disparaître, serait dans ces conditions souhaitable pour permettre aux avocats de faire face plus facilement aux contraintes posées par l’éloignement géographique. Votre rapporteur rappelle à ce titre que l’informatisation des cabinets médicaux a fait l’objet d’un soutien notable de l’État et des organismes sociaux, qu’il pourrait être opportun d’envisager pour les professions juridiques, si l’on souhaite maintenir un maillage du territoire en dépit du regroupement des juridictions : prime d’aide à l’équipement informatique pour les médecins libéraux versée par le FORMMEL (7) (Fonds de réorientation et de modernisation de la médecine libérale), qui s’élevait à 1 372 euros par médecin, aide pérenne à la transmission des feuilles électroniques de soin (incitation de 7 centimes d’euros par feuille sans plafonnement), prise en charge intégrale par la caisse nationale d’assurance maladie de l’abonnement annuel de la carte professionnel de santé (CPS) (8), qui permet l’authentification du professionnel et une signature électronique –soit l’équivalent de la clé USB pour le RPVA pour les avocats- pour les échanges d’informations médicales sécurisées …

Dans le domaine pénal, la loi du 5 mars 2007 a consacré la possibilité de transmettre des copies numérisées des dossiers et de procéder à certaines notifications par voie électronique aux avocats. Ce dispositif vient d’être complété par un décret du 15 novembre 2007, qui assimile la copie numérisée à la copie certifiée conforme exigée par l’article 81 du code de procédure pénale et permet aux avocats de formuler des demandes d’acte par voie électronique. Depuis la mi-décembre 2008, l’ensemble des TGI a été équipé du matériel nécessaire à la numérisation des procédures pénales. Votre rapporteur, lors de son déplacement à Grenoble, au cours duquel il a pu également s’entretenir avec le président et le greffier en chef du TGI de Valence, a pu constater les conditions dans lesquelles cette numérisation se met en place et les difficultés qu’elles peuvent soulever dans l’organisation des juridictions, indépendamment des formations à mettre en place. En effet, la numérisation des procédures pénales, qui a débuté à l’automne 2007 à Grenoble par les dossiers d’instruction avant de s’appliquer en 2008 à l’ensemble des procédures correctionnelles, mobilise un vacataire à temps plein, dont la mission devrait s’arrêter au 31 décembre 2007 faute de crédits. De plus, cour d’appel et TGI ne disposent que d’une seule station de numérisation, ce qui va obliger les greffiers à faire des allers et retours de leur bureau jusqu’à la salle de numérisation. L’équipement des greffiers en scanners individuels (pour compléter un dossier par une pièce par exemple) apparaît donc tout à fait souhaitable. La numérisation des procédures pénales ne peut donc être conduite sans certains moyens et la mobilisation de ressources humaines, qui sont souvent difficiles à trouver dans des greffes en situation déjà tendue. La réalisation de documents dématérialisés dès le départ n’est pas encore effective, faute notamment d’équipements adéquats du côté des forces de police.

Cependant, comme l’a pu constater votre rapporteur, ce chantier de dématérialisation ne concerne pas pour l’instant les tribunaux d’instance, alors qu’ils constituent le cœur de la réforme, et leur public, qui n’est, pour la plupart, pas représenté par un avocat et ne pourra donc bénéficier de l’interconnection RPVA/RPVJ pour engager ou suivre une procédure. Par ailleurs, les TI et CPH ne bénéficient pas pour l’instant non plus du même équipement en visio-conférence que TGI et cours d’appel (sauf ceux qui partagent les mêmes locaux).

Un protocole d’accord, signé le 10 juillet 2007 entre la Caisse des Dépôts et Consignations et le ministère de la justice pour le développement de la dématérialisation des procédures, prévoit cependant, outre un accompagnement en matière de dématérialisation des procédures civiles (interconnexion avec les avocats), de signature électronique et une étude de faisabilité d’une plate-forme d’interconnexion des systèmes Justice/Police/Gendarmerie, la fourniture « clé en mains » d’un « portail grand public d’accès à la justice » et d’un « portail tutelles » permettant la dématérialisation des comptes rendus de gestion annuels transmis par les tuteurs et d’un outil automatisé de contrôle de ces comptes rendus par les magistrats. La Caisse des Dépôts et Consignations va également étudier la faisabilité d’un projet d’échanges dématérialisés entre huissiers et tribunaux d’instance, ainsi que la faisabilité d’une connexion du réseau RPVJ des greffes des juridictions à la plate-forme d’échanges entre professions juridiques « Transjuris » en cours d’élaboration. Le développement des quatre projets clés en main, nécessitera, selon M. Dominique Viteau de la Caisse des Dépôts et Consignations, le recrutement d’une trentaine de collaborateurs par rapport à l’équipe actuelle de 13 personnes et le budget annuel serait en 2008 et 2009 de 8 millions d’euros.

Ce protocole étant d’une durée de trois ans (échéance : juillet 2010) et la réunion de lancement sur les portails « tutelles », « grand public » et « échanges TI/huissiers » n’ayant eu lieu qu’en octobre 2007, votre rapporteur s’interroge sur le phasage entre le déploiement de ces projets clés en main et l’échéance de la fermeture des tribunaux d’instance affectés par la réforme, qui doit avoir lieu dès 2009. Cette bonne articulation s’avère essentielle si l’on ne souhaite pas de trou de plusieurs mois voire années dans l’accès à la justice des populations de certains territoires.

Il existe certes un début de dématérialisation des formulaires, qui vise à permettre aux justiciables d’effectuer certaines démarches en ligne. Une trentaine de formulaires a été mise en ligne à compter d’avril 2007 sur le site du ministère de la justice : demande de copie d’une décision de justice civile, demande d’un certificat de non appel, d’un certificat de non opposition, d’un certificat d’un acte de notoriété, procuration donnée à un ayant droit, demande de délivrance d’un certificat de propriété, demande d’exercice conjoint de l’autorité parentale, demande d’indemnisation adressée à la commission d’indemnisation des victimes d’infraction…. Sont notamment désormais en ligne des formulaires destinés à engager une action en justice : déclaration au greffe du TI ou de la juridiction de proximité, demande en injonction de faire devant le TI ou la juridiction de proximité, demande en injonction de payer au président du TI, du TC ou au juge de proximité. Mais les magistrats et directeurs de greffes rencontrés à Grenoble par votre rapporteur ont unanimement indiqué que ces formulaires n’étaient pas du tout utilisés. Deux raisons principales expliquent cette situation : ces formulaires en ligne ne sont pas connus de la population ; il ne s’agit pas de formulaires administratifs classiques et les justiciables ont besoin d’un accompagnement humain et juridique pour les utiliser. C’est pourquoi, pour votre rapporteur, il est indispensable qu’une campagne de communication soit entreprise par la chancellerie pour faire connaître ces formulaires dématérialisés et d’autre part, qu’une présence judiciaire adéquate soit prévue dans les territoires affectés par la réforme de la carte judiciaire pour accompagner les justiciables lors de leurs démarches, par exemple sous la forme d’un guichet unique de greffe ou d’un point d’accès au droit.

Cette présence judiciaire est d’autant plus importante pour maintenir l’accessibilité de tous à la justice que tous les citoyens, de par leur culture, leur situation financière ou leur localisation géographique, ne pourront utiliser Internet. En effet, en matière de couverture numérique du territoire, il reste encore en 2007 2 % de la population qui n’est pas couverte en haut débit et ne pourra pas l’être par l’ADSL (paire de cuivre téléphonique). Pour ces populations, le recours à la technologie du Wimax a été envisagé mais son déploiement ne sera pas aussi rapide que prévu et l’autre solution possible, qui passe par une utilisation d’une partie des basses fréquences du dividende numérique, ne pourra être envisagée qu’au fur et à mesure de l’extinction de la télévision analogique. Par défaut, le gouvernement a d’ailleurs mis en place en 2006 un plan de couverture en haut débit pour les zones rurales, destiné à permettre la création de deux points d’accès à Internet dans les communes situées en zone blanche sous la forme du financement de deux bornes Wifi par une majoration de dotation générale d’équipement. Ces zones blanches sont en outre généralement celles dans lesquelles les difficultés de circulation et l’enclavement sont les plus forts. Les personnes qui veulent avoir accès à la justice dans ces zones cumulent les deux handicaps.

Indépendamment des contraintes géographiques, certaines personnes ne pourront utiliser Internet pour pallier l’éloignement géographique des juridictions : il en est ainsi des personnes âgées ou des personnes en situation de précarisation, qui n’ont pas ou plus de véhicule ou d’ordinateur avec un abonnement à un fournisseur d’accès.

Enfin, votre rapporteur mentionnera la convention signée par le Garde des Sceaux et le PDG de France Telecom le 3 décembre dernier sur l’expérimentation d’un point « visio-public » dédié à des procédures judiciaires. À travers cette borne audio-visuelle, le citoyen pourrait consulter des informations, recevoir des documents, les signer et dialoguer avec un correspondant à distance grâce au son et à l’image. Les justiciables pourraient notamment effectuer une déclaration au greffe ou une procuration de vote sans se déplacer. Selon les informations de la chancellerie, les résultats de l’expérimentation permettront de déterminer les contentieux les plus appropriés à cette nouvelle technologie et le budget qui y sera consacré. Les points visio-public pourraient être à terme implantés dans les maisons de justice et du droit, les tribunaux d’instance regroupés et les mairies. Il convient sans doute d’envisager aussi leur déploiement dans les relais et maisons services publics, ce qui permettrait au citoyen de bénéficier d’une assistance le cas échéant, ainsi que dans d’autres juridictions (CPH par exemple) en vue de promouvoir une logique de guichet unique (un justiciable peut ainsi se rendre au CPH pour obtenir des informations et faire des démarches concernant le TI).

3. Le maintien d’une présence judiciaire sous des formes adaptées

Compte des contraintes inhérentes à l’éloignement géographique, des caractéristiques sociologiques (impact de la surreprésentation de personnes âgées en termes de tutelles, taux de la population au chômage ou dont les revenus ne dépassent pas le SMIC) ou culturelles de certains bassins de vie, et des limites du recours aux nouvelles technologies, il est essentiel de ne pas éluder lors de la mise en œuvre de la réforme de la carte judiciaire la question de l’accessibilité à la justice ainsi que celle de l’accès au juge. L’éloignement géographique, conjugué au traumatisme d’une agression, ne doit pas non plus conduire une victime à renoncer à ses droits, faute d’une prise en charge adaptée.

S’agissant de l’accès au juge, le Garde des Sceaux, a souligné que seraient mises en place en cas de besoin des audiences foraines pour les petits litiges du quotidien. Elle a également indiqué que le contentieux familial (divorce, contentieux de l’après-divorce et des familles naturelles), soit 50 % des affaires civiles, continuerait à être traité sur place lorsqu’un TGI était supprimé sous la forme de « tribunaux d’instance renforcés », ce qui permettrait de conserver une proximité pour des affaires où le justiciable doit comparaître en personne. Il s’agirait en fait d’audiences foraines du TGI de rattachement organisées au TI maintenu au siège du TGI supprimé. Ces audiences pourraient aussi concerner pour d’autres matières nécessitant la présence des parties, telles l’assistance éducative pour les audiences de cabinet du juge des enfants ou l’application des peines en milieu ouvert pour les aménagements de peine et les alternatives à l’incarcération.

L’article L. 7-10-1-1 du code de l’organisation judiciaire prévoit déjà la possibilité pour toutes les juridictions de tenir des audiences foraines en dehors de la commune de leur siège, en toutes matières : « Les juridictions de l'ordre judiciaire peuvent tenir des audiences foraines dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. » De même que l’art L. 931-12, outre-mer : « Pour le jugement des affaires civiles, correctionnelles et de police, le premier président de la cour d'appel peut autoriser le tribunal de première instance à tenir des audiences foraines en des communes de son ressort fixées par décret en Conseil d'État. »

La seule référence à ces articles du code de l’organisation judiciaire ne semble pas cependant suffisante pour maintenir une présence judiciaire adaptée à tous les territoires. En effet, l’organisation des audiences foraines relève d’une décision des chefs de cour (ordonnance du premier président de la cour d’appel après avis du procureur général) et il conviendrait d’éviter, à situation égale, une application de cet article trop divergente selon les ressorts des différentes cours d’appel. En tout état de cause, il ne s’agit que d’une faculté. Il serait donc nécessaire de donner une base textuelle dans le Code de l’organisation judiciaire à la notion de « tribunal d’instance renforcé », afin que celle-ci perdure au fil des changements ministériels.

Cette modification du code de l’organisation judiciaire s’avère d’autant plus opportune qu’un certain nombre de personnalités auditionnées par votre rapporteur (syndicats de fonctionnaires et de magistrats notamment) ont émis des réserves sur la pérennité des audiences foraines, en s’appuyant sur certains exemples passés. Les audiences foraines restent tributaires du volontarisme en la matière des magistrats et sont consommatrices de temps et d’effectifs.

Le code de l’organisation judiciaire prévoyait une autre possibilité de maintenir une justice de proximité sous la forme d’une chambre détachée, démembrement géographique d’un TGI (articles L. 311-16 à L. 311-18 du code de l'organisation judiciaire). On peut ainsi envisager de limiter le nombre de TGI proprement dits et d'installer dans les ressorts territoriaux élargis d'autres chambres compétentes dans des matières déterminées, les fonctions spécialisées restant au TGI (juge d’instruction, application des peines…). Contrairement aux audiences foraines, il s’agit alors d’une justice permanente mais qui peut-être partielle, c’est-à-dire limitée à certaines matières. Cette faculté avait été mise en œuvre en 1999 dans le département des Deux-Sèvres, avec la chambre détachée du TGI de Niort à Bressuire, qui avait été finalement retransformée en TGI après quelques années. Cette option, qui a été dans un premier temps envisagée dans la perspective plus large de la création d’un tribunal de premier instance, n’a finalement pas été retenue par la chancellerie, compte tenu des craintes du Conseil national des barreaux par rapport à des « sous-juridictions », de sa complexité et de l’absence de consensus sur la notion et le contenu des chambres détachées (place du parquet ? étendue des compétences et degré d’autonomie ?...).

Enfin, l’analyse des besoins des justiciables ne se limite pas à l’accès au juge. Il y a tout un travail d’accueil, d’orientation dans ses démarches du justiciable et de suivi des procédures. De même, si le tribunal d’instance est la juridiction des litiges du quotidien, il est aussi le tribunal du citoyen sans litige (PACS, certificats de nationalité, notoriété, cessions de salaire…). C’est pourquoi, au-delà des audiences foraines, il convient de réfléchir en parallèle à un autre type de réponse, située à un autre niveau, qui se réfère davantage à l’accessibilité à la justice qu’à l’accès au juge. Le maintien de cette nouvelle forme de présence judiciaire est d’autant plus important lorsque se pose un problème d’accès géographique avec le tribunal de rattachement (trajet routier égal ou supérieur à une heure, absence de desserte fréquente en transports en commun entre les deux villes…) ou de populations plus fragilisées (forte proportion de la population éligible à l’aide juridictionnelle par exemple).

Le Garde des Sceaux a évoqué la création de nouvelles maisons de justice et du droit (MJD) modernisées pour maintenir un accès au droit dans certains endroits : « Deux le seront en Bretagne et en Lorraine. Le maintien des tribunaux d’instance de Loudéac et de Toul ne se justifiait pas. Ce constat avait été formulé par les chefs de cour. Il est cependant apparu important de maintenir un lieu d’accès à la justice en Bretagne intérieure. Quant à Toul, le Gouvernement a voulu maintenir un service public dans cette ville, qui vient d’être rudement touchée par la fermeture de l’usine Kléber. D’autres projets de création sont à l’étude : Châteaubriant, Lodève et Ploërmel ».

La France compte actuellement 122 MJD, qui sont complétées par une soixantaine d’antennes de justice. Implantées principalement dans les zones urbaines sensibles et les quartiers éloignés des juridictions, les MJD, institutionnalisées par la loi du 18 décembre 1998 relative à l’accès au droit et à la résolution amiable des conflits, participent en amont à la prévention de la délinquance et aux politiques d’aide aux victimes et d’accès au droit, grâce à la présence judiciaire de proximité qu’elles assurent. En aval, elles contribuent au développement du traitement non juridictionnel des affaires. Les MJD résultent d’initiatives locales cofinancées par le ministère de la justice, la délégation interministérielle à la ville et les municipalités (selon des modalités variables précisées dans la convention constitutive) et reposent sur un partenariat étroit entre parquet, protection judiciaire de la jeunesse, collectivités locales, associations de médiation ou d’aide aux victimes.

En soi, la création de MJD ou d’antennes judiciaires peut correspondre à une notion moderne d’accès à la justice adaptée à certains de nos territoires. Mais encore faut-il examiner les conditions réelles de financement et de fonctionnement de ces nouvelles structures. À l’instar de la Fédération des maires des villes moyennes, votre rapporteur met en garde contre toute tentative de transferts de charges réalisée à l’occasion de la réforme de la carte judiciaire. La justice reste l’une des missions régaliennes de l’État et il serait paradoxal qu’une commune affectée par la disparition d’un tribunal soit de surcroît amenée à prendre en charge financièrement le maintien d’une présence judiciaire sous la forme d’un point d’accès au droit ou d’une MJD. D’autant plus qu’à la différence d’une grande partie des MJD située dans un quartier sensible d’une grande ville, le public de ce point d’accès au droit ne se limitera sans doute pas aux seuls habitants de cette ville mais s’étendra à la population des autres communes du ressort du tribunal supprimé. La loi du 7 janvier 1983 complétée par une loi du 22 juillet 1983 a, faut-il le rappeler, mis un terme à la gestion financière par les départements et communes des TGI, TI et CPH et traduit la volonté du législateur de réserver à l’État l’entier exercice de ses attributions de souveraineté : à compter du 1er janvier 1984, l’État devait prendre en charge l’ensemble des dépenses de personnel, de matériel, de loyer et d’équipement du service public de la justice.

Votre rapporteur soutient la proposition plus ambitieuse de guichet universel de greffe (ou guichet unique de greffe) avancée par plusieurs des personnes auditionnées. Ces structures, qui accueilleraient également, dans des bureaux séparés des associations de victimes, des permanences de conciliateurs et de professions juridiques (avocats mais aussi huissiers), seraient tenues par des greffiers, dont la formation à l’accueil et la polyvalence auraient été renforcées. Ces greffiers pourraient être issus du tribunal supprimé, ce qui présenterait un double avantage : ces fonctionnaires, souvent propriétaires de leur maison et fortement ancrés dans leur territoire, continueraient à servir l’institution judiciaire sans avoir à déménager ; ils pourraient mettre à profit leur connaissance des caractéristiques de la population locale dans leurs nouvelles fonctions. Ainsi des effectifs de magistrats seraient libérés sans que l’accessibilité à la justice ne soit remise en cause.

La nature des prestations offertes à la population pourrait même se traduire par une amélioration du service rendu à la population, dans la mesure où certaines adaptations de nature technique et juridique seraient réalisées. Ces structures devront être reliées au RPVJ et aux logiciels informatiques des juridictions de droit commun dans un premier temps, mais aussi des juridictions spécialisées à terme. Cette mise en réseau pourrait éventuellement bénéficier d’un appui de la DIACT, la DATAR ayant déjà apporté son assistance et cofinancé au milieu des années 90 les expérimentations de télétravail entre des TI et leurs greffes détachés (notamment dans le ressort du TI du Havre). Il s’agir d’offrir au justiciable un point unifié d’entrée dans le système judiciaire, qui serait capable :

– d’assurer un accueil et une orientation de qualité, excluant la consultation (qui relève du domaine des professionnels de justice), quelles que soient la nature du litige et la juridiction judiciaire compétente : fourniture de renseignements pratiques (liste des avocats, experts…), remise des imprimés nécessaires ;

– de réceptionner les demandes, à l’exception de celles effectuées par voie d’assignation avec ministère d’avocat obligatoire. Un justiciable pourrait ainsi effectuer, par exemple, un dépôt de demande d’admission à l’aide juridictionnelle sans avoir à se déplacer au siège du TGI.

– d’enregistrer, de scanner ces demandes et de les acheminer, ce qui suppose que le guichet unique de greffe ait accès au répertoire général pour la numérotation. L’ensemble des documents sera transmis après scannerisation au service de la juridiction compétente. Cette fonctionnalité, qui nécessite le plus d’aménagements informatiques, organisationnels, et juridiques, pourrait n’être proposée que dans un second temps ;

– de l’informer, grâce à un écran de consultation, sur le déroulement de sa procédure devant le TI, le TGI, mais aussi devant le CPH voire le TC et le renseigner sur les dates d’audience et de délibéré ;

– de communiquer le résultat de l’audience et de délivrer une copie du jugement, dès lors que celui-ci sera daté et signé ;

– d’enregistrer les voies de recours et d’en informer au plus vite la juridiction compétente. De même que pour l’enregistrement des demandes, ce service pourrait n’être proposé que dans un second temps.

Compte tenu de la nature de ces fonctions, il est essentiel que ces tâches soient assurées par un greffier, et non, par exemple, par un fonctionnaire d’une maison de services publics. En outre, un greffier sera le plus à même d’orienter les justiciables sur la nature des démarches à engager.

Outre un maillage et une mise en réseau informatiques, une mise en compatibilité des différents logiciels utilisés par les différentes juridictions de l’arrondissement judiciaire serait souhaitable pour éviter que les fonctionnaires du guichet unique n’aient à travailler sur plusieurs postes informatiques pour obtenir les renseignements nécessaires au justiciable. Or, comme l’a souligné Mme Rachida Dati lors de son audition devant la délégation, « il n’existe toujours pas de connexions compatibles entre deux TGI dans le ressort d’une même cour d’appel. Les TGI d’Evry et de Paris, par exemple, n’ont pas des logiciels compatibles ».

Si l’on souhaite faire du guichet unique de greffe l’interlocuteur du justiciable quelque soit le site de l’arrondissement judiciaire auquel celui-ci s’adressera, quelques aménagements législatifs ou réglementaires s’avèreront sans doute nécessaires dans le nouveau code de procédure civile ou le code de procédure pénale. Ils ne dispenseront pas de toute façon le justiciable d’indiquer dans son acte de saisine la juridiction auprès de laquelle il a l’intention de porter son litige tant territorialement que fonctionnellement. Actuellement, l’article 54 du nouveau code de procédure civile (NCPC) dispose que « sous réserve des cas où l’instance est introduite par la présentation volontaire des parties devant le juge, la demande initiale est formée par assignation, par remise d’une requête conjointe au secrétariat de la juridiction ou par requête ou déclaration au secrétariat de la juridiction » ; en conséquence, un greffier d’un tribunal d’instance ne peut recevoir une demande relevant d’une autre juridiction, fût-elle celle du tribunal d’instance limitrophe ou d’un conseil de prud’hommes du même arrondissement judiciaire ; de même, un justiciable ne peut actuellement introduire d’action en justice devant un TI en se présentant à une maison de justice et du droit.

Il est donc indispensable d’introduire un nouvel article dans le NCPC prévoyant la compétence du guichet unique de greffe pour recevoir et enregistrer toute demande en justice dans le ressort de l’arrondissement judiciaire dont il dépend, puis à terme, pour toute juridiction compétente. De même, le décret n°91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 relative à l’aide juridique devra être modifié, sachant qu’actuellement les demandes ne peuvent être déposées qu’au bureau de l’aide juridictionnelle du TGI du domicile du demandeur ou du TGI déjà saisi. L’article 932 du NCPC devra également être modifié pour les voies de recours. En matière pénale, la mise en place de guichets uniques de greffe ne soulève pas de difficultés procédurales importantes ; les articles relatifs aux voies de recours (appel et opposition) devront cependant être adaptés.

Votre rapporteur est bien conscient que la création de ces guichets uniques de greffes, au lieu et place des tribunaux supprimés, représente un investissement important mais il est impératif d’y faire face si la réforme de la carte judiciaire est bien motivée par l’intérêt des justiciables. La conférence des premiers présidents, lors de son audition, a exprimé sa désapprobation par rapport à des fermetures sèches de tribunaux et souligné la nécessité de « maintenir un accès au droit minimum, dans des maisons de la justice » tout en faisant part de ses craintes en la matière : « or, le maintien de cet accès minimal n’est pas acquis car cela représente un coût ». Votre rapporteur espère vivement que les faits démentiront ces craintes et que ces exigences seront prises en compte par la chancellerie, pour garantir l’égal accès de tous à la justice sur le territoire.

Votre rapporteur est également bien conscient des enjeux temporels en la matière. Il importe, en effet, comme l’ont souligné pour la Corse les chefs de cour de la cour d’appel de Bastia dans leur rapport, que les regroupements préconisés n’interviennent qu’après la création et la mise en service effective des guichets uniques de greffe. Les services offerts par ces guichets s’étofferaient ensuite progressivement (enregistrement des demandes ou requêtes, etc…). C’est là une condition nécessaire au maintien d’une présence judiciaire dans certains bassins de vie éloignés des juridictions ou dont une partie de la population est peu mobile ou fragilisée. Ce serait également un signal fort en direction de ces populations, pour leur montrer que l’État ne se désengage pas et que leur accueil reste – et peut-être même plus qu’avant - une priorité. Une action de communication pourrait être alors menée localement pour rassurer les populations sur la mise en œuvre de la réforme de la carte judiciaire et leur expliquer le rôle immédiat et à terme du nouveau guichet unique de greffe et les services susceptibles d’être offerts.

La mise en place de ces guichets uniques pourrait être également envisagée au sein même des « TI renforcés », pour permettre par exemple à un justiciable d’avoir des renseignements sur le suivi d’un contentieux familial (TGI) ou prud’homal.

C.— LA RÉFORME DE LA CARTE JUDICIAIRE PEUT-ELLE, À ELLE SEULE, RÉFORMER LA JUSTICE ?

Le regroupement des juridictions ne doit pas être poursuivi pour lui-même : la justice est au service de la population et non l’inverse. Dans ces conditions, une réforme purement géographique suffit-elle à améliorer le service rendu au justiciable ? La quasi-totalité des personnalités auditionnées a souligné l’impérieuse nécessité d’inscrire la réforme de la carte judiciaire dans une réforme plus globale de la justice.

Tout d’abord, la réforme de la carte judiciaire ne doit pas se contenter de « gérer la pénurie », ni, conformément aux craintes exprimées par la conférence des présidents de TGI, d’être « un moyen de compenser le retard pris dans l’exécution de la loi d’orientation et de programme pour la justice en matière de recrutement de fonctionnaires ». Elle doit donc être associée à un renforcement des moyens de la justice, qui reste incontournable. Selon le rapport de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice paru en 2006, le ministère de la justice français occupe la 38ème position sur les 45 pays européens du Conseil de l’Europe pour son taux de personnel non juge pour 100 000 habitants. La France se situe aussi au 29ème rang lorsqu’il s’agit d’efforts financiers consacrés au système judiciaire rapportés au PIB et au 33ème rang pour le taux de magistrats pour 100 000 habitants. Dubitatifs sur le surcroît de célérité de la justice qu’entraînera en l’état des choses le simple regroupement des juridictions, les représentants de la Confédération nationale des avocats ont ainsi rappelé lors de leur audition que « le budget de la justice par habitant est de 51,40 euros, contre 102 euros en Allemagne et 80,50 euros en Angleterre-Pays de Galles », même si l’interprétation de ces écarts doit également se faire à la lumière des différences de système judiciaire et de rémunération des magistrats. De même, « nous avons en France 10 juges professionnels pour 100 000 habitants contre 25 en Allemagne et nous avons 1 greffier par magistrat contre 2 en Allemagne ». Ces derniers concluent ainsi que « quand nous aurons enfin deux fois plus de magistrats, quatre fois plus de greffiers et des moyens matériels de communication modernes, la réforme de la carte judiciaire se dessinera et elle pourra très consensuellement être décidée ».

Rendre la justice plus efficace devra donc aussi passer par la création d’emplois, au-delà des seuls redéploiements permis par la concentration des juridictions. D’autant plus qu’un certain nombre de fonctionnaires seront tentés par un détachement dans une collectivité locale ou un établissement public, un départ anticipé à la retraite (9) ou même par un départ vers le secteur privé qui leur permette de ne pas changer de lieu de résidence. Les greffes sont actuellement dans une situation tendue, que n’ont pas manqué de rappeler à votre rapporteur les syndicats de fonctionnaires et de magistrats. Si le taux d’exécution de la LOPJ est de 81,7 % pour les emplois de magistrats, il n’est que de 40 % pour les fonctionnaires des greffes, hors agents placés. M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis de la Commission des lois de l’Assemblée Nationale sur les crédits de la mission « Justice » souligne ainsi dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 2008 que le ratio général entre le nombre de fonctionnaires (greffiers et emplois administratifs de catégorie C) et le nombre de magistrats pour l’ensemble des services judiciaires s’est dégradé entre 1997 et 2007, passant de 2,85 à 2,53, les créations de postes de fonctionnaires n’ayant pas progressé au même rythme que celles des magistrats, et que ce ratio n’atteint plus que 0,87 lorsque l’on ne prend en compte que les magistrats et greffiers en activité dans les juridictions (7931 magistrats et 6942 greffiers) ! Le projet de loi de finances pour 2008 a certes prévu la création de 101 Equivalents Temps Pleins Travaillés (ETPT), correspondant selon les informations transmises par la chancellerie, à 400 postes physiques en année pleine, dont 187 postes de magistrats et 187 postes de greffiers. Cet effort financier devra être poursuivi et même sensiblement amplifié s’agissant des postes de fonctionnaires ; en effet, il ne s’agit plus en l’occurrence de créer des postes de greffiers au même rythme que celui des postes de magistrats mais bien de combler l’écart existant, en renforçant le ratio fonctionnaires/magistrats : sans greffier, un dossier ne peut être enregistré, les pièces nécessaires ne peuvent être demandées, les parties ne peuvent être convoquées et une décision de justice rendue par un magistrat ne peut être notifiée donc s’appliquer ... Cet effort sera d’autant plus facile à justifier auprès du ministère des finances, qu’il sera désormais couplé à une rationalisation des structures judiciaires.

Par ailleurs, comme l’a indiqué votre rapporteur dans sa première partie, une partie des dysfonctionnements actuels prennent leur source dans les rigidités de la gestion des ressources humaines au sein du ministère de la justice. Contrairement à la solution envisagée dans un premier de temps de création d’un tribunal de première instance, une réforme purement géographique consistant à fermer certaines juridictions ne peut lever à elle seule ces rigidités. Elle ne permet pas, par exemple, d’envisager une gestion globale des effectifs des greffes des TGI, TI et des CPH situés dans une même ville. La réforme de la carte judiciaire ne doit donc pas conduire à occulter la réflexion qui s’impose pour moderniser la gestion des ressources humaines au sein du ministère.

Le rapporteur spécial de la Commission des finances de l’Assemblée Nationale, M. René Couanau ne dit pas autre chose dans son dernier rapport : « Votre Rapporteur spécial a eu le sentiment, au cours des auditions qu’il a effectuées dans le cadre de la préparation du présent rapport, d’un manque relatif de transparence sur la manière dont l’administration procède pour allouer les ressources entre les juridictions, et particulièrement en ce qui concerne les ressources humaines. Malgré l’existence d’outils statistiques de mesure de l’activité des juridictions, il semble que l’affectation des personnels ne repose pas sur ces données incontournables que sont le nombre d’affaires soumises aux juridictions et le nombre d’affaires traitées par fonctionnaire ». Votre rapporteur ne peut donc que souhaiter comme lui que « la réforme de la carte judiciaire, qui se fonde notamment sur l’activité des juridictions, permette de parvenir à terme à une allocation juste et transparente des moyens », d’autant plus que le ministère de la justice dispose désormais à cet effet d’un logiciel « Outilgref » mettant en relation charge de travail et besoins à affecter. Cette réforme doit aussi être l’occasion de se pencher sur les procédures et les délais de nomination, pour les accélérer, et d’améliorer l’information des personnels sur les postes à pourvoir. Le rapporteur spécial cite l’exemple d’un délai d’affectation de six mois pour un greffier ou un fonctionnaire de catégorie C lorsque la commission administrative paritaire se réunit six mois après la mutation ou le départ en retraite du précédent fonctionnaire. Ce délai excessif est de nature à perturber le fonctionnement d’une chambre voire d’une juridiction entière s’il s’agit d’un TI. De même, faut-il souligner l’écart important constaté ces dernières années entre le plafond d’emplois budgétaires et les emplois réellement financés et pourvus qui a conduit le ministère des finances a opéré « un ajustement technique » sur le plafond d’emplois prévu dans le projet annuel de performances de 2008.

Le recours au « télétravail » entre plusieurs sites, cité par plusieurs syndicats de fonctionnaires comme une alternative possible à des suppressions de tribunaux, pourrait être également envisagé en vue de rééquilibrer l’activité de certaines juridictions en cas de besoin et de procéder aux ajustements nécessaires. Une amélioration du maillage informatique des structures judiciaires est là encore impérative.

Enfin et surtout la réforme de la carte judiciaire, qui n’est pour l’instant qu’une réforme géographique et mécanique, doit absolument s’inscrire dans une réforme beaucoup plus globale et ambitieuse de la justice. Le préfet Mirabaud, délégué interministériel à l’aménagement et à la compétitivité des territoires, a tout à la fois rappelé lors de son audition que « l’évolution des services publics sur le territoire était naturelle » mais que « toute réorganisation devait se traduire par une amélioration du service rendu ». En l’occurrence, une réforme purement géographique n’améliorera guère la lisibilité de la justice pour nos concitoyens, qui continueront à se perdre dans les méandres des différentes procédures et des compétences des différentes juridictions. Le secrétaire général du ministère de la justice, M. Moinard, a lui-même reconnu qu’il était difficile de s’en tenir à une simple réforme mécanique « dans la mesure où le gain pour le justiciable n’est pas considérable : les juges moins isolés jugeront mieux mais il faut une nouvelle répartition des contentieux ».

L’association nationale des juges d’instance a fait valoir que cette redéfinition des compétences et des contentieux pouvait permettre corrélativement de renforcer l’activité de certains tribunaux d’instance et permettre aux justiciables de disposer d’un véritable pôle de proximité. Elle a également mis en avant les incohérences de la répartition actuelle des contentieux, source de complexité pour le public mais aussi pour les professionnels, et les enchevêtrements existants, et préconisé une clarification et une suppression de diverses exceptions de compétences. À titre d’exemple, alors que le code de l’organisation judiciaire a confié au tribunal d’instance le contentieux du logement, la loi a maintenu une exception au profit du juge de proximité pour les demandes en restitution des dépôts de garantie stipulés dans des baux d’habitation soumis à la loi du 6 juillet 1989 ; mais cette exception ne concerne pas les dépôts de garantie prévus dans les baux saisonniers, professionnels ou meublés, qui relèvent toujours du tribunal d’instance. Le justiciable doit donc être capable de qualifier juridiquement le bail le liant à son adversaire. De plus, quand bien même le bail relève de la loi de 1989, des demandes reconventionnelles du bailleur peuvent apparaître sur la cause de la retenue du dépôt (créance de charges, de réparations, etc…), qui au-delà de 4 000 euros justifient alors l’intervention du tribunal d’instance. Dans ces conditions, les erreurs sont très fréquentes et sources de perte de temps et de mécontentement.

Au-delà de la suppression de ces exceptions, qui sont autant de scories, l’association nationale des juges d’instance préconise un approfondissement de la logique de création de blocs de compétence, en confiant l’ensemble du contentieux du voisinage (au-delà du quantum) et de l’exécution au tribunal d’instance (dans les faits, les juges d’instance sont délégués pour traiter le contentieux de l’exécution de droit commun dans la moitié des cas) et les matières touchant à la propriété, plus techniques, au TGI. En revanche, à la différence de plusieurs syndicats de fonctionnaires, l’association juge inopportune le transfert au TI du contentieux familial, dont le traitement par un magistrat spécialisé s’avère efficace.

Cette dernière réaction montre que la définition des contours d’un contentieux de proximité n’est pas évidente et qu’elle doit s’analyser par rapport au service attendu par le public et à ses conditions de comparution, ainsi qu’à la plus-value apportée par telle juridiction ou juge spécialisé. Il est indispensable de partir de l’examen des besoins des justiciables selon la nature des litiges pour déterminer la consistance des structures susceptibles de rendre au mieux ce service. De même, devra être engagée une réflexion sur le traitement de certains contentieux techniques (amiante, adoption internationale…) et l’opportunité de ne plus les confier à l’ensemble des TGI (dont les magistrats, faute d’un nombre suffisant d’affaires de ce type, ne peuvent acquérir une parfaite maîtrise de ces matières) mais seulement à certains tribunaux spécialisés, soit au niveau départemental, soit à une échelle régionale ou interrégionale, à l’instar de ce qui existe déjà en matière de terrorisme ou de brevets.

La réforme organique, qui nécessitera à l’inverse de la réforme mécanique purement géographique le dépôt d’un projet de loi, devra s’accompagner aussi d’une simplification et d’une harmonisation des procédures, la situation actuelle étant caractérisée par une diversité des modes de saisine ou de délais de recours ou de prescription par exemple. Ce travail serait d’autant plus indispensable dans la perspective d’une mise en place de guichets uniques de greffes, permettant à un justiciable de saisir n’importe quelle juridiction. À défaut de mise en place de ces guichets uniques de greffe, certaines règles de compétence territoriale pourraient être revues pour tenir compte du regroupement et donc de l’éloignement des juridictions : l’association nationale des juges d’instance suggère notamment de prévoir la compétence du tribunal du domicile du consommateur pour les litiges de consommation, à l’instar de ce qui existe déjà pour un conflit opposant un assuré à son assureur, ce qui permettrait par ailleurs de soulager d’un contentieux important les tribunaux des sièges sociaux de certains grands groupes.

Mme Rachida Dati a annoncé devant la délégation le 13 décembre dernier qu’elle souhaitait ouvrir une réflexion sur la nouvelle répartition de certains contentieux entre les différentes juridictions : « Une réflexion sur ces évolutions sera lancée prochainement avec les organisations de magistrats et d’avocats. Celle-ci sera confiée à une commission présidée par un universitaire de renom, le recteur Serge Guinchard, professeur émérite à l’université Paris II. Elle pourra notamment porter sur la définition du contentieux de proximité, tel que les affaires familiales, par rapport aux compétences dévolues actuellement aux différentes juridictions par la loi. Elle concernera aussi les contentieux très spécialisés, comme le contentieux de l’adoption internationale, l’indemnisation de l’amiante ou les catastrophes en matière de transport. » Une réforme organique viendra donc compléter la réforme de la carte judiciaire. Elle ne se limitera pas à cette redéfinition des contentieux mais examinera également la question de la déjudiciarisation de certaines matières. La commission présidée par M. Guinchard, a commencé ses travaux le 18 janvier dernier et devrait rendre un rapport d’ici le 30 juin prochain. Elle est composée de magistrats, de directeurs de greffes, de membres du conseil national des barreaux et des représentants d’autres professions juridiques, d’universitaires ainsi que des représentants des organisations syndicales ; elle ne comprend pas en revanche d’associations pouvant mettre en avant le point de vue du justiciable (associations de victimes, associations de consommateurs…) ou d’élus.

La question du phasage de cette réforme organique avec la réforme géographique reste cependant posée. La conférence des présidents de TGI a estimé que la réforme de la justice devait d’abord prendre la forme d’une réforme des contentieux, qui allait donner des lignes directrices pour une nouvelle carte judiciaire. Ses représentants ont indiqué lors de leur audition « qu’il ne fallait pas entamer une réforme à but économique ou géographique et réfléchir ensuite à une adaptation du traitement des contentieux ». De même, la conférence des premiers présidents a souligné que la priorité était d’engager la réforme de l’organisation judiciaire avant de réfléchir dans un second temps au maillage géographique. Elle a en outre émis des craintes sur la possibilité de mener à bien cette réforme organique après la suppression d’un nombre trop important de structures judiciaires et de reconstituer après coup un maillage susceptible d’accueillir le contentieux qui aura été défini comme étant de proximité.

CONCLUSION

En conclusion, votre rapporteur voudrait insister sur la question des moyens et du phasage. Il est clair que la réforme de la carte judiciaire, de même que toute modification de la répartition des contentieux, devra être accompagnée des moyens financiers et humains nécessaires pour faire face à ses conséquences. À défaut, elle contiendrait les germes de son échec et le remède serait pire que le mal : là où on attendait une efficacité plus globale de la justice, ce serait une détérioration générale des conditions de traitement des demandes….d’autant plus difficile à expliquer aux populations des zones rurales, que ceux-ci auraient perdu le délai de jugement rapide de leur petite juridiction pour se voir imposer des trajets de plusieurs dizaines de kilomètres.

La notion de temps sera également cruciale. Il est en effet difficile d’envisager des regroupements si l’utilisation des nouvelles technologies et la dématérialisation des procédures ne sont pas effectives, non seulement pour les TGI, mais pour l’ensemble des juridictions et des justiciables, représentés ou non par un avocat. L’accélération de ces programmes revêt désormais une importance capitale. Il est tout aussi délicat d’envisager des regroupements lorsque les tribunaux de rattachement ne sont pas en mesure d’accueillir des effectifs supplémentaires. Le calendrier serré retenu par le Garde des Sceaux qui s’étale sur trois ans est sans contexte un défi sérieux pour l’institution judiciaire.

Si la notion de proximité géographique peut paraître à certains désuète, s’il est vrai qu’elle est parfois un leurre et n’est pas synonyme de qualité, encore faut-il ne pas évacuer la réflexion à engager sur la notion plus large d’accessibilité de la justice, même dans un calendrier aussi serré. Il convient à cet égard d’être à la fois pragmatique et ambitieux, de dépasser le clivage suppression/maintien et de prévoir, chaque fois qu’une demande judiciaire existe ou que des contraintes topographiques existent, le maintien d’une présence judiciaire, adaptée aux caractéristiques de la population et du territoire, et reposant sur une gamme d’outils situés à différents niveaux : accès à la justice et accès au juge. Ces solutions nécessiteront sans doute des changements organisationnels au sein de structures judiciaires peu habituées à communiquer entre elles ; de même, un travail de pédagogie auprès des populations et de concertation auprès des élus devra être engagé. Cette réflexion sur la notion d’accessibilité– qu’il appartient à l’État et non aux collectivités de mener - doit désormais être une priorité pour le ministère de la justice car là encore c’est dès maintenant qu’il faut agir.

Cette réflexion est fondamentale : elle conditionne l'effectivité des droits pour chacun sur l'ensemble du territoire et l'adaptation de la justice aux besoins de la société. Votre rapporteur ne peut qu'insister sur cette exigence de maintenir un droit d'accès concret au juge et à la justice, une proximité entre la justice et le justiciable, au moment même où notre justice paraît trop fermée, trop lointaine et déshumanisée aux yeux de nombre de nos concitoyens. Le Garde des Sceaux a pris des engagements afin que cette proximité ne soit pas sacrifiée sur l'autel de la rationalisation et annoncé la tenue d'audiences foraines et la mise en place de « tribunaux d'instance renforcés » pour le contentieux familial. La représentation nationale ne manquera pas d'être attentive au respect de ces engagements, notamment à l'occasion de l'examen des crédits de la justice dans les projets de lois de finances.

Enfin, il est essentiel de redonner à cette réforme du souffle et de l'ambition. Si la proximité géographique n'est pas synonyme de qualité, une réforme purement mécanique ne peut suffire à améliorer l'efficacité de la justice, si elle n'est pas accompagnée de moyens suffisants et surtout d'une redéfinition matérielle des compétences et des contentieux. Cette réflexion sur une évolution de la répartition des contentieux et des procédures devra impérativement être menée à son terme et déboucher sur le dépôt d'un projet de loi sur le bureau du Parlement.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

I.— AUDITION DE MME RACHIDA DATI, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE

(Jeudi 13 décembre 2007)

Le président Christian Jacob a remercié la ministre d’avoir répondu à l’invitation de la Délégation et lui a demandé de bien vouloir rappeler les objectifs de la réforme de la carte judiciaire, préciser son coût et indiquer l’impact du groupe de travail qui va être mis en place sur la répartition des contentieux sur la conduite de cette réforme. Il a également salué le travail réalisé par le rapporteur, M. Max Roustan.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, a remercié à son tour le président et le rapporteur de la Délégation de leur invitation, qui lui donne l’occasion de dresser un bilan de la réforme de la carte judiciaire, près de six mois après son lancement. Elle a tenu à souligner la cohérence des propositions du Gouvernement, qui a pleinement pris en compte la réalité des territoires. Elle a tout d’abord fait un bref rappel des objectifs de la réforme et de sa méthode.

Le premier objectif est de localiser les pôles de l’instruction issus de la loi du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale, qui impose désormais la collégialité de l’instruction. Cette disposition législative doit être mise en œuvre à compter du 1er mars 2008. Il est à noter que, si la création des pôles de l’instruction constitue l’un des volets de la réforme de la carte judiciaire qui sera mise en oeuvre, elle est indépendante de celle-ci : réforme ou pas, elle aurait eu lieu car elle résulte de la loi du 5 mars 2007.

Le second objectif est de remédier aux difficultés de fonctionnement de la justice. Ces difficultés existent. Chacun les connaît. Elles sont souvent liées à la carte existante et aux implantations actuelles des juridictions. Trois exemples le montrent.

Premièrement, un tribunal qui n’a pas assez d’affaires ne permet pas aux magistrats d’être performants dans tous les types de contentieux qu’ils rencontrent. La qualité de la justice nécessite aujourd’hui un minimum de spécialisation.

Deuxièmement, l’éparpillement des juridictions a pour conséquence l’isolement des juges et la dispersion des moyens, ce qui nuit à la qualité de la justice. Cela est surtout vrai pour les affaires complexes, comme la commission d’enquête parlementaire sur « l’affaire d’Outreau » l’a démontré. Mais cela l’est aussi d’une façon générale. Les magistrats doivent pouvoir échanger entre eux, travailler ensemble. Or 273 tribunaux d’instance n’ont qu’un seul juge d’instance. Ce n’est pas un problème de moyens : la plupart de ces tribunaux n’ont pas l’activité suffisante pour qu’on y affecte deux magistrats.

L’impartialité est également mieux garantie dans des juridictions regroupées. On le voit bien avec les tribunaux de commerce : les commerçants veulent être jugés par des pairs et non par leurs concurrents.

Troisième exemple : la dispersion des moyens ne permet pas une bonne gestion des ressources humaines. Elle ne permet pas non plus une organisation efficace des greffes.

La continuité du service public ne peut pas être garantie dans une trop petite juridiction. Ainsi un congé maladie peut bloquer le fonctionnement d’un tribunal. Il y a actuellement cinquante tribunaux ou greffes qui n’ont pas de magistrat ou de fonctionnaire.

La qualité et l’efficacité de la justice sont les gages d’une proximité, qui doit être réelle et non symbolique.

Une justice de proximité est une justice disponible, dont les Français trouvent la porte ouverte au moment où ils ont besoin d’elle, une justice rapide, proche dans le temps plutôt que dans l’espace, et une justice au contact de la société et de ses exigences.

La réorganisation de la carte judiciaire ne règlera pas, à elle seule, toutes les difficultés. Elle n’est que l’un des aspects de la réforme de la justice. Elle est un préalable à sa modernisation.

Voilà pourquoi il est indispensable de regrouper les tribunaux. Cela permet de réduire les délais – charge de travail mieux répartie, audiencement plus rapide des affaires, notification plus rapide des jugements –, d’améliorer la qualité de la justice – les juges, moins isolés, peuvent échanger sur des dossiers compliqués— et d’assurer une meilleure sécurité aux personnels et au public accueilli dans les tribunaux, car une dispersion des moyens, donc des sites rend nécessaire une sécurisation accrue.

Il n’existe pas de méthode idéale, sinon les précédents gardes des sceaux auraient réussi à faire aboutir la réforme. Ses prédécesseurs et elle-même ont tous utilisé des méthodes similaires, comme l’indiquent le rapport Haenel-Arthuis, les travaux de Mme Guigou, de M. Toubon ou de Mme Lebranchu, mais il y a toujours eu des obstacles à la mise en œuvre de la réforme.

Quoi qu’en pensent certains, une large concertation a été menée. Conformément à la demande faite au comité consultatif le 27 juin dernier, toutes les organisations syndicales ou professionnelles ont remis leurs contributions à la chancellerie. Celles-ci sont consultables sur Internet. Ce sont des orientations générales posant des principes directeurs qui ont presque toutes été intégrées dans les décisions qui ont été prises.

Dans toutes les cours d’appel, les chefs de cour ont organisé une concertation locale avec les magistrats, les personnels et les professions juridiques. Tous ont remis des propositions entre le 30 septembre et le 15 octobre. Elles sont également en ligne.

Les ministres de l’intérieur et de la justice ont demandé aux préfets de réunir les élus dans les départements. En outre, 235 élus ont été reçus à la chancellerie, de même que toutes les organisations qui le souhaitaient.

La ministre de la justice a rappelé qu’elle n’avait pas voulu faire des annonces depuis la chancellerie, mais qu’elle était allée sur le terrain pour expliquer la réforme, engager directement le dialogue et présenter, cour d’appel par cour d’appel, les schémas d’organisation envisagés. Des arguments ont été échangés. Ils ont été entendus et, au fur et à mesure, les propositions ont été ajustées. Après les déplacements, de nombreuses délégations ont été reçues.

La concertation sur la carte judiciaire ne date pas de l’actuel gouvernement. Cela fait des années que le ministère de la justice y travaille. Des concertations nationales ont déjà été menées. De nombreux rapports ont été rédigés. Dans celui qui avait été remis à Elisabeth Guigou à la suite de la consultation de 1998, il était déjà préconisé de supprimer plusieurs tribunaux de grande instance (TGI), dont ceux de Dinan, de Morlaix, de Marmande et de Tulle. Ce n’est pas la concertation qui a fait défaut jusqu’à présent, mais la volonté de décider et d’aller jusqu’au bout.

Aujourd’hui des décisions sont prises. Il est bon de rappeler comment elles ont été élaborées.

Il ne s’agit d’abord pas d’une réforme mécanique, laquelle aurait consisté à poser un principe – par exemple un TGI par département, le plus important ou celui du chef lieu – et à l’appliquer partout, quels que soient les territoires, leurs spécificités et la demande de justice. Le Président de la République s’était engagé sur la base d’une cour d’appel par région et d’un TGI par département. Or la concertation a montré que ce n’était pas possible partout. Le premier obstacle était l’immobilier. Il y a ensuite des considérations d’aménagement du territoire à prendre en compte.

Les propositions ont été élaborées en croisant des critères judiciaires avec les réalités du territoire.

Les situations judiciaires d’aujourd’hui sont bien différentes de celles de 1958. La justice est un service public. La réforme entend renforcer sa qualité.

L’organisation de chaque juridiction a été examinée. Depuis plusieurs années, les rapports de l’inspection des services judiciaires et les études du ministère ont abouti à un double constat : en dessous d’un certain effectif et d’un certain seuil d’activité, une juridiction connaît des problèmes d’organisation, ne serait-ce qu’en termes de gestion de personnel. Par exemple, 54 tribunaux de grande instance ont un nombre de magistrats du siège inférieur à 10, et 18 TGI ont une activité inférieure à 1 500 affaires civiles nouvelles par an ou à 2 500 affaires poursuivables au plan pénal. C’est nettement en dessous du seuil de la moyenne annuelle.

Ces constats ont servi à la réflexion, mais ils n’ont pas été appliqués de façon mécanique. Sinon, 54 TGI auraient été regroupés, au lieu des 23 qui l’ont été.

Les constats sur l’activité ont donc été combinés à une approche qualitative de l’environnement judiciaire : proximité d’un autre tribunal, présence d’un établissement pénitentiaire dans le ressort, présence d’un tribunal pour enfants.

La même démarche a été employée pour la carte des tribunaux d’instance (TI) – 273 n’ont qu’un juge d’instance ; 169 ont une activité qui ne permet pas d’occuper un juge à plein temps – ainsi que pour les tribunaux de commerce, en concertation avec les organisations consulaires au niveau national. L’objectif est de renforcer l’égalité devant la justice commerciale, car on constate des différences de traitement que rien ne justifie : 14 départements connaissent à la fois des tribunaux de commerce et des TGI à compétence commerciale. Il a été décidé d’enlever les chambres commerciales dans les TGI de droit commun pour les mettre dans les tribunaux de commerce afin d’assurer à la fois une meilleure justice et une meilleure lisibilité.

Enfin, pour les pôles de l’instruction, l’objectif de la loi de 2007 est la collégialité. Il a donc paru logique de retenir les tribunaux de grande instance qui ont déjà une activité en matière d’instruction suffisante pour trois magistrats, la collégialité reposant sur trois magistrats. Lorsque ce n’est pas le cas, il est proposé de regrouper l’activité d’instruction de plusieurs TGI.

Il a également été tenu compte des données territoriales. L’aménagement du territoire est, en effet, une préoccupation légitime.

La diversité des territoires fait la force de la nation et les Français y sont très attachés. Les élus de toutes tendances représentent cette diversité avec une vraie passion et la défendent avec beaucoup de conviction. Cependant, cette diversité ne doit pas devenir une excuse pour ne rien changer : les territoires, ce ne sont pas des kilomètres carrés ou des kilomètres de distance ; ce sont avant tout des lieux de vie. Le service public doit s’adapter au public. Il doit rendre service là où les femmes et les hommes en ont besoin. La France de 2007 n’est plus la France de 1958 !

C’est une évidence pour tous que la carte actuelle présente des inégalités démographiques et géographiques. En Isère, par exemple, il y a actuellement trois tribunaux de grande instance : un à Grenoble pour un ressort de 700 000 habitants, deux dans le Nord Isère pour une population totale de 400 000 habitants. Il y a un déséquilibre entre les deux bassins de population. Autre exemple : dans le département du Nord, il y a 14 conseils de prud’hommes hérités de l’histoire industrielle, soit un pour 184 000 habitants, alors que, dans le département de la Gironde, il y en a deux, c’est-à-dire un pour 688 000 habitants.

La répartition actuelle conduit à des aberrations : il y a 9 kilomètres entre les conseils de prud’hommes de Halluin et de Tourcoing, 16 kilomètres entre le TGI de Riom et celui de Clermont-Ferrand, et 27 kilomètres entre les tribunaux d’instance de Mende et de Marvejols. De nombreux autres cas pourraient être cités.

Il a également été tenu compte des réalités du territoire, comme le montrent les exemples suivants.

Premier exemple : les spécificités historiques des régions. Ainsi les chambres commerciales des TGI en Alsace-Moselle ont été conservées, car l’échevinage est une spécificité du droit local. La spécificité historique est également prise en compte dans le maintien des cours d’appel. Ainsi le ressort de la cour d’appel de Rennes s’étendra toujours à la Loire-Atlantique.

Deuxième exemple : l’expansion urbaine. Le développement des villes nouvelles de Marne-la-Vallée et de Melun-Sénart justifie le maintien de trois TGI en Seine-et-Marne. Annemasse, dans la cour d’appel de Chambéry, est une ville en forte croissance. Elle constitue une unité urbaine avec Genève. Il a été décidé d’y créer un tribunal d’instance, auquel sera rattaché l’actuel tribunal d’instance de Saint-Julien-en-Genevois, dont la population est bien inférieure.

Troisième exemple : le développement économique local. La réorganisation des tribunaux d’instance dans l’ouest de la Côte d’Or prend en compte les perspectives de développement ouvertes par l’existence d’une gare TGV à Montbard.

Quatrième exemple : l’équilibre des territoires. Le maintien d’un tribunal de grande instance à Montargis permet de préserver l’équilibre entre l’Est et l’Ouest du Loiret. C’est dans le même souci qu’ont été conservés les TGI de Fontainebleau et de Sens. Ce même équilibre est recherché dans certains départements maritimes, où sont conservées une juridiction du littoral et une juridiction à l’intérieur des terres. Tel est le cas dans les départements de la Vendée, de la Charente-Maritime ou de l’Aude.

Cinquième exemple : les zones de montagnes ou d’accès difficile. On a pu tenir compte, dans un certain nombre de cas, de cette contrainte géographique. Ainsi ont été maintenus à ce titre les tribunaux d’instance de Saint-Girons dans l’Ariège, de Sarlat en Dordogne, de Pontarlier dans le Doubs, de Saint-Claude dans le Jura et d’Oloron-Sainte-Marie dans les Pyrénées-Atlantiques.

Sixième exemple : les réalités administratives. Le développement de l'aire urbaine Belfort-Montbéliard militait sans doute pour un tribunal de grande instance commun et renforcé. En même temps, il est difficilement concevable qu’un département n’ait pas de tribunal de grande instance. La concertation l'a fait clairement apparaître. Le Gouvernement y a été attentif. Le territoire de Belfort conservera son TGI.

Outre-mer, le Parlement a fait de Saint-Martin une collectivité territoriale distincte de la Guadeloupe. Pour tenir compte de sa spécificité, un tribunal de première instance y sera ouvert. Il sera d’ailleurs créé avant la fin du mois d’août 2008.

Tout cela montre que la réforme de la carte judiciaire n’a pas été mécanique. Elle n’a pas été plaquée depuis Paris, mais établie au cas par cas.

L’organisation de la justice sera mieux structurée. Quand elle sera achevée, fin 2010, elle comptera 862 juridictions, au lieu des 1 190 actuelles. Les trente-cinq cours d’appel seront maintenues. Les tribunaux de grande instance seront au nombre de 158, contre 181 aujourd’hui. Un tiers des départements en métropole – 32 sur 96 – continuera à compter au moins deux TGI et 91 TGI auront un pôle de l’instruction, alors qu’ils ne devaient être initialement que 86 ou 87.

Fin 2009, 302 tribunaux d’instance existeront : 178 seront regroupés et 7 créés, pour tenir compte des bassins démographiques.

Il y aura 135 tribunaux de commerce en 2009 : 55 seront regroupés sur les 185 qui existent aujourd’hui ; cinq nouveaux tribunaux de commerce seront créés, en raison notamment de l’enlèvement des chambres commerciales des TGI de droit commun. De plus, un tribunal mixte de commerce s’ajoutera aux sept existant outre-mer.

L’avis publié au Journal officiel le 22 novembre soumet à une consultation de trois mois le projet de regroupement de 63 conseils des prud’hommes sur 271, soit 23 %.

Tel est le schéma qui a été proposé. Avec les juridictions spécifiques à l’outre-mer et à l’Alsace-Moselle, il y aura au total 862 juridictions. On ne peut donc pas parler de désert judiciaire. À chaque endroit où est envisagé le regroupement d’un tribunal de grande instance, il est proposé de maintenir un tribunal d’instance renforcé, c’est-à-dire un lieu de justice où l’on pourra traiter le contentieux des affaires familiales. C’est une demande qui a été formulée par les tribunaux de grande instance qui ont été réorganisés.

Le Garde des Sceaux a également indiqué qu’elle souhaitait ouvrir une réflexion sur la nouvelle répartition de certains contentieux entre les différentes juridictions. Cette réflexion trouve tout son sens maintenant que la carte est mieux structurée.

Une réflexion sur ces évolutions sera lancée prochainement avec les organisations de magistrats et d’avocats. Celle-ci sera confiée à une commission présidée par un universitaire de renom, le recteur Serge Guinchard, professeur émérite à l’université Paris II. Elle pourra notamment porter sur la définition du contentieux de proximité, tel que les affaires familiales, par rapport aux compétences dévolues actuellement aux différentes juridictions par la loi. Elle concernera aussi les contentieux très spécialisés, comme le contentieux de l’adoption internationale, l’indemnisation de l’amiante ou les catastrophes en matière de transport.

De telles modifications ne pourront être décidées que par la loi. Le Parlement sera donc appelé à se prononcer le moment venu.

La proximité prend aussi un autre sens avec les nouvelles technologies. Elles permettent en effet de rapprocher les Français de leurs tribunaux, facilitent l’accès à la justice et la rendent plus rapide, plus réactive et plus efficace.

Le décret du 15 novembre 2007 organise la dématérialisation des procédures pénales. Elle sera effective à compter du 1er janvier 2008. La visioconférence sera autorisée entre les salles d’audience : c’est une disposition prévue par la proposition de loi sur la simplification du droit. Seront également expérimentés des points « visiopublic », c’est-à-dire des bornes équipées d’un scanner, d’une imprimante, d’un écran et d’une caméra. Une convention a été signée en ce sens avec France Télécom le 3 décembre dernier et avec l’association des maires de France. Ces bornes donneront accès à des services Internet – envoi et réception de documents – ainsi qu’à un téléconseiller par visioconférence. Elles créeront un lien direct entre le justiciable et la juridiction.

L’accès au droit est préservé. Toutes les maisons de justice et du droit sont maintenues. D’autres seront créées et modernisées, notamment avec les nouvelles technologies. Deux le seront en Bretagne et en Lorraine. Le maintien des tribunaux d’instance de Loudéac et de Toul ne se justifiait pas. Ce constat avait été formulé par les chefs de cour. Il est cependant apparu important de maintenir un lieu d’accès à la justice en Bretagne intérieure. Quant à Toul, le Gouvernement a voulu maintenir un service public dans cette ville, qui vient d’être rudement touchée par la fermeture de l’usine Kléber. D’autres projets de création sont à l’étude : Châteaubriant, Lodève et Ploërmel. Dans le débat budgétaire, l’Assemblée nationale a d’ailleurs montré tout son intérêt pour l’accès au droit, en y affectant les crédits nécessaires.

La ministre de la justice a évoqué, en conclusion, l’accompagnement de la réforme, en soulignant qu’elle serait très attentive à ses conséquences pour les personnels, n’ignorant pas que les regroupements de tribunaux entraîneront le déménagement de certains magistrats ou fonctionnaires. Cela aura également des effets sur la vie locale.

Pour les avocats qui subiront un préjudice suite au regroupement de leur TGI, il y aura des compensations et des mesures individuelles. Des discussions ont eu lieu avec leurs représentants. Tous les bâtonniers concernés ont été reçus à la chancellerie.

La réforme aura aussi des conséquences immobilières. Des bâtiments seront libérés. Ceux qui appartiennent aux conseils généraux ou aux communes seront remis à la disposition de ces collectivités. Il s’agit souvent d’édifices situés en centre ville. Ils appartiennent au patrimoine local.

Ailleurs, des travaux seront nécessaires et des investissements seront effectués. Réaliser ces investissements, cela signifie aussi créer des emplois et donner du pouvoir d’achat.

La réorganisation de la carte judiciaire est une réforme ambitieuse. Elle a nécessairement un impact sur les territoires. À cet égard, le Gouvernement a recherché les meilleurs équilibres et veillé à l’intérêt du justiciable, donc de la population.

La modernisation de l’institution judiciaire représente un véritable enjeu. C’est le renforcement de la qualité de la justice au service de nos concitoyens. Cette réforme est nécessaire. C’est pour cela que le Gouvernement souhaite la mener à son terme.

Le président Christian Jacob a reconnu la difficulté de la tâche de la ministre. À partir du moment où l’on touche aux structures de l’État – et la justice en est l’un des piliers – cela génère toujours des passions. Il s’est félicité qu’elle n’ait pas annoncé la réforme depuis la place Vendôme et qu’elle soit allée sur le terrain, quel qu’ait été l’accueil qui lui était réservé. Faisant partie des maires qui voient deux tribunaux fermer dans leur ville, il a déclaré mesurer le côté ingrat de la démarche. Ce qui doit être pris en compte, ce n’est pas la structure judiciaire, mais l’accès des justiciables au droit et à la justice.

M. Max Roustan a constaté le chemin parcouru depuis la promesse électorale du candidat Sarkozy d’un TGI par département et d’une cour d’appel par région et jugé opportun le choix de la ministre de se rendre sur le terrain pour annoncer les nouveaux schémas de réorganisation. Il a déclaré prendre acte des décisions arrêtées, bien que toutes ne recueillent pas son entière approbation.

Selon quelles modalités seront maintenus des points physiques d’accès au droit dans les villes affectées par les fermetures de tribunaux ? Les maisons de la justice seront-elles à la charge des communes, déjà tant sollicitées, ou le ministère de la justice continuera-t-il de les garder sous sa tutelle ? Ce dernier point permettrait sans doute de rassurer encore davantage les administrés, si soucieux d’avoir à proximité cette justice qui leur paraît indispensable.

En ce qui concerne le recours aux nouvelles technologies de communication, présenté comme un palliatif à l’éloignement géographique, il a rappelé s’être rendu à Grenoble, où la cour d’appel a déjà engagé la mise en place de la dématérialisation des procédures pénales. L’ensemble des TGI sera équipé de ces nouvelles technologies d’ici 2009. Les TI en bénéficieront-ils également, ainsi que le public qui les fréquente et qui n’a pas recours à un avocat ? Des formulaires sont certes déjà mis en ligne sur le site du ministère de la justice, mais ils ne sont jamais utilisés, soit par méconnaissance, soit par manque d’accompagnement juridique, ce qui est dommage pour le justiciable. Tout le monde n’a pas non plus accès à Internet ni les facultés pour l’utiliser. Il subsiste encore des zones blanches sur le territoire, lesquelles correspondent souvent à des endroits où il est également difficile de circuler. Les personnes qui veulent avoir accès au droit cumulent, dans ces zones, les deux handicaps.

Enfin, la réforme de la carte judiciaire doit être accompagnée de moyens adéquats pour éviter toute désorganisation du fonctionnement de la justice. Peut-on avoir une estimation des différentes composantes du coût de la mise en œuvre de la réforme, tant sur le volet immobilier que sur le volet social ? A l’inverse, quelles sont les économies attendues de la fermeture des sites annoncés ? Une étude d’impact a-t-elle été réalisée ? Si tel était le cas, serait-il possible d’en avoir connaissance, en vue de finaliser l’élaboration du rapport d’information ?

Mme Rachida Dati a, tout d’abord, répondu sur l’accès au droit et à la justice.

On s’est rendu compte que, dans certains tribunaux d’instance, il y avait peu d’activité et beaucoup de demandes d’accès au droit : demandes de renseignements, de formulaires ou de conseils par rapport à un litige ou une affaire familiale. Quand on a regroupé les tribunaux d’instance, on a constaté que ces demandes ne correspondaient pas aux compétences de ces juridictions et qu’elles concernaient parfois des contentieux, notamment familiaux, qui relevaient du TGI. L’essentiel de l’activité juridictionnelle des TI concerne en fait les tutelles, qui feront l’objet d’un traitement à part. Compte tenu de ces constatations, le gouvernement a souhaité développer un point d’accès au droit par le biais d’une visioconférence ou d’un point « visiopublic » ou prévoir un fonctionnaire pour renseigner les justiciables dans le cadre d’une maison de justice et du droit.

La différence entre une maison de justice et du droit et un tribunal d’instance est que ce que l’on fait dans ce dernier est défini par la loi. En revanche, les activités de la maison de justice et du droit sont plus larges : non seulement il y a un juge de proximité, mais également les délégués du procureur, le médiateur, une antenne pénale et il est possible de déposer des requêtes sur des compétences liées à un tribunal de grande instance. Il y est offert un accès au droit plus large que dans un tribunal d’instance. À chaque fois qu’un regroupement était envisagé, on a regardé quelle était la demande du justiciable.

Le tribunal d’instance de Forcalquier, par exemple, n’avait plus de magistrat depuis des années et cette juridiction n’existait plus de fait. Elle a été fermée, la demande de justice étant quasi inexistante à cet endroit. Cela a permis de redéfinir celle-ci sur le territoire en la déclinant selon la formule : accès au droit-accès au juge.

Pour ce qui est de la demande de proximité des justiciables, la ministre de la justice a rappelé qu’elle est allée souvent sur le terrain pour finaliser le programme de M. Sarkozy en matière de justice. Dans la convention justice de l’UMP, qui était trans-partis, c’est-à-dire élaborée non seulement par des membres de l’UMP mais également par beaucoup d’autres personnes non affiliées au parti, comme des syndicalistes, et dans le programme du Président, il était proposé une cour d’appel par région et un TGI par département et les modalités de cette réforme étaient détaillées.

Quant aux nouvelles technologies, elles permettront non seulement un meilleur accès des justiciables à la justice mais également une justice de meilleure qualité, car elles faciliteront les conditions de travail des personnels de justice. Ce dont les Français souffrent, c’est de la lenteur de la justice. Lors de ses déplacements, la ministre a demandé aux Français ce qu’ils préféraient : divorcer plus vite ou avoir un tribunal à côté de chez eux qui prend du temps, car il n’a pas le nombre de magistrats nécessaire à sa disposition. Les Français préfèrent, d’une manière générale, que la justice aille plus vite. La proximité par les nouvelles technologies le permettra, ne serait-ce que grâce à la communication de pièces par Internet. Cela facilitera aussi le travail des avocats.

La justice sera plus rapide grâce aux nouvelles technologies, au regroupement des moyens et à l’identification de nouvelles demandes. Il y a quinze ans, on ne parlait pas de l’accès au droit. Or il est désormais inscrit dans le budget.

La réforme générera-t-elle des économies ? Ce n’est pas son objectif premier mais ce sera forcément l’une de ses conséquences. Les nouvelles technologies vont améliorer les conditions de travail des fonctionnaires et des greffiers. Ils passeront moins de temps à faire des photocopies ou des recherches dans les archives. On doit savoir que, dans un tribunal, il faut plus de deux jours pour retrouver un dossier. La numérisation et la dématérialisation permettront de gagner du temps, ce qui entraînera forcément, à terme, des économies.

Les études d’impact existent par défaut, ne serait-ce que par le programme immobilier. De nombreuses juridictions ne sont pas aux normes. Avec ou sans la carte, la justice a un problème immobilier. Cela impose de louer et d’étendre les locaux quand c’est nécessaire, ou de regrouper quand c’est possible, car des sites ne sont pas remplis à plein.

Le coût immobilier lié à la réforme de la carte judiciaire est estimé à 500 millions d’euros sur six ans.

Les mesures phares de la réforme sont l’accès au droit et l’accès au juge, ces deux réalités étant bien identifiées. Le point d’accès au droit permettra d’obtenir des renseignements sur la conduite à tenir en cas de litige. Les TGI n’ont quasiment pas été touchés et ceux qui l’ont été deviennent des tribunaux d’instance renforcés, c’est-à-dire dont on renforce la proximité.

Des services nouveaux seront proposés dans les maisons de justice et du droit où l’on pourra déposer une requête TGI, une demande de divorce, par exemple.

La demande d’informatisation date de 1999 sans que, jusqu’à présent, il y ait eu des avancées significatives. Alors qu’il est possible d’acheter un billet de train sur Internet, il n’existe toujours pas de connexions compatibles entre deux TGI dans le ressort d’une même cour d’appel. Les TGI d’Evry et de Paris, par exemple, n’ont pas des logiciels compatibles. Angoulême, qui a été promu site pilote, donne une idée de la transformation qui sera opérée à partir du 1er janvier 2008 quand les nouvelles technologies seront introduites dans toutes les juridictions.

Des mesures d’accompagnement sont prévues, à hauteur de 20 millions d’euros pour les avocats, ce chiffre constituant la fourchette haute de l’estimation, et de 30 millions pour les fonctionnaires. Pour l’année prochaine, 1,5 million d’euros ont d’ores et déjà été provisionnés.

M. Bernard Lesterlin s’est félicité que la délégation ait pris l’initiative de ce rapport d’information. Il est par ailleurs heureux que Mme le Garde des Sceaux expose devant la représentation nationale les grandes lignes de son projet. En tant que représentant du groupe socialiste, radical et citoyen, il a rendu hommage au travail accompli par M. Max Roustan et s’est réjoui d’avoir pu participer aux auditions du rapporteur.

Les représentants de la nation exercent aujourd’hui quelques unes de leurs missions fondamentales : le contrôle de l’exécutif, le respect du bon fonctionnement des services publics et le souci de l’aménagement du territoire.

Il a relevé que la période était propice aux innovations juridiques de toutes sortes : outre que certains divorces pourront être prononcés devant notaires, que reste-t-il du respect de la hiérarchie des normes juridiques dès lors que la loi, en l’occurrence, viendra en application d’un décret - dont la publication est par ailleurs imminente - concernant la carte judiciaire ? De même, quid des « tribunaux d’instance renforcés » et du « tribunal de première instance » outre-mer ? Le périmètre de compétence des juridictions ne relève-t-il pas toujours de la loi ? Le rapport de M. Roustan et le débat parlementaire devraient permettre d’éclairer ces questions. Quelle sera la teneur de ce projet de loi ? Quand sera-t-il soumis au Parlement ?

S’agissant des mesures d’accompagnement, les chiffres donnés sont-ils définitivement arrêtés ? Qu’est-ce qui, précisément, sera financé, notamment en matière d’accompagnement social des personnels ? Où en est l’étude d’impact de la réforme de la carte judiciaire ? Quand sera-t-elle rendue publique ? Quel budget, enfin, sera dédié à l’immobilier ?

M. André Chassaigne a salué le travail de la délégation et de M. Max Roustan, son rapport étant indispensable, mais également, même s’il n’en partage pas les grandes lignes, la présentation très précise que vient de faire la ministre.

Des décisions de fermeture de tribunaux d’instance ont été prises, notamment concernant celui d’Ambert dans le Puy-de-Dôme. Or, l’isolement des zones de montagne n’a pas été pris en compte, non plus que l’éloignement de Thiers où le tribunal est certes maintenu, ce qu’il convient d’ailleurs de saluer. En quoi consiste exactement la justice foraine, notamment dans le cadre des affaires familiales et des tutelles, dans des zones rurales isolées dont la population est souvent âgée et parfois handicapée ? Le juge se déplacera-t-il ? Des permanences seront-elles assurées ? Les tribunaux d’instance abritent aussi les tribunaux paritaires des baux ruraux, pour lesquels le projet de loi sur la valorisation des produits agricoles adopté hier a prolongé le mandat des assesseurs jusqu’en 2010. Ces assesseurs sont souvent des agriculteurs âgés. Qu’est-il prévu pour les tribunaux paritaires des baux ruraux ?

Mme le Garde des Sceaux a noté que les audiences y sont peu nombreuses.

M. André Chassaigne en a convenu.

Ila ensuite indiqué qu’une liste de 63 conseils des prud’hommes susceptibles d’être supprimés avait été publiée au Journal Officiel et qu’une période de trois mois de concertations conduites par les préfets est désormais ouverte. Les communes, de même que les conseils généraux et les chambres de commerce, les organisations professionnelles et syndicales seront consultés : comment leurs avis seront-ils pris en compte ?

Le tribunal d’instance étant maintenu, la suppression du conseil des prud’hommes de Thiers, par exemple, est d’autant plus regrettable qu’aucun problème de coût ne se posait et que c’était un tribunal rapide : traitement des dossiers en six mois au lieu d’un an en moyenne et très faibles taux d’appels. L’ensemble des parties concernées, du MEDEF à la CGT, demande d’ailleurs son maintien. Les préfets, dans le cadre de la concertation, disposeront-ils d’une marge de manœuvre ? Un dialogue s’est-t-il engagé entre la chancellerie et le ministère du travail, qui est concerné au premier chef ?

Mme Françoise Hostalier a rappelé que la justice, comme l’éducation, n’allait pas bien. Par sa technicité et son fonctionnement, elle est trop éloignée des Français. Une grande réforme, aurait été nécessaire, mais ce ne sera pas le cas puisque le Gouvernement se contente d’ouvrir ou de fermer des tribunaux.

Il aurait été de même essentiel de mener une véritable réflexion sur l’aménagement du territoire. Elle a rappelé qu’elle avait fait des propositions visant à modifier le ressort de certains tribunaux dans le département du Nord et qu’il lui a été répondu que ce n’était pas à l’ordre du jour.

Il serait par ailleurs aisé de s’inscrire en faux contre les arguments de Mme le Garde des Sceaux visant à justifier la nouvelle carte judiciaire. La Voix du Nord rapporte ce matin que dix mois de prison avec sursis ont été requis au tribunal d’Hazebrouck contre des trafiquants d’Ecstasy interpellés en septembre. Cette procédure aura donc été rapide puisqu’elle n’aura duré que trois mois. Dans la nuit de mardi à mercredi, deux personnes ont été arrêtées pour trafic d’héroïne et de cocaïnes. Elles seront convoquées au tribunal le 29 janvier, soit 48 jours après. Et ce tribunal sera supprimé !

Quid de la notion de tribunal d’instance renforcé ? En quoi consistera la mission confiée à M. Guinchard ? En cas de nouvelles mesures, les parlementaires seront-ils mis à nouveau devant le fait accompli ?

M. Jean-Michel Clément a considéré que ce projet était une occasion manquée, tous les professionnels étant par ailleurs conscients des disparités de fonctionnement de l’institution judiciaire entre les différents départements.

Mme le Garde des Sceaux a indiqué qu’il faudrait apprécier la nature des demandes de justice avant de mettre en place l’organisation susceptible d’y répondre. Nombre d’élus se sont engagés dans un travail de réflexion en ce sens qui n’a pu hélas aller à son terme. Il faut espérer que la mission confiée à M. Guinchard s’appuiera sur ce travail qui se poursuit et qu’une réflexion sera menée sur la manière pour les justiciables d’accéder au droit.

Les deux tribunaux d’instance de sa circonscription ayant été supprimés, il a rappelé que 112 communes allaient ainsi être privées d’un accès au droit. Une réponse possible à cette situation serait la mise en place d’un point d’accès au droit ou d’une maison de justice et du droit, mais quels en seront les contours ? Quels moyens y seront affectés ? Face aux demandes de la population, les collectivités locales ne sont-elles pas contraintes de s’impliquer pour faciliter cet accès au droit ? Dans ce cas, une augmentation de la dotation globale de fonctionnement s’imposerait. En soi, la création de maisons de justice et du droit peut être légitime et correspondre à une notion moderne d’accès à la justice adaptée à certains de nos territoires : si le tribunal de Forcalquier n’a plus d’affaires à traiter, rien ne justifie son maintien. Mais encore faut-il que ce soit ceux qui ont vocation à financer ces structures qui les financent.

Si les tribunaux paritaires de baux ruraux traitent en effet peu d’affaires et s’il est donc normal d’en repenser l’organisation, il est en revanche dommageable de ne pas avoir pris le temps de la réflexion.

Il faut espérer qu’une justice accessible, rapide, de qualité et économe permettra de satisfaire les attentes légitimes des Français.

Mme le Garde des Sceaux a rappelé que la réflexion sur l’évolution de la procédure de divorce n’était pas nouvelle, comme en atteste par exemple l’excellent rapport sur les contentieux familiaux de la sociologue Irène Théry, qui avait déjà préconisé le non recours au juge dans le cadre du divorce par consentement mutuel. Une réflexion aura lieu à ce propos dans le cadre du groupe de travail qui sera mis en place sur la répartition des contentieux. Cela n’exclut pas la possibilité d’accéder à un avocat, même en cas de recours à un notaire, et le juge, bien entendu, pourra toujours intervenir si une partie estime avoir été lésée. Une telle mesure permettrait de libérer des fonctionnaires, des greffiers et des magistrats pour juger d’affaires plus graves.

La réforme de la carte judiciaire sera en effet effectuée par décret. Elle a rappelé qu’elle n’avait pas demandé aux chefs de cours, dans son discours liminaire du 27 juin dernier, de limiter le champ de la concertation à la seule dimension géographique de la réforme mais qu’elle leur avait au contraire laissé une grande liberté en la matière. Il était donc possible de commencer à examiner la question des contentieux ou de proposer la création d’un tribunal de première instance (TPI). Or il n’y a pas eu de consensus : les parties sont d’accord sur le principe, mais pas sur les modalités pratiques.

Par ailleurs, la création de TPI, voulue à l’époque par Henri Nallet, qui regrouperaient toutes les juridictions, suppose la disparition des tribunaux d’instance en tant que structures autonomes. De même, il n’y a pas eu de consensus s’agissant des redécoupages de ressorts. Certains élus, tout comme les barreaux, sont hostiles à des redécoupages. La réforme de la carte judiciaire n’est certes pas révolutionnaire, mais son impact est important sur de nombreux corps dont les intérêts divergent.

M. Bernard Lesterlin a rappelé que rien n’obligeait à avoir un TPI par département, même si l’UMP le préconisait.

Mme le Garde des Sceaux a précisé que le Président de la République s’était engagé à ce qu’il y ait un tribunal de grande instance par département, tout en maintenant les tribunaux d’instance. Cette structure ne disparaissait pas, ce qui n’est pas le cas avec un tribunal de première instance.

Il n’y a pas eu non plus de consensus sur les compétences des juridictions. Dans ces conditions, le groupe de travail, composé de techniciens du droit et de magistrats, est particulièrement nécessaire.

En réponse aux inquiétudes de M. Chassaigne sur le traitement des affaires familiales en zone de montagne, elle a rappelé qu’elles ne relevaient pas aujourd’hui des contentieux attribués au tribunal d’instance mais aux TGI. Peut-être que, dans le cadre d’une redéfinition de la répartition de ces contentieux, certaines questions liées aux enfants – réévaluation d’une pension alimentaire, réaménagement mineur du droit de garde – pourraient-elles en revanche relever des tribunaux d’instance? Une nouvelle loi le déterminera.

M. Clément s’est quant à lui inquiété de l’accès au droit alors que des tribunaux d’instance renforcés sont créés. Lorsque des TGI sont regroupés, ces TI renforcés permettront de maintenir sur place le contentieux des affaires familiales grâce à la tenue d’audiences foraines, faute actuellement d’un support législatif, lequel ne pourra être effectif avant la remise des conclusions du groupe de travail.

A titre personnel, elle a estimé qu’il n’allait pas de soi que la loi confie la totalité des affaires familiales aux tribunaux d’instance, compte tenu des enjeux de protection des femmes et des enfants notamment.

Mme Françoise Hostalier a demandé pourquoi, dans ces conditions, il n’était pas possible d’adopter une loi avant de réformer par décret. Comment comprendre le processus consistant à ouvrir des juridictions, à en fermer d’autres ou à en maintenir sous forme expérimentale à travers des audiences foraines alors que la loi bouleversera peut être encore la donne ?

Mme le Garde des Sceaux a rappelé que les affaires familiales sont aujourd’hui de la compétence du TGI. Elles seront maintenues là où le TGI sera transformé en tribunal d’instance renforcé. Ultérieurement, la loi redéfinira le contentieux de proximité s’agissant des affaires familiales et elle attribuera par exemple les questions de garde d’enfants ou de réévaluation de pension aux tribunaux d’instance, même non renforcés. Mais s’il est décidé qu’un divorce un peu conflictuel continue à relever du TGI, l’audience foraine permettra de le maintenir dans le tribunal d’instance renforcé, d’où la nécessité de conserver les audiences foraines comme outils de la proximité.

L’étude d’impact a surtout une implication en matière d’immobilier, dont on sait combien il est dégradé. Il aurait donc été nécessaire d’agir même sans la réforme de la carte judiciaire : à Bobigny, la location de nouveaux locaux était indispensable, avec ou sans la réforme.

La ministre a ensuite répondu à M. Chassaigne que, pour le pays d’Ambert, il y a deux fonctionnaires mais pas de magistrat, en dehors de celui qui vient très ponctuellement en fonction des affaires. S’agissant des tutelles, le code de procédure civile permet déjà d’avoir des audiences à l’hôpital, dans les établissements spécialisés, dans les maisons de retraite voire à domicile. Cependant, lorsqu’il n’y a qu’un seul magistrat dans un tribunal d’instance, il est bien évident qu’il ne peut pas procéder quotidiennement à de telles audiences, tout simplement parce qu’il gère la juridiction, parce qu’il a d’autres contentieux et parce que, comme il n’est pas occupé à plein temps par ses fonctions juridictionnelles, il assume d’autres tâches qui ne sont normalement pas dévolues au juge.

Dans le cas d’Ambert, où il n’y a pas de magistrat affecté, le rattachement au tribunal de Thiers permettra, puisqu’il n’y aura pas de suppression de moyens, de disposer de deux magistrats à plein temps, dont l’un pourra bien davantage s’occuper des tutelles. En la matière, l’essentiel n’est pas le suivi de la mesure, qui est surtout assuré par les greffes, mais son ouverture qui permet de protéger les biens et les intérêts des personnes. Pour le suivi, il pourra y avoir sur place soit un point d’accès au droit, soit un greffier se déplaçant ponctuellement.

Aujourd’hui, le magistrat se déplace déjà, mais il le fait peu car il est seul, et quand il est en congé, la justice n’est pas assurée. Dès lors que deux ou trois magistrats seront regroupés, il y en aura toujours au moins un qui pourra se consacrer aux tutelles. On voit bien que la réflexion engagée suppose de bien connaître le fonctionnement de la justice.

La justice foraine existe déjà : c’est une organisation qui est dévolue au chef de cour. Dès lors qu’il disposera de trois magistrats, il pourra bien mieux gérer les ressources humaines.

Pour les baux ruraux, les magistrats se déplacent pour l’essentiel sur le terrain, mais il y a très peu d’affaires : sept en 2005 et trois en 2006 à Ambert.

La majorité des affaires relevant aujourd’hui de la compétence du juge d’instance ont trait aux tutelles. Il n’y a pas de comparution des personnes en matière de consommation et de surendettement, pour lequel on se contente de déposer un dossier. Il conviendra d’ailleurs que le groupe de travail se demande si l’intervention d’un juge est vraiment nécessaire en matière de surendettement pour appliquer un barème permettant de décider d’un plan d’apurement.

M. André Chassaigne a fait observer que, le temps d’attente étant fort long en raison du manque de disponibilité des juges, on laissait en fait les personnes s’enfoncer dans les difficultés.

Mme le Garde des Sceaux a répondu que, dans les tribunaux d’instance, on attendait que le magistrat vienne signer des plans de surendettement. A-t-on vraiment besoin d’un magistrat pour cela, d’autant que l’on reçoit le plan de surendettement par la poste, que le juge ne reçoit pas et qu’il n’y a pas de déplacement au greffe. Il ne faut donc pas se tromper sur ce qui se passe vraiment dans les tribunaux d’instance.

Le nombre de conseillers prud’homaux ne diminue pas, mais une mutualisation est nécessaire car, si on peut bien traiter cinq affaires, ce n’est évidemment pas le cas quand il y en a trois cents. Et le taux d’appel n’est pas un critère car, en la matière, l’appel ressemble souvent à un petit arrangement entre amis.

S’agissant de la concertation, la remise en cause intervient vraiment à la marge. Une concertation tripartite a déjà été menée entre les centrales syndicales nationales et les ministères de la justice et du travail. Les syndicats ont trouvé un terrain d’entente : le nombre des conseillers n’a pas diminué, mais les sections ont été rééquilibrées au profit des services afin de tenir compte de la diminution du poids de l’industrie. À Thiers, les 32 conseillers traitent chacun en moyenne cinq affaires par an.

C’est à tort que Mme Hostalier considère que l’on a raté la grande réforme de la justice. Simplement, on a commencé par les implantations. Tout figurait déjà dans le discours du 27 juin : les périmètres des contentieux, les ressorts, les redécoupages. Pour sa part, la ministre aurait souhaité que l’on fasse tout dès maintenant et que l’on prenne pour cela plus de temps, mais il n’a pas été possible de trouver un terrain d’entente sur la création des TPI ou sur le redécoupage des ressorts. Elle a laissé une liberté totale aux chefs de cours.

La grande réforme de la justice, ne sera pas faite que d’ouvertures et de fermetures ; il faudra opérer une véritable réorganisation. Il faut être conscient que le service public de la justice n’est pas un service public comme les autres : on ne demande pas de la justice comme on demande des soins ou des écoles ; quand on a besoin de justice il faut que ce besoin soit satisfait rapidement.

Il est bien évident que le TGI d’Hazebrouck peut juger rapidement dans la mesure où il traite très peu d’affaires au pénal. Dans cette région, les courtes peines sont très peu exécutées. Quant un parquet comme celui-ci a un procureur, un substitut, très peu de juges du siège, pas de juge pour enfants, il est impossible d’y procéder à une comparution immédiate. Or il est très dommageable de renvoyer à trois mois une affaire d’ecstasy ou d’héroïne, qui apporte un trouble grave à l’ordre public. Ce qui est important s’agissant d’un TGI, c’est le pénal, et ce qui anime la réforme, c’est que l’on puisse procéder à des comparutions rapides et faire exécuter les mesures, tout simplement parce que le regroupement permettra de disposer des magistrats nécessaires, au parquet comme au siège.

Les bureaux d’exécution des peines, qui fonctionnent très bien là où il y a en a, seront généralisés. Il faut en la matière être cohérent : on ne peut pas affirmer une volonté de lutter contre la récidive et ne pas faire exécuter les sanctions. Or aujourd’hui, à Hazebrouck, on ne dispose pas des moyens nécessaires à l’exécution des peines. Et se sont bien les moyens au pénal qu’il faut renforcer : l’affaire d’Outreau a montré que c’est là que s’étaient produits les dysfonctionnements.

La proximité est d’ailleurs très liée aux délais : quand on a été agressé, on veut que l’agresseur soit rapidement jugé, qu’il rende des comptes avant de disparaître dans la nature et que la sanction soit exécutée. Or, toujours à Hazebrouck, au pénal le délai d’exécution des sanctions n’est pas extraordinaire.

Quand un juge d’instruction est seul et quand il n’y a que deux magistrats au siège et pas de juge pour enfants, ce qui est le cas à Hazebrouck, la délinquance des mineurs n’est pas traitée de la manière la plus efficace qui soit.

Par ailleurs, dans la mesure où le juge d’instruction ne peut pas siéger quand il a traité une affaire, dès lors qu’il n’y a que deux magistrats au siège, il est impossible de compléter la collégialité. Or Outreau a précisément montré la nécessité de la collégialité. On ne peut pas affirmer que les choses doivent changer après Outreau et s’accommoder du statu quo. La ministre a donc souhaité apporter une réponse et elle assume pleinement ses décisions car la sanction et son exécution sont essentielles à la protection de l’individu.

Prétendre que tout est ficelé à l’avance est excessif et nuit à la qualité de la discussion. La concertation a bien été organisée, mais elle s’est déroulée dans des conditions très difficiles. Il est facile d’affirmer que la ministre ne connaît pas les réalités du terrain, mais elle y est tous les jours et, avant d’opérer des choix, elle a regardé l’ensemble des schémas. Elle a ensuite pris ses responsabilités.

Il aurait en outre été impossible de revoir les implantations sans revoir les contentieux. En 1958, les affaires familiales se limitaient aux divorces et il y en avait très peu. Aujourd’hui, elles concernent bien plus les pensions alimentaires et la garde des enfants que les divorces proprement dits.

Pour en revenir à Hazebrouck, le nombre des affaires pénales est en baisse et il est inférieur à la moyenne nationale : 2 000 affaires par an, c’est fort peu. Mieux vaut avoir un vrai pôle pénal. Quant aux affaires civiles, elles sont constituées à 40 % d’affaires familiales, qui continueront à être traitées sur place.

S’agissant des contentieux, le groupe de travail va remettre les choses à plat avant que le Parlement ne se prononce. Il y a aujourd’hui de nouveaux contentieux comme celui de la consommation, qui est apparu à la suite de la loi Neiertz, mais qui est devenu très complexe avec l’intervention d’un grand nombre de directives européennes.

Il y a quinze ans, on ne parlait pas d’accès au droit. Or il est important pour les plus démunis de rappeler que l’accès au droit, qui va bien au-delà de l’accès au juge, ouvre l’accès à la citoyenneté. Est-il par exemple normal qu’une femme mariée de force ne connaisse pas son droit à divorcer et ses droits quant à ses enfants ? L’idée de renforcer l’accès aux droits élémentaires de l’individu est d’ailleurs également présente dans la réorganisation actuelle du ministère de la justice.

De nombreux travaux ont été conduits sur la réforme de la carte et sur les contentieux. Il existe bien des rapports sur l’accès au droit, sur l’accès au juge ou sur la demande de justice ; il fallait qu’à un moment donné la réforme intervienne effectivement.

Dans sa configuration actuelle, le tribunal d’instance n’est pas fait pour l’accès au droit et ce n’est d’ailleurs pas prévu par la loi. Cela sera en revanche possible dans le cadre des maisons de la justice et du droit, dont le contour est beaucoup plus large. Les MJD sont une vraie réussite et elles seront donc maintenues et même renforcées, grâce aux nouvelles technologies, des MJD de nouvelle génération étant appelées à être créées.

Répondant à une objection de M. Clément, la ministre a fait observer que la confidentialité était garantie par la présence d’un greffier dans les MJD et que les nouvelles technologies serviraient surtout à établir un lien entre les maisons et les tribunaux de grande instance, en particulier pour satisfaire la très importante demande de formulaires. Tel est bien le sens de la convention qui a été passée avec l’Association des maires de France.

M. Max Roustan a remercié la ministre, tout en soulignant qu’il eût été préférable que cette réunion fût organisée au début du travail de la délégation, ce qui aurait permis de répondre à bien des interrogations et peut-être d’atténuer certaines rancoeurs.

Mme le Garde des Sceaux a répondu qu’elle avait dès l’origine rencontré un grand nombre d’élus et que ses propos avaient souvent été mal rapportés. Elle a en outre constaté que certains élus avaient beaucoup protesté, tout en tardant à faire eux-mêmes des propositions, qui ont finalement été acceptées.

II.— EXAMEN DU RAPPORT

Lors de sa réunion du mardi 29 janvier 2008, la Délégation à l’aménagement et au développement du territoire a examiné le rapport d’information de M. Max Roustan sur la carte judiciaire.

M. Max Roustan, rapporteur, a d’abord souligné la rapidité avec laquelle était intervenue la révision de la carte judiciaire et constaté à partir des auditions effectuées que la phase de consultation mise en œuvre sous l’égide des chefs de cour et des préfets avait été mal vécue, quel que soit le sens des décisions prises finalement. Il a estimé que les conditions n’étaient de ce fait pas réunies pour mettre en place de manière satisfaisante une carte judiciaire adaptée aux besoins du pays. Il a rappelé que la quasi-totalité des personnes auditionnées avaient regretté la décision de s’en tenir à une réforme purement mécanique de regroupement de structures. Maintenant que les schémas de réorganisation sont annoncés, le souhait de tous est de les compléter par une réforme organique, revisitant la répartition des contentieux et les compétences des différentes juridictions, en consacrant notamment le recours aux audiences foraines et les tribunaux d’instance renforcés. Une nouvelle répartition géographique des tribunaux ne suffit pas à épuiser le débat sur la réforme de la justice. Il importe donc que le Parlement soit effectivement saisi d’un projet de loi en ce sens.

Le rapporteur a déclaré avoir été assez étonné lors de ses auditions par le cloisonnement des différents corps ou catégories sociales constituant le monde judiciaire, ce qui explique les difficultés à faire émerger une vision commune. Mais tous s’accordaient sur la nécessité de faire quelque chose pour la justice, sur un plan à la fois géographique et organique, ainsi que d’y consacrer un grand débat. La réponse apportée par la chancellerie a été de rappeler que ce débat avait lieu depuis 50 ans.

La méthode retenue, très autoritaire au départ, a évolué au fil du temps. Le schéma présidentiel initial d’une cour d’appel par région et d’un tribunal de grande instance par département s’est infléchi dans le sens d’une plus grande souplesse. Les annonces ont été faites au plus près du terrain, même si cela n’a pas permis forcément de faire évoluer les décisions. Même si cette méthode n’est pas parue satisfaisante aux yeux de tous, les schémas de réorganisations sont là et il importe maintenant d’aller plus loin, comme le suggère le rapport. Comme l’a montré la rencontre organisée récemment entre le garde des sceaux et des jeunes, il est urgent de moderniser nos procédures et de rendre plus lisible les compétences des différentes juridictions.

M. Bernard Lesterlin a fait part de sa satisfaction, en tant que membre de l’opposition, d’avoir pu être associé au travail d’audition mené par le rapporteur pendant plusieurs mois et a suggéré qu’une synthèse de ces auditions soit annexée au rapport. Ce travail illustre ce que doit être le travail parlementaire de contrôle de l’exécutif, qui est aussi important que le vote de la loi. Le mot « sérénité » est souvent associé à celui de justice ; or, en l’occurrence, le gouvernement a choisi son contraire, la précipitation, pour réformer la carte judiciaire. Le travail de la délégation a pu permettre d’assagir quelque peu les velléités brutales du garde des sceaux, qui avaient suscité des protestations au sein de l’opposition mais aussi parmi les rangs de la majorité. Il a regretté que ces interrogations n’aient pas pu s’exprimer au cours d’un véritable débat dans l’hémicycle en séance publique et salué l’intervention courageuse du rapporteur lors de l’examen du projet de loi de finances.

Les décrets relatifs à la réforme de la carte judiciaire sont actuellement encore devant le Conseil d’État. En tout état de cause, ils n’ont pas fait l’objet d’une concertation suffisante. Dans le ressort de la cour d’appel de Riom, la réunion entre le préfet et les élus a été organisée la veille du week-end précédant la remise du rapport des chefs de cour à la chancellerie, ce qui n’est pas sérieux. Il conviendrait donc d’inviter le gouvernement à davantage de coopération avec le Parlement, qui permette à la démocratie de s’exprimer pleinement. Le rapport de la délégation aura la vertu de préparer un futur débat parlementaire, dans la mesure où le Garde des Sceaux semble désormais reconnaître qu’une partie de la réforme dépend de la loi. Cependant, c’est sans doute par là qu’il aurait fallu commencer, en analysant les périmètres des compétences des différentes juridictions en fonction de la nature des contentieux et en examinant le cas échéant les adaptations nécessaires pour renforcer la proximité de la justice. Tout le monde convient de la nécessité d’engager une modernisation de l’institution judiciaire, mais il fallait procéder par ordre. Le gouvernement n’a pas respecté la hiérarchie des normes, en publiant un décret avant que le Parlement ne se prononce sur la loi, ce qui revient à faire de celle-ci une mesure d’application d’un décret, attitude qui est d’autant plus choquante qu’elle est celle du ministre de la justice, garde des sceaux.

Le rapporteur a rappelé que la ministre avait confirmé devant la délégation le 13 décembre dernier qu’une réforme organique allait compléter la réforme géographique et que celle-ci donnerait lieu à une loi, donc à un débat devant le Parlement. La ministre s’est aussi engagée sur l’organisation d’audiences foraines, qui est désormais acquise, même si celle-ci risque d’occasionner des charges supplémentaires et nécessite d’étoffer sensiblement la flotte de véhicules affectée aux juridictions. D’une façon générale, des interrogations demeurent à l’heure actuelle sur la mobilisation des moyens nécessaires à la mise en œuvre de la réforme, sur laquelle il conviendra d’être vigilant.

M. André Chassaigne s’est félicité de l’élaboration d’un rapport comportant des propositions pertinentes et constructives, mais qui, compte tenu de la célérité avec laquelle le Gouvernement a mené la réforme, ne peut qu’en enregistrer les résultats. S’il n’y avait pas eu cette volonté de l’exécutif d’accélérer le calendrier, certaines des observations qui sont formulées aujourd’hui auraient sans doute davantage été prises en considération. Certains critères importants, tel que l’isolement géographique, n’ont pas été pris en compte, tout particulièrement pour les suppressions de tribunaux d’instance, ce qui suppose l’instauration de mesures d’accompagnement.

Le rapport propose quelques mesures pour atténuer les conséquences de cette réforme sur les territoires et souligne à juste titre la nécessité de maintenir une présence judiciaire sous une forme adaptée dans les territoires affectés par cette réforme. L’idée de mettre en place des guichets uniques de greffe apparaît tout à fait opportune. Comme le souligne le rapport, la mise en place de ces guichets représente un investissement important, mais il est impératif d’y faire face si la réforme de la carte judiciaire est bien motivée par l’intérêt des justiciables. Il est important que ces guichets soient tenus par des personnels compétents et qu’un lieu physique soit maintenu pour accueillir les justiciables et répondre à leurs demandes. C’est d’autant plus important pour les régions isolées géographiquement qu’elles sont peuplées en grande partie de personnes âgées, avec un habitat épars, et un accès limité à Internet, à la fois en raison de contraintes topographiques et de blocages culturels. Par ailleurs, la réforme n’a pas intégré le particularisme de la justice de proximité : le tribunal d’instance d’Ambert dans le Puy-de-Dôme, par exemple, qui va être supprimé consacre 48 % de ses audiences aux tutelles, qui concernent des personnes âgées ou handicapées. Jusqu’à maintenant le juge d’instance se déplaçait dans les maisons de retraite ou les hôpitaux, voire à domicile. Il est essentiel que les juges du tribunal de rattachement continuent à assurer ces déplacements. 50 kilomètres séparent parfois en zone montagneuse le tribunal supprimé du tribunal de rattachement, ce qui signifie que certaines communes du ressort sont parfois situées à près de 80 kilomètres de toute présence judiciaire. Il conviendra de prendre en compte ces populations âgées à la fois par le maintien de guichets et par des mesures de décentralisation des audiences.

M. Max Roustan, rapporteur, a précisé que la réforme de la carte judiciaire ne devait en aucun cas avoir pour effet de provoquer des transferts de charges de l’état vers les collectivités territoriales et qu’il appartenait à l’État de prendre en charge le fonctionnement des guichets uniques de greffe proposés.

M. Philippe Duron a souligné l’approche honnête et pertinente du rapport et a fait part de ses interrogations sur la méthode suivie par le Gouvernement, dont la cohérence lui échappe. La réforme de la carte judiciaire aurait dû constituer l’aboutissement d’une procédure commencée devant le Parlement et s’inscrire dans le cadre d’une réforme d’ensemble de la justice. Cette réforme aurait gagné à être conduite de façon plus globale en liaison avec d’autres réformes administratives structurelles, notamment celle de la carte hospitalière, afin que les impacts sur les territoires soient mieux pris en compte et que des réorganisations successives ne viennent pas affaiblir les petites villes qui les structurent. Le rapporteur s’interroge à juste titre sur les conséquences de cette réforme sur les auxiliaires de justice mais celles-ci seront aussi très fortes pour les salariés du monde judiciaire, qu’ils soient fonctionnaires des tribunaux ou employés d’un cabinet d’avocat. À Argentan, 150 salariés devraient être affectés par cette réforme et ces derniers ne disposent bien souvent que de revenus modestes, avec de faibles perspectives de reclassement dans une autre ville. De nombreuses villes moyennes ou petites sont déjà affectées par des restructurations économiques. Enfin, de manière générale, comme l’a souligné le rapporteur dans son rapport, il est nécessaire de ne pas perdre de vue l’accessibilité de la justice et de prendre garde de ne pas trop éloigner la justice du justiciable. Dans le département de l’Orne, par exemple, il n’y aura plus d’instruction, ce qui peut fragiliser le recours à l’institution judiciaire.

S’appuyant sur l’exemple de l’établissement pénitentiaire du Puy et du TGI de Clermont-Ferrand en Auvergne, séparés de 130 kilomètres ainsi que par le passage d’un col à plus de 1 000 mètres d’altitude, M. Jean Proriol a considéré que la suppression des juges d’instruction dans certains TGI et la création de pôles d’instruction dans d’autres auraient pour conséquence une augmentation importante des charges de transfèrements des personnes à entendre des lieux de détention jusqu’au pôle d’instruction, occasionnant ainsi un surcoût non négligeable et une démobilisation des forces de gendarmerie ou de police qui se trouveraient ainsi détournées de leurs missions sécuritaires. Cela revient à sacrifier la proximité, en allant à l’encontre de toute économie de moyens. Comment cela va-t-il fonctionner ? La réponse qui a été parfois faite à ces interrogations est de dire qu’un juge dépendant de Clermont-Ferrand resterait au tribunal du Puy pour entendre les détenus de la prison et qu’un système de télétravail pourrait être mis en place avec ses homologues du pôle de l’instruction à Clermont-Ferrand. La création de pôles d’instruction ne découle certes pas directement de la réforme de la carte judiciaire mais de la loi votée après l’affaire d’Outreau. Il n’est d’ailleurs pas sûr que la collégialité de l’instruction ait pu changer le déroulement de cette affaire. Il revient en tout état de cause de s’interroger sur les incidences de la mise en place de cette collégialité dans les territoires.

M. Bernard Lesterlin a estimé que la recherche de gisements d’économies ne devait pas justifier n’importe quelle mesure restrictive tant en matière d’infrastructure que de moyens matériels et humains. Par ailleurs, si l’on souhaite maintenir une certaine proximité sous une forme ou une autre, des moyens devront être prévus à cet effet. Il est regrettable à cet égard que peu de parlementaires se soient mobilisés et interrogés sur l’impact de cette réforme lors de la discussion des crédits de la justice mais aussi des forces de sécurité. Le regroupement en pôle d’instruction et la réforme de la carte judiciaire illustrent que certaines économies se révèlent être des sources de dépenses supérieures se reportant sur d’autres secteurs. Dans l’Allier, comme l’indique le rapport, la question des escortes va inévitablement se poser avec le regroupement du TGI de Moulins à Cusset. En l’espèce, c’est la volonté de fermer à tout prix un TGI qui a primé et le résultat de cette décision ira à l’encontre des objectifs poursuivis, c’est-à-dire d’une bonne gestion des deniers publics et d’une proximité de la justice. La suppression du TGI de Moulins et la création d’un pôle de l’instruction à Cusset vont en outre créer de nouvelles inégalités territoriales, avec un déséquilibre important entre les deux TGI restants, celui de Cusset et celui de Montluçon. En remettant en cause les principes de proximité et de libre accès à la justice, c’est la qualité même de la justice qui se trouve atteinte.

Le président Christian Jacob a relevé que le rapport de M. Roustan prenait bien en compte la problématique d’aménagement du territoire, puisqu’il soulignait l’impossibilité de s’en tenir à un TGI départemental dans un département particulièrement peuplé, ou composé de deux bassins de population distincts ou encore divisé entre une zone maritime et un arrière-pays agricole. Il a ajouté que, dans bien des départements et des régions, les distances se mesuraient moins en longueur qu’en temps de parcours. Par ailleurs le problème des transferts sous escorte dépend aussi beaucoup de l’effectif des brigades mobilisées et ne se pose donc pas de la même façon à Paris et dans des petites brigades de 7 gendarmes en province. Dans ces dernières, la mobilisation de trois hommes pour accompagner un prévenu perturbe complètement le fonctionnement de la brigade et ne permet plus d’effectuer des patrouilles.

Le rapporteur a rappelé que les directeurs généraux de la police nationale et la gendarmerie s’étaient, dès le début, montrés favorables à une réforme mécanique et que le problème était que les détenus étaient tous convoqués à 8 heures du matin, quel que soit l’ordre de passage des affaires. Il a ajouté que les juges pourraient aussi, plus qu’ils ne le font actuellement, se déplacer pour entendre les prévenus dans les prisons dans le cadre de l’instruction. Il a précisé que la création des pôles de l’instruction relevait de l’application d’une disposition de la loi dite « Clément », qui devait s’appliquer au plus tard au 1er mars 2008, et que, contrairement à ce qui a pu être dit par la chancellerie, celle-ci n’imposait pas une réforme de la carte judiciaire. Si tout le travail préparatoire d’instruction était désormais mené dans ces pôles, l’audience de jugement aurait toujours lieu dans le tribunal de grande instance d’origine. Il est excessif de penser que les TGI dépourvus de pôles ne serviront plus à rien en matière pénale. Le recours à la visioconférence, dont le rapporteur a pu apprécier le bon fonctionnement lors de son déplacement à Grenoble, peut également apporter une réponse au problème des escortes mais vu la rapidité de mise en œuvre de la réforme de la carte judiciaire, il risque de se heurter au problème d’équipement et de câblage des prisons et des tribunaux. Les avocats restent aussi réticents par rapport à l’utilisation de la visioconférence. D’une manière générale, s’il est vrai que les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont appelées à se développer, elles ne constituent pas dans l’immédiat une solution palliative à l’éloignement géographique et ne suffisent pas à recréer la proximité avec le justiciable. Le protocole signé avec la Caisse des dépôts s’étale sur une période de trois ans et il se pose encore un problème d’équipement et d’abonnement du côté des avocats.

Après les interventions du président et de M. Bernard Lesterlin, qui ont souhaité que la Délégation examine les décrets que prépare aujourd’hui le gouvernement et que des synthèses des différentes auditions soient annexées au rapport, la Délégation a adopté le rapport d’information.

ANNEXES

1. LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

(par ordre chronologique)

– M. Marc MOINARD, Secrétaire général, Ministère de la Justice

– M. Pierre DUCRET, Directeur des services bancaires et M. Dominique VITEAU, responsable du département innovation et partenariats technologiques, Caisse des dépôts et consignations

– Me Paul ROCHARD, Président de la Chambre nationale des huissiers de justice, Me Guy CHEZEAUBERNARD, vice-président, et M. Thierry BARY, Délégué général

– Me  Vincent DELMAS et Elisabeth CAULY, Président du Syndicat des avocats libres (COSAL)

– M. Philippe RUFFIER, Inspecteur général adjoint, Référent « carte judiciaire » à l’inspection des services judiciaires, Ministère de la Justice

– M. Rémy HEITZ, Directeur de l’administration générale et de l’équipement, Ministère de la justice

– Me Bernard REYNIS, Président du Conseil supérieur du notariat et Mme Ingrid MARÉCHAL, en charge des relations institutionnelles

– Me Jean-Louis LAGOURGUE, Président de la Chambre nationale des Avoués et Me François FONTAINE, Président honoraire, Avoué près la Cour d’appel de Nîmes

– MM. Christian RUDLOFF et Emmanuel POINAS, membres du bureau du Syndicat National des Magistrats – FO

– M. Philippe FLORES, président du TI de Saintes et Mme Anne CARON-DÉGLISE, vice-présidente du TI de Besançon, co-présidents de l’Association nationale des juges d’instance (Anji)

– M. Pierre MIRABAUD, délégué interministériel à l’aménagement et à la compétitivité des territoires, M. Marc GASTAMBIDE, responsable de l’équipe « Dynamique des territoires », de M. Jean-Luc JAEG, chargé de mission, et de Mme Patricia VIGNE, chargée des relations institutionnelles (DIACT)

– Me Frank NATALI, président de la Conférence des bâtonniers (président honoraire à compter du 25 janvier 2008), Me Pascal EYDOUX, 1er vice-président (président à compter du 25 janvier 2008), Me Bernard CHAMBEL, ancien bâtonnier du Barreau de Bonneville, ancien président de la Conférence des bâtonniers, et Me Frédéric LANDON, ancien bâtonnier du Barreau de Versailles, membre du Conseil national des barreaux (CNB), ainsi que Mme Françoise Louis, responsable des relations institutionnelles du GIE CNB-Conférence des bâtonniers

– Mme Geneviève RAOULT, Secrétaire générale UNSA Justice, et Mme Brigitte Bruneau, secrétaire générale de l’Union Syndicale Autonome Justice (USAJ)

– M. Christian BRAVARD, Président du Conseil national des greffiers de tribunaux de commerce

– Me Lionel ESCOFFIER, Président de la Fédération nationale des unions de jeunes avocats

– Général Guy PARAYRE, Directeur général de la gendarmerie nationale

– M. Michel BESSEAU, Mme Sylvie ASTIER-GAILLARD et M. Guy ESTRADE, CFDT services judiciaires

– M. Frédéric PECHENARD, Directeur général de la police nationale

– M. André RIDE, Président de la conférence nationale des procureurs généraux, Procureur général de la Cour d’appel de Grenoble

– M. Bertrand LOUVEL, Premier président de la Cour d’appel de Bordeaux, Président de la Conférence nationale des premiers présidents de cour d’appel, accompagné de M. Hubert DALLE, président de la cour d’appel de Rouen

– Mme Sophie GRIMAULT, Greffière du TGI de Limoges, Mme Gloria HERPIN, Greffière du Tribunal d’instance de Bordeaux, membres du bureau national, et Mme Isabelle BESNIER-HOUBEN, secrétaire générale du Syndicat des greffiers de France

– Me Jacques BISTAGNE, Président, Me Jean-Louis SCHERMAN, Premier vice-président, Confédération nationale des avocats

– Mme Lydie QUIRIÉ, Secrétaire générale du syndicat C. Justice

– M. Pascal CLÉMENT, Député de la Loire et ancien Garde des Sceaux

– M. François STAECHELÉ, président de la conférence des présidents de TGI, Président du TGI de Metz, acompagné de Mme CHASSAND, Présidente du TGI de Poitiers, M. Jean-Pierre CHAMPRENAULT, Président du TGI de Béthune et de M. Jean-Paul ROUGHOL, Président du TGI de Dijon

– M. Bruno BOURG-BROC, maire de Châlons-sur-Saône, Président, M. Jean-Michel MARCHAND, maire de Saumur, M. Franck Leroy, maire d’Epernay, M. Arsène LUX, maire de Verdun, M. François Xavier VILLAIN, Député-maire de Cambrai, M. Armand PINOTEAU, Chargé de mission - Fédération des maires de villes moyennes

– Mme Martine MOTARD, Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires 

– M. Laurent BEDOUET, secrétaire général, et M. Henri ODY, secrétaire national, Union syndicale de la magistrature 

– MM. Jean-Marie BINETRUY, Député du Doubs, Jean-François CHOSSY, Député de la Loire, Jean-Yves COUSIN, Député du Calvados, Bernard GERARD, Député du Nord, Jean-Claude GUIBAL, Député des Alpes-Maritimes, Jacques LAMBLIN, Député de Meurthe-et-Moselle, Robert LECOU, Député de l’Hérault, Jean-Marc LEFRANC, Député du Calvados, Bernard LESTERLIN, Député de l’Allier, François LOOS, Ancien Ministre, Député du Bas-Rhin, Alain MARC, Député de l’Aveyron, Jean-Marie MORISSET, Député des Deux-Sèvres, Jean-Marc ROUBAUD, Député du Gard, Michel PIRON, Député du Maine-et-Loire, Jacques REMILLER, Député de l’Isère, André WOJCIECHOWSKI, Député de la Moselle, Mmes Françoise HOSTALIER, Députée du Nord, et Muriel MARLAN-MILITELLO, Députée des Alpes-Maritimes

– M. Jean-Marie PAUTI, Conseiller d’État honoraire, ancien président du Conseil supérieur de la prud’homie

– M. Christophe GESSET, Syndicat de policiers Synergie officiers

– Me Régine BARTHELEMY, présidente du Syndicat des avocats de France

– Mme Emmanuelle PERREUX, Présidente, et M. David DE PAS du Syndicat de la magistrature

– Mme Perrette REY, Présidente de la Conférence des juges consulaires de France

– Déplacement au Palais de Justice de Grenoble (9 novembre 2007) :

– M. Charles CATTEAU, premier président, et M. André RIDE, procureur général de la cour d’appel de Grenoble

– M. Thierry MALLERET, président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Grenoble

– M. Patrick BROSSIER, président du TGI de Grenoble, et M. Serge SAMUEL, Procureur de la République de Grenoble

– Mme Geneviève BOURZAY-CROZE, Directrice de greffe au TGI de Grenoble

– M. Patrice BROSSEAUD, greffier en chef, TGI de Grenoble

– Mme Françoise TICOZZI, Responsable de la gestion de l’informatique, Service Administratif Régional de la Cour d’appel de Grenoble

– M. Florent BROSSIER, vacataire à la cour d’appel de Grenoble

– M. Gilles ROSATI, président du TGI de Valence

– M. Pierre CAVAGNAC, Greffier en chef du TGI de Valence

– M. Claude RUSSIER, Directeur de greffe du TGI de Vienne (entretien par visioconférence)

– Me Hervé Jean POUGNAND, président de la chambre des avoués de Grenoble

– Me Patrice GIROUD, Dauphin de l’ordre des avocats à Grenoble

– Me Arnold LANGLOIS, Président de la chambre départementale des huissiers de justice

– M. Michel MORIN, Préfet de l’Isère

Le rapporteur tient également à remercier Mme Véronique DENIZOT, substitut chargée de mission auprès du procureur général, et M. Jean-Pierre VIGNAL, secrétaire général du Premier président, pour leur aide dans l’organisation de ce déplacement.

Outre ces auditions, le rapporteur s’est entretenu avec Madame Maryvonne CAILLEBOTTE, conseillère justice du Premier ministre, ainsi qu’avec les membres du cabinet du Garde des Sceaux : M. Patrick GÉRARD, directeur de cabinet, M. Stéphane NOËL, directeur-adjoint et Madame Nadine BELLUROT, conseillère chargée des relations avec le Parlement.

Il a également reçu plusieurs contributions écrites de :

– l’Institut National d’Aide aux Victimes et de Médiation (INAVEM)

– l’Assemblée permanente des chambres de métiers

– l’Association des petites villes de France

– plusieurs parlementaires : MM. Georges COLOMBIER, Député de l’Isère, Daniel FIDELIN, Député de Seine-Maritime, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Député de la Haute-Corse, Louis GISCARD D’ESTAING, Député du Puy-de-Dôme, Alain MARTY, Député de la Moselle, Christian MÉNARD, Député du Finistère, Christian PAUL, Député de la Nièvre, Mme Henriette MARTINEZ, Députée des Hautes-Alpes

2. LES POINTS FORTS DES AUDITIONS

Au cours des 35 auditions effectuées par le rapporteur, qui ont été ouvertes aux membres de la délégation qui souhaitaient y participer, un certain nombre de points saillants sont apparus. Conformément au souhait exprimé par les membres de la délégation lors de la réunion du 29 janvier 2008, ces points forts ont été retranscrits ici, tels qu’ils sont ressortis des entretiens. Ne s’agissant pas de comptes rendus, ils n’engagent nullement les personnes mentionnées.

Audition de M. Marc Moinard, secrétaire général du Ministère de la Justice

- La réforme mécanique, qui peut être faite par voie réglementaire (sauf pour les CPH situés au siège d’un TGI), n’est pas le seul type de réforme envisagé ; un projet de loi est nécessaire en cas de recomposition des contentieux ; aucun schéma n’est préétabli ;

- la réforme mécanique toucherait pour l’essentiel les CPH, les TI et leurs greffes détachés, et dans une moindre mesure les TGI (l’hypothèse d’un TGI par département est abandonnée) ; les 30 TGI comportant des chambres commerciales perdraient cette compétence au profit des TC, à condition que les juridictions consulaires se restructurent ; les cours d’appels ne seraient pas concernées ;

- l’approche retenue sera multicritères et s’appuiera principalement sur l’activité de la juridiction, le nombre de fonctionnaires, les distances géographiques et les spécificités des territoires ; la mission « carte judiciaire » comprend notamment un statisticien et un cartographe ;

- l’éclatement des juridictions sur 800 sites pose des problèmes d’entretien de l’immobilier et de sécurité ;

- la réforme mécanique permettra aux juges d’être moins isolés et de mieux juger mais le gain pour le justiciable le plus important sera celui apporté par une réforme de la répartition des contentieux ;

- dans l’hypothèse d’une réforme organique, est envisagée la possibilité de maintenir au lieu et place des TGI supprimés des « tribunaux détachés » chargés de l’ensemble des contentieux de proximité (droit de la famille, mais aussi contentieux des TI qui seraient supprimés) ; à l’inverse, des contentieux spécialisés ne seraient traités que dans certains TGI ;

- une présence du Parquet, représenté au moins par un substitut, serait maintenue dans les « tribunaux détachés » ;

- il ne faut pas oublier les incidences de la mise en place des pôles de l’instruction en mars 2008 et surtout de la collégialité de l’instruction prévue en 2010, même si moins de 10% des affaires pénales passent à l’instruction ;

- Même si des économies d’échelles sont envisageables à terme, la réforme aura un coût immédiat (lié surtout à son impact immobilier) et nécessitera un accompagnement social pour les 1500 fonctionnaires concernés, a priori peu mobiles; sur ce dernier point, la chancellerie s’est rapprochée du ministère de l’équipement et de l’intérieur ;

- des audiences foraines seront organisées pour éviter toute suppression sèche ;

Audition de la Caisse des Dépôts et Consignations

- Le partenariat signé entre la Caisse des Dépôts et la chancellerie le 10 juillet dernier se situe dans le prolongement des initiatives déjà prises par la Caisse touchant aux professions juridiques. Il comporte plusieurs volets : un volet d’insertion sociale pour les détenus, un volet logement pour faciliter les mutations liées à la réforme de la carte judiciaire (mise à disposition de logements de la SNI) ainsi qu’un volet dématérialisation ;

- le volet dématérialisation comprend 6 projets avec des prestations différenciées :

- 4 projets avec fourniture de systèmes « clés en main » : portail grand public d’accès à la justice pour les procédures faites sans représentation par avocat, outil d’accompagnement de la réforme des tutelles, plateforme d’échanges entre les professions juridiques (Transjuris) pour laquelle la Caisse des dépôts étudie la faisabilité d’y connecter le réseau RPVJ des juridictions, projets d’échanges dématérialisées entre Huissiers et TI ;

- Appui en matière de conduite du changement et de déploiement pour la dématérialisation des procédures civiles

- Participation à l’étude de faisabilité d’un projet de plateforme d’interconnexion des systèmes Justice/Police/Gendarmerie pour la dématérialisation des procédures pénales

- La Caisse des Dépôts n’est pas dans une logique de subventionnement du ministère de la chancellerie, mais s’inscrit dans une approche patrimoniale. Le protocole relève des missions d’intérêt général de la CDC et va permettre aux professions juridiques, qui sont ses clientes, de s’adapter à la modernité ;

- La réforme territoriale de la justice rend nécessaire une accélération de la dématérialisation des procédures comme compensation mais cette dernière était indispensable, indépendamment de toute réforme.

Audition de la Chambre nationale des huissiers de justice

- Les huissiers ont fait l’objet d’une mesure d’anticipation de la réforme de la carte judiciaire. Alors qu’ils avaient auparavant compétence dans le ressort d’un tribunal d’instance, un décret du 11 mai 2007 a élargi leur activité au ressort d’un tribunal de grande instance à compter de 2009. La réforme actuellement élaborée ne produira donc aucune conséquence dans les quarante-deux départements dotés d’un seul tribunal de grande instance. La chambre nationale confie à ses structures départementales le soin d’émettre des avis locaux.

- Le comité national consultatif est une bonne chose dans son principe, même si pour l’heure il n’a vu que la présentation générale du projet.

- L’organisation des juridictions doit assurer la présence de la justice partout. Un juge de proximité n’y suffira pas. Il faut repenser la répartition des contentieux pour un meilleur accès au droit et au juge sous peine de créer de véritables déserts judiciaires.

- Si la réforme aboutit à calquer la carte judiciaire sur la carte administrative, la fonction d’audiencier rémunérée 7,50€ par jour sera difficile à assumer. Les frais de déplacement au domicile des clients augmenteront également. Des mesures d’accompagnement seraient souhaitables.

- Les audiences foraines sont en pratique très difficiles à réaliser et de ce fait peu envisageables à grande échelle avec sérieux. Les chambres détachées seraient au contraire plus aisément mises en places.

- La dématérialisation des procédures accélère les formalités mais elle ne seconde pas la justice elle-même. Les huissiers rappellent l’importance du contact humain dans leur profession

Audition du COSAL (Syndicat des Avocats Libres)

- La France se caractérise par un millefeuille de juridictions, d'où un manque de lisibilité pour le citoyen, des problèmes de compétence matérielle et géographique, une dispersion de moyens ainsi qu'une disparité de procédures et de délais. De plus, un avocat ne peut plaider partout en France et un avoué doit intervenir en appel, ce qui entraîne un surcoût pour le client. Le COSAL est donc favorable à une rationalisation de la justice et de ses moyens. Celle-ci doit se traduire par la suppression de certaines structures mais aussi par des créations (ressort trop étendu de la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence par exemple).

- Le COSAL est partisan des audiences foraines, le déplacement du juge étant moins coûteux que l'entretien d'une structure; il faudra cependant prévoir des moyens de liaison avec le greffe et résoudre les problèmes de sécurité au pénal;

- Le maillage territorial des avocats doit être maintenu pour préserver l'accès au droit. A l'instar des aides destinées à favoriser une répartition géographique harmonieuse des médecins (exonération de charges), des compensations individuelles doivent être trouvées pour les avocats affectés par la réforme et notamment pour ceux dont l'activité dépend de l'AJ.

- Il serait également souhaitable de donner un caractère officiel aux actes rédigés par les avocats;

- Nécessité de développer les moyens de communication entre cabinets d'avocats et juridictions, au besoin grâce à une aide similaire à celle mise en place pour la carte Vitale. Le recours à la visioconférence doit rester exceptionnel.

- Pas de mise à disposition d'étude d'impact pour la réforme de la carte judiciaire. Incertitude sur les moyens qui seront mobilisés par la chancellerie.

- Il faut mobiliser les collectivités locales (échelon régional?) et les chambres de commerce, qui sont aux plus proches des réalités du terrain, pour maintenir une justice de proximité; l'utilisation des salles d'audience doit être repensée dans le sens d'une plus grande mutualisation (à Paris, les salles d'audience des TI, utilisées qu'en matinée, pourraient accueillir aussi les CPH).

- La réforme de la carte judiciaire va se heurter à des baronnies, compte tenu de l'existence, spécifique à la France, de 183 barreaux et du même nombre de bâtonniers. Le COSAL est très critique vis-à-vis des instances ordinales.

Audition de M. Philippe Ruffier, référent « carte judiciaire » à l’inspection des services judiciaires, Ministère de la Justice

- L’inspection des services judiciaires s’est prononcée en faveur d’une grande réforme, qui ne se limite pas à une réforme mécanique, c’est-à-dire géographique, et soit en mesure d’accroître la lisibilité de l’organisation judiciaire.

- Elle soutient l’idée d’un tribunal de première instance (TPI), regroupant les juridictions de première instance, avec un mode de saisine unique et une répartition des affaires entre différents services par de simples mesures d’administration ; ce TPI devrait être, sauf exceptions (guidées par des critères cumulatifs dont celui d’une population égale ou supérieure à 800 000 habitants), départemental ;

- Le maillage territorial infra-départemental serait assuré par des « tribunaux détachés », reprenant le contentieux des TI et juges de proximité et compétents en matière d’état des personnes, de baux, d’exécution et de saisies immobilières, et de petites affaires correctionnelles (art. 398-1 du code de procédure pénale). Ces « tribunaux détachés » seraient créés sur la base de critères de population (120 000 habitants), d’activité civile, d’effectifs (au moins 8 magistrats du siège), d’éloignement géographique (40 kms du TPI) et d’un barreau de taille suffisante. Plutôt que d’en faire des juridictions autonomes, l’inspection des services judiciaires suggère de s’appuyer sur les dispositions prévues pour les chambres détachées par la loi du 8 février 1995, qui ont une compétence générale à l’exception de certaines matières techniques énumérées ;

- le problème de la cohérence entre cartes administrative et judiciaire est essentiel pour le ministère public ; on peut envisager soit un découplage total du parquet des juridictions, soit la présence d’un procureur au niveau du TPI et de procureurs ou substituts détachés au sein des chambres détachées;

- Le juge doit avoir une connaissance fine des réalités socio-économiques de son ressort mais sa fonction exige aussi une certaine distance ;

- L’accès au juge doit être distingué de l’accès à la justice ; ce dernier, à l’inverse de l’accès au juge, exige une certaine proximité, et doit s’exercer par l’intermédiaire de greffes permanents, plutôt que par les maisons de justice, dont le rôle est plutôt celui d’un accès au droit à vocation sociale ;

- la réforme de la carte judiciaire, par son ampleur, devra faire l’objet d’une action volontariste (à l’inverse de la méthode basée sur « les territoires vécus » suivie par la mission Errera pour les TC) et d’une mise en œuvre progressive (problème immobilier, moyens financiers à mobiliser) ;

- elle aura un impact sur les fonctionnaires et les auxiliaires de justice et rendra plus aigu le problème des escortes ; le développement des nouvelles technologies de communication doit être un préalable à sa mise en œuvre ;

Audition de M. Rémy Heitz, Directeur de l’administration générale et de l’équipement, Ministère de la Justice

- L’éclatement des juridictions pose des difficultés de fonctionnement (respect de l’impartialité au pénal, problème de sécurité juridique), ainsi que des problèmes d’entretien du patrimoine, qui est en très mauvais état ;

- 55% du patrimoine immobilier judiciaire appartient aux collectivités locales et ce pourcentage est encore plus élevé pour les juridictions de première instance. La valorisation de ce patrimoine en cas de revente est donc limitée ;

- des opérations très lourdes de remises aux normes (sécurité incendie), devront être poursuivies, indépendamment de la réforme ; même si la justice a bénéficié du coup de pouce de la LOPJ, les crédits d’investissement restent faibles, aux environs de 100 millions d’euros ;

- quelque soit le scénario retenu (réforme simplement mécanique ou doublée d’une réforme organique), il va falloir étendre la surface des juridictions accueillantes, en n’écartant aucune solution (extension, prise à bail, construction avec ou sans partenariat public-privé, recours à l’appui de la Caisse des Dépôts ou montage avec les collectivités locales…)

- 5 ans apparaît comme la durée minimale pour la mise en œuvre intégrale de la réforme, qui nécessitera un effort financier conséquent, de l’ordre de plusieurs centaines de millions d’euros ;

- la dématérialisation des procédures commence à se mettre en place avec le logiciel COMCI pour la mise en état des affaires civiles mais elle se heurte à un problème d’équipement et d’abonnement des avocats au RPVA ;

- une cellule spéciale sera créée au sein de la mission « carte judiciaire » pour l’accompagnement social des personnels et les antennes régionales d’action sociale seront mobilisées pour offrir des solutions en matière de logement ou de garde d’enfants ; la mise en œuvre de la réforme va coïncider avec une vague de départs massifs à la retraite chez les huissiers.

Audition du Conseil supérieur du Notariat

- Les notaires ont une compétence nationale, la réforme de la carte judiciaire n’a aucune incidence sur leur activité. Les quelques questions d’organisation interne et les nouvelles relations à établir avec le procureur territorialement compétent ne poseraient pas de problème d’envergure.

- Un regroupement des TGI serait même intéressant car il donnerait plus de moyens au parquet, celui-ci ayant les notaires sous sa responsabilité.

- Une influence marginale pourrait éventuellement se faire sentir sur le ressort de la clientèle pour la répartition des frais de minutes, mais ceci n’a rien de déterminant pour le développement de la profession.

Audition de la Chambre nationale des avoués

- Les avoués, qui n’existent qu’au niveau de la cour d’appel, plaident pour une redistribution des compétences et non pour une réorganisation territoriale. Ainsi la cour d’appel de Rennes connaît de 8 500 appels chaque année contre 28 000 pour la cour d’appel d’Aix-en-Provence dont le ressort compte pour tant moins de juridictions non spécialisées du premier degré.

- Près des deux tiers des affaires examinées par les tribunaux de grande instance sont relatives au droit de la famille. Les confier aux tribunaux d’instance aurait du sens car ces derniers ont pour mission de maintenir un lien social. Les tribunaux d’instance pourraient du même coup se substituer aux maisons de la justice et du droit dont le fonctionnement ne donne pas satisfaction. La consultation des professionnels permettrait de définir d’autres axes de réforme sur la procédure.

- Les audiences foraines n’équivalent pas à l’audience « pleine » tenue au siège du tribunal d’instance. Elles ne forment pas une bonne justice.

- Des réaménagements ponctuels pourraient avoir lieu, par exemple la suppression de barreaux de très petite taille ou encore le regroupement des juridictions non professionnelles pour accroître la pratique et les compétences juridiques des juges élus.

- Il est étonnant de prétendre asseoir la carte judiciaire, au motif qu’elle serait trop ancienne, sur une carte administrative dressée à la fin du XVIIIe siècle.

-L’impact d’une suppression de cour d’appel serait notable pour les avoués et nécessiterait un accompagnement social et financier adéquat, voire en compensation un accroissement du champ de la représentation obligatoire.

Audition du Syndicat national des magistrats-FO

- Il est délicat de porter une appréciation sur une nouvelle carte judiciaire dans la mesure où les critères de définition de celle-ci restent pour l’heure tout à fait flous.

- Une départementalisation règlerait d’éventuelles difficultés de coordination entre le préfet et le parquet, mais elle susciterait divers inconvénients. Les gains économiques et humains escomptés sont jugés douteux ; ainsi le grand tribunal de Bobigny génère-t-il surtout de lourdes charges de gestion administrative. Il faudrait gérer les réaffections de personnels et les contraintes immobilières.

- Les audiences foraines ainsi que le recours au télétravail n’ont pas de sens s’il s’agit vraiment de concentrer les moyens pour une plus grande efficacité.

- La consultation est jugée mauvaise, notamment parce qu’elle a lieu pendant les vacances estivales. Le corps des magistrats s’en est fait une mauvaise opinion.

- La spécialisation des juges sur un contentieux déterminé est intéressante à court terme, mais elle implique la perte progressive de leur polyvalence.

- Une réforme de la carte judiciaire ne peut se concevoir que de deux façons pour rester cohérente : soit par le moyen d’un toilettage au cas par cas, soit à travers une réflexion globale sur les procédures et la répartition des contentieux.

Audition de l’Association nationale des juges d’instance

- Une feuille de route claire est nécessaire à la bonne marche de la réforme, d’autant que les tribunaux d’instance fonctionnent bien dans leur format actuel et que leurs juges officient aussi souvent dans des tribunaux de grande instance.

- Le demandeur à l’instance est le plus souvent soit une institution, soit sûr de son fait. Le juge doit entendre plus particulièrement les défendeurs, issus des populations fragiles, surtout dans les affaires de tutelle et d’expulsion locative. Pour ces raisons, la représentation obligatoire doit être écartée car elle aboutirait, dans la pratique, au non recours à l’aide juridictionnelle et à la multiplication des jugements par défaut.

- Les tribunaux d’instance pourraient recevoir une compétence d’exécution et le contentieux des baux commerciaux. Ils sont en revanche hostiles à l’accueil des affaires familiales : le juge aux affaires familiales fonctionne correctement, l’avocat joue déjà le rôle de médiateur qui constitue la valeur ajoutée essentielle de la proximité. L’idéal serait des audiences foraines d’affaires familiales au sein des tribunaux d’instance.

- Il ne faut pas négliger le rôle social des greffiers de tribunaux d’instance. Ils accueillent le justiciable et le renseignent. Ils réalisent aussi des formalités administratives comme les procurations électorales.

- La collégialité des formations de jugement n’est pas toujours une panacée car elle conduit à la prépondérance du rapporteur. Pour les tutelles, le juge unique se révèle particulièrement opportun.

- La réforme doit aborder la question des compétences. Il est proposé pour le juge de proximité d’étendre son activité pénale aux contraventions de cinquième classe et de rendre aux tribunaux d’instance ses prérogatives civiles. En tout état de cause, une réforme mécanique ne pourra satisfaire les attentes légitimes des professionnels et des justiciables.

- Un redécoupage des ressorts est également envisageable.

Audition de M. Pierre Mirabaud, Délégué interministériel à l’aménagement et à la compétitivité des territoires,

- Nécessité d’avoir une vision globale et méthodologique de l’évolution des services publics sur le territoire ; la DIACT peut apporter un appui méthodologique et une charte sur l’organisation des services publics a été organisée avec les grands opérateurs ;

- Il faut éviter que chaque service agisse selon sa propre logique, sous peine d’alimenter un sentiment de désengagement de l’État et d’abandon des services publics dans certains territoires ;

- L’évolution des services publics est naturelle mais elle doit se traduire par une amélioration du service rendu pour la population ; les formules de mutualisation des services publics, sous la forme des nouveaux « relais service public » par exemple, peuvent apporter des services plus complets aux usagers ;

- Les réorganisations doivent se faire à l’aune du couple qualité/accessibilité et tenir compte de la fréquence d’utilisation des services et de leur technicité ;

- La concertation est essentielle et la loi relative au développement des territoires ruraux a rénové à cette fin les commissions d’organisation et de modernisation des services publics ;

Audition de la Conférence des Bâtonniers et du Conseil National des Barreaux (CNB)

- La situation actuelle est caractérisée par la multitude de lieux de justice et une multiplication des juridictions spécialisées, qui rendent la justice peu lisible ; le Conseil National des Barreaux avait déjà pris position dès 1997 en faveur d’une réforme de la carte judiciaire, compte tenu de son inadéquation par rapport aux évolutions socio-économiques ;

- la réforme de la carte judiciaire doit se fonder sur une large concertation et un consensus de l’ensemble des acteurs du monde du droit ; elle ne saurait se cantonner aux seuls critères quantitatifs et faire l’impasse d’une analyse des réalités du terrain ; en tout état de cause, le tribunal doit rester le seul lieu de justice et l’éloignement des juridictions doit rester raisonnable, pour préserver l’égal accès à la justice ;

- une véritable concertation ne peut avoir lieu sans communication par la chancellerie d’une étude d’impact ; il est également regrettable que la consultation n’ait pas été globale, mais scindée entre les différentes professions juridiques, les acteurs économiques et les élus ;

- Le CNB et la conférence des bâtonniers proposent de s’appuyer sur le maillage performant des 181 TGI actuels, en réunissant sur leurs sites l’ensemble de la justice civile, pénale, commerciale et sociale ;

- Attention aux risques de dévalorisation induits par l’existence de TGI de pleines compétences et de sections détachées ; de même, il faut faire un état des lieux de ce qui fonctionne ou non, avant d’envisager la spécialisation de certains contentieux au sein de nouveaux pôles ou juridictions interrégionales ; les pôles de l’instruction constituent de fait une réforme rampante de la carte judiciaire ;

- Pas de réforme sans mesure d’accompagnement ou de compensation : indemnisations individuelles (à l’instar de ce qui a été fait en 1971 lors de la fusion entre avocats et avoués) et mesures fiscales et sociales pour préserver le maillage territorial, facilités de regroupements, extension de la représentation obligatoire ;

- cette réforme doit aussi être l’occasion de se pencher sur la défense du périmètre du droit, sur la création de guichets uniques de greffe, sur l’instauration d’un mode de saisine unique, ou sur une unification des délais ; une association obligatoire des barreaux aux maisons de justice et du droit doit être envisagée en cas d’évolution de leur rôle.

Audition de l’UNSA Justice

- L’élaboration de la nouvelle carte judiciaire semble se construire au fur et à mesure des rumeurs qui filtrent par voie de presse. Ces révélations successives inquiètent le monde judiciaire. La Chancellerie attend des propositions, mais il est difficile de négocier quoi que ce soit si elle ne propose pas un projet amendable à moyen terme, comme il est ardu d’évaluer les économies que génèrerait un regroupement des juridictions.

- La réforme de l’organisation territoriale de la justice devrait logiquement être articulée à une redéfinition de la carte pénitentiaire et des services de la protection judiciaire de la jeunesse. De même, on ne saurait séparer ce thème des autres réformes envisagées : la création d’une action collective aurait une incidence certaine sur le fonctionnement des greffes, une extension de la représentation obligatoire entraînement une augmentation importante des dépenses liées à l’aide juridictionnelle.

- Il ne faut pas procéder à une simple réforme mécanique ni séparer les volets civil et pénal. Une nouvelle répartition des contentieux s’impose, un nouveau redécoupage des ressorts est envisageable. Les microstructures pourraient se voir substituer des maisons de la justice et du droit aux compétences élargies.

- Du point de vue social, la suppression des petits tribunaux d’instance frapperait presque tous les jeunes directeurs de greffe. De plus, le statut des greffiers ne leur permet aucune mobilité vers les autres fonctions publiques.

- Le recours au télétravail est souhaitable à condition que les conditions de confidentialité soient optimales, notamment pour les affaires sensibles impliquant des mineurs ou des entreprises terroristes. Des juridictions tentent déjà l’expérience, la cour d’appel de Paris par exemple.

Audition du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce

- Les tribunaux de commerce actuels donnent satisfaction, il n’est pas souhaitable de modifier leur répartition géographique, ce qui du reste a déjà été entrepris dans les dernières années.

- Il serait opportun d’adosser les tribunaux de commerce aux tribunaux de grande instance afin de garantir une présence du parquet. Supprimer les chambres commerciales des TGI serait également une mesure intéressante, hormis dans le cas particulier de l’Alsace-Moselle.

- Il existe environ 180 greffes et 250 greffiers. D’éventuelles suppressions de juridiction poseraient la question d’un accompagnement social et financier. Le précédent de 1999 pourrait être mis à profit, notamment pour des passerelles vers la fonction publique et les autres professions réglementées.

- Les nouvelles technologies sont parfaitement maîtrisées dans l’activité de conservation du registre du commerce. Elles doivent encore se répandre pour le volet judiciaire, où l’envoi en ligne de la décision exécutoire n’est pas encore assuré.

- La suppression d’un tribunal de commerce entraîne normalement un rachat de la charge par le greffier absorbant.

Audition de la Fédération Nationale des Unions de Jeunes Avocats

- Les Jeunes avocats ne sont pas représentés au sein du comité consultatif national, sinon à travers les bâtonniers et les barreaux.

- L’absence d’étude d’impact fournie par la Chancellerie est préjudiciable à la compréhension de la réforme escomptée.

- Concernant les cours d’appel, il serait délicat d’en supprimer alors qu’elles sont pour la plupart engorgées et que certaines, comme Nîmes, viennent d’entrer dans de nouveaux locaux. Un examen rapide montrerait plutôt l’opportunité d’en créer de nouvelles, par exemple à Nice.

- Concernant les tribunaux de grande instance, les suppressions ne paraissent pas devoir être envisagées. Il en est de même pour les tribunaux d’instance. En revanche, une professionnalisation des juridictions non spécialisées est souhaitable (ou à défaut un échevinage), de même que la suppression du juge de proximité.

- L’argument d’un regroupement pour une meilleure sécurité dans l’enceinte d’un tribunal ne résiste pas à la réflexion.

- La dématérialisation des procédures permet de gagner du temps, à condition que chacun sache employer correctement les nouvelles technologies et que les coûts d’accès ne soient pas excessifs.

Audition du général Guy Parayre, directeur général de la gendarmerie nationale

- La gendarmerie n’est concernée que par les incidences de la réforme sur le système pénal. La concentration des juridictions entraînant la concentration des parquets, elle y est favorable pour une meilleure cohérence de la politique pénale sur le territoire. Par ailleurs, la proximité n’est pas réellement un objectif de l’administration judiciaire, au contraire des forces de l’ordre dont la présence doit être assurée partout. Le domaine pénal requiert un lien entre le juge et les services enquêteurs plus qu’une relation entre le juge et le justiciable.

- La carte actuelle nuit à la cohérence de la politique pénale dans la mesure où une même compagnie peut se trouver sous l’autorité de deux procureurs. Il résulte de cette dissociation du judiciaire et de l’administratif une déperdition des moyens par la dispersion des ressources, de petites unités inférieures à la taille critique, et une perte de temps dans les interventions des magistrats dans la procédure. Par conséquent, un tribunal correctionnel unique par département serait une solution optimale, de même qu’une cour d’appel par région.

- Un regroupement ne nuirait pas fondamentalement aux impératifs de transfèrement ; il serait en tout état de cause souhaitable de créer un service de l’administration pénitentiaire dédié.

- La spécialisation est toujours une bonne chose. On le constate par exemple avec la création des groupes d’intervention régionaux (GIR). L’expérience du système des communautés de brigade pourrait être utilement employé dans l’élaboration de la réforme de la carte judiciaire. Les baux emphytéotiques ont permis de résoudre rapidement la question immobilière, même si l’intervention du privé a accru les coûts d’un quart.

Audition de la CFDT Services judiciaires

- Un calendrier contraint et une consultation à géométrie variable ;

- Un véritable état des lieux judiciaire, mais aussi socio-économique, doit être réalisé en association avec les conseils généraux et régionaux, afin de prendre en compte les évolutions démographiques, sociologiques et économiques, l’état des moyens de transport ainsi que les contraintes topographiques, dans la réorganisation des tribunaux ;

- la CFDT n’est pas opposée à une réforme de la carte judiciaire ni à une réorganisation des contentieux, les deux démarches devant être conjuguées, mais elle demande avant toute chose que soit menée une réflexion sur la justice de proximité ; la réforme de la carte judiciaire doit aller de pair avec la mise en place de maisons de services publics polyvalentes, dans lesquelles sont maintenus des fonctionnaires du ministère de la justice ;

- Attention à l’immobilier : aucun regroupement ne peut être envisagé sans étude préalable sérieuse de ses conséquences sur les conditions de travail des personnels ;

- Il est indispensable de prendre en compte l’impact de cette réforme sur les personnels, au-delà de la seule indemnisation prévue par le décret de 1990 : mise en œuvre d’un droit d’option entre la mutation dans la juridiction de rattachement et le maintien d’une proximité de travail, y compris dans la fonction publique territoriale, augmentation du nombre de promotions parmi les personnes remplissant les conditions statutaires, accélération de la fusion des corps ;

- Les audiences foraines ne fonctionnent bien que lorsque le juge est volontaire ; la visioconférence peut être utilisée pour entendre des détenus, pas les justiciables ;

- La CFDT préconise une fonctionnarisation des greffes des TC et une suppression du corps des avoués, les spécialistes des procédures devant être les greffiers ;

Audition de M. Frédéric Péchenard, Directeur général de la police nationale

- L’impact d’une réforme de la carte judiciaire portera sur les directions de la sécurité publique, de la police judiciaire et de la police aux frontières. La pratique montre la nécessité d’une rationalisation. Cette idée est d’ailleurs généralement admise. Comment concevoir, ainsi, que la cour d’appel de Paris n’ait pas autorité sur Versailles ? C’est une perte de temps et de moyens.

- L’idéal serait un tribunal de grande instance par département, c'est-à-dire une correspondance entre les services préfectoraux, policiers et judiciaires. Des exceptions seraient justifiées par des spécificités dans les types de délinquance, par exemple entre Rouen et Le Havre. La concentration des moyens accélèrerait les affaires en réduisant le nombre de juridictions n’offrant qu’un seul juge d’instruction. De même, les tribunaux de grande instance à chambre unique sont trop petits pour permettre des délais de jugement et d’exécution corrects.

- La spécialisation des magistrats donne de bons résultats, le bilan d’activité de la division nationale antiterroriste l’illustre. L’efficacité passe par la flexibilité des moyens, le regroupement des personnels et la cohérence des saisines, y compris d’ailleurs pour les services de police.

- Une réforme aurait une influence variable sur les transfèrements des gardés à vue et des écroués, dépendant des implantations des directions départementales de la sécurité publique et des établissements pénitentiaires.

- Une réforme cohérente serait envisagée au cas par cas plutôt que de manière dogmatique. Certaines activités peuvent être améliorées en conservant les structures actuelles.

- Les nouvelles technologies permettent de gagner du temps grâce à la visioconférence et à la dématérialisation des procédures. On ne saurait cependant nier la valeur des contacts humains.

Audition de la Conférence nationale des procureurs généraux

- la réforme de la carte judiciaire peut être envisagée sous deux angles : soit une réforme géographique couplée à une réforme des contentieux – sur laquelle la conférence n’a pas souhaité faire de propositions immédiates, compte tenu de la difficulté à cerner les contours du contentieux de proximité qui serait confié aux chambres détachées du tribunal de première instance ainsi que la place du parquet-, soit une réforme purement géographique ;

- la conférence des procureurs généraux est favorable au maintien d’un tribunal de commerce au siège du TGI, ainsi que d’un CPH par TGI sauf exception liée à l’éloignement du chef-lieu, à l’existence d’un bassin d’emploi en difficulté ou d’un fort contentieux ;

- une attitude pragmatique doit aussi prévaloir pour les TI, les juridictions de proximité et les tribunaux paritaires des baux ruraux : prise en compte du volume d’activité, des flux de population dans le ressort sur les cinquante dernières années, des distances et de l’offre de transports, et création de nouveaux tribunaux ailleurs si les besoins judiciaires l’exigent;

- la formule d’un TGI départemental doit être privilégiée mais n’exclut des exceptions, avec dans ce cas, l’existence d’une cellule départementale de gestion ;

- la conférence des procureurs généraux n’a pas voulu définir des seuils d’activité, qui peuvent varier suivant les spécificités territoriales ;

- pour les sites éloignés, la conférence préconise l’implantation de guichets uniques de greffe, mis en réseau, permettant un accès au droit aussi large que possible ;

- en matière de tutelles, il est indispensable que les juges tiennent des audiences foraines dans les locaux des sous-préfectures ;

- nécessité d’une étude d’impact sur le personnel (évaluation du nombre d’ETPT libérés, des départs à la retraite anticipités ou non…) et d’un accompagnement social, similaire à celui mis en œuvre dans les armées ; pour les magistrats, le code de l’organisation judiciaire prévoit un préavis de 9 mois ;

Audition de la Conférence nationale des premiers présidents de cour d’appel

- Facteurs d’obsolescence de la carte judiciaire ainsi que des critères de compétence (quantum), qui correspondent encore aux sociétés rurales et prennent mal en compte l’apparition de contentieux massifs, tels celui du droit de la famille. La complexification du droit nécessite une spécialisation du juge dans certains domaines et une concentration des moyens ; il faut un volume d’affaires minimal pour acquérir une compétence juridique ;

- La démarche consistant à procéder d’abord à une réforme mécanique risque de fermer la voie à une réforme organique, faute d’un maillage judiciaire susceptible d’accueillir le contentieux de proximité ; il faut jongler entre proximité et spécialisation, suivant la nature des contentieux, et en partant du besoin du justiciable ;

- La conférence des premiers présidents préconise dans un souci de simplification et de lisibilité la création de tribunaux de première instance, réunissant aussi la justice commerciale et sociale, et faisant intervenir des juges professionnels dans tous les secteurs ; cette organisation permettrait de délocaliser davantage les petits contentieux en utilisant les structures immobilières existantes pour accueillir des chambres détachées ou audiences foraines ;

- il faut distinguer l’accès au droit – travail d’information réalisé dans les maisons de justice-, l’accès à la justice, et l’accès au juge, qui doivent se décliner territorialement de façon différente ; l’accès à la justice, doit se concrétiser par la faculté de lancer et de suivre une procédure de n’importe quel endroit du territoire, pas seulement grâce à Internet, qui n’est pas utilisé par tous, mais aussi à travers des guichets uniques de greffe accessibles et compétents pour toutes les juridictions civiles ; l’accès au juge doit être préservé par des chambres détachées ou des audiences foraines pour les contentieux pour lesquels la présence de la personne est indispensable (tutelles, droit de la famille, petits litiges de consommation, assistance éducative…) ; il convient en tout état de cause d’éviter les fermetures sèches de tribunaux ;

- la mise en œuvre de la réforme ne peut être immédiate car se pose notamment le problème lié au patrimoine immobilier.

Audition du Syndicat des greffiers de France

- Il y a consensus pour reconnaître que la carte judiciaire héritée du XIXe siècle est inadaptée aux besoins d’aujourd’hui. Mais les orientations de la réforme demeurent flous et la communication interne particulièrement limitée, à tel point qu’un recours devant la commission d’accès aux documents administratifs est envisagé pour obtenir les études préparatoires. Au vu de ces difficultés, comment jouer un rôle de proposition ? La concertation locale, très insuffisante et tenue pendant les vacances estivales, a été marquée par les divisions corporatistes voire par des menaces de sanctions disciplinaires.

- Seule une étude de l’environnement local permet de trancher ou non sur la nécessité de la présence d’un tribunal d’instance. Il faut garder à l’esprit que les populations qu’ils prennent en charge sont particulièrement vulnérables. Leur préservation pourrait passer par une délégation des compétences exercées jusqu’à présent par les tribunaux de grande instance, notamment les affaires familiales. A défaut, des guichets uniques de greffe apparaîtraient incontournables.

- Un tribunal départemental unique doté de chambres détachées ne génèrerait aucune économie budgétaire mais donnerait l’avantage de la fongibilité des moyens à condition de respecter le statut des magistrats et fonctionnaires. Il ne faut surtout pas que la logique pénale occulte la majorité des contentieux, qui sont civils.

- Les mesures sociales d’accompagnement devront être à la mesure des sujétions imposées aux personnels, sans qu’aucune pression ne soit exercée pour faciliter les mutations. Le statut des greffiers ne permet pas une mobilité vers d’autres corps de la fonction publique, mais des innovations sur ce point seraient bien accueillies. En outre, la moitié des greffiers a aujourd’hui plus de cinquante ans alors que l’autre moitié est jeune et plus diplômée : ces deux populations devront être traitées distinctement.

- La question de l’avenir des conciliateurs, délégués du procureur et autres juges de proximité se pose dans le cadre d’un regroupement des juridictions.

Audition de la Confédération nationale des avocats (CNA)

- La CNA met en garde contre le risque de créer des déserts judiciaires aux dépens du justiciable (difficultés lors des gardes à vue par exemple) et souligne leurs incidences sur l’économie locale

- la réforme de la carte judiciaire gère simplement la pénurie de moyens de la justice française (voir comparaisons faites dans le cadre du Conseil de l’Europe)

- Il faut d’abord une réforme de la justice avant de toucher à la carte judiciaire

- La carte administrative n’est pas un modèle, comme le montrent les discussions sur les départements

- La CNA est favorable à la suppression des chambres commerciales des TGI au profit des TC, ainsi qu’au regroupement des TC et TI au siège des TGI

- La CNA est favorable aux échanges électroniques, pas aux audiences électroniques, et reste réservée sur l’organisation d’audiences foraines

- La CNA plaide en faveur d’une déduction des honoraires d’avocat de l’impôt sur le revenu

Audition du Syndicat C-Justice

- La consultation n’a pas été satisfaisante : elle a eu lieu au cours de l’été, sans délais de réflexion suffisant, sans suivre partout les mêmes méthodes et sans consulter équitablement tous les professionnels du monde de la justice. Les rapports des chefs de cour n’ont pas tous été communiqués avant d’être remis à la Chancellerie.

- Des mesures d’accompagnement social fortes seront nécessaires pour les personnels de catégorie C, qui ne perçoivent guère que le SMIC en début de carrière. L’ouverture de passerelles avec la fonction publique territoriale serait une solution acceptable pour ces douze mille personnels dont 40% partiront en retraite dans les cinq années à venir.

- Le projet de tribunal de première instance et l’absorption des tribunaux d’instance par les tribunaux de grande instance n’ont pas réellement de sens, sinon pour les perspectives de carrière de certaines catégories.

- La question immobilière reste posée dans l’optique de regroupements de juridictions.

Audition de M. Pascal Clément, ancien Garde des Sceaux

- Une réforme de la carte judiciaire poursuit deux objectifs également souhaitables, à savoir l’amélioration du service public de la justice d’une part et la diminution de son coût d’autre part. La proximité entre en compte dans la réflexion comme composante du premier objectif.

- La plupart des tribunaux d’instance fonctionnent avec un juge unique. Le greffier joue alors un rôle majeur dans l’accès au droit par le renseignement qu’il apporte au citoyen. Il faut donc raisonner en termes de personnels d’une petite juridiction et non en fonctions des seuls magistrats.

- Il existe une justice spécialisée et localisée géographiquement, ainsi à Brest et à Toulon pour les affaires maritimes, ou encore à Paris pour l’antiterrorisme. On accroît de cette façon l’efficacité du juge sur une branche précise du contentieux.

- La réforme Clément visait à rompre la solitude du juge pour les crimes et les délits complexes, soit seulement 2% des instructions, pour lesquels le tribunal correctionnel local peut être dessaisi.

- On ne peut envisager de séparer l’activité pénale des litiges civils. En effet, un tribunal compétent pour les affaires civiles mais dénué de président et de parquet n’aurait aucun sens en pratique.

- Il n’est pas évident que des économies naissent des regroupements de juridictions, et ce même à long terme.

- Le schéma de la réforme demeure flou. Une chose est sûre : un tribunal départemental unique n’est envisageable qu’à la seule condition que la préfecture se trouve au centre du département, au cœur de son ressort. Les audiences foraines et les chambres détachées n’ont qu’un rôle marginal dans une réforme d’envergure.

Audition de la Conférence des présidents de TGI

- La Conférence des présidents de TGI est favorable à une réforme de la carte judiciaire et à l’instauration d’un tribunal de première instance (TPI), dans une logique de simplification et de guichet unique ; la création des TPI permettra en outre de mettre fin au cloisonnement et de fluidifier la gestion des personnels ;

- La réforme doit être pragmatique et s’appuyer sur un schéma d’organisation judiciaire élaboré dans chaque ressort de cour d’appel, au plus près du terrain ;

- la réforme de la justice doit d’abord se traduire par une réflexion sur l’organisation des contentieux et c’est seulement en fonction des résultats de celle-ci que la carte judiciaire doit être revue ;

- Il faut distinguer la justice qui a pour finalité l’élaboration du droit, nécessairement centripète, de celle dont l’objectif est la gestion de la société, qui demande de la proximité. La définition des contours du contentieux de proximité n’est pas aisée ; en tout état de cause, il ne faut pas sous-estimer l’impact de tout renchérissement de la justice pour les petits litiges ;

- Il ne faut jamais supprimer un site dont le personnel ne peut être accueilli dans la juridiction de rattachement, ni occulter le coût humain d’une fermeture ;

- les critères doivent privilégier le nombre d’affaires déposées plutôt que le nombre de décisions rendues et se référer aux réalités territoriales et culturelles ;

- la réforme de la carte judiciaire ne doit pas être un moyen de compenser le retard pris dans le recrutement de fonctionnaires prévu par la LOPJ ou les personnels préemptés pour la mise en place de la LOLF ; les économies d’échelle ne sont possibles que si les effectifs actuels du ressort sont en adéquation avec les besoins, et non en déficit;

- L’objectif n’est pas de faire des économies sur le personnel, qui est en sous-effectif, mais de mettre un terme à des inégalités de charges de travail ;

- Il est possible de maintenir une présence territoriale et de rentabiliser les infrastructures existantes en donnant plus d’activité à une petite juridiction (par exemple, en lui déléguant le contentieux familial) ; les petits sites menacés pourraient accueillir des guichets uniques de greffe, permettant la saisine de toute juridiction.

- Une concertation frustrante (calendrier impossible, absence de projet servant de base pour les discussions) mais encourageante (esprit de responsabilité des différents partenaires)

Audition de la Fédération des maires des villes moyennes

- L’association, qui regroupe cent soixante-dix villes comptant de vingt à cent mille habitants, a été reçue à la Chancellerie début juillet 2007. Sur le terrain, les élus relèvent des différences suivant les préfets et les magistrats ; surtout ils ont le sentiment que la concertation s’opère alors que tout est déjà décidé.

- Les élus sont attachés au rôle de la justice dans l’aménagement du territoire. Plus de cent tribunaux de grande instance se trouvent dans des villes moyennes.

- Les juridictions non spécialisées, telles que les tribunaux de commerce et les conseils de prud’hommes, coûtent très peu cher à l’Etat, de l’ordre de quinze mille euros par an pour une juridiction. Pour évaluer leur activité, il faudrait prendre en compte les conciliations réalisées en sus des jugements rendus.

- Si une spécialisation géographique peut être envisagée, il importe de préserver les dispositifs locaux de prévention de la délinquance. Pour cela, les limites départementales n’ont pas grand sens.

- Les audiences foraines ne sont pas une solution durable. A Saumur, elles étaient tenues par des juges pour enfants venus d’Angers, mais elles n’ont pas survécu au-delà de quelques années.

Audition de la CGT

- La méthode d’élaboration de la nouvelle carte judiciaire ne donne pas satisfaction. Le comité consultatif national a été installé fin juin mais il n’a connu aucune activité depuis cette date. Quant aux concertations locales, elles se sont diversement déroulées suivant les cours et suivant les positions défendues par les différentes corporations.

- L’idée d’une carte judiciaire plus ancienne que la carte administrative doit être combattue car elle est fallacieuse. Des réformes ont eu lieu depuis 1958 : pour les conseils de prud’hommes, pour les tribunaux de commerce, pour la région francilienne.

- Il est possible de renforcer le rôle des tribunaux d’instance pour justifier leur maintien sur le territoire. Un élargissement des compétences notamment aux affaires familiales, un redécoupage des ressorts et une montée en puissance de la dématérialisation des procédures – avec les limites que comporte l’exercice – provoqueraient un surcroît d’activité.

- Les audiences foraines et les chambres détachées ont montré par le passé qu’elles n’étaient pas des solutions acceptables en pratiques. Il n’existe qu’une seule chambre détachée aujourd’hui, qui est un démembrement de la cour d’appel de Fort-de-France à Cayenne. La tentative d’une chambre détachée du tribunal de grande instance de Niort à Bressuire s’est soldée par un échec cuisant.

- La réforme de la carte judiciaire ne peut se concevoir sans un effort sur l’accompagnement social et les moyens en personnels. Or, le projet de loi de finances pour 2008 entraîne la perte de 952 ETPT (équivalents temps plein travaillé). En outre, dans les petites juridictions, l’accompagnement social est délicat et l’expérience de Bressuire a montré les faibles possibilités de mobilité dans la fonction publique territoriale.

Audition de l’Union syndicale de la magistrature (USM)

- Sur la méthode : difficultés voire impossibilité d’engager une concertation en l’absence de signaux clairs, de présentation d’un projet ou d’une synthèse des remontées locales ; interrogations sur le rôle du comité consultatif qui n’a pas été réuni depuis la fin juin 2007 ;

- La mise à plat de la carte judiciaire, à laquelle l’USM n’est pas opposée sur le principe, doit être l’occasion d’une réforme ambitieuse, revisitant également les procédures et les compétences des juridictions ;

- Les contrats d’objectifs signés avec les juridictions montrent que ce sont les grosses juridictions, qui rencontrent des difficultés et demandent de l’aide ; les grosses structures apparaissent aussi comme les plus désincarnées aux yeux des justiciables ; lorsque les délais sont trop longs, il faudrait plutôt réfléchir à scinder en deux la juridiction, comme la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence par exemple ;

- l’USM est également consciente des difficultés de fonctionnement des petites structures : en-deçà de 11 magistrats, il est difficile dans un TGI de constituer des formations collégiales, sachant qu’un juge de la mise en état, des référés ou des libertés ne peut pas, en vertu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, juger au fond une affaire dont il a connu ;

- l’USM est favorable à un redécoupage des ressorts, qui est moins coûteux que la suppression d’un tribunal et peut permettre de rééquilibrer l’activité de deux TGI ;

- le regroupement des juridictions spécialisées (TC, CPH) au(x) siège(s) du ou des TGI du département pourrait renforcer la lisibilité de la justice et renforcer la sécurité juridique des décisions prises par les juges élus ;

- Interrogations sur la pérennité des audiences foraines et sur l’impact budgétaire de la réforme ;

- Le contact avec le justiciable compte énormément ; prudence par rapport au recours à la visioconférence et à la dématérialisation des procédures ;

Audition de M. Jean-Marie Pauti, ancien président du Conseil supérieur de la Prud’homie

- La concertation s’est limitée à un déjeuner de travail. Mais la modification de la carte des conseils de prud’hommes doit suivre une procédure complexe qui comprend des consultations obligatoires.

- Le système des conseils de prud’hommes confie aux collectivités les charges matérielles et à l’Etat les dépenses de personnel. La loi impose au moins un conseil de prud’hommes par tribunal de grande instance. Les autres ont pour source un décret en Conseil d’Etat.

- La réforme arrive dans l’année des élections professionnelles. Pour respecter cette échéance, tout devra être prêt au plus tard en mai 2008. La discussion avec les partenaires sociaux s’en trouvera forcément accélérée, sinon raccourcie.

- Certains syndicats demandent que la nouvelle carte judiciaire ne s’applique qu’après les élections suivantes, afin de ne pas devoir recommencer dans l’urgence la constitution des listes et les opérations de campagne.

- Un tribunal unique regroupant toutes les juridictions de premier degré ne semble pas souhaitable. Chaque contentieux a ses spécificités et son histoire.

Audition du Syndicat de policiers « Synergie-Officiers »

- Le syndicat de policiers « Synergie-Officiers » est favorable à une modernisation de la carte judiciaire, prenant compte les évolutions démographiques et les nouveaux bassins de délinquance, et permettant une mutualisation des moyens, en vue d’une justice plus efficace ; cependant, s’il s’agit d’une simple recherche d’économies, cette réforme est vouée à l’échec ;

- La collégialité ne peut être mise en place sans une augmentation du nombre de magistrats ; quand on concentre les moyens des juridictions, on concentre aussi les dossiers, dont le nombre ne diminue pas.

- Ne pas oublier les incidences de la suppression de tribunaux sur la gestion des privations de liberté : difficultés pour faire venir un avocat lors de la garde à vue, risque de remises en liberté de personnes mises en cause à l’issue de leur garde à vue en raison des contraintes de transfert et d’éloignement géographique, difficultés posées par la présentation devant le juge en cas de prolongation de la garde à vue.

- Proposition de création d’une direction centrale du transfert judiciaire spécifiquement chargée des escortes ;

- Une suppression sèche d’un tribunal, bâtiment qui représente l’autorité de la justice sur un territoire, va à l’encontre de la volonté gouvernementale d’apporter une réponse ferme et physiquement visible à la délinquance ; il convient de laisser au minimum un point d’accès au droit ;

- Le recours aux nouvelles technologies de l’information et de la communication constitue une réponse à l’éloignement géographique mais il ne doit pas dévoyer la procédure pénale. Pour la visioconférence, l’équipement n’est pas général : les enquêteurs de la police judiciaire sont contraints de se déporter avec leurs détenus dans les locaux de la sécurité publique pour y recourir ;

- Un allègement et une simplification de la procédure pénale s’imposent et seraient de nature à faciliter la mise en œuvre de la réforme de la carte judiciaire.

Audition du Syndicat des avocats de France

- Sur la méthode : absence de consultation des syndicats d’avocats sur la réforme de la carte judiciaire ; les chefs de cours n’ont reçu que les bâtonniers ;

- Le syndicat des avocats de France n’est pas opposé au principe d’une réforme de la carte judiciaire, dans la mesure où celle-ci s’accompagne aussi de créations de tribunaux ;

- Cette réforme impliquera des moyens conséquents ; à cet égard, le syndicat des avocats de France est inquiet de la diminution du nombre de postes offerts au concours de l’Ecole Nationale de la magistrature ;

- Il est impossible de dissocier la réflexion sur la carte judiciaire de la question de l’accès au droit ; il faut une réforme corrélative de l’aide juridictionnelle, dont le montant de l’unité de valeur est trop faible pour couvrir des frais de déplacement ; il faut engager une réflexion sur la liaison entre conseils départementaux d’accès au droit, maisons de justice, associations et avocats, ainsi que sur le financement de l’accès au droit ;

- Les exigences ne sont pas les mêmes suivant les types de contentieux : il y a des contentieux de proximité comme celui de la famille tandis que d’autres, pour lesquels la présence du justiciable n’est pas indispensable, nécessiteraient à l’inverse davantage de spécialisation ;

- Le syndicat des avocats est bien conscient des difficultés de certaines petites structures et n’est pas opposé à une révision des contentieux, qui implique une réforme des procédures. Cependant, cela nécessite un état des lieux et une réflexion de fond sous l’égide de professionnels du droit, qui ne peut se faire dans l’urgence ;

- Le syndicat des avocats de France est partisan des audiences foraines, qui rendent la justice plus accessible pour les justiciables et facilitent le travail des avocats ; il trouve également pertinente l’idée d’instituer un guichet unique dans les lieux de justice, permettant au justiciable de saisir n’importe quelle juridiction ;

- L’augmentation du tarif de la postulation ou l’extension de la représentation obligatoire des avocats ne constitue pas des compensations souhaitables à la réforme de la carte judiciaire ; représentation obligatoire ou pas, un justiciable ira voir un avocat s’il en a besoin ;

- Attention à l’utilisation de la visioconférence : elle ne peut remplacer le contact humain, indispensable pour le traitement de certains contentieux et notamment pour les phases de conciliation (prud’hommes, divorce) ; de plus, elle risque de favoriser les gros cabinets parisiens ;

Audition du Syndicat de la Magistrature

- Le syndicat de la Magistrature est favorable à une modernisation de la carte judiciaire mais l’ampleur du chantier est incompatible avec le calendrier imposé par le garde des sceaux ; pas de véritable concertation ;

- il faut d’abord engager une réflexion sur la réorganisation des contentieux, en précisant ce qui relève de la proximité et ce qui exige une spécialisation, avec une mise à plat des codes de procédures civile et pénale ; or, le gouvernement semble s’orienter vers une réforme purement mécanique ;

- le critère des nombres d’affaires n’est pas représentatif à lui seul de l’activité d’un tribunal et ne prend pas en compte le nombre de dossiers de tutelle ou les procédures de conciliation ;

- Il faut raisonner en termes de service public de la justice et d’égal accès au droit et au juge quelque soit le lieu de résidence du citoyen (article 6 de la CEDH) ; or, on va supprimer les juridictions qui fonctionnent le mieux, les tribunaux d’instance, pour les regrouper dans des tribunaux plus grands surchargés de dossiers et saturés ;

- le projet de réforme ne tient pas compte des spécificités culturelles des territoires (Camargue par exemple) ni de la nécessité pour le juge de connaître le maillage social local indispensable à la mise en place de partenariats (CCAS, …)

- la mise en place d’un tribunal de première instance avec des chambres détachées ne peut être envisagée sans une réflexion préalable sur les contours du contentieux de proximité ; elle risque d’obérer les bons résultats obtenus grâce à l’autonomie administrative des structures (TI, TGI) ;

- le Syndicat de la Magistrature est attaché aux audiences foraines, mais celles-ci nécessitent des moyens en temps et en hommes, qui se raréfient.

Audition de la conférence des juges consulaires de France

- Il est difficile de traiter de l’avenir d’une entreprise dans un milieu où chaque interlocuteur se connaît et se fréquente régulièrement. La proximité est mère dans ce cas de partialité, du moins de suspicion.

- La conférence des juges consulaires a réfléchi dès 2004 à des perspectives de réforme de la carte des tribunaux de commerce, dossier discuté dès octobre 2005 par le conseil national des juges consulaires. Ce travail, réalisé « à froid » s’est fondé sur les évolutions de la fonction : 40% du contentieux a disparu en dix ans, la maîtrise juridique est devenue aussi nécessaire que le bon sens. Huit tribunaux se sont ainsi spécialisés dans le droit de la concurrence.

- Le schéma de réorganisation approuvé à l’unanimité et remis à la Chancellerie a été suivi pour l’essentiel. Son coût n’est pas chiffré.

- Onze tribunaux de commerce ont aujourd’hui plus de quarante juges, mais la médiane s’établit à onze juges dans une juridiction. Dans les petits tribunaux, l’absence d’un juge soulève rapidement des problèmes de fonctionnement, ce qui n’est pas acceptable. Le bon format pour une juridiction avoisine quinze juges, ce qui porte à 125 le nombre optimal de tribunaux de commerce en France – avec suppression des chambres commerciales des tribunaux de grande instance.

- Sur un million de décisions, 13% sont frappés d’appel pour un taux d’infirmation de 3% seulement.

- Le principe de la départementalisation de la justice commerciale n’apparaît pas pertinent. En revanche, la réforme cartographique a bénéficié des précédents de 1999 et 2005.

- Il est important que la réforme des tribunaux de commerce ne soit pas dissociée de celle des juridictions non spécialisées afin de préserver une présence du parquet, notamment pour s’assurer du respect de la légalité dans les procédures collectives.

3. CARTES

Carte judiciaire actuelle des juridictions de droit commun

Carte judiciaire actuelle des conseils de prud’hommes

Carte judiciaire actuelle des juridictions commerciales

Source : article du Monde du 22 novembre 2007

* Cette carte ne comprend que la France métropolitaine et ne mentionne donc que la suppression de 176 tribunaux d’instance, deux tribunaux d’instance étant amenés à disparaître outre-mer

4. STATISTIQUES DES JURIDICTIONS

1 () Les juges placés sont des magistrats qui sont affectés dans le ressort d'une cour d'appel mais qui n'ont pas de poste fixe et sont appelés à effectuer des remplacements. Il existe également des postes de greffiers placés.

2 () La surface utile judiciaire regroupe les locaux utilisés pour le fonctionnement quotidien des services, les surfaces d’audiences et de réunions et locaux dédiés aux tiers mais elle exclut les locaux d’archives, de scellés, de circulation des détenus et des attentes gardées. La surface dans œuvre inclut toutes ces surfaces, ainsi que les escaliers, locaux techniques, parkings en sous-sol, logements de fonction, hors épaisseur des murs, mais exclut les surfaces non aménageables.

3 () Le tableau relatif aux TGI se base par exemple sur la suppression de 26 TGI au lieu de 23. Réactualisé en fonction des schémas annoncés et sur la base des mêmes hypothèses, le coût immobilier pour les TGI atteindrait alors 214 millions d’euros.

4 () 845 millions d’euros de CP contre 1690 millions d’euros d’AE pour l’ensemble des crédits d’investissement (juridictions mais aussi établissements pénitentiaires), ce qui signifie que de toute façon, même avec un taux d’exécution de 100 %, des besoins en crédits de paiement d’un montant de 845 millions apparaîtront après la période couverte par la LOPJ, soit après 2007, pour achever la réalisation des projets lancés.

5 () La valeur de l’UV était de 22,50 euros en 2007

6 () Voir notamment l’avis du député Alain Moyne-Bressand n°280 tome IX sur le projet de loi de finances pour 2008 et le rapport spécial de M. Marc Le Fur n° 3363 annexe 30 sur le projet de loi de finances pour 2007

7 () Les dépenses pour l’action d’accompagnement de l’informatisation des cabinets médicaux de ce fonds se sont élevées à l’équivalent de 62,2 millions d’euros en 1998.

8 () Le coût d’abonnement annuel de la carte CPS est de 19 euros hors taxe.

9 () Or, il est prévu un quasiment-doublement des départs à la retraite dans les 5 ans à venir pour les fonctionnaires des greffes (500 environ en 2007 contre plus de 920 par an en 2012).


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