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N° 1376

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 13 janvier 2009

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

sur les systèmes d’information de l’État

ET PRÉSENTÉ

PAR MM. Michel BOUVARD, Jean-Pierre BRARD,

Thierry CARCENAC et Charles de COURSON

Députés.

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INTRODUCTION 5

I.– LES FONCTIONNALITÉS DU NOUVEAU SYSTÈME D’INFORMATION SERONT-ELLES À LA HAUTEUR DES AMBITIONS DE LA LOLF ? 7

II.– LA GOUVERNANCE MISE EN PLACE ÉVITERA-T-ELLE DE RENOUVELER L’ÉCHEC DU PROJET ACCORD 2 ? 8

III.– QUEL SERA LE COÛT DU PROJET ? 9

IV.– QUAND LE NOUVEAU SYSTÈME D’INFORMATION SERA-T-IL DÉPLOYÉ ? 11

EXAMEN EN COMMISSION 13

–  Audition de M. Éric Woerth, ministre du Budget, des comptes publics et de la fonction publique, le mardi 13 janvier 2009 13

ANNEXE : ÉTUDE DE LA COUR DES COMPTES 31

INTRODUCTION

La mise en œuvre de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) impliquait de refondre le système d’information financière de l’État en matière budgétaire, comptable et de gestion. En effet, le système actuel repose sur une adaptation de l’outil ACCORD (Palier 2006 puis Palier LOLF), sur quelques autres outils interministériels(1) et sur une multitude d’applications ministérielles. Les trois premières années de mise en œuvre de la LOLF ont été réalisées avec des outils qui ne permettent pas de tirer pleinement parti des potentialités de la loi organique, et il y a tout lieu de penser qu’il en sera de même pour les deux années à venir. A la suite de l’échec du développement de l’outil ACCORD 2, la décision a été prise de développer un système entièrement nouveau, articulé autour d’une application centrale dénommée Chorus. Après appel d’offre, le choix s’est porté sur le progiciel de gestion intégré (PGI) de la société allemande SAP(2).

Pour son rapport du printemps 2006, la Mission d’information de la commission des Finances sur la mise en œuvre de la LOLF (« MILOLF ») s’est penchée sur les conditions de cette mise en œuvre dans les services déconcentrés. Au fil de ses travaux, elle a pu constater l’ampleur des difficultés dues aux retards dans le déploiement des nouveaux systèmes d’information et de gestion. Elle a ainsi été conduite à leur consacrer une partie spécifique de son rapport(3). Puis, au début de la XIIIème législature, alors que l’un des membres de la MILOLF est devenu président de la commission des Finances, celle-ci a demandé à la Cour des comptes, comme le permet le 2° de l’article 58 de la LOLF, de réaliser une enquête sur les systèmes d’information de l’État, afin de disposer d’une vision d’ensemble des problèmes rencontrés par les différents ministères.

Répondant à cette demande, la Cour des comptes a présenté le 10 octobre 2008 une étude portant sur « le système d’information financière de l’État en matière comptable, financière et de gestion ». Cette étude servira de base aux prochains travaux de la Mission. Elle est reproduite en annexe au présent rapport, lequel fait suite à son rapport de l’an dernier(4). Elle soulève plusieurs questions dont la réponse conditionne la bonne mise en œuvre de la LOLF dans les différents ministères : les fonctionnalités offertes par le nouveau système d’information, la gouvernance globale de ce système, la maîtrise des coûts et le respect du calendrier de déploiement.

Les enjeux sont importants tant pour permettre une amélioration de la gestion publique que pour mieux assurer l’exercice du pouvoir budgétaire du Parlement. L’accroissement de la tâche de travail issue de la mise en application de la LOLF n’a jusqu’à présent pas été compensée par les gains attendus en termes d’outils de gestion.

Il est difficile de cerner précisément le périmètre du système d’information financière de l’État. Autour de Chorus, qui reprendra les fonctions budgétaires et comptables, s’articuleront quelques applications interministérielles comme Farandole (élaboration budgétaire et stratégie de performance), COREGE (comptabilité de l'ordonnateur, du régisseur et du gestionnaire) ou REP (recettes non fiscales). D’autres applications seront « interfacées », comme le système d’information sur la paye des agents publics (SI Paye piloté par l’Opérateur national de paye - ONP), COPERNIC (recettes fiscales de l’Etat) ou Hélios (gestion comptable et financière des collectivités territoriales). Un recensement, qui n’était pas terminé à la date de présentation de l’étude de la Cour des comptes, comptabilisait en septembre 2008 quelque 350 applications ministérielles financières ou de métier (souvent mixtes).

Rappelons que la Cour des comptes a maintenu dans son rapport de mai 2008 sur la certification des comptes de l’État (exercice 2007) la réserve substantielle (n° 1) qu’elle avait émise l’année précédente sur les systèmes d’information financière de l’État. Un système d’information efficace est donc une des conditions nécessaires à la sincérité des comptes publics.

Le présent rapport a modestement pour objectif de présenter les principales questions qui feront l’objet d’un examen approfondi par la Mission au cours du premier semestre de cette année. Il rend public le rapport de la Cour des comptes ainsi que les premières réponses du ministre du Budget lors de son audition par votre Commission le 13 janvier 2009. Ce rapport pourra ainsi contribuer à alimenter le débat citoyen, dans un domaine qui concerne des centaines de milliers de fonctionnaires et qui conditionne la réussite de la LOLF et la modernisation de l’État.

I.– LES FONCTIONNALITÉS DU NOUVEAU SYSTÈME D’INFORMATION SERONT-ELLES À LA HAUTEUR DES AMBITIONS DE LA LOLF ?

Le choix d’un progiciel de gestion intégré (PGI) présente des avantages certains en termes de cohérence globale et de bénéfice des meilleures pratiques des secteurs public et privé. Il évite d’avoir recours à des développements informatiques spécifiques longs et coûteux. La Cour des comptes relève néanmoins le risque de dépendance à l’égard du fournisseur, avec des conséquences sur le coût des adaptations ultérieures. Il peut en être ainsi pour les changements de périmètres ministériels et de maquette budgétaire (missions, programmes, actions), ainsi que lors de la réorganisation des services déconcentrés de l’État, notamment en cas de décentralisation.

Le périmètre de Chorus a été structuré autour de trois types de fonctionnalités : « fonctionnalités cœur » couvrant les attentes prioritaires de la LOLF, et utilisées par tous les ministères ; « fonctionnalités avancées », permettant une amélioration de la productivité ou du pilotage de la gestion ; « fonctionnalités hors système cible et hors champs budgétaire et comptable », sous la responsabilité des ministères. Les fonctionnalités avancées ont déjà été planifiées : programmation annuelle et pluriannuelle, stocks, régies, gestion de projet, portail fournisseur, demandes d’achat, carte achat et achats sur catalogue, administration des ventes, rapprochement bancaire et aide juridictionnelle.

Des réflexions sont lancées pour examiner les besoins connexes aux fonctions budgétaires et comptables qui seront gérées dans Chorus. Il peut en être ainsi de la comptabilité analytique et de la gestion extracomptable du patrimoine immobilier de l’État, pour répondre aux besoins d’une gestion rénovée. Les arbitrages concernant ces extensions du périmètre de Chorus sont à rendre.

La Cour des comptes note que dans sa définition actuelle, le projet en cours de développement est surtout orienté vers la gestion budgétaire et comptable, laissant de côté une partie significative de la modernisation de la gestion publique.

Des doutes subsistent sur les fonctionnalités de Chorus en matière de comptabilité analytique, en vue d’un pilotage par la performance. Le risque est que les ministères soient dans l’obligation de maintenir leurs applications métiers. Le choix d’utiliser le module de comptabilité analytique du progiciel de gestion intégrée de l’éditeur SAP, pour la comptabilité d’analyse et de coût (CAC), impose une uniformisation des outils et des concepts analytiques pour l’ensemble de l’Etat. Les définitions ne seront donc pas compatibles avec les besoins de tous les ministères, qui devront mettre en œuvre, à leur niveau, des outils de comptabilité analytique spécifiques. Les outils permettant le pilotage par la performance et la comptabilité analytique sont cependant les conditions préalables à l’établissement du contrôle de gestion et à la modernisation de la gestion publique.

Il est prévu que le module de gestion immobilière de Chorus, dénommé Chorus-RE(5), soit mis en œuvre le 1er avril 2009. Le cahier des charges prévoit la reprise pure et simple des fonctionnalités qui existaient jusqu’alors dans le serveur du Tableau général des propriétés de l'Etat (STGPE), c’est-à-dire l’inventaire et l’évaluation du parc des ministères. Or une gestion immobilière professionnalisée implique d’aller beaucoup plus loin avec par exemple l’élaboration de comptes de résultat par immeuble, la gestion des baux et des loyers budgétaires, les contrats fournisseurs, la gestion de projet immobilier ou l’entretien et la maintenance.

Certains ministères s’interrogent encore sur la capacité du nouveau système à satisfaire les attentes de leurs gestionnaires en matière budgétaire et fiscale. Ils craignent que des impératifs techniques et de rentabilité entraînent, pour des fonctionnalités cœur ou avancées, des délestages sur les applications ministérielles.

Enfin il n’est pas prévu que les opérateurs de l’État (établissements publics principalement) soient intégrés dans Chorus. Si ce dernier sait gérer la comptabilité d’une maison mère et de ses filiales, il ne sait pas gérer plusieurs plans comptables. On sait que les services ministériels utilisent le plan comptable de l’État (PCE). Les opérateurs sont une catégorie de nature très variable où certains ont un fonctionnement proche de l’État alors que d’autres ont une forte dimension industrielle et commerciale et fonctionnent selon le plan comptable général (PCG). La Cour des comptes a maintenu dans sa certification des comptes de 2007 la réserve substantielle (n° 4) qu’elle avait émise l’année précédente sur les comptes des opérateurs. L’harmonisation des normes comptables applicables aux opérateurs est un chantier encore à venir, afin de préparer l’étape ultime de consolidation des comptes de l’État avec ceux de ces entités.

II.– LA GOUVERNANCE MISE EN PLACE ÉVITERA-T-ELLE DE RENOUVELER L’ÉCHEC DU PROJET ACCORD 2 ?

L’Agence pour l’informatique financière de l’État (AIFE) est chargée de la construction et de la maintenance du système d’information financière de l’État. Le projet Chorus est piloté par l’AIFE, qui en est l’instance technique, sous la supervision du Comité d’orientation stratégique (COS), à composition plus large, mais où les directions qui jouent un rôle prépondérant relèvent essentiellement du ministère du Budget (notamment direction générale des Finances publiques - DGFiP et direction du Budget). La Cour des comptes note que le défaut d’information et d’association des différents ministères a entraîné une inquiétude sur les contours finaux du nouveau système d’information.

En outre cette gouvernance technique ne garantit pas que soient tranchées en temps voulu les questions qui opposent les ministères. La complexité de l’appareil d’État rend la prise de décision particulièrement difficile. La recherche du consensus interministériel est longue et son échec nécessite de recourir à des arbitrages au niveau politique des cabinets ministériels. La gouvernance des systèmes d’information de l’Etat n’a jamais totalement éclairci les compétences respectives du COS, de la direction générale de la Modernisation de l’État (DGME), du ministre du Budget, du Premier ministre, voire du secrétariat général de l’Elysée dans le cadre des arbitrages de la RGPP.

La Cour des comptes a noté à plusieurs reprises que cette gouvernance présente un risque d’incohérence car l’AIFE ne comporte pas dans son champ de compétence des systèmes comme COPERNIC, Farandole ou le SI Paye. Certes les deux conseils d’orientation stratégique de Chorus et du SI Paye ont la même présidence, mais une coordination globale au plus haut niveau est pour le moins nécessaire.

Un autre enjeu est l’arrêt des applicatifs ministériels prévu lors du démarrage de Chorus. On sait maintenant que tous ces applicatifs ne pourront disparaître. Le choix a cependant été fait dans le projet Chorus de simplement « urbaniser » (6) les applicatifs qui subsisteront autour de Chorus. Un plan stratégique, sous la forme d’un schéma directeur, aurait sans doute permis de mieux coordonner les systèmes d’information, de limiter le nombre des applicatifs ministériels et donc de réduire les coûts.

III.– QUEL SERA LE COÛT DU PROJET ?

La Cour des comptes avait mesuré en novembre 2005 les dépenses consacrées à ACCORD : elles s’élèvent à 257 millions d’euros pour le ministère du Budget et environ 40 millions d’euros supplémentaires pour les autres ministères. L’adaptation de l’application ACCORD à la LOLF a engendré des coûts estimés entre 160 et 175 millions d’euros.

S’agissant de Chorus, il faut distinguer le coût initial (2006-2011) et le coût total (sur dix ans de vie du projet). Le coût prévisionnel initial indiqué dans le projet annuel de performances pour 2009(7) est estimé à 551,6 millions d’euros entre 2006 et 2011. L’audit de modernisation de l’Inspection générale des finances (IGF) de novembre 2006 (8) avait évalué le coût d’investissement initial de Chorus entre 419 et 566 millions d’euros, selon le nombre d’utilisateurs, auquel il fallait ajouter environ 100 millions d’euros par an pour les coûts récurrents. Or la Cour des comptes, dans son étude ci-après, note que le coût prévisionnel présenté dans le projet annuel de performances ne comprend pas les dépenses de fonctionnement de l’AIFE (évalués à environ 78 millions d’euros entre 2006 et 2011).

Il n’inclut pas non plus les coûts qui seront à la charge des différents ministères pour adapter leurs applications de gestion, et qui sont estimés à environ 80 millions d’euros par la Cour des comptes. La contrainte de maîtrise des coûts de Chorus laisse craindre un report coûteux sur ces applications ministérielles. Par ailleurs tout report de déploiement de Chorus retarde l’arrêt des applications ministérielles redondantes, et donc des coûts correspondant de maintenance.

Le projet annuel de performances pour 2009 indique que le scénario retenu fixe le coût prévisionnel total du projet Chorus à 1 110,4 millions d’euros. Ce montant correspond à un coût global de projet sur les dix premières années (donc jusqu’en 2015) en intégrant les dépenses de maintenance et de fonctionnement à partir de 2011 (évaluées à environ 100 millions d’euros par an dans le rapport d’audit de l’IGF de 2006).

Selon l’AIFE, compte tenu des économies associées, la valeur actuelle nette (VAN) (9) serait de 852,6 millions d’euros sur dix ans. La période sur laquelle la rentabilité a été évaluée est 2006 – 2015, soit dix années correspondant à la durée habituelle d’évaluation des projets dans le cadre d’études de retour sur investissement. La valeur actuelle nette était estimée entre 800 et 1 100 millions d’euros dans le scénario le plus favorable (déploiement de l’ensemble de la réingénierie) du rapport d’audit de l’IGF. La Cour des comptes relève que les critères de l’équilibre financier fixés en 2006 reposent sur des hypothèses fragiles qui n’ont jamais été réexaminées depuis (en ce qui concerne les gains de productivité et de substitution de Chorus aux applications ministérielles).

Les coûts constatés et prévus actuellement représentent donc une certaine dérive par rapport aux estimations prévisionnelles initiales. Il est à craindre que la recherche de l’équilibre budgétaire entraîne une réduction du nombre de licences, qui conditionne le nombre d’utilisateurs potentiels (10).

Le rapport précité de l’Inspection générale des finances avait indiqué les conditions d’un retour sur investissement, au premier rang desquelles la réorganisation des services et des processus budgétaires dans les services centraux et déconcentrés (« réingénierie des processus »). L’enjeu est le niveau de mutualisation des services budgétaires, qui conditionnera l’organisation des services. Accessoirement, un niveau élevé de mutualisation permettra de limiter le nombre de licences, et donc réduire les coûts. La plus grande partie des économies attendues, qui résultent des gains de productivité permettant de gagner des emplois, sont encore à concrétiser. Les arbitrages rendus avant et pendant la RGPP ont tranché en faveur d’une gestion au niveau régional (et non départemental), mais n’ont pas indiqué selon quelles modalités. Un arbitrage du 18 juillet 2008 a décidé que, du fait de leur taille, les ministères de la Justice, de la Défense et de l’Éducation nationale conserveraient des services comptables spécifiques.

La décision pour les autres ministères, en particulier ceux chargés de l’Écologie et de l’Intérieur, devait être prise avant la fin de l’année 2008, avec soit une organisation verticale, soit une mutualisation interministérielle. Elle est encore à venir à la date de rédaction du présent rapport. Or le déploiement ne peut intervenir que 18 mois après la décision d’arbitrage. Les enjeux de coût et de délai de déploiement sont donc intrinsèquement liés.

Il faut en outre mentionner le coût attendu pour le programme COPERNIC (1,8 milliard d’euros) (11) et le développement par l’Opérateur national de paye (ONP) du SI Paye (déploiement prévu entre 2012 et 2016).

IV.– QUAND LE NOUVEAU SYSTÈME D’INFORMATION SERA-T-IL DÉPLOYÉ ?

L’AIFE indique que le déploiement de Chorus s’effectue de façon échelonnée dans le temps, selon les ministères, pour éviter les risques inhérents au « big bang ». Le retard précédemment mentionné relatif aux hypothèses de mutualisation des services de gestion budgétaire et comptable, et donc de réorganisation des administrations déconcentrée, devrait donc avoir des répercussions sur le calendrier de déploiement. Les décisions prises en 2007 et 2008 dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) influent également dans le même sens.

Les travaux menés jusqu’à présent ont permis de déployer au 30 juin 2008 auprès de 100 utilisateurs (licences lourdes) une première version de Chorus sur un périmètre fonctionnel très réduit portant sur les subventions pour charges de service public et les dépenses de transfert gérées en administration centrale. L’AIFE indique que pour le déploiement de la vague de janvier 2009 (V2 Chorus), les travaux ont démarré et concernent près de 400 utilisateurs (« licences lourdes »). Ont été lancé des travaux portant sur la gestion des immobilisations avec une reprise des données de gestion immobilière prévue en mars 2009 pour au moins 1 000 utilisateurs. Dans le même temps sera lancé le déploiement de la vague de juillet 2009 (V3 Chorus) avec une hypothèse de 500 à 3 000 utilisateurs (« licences lourdes »).

Jusqu’au projet de loi de finances pour 2008, l’AIFE tablait sur un déploiement complet avant le 1er janvier 2010. Le projet annuel de performances pour 2009 précité indique que « le calendrier général prévoit le démarrage du système d’information sur sites pilotes en 2008 et 2009 pour un déploiement dans l’ensemble des services de l’État à compter de l’année 2010 ». Les membres de la Mission ne peuvent se défendre contre le sentiment que l’AIFE, avec des formulations ambiguës, tente de masquer aux ministères et à la représentation nationale un glissement de calendrier qui pourrait être d’un an.

On l’a vu, des arbitrages restent à rendre, notamment sur l’organisation des services comptables des ministères de l’Écologie et de l’Équipement. Le ministre du Budget, M. Éric Woerth, a officiellement reconnu devant la commission élargie du 7 novembre dernier que « Chorus, lui, a pris une année de retard et devrait être opérationnel vers 2011 ». Il reconnaît également que les comptes 2011 seront les premiers à pouvoir être certifiés par la Cour des comptes avec Chorus. Enfin, il restera encore à adapter le règlement de comptabilité publique au contexte nouveau de Chorus (clarification des nouveaux rôles des ordonnateurs et des comptables).

* *

*

Ce n’est donc au mieux qu’à partir de la sixième année après l’entrée en vigueur de la LOLF – et dix ans après son vote par le Parlement – que l’on disposera des outils informatiques adéquats. Les ministères et le Parlement attendent avec impatience le déploiement du système pour bénéficier enfin de tous les avantages de la LOLF pour la gestion publique. La Mission attache une importance particulière à la réussite de cette opération. Elle procèdera à un examen approfondi de ces questions au cours des semaines à venir.

EXAMEN EN COMMISSION

–  Audition de M. Éric Woerth, ministre du Budget, des comptes publics et de la fonction publique, le mardi 13 janvier 2009

M. le président Didier Migaud. Mes chers collègues, nous entendons aujourd’hui M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, sur les systèmes d'information de l'État.

Monsieur le ministre, je vous remercie de jouer le jeu de la transparence et du dialogue sur un sujet techniquement assez complexe, même si chacun en mesure la portée pour la modernisation de la gestion publique.

Le 7 novembre dernier, devant la Commission élargie, vous avez admis que Chorus avait pris une année de retard et qu’il devrait être opérationnel vers 2011. Cela signifie concrètement qu’il aura fallu pas moins de dix ans pour que les administrations financières puissent tirer pleinement parti des potentialités de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001, la LOLF, plus de cinq ans après sa mise en application.

Bien sûr, les membres de la Commission ne sous-estiment pas les difficultés d’élaboration du projet Chorus, ce progiciel de gestion intégrée des opérations comptables budgétaires et de gestion qui sera au centre des applications des différents ministères. Ils sont cependant conscients de l’importance de ce dossier pour la modernisation des administrations, ainsi que pour les parlementaires, dans la mesure où nous avons voulu que la LOLF soit également une réforme comptable, et que la comptabilité et les systèmes d’information puissent être des outils pour apprécier l’efficacité et le suivi de la dépense publique.

Notre mission d’information sur la mise en œuvre de la LOLF, la MILOLF, s’intéresse de près à ce dossier. C’est ainsi que, dans son rapport de juin 2006, elle avait estimé que la mise en œuvre de Chorus devait constituer une priorité absolue. Pour offrir une vision d’ensemble de la situation des différents ministères, la Commission des finances a, dès le début de la législature, demandé à la Cour des comptes de réaliser une enquête, dont les résultats nous ont été transmis en octobre dernier. Je les ai immédiatement adressés aux membres de la MILOLF – Michel Bouvard, Jean-Pierre Brard, Thierry Carcenac (qui est également concerné en tant que rapporteur spécial pour le programme Gestion fiscale et financière de l’État et du secteur public) et Charles de Courson –, ainsi qu’à Pierre-Alain Muet, rapporteur spécial pour le programme Stratégie des finances publiques et modernisation de l’État. Nous vous proposerons tout à l’heure de la publier sans délai, en annexe à un premier rapport d’étape de la MILOLF.

Compte tenu de ces travaux préparatoires, monsieur le ministre, il n’y a pas lieu de s’étonner que, le 7 novembre dernier, vous ayez eu affaire à des questions précises et documentées ! L’objet de la présente réunion est, sur votre proposition, de poursuivre cet échange. Je vous donne tout de suite la parole pour un propos introductif qui vous permettra de compléter vos premières réponses et de faire le point sur les perspectives de déploiement de Chorus.

M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique. Je suis aujourd’hui accompagné de chefs de projet, qui pourront être amenés à répondre à d’éventuelles questions techniques : Isabelle Braun-Lemaire, responsable du programme COPERNIC, Jacques Marzin, directeur de l’Agence pour l’informatique financière de l’État (AIFE), qui s’occupe plus particulièrement de Chorus, et Yves Buey, directeur des systèmes d’information au secrétariat général des ministères de l’économie et du budget, chargé des applications Hélios, DELT@, SI-Paye et de celle en cours de développement sur les pensions.

Cette audition m’apparaît d’autant plus utile que l’administration est engagée dans la réalisation de programmes informatiques de très grande ampleur. Leurs enjeux sont à la hauteur des investissements humains, techniques et financiers qui leur sont consacrés : ils sont un puissant levier de transformation de l’administration et d’amélioration des services rendus.

Ces programmes rendront ainsi les échanges d’information plus sûrs et moins coûteux ; Hélios, qui est opérationnel, permet déjà aux collectivités territoriales d’adresser au Trésor public, de manière dématérialisée, près de 80 millions de titres de recettes ou de pièces justificatives – sur un total, certes, de 530 millions.

Ils favoriseront le décloisonnement de certains services, comme le fait Chorus avec les nouveaux services facturiers, ce qui facilitera la réduction des délais de paiement – dont il est beaucoup question avec le plan de relance.

Ils soutiendront le développement de nouveaux services visant à répondre à la demande des usagers et à simplifier les démarches administratives, comme la télédéclaration.

Enfin, ils bénéficieront aux fonctionnaires : la refonte de la chaîne de pensions, notamment, permettra d’apporter aux agents des informations sur leur retraite tout au long de leur carrière, et pas seulement à partir de 58 ans, juste avant leur départ.

Dans cette présentation, je développerai plus particulièrement les deux principaux projets informatiques pilotés par le ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique, de manière à répondre aux questions posées par vos rapporteurs spéciaux lors de la commission élargie du 7 novembre dernier.

COPERNIC entre dans sa phase finale. Ce programme, lancé en 2001, a déjà une longue histoire. Il a permis la mise en place de nouveaux services pour les usagers, comme la télédéclaration, le paiement en ligne de l’impôt, le compte fiscal pour les particuliers et pour les professionnels. Ces réalisations, très visibles, ont contribué à améliorer considérablement la qualité de service de l’administration fiscale au profit direct des usagers, particuliers ou entreprises.

Par ailleurs, il s’est traduit par des réalisations majeures au bénéfice des agents, qui disposent désormais d’un espace de travail unifié, avec de nouvelles bases de données rassemblant des informations autrefois éparses, et des outils de recoupement de l’information, qui facilitent leur activité de contrôle et participent à l’amélioration du recouvrement de l’impôt.

M. Carcenac avait exprimé ses doutes que le coût total de ce programme fût resté stable en dépit de la durée du projet et des aléas de la conjoncture. Je confirme qu’il a bien été conduit dans le respect de l’enveloppe dédiée en 2001, soit 911,5 millions d’euros. Toutefois, dans un souci de transparence, je précise que ce résultat a été obtenu moyennant la révision à la baisse de certaines ambitions initiales.

Je vous transmets aujourd’hui un tableau synthétique recensant l’ensemble des projets engagés par COPERNIC, avec les budgets prévisionnels, les budgets revus en fonction des différentes versions du programme et leur statut actuel : livré, non livré, abandonné. C’est une première pour un programme informatique de cette ampleur ! Vous observerez que le périmètre du programme a évolué : des projets non prévus ont été réalisés, comme les outils d’aide à la programmation du contrôle fiscal des particuliers ; d’autres ont été abandonnés, comme la refonte des applications d’assiette et d’imposition pour la fiscalité des particuliers ; d’autres enfin ont pris du retard et sont encore en cours de conception plusieurs années après leur lancement : c’est le cas de la refonte des applications du recouvrement. Pour ce dernier projet, j’ai reçu personnellement les deux cabinets qui en sont chargés et j’ai demandé à la direction générale des finances publiques (DGFiP) de réexaminer la situation et de nous éclairer sur les options qui restent à prendre. Il n’est pas totalement anormal que, sur une durée de près de dix ans, certains projets soient adaptés, d’autres connaissent des retards, d’autres enfin soient abandonnés ou créés. Au final, la structure des coûts évolue, mais l’enveloppe reste la même. De surcroît, COPERNIC semble avoir globalement rempli ses objectifs.

Quant à son coût total, contrairement à ce qu’en a dit la presse, il n’a pas subi de dérive. Lors d’un audit réalisé en 2005, la Cour des comptes l’avait évalué à 1,8 milliard d’euros. Ce montant ne peut être comparé aux 911,5 millions d’euros de dépenses d’investissement, puisque s’y ajoute le coût des ressources internes à l’administration mobilisées pour la conception et la gestion du programme : la masse salariale, pour 352 millions d’euros, les dépenses de formation, pour 160 millions d’euros, et les coûts de maintenance, évalués à 378 millions d’euros de 2001 à 2009. Ces chiffres, je vous les ai donnés dès le 7 novembre, ce qui a conduit certains organes de presse à écrire que le programme avait dérapé – ce qui n’est pas le cas. En outre, ces engagements se traduisent parallèlement par des économies pour l’État, une plus grande productivité de ses agents et des recettes supplémentaires, liées à un meilleur recouvrement. En 2005, les économies prévues étaient de l’ordre de 800 millions d’euros par an. Nous savons que, grâce à COPERNIC, nous avons d’ores et déjà économisé plus de 2 000 équivalents temps plein (ETP), mais, le contenu du programme ayant évolué depuis 2001, nous ne bénéficions pas d’une vision complète de toutes les économies. J’ai donc demandé une réactualisation de ces études que, bien entendu, je vous transmettrai dès réception.

Aujourd’hui, au-delà du projet sur le recouvrement, l’enjeu de COPERNIC est d’adapter nos applications fiscales à la fusion de la direction générale des impôts (DGI) et de la direction générale de la comptabilité publique (DGCP), survenue après le lancement du programme. En habituant les deux directions à travailler ensemble et en créant un outil commun essentiel, COPERNIC a facilité cette fusion. Néanmoins, de nombreuses applications de gestion conservent des traces de l’existence des deux directions. Leur réaménagement sera un travail lourd, qui concernera les portails, l’annuaire des agents, la gestion des habilitations et des structures au sein de la DGFiP, mais également la gestion du recouvrement de l’impôt.

J’en viens maintenant à Chorus, qui est un projet majeur pour la modernisation de la gestion des dépenses de l’État.

Le 5 janvier dernier, nous l’avons, comme prévu, déployé dans six ministères, sur neuf programmes budgétaires, dont le programme Enseignement supérieur et recherche agricoles du ministère de l’agriculture et le programme Gestion fiscale et financière de l’État et du secteur public local, rattaché à mon ministère, ce programme ayant été créé pour expérimenter Chorus dans les services déconcentrés. À l’heure actuelle, plus de 500 gestionnaires utilisent ce nouvel outil pour suivre près de 10 milliards d’euros de dépenses de l’État. Contrairement à ce que j’ai pu entendre, Chorus est donc déjà une réalité.

S’agissant de la poursuite de son déploiement, je précise, pour répondre aux préoccupations de Michel Bouvard, que le respect du calendrier est un objectif, mais celui-ci ne doit pas être tenu au détriment du coût et du retour sur investissement du projet. Le calendrier initial visait à un déploiement total de Chorus d’ici au début de 2010, sur la base d’une stabilité du périmètre des ministères et de leur organisation. Or, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), s’opère une réorganisation territoriale de l’État sans précédent depuis la création des préfets de région en 1964. C’est pourquoi il était nécessaire de faire le point, afin de nous assurer de la compatibilité de Chorus avec les décisions de réorganisation des administrations – notamment la création des directions départementales et régionales interministérielles – et de professionnaliser la fonction financière de l’État. Cela a été fait le 28 juillet dernier, à l’occasion d’un comité de suivi de la RGPP spécifiquement dédié à Chorus.

Pour l’heure, outre les expérimentations indiquées, le déploiement de Chorus a été décidé pour trois des ministères les plus importants : le ministère de l’éducation nationale dès juillet prochain, le ministère de la défense et le ministère de la justice au début de l’exercice 2010. À cette échéance, Chorus concernera près de la moitié du budget général de l’État. Pour les autres ministères, nous avons demandé à l’inspection générale des finances, à l’inspection générale des affaires sociales et à l’inspection générale de l’administration de nous éclairer sur les meilleurs scénarios de déploiement. Le rapport final doit m’être remis dans les prochains jours. Notre objectif est d’achever le déploiement de Chorus à la fin 2010, pour la gestion du budget 2011, en totale adéquation avec les décisions de réorganisation de l’État territorial.

S’agissant de son coût, je tiens à rassurer M. Pierre-Alain Muet : un coût prévisionnel complet a été établi en novembre 2006 par l’inspection générale des finances au moment du lancement du projet. Sur une période de dix ans, de 2006 à 2015, le budget global de Chorus a été évalué à 1,1 milliard d’euros : de 419 à 556 millions pour les dépenses d’investissement, 115 millions pour les charges internes à l’administration et 100 millions par an de dépenses de fonctionnement après la fin du déploiement. Ces estimations restent valables, et sont cohérentes par rapport au chiffrage constaté par la Cour des comptes et présenté au Parlement. Néanmoins, j’ai demandé leur réactualisation au regard des premiers déploiements effectifs – à l’instar de ce qui se fait dans n’importe quelle entreprise. Je vous en communiquerai les résultats.

Je précise que le report d’un an du déploiement complet de Chorus entraîne un coût pour l’État de 60 millions d’euros, en raison du maintien des applications existantes dans les ministères. Toutefois – soyons clairs –, je préfère repousser l’échéance d’un an et tirer tous les bénéfices d’un tel outil, notamment en matière de productivité, de qualité comptable et de réduction des délais de paiement de l’État, plutôt que de faire les choses à la va-vite, au risque de supporter des coûts bien supérieurs par la suite.

M. Michel Bouvard, Rapporteur de la Mission. Très bien !

M. le ministre. En outre, parler du seul coût du projet me paraît réducteur, dans la mesure celui-ci entraînera des économies substantielles pour l’État, évaluées par l’inspection générale des finances à 5 000 ETP, soit environ 400 millions d’euros, et consécutives à la professionnalisation des agences en charge des fonctions financières, budgétaires et comptables de l’État. Cet aspect fait, bien entendu, l’objet de toute notre attention. C’est pourquoi, dans la droite ligne des recommandations d’Alain Lambert et de Didier Migaud, favorables à la réorganisation de la fonction financière et comptable dans l’ensemble des ministères, nous avons décidé, lors du comité de suivi de la RGPP de juillet dernier, d’une part que les fonctions de support de gestion financière de l’État seraient réorganisées au moins à un niveau régional, de manière à garantir un niveau de professionnalisation optimal et, d’autre part, qu’un niveau minimal de productivité des agents serait fixé sur la base des services les plus performants, soit 3 000 actes de gestion par agent et par an – il est actuellement de 4 600 au ministère de la justice et à moins de 1 000 au ministère de l’intérieur. La marge de progression est ambitieuse, mais atteignable : cela correspond à quelque 15 actes de gestion par jour et par agent.

En tant que ministre du budget, je pense qu’il est primordial que l’État s’assure de la parfaite maîtrise de la réalisation de ces très grands programmes, qui possèdent peu d’équivalents dans le privé. Certaines conditions doivent être impérativement réunies.

Tout d’abord, l’évaluation du retour sur investissement doit être conduite avant tout lancement de projet informatique ; nous devons disposer préalablement des éléments permettant d’apprécier son opportunité : état des lieux, outils à remplacer, cartographie des fonctions, coût de maintenance des applications existantes, besoins exprimés pour rationaliser les processus, entre autres. Il faut systématiser de telles études afin que les décisions soient prises sur la base de critères rationnels – l’objectif étant que tous les ministères calculent les retours sur investissement de manière identique. En conséquence, j’ai demandé à la direction du budget de définir une méthodologie claire d’estimation des coûts complets des projets informatiques de l’État.

Ensuite, les programmes de transformation interministériels gérés par le ministère du budget nécessitent un pilotage clairement défini et des responsabilités assumées ; il importe de mettre en place pour chaque programme des comités d’orientation stratégique, les « COS », réunissant tous les ministères et, pour les décisions les plus importantes, comme la réorganisation des fonctions financières de l’État, de prendre des décisions politiques. Un tel mode de gouvernance nous apportera des garanties pour conduire des actions communes et sensibiliser l’ensemble des administrations aux mêmes objectifs.

Il convient aussi de suivre de manière méthodique et transparente les grands programmes de transformation que nous avons engagés. Eu égard à leurs enjeux, il est nécessaire de disposer d’une visibilité précise de leur mise en œuvre, non seulement aux moments critiques ou lorsqu’il faut faire face aux dérapages, mais à chaque étape du projet : conception, développement des outils, déploiement auprès des utilisateurs. Il me semble naturel que le Parlement puisse bénéficier de cette visibilité dans le cadre de la loi de finances. L’effort de transparence sera donc poursuivi. Ainsi, j’ai demandé à l’AIFE d’instaurer un indicateur supplémentaire retraçant l’avancement et le coût du projet Chorus ; il permettra de rendre compte de son déploiement dans les ministères, ainsi que de contrôler qu’il n’y aura pas de dérapage par rapport à la nouvelle échéance.

Je conclurai en disant que les systèmes d’information, sous des aspects extrêmement techniques, se trouvent au cœur de l’ambition de modernisation de l’État, avec la volonté d’améliorer tant la qualité du service rendu aux usagers que le travail des fonctionnaires, en termes de performance, de confort et de sécurité. C’est pourquoi j’ai souhaité en discuter avec vous aujourd’hui.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général. En travaillant sur la mise en œuvre de la LOLF, nous nous sommes aperçus que la qualité des systèmes d’information financière et des systèmes comptables était essentielle. Il faut y attacher la plus grande importance : c’est ce que nous faisons dans cette commission depuis l’origine.

La LOLF a établi différents niveaux de comptabilité qui n’existaient pas auparavant : la comptabilité budgétaire, la comptabilité générale, la comptabilité patrimoniale, la comptabilité d’engagements. Il y a une autre dimension que vous n’avez pas évoquée, mais qui me paraît tout aussi importante, qu’on pourrait appeler, de manière impropre, la comptabilité analytique, ou la comptabilité de performance. Des systèmes d’information financière décentralisés au niveau des services, notamment déconcentrés, sont nécessaires pour mettre en œuvre le suivi des performances au niveau des programmes. Pour que le dispositif soit efficace, il faut en permanence rapprocher les indicateurs physiques des résultats financiers les plus précis possibles, lesquels sont disponibles au niveau des services gestionnaires. Du point de vue de la LOLF, on ne peut pas améliorer le management public sans disposer de systèmes d’information financière ; les programmes annuels de performances (PAP) et les rapports annuels de performances (RAP) sont d’ailleurs issus d’un système d’information financière articulé sur des indicateurs physiques.

Par ailleurs, le problème des applications de gestion se pose. On m’a dit, il y a un mois et demi, que, dans mon département du Val-de-Marne, le développement d’Hélios entraînait des retards. Nous essayons tous, dans le cadre du plan de relance, de faire comme l’État, c’est-à-dire de raccourcir au maximum les délais de paiement de nos fournisseurs. Il faudrait veiller à ce que le développement de certaines applications ne nuise pas à cet objectif.

M. Michel Bouvard, Rapporteur de la Mission. Tout d’abord, nous vous remercions, monsieur le ministre, de votre souci de transparence sur ce dossier particulièrement complexe, mais essentiel pour la réussite de la mise en œuvre de la LOLF. L’audition étant ouverte à la presse, je précise que le but de la MILOLF n’est pas de critiquer l’action de tel ou tel ministre chargé du budget, mais de contrôler la bonne avancée des projets, notamment la cohérence des choix et les aspects budgétaires.

Je voudrais revenir sur le problème de la gouvernance. Dans son rapport, la Cour des comptes a pointé le défaut de pilotage des nouveaux systèmes d’information. En outre, les agents des ministères et des services déconcentrés que nous avons rencontrés ont jugé que le comité d’orientation stratégique était trop proche du ministère du budget et que sa gouvernance était trop technique, ce qui entraîne parfois des retards importants sur les arbitrages politiques nécessaires, notamment par rapport à la réorganisation des services comptables déconcentrés. A été également déplorée l’absence ou l’insuffisance d’instance de gouvernance globale de l’ensemble des systèmes d’information de l’État, tout au moins des principaux : Chorus, Hélios, COPERNIC, l’Opérateur national de paye, les systèmes d’information sur les ressources humaines. N’y a-t-il pas un risque d’incohérence de ces systèmes entre eux, voire de dysfonctionnements ?

Chacun mesure le poids des opérateurs de l’État dans la dépense budgétaire et dans la gestion du patrimoine immobilier. Comment envisagez-vous leur intégration dans le dispositif des systèmes d’information ? D’ailleurs, lors de la certification des comptes de l’État, les comptes des opérateurs avaient suscité une réserve de la Cour des comptes.

Quant aux coûts, je ne contesterai ni vos chiffres, ni vos explications sur l’inévitable révision des programmes vieux de dix ans. Cependant, avez-vous pris en compte les dépenses de fonctionnement de l’AIFE et le coût des adaptations des applications ministérielles (80 millions d’euros pour Chorus) et du « Palier LOLF » (de 160 à 175 millions) ? C’est indispensable si l’on veut, comme le préconise la LOLF, évaluer cette politique publique à coût complet, avec le souci du retour sur investissement. Vous dites que COPERNIC a permis d’économiser 2 000 ETP, mais il serait intéressant de savoir si cela s’est traduit concrètement par une diminution effective du nombre de postes dans la fonction publique ou par des redéploiements.

M. Thierry Carcenac, Rapporteur de la Mission. Monsieur le ministre, nous vous remercions d’avoir accepté cette rencontre, qui est importante à trois titres. Tout d’abord, il convient, au-delà des stratégies d’externalisation, de définir les grandes orientations d’une politique informatique, en fonction des sommes en jeu. Ensuite, dans le cadre de la LOLF, les parlementaires doivent pouvoir assurer le contrôle des dépenses publiques. Enfin, il faut assurer le bon management des personnels dans le cadre de la réforme de l’administration, notamment avec la fusion de la DGI et de la DGCP.

Nous souhaitons avant toute chose la transparence, afin de pouvoir étudier les évolutions survenues entre les objectifs initiaux, le développement des applications et leur mise en œuvre concrète, et apprécier les gains de productivité : vous ne pouvez pas vous contenter de dire qu’on réalise une économie de 2 000 ETP ! Il nous faut une vision à la fois globale et précise afin d’apprécier correctement cette politique de modernisation de notre administration.

Vous devez donc nous apporter des éléments qui nous permettront d’y voir un peu plus clair et de savoir où en est la mise en œuvre des programmes, notamment par rapport aux évolutions évoquées, en particulier en ce qui concerne la fusion de la DGI et de la DGCP. Quels sont les systèmes d’information au niveau du ministère, et non plus direction par direction ? Un schéma directeur de la DGFIP est-il en cours d’élaboration ?

Il importe également d’avoir des systèmes interopérables. Ainsi, en matière de ressources humaines, nous avons du mal à apprécier ce qui se passe, faute de vision globale. Un gros travail est actuellement réalisé avec l’Opérateur national de paye (ONP), qui concerne 2,8 millions de fonctionnaires. Il faut aller encore plus loin.

Enfin, vous devez être plus précis sur le calendrier. Du fait des glissements indiqués, certains blocs se trouvent en attente, dans une période où les applications sont particulièrement délicates à mettre en œuvre, avec les référentiels ou certaines refontes d’outils métiers sur COPERNIC. Cela exige une forte implication des personnels dans la réforme. Or, ils n’ont pas toujours été associés aux démarches. Ainsi, dans le compte rendu d’une réunion sur le programme COPERNIC, les représentants syndicaux notent qu’il s’agit de la première depuis juin 2006 !

Cette réforme de l’État dure maintenant depuis plus de dix ans ; elle a mobilisé plusieurs ministres successifs. C’est dire l’importance de l’enjeu !

M. Georges Tron. Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous perceviez mes questions comme l’expression non de ma sévérité – selon votre expression lors d’une précédente réunion –, mais de mon inquiétude. Elles m’ont été inspirées par la série d’auditions auxquelles nous avons procédé, avec le Conseil de l’immobilier de l’État, sur le module Chorus Real Estate (Chorus-RE), dédié à la gestion immobilière.

Il apparaît, d’après les informations dont nous disposons, que ce module est parfaitement adapté à la gestion de toutes les facettes de l’immobilier : recensement, occupation, contrats fournisseurs, entretien, maintenance, gestion des projets. Toutefois, il semblerait que sa mise en œuvre pose des problèmes imprévus de gouvernance et de définition du projet. Je vous signale d’ailleurs, à titre d’information, que le Conseil de l’immobilier de l’État, qui s’est saisi de ces questions, auditionnera conjointement les responsables de l’AIFE et du service France Domaine le 21 janvier prochain.

Premier problème : il n’y a pas eu de distinction entre la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre. Résultat : le consultant informatique, INEUM, a joué les deux rôles à la fois auprès de l’AIFE. De ce fait, les besoins en matière de gestion immobilière n’ont pas été recensés avec suffisamment de précision, certains ministères – sinon la totalité – n’ayant pas été consultés sur ce point. Tous utilisent actuellement des applications ministérielles spécifiques et personne ne semble en mesure de savoir s’ils pourront les abandonner au profit de Chorus-RE.

Deuxième problème : le projet Chorus-RE n’a été lancé que deux ans après Chorus ; le serveur du Tableau général des propriétés publiques (STGPE) ayant été abandonné le 31 décembre dernier, il est prévu que Chorus-RE soit mis en œuvre dans tous les ministères le 1er avril 2009 – cela est d’ailleurs confirmé dans le tableau que vous nous avez transmis. En raison de ces délais extrêmement courts, le choix a été fait de limiter les fonctionnalités de Chorus-RE à une reprise pure et simple de celles du STGPE, c’est-à-dire le recensement et l’évaluation des immeubles, ce qui serait extrêmement limité, et en totale contradiction avec ce qui était attendu.

S’il s’agissait d’une première étape, on pourrait considérer que c’est un cheminement normal. Cependant, de fortes inquiétudes se font jour sur l’évolutivité du système. La réforme de la politique immobilière de l’État nécessite un système performant qui, jusqu’à présent, fait défaut : on a besoin d’outils permettant une gestion dans le détail et, en particulier, de descendre au niveau des immeubles. Or on ne serait pas en mesure de définir un compte de résultat par immeuble.

On nous dit que la saisie des informations immobilières dans le cadre de Chorus-RE resterait à la charge des ministères, ce qui serait nier l’État propriétaire unique, cette charge incombant à France Domaine. Il s’agirait au surplus d’une entorse supplémentaire à la réforme de la politique immobilière, telle que nous la concevons. En outre, on peut se demander quelle serait l’implication des ministères si l’on se contentait de leur proposer sous une autre forme ce qui existe déjà.

Pour conclure, si nous mesurons l’importance de ce nouvel outil, qui, dans l’absolu, semble bien approprié, les informations qui nous parviennent font état de réelles inquiétudes à son sujet. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous donner des éléments d’appréciation ?

M. Pierre-Alain Muet, Rapporteur spécial pour le programme Stratégie des finances publiques et modernisation de l’État. Merci, monsieur le ministre, de nous apporter ces compléments d’information en réponse aux questions que nous vous avions posées.

Si l’on a en mémoire l’échec d’ACCORD, on comprend mieux pourquoi elles tournent autour de trois dimensions principales : le coût, la gouvernance et les délais. La Cour des comptes comme le Parlement s’y montrent particulièrement attentifs.

S’agissant du coût, vous confirmez l’évaluation figurant dans le projet annuel de performances pour 2009 et dans l’audit de l’inspection générale des finances, en y ajoutant 60 millions dus au décalage d’un an du projet. On reste donc dans l’enveloppe de départ. Toutefois, ces sommes n’ayant été rendues publiques que l’an dernier – puisque les évaluations initiales étaient incomplètes –, on a le sentiment de passer de 500 millions à 1 milliard d’euros.

M. le ministre. Cela vaut aussi pour COPERNIC.

M. Pierre-Alain Muet. Certes, il est préférable de parler, comme vous l’avez fait, de coûts complets – j’imagine à ce propos que les chiffres donnés pour Chorus intègrent aussi les dépenses de fonctionnement de l’AIFE.

Quant aux délais eux-mêmes, vous nous aviez déjà annoncé le décalage d’un an.

En ce qui concerne la gouvernance, un problème réel se pose. La Cour des comptes note que le donneur d’ordre est mal identifié : s’agit-il de l’AIFE, du comité d’orientation stratégique, de vous-même, monsieur le ministre, ou du comité de suivi de la RGPP, une part du développement de Chorus étant liée à ses décisions ? Un rapport de l’inspection générale des finances avait déjà souligné l’importance de la gouvernance des systèmes d’information. À l’époque, une direction du ministère des finances, la direction des personnels, de la modernisation et de l’administration (DPMA), englobait tout : l’informatique et les personnels. Le rapport estimait qu’il pouvait être pertinent d’avoir, à l’instar des entreprises, une direction des systèmes d’information pourvue d’une vision globale. Or même l’AIFE ne semble pas être en mesure de suivre la totalité des programmes informatiques. Le problème de la gouvernance, qui avait conduit aux déboires d’ACCORD, me paraît donc subsister.

S’agissant, enfin, des fonctionnalités de Chorus, le progiciel de gestion intégrée de la société SAP avait été choisi en raison de la grande expérience de celle-ci dans le domaine de la comptabilité analytique. Pourtant, il semble que l’on soit obligé de maintenir, en sus de Chorus, la plupart des applications « métiers » des ministères, si l’on veut répondre aux objectifs découlant de la LOLF en matière de gestion publique.

M. Michel Bouvard, Rapporteur de la Mission. Quels engagements les ministères ont-ils pris pour ce qui concerne l’extinction des systèmes existants au fur et à mesure du déploiement ? Si l’on se réfère au passé, on peut penser que le risque d’empilement des applications n’est pas exclu.

M. le ministre. Les retards qu’a connus Hélios ont été réglés assez vite, comme me l’ont indiqué les responsables de ce projet. Une cellule de suivi est chargée de vérifier la qualité du déploiement du logiciel.

Hélios est aujourd’hui déployé dans 2 069 trésoreries sur 2 700. Il permet la gestion de 123 000 comptes de collectivités et établissements publics locaux sur 170 000. Dans deux ans, 100 % des trésoreries en seront équipées. En 2010, Hélios s’appliquera aux trésoreries gérant les comptes des dernières grandes collectivités ou hôpitaux – comme ceux de Lyon ou de Marseille – pour lesquels les outils doivent évoluer. Le logiciel couvrira donc l’ensemble de la fonction comptable des collectivités locales. En cas de problème dans les collectivités, il convient donc de s’adresser à la cellule de suivi.

Quant à la gouvernance, pour laquelle la Cour des comptes a formulé des propositions, nous sommes pragmatiques : chaque programme a son propre suivi – car ils ont tous leur propre cohérence –, mais nous appliquons aussi une perspective interministérielle. Chaque programme est doté d’un responsable et d’un comité d’intégration stratégique, et ce système fonctionne assez bien.

Pour ce qui est des questions qui remontent jusqu’au politique, mon expérience se limite à deux cas : l’organisation de Chorus et le module de recouvrement de COPERNIC, pour lesquels une clarification s’imposait. Tous les ministères participent aux comités d’orientation stratégique – celui de Chorus, par exemple, qui est présidé par Mme Danièle Lajoumard, et c’est à lui que l’équipe fonctionnelle rend des comptes ; COPERNIC est organisé selon le même modèle. Avec une telle organisation, qui semble faire ses preuves, on sait exactement qui gouverne. Les systèmes d’information ont donc une véritable gouvernance et ils font l’objet d’un suivi attentif, notamment au sein de mon cabinet.

Les opérateurs de l’État ne sont pas concernés aujourd’hui par ces systèmes d’information et M. Bouvard souligne à juste titre qu’ils devraient l’être. Cependant, plus encore que celle de leur intégration aux systèmes d’information, la question qui se pose est celle de leur intégration générale dans les politiques de l’État, qui suppose suivi et évaluation : ce qui est déjà difficile pour des ministères l’est à plus forte raison pour des opérateurs dépendant de ministères. Nous exerçons une pression assez forte en ce sens et sommes en train de parvenir à nos fins dans le domaine de l’immobilier – comme je vous l’avais expliqué, la menace paie ! Pour l’heure, le système est déjà complexe au niveau de l’État et il suffit sans doute que Chorus se limite à ce niveau dans sa phase de déploiement. En outre, les différents opérateurs appliquent des plans comptables différents, ce qui rend l’intégration particulièrement difficile. C’est ensemble que nous devons viser cet objectif, et il faudra du temps pour l’atteindre.

Monsieur Carcenac, un schéma directeur est en cours d’élaboration depuis la fusion DGI-DGCP. M. Philippe Parini, directeur général de la nouvelle DGFiP, a pris un engagement de trois mois et votre Commission pourra l’auditionner en temps utile. Il importe d’articuler COPERNIC avec la fusion, qui aura évidemment des incidences importantes au niveau de l’administration locale.

Dans le cadre de COPERNIC, seul reste en attente le bloc « RSP », qui concerne le recouvrement. Cette situation s’explique par un problème d’évaluation au départ : peut-être le ministère n’a-t-il d’abord pas demandé assez, puis trop, à des prestataires qui n’ont pas été en mesure de rendre un travail acceptable, de telle sorte que nous avons dû interrompre le processus et réexaminons actuellement ce module.

Monsieur Tron, M. Jacques Marzin répondra plus précisément aux questions que vous avez posées sur Chorus.

Monsieur Muet, la situation de Chorus est claire, avec l’AIFE en qualité d’équipe fonctionnelle et un comité d’orientation stratégique interministériel. Le comité de suivi RGPP que j’ai évoqué s’apparentait à un comité d’orientation stratégique élargi. Il exprimait une sorte de partage entre l’organisation de l’État conçue dans le cadre de la révision générale des politiques publiques et la cohérence avec le projet informatique. Cette construction me semble cohérente.

M. Michel Bouvard, Rapporteur de la Mission. Pour ce qui concerne la gouvernance, dès lors que les ministères sont représentés dans le conseil d’orientation stratégique, pourquoi se plaignent-ils d’une information insuffisante sur les orientations ? Pourquoi expriment-ils le sentiment que les choix du ministère des comptes publics primeraient sur leurs propres préoccupations ? Quelle lecture faites-vous de cette situation et quelles réponses peut-on lui apporter ? De fait, le déploiement d’un système informatique est impossible si les parties prenantes ont l’impression qu’il leur est imposé sans consultation.

M. le ministre. Il est difficile de partager entièrement la charge d’un système. Peut-être les responsables de programme pourront-ils vous répondre tout à l’heure sur ce point.

Quant à l’extinction des programmes existants, sur laquelle vous m’avez interrogé, monsieur Bouvard, je précise que, pour ce qui concerne Chorus, plus de 600 applications ministérielles et interministérielles ont été examinées au cours de l’année 2007, dont 266 ont été classées hors du périmètre du programme. Sur les presque 340 applications restantes, 80 ont été entièrement remplacées par Chorus, 117 « interfacées » avec lui et 80 ne sont ni remplacées ni interfacées – ce qui signifie qu’elles sont maintenues. Treize applications ont été partiellement remplacées par Chorus et 50 sont encore au stade de l’étude. L’articulation de chaque application avec Chorus fait donc bien l’objet d’un suivi. Je propose que les chefs de projet ici présents vous apportent des compléments.

Mme Isabelle Braun-Lemaire, directrice du service à compétence nationale COPERNIC (DGFiP). Le projet RSP a démarré en 2003 et le marché correspondant a été notifié en 2004, initialement pour quatre ans. Le déploiement, prévu pour 2007, n’a pas eu lieu. En effet, en 2004-2005, l’expression des besoins de l’administration s’est révélée plus complexe que prévu, à tel point que le prestataire s’est retiré. Au début de 2006, le projet a donc été sensiblement recadré et la mise en œuvre de la nouvelle application du recouvrement a été décalée de cinq ans, car la mise à disposition du logiciel interviendra en 2010 et le déploiement en 2012. Ce décalage s’explique aussi par des phases de sécurisation plus importantes qu’initialement prévu.

Depuis lors, le prestataire a commencé ses travaux. Après quelques tensions survenues l’an dernier, qu’a rappelées M. le ministre, nous avons poursuivi notre travail. Un examen complet de la situation est en cours. Le reste du programme, et notamment tout ce qui entoure le recouvrement, en particulier les référentiels, sera livré l’année prochaine. Le moment est donc opportun de se demander si la conception initiale de l’application du recouvrement correspond toujours aux besoins et si elle est la mieux adaptée.

Quant à l’association des utilisateurs de terrain, monsieur Carcenac, si nous avons quelque peu négligé les réunions avec les organisations syndicales, c’est, d’une part, à cause de la fusion, qui a produit un effet d’éviction, et, d’autre part, parce que le déploiement significatif du programme n’aura lieu que l’année prochaine. Les négociations ont donc repris à l’approche de ce déploiement massif.

M. Jacques Marzin, directeur de l’Agence pour l’informatique financière de l’État (AIFE). Pour ce qui concerne l’immobilier, ne figure dans le périmètre de Chorus que la conversion du serveur du tableau général des propriétés de l'État (STGPE), afin d’intégrer la comptabilité et les immobilisations. Tous les autres éléments de gestion fine du patrimoine immobilier que vous avez cités se situent hors du périmètre de lancement du projet.

Compte tenu des efforts qui nous étaient demandés dans cette direction, nous nous sommes empressés d’abandonner l’hypothèse technique qui avait été retenue dans un premier temps pour adopter le module RE, qui nous semblait bien plus porteur d’avenir et devait nous permettre, dans un deuxième temps, de greffer sur le système une gestion moderne du patrimoine immobilier. L’objectif n’a donc pas été d’optimiser immédiatement les coûts de Chorus, mais d’intégrer par anticipation des tâches ultérieures. Le déploiement du STGPE dans le module RE aura lieu à la fin du mois de mars. Les interventions d’Ineum, qui est assistant en maîtrise d’ouvrage auprès de l’AIFE, mais que j’ai mis à disposition de France Domaine au même titre que nous, étaient destinées à faire en sorte que la conversion du STGPE se fasse en préservant toutes les possibilités d’évolution ultérieure de l’outil. Les ministères ont été très largement associés à cette conversion, y compris dans la préparation du déploiement et l’alignement des données, afin que la situation soit porteuse d’avenir.

La démarche est assez semblable pour la comptabilité analytique, qui ne figure pas dans le périmètre de Chorus – ce qui ne nous empêche pas de veiller à ne rien faire qui puisse l’interdire dans l’avenir.

Sur la proposition unanime de l’AIFE et du ministère, le comité d’orientation stratégique a décidé d’ériger la gestion du patrimoine immobilier en fonctionnalité avancée de Chorus. Il s’agit donc là désormais d’un de nos objectifs à court et moyen terme, ce qui suppose de redéfinir dès maintenant les rôles de gestion de l’État propriétaire, de France Domaine, des locataires et des ministères, ce qui nous permettra ensuite de présenter le projet d’intégration du patrimoine immobilier dans Chorus. Cette intégration, je le précise, ne figure pas dans l’enveloppe budgétaire que nous vous avons présentée – ce qui n’empêche pas qu’elle puisse éventuellement se faire à coût marginal sans majoration, mais nous ne le saurons qu’au terme d’études préalables, c’est-à-dire à la fin du premier semestre de 2009.

Je tiens à vous rassurer sur le fait que la gestion au niveau du bâtiment est prévue dans le module RE. Cependant, nous n’avons pas entamé le travail de mise en place avec les ministères d’une gestion immobilière complète, qui serait la première raison pour laquelle certains ministères plus avancés que d’autres accepteraient d’abandonner leurs propres outils de gestion de patrimoine immobilier au profit de Chorus.

En dépit de ce que certains imaginent, il n’y aura pas de « grand soir » où seront débranchées les applications ministérielles. En effet, celles-ci sont souvent « interfacées » avec plusieurs autres applications, parfois très techniques, au sein d’un même ministère et il serait beaucoup plus coûteux de créer des interfaces avec chacune de ces applications. Quatre-vingts applications ministérielles seront de toute évidence abandonnées à l’arrivée de Chorus. D’autres seront interfacées. Ainsi, les applications opérationnelles de gestion de stocks militaires ne seront pas gérées par Chorus, pour des raisons de volumétrie, de sécurité et de disponibilité vingt-quatre heures sur vingt-quatre, mais elles seront interfacées à Chorus pour permettre une traduction comptable et pour faire en sorte que les systèmes d’achat et de réapprovisionnement empruntent bien le canal de l’outil interministériel. De même, nous n’avons pas l’intention de développer dans Chorus le moteur de calcul utilisé par le ministère de l’éducation nationale pour calculer, en fonction de divers paramètres, le montant de la liquidation des bourses des étudiants de l’enseignement supérieur : cette application sera, elle aussi, interfacée.

Les 50 applications qui ne seront ni déclassées, ni déconnectées, sont très techniques. Celle qui s’applique, par exemple, à la planification par le ministère de l’équipement des chantiers de réfection des axes autoroutiers a certes un impact sur la passation de marchés publics, mais l’interfaçage serait d’une telle complexité qu’il serait impossible d’y procéder d’emblée. Le ministère chargé de l’équipement n’abandonnera pas pour autant la planification de ces travaux.

Quant aux 50 applications pour lesquelles nous n’avons pas encore d’avis, leur avenir dépend de fonctionnalités dont les ministères veulent vérifier la présence effective dans Chorus avant de s’engager à les faire disparaître. Ainsi, pour ce qui concerne le remplacement de FRAIJUS, l’application de gestion des frais de justice du ministère de la justice, très consommatrice et très largement déployée, il n’est pas question de donner à chaque greffier des tribunaux d’instance une licence du progiciel de gestion intégrée SAP, car l’épure des coûts serait très différente. En revanche, nous sommes convenus de bâtir pour le ministère de la justice, à partir d’applications très allégées, dites « de formulaire », le mécanisme qui lui permette d’abandonner FRAIJUS. On comprend bien, toutefois, que le ministère veuille attendre d’avoir vu cette solution technique, qui n’est pas native à SAP, avant de prendre une décision.

Il a été rappelé qu’une pareille transformation était impossible sans associer les acteurs. Un « comité de la hache » qui prendrait une décision en la matière sans avoir instruit au fond la question de l’utilisation d’une application par un ministère prendrait des risques quant à l’acceptabilité de la solution. Nous avons au contraire mis en place, sous l’impulsion du COS, des contrats de progrès aux termes desquels nous dressons, avec les directions des affaires financières (DAF) et les directions des services informatiques (DSI) de chaque ministère, la liste de toutes les applications concernées en indiquant quelles sont celles que le ministère s’engage à déclasser à l’arrivée de Chorus, celles qu’il entend interfacer et celles qui, comme dans le domaine immobilier, ne seront abandonnées que lorsque Chorus disposera des fonctionnalités nécessaires – sachant que des clauses de révision trimestrielle sont prévues à cet égard. Il s’agit donc d’un mécanisme dynamique, qui précise auprès du COS les engagements des ministères.

Pour ce qui concerne, enfin, la gouvernance, la difficulté est celle d’un système partagé entre des ministères habitués à des systèmes beaucoup plus dédiés. L’existence des COS ne suffit pas à entraîner une décision en matière d’organisation de la gestion. Il n’est donc pas anormal que le rythme des décisions ne satisfasse pas tous les ministères qui participent au tour de table, mais il se justifie par le souci de faire aboutir au mieux nos travaux.

M. Georges Tron. La saisie dans Chorus passera-t-elle directement par les ministères, ou par France Domaine ?

M. Jacques Marzin, directeur de l’Agence pour l’informatique financière de l’État. J’ai déjà répondu implicitement à votre question : aujourd’hui, nous nous contentons de transporter le STGPE dans le module RE, dont les conditions d’alimentation ne diffèrent pas de celles de l’alimentation du STGPE. Ce sont donc les ministères qui continuent de l’alimenter, néanmoins avec un fort soutien de back-office de la part de France Domaine, qui est bien plus attentif que par le passé à la qualité des données entrées dans le système.

M. Michel Bouvard, Rapporteur de la Mission. Comment seront rendus les arbitrages sur la répartition des économies de postes liées aux gains de productivité réalisés notamment dans le cadre des regroupements d’administrations ? Qui pilote ces négociations ?

M. Yves Buey, directeur des systèmes d’information. Pour l’opérateur national de paye – l’ONP –, par exemple, des perspectives de gains de productivité ont été identifiées dans les décisions du conseil de modernisation des politiques publiques (CMPP) de décembre 2007. Ces gains sont certes liés de façon mécanique à la mise en place d’un système d’information, mais aussi à de nouvelles organisations. Pour les gains mécaniques, l’ONP travaille en étroite relation avec les ministères à la mise en conformité des systèmes d’information des ressources humaines (SIRH), qui doit permettre d’effectuer un raccordement fluide des SIRH avec la paye. Des audits de modernisation réalisés à la fin de 2006 sur la gestion administrative de la paye ont permis d’identifier très précisément ces gains. Pour le volet opérationnel, qui consiste à mettre en place des centres de services partagés en matière de gestion administrative et de paye, des gains avaient été identifiés assez précisément dans le cadre de ces audits.

M. Michel Bouvard, Rapporteur de la Mission. Qu’en est-il de la négociation qui déterminera les bénéficiaires ?

M. le ministre. Les gains de productivité sont connus : ils sont identifiés par programme et partagés au sein de chaque programme. Ils peuvent également être révisés. Je dispose d’un schéma prévisionnel d’emplois. Durant la négociation de la loi de programmation pluriannuelle, que nous allons revisiter compte tenu des circonstances économiques, je connais, par ministère, l’impact de Chorus, de l’ONP et de COPERNIC. Après discussion avec chaque ministre, on intègre dans chaque mission les économies de postes, qui entrent d’ailleurs dans le calcul du remplacement d’un fonctionnaire sur deux.

M. Thierry Carcenac, Rapporteur de la Mission. Lors de l’examen du programme SIRHIUS (système d’information sur les ressources humaines, utilisé notamment au sein des ministères de l’économie et du budget), il avait été difficile de savoir à quel chapitre budgétaire imputer les coûts des différents aspects du programme. Les problèmes de transparence sont intéressants pour ce qui concerne tant les gains attendus que l’affectation des coûts.

Pour aider à la décision sur le maintien de certaines applications, la transparence devrait s’appliquer non seulement au coût de l’investissement, mais aussi au coût de fonctionnement en maintenance des anciennes applications et des applications nouvelles.

Enfin, comment les problèmes de sécurité informatique sont-ils intégrés à la réflexion ?

M. Pierre-Alain Muet, Rapporteur spécial pour le programme Stratégie des finances publiques et modernisation de l’État. Pourquoi Chorus, logiciel qui passe pour être très bien adapté à la comptabilité analytique, ne permet-il pas d’en faire ?

M. Jacques Marzin, directeur de l’Agence pour l’informatique financière de l’État. Selon le cadrage prévu, le déploiement de Chorus dans l’ensemble des ministères devait se traduire par une réduction de périmètre, sans pour autant sacrifier des pans entiers de la LOLF – en d’autres termes, le principe était : toute la LOLF, mais rien que la LOLF. C’est la raison pour laquelle la comptabilité d’analyse des coûts – la CAC – a été intégrée dans Chorus. Pour le COS, la cohérence avec la LOLF est un critère déterminant, ce qui n’est pas forcément le cas de tous ses interlocuteurs.

L’intégration de la comptabilité analytique était un chantier très lourd, mais elle représentait un progrès considérable dans la ventilation des écritures comptables. Par ailleurs, certains éléments détaillés sur la répartition des coûts au sein des programmes en fonction de zones géographiques représentent un gisement d’informations sans précédent pour faire de l’analyse de gestion – ce qui n’est pas la même chose que la comptabilité analytique.

Le progiciel de gestion intégré SAP ayant servi à construire Chorus a été choisi pour plusieurs raisons. Il s’agissait d’abord du seul produit qui nous évitait de faire des produits spécifiques lourds, ce qui permettait d’emblée la comptabilité budgétaire. L’entreprise SAP était en effet le seul prestataire qui disposait d’une expérience assez solide dans des États ou des établissements publics pour permettre une comptabilité budgétaire très séparée, mais limitative, par rapport à la comptabilité générale, et une comptabilité analytique robuste sur laquelle on pouvait fonder la CAC.

On a cependant veillé, lors de la conception technique, à faire en sorte que les gisements de charges délégués à ce composant de SAP particulièrement puissant ne soient pas consommés par la CAC et puissent l’être par un autre mécanisme qui ressemblerait davantage à la comptabilité analytique. Toutefois, il faudrait du temps et beaucoup de travail interministériel pour harmoniser la position des ministères sur les objectifs, les mécanismes et le niveau de finesse qu’ils jugent nécessaires à une comptabilité analytique. Il faut donc voir cette limitation comme ancrée dans la seule exigence explicite de la LOLF en la matière : la comptabilité d’analyse des coûts – avec une priorité consistant à remplacer le plus vite possible les outils existants. Ce n’est pas en accroissant le périmètre qu’on accroît la vitesse, surtout quand il y a tant à faire au niveau de la conception, comme c’est le cas pour la comptabilité analytique et l’intégration des opérateurs, qui sont assez éloignées en termes comptables.

M. le ministre. La sécurité informatique, à propos de laquelle s’interroge M. Carcenac, fait partie de chaque programme. L’expérience malheureuse du Royaume-Uni en la matière rappelle l’importance de cet aspect, qui figure dans tous les cahiers des charges.

M. Thierry Carcenac, Rapporteur de la Mission. L’internalisation de certains dispositifs au niveau du ministère pourrait permettre une surveillance plus facile.

M. le ministre. Certaines bases de données, notamment fiscales ou douanières, sont réparties sur le territoire national avec un souci important de sécurité, qui se traduit d’ailleurs par des coûts supplémentaires.

M. le président Didier Migaud. Monsieur le ministre, je vous remercie.

*

* *

À la suite de l’audition de M. Éric Woerth, ministre du Budget, des comptes publics et de la fonction publique, la Commission a autorisé la publication du présent rapport d’information.

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ANNEXE :
ÉTUDE DE LA COUR DES COMPTES

Étude sur « Le système d’information financière de l’état en matière comptable, financière et de gestion » remise à la commission des Finances le 10 octobre 2008 en application de l’article 58-2° de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

1 () Nouvelles dépenses locales (NDL), Nouvelles dépenses centrales (NDC), Comptabilité générale locale (CGL), Traitement central des comptabilités (TCC), infocentre India…

2 () Acronyme de « Systems, Applications and Products in data processing ».

3 () Rapport d’information (n° 3165) de la Mission, présenté le 15 juin 2006 et intitulé « Du débat parlementaire aux services déconcentrés de l’État : les conditions de la réussite de la LOLF » , http://www.assemblee-nationale.fr/12/rap-info/i3165.asp .

4 () Rapport d’information (n° 1058) de la Mission, présenté le 16 juillet 2008 et intitulé « Les acteurs des la LOLF : autonomie, responsabilité et contrôle des services déconcentrés et des opérateurs de l’État », http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i1058.asp .

5 () Pour Chorus Real Estate.

6 () « Urbaniser » consiste à inscrire les besoins informatique des administrations dans un plan d'ensemble.

7 () Mission Gestion des finances publiques et des ressources humaines.

8 () Audit de modernisation sur les procédures budgétaires et comptables et les perspectives de retour sur investissement du projet chorus – novembre 2006 – http://www.audits.performance-publique.gouv.fr/bib_res/221.pdf

9 () La valeur actuelle nette est le résultat d’un calcul totalisant l’ensemble des coûts du projet diminués des économies générées par l’investissement initial.

10 () L’arbitrage rendu en janvier 2007 par le Premier ministre retenait 22 000 « licences lourdes » et 13 000 « licences légères ».

11 () Estimation calculée par la Cour des comptes fin 2006, qui arrête le coût prévisionnel de l’ensemble du programme Copernic à 1,8 milliard d’euros en coûts complets, soit deux fois le montant prévisionnel initialement indiqué en 2003 (0,9 milliard d’euros).

Voir le rapport spécial (n° 1198 annexe 23) présenté par M. Thierry Carcenac sur le projet de loi de finances pour 2009, pages 33 et suivantes.

http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/budget/plf2009/b1198-a23.pdf


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