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N° 1807

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 juillet 2009

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE

sur les systèmes d’information financière de l’État

ET PRÉSENTÉ

PAR MM. Michel BOUVARD, Jean-Pierre BRARD,

Thierry CARCENAC et Charles de COURSON

Députés.

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SOMMAIRE

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Pages

LISTE DES RECOMMANDATIONS DE LA MISSION 5

INTRODUCTION 9

I.– GOUVERNANCE : LA CONDUITE DU PROJET CHORUS DOIT ÉVITER DE RENOUVELER L’ÉCHEC DU PROJET ACCORD 2 11

A.– LA GOUVERNANCE GLOBALE DES SYSTÈMES D’INFORMATION FINANCIÈRE DE L’ÉTAT NE DOIT PAS RESTER À UN NIVEAU PUREMENT TECHNIQUE 11

B.– LES MINISTÈRES ONT ESTIMÉ AVOIR ÉTÉ ASSOCIÉS AU PROJET DE FAÇON VARIABLE 12

C.– L’ABANDON DES APPLICATIONS MINISTÉRIELLES REDONDANTES EST SUBORDONNÉE À LA « CONDITION DE NON RÉGRESSION » 13

II.– FONCTIONNALITÉS : LE NOUVEAU SYSTÈME D’INFORMATION DEVRA PERMETTRE UNE MISE EN œUVRE PLEINE ET ENTIÈRE DE LA LOLF 17

A.– LA CAPACITÉ DE PILOTAGE DES GESTIONNAIRES DEVRA ÊTRE PRÉSERVÉE 18

B.– LES DÉPENSES FISCALES « RESTENT À FAIRE » 24

C.– LA DÉMATÉRIALISATION DES PROCÉDURES ET LA RÉVISION DU RÈGLEMENT GÉNÉRAL SUR LA COMPTABILITÉ PUBLIQUE DE 1962 24

D.– LA COMPTABILITÉ D’ANALYSE DES COÛTS DEVRA PERMETTRE UNE ÉVOLUTION VERS UNE VÉRITABLE COMPTABILITÉ ANALYTIQUE 27

E.– SEULE LA PREMIÈRE PHASE DU MODULE DE GESTION IMMOBILIÈRE A ÉTÉ DÉPLOYÉE EN AVRIL 2009 30

F.– UN SUJET INDISPENSABLE : L’INTÉGRATION DES COMPTES DES OPÉRATEURS DE L’ÉTAT 32

III.– COÛTS : UNE VIGILANCE PARTICULIÈRE DEVRA ÊTRE PORTÉE AU RESPECT DES CONDITIONS DU RETOUR SUR INVESTISSEMENT 33

A.– LA TRANSPARENCE DES COÛTS DU PROJET CHORUS DEVRA ÊTRE ASSURÉE 33

B.– L’ENJEU ESSENTIEL RÉSIDE DANS LA RÉORGANISATION DES SERVICES DÉCONCENTRÉS DE L’ÉTAT CHARGÉS DE LA GESTION BUDGÉTAIRE ET COMPTABLE 35

C.– LES ENGAGEMENTS EN TERMES DE RETOUR SUR INVESTISSEMENT DEVRONT ÊTRE TENUS 37

IV.– CALENDRIER : LE DÉPLOIEMENT DE CHORUS DEVRA PERMETTRE UNE CERTIFICATION PAR LA COUR DES COMPTES SUR L’ENSEMBLE DE L’EXERCICE BUDGÉTAIRE 2011 41

CONCLUSION 45

EXAMEN EN COMMISSION 47

ANNEXE N° 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 55

ANNEXE N° 2 : HYPOTHÈSES DE RETOUR SUR INVESTISSEMENT DU PROJET CHORUS 57

ANNEXE N° 3 : TRAVAUX PARLEMENTAIRES SUR LA MISE EN œUVRE DE LA LOLF 58

LISTE DES RECOMMANDATIONS DE LA MISSION

I. Sur la gouvernance :

1.– Veiller à assurer au projet Chorus une gouvernance exercée tant au niveau technique que politique.

2.– Veiller à ce que les structures de gouvernance assurent une association pleine et entière des ministères au développement de Chorus, afin qu’ils puissent statuer en connaissance de cause sur l’abandon de leurs applications ministérielles de gestion.

3.– Obtenir une application interministérielle de gestion de la performance, avec récupération automatique de données de Chorus, pour mettre fin au foisonnement actuel des systèmes de tableaux de bord sur la performance utilisés par les ministères.

II. Sur les fonctionnalités :

4.– S’assurer concrètement que la transparence de toutes les informations contenues dans Chorus bénéficiera réellement, tant aux décideurs des différents ministères qu’aux rapporteurs spéciaux des commissions des Finances des Assemblées.

5.– Veiller à ce que la mise en place de Chorus n’aboutisse pas à une reconcentration de la gestion dans les ministères, au détriment du fonctionnement du principe de fongibilité des crédits et de la responsabilisation des gestionnaires opérationnels, en particulier dans les services déconcentrés.

6.– Veiller à ce que la mise en place de Chorus et du système d’information SI Paye de l’opérateur national de paye (ONP) ne soit pas l’occasion d’une remise en cause du principe de déconcentration de la fonction ressources humaines, au détriment de la responsabilisation des gestionnaires opérationnels.

7.– S’abstenir de toute tentation de régulation budgétaire masquée à l’occasion du déploiement de Chorus, sous peine d’affecter gravement son acceptabilité.

8.– Faire une réelle priorité de la gestion des dépenses fiscales, qui fait partie du « reste à faire » dans l’élaboration de Chorus.

9.– Opérer, dès le déploiement de Chorus, la dématérialisation de toutes les procédures comptables et financières qui peuvent l’être (marchés publics, pièces justificatives, factures…).

10.– S’atteler au chantier de la révision du règlement général sur la comptabilité publique (RGCP) de 1962, afin d’adapter, avant le 31 décembre 2010, les règles budgétaires et comptables au nouvel environnement de la LOLF et de Chorus.

11.– Conduire, dès le déploiement complet de Chorus - et donc au plus tard le 1er janvier 2011 -, l’expérimentation dans Chorus d’une comptabilité analytique permettant un contrôle de gestion sans ressaisie des données sur un programme dans tout ministère volontaire.

12.– Garantir l’évolutivité du module immobilier Chorus Real Estate (RE), pour en faire un véritable outil de gestion immobilière, dans le cadre de la réforme de l’immobilier de l’État conduite par le ministre du Budget et le service France Domaine.

13.– Mettre en place dès maintenant un cadre de travail permettant d’envisager, sur la base de normes comptables harmonisées, l’intégration dans Chorus des budgets des opérateurs de l’État.

14.– Lancer une expérimentation en la matière au début de la prochaine législature, par exemple dans un ministère où les opérateurs sont nombreux.

III. Sur les coûts :

15.– Réactualiser dans les projets et rapports annuels de performances du programme Stratégie des finances publiques et modernisation de l’État l’évaluation du coût initial (2006-2011) du programme Chorus, en incluant le coût de fonctionnement de l’AIFE.

16.– Compléter cette information par le coût prévisionnel de l’adaptation à Chorus des systèmes d’information utilisés par les différents ministères et qui continueront d’exister après la mise en œuvre de Chorus.

17.– Ne pas remettre en cause le choix en faveur d’une mutualisation des services financiers et comptables autour de blocs de ministères, le seul compatible avec le respect du calendrier de déploiement de Chorus. Garder comme objectif cible à terme la constitution de services facturiers régionaux constitués au sein d’un service à compétence nationale, afin d’optimiser les gains de productivité.

18.– Réactualiser et justifier, dans les projets et rapports annuels de performances du programme Stratégie des finances publiques et modernisation de l’État et pendant les dix premières années de vie du projet, les calculs en termes de retour sur investissement du projet Chorus (réductions d’effectifs réellement engendrées par la réorganisation des services financiers et comptables et abandon des applications ministérielles).

19.– Individualiser dans ces projets et rapports annuels de performances, ainsi que dans la programmation budgétaire pluriannuelle, les réductions d’effectifs induites dans différents ministères.

20.– Prendre en compte le coût d’adaptation des systèmes d’information dans les projets ultérieurs de réorganisation administrative et stabiliser autant que possible la maquette budgétaire.

IV. Sur le calendrier :

21.– S’assurer que sera tenu l’engagement pris d’un déploiement complet de Chorus dans l’ensemble des ministères avant le 31 décembre 2010, afin que la certification des comptes de l’année 2011 soit entièrement réalisée sous ce système d’information. Instaurer un indicateur LOLF supplémentaire dans le projet annuel de performances du programme Stratégie des finances publiques et modernisation de l’État retraçant l’avancement et le coût du projet Chorus.

INTRODUCTION

La Mission d’information (1) de la commission des Finances sur la mise en œuvre de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) a choisi cette année de s’intéresser à l’élaboration du nouveau système d’information financière de l’État, organisé autour de l’application Chorus.

Depuis quelques années, ses travaux ont en effet montré l’importance décisive de ce « point de passage obligé » de la modernisation de l’État.

Le présent rapport approfondit et complète le premier rapport d’information publié en janvier dernier à la suite de l’enquête demandée à la Cour des comptes comme le permet le 2° de l’article 58 de la LOLF(2). Il s’inscrit dans le cadre des autres travaux de la Mission, en particulier son rapport de l’an dernier sur « Les acteurs de la LOLF » (3) et sa contribution au récent rapport sur « Trois ans de performance dans le budget de l’État »(4).

Construit autour de l’application Chorus, qui reprendra les fonctions budgétaires et comptables, le nouveau système d’information financière de l’État comportera un nombre réduit d’applications ministérielles ou interministérielles. Les principales applications interministérielles sont Farandole (élaboration budgétaire et stratégie de performance), COREGE (comptabilité de l'ordonnateur, du régisseur et du gestionnaire) ou REP (recettes non fiscales). D’autres applications seront « interfacées », comme le système d’information sur la paye des agents publics (SI Paye) piloté par l’Opérateur national de paye – ONP, COPERNIC (recettes fiscales de l’État) ou Hélios (gestion comptable et financière des collectivités territoriales). Un recensement effectué par l’AIFE comptabilise dans le système actuel plus de 600 applications ministérielles ou interministérielles, financières ou de métiers (souvent mixtes).

La Cour des comptes a maintenu dans son rapport de mai 2009 sur la certification des comptes de l’État (exercice 2008) la réserve substantielle (n° 1) qu’elle avait émise sur les systèmes d’information financière et comptable de l’État. Comme l’avait déjà indiqué la Cour dans ses premiers rapports de certification, un système d’information efficace est donc une des conditions nécessaires à la sincérité des comptes publics, et plus généralement à la mise en œuvre de la LOLF. Les enjeux sont importants pour tirer pleinement parti des potentialités attendues de la LOLF, notamment en matière de pilotage par la performance, de modernisation de la gestion publique et d’exercice du pouvoir budgétaire du Parlement. L’accroissement de la charge de travail issue de la mise en application de la LOLF n’a jusqu’à présent pas été compensé par les gains attendus en termes d’outils de gestion.

Le présent rapport est issu de six mois de travaux, au cours desquels la Mission a auditionné des représentants des ministères de l’Intérieur, de la Justice, de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la recherche ainsi que de la Défense, les représentants de la préfecture Rhône-Alpes et de la cour d’appel de Rouen, le directeur du Budget du ministère éponyme, le directeur de l’Agence pour l’informatique financière de l’État (AIFE) et la présidente du conseil d’orientation stratégique (COS) Chorus. Comme pour ses autres travaux, la Mission a œuvré avec la volonté d’une analyse partagée par rapport à l’outil que constitue la LOLF.

L’enquête de la Cour soulevait plusieurs questions dont la réponse conditionne la bonne mise en œuvre de la LOLF dans les différents ministères : la gouvernance globale du projet, les fonctionnalités offertes par le nouveau système d’information, la maîtrise des coûts et le respect du calendrier de déploiement. Le présent rapport reprend successivement ces quatre aspects.

I.– GOUVERNANCE : LA CONDUITE DU PROJET CHORUS DOIT ÉVITER DE RENOUVELER L’ÉCHEC DU PROJET ACCORD 2

L’Agence pour l’informatique financière de l’État (AIFE) est chargée de la construction et de la maintenance du système d’information financière de l’État. Le projet Chorus est piloté par l’AIFE, qui en est l’instance technique, sous la supervision du Comité d’orientation stratégique (COS), à composition plus large.

A.– LA GOUVERNANCE GLOBALE DES SYSTÈMES D’INFORMATION FINANCIÈRE DE L’ÉTAT NE DOIT PAS RESTER À UN NIVEAU PUREMENT TECHNIQUE

Le Gouvernement a heureusement tiré les conséquences de l’échec de l’application Accord 2 en mettant en place des instances de gouvernance (comité et AIFE) afin que le nouveau système d’information financière de l’État articulé autour de Chorus, pour permette de tirer pleinement parti des potentialités attendues de la LOLF, notamment en matière de pilotage par la performance et de modernisation de la gestion publique.

La Cour des comptes a noté à plusieurs reprises que cette gouvernance présente un risque d’incohérence, voire de dysfonctionnement, car l’AIFE ne comporte pas dans son champ de compétence des systèmes comme Farandole, COPERNIC, Helios, le SI Paye ou les systèmes d’information sur les ressources humaines (SIRH). Certes les deux conseils d’orientation stratégique de Chorus et du SI Paye ont la même présidence, mais une coordination globale au plus haut niveau est pour le moins nécessaire.

Le décalage de calendriers des projets Chorus (2008-2010) et SI Paye de l’ONP (2012-2016) ne permet pas de juger maintenant de leur cohérence, afin d’articuler les systèmes d’information financière avec les systèmes d’information sur les ressources humaines à venir, en particulier pour assurer un pilotage de la masse salariale et des plafonds d’autorisation d’emploi.

La gouvernance des systèmes d’information de l’État n’a jamais totalement éclairci les compétences respectives du COS, de la direction générale de la Modernisation de l’État (DGME), du ministre du Budget, du Premier ministre, voire du secrétariat général de l’Élysée dans le cadre des arbitrages de la révision générale des politiques publiques (RGPP).

Plusieurs ministères ont indiqué à la Mission que le fait que le COS se réunisse moins fréquemment qu’en début de projet place l’AIFE en situation d’interlocuteur unique des ministères et accroît la tendance aux relations bilatérales. Au sein du COS, la présentation des choix sous un angle exclusivement technique ne facilite par la compréhension des enjeux. La réunion de COS dit « fonctionnels » au lieu des COS au niveau des secrétaires généraux illustre cette évolution. L’AIFE, en réponse, fait valoir que le COS a été réuni 16 fois au niveau des secrétaires généraux. Or ces derniers se font souvent représenter quand ils devraient être présents en personne. Le COS est souvent amené à devoir prendre position dans l’urgence sur des points techniques sans avoir une conscience claire des conséquences de ses choix sur les coûts de gestion. Plusieurs ministères désertent les ateliers techniques et se reposent sur le ministère de l’Intérieur, qui se retrouve face à face avec le ministère du Budget pour faire valoir la dimension métier devant les prestataires informatiques.

Cette gouvernance technique ne garantit pas que soient tranchées en temps voulu les questions qui opposent les ministères. La complexité de l’appareil d’État rend la prise de décision particulièrement difficile. Un arbitrage interministériel de 2007 a donné mandat à l’AIFE et au COS Chorus de travailler sur la base du consensus des ministères. M. Jacques Marzin, directeur de l’AIFE, a précisé devant la Mission que la méthode du consensus avait entraîné un travail long, pénible et frustrant dans le rapprochement des points de vue. L’échec de la recherche du consensus interministériel nécessite de recourir in fine à des arbitrages au niveau politique des cabinets ministériels. Les ministères et services déconcentrés auditionnés par la Mission ont jugé que la gouvernance technique du COS entraînait parfois des retards importants sur les arbitrages politiques nécessaires.

L’exemple le plus parlant est celui de la réorganisation des services comptables déconcentrés de l’État. Au schéma initialement prévu de constitution du nouveau système d’information est venu s’ajouter la RGPP, avec une réorganisation en profondeur des administrations, tant dans les services centraux que déconcentrés. Le sujet avait quitté le domaine purement technique et méritait qu’on aille plus rapidement à l’arbitrage politique.

La Mission estime que le COS aurait dû et devrait prévoir une gouvernance autant politique que technique. Il faut éviter que « les informaticiens parlent aux informaticiens » en appréhendant les problèmes dans leur globalité et en faisant remonter rapidement les décisions à l’arbitrage politique.

Recommandation n° 1 : Veiller à assurer au projet Chorus une gouvernance exercée tant au niveau technique que politique.

B.– LES MINISTÈRES ONT ESTIMÉ AVOIR ÉTÉ ASSOCIÉS AU PROJET DE FAÇON VARIABLE

La Cour des comptes avait noté dans son enquête que les directions qui jouent un rôle prépondérant dans la construction du projet Chorus relèvent essentiellement du ministère du Budget (notamment direction générale des Finances publiques – DGFiP – et direction du Budget). La Cour avait également noté que le défaut d’information et d’association des différents ministères avait entraîné une inquiétude sur les contours finaux du nouveau système d’information.

La complexité de la construction du nouveau système d’information et les incertitudes évoquées par les ministères auditionnés nourrissent une certaine préoccupation de la Mission.

Tandis que certains ministères ont estimé qu’ils avaient été associés à la conception de Chorus dans des conditions satisfaisantes, d’autres ont regretté que la gouvernance trop technique du projet Chorus n’ait pas facilité la compréhension des enjeux.

Les ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur et de la recherche ont estimé avoir été informés et entendus par l’AIFE. Le ministère de la Justice indique que le fait d’avoir été précurseur lui a donné l’avantage d’avoir vu ses demandes traitées dans des conditions convenables. Le ministère de la Défense, qui est un « poids lourd » en matière de dépenses et de bilan de l’État, estime avoir été entendu raisonnablement, au prix de quelques discussions difficiles avec l’AIFE. Le ministère de l’Intérieur, qui a constitué une capacité d’expertise lui permettant d’être fortement associé au projet, estime que la gouvernance collective n’est pas toujours très transparente ; il a informé la Mission que sur de nombreux points il avait exprimé des interrogations, voire des inquiétudes à l’AIFE.

C.– L’ABANDON DES APPLICATIONS MINISTÉRIELLES REDONDANTES EST SUBORDONNÉE À LA « CONDITION DE NON RÉGRESSION »

L’arrêt des applicatifs ministériels prévus lors du démarrage de Chorus est un enjeu important. On sait maintenant que tous ces applicatifs ne pourront disparaître. Il en sera évidemment ainsi des nombreuses applications métiers, qui sont spécifiques à l’activité de chaque ministère. La question de l’abandon, de l’adaptation ou du maintien se pose essentiellement pour les applications mixtes qui comportent des aspects comptables et métier.

Le ministre Éric Woerth avait déclaré le 13 janvier 2009 devant la commission des Finances que : « plus de 600 applications ministérielles et interministérielles ont été examinées au cours de l’année 2007, dont 266 ont été classées hors du périmètre du programme. Sur les presque 340 applications restantes, 80 ont été entièrement remplacées par Chorus, 117 « interfacées » avec lui et 80 ne sont ni remplacées ni interfacées – ce qui signifie qu’elles sont maintenues. Treize applications ont été partiellement remplacées par Chorus et 50 sont encore au stade de l’étude. L’articulation de chaque application avec Chorus fait donc bien l’objet d’un suivi. »

Nous ne reviendrons pas sur le choix qui a été fait par le COS d’« urbaniser » (5) les applicatifs qui subsisteront autour de Chorus. La Cour des comptes avait estimé qu’un plan stratégique, sous la forme d’un schéma directeur, aurait permis de mieux coordonner les systèmes d’information, de limiter le nombre des applicatifs ministériels et donc de réduire les coûts.

Certains ministères ont émis des interrogations ou des inquiétudes sur les fonctionnalités futures de Chorus. Plusieurs ministères ont indiqué à la Mission qu’ils avaient subordonné l’abandon d’applications ministérielles à la « condition de non-régression » en termes fonctionnels par rapport à la situation actuelle. Le ministère de l’Intérieur fait état de ses interrogations sur les marchés publics, la synchronisation des référentiels, la gestion des rejets, la reddition de compte en période transitoire, la gestion de stocks dans tous ses aspects. Il n’a pas encore pris la décision d’abandonner deux de ses plus grandes applications, GIBUS (services centraux, préfectures, police) et GESFI (gendarmerie). D’autres ministères s’interrogent sur la gestion des habilitations(6), la qualité et disponibilité des restitutions de l’infocentre(7), l’ergonomie des écrans de saisie… Les contraintes budgétaires au niveau de l’AIFE font craindre des reports de charges sur les ministères (interfaces et système d’échange, périmètre fonctionnel…). Les incertitudes pesant sur le calendrier de livraison des fonctionnalités ne permettent pas aux ministères de se prononcer sur le sort de toutes leurs applications.

Certains ministères ont émis des inquiétudes sur la mise en place effective d’interfaces entre Chorus et les applications ministérielles, pour éviter les doubles saisies et gérer de manière synchrone les différents référentiels. Le ministère de l’Intérieur a rappelé sa demande de constitution d’outils de communication entre les décideurs (préfets…) et la fonction support financière (formulaires, projet NEMO). Faute d’interface automatisée, les services gestionnaires devraient ressaisir les informations, avec une charge de travail alourdie. Ces outils permettraient de respecter les objectifs en termes de nombre de licences, mais doivent faire l’objet d’une négociation des conditions contractuelles avec l’éditeur du logiciel (SAP). Le travail sur les interfaces entre les applications ministérielles et Chorus a pris du retard ; ainsi les préfectures pilotes doivent, en l’absence d’interface en aval avec les applications de contrôle de gestion et d’interface en aval avec les décisions de dépense, ressaisir les données. L’AIFE répond à ces critiques en indiquant qu’elle envisage la mise en place de formulaires, outils légers de collecte d’information servant de liaison entre les prescripteurs et les back-offices de gestion. Elle indique que le ministère de l’Intérieur serait prêt à abandonner NEMO pour une solution interministérielle au moins satisfaisante.

Les ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur et de la recherche ont indiqué devant la Mission que seront abandonnées les applications Kheops (application mixte financière et métier pour les services déconcentrés) et Horizon (gestion des déplacements). Devront être interfacées les applications Aglae et Sconet-Bali (gestion des bourses de l’enseignement supérieur), Gaia (gestion de la formation continue) et Imag’in (gestion des concours et examens). Pourraient être abandonnées, quand Chorus offrira les fonctionnalités équivalentes, les applications Régies, Filoweb (gestion du parc immobilier) et Isis (gestion des recettes non fiscales). Sont conservées les applications Anagram (gestion des accidents du travail, accidents maladies et rentes) et Saxo (gestion de l’action sociale).

En ce qui concerne les coûts et les gains informatiques liés à Chorus de ces deux ministères, pour les principales applications impactées, l’économie immédiate serait d’environ 1 million d’euros et les coûts immédiats d’adaptation seraient d’environ 2,7 millions d’euros. L’assistance à maîtrise d’ouvrage pendant la durée du projet est évaluée à 2,8 millions d’euros et la formation des utilisateurs des nouvelles applications à 1,1 million d’euros. Les gains et les coûts futurs sont en cours d’évaluation. Dans un premier temps donc, l’arrivée de Chorus entraînera des coûts additionnels pour ces deux ministères. Ceux-ci estiment qu’au-delà de la période transitoire 2008-2010, en termes de maintenance courante, on retrouvera en 2011 un niveau à peu près comparable à celui des années précédant le lancement de Chorus.

Le ministère de la Défense indique que 18 applications seront abandonnées avec l’arrivée de Chorus, 16 autres applications pouvant l’être également si les fonctionnalités de Chorus sont satisfaisantes. Une vingtaine d’autres applications seront maintenues, avec une interface en amont ou en aval. Le coût moyen annuel de la maintenance d’une interface est estimé entre 100 000 et 200 000 euros. Le coût total des besoins d’interface est estimé entre 8 et 10 millions d’euros pour le développement et la maintenance sur cinq années. Ce ministère a « inversé la charge de la preuve » : il demande à ses gestionnaires de prouver que Chorus ne donnera pas satisfaction pour autoriser le maintien de ses applications ministérielles spécifiques. Le ministère de la Défense exprime un besoin pour les 350 régies d’avance qu’il gère actuellement, souvent sur des cahiers d’écoliers. L’AIFE a répondu que ce besoin n’était pas prioritaire et que les travaux ne pourront démarrer au plus tôt qu’en 2012.

Le ministère de la Justice estime que la quasi-totalité de ses applications spécifiques dans les domaines budgétaires et comptables seront abandonnées avec Chorus si l’utilisation de formulaires sera possible pour service d’interface avec ses applications spécifiques métiers. Le ministère indique que sur ses 24 applications budgétaires et comptables, 7 ont déjà été remplacées, 13 autres devraient ainsi pouvoir l’être, les 4 dernières restant en suspens.

À plusieurs ministères qui s’interrogeaient sur la gestion des recettes non fiscales, l’AIFE répond qu’elles seront bien incluses dans Chorus.

M. Jacques Marzin, directeur de l’AIFE, a précisé devant la Mission le décompte effectué par le ministre du Budget en début d’année. Sur les 255 applications financières des ministères (hors applications du ministère du Budget), 202 avaient vu leur sort fixé : 78 seront remplacées totalement par Chorus ; 6 seront remplacées partiellement ; 5 seront remplacées partiellement et interfacées ; 55 seront interfacées en l’état (8; 58 ne seront ni remplacées ni interfacées(9). Il reste donc à statuer sur 53 applications ministérielles. Ce bilan évolue en permanence et fait l’objet d’une révision semestrielle, dans le cadre des contrats de progrès entre l’AIFE et les ministères. L’AIFE rappelle que l’audit de l’Inspection générale des finances de 2006 avait retenu comme condition de retour sur investissement le remplacement d’au moins 80 applications ministérielles. Il faut noter que les ministères ont peut-être tendance à ne pas déclarer les économies qu’ils feront après l’arrivée de Chorus, pour ne pas être fragilisés dans les futures discussions budgétaires avec le ministère du Budget.

La Mission relève les interrogations émises par certains ministères sur les fonctionnalités futures (cœur et avancées) de Chorus, entraînant la subordination de l’abandon d’applications ministérielles à la « condition de non-régression » en termes fonctionnels par rapport à la situation actuelle. Une plus grande transparence de la part de l’AIFE permettrait de lever les craintes sur d’éventuels reports de charges sur les ministères eu égard aux contraintes budgétaires au niveau de l’AIFE, ainsi que sur le développement d’interfaces entre Chorus et les applications ministérielles qui subsisteront.

Recommandation n° 2 : Veiller à ce que les structures de gouvernance assurent une association pleine et entière des ministères au développement de Chorus, afin qu’ils puissent statuer en connaissance de cause sur l’abandon de leurs applications ministérielles de gestion.

La Mission regrette qu’il ne soit pas prévu de gérer par Chorus le dispositif de suivi de la performance (objectifs et indicateurs) mis en place par la LOLF et décliné annuellement dans les PAP (10) et les RAP (11). Elle constate le foisonnement actuel des systèmes de tableaux de bord sur la performance utilisés par les ministères. Ainsi le ministère de l’Intérieur a-t-il déployé l’outil ŒDIPE dans le réseau des préfectures.

L’AIFE répond que très peu d’indicateurs LOLF sont partagés entre différents ministères. L’alimentation des indicateurs nécessite des données physiques qui sont liées aux métiers. À ce stade, pour l’AIFE, seuls un stockage et une mise à disposition dans l’infocentre de Chorus paraissent envisageables, sans qu’une échéance ait été précisée.

Recommandation n° 3 : Obtenir une application interministérielle de gestion de la performance, avec récupération automatique de données de Chorus, pour mettre fin au foisonnement actuel des systèmes de tableaux de bord sur la performance utilisés par les ministères.

II.– FONCTIONNALITÉS : LE NOUVEAU SYSTÈME D’INFORMATION DEVRA PERMETTRE UNE MISE EN œUVRE PLEINE ET ENTIÈRE DE LA LOLF

Le choix d’un progiciel de gestion intégré (PGI) présente des avantages certains en termes de cohérence globale et de bénéfice des meilleures pratiques des secteurs public et privé. Il évite d’avoir recours à des développements informatiques spécifiques longs et coûteux. Les ministères interrogés par la Mission soulignent la difficulté intrinsèque à paramétrer un progiciel de gestion intégré utilisé essentiellement dans le secteur privé pour l’adapter aux besoins de l’État. La Cour des comptes a relevé le risque de dépendance à l’égard du fournisseur SAP, avec des conséquences sur le coût des adaptations ultérieures.

Le périmètre de Chorus a été structuré autour de trois types de fonctionnalités : « fonctionnalités cœur » couvrant les attentes prioritaires de la LOLF, et utilisées par tous les ministères ; « fonctionnalités avancées », permettant une amélioration de la productivité ou du pilotage de la gestion ; « fonctionnalités hors système cible et hors champs budgétaire et comptable », sous la responsabilité des ministères. Les fonctionnalités avancées ont déjà été planifiées : programmation annuelle et pluriannuelle, stocks, régies, gestion de projet, portail fournisseur, demandes d’achat, carte achat et achats sur catalogue, administration des ventes, rapprochement bancaire et aide juridictionnelle.

Des réflexions sont lancées pour examiner les besoins connexes aux fonctions budgétaires et comptables qui seront gérées dans Chorus. Il peut en être ainsi de la comptabilité analytique et de la gestion extracomptable du patrimoine immobilier de l’État, pour répondre aux besoins d’une gestion rénovée. Les arbitrages concernant ces extensions du périmètre de Chorus sont encore à rendre.

La distinction entre fonctionnalités cœur, avancées et hors champ budgétaire et comptable de Chorus a permis d’éviter de porter un projet trop ambitieux, tout en préservant les possibilités d’évolution ultérieures.

La Cour des comptes note que dans sa définition actuelle, le projet en cours de développement est surtout orienté vers la gestion budgétaire et comptable, laissant de côté une partie significative de la modernisation de la gestion publique.

Les représentants des ministères que la Mission a rencontrés s’interrogent sur la capacité du nouveau système à satisfaire les attentes de leurs gestionnaires en matière budgétaire et fiscale. Ils craignent que des impératifs techniques et de rentabilité entraînent, pour des fonctionnalités cœur ou avancées, des délestages sur les applications ministérielles. Un risque existe donc pour plusieurs applications ministérielles sur lesquelles la décision d’abandon a été subordonnée à l’expérimentation des modules Chorus correspondants, comme nous l’avons vu précédemment. Le ministère de la Défense se félicite que la gestion des stocks ait été intégrée dans Chorus ; il regrette que n’aient pas été traités les comptes de commerce (essences, maintenance aéronautique) et les relations avec le compte d’affectation spécial Gestion du patrimoine immobilier de l’État.

A.– LA CAPACITÉ DE PILOTAGE DES GESTIONNAIRES DEVRA ÊTRE PRÉSERVÉE

• Les relations entre décideurs et comptables

La mise en application de Chorus aura des effets structurants aussi importants que la réorganisation de l’administration territoriale de l’État et qui vont bien au-delà des aspects purement techniques et informatiques. Il s’agit de mettre en place un véritable outil de pilotage de la dépense publique.

Les travaux précédents de la Mission avaient mis en évidence l’importance qu’il y a de préserver une vision territoriale de la dépense, afin d’éviter les effets pervers de la logique en « tuyaux d’orgue » qu’entraînerait une mise en œuvre par trop mécanique de la LOLF. Ce débat est aussi ancien que la LOLF elle-même. Le préfet de région, ou de département, qui est en charge de l’administration territoriale, souhaite avoir une vision d’ensemble sur ce dispositif. La Mission avait déjà eu l’occasion de relever dans ses précédents rapports l’attachement du ministère de la Culture, par exemple, à la verticalité de la LOLF.

Le Premier Président de la Cour d’appel de Rouen a souligné, lors de son audition par la Mission, le risque que faisait courir la mise en place de plates-formes interrégionales de gestion au sein du ministère de la Justice en matière d’indépendance des magistrats. Pour lui la mise en œuvre de la LOLF depuis quatre ans s’est accompagnée d’une recentralisation intensive de la gestion, alors qu’elle avait précisément pour but de redonner une autonomie aux gestionnaires locaux : crédits fléchés (carte judiciaire, crédits de modernisation, crédits de sécurité), gestion des ressources humaines (gestion des corps, décisions de délégation de fonctionnaires, absence de fongibilité). La faiblesse de certains indicateurs de performance (par exemple la durée moyenne des affaires) a pour conséquence d’exercer une pression purement quantitative, fait peser des menaces qui portent atteinte à l’indépendance des magistrats et génère des comportements pervers de sur-adaptation. La décision – exceptionnelle au regard des règles édictées - de déployer dans l’ensemble des cours d’appel des licences lourdes Chorus, qui n’était pas acquise à l’origine, est un premier élément permettant de rassurer les magistrats du siège.

Le Procureur général de la même cour, également auditionné par la Mission, a nuancé ces propos en souhaitant qu’un équilibre fin soit trouvé entre des décisions prises localement et la nécessité d’un pilotage national, avec possibilité de fléchage pour certains crédits depuis la chancellerie. Il s’agit selon lui de préserver la capacité de contrôle du ministère sur les services gestionnaires, afin d’éviter certains errements.

Le secrétaire général aux affaires régionales (SGAR) de la région Rhône-Alpes a exprimé devant la Mission la nécessité d’outils de transparence communs et partagés afin d’établir dans de bonnes conditions le dialogue de gestion. A ses yeux, les responsables de BOP (12) et d’UO (13) doivent avoir accès à une vision globale des dépenses, pour préparer les comités de l’administration régionale (CAR). Il a cité l’exemple du ministère de la Culture, où les échanges de dialogue de gestion se passent uniquement entre le responsable de programme et les directions régionales des affaires culturelles, sans consultation des responsables de BOP. Il a également mentionné le ministère de l’Agriculture, où les crédits sont « fléchés » depuis Paris, avec comme justification l’application des engagements pris au niveau européen.

Le ministère de l’Intérieur s’inquiète pour sa part des conséquences de la mutualisation des plates-formes de gestion partagée sur la capacité de pilotage des décideurs, au premier rang desquels les préfets de département et de région. Actuellement la gestion est intégrée au pilotage. Pour ce ministère le fait de créer des postes dédiés aux enregistrements dans l’outil, et donc séparés des services décideurs, induit des problèmes qui ne sont pas résolus. Le centre de gestion partagée est un passage obligé à plusieurs stades de la procédure comptable ; il doit selon lui rester neutre, sans appréciation sur la dépense. Faute de quoi, le ministère de l’Intérieur craint une dilution des responsabilités et une opacité dans le pilotage de la dépense.

La concentration de la gestion comptable jointe au maintien de la déconcentration de la décision telle que pratiquée à ce jour suppose un outil de communication entre les décideurs et la fonction support financier. Il faut s’assurer de la visibilité des décideurs qui n’ont pas de licence lourde Chorus. Cet outil de communication devra en outre être interfacé de façon fluide et dématérialisée avec Chorus. L’AIFE estime avoir répondu à cette demande en développant des « formulaires ». Il s’agit de s’assurer que ces formulaires offriront toutes les fonctionnalités nécessaires pour préserver la capacité de pilotage des responsables de crédits (par exemple état de la consommation des crédits comparé à la programmation).

Mme Danièle Lajoumard, présidente du COS Chorus, a indiqué à la Mission que l’outil offre une totale transparence et que les ministères sont libres de l’utiliser comme ils veulent. La règle de base du progiciel de gestion intégré SAP est que tous les utilisateurs ont accès à tout. Les rares exceptions à cette règle concernent par exemple le ministère de la Défense. En outre la gestion physique des factures ne doit pas constituer un moyen détourné de maîtrise des crédits de paiement.

La Mission se félicite que Chorus permette la plus grande transparence dans le partage par tous les décideurs – responsables de programmes, de BOP et d’UO – de l’ensemble des informations contenues dans le nouveau système d’information budgétaire et comptable. Elle se réjouit que cette meilleure transparence puisse faciliter le travail des rapporteurs spéciaux en leur procurant un accès informatisé à des informations auxquelles, par ailleurs, ils ont déjà droit.

Recommandation n° 4 : S’assurer concrètement que la transparence de toutes les informations contenues dans Chorus bénéficiera réellement, tant aux décideurs des différents ministères qu’aux rapporteurs spéciaux des commissions des Finances des Assemblées.

• La fongibilité des crédits

La Mission avait exprimé son inquiétude sur le fonctionnement effectif du principe de fongibilité des crédits au sein des programmes LOLF dans son rapport de juillet 2008. La mise en œuvre de la LOLF doit entraîner un approfondissement de la déconcentration, avec la responsabilisation des gestionnaires opérationnels et la modernisation de la gestion publique. Des budgets contraints, des crédits « fléchés », une tendance à la reconcentration à tous les niveaux de l’État, la Mission a déjà signalé que l’esprit de la LOLF était en cause.

En soi l’outil Chorus est neutre et doit le rester. Sa mise en œuvre peut soit favoriser la déconcentration, soit produire l’effet rigoureusement inverse, selon l’usage qui en sera fait par les ministères.

Le Premier Président de la Cour d’appel de Rouen a confirmé, devant la Mission, que le fonctionnement du principe de fongibilité restait encore à établir. Il craint que la mise en place des plates-formes interrégionales de services partagés n’aggrave la tendance.

Dans les ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur et recherche, la situation financière contrainte ne doit pas empêcher indéfiniment le fonctionnement de la fongibilité. Cela renforcerait la capacité de contrôle par le haut, où l’on verrait le directeur d’une administration centrale émettre jusqu’au numéro du mandat. Une politique publique ne doit pas être déclinée partout de manière identique. La mise en œuvre de la traçabilité de la dépense ne doit pas aboutir fatalement à un pilotage par le haut des politiques publiques, qui ne laisserait plus de place à l’adaptabilité par les responsables de programme et au fonctionnement de la fongibilité. Les inspecteurs d’académie, par exemple, doivent retrouver leur marge de décision budgétaire.

Ces deux ministères ont soulevé devant la Mission le risque d’une programmation trop fine des dépenses dans Chorus, notamment dans le cadre de la programmation pluriannuelle. Cette programmation serait alors déconnectée du rythme et des enjeux de la budgétisation et en ferait un exercice purement formel réalisé à la demande de la direction du Budget ou constituerait un frein à la fongibilité. Ils regrettent la décision qui a été prise d’inclure la programmation dans Chorus, alors qu’un simple suivi indicatif aurait été suffisant.

Le ministère de l’Intérieur insiste sur la préservation de la capacité de pilotage des crédits de paiement au niveau local (préfets). Le maintien d’une fongibilité territoriale des crédits risquerait d’être menacé par une gestion centralisée en « tuyaux d’orgue », avec « fléchage » systématique des crédits par les directions d’administration centrale des ministères. Les achats publics effectués pour toutes les fonctions support souffrent actuellement de l’absence de mutualisation interministérielle au niveau des préfectures. Il faut espérer que la création récente du service des achats de l’État permettra une évolution en la matière. Or Chorus ne sait pas gérer les refacturations internes, qui sont assimilées à des transferts ou des virements de crédits.

La Mission estime qu’une vigilance s’impose par rapport au risque, à l’occasion de la mise en place de Chorus, de reconcentration de la gestion dans les ministères, au détriment de l’objectif de la LOLF de favoriser la responsabilisation des gestionnaires des services déconcentrés (BOP et UO).

Recommandation n° 5 : Veiller à ce que la mise en place de Chorus n’aboutisse pas à une reconcentration de la gestion dans les ministères, au détriment du fonctionnement du principe de fongibilité des crédits et de la responsabilisation des gestionnaires opérationnels, en particulier dans les services déconcentrés.

• Le système d’information de l’Opérateur national de paye

Les applications Chorus et système d’information « SI paye » de l’ONP sont complémentaires : la première gère les montants dus à chaque fonctionnaire et la seconde gère le total de la masse salariale. L’interface des applications s’effectuera au niveau de l’infocentre. Les systèmes d’information des ressources humaines (SIRH) des ministères, qui seront reconstruits autour d’un noyau commun de l’éditeur SAP (le même que pour Chorus), devront être capables de faire un plan de charge mensuel des dépenses de personnel. Plusieurs ministères ont insisté devant la Mission sur le caractère lourd et coûteux de ces nouveaux SIRH.

Le RAP 2008 du programme Stratégie des finances publiques et modernisation de l’État de la mission Gestion des finances publiques et des ressources humaines indique que : « l’option retenue pour la construction du « SI paye » est le recours à un progiciel qui doit être choisi dans le cadre d’une procédure de marché. L’attribution du marché SI paye est prévue pour la fin du premier semestre 2009 à l’issue de la procédure de dialogue compétitif actuellement en cours avec les deux groupements candidats. L’ONP, conformément à ses missions, a pris le relais de la DGME (14) dans la mise en œuvre opérationnelle de l’harmonisation des SIRH ministériels autour de spécifications et de référentiels communs.

Le programme Opérateur national de paye (ONP) doit conduire une modernisation de la fonction de paye au service de l'amélioration de la GRH publique. Le programme dont il a la charge doit permettre de moderniser la fonction paye et de favoriser le pilotage et l’analyse de la masse salariale et des effectifs. La création d’un opérateur national de paye vise à la fois à :

– contribuer à l’optimisation de l’organisation et des processus de gestion administrative et de la paye des personnels des ministères afin d’en assurer la qualité et l’efficacité,

– construire et mettre en place un système d’information de paye autorisant une simplification des tâches de préparation de la paye par les ministères et la refonte des processus RH-paye des ministères,

– normaliser les règles de la paye de la fonction publique de l’État et les systèmes d’information ressources humaines (SIRH) des ministères et harmoniser les SIRH ministériels autour de spécifications et de référentiels communs,

– mettre en place des systèmes d’information décisionnels relatifs à la paye et aux ressources humaines, favorisant l’analyse et le pilotage des dépenses.

La fonction support RH-Paye doit être servie par des SIRH et un SI Paye robustes et évolutifs. Elle doit répondre pour les agents et les employeurs publics aux conditions de l'excellence opérationnelle. Cette modernisation doit intervenir dans des conditions en assurant le retour sur investissement grâce à la maîtrise du coût des investissements et à l'optimisation des gains de productivité. »

L’AIFE rappelle que l’application SI Paye de l’ONP a pour unique objet de mutualiser la fonction paye. La fonction GRH reste dans les mains des ministères. SI Paye est également un calculateur de paye permettant d’effectuer des simulations budgétaires, par exemple l’impact de l’augmentation d’un point d’indice ou du coût du mécanisme de garantie individuelle du pouvoir d’achat (GIPA).

Des représentants du ministère de la Justice ont craint, devant la Mission, une reconcentration de la fonction RH, si l’application SI paye de l’ONP aboutissait à doublonner la gestion des ressources humaines en interne et au ministère du Budget. Ce ministère ne souhaite pas que ses agents soient cantonnés au rôle de « coup de tampon », alors que la gestion leur échapperait en grande partie, avec la constitution des plates-formes interrégionales de services et l’ONP.

La Mission estime qu’il faut rappeler les principes fondamentaux ; la LOLF doit responsabiliser les gestionnaires publics sur la fonction ressources humaines. Le déploiement de Chorus ne doit pas se traduire par un pilotage par le haut. Le lieu normal de débat est le dialogue de gestion. La crainte de reconcentration de la fonction RH s’inscrit dans la tendance de certains ministères à constituer des grands programmes support, contenant notamment les crédits de personnel, empêchant par là-même le jeu de la fongibilité.

Dans son rapport de 2008, la Mission avait spécialement plaidé en faveur du développement de la déconcentration managériale (15), c’est-à-dire au niveau de la prise de décision. Les plates-formes de services partagés de gestion des ressources humaines et l’ONP doivent se limiter aux rôles qui sont les leurs, c’est-à-dire des prestataires de service en aval et qui ne comportent pas d’enjeux managériaux. L’articulation entre Chorus, le SI Paye et les SIRH devra assurer un pilotage de la masse salariale et des plafonds d’autorisation d’emploi.

Recommandation n° 6 : Veiller à ce que la mise en place de Chorus et du système d’information SI Paye de l’Opérateur national de paye (ONP) ne soit pas l’occasion d’une remise en cause du principe de déconcentration de la fonction ressources humaines, au détriment de la responsabilisation des gestionnaires opérationnels.

Le déploiement de Chorus ne peut être l’occasion d’une régulation budgétaire qui s’effectuerait en dehors du cadre normal du dialogue de gestion établi par la LOLF. Le déploiement de Chorus en période de forte contrainte budgétaire ne risque-t-il pas de s’accompagner d’un resserrement des contrôles financiers et d’une utilisation démotivante du pouvoir de blocage dont disposerait la direction du Budget ?

Un cas concret est constitué par la gestion des engagements en fin de gestion. Le ministère de la Défense rappelle que les engagements sont traditionnellement très importants en fin d’année (dernier trimestre). Ce ministère souhaite une visibilité rapide sur les dates limites de fin d’engagement, ainsi que sur la levée des mesures de gel. La crainte que l’arrivée de Chorus ne soit l’occasion de satisfaire les besoins de la régulation budgétaire crée un sentiment de soupçon généralisé.

La Mission rappelle que le déploiement de Chorus ne saurait être un outil de régulation budgétaire, qui ne pourrait qu’affecter son acceptabilité. Elle insiste particulièrement pour que le ministère du Budget s’abstienne de toute tentation – ou même tentative - en la matière, dans la période actuelle de forte contrainte budgétaire.

Recommandation n° 7 : S’abstenir de toute tentation de régulation budgétaire masquée à l’occasion du déploiement de Chorus, sous peine d’affecter gravement son acceptabilité.

B.– LES DÉPENSES FISCALES « RESTENT À FAIRE »

L’AIFE a indiqué à la Mission que le suivi des dépenses fiscales était bien inclus dans le périmètre de Chorus, mais qu’il faisait partie du « reste à faire » dans le cadre de son programme de travail.

La Mission considère qu’il s’agit d’un sujet prioritaire. Le Gouvernement a fixé, pour la première fois l’an dernier, des objectifs en matière de dépenses fiscales. La loi de programmation pluriannuelle, dans ses articles 11 et 12, prévoit un « objectif annuel de coût retenu pour les dépenses fiscales » et un mécanisme de compensation pour les créations ou extensions. L’article 1er du présent projet de loi de finances, dans son exposé des motifs, décline cet objectif en prévoyant un montant total anticipé de 69,1 milliards d’euros.

Les dépenses fiscales sont donc maintenant sous plafond ; dès lors, leur suivi dans le système d’information Chorus doit constituer une priorité. Les arbitrages à rendre entre les dépenses budgétaires et les dépenses fiscales supposent une connaissance réelle de ces dernières.

Ainsi le crédit impôt recherche (CIR) connaît une croissance galopante (4 à 5 milliards d’euros), c’est un enjeu essentiel de l’attractivité des pôles de compétitivité pour les entreprises. On peut citer le cas d’une grande entreprise automobile française qui a bénéficié de crédits d’impôt à hauteur de 25 millions d’euros pour fonder une société de recherche, constituant par là-même une subvention déguisée. Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche indique que les calculs de coût du CIR, comme d’ailleurs des soutiens aux fondations universitaires, sont effectués par le seul ministère du Budget. Le ministère de l’Éducation nationale indique qu’il en est de même pour les dépenses fiscales liées au soutien scolaire à domicile, en pleine expansion. Aucune analyse des gains engendrés par ces dispositifs n’est actuellement effectuée, alors que l’INSEE pourrait le faire.

L’AIFE répond que la gestion des dépenses fiscales est bien incluse dans le périmètre de Chorus mais qu’elle fait partie du « reste à faire » dans le programme de travail.

Recommandation n° 8 : Faire une réelle priorité de la gestion des dépenses fiscales, qui fait partie du « reste à faire » dans l’élaboration de Chorus.

C.– LA DÉMATÉRIALISATION DES PROCÉDURES ET LA RÉVISION DU RÈGLEMENT GÉNÉRAL SUR LA COMPTABILITÉ PUBLIQUE DE 1962

Enfin, se pose la question de l’adaptation des règles comptables de l’État, telles que contenues dans le décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique (RGCP), au contexte de la LOLF et de Chorus.

Le ministère de l’Intérieur a souligné devant la Mission que la constitution de Chorus sans modification du RGCP pouvait conduire dans certains cas à des coûts d’adaptation importants. Il estime que réduire les coûts du côté des services ordonnateurs supposerait une simplification de la réglementation permettant de tirer pleinement profit des traitements automatiques du progiciel. Cela est particulièrement le cas pour la dématérialisation des commandes et de la facturation.

Le ministère de la Défense a insisté sur l’importance de la dématérialisation des procédures comptables en matière d’efficience budgétaire. Ainsi par exemple la gestion des pièces détachées du Rafale représente plus de 3 000 actes par agent et par an. Chorus devrait apporter les mêmes fonctionnalités que l’application spécifique EDI Rafale, mais pas avant le 1er janvier 2010. Une régression même temporaire ne serait pas tenable pour les fournisseurs.

Les ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur et de la recherche indiquent également que la dématérialisation des procédures (pièces justificatives, factures…) serait une source importante d’économies.

L’AIFE, pour sa part, estime que Chorus ne nécessite pas de révision du règlement général sur la comptabilité publique (RGCP), mais constitue l’opportunité technique de rationaliser des procédures initialement conçues dans une logique papier. Le progiciel Chorus permet de mettre en œuvre des solutions de dématérialisation : formulaires électroniques d’expression des besoins, pièces des marchés publics, factures…

La Mission note en premier lieu que le RGCP n’a pas été modifié à l’occasion de l’entrée en vigueur de la LOLF. Un consensus assez large règne au sein de l’administration française sur la nécessité d’effectuer un toilettage de son texte, qui va au-delà des aspects directement liés à la mise en œuvre du progiciel Chorus. On peut citer trois raisons :

– le comptable public s’est vu confier de nouvelles fonctions en matière de qualité comptable dans la tenue de la comptabilité d’exercice, soumise à certification par la Cour des comptes. Or le RGCP ne connaît que la comptabilité de caisse qui était la seule pratiquée avant la LOLF ;

– le contrôle de la dépense gagnerait à être modernisé, avec le contrôle hiérarchisé de la dépense, proportionné aux risques et aux enjeux et le développement du contrôle a posteriori. Il faut donner une base réglementaire à ces méthodes nouvelles, qui vont dans le sens d’une plus grande valeur ajoutée et d’une meilleure efficience des contrôles ;

– la mise en place du progiciel intégré Chorus automatisera certains contrôles (disponibilité des crédits) et autorisera des actions nouvelles (restitutions, accès en temps réel aux informations), ce qui modifiera le rôle du comptable. Elle conduit à déplacer légèrement les rôles respectifs de l’ordonnateur et du comptable, avec notamment la création de centres de services partagés. À ce sujet, une inquiétude semble gagner plusieurs ministères quant à l’éventuelle suppression du principe de séparation des ordonnateurs et des comptables. Au contraire, la LOLF donne une légitimité nouvelle à ce principe protecteur, qui fait partie des normes comptables internationales nécessaires à la certification. En revanche, il pourrait être utile d’atténuer les effets négatifs du principe de séparation, en lui ôtant ses facteurs de rigidité et en prévoyant des processus transversaux de concertation pour établir un contrôle partenarial.

Dans le cadre de la certification des comptes de l’État (exercice 2008), la Cour des comptes a maintenu le 25 mai dernier sa réserve substantielle (n° 2) sur l’insuffisance du déploiement du contrôle interne et de l’audit interne dans les ministères (qualité comptable).

Le sujet de la révision du RGCP est à l’ordre du jour depuis quelque temps déjà. La direction générale des Finances publiques (DGFiP) vient de nommer un expert de haut niveau chargé de la refonte du RGCP (16). Une difficulté provient du fait que ce règlement concerne également les collectivités locales et les établissements publics nationaux, qui ne sont pas soumis à la LOLF. Les travaux de révision nécessiteront donc une association large des ministères, des gestionnaires et des collectivités, notamment avec le comité des finances locales.

La Mission estime que le déploiement de Chorus, avant la fin de l’année 2010, doit être l’occasion d’un tel toilettage du règlement général sur la comptabilité publique (RGCP) de 1962.

Recommandation n° 9 : Opérer, dès le déploiement de Chorus, la dématérialisation de toutes les procédures comptables et financières qui peuvent l’être (marchés publics, pièces justificatives, factures…).

Recommandation n° 10 : S’atteler au chantier de la révision du règlement général sur la comptabilité publique (RGCP) de 1962, afin d’adapter, avant le 31 décembre 2010, les règles budgétaires et comptables au nouvel environnement de la LOLF et de Chorus.

Au-delà de l’ambition du présent rapport, il faudra s’interroger sur la gestion de la période complémentaire. Maintenir ce décalage d’années dans Chorus nécessiterait des développements spécifiques lourds et coûteux du progiciel de gestion intégré SAP. Le problème se posera à partir de la phase de déploiement massive de Chorus de 2010. Or l’existence de cette période complémentaire est directement liée au calendrier de la loi de finances rectificative de fin d’année (ouverture des crédits le 31 décembre). Une réflexion devra donc être menée, en liaison avec le Parlement, sur le devenir des lois de finances rectificatives, dans leur calendrier ou même dans leur existence, dans le contexte général de la programmation pluriannuelle.

D.– LA COMPTABILITÉ D’ANALYSE DES COÛTS DEVRA PERMETTRE UNE ÉVOLUTION VERS UNE VÉRITABLE COMPTABILITÉ ANALYTIQUE

Le texte même de la LOLF ne prévoit pas de tenue de comptabilité analytique. Elle impose la tenue de trois comptabilités : une comptabilité budgétaire, une comptabilité d’exercice et une « comptabilité d’analyse des coûts » (CAC). La comptabilité budgétaire organisée en missions et programmes offre un premier niveau d’analyse des dépenses de l’État, qui constitue un progrès majeur par rapport à l’organisation en chapitres budgétaires qui prévalait avant la LOLF. La CAC permet chaque année au Parlement dans les PAP et les RAP de disposer d’une présentation plus fine que la comptabilité budgétaire en opérant la réaffectation de certaines dépenses (fonctions support, délégation de gestion) afin de les imputer sur la mission ou le programme principal porteur d’une politique publique à coût complet.

Couramment pratiquée dans les entreprises commerciales, la comptabilité analytique va au-delà de la comptabilité d’analyse des coûts en « exploitant les informations de la comptabilité d’exercice dans le but soit d'interpréter la gestion au cours d'une période révolue, soit de préparer pour l'avenir des décisions pertinentes » (17). Elle permet de suivre les dépenses organisées selon certains axes d’analyse préalablement définis, afin d’élaborer des tableaux de bord contenant des ratios de gestion (coût d’une fonction, coût d’un acte, coût d’un agent…). Elle fournit au gestionnaire les données nécessaires au contrôle de gestion, autrement dénommé l’aide au pilotage par la performance. C’est par la comptabilité analytique que l’on établit un lien entre comptabilité d’enregistrement et le dispositif de performance (objectifs et indicateurs). Sans attendre la LOLF, le besoin de tenue de comptabilités analytiques est apparu de façon éparse dans certaines administrations publiques. L’article 132 du décret du 30 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique disposait déjà que : « la comptabilité de l'État comprend une comptabilité générale et des comptabilités spéciales des matières, valeurs et titres. Par arrêté conjoint du ministre des finances et du ministre intéressé, il peut, en outre, être organisé dans certains services une ou plusieurs comptabilités analytiques. » Si les trois comptabilités prévues par la LOLF ont vocation à être présentées au Parlement, la comptabilité analytique répond davantage aux besoins internes de l’administration.

Dans son rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l’État (exercice 2008) de mai 2009, la Cour des comptes s’interroge sur les fonctionnalités futures de Chorus en matière de comptabilité analytique, en vue d’un pilotage par la performance.

« Dans les faits, la discussion budgétaire ne permet pas toujours, en l’absence d’une véritable comptabilité analytique et d’outils de mesure de l’efficience des actions publiques, d’atteindre la meilleure adéquation possible entre, d’une part, les crédits et les emplois proposés au vote du Parlement et, d’autre part, la réalité des besoins. (…)

Sur la plupart des missions, les deux niveaux du dialogue de gestion (budgétaire et sur les performances) entre les responsables de programme et les services sous tutelle (BOP et opérateurs) sont désormais organisés selon des documents et des calendriers formalisés. Toutefois, les deux volets qui retracent respectivement les résultats budgétaires et les résultats au regard de la démarche de performance sont établis et utilisés séparément et ne peuvent donc s’enrichir mutuellement. Il conviendrait, en outre, d’y adjoindre une analyse des ratios de comptabilité analytique. (…)

Le pilotage des BOP et des opérateurs par les responsables de programme ne peut en effet s’appuyer ni sur une information adaptée sur les composantes des différentes actions publiques et leur mise en œuvre, faute de la création d’une véritable comptabilité analytique, ni a fortiori sur une explication par le contrôle de gestion des éventuelles différences de coûts entre les entités du programme. Les responsables de programme expliquent le retard pris pour mettre en place une véritable comptabilité analytique par l’attente du système d’information CHORUS. Or des données de coûts sommaires mais utiles à la décision (coûts d’un contrôle, du traitement d’un dossier, d’une analyse juridique, de la délivrance d’un document…) pourraient être rendues disponibles sans délai par le simple croisement d’une nomenclature des tâches des agents avec les dépenses budgétaires.

Le contrôle de gestion :

En 2008, la presque totalité des programmes sont suivis, en leur sein ou en externe, par un service de contrôle de gestion, qui a pour principale utilité de venir en appui du dialogue de gestion. Mais le contrôle de gestion demeure très lacunaire au regard de tâches essentielles mais pourtant encore négligées : la contribution à l’élaboration d’une comptabilité analytique fine, le recensement et la diffusion des meilleures pratiques de gestion, la préparation de recommandations d’économies structurelles et l’analyse des résultats fournis par les indicateurs chiffrés. »

M. Jacques Marzin, directeur de l’AIFE, a rappelé le 13 janvier dernier devant la commission des Finances que le principe retenu a été de concevoir un système informatique appliquant « toute la LOLF mais rien que la LOLF ». C’est la raison pour laquelle seule la comptabilité d’analyse des coûts (CAC) a été intégrée dans Chorus. Le choix technique a été fait d’utiliser pour la CAC le module de comptabilité analytique du progiciel de gestion intégrée de l’éditeur SAP.

M. Jacques Marzin reconnaît cependant que les outils permettant le pilotage par la performance et la comptabilité analytique sont cependant les conditions préalables à l’établissement du contrôle de gestion et à la poursuite de la modernisation de la gestion publique. Il a veillé, lors de la conception technique, à faire en sorte que ce composant de SAP ne soit pas totalement consommé par la CAC et puisse l’être un jour par une comptabilité analytique. Toutefois, il estime qu’il faudra du temps et beaucoup de travail interministériel pour harmoniser la position des ministères sur les objectifs, les mécanismes et le niveau de finesse qu’ils jugent nécessaires à une comptabilité analytique. Comme pour d’autres extensions possibles du périmètre couvert par Chorus (opérateurs de l’État, phase deux de la gestion immobilière) la prudence a prévalu en concentrant le travail actuel sur le périmètre strictement nécessaire à la mise en œuvre de la LOLF.

La Mission a entendu les représentants de plusieurs ministères auditionnés s’interroger sur la possibilité de conserver après la mise en service de Chorus les applications ministérielles spécifiques qu’ils utilisent déjà en matière de comptabilité analytique. D’autres ministères n’en utilisent pas et n’en expriment pas le besoin. Les ministères partent de niveaux très différents en matière de culture financière et comptable. Leurs attentes en matière de comptabilité analytique sont par conséquent très différentes.

Certains ministères nous ont dit avoir un besoin de comptabilité analytique intégrée à Chorus, notamment pour le contrôle de gestion. Le Procureur général de la cour d’appel de Rouen, auditionné par la Mission, a insisté sur la grande utilité d’indicateurs de performance, qui permettent aux cours de se comparer, et qui rend nécessaire la définition d’outils de comptabilité analytique.

Le ministère de l’Intérieur estime nécessaire de développer une comptabilité analytique afin de mettre sous contrôle les dépenses et d’objectiver le dialogue de gestion (tableau de bord, ratios…). L’absence de fonctionnalité de comptabilité analytique dans Chorus obligera ce ministère à une double saisie des données faisant l’objet d’un suivi analytique (par exemple suivi des contrats de progrès État-région ou suivi des zonages prioritaires d’intervention).

M. Christian Piotre, secrétaire général du ministère de la Défense, a indiqué à la Mission que la comptabilité analytique permet d’inscrire le gestionnaire dans une logique de responsabilité, en lui donnant la possibilité de prendre des options sur les données. Ainsi, par exemple, l’individualisation des dépenses de maintenance aéronautique permettrait d’instruire le choix d’une éventuelle externalisation. M. Hugues Bied-Charreton, directeur des Affaires financières du ministère de la Défense, auditionné le même jour par la Mission, exprimait une position plus nuancée en estimant qu’il n’y avait pas lieu de se précipiter pour construire une comptabilité analytique, les priorités étant ailleurs.

Les ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur et de la recherche disent éprouver des besoins de comptabilité analytique mais préféreraient qu’ils soient propres à leur ministère, avec interfaçages avec les données de Chorus. Ces deux ministères ne distinguent d’ailleurs pas réellement la comptabilité analytique proprement dite des restitutions de l’infocentre Chorus ou des indicateurs de performance des PAP et des RAP. Le ministère de la Justice et la préfecture Rhône-Alpes ont estimé qu’ils n’avaient pas besoin de comptabilité analytique. Le ministère de la Justice indique qu’il n’a actuellement qu’une comptabilité de caisse et que la mise en œuvre de Chorus, avec les restitutions qu’il permettra, entraînera déjà une amélioration sensible de sa gestion financière et comptable.

La Mission comprend la logique de prudence qui prévaut au report de la réflexion sur la mise en œuvre d’outils de comptabilité analytique dans le budget de l’État. Elle estime cependant souhaitable une évolution de la comptabilité d’analyse des coûts (CAC) vers une véritable comptabilité analytique. La Mission prend acte du fait que l’AIFE garantit la possibilité ultérieure de construire un module de comptabilité analytique dans Chorus, alors que la comptabilité d’analyse des coûts (CAC) utilise déjà une partie des ressources correspondantes du progiciel de gestion intégré SAP. Elle demande que dès le déploiement complet de Chorus, et donc au plus tard le 1er janvier 2011, le ministère du Budget expérimente sur un programme dans un ministère volontaire une comptabilité analytique permettant un contrôle de gestion sans ressaisie des données.

Recommandation n° 11 : Conduire, dès le déploiement complet de Chorus – et donc au plus tard le 1er janvier 2011 –, l’expérimentation dans Chorus d’une comptabilité analytique permettant un contrôle de gestion sans ressaisie des données sur un programme dans tout ministère volontaire.

E.– SEULE LA PREMIÈRE PHASE DU MODULE DE GESTION IMMOBILIÈRE A ÉTÉ DÉPLOYÉE EN AVRIL 2009

La gestion immobilière de l’État offre un cas concret de besoin d’outil de gestion intégré à la comptabilité d’enregistrement, allant jusqu’à la tenue d’une comptabilité analytique.

Conformément aux prévisions, le module de gestion immobilière de Chorus, dénommé Chorus-RE(18), a été mis en œuvre au début du mois d’avril 2009. L’application prévoit la reprise pure et simple des fonctionnalités qui existaient jusqu’alors dans le serveur du Tableau général des propriétés de l'État (STGPE), c’est-à-dire l’inventaire et l’évaluation du parc des ministères. Or une gestion immobilière professionnalisée implique d’aller beaucoup plus loin, avec par exemple l’élaboration de comptes de résultat par immeuble, l’occupation, la gestion des baux et des loyers budgétaires, les contrats fournisseurs, la gestion de projet immobilier ou l’entretien et la maintenance. La Cour des comptes a publié au journal officiel du 8 juillet 2009, jour de l’examen du présent rapport, un appel d’offre prévoyant une « mission d’assistance à la réalisation d’un audit du système d’information supportant le patrimoine immobilier de l’État en environnement SAP ».

Notre collègue Georges Tron, président du Conseil de l’immobilier de l’État, précisait lors de la réunion de la commission des Finances du 13 janvier dernier qu’il n’y a pas eu dans la conception du module Chorus-RE de distinction entre la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre… De ce fait, les besoins en matière de gestion immobilière n’ont pas été recensés avec suffisamment de précision, certains ministères – sinon la totalité – n’ayant pas été consultés sur ce point. Le projet Chorus-RE n’a été lancé que deux ans après le démarrage du cœur Chorus. S’il s’agit d’une première étape, on pourrait considérer que c’est un cheminement normal. Cependant, de fortes inquiétudes se font jour sur l’évolutivité du système. La saisie des informations immobilières dans le cadre de Chorus-RE reste à la charge des ministères, ce qui revient à nier la fonction d’État propriétaire unique, cette charge incombant au service France Domaine.

La Mission prend acte de la réponse, lors de cette même réunion, de M. Jacques Marzin, garantissant l’évolutivité du système dans une phase ultérieure : « Tous les autres éléments de gestion fine du patrimoine immobilier que vous avez cités se situent hors du périmètre de lancement du projet. Je tiens à vous rassurer sur le fait que la gestion au niveau du bâtiment est prévue dans le module RE. Cependant, nous n’avons pas entamé le travail de mise en place avec les ministères d’une gestion immobilière complète (…). »

Le ministère de l’Intérieur a estimé devant la Mission qu’il n’avait pas été associé à l’élaboration des fonctionnalités de gestion immobilière dont la mise en œuvre est prévue dans une deuxième phase. Ce point est d’autant plus préoccupant que les responsabilités interministérielles des préfets en la matière ont été renforcées par la circulaire du Premier ministre du 16 janvier 2009.

La Mission note que le module de gestion immobilière de Chorus-RE, opérationnel depuis le 6 avril dernier, reprend à l’identique les fonctionnalités du serveur du tableau général des propriétés publiques (STGPE) en matière de recensement et d’évaluation du parc. Elle prend acte du fait que l’AIFE garantisse l’évolutivité ultérieure du système pour constituer l’outil de gestion immobilière dont l’État a besoin. Elle souhaite qu’un soin particulier soit porté à l’évolution de ce futur outil, dans le cadre de la réforme de l’immobilier de l’État entreprise par le ministre du Budget et le service France Domaine.

Recommandation n° 12 : Garantir l’évolutivité du module immobilier Chorus Real Estate (RE), pour en faire un véritable outil de gestion immobilière, dans le cadre de la réforme de l’immobilier de l’État conduite par le ministre du Budget et le service France Domaine.

F.– UN SUJET INDISPENSABLE : L’INTÉGRATION DES COMPTES DES OPÉRATEURS DE L’ÉTAT

Enfin, il n’est pas prévu que les opérateurs de l’État (établissements publics principalement) soient intégrés dans Chorus. Si ce dernier sait gérer la comptabilité d’une maison mère et de ses filiales, il ne sait pas gérer plusieurs plans comptables. On sait que les services ministériels utilisent le plan comptable de l’État (PCE). Les opérateurs sont une catégorie de nature très variable où certains ont un fonctionnement proche de l’État alors que d’autres ont une forte dimension industrielle et commerciale et fonctionnent selon le plan comptable général (PCG). La Cour des comptes a maintenu dans sa certification des comptes de l’État en 2008 la réserve substantielle (n° 3) qu’elle avait émise les deux années précédentes sur les comptes des opérateurs : « des comptes affectés de graves insuffisances, un recensement peu fiable, des comptes remis hors délai, une qualité des comptes globalement très médiocre ».

L’harmonisation des normes comptables applicables aux opérateurs est un chantier encore à venir, afin de préparer l’étape ultime de consolidation des comptes de l’État avec ceux de ces entités. M. Jacques Marzin, directeur de l’AIFE, déclarait devant la Mission qu’il s’agit d’un chantier décennal…

Une des priorités d’extension du périmètre de Chorus sera, à n’en pas douter, d’intégrer le budget des opérateurs, ce qui sera complexe faute de normes comptables communes. Le pilotage territorial de la dépense passe, par exemple, par un pilotage budgétaire renforcé des opérateurs.

La Mission demande que le ministère du Budget mette en place dès maintenant un cadre de travail permettant d’envisager, sur la base de normes comptables harmonisées, l’intégration dans Chorus des budgets des opérateurs de l’État. Elle attacherait du prix au lancement d’une expérimentation au début de la prochaine législature dans un ministère ou les opérateurs sont nombreux, en démarrant avec des opérateurs de nature relativement homogène.

Recommandation n° 13 : Mettre en place dès maintenant un cadre de travail permettant d’envisager, sur la base de normes comptables harmonisées, l’intégration dans Chorus des budgets des opérateurs de l’État.

Recommandation n° 14 : Lancer une expérimentation en la matière au début de la prochaine législature, par exemple dans un ministère où les opérateurs sont nombreux.

III.– COÛTS : UNE VIGILANCE PARTICULIÈRE DEVRA ÊTRE PORTÉE AU RESPECT DES CONDITIONS DU RETOUR SUR INVESTISSEMENT

A.– LA TRANSPARENCE DES COÛTS DU PROJET CHORUS DEVRA ÊTRE ASSURÉE

La Cour des comptes avait mesuré en novembre 2005 les dépenses consacrées à ACCORD : elles s’élèvent à 257 millions d’euros pour le ministère du Budget et environ 40 millions d’euros supplémentaires pour les autres ministères. L’adaptation de l’application ACCORD à la LOLF (ACCORD 2) a engendré des coûts estimés entre 160 et 175 millions d’euros.

S’agissant de Chorus, il faut distinguer le coût initial (2006-2012) et le coût total (sur dix ans de vie du projet). L’audit de modernisation de l’Inspection générale des finances (IGF) de novembre 2006 (19) avait évalué le coût d’investissement initial de Chorus entre 419 et 566 millions d’euros, selon le nombre d’utilisateurs, auquel il fallait ajouter environ 100 millions d’euros par an pour les coûts récurrents. Ce coût prévisionnel initial était estimé à 551,6 millions d’euros dans le projet annuel de performances du programme Stratégie des finances publiques et modernisation de l’État pour 2009 et a été très légèrement réévalué à 556,2 millions d’euros dans le rapport annuel de performances du même programme pour 2008(20). Nous sommes donc très proches de la fourchette haute de l’évaluation de l’IGF, malgré le nombre réduit de licences qui a finalement été choisi.

Le ministre Éric Woerth précisait le 13 janvier 2009 devant la commission des Finances que : « ces estimations restent valables, et sont cohérentes par rapport au chiffrage constaté par la Cour des comptes et présenté au Parlement. Néanmoins, j’ai demandé leur réactualisation au regard des premiers déploiements effectifs – à l’instar de ce qui se fait dans n’importe quelle entreprise. Je vous en communiquerai les résultats. Je précise que le report d’un an du déploiement complet de Chorus entraîne un coût pour l’État de 60 millions d’euros(21), en raison du maintien des applications existantes dans les ministères. »

Or l’enquête de la Cour des comptes note que le coût prévisionnel présenté dans le projet annuel de performances ne comprend pas les dépenses de fonctionnement de l’AIFE (évalués à environ 78 millions d’euros entre 2006 et 2011). Il n’inclut pas non plus les coûts qui seront à la charge des différents ministères pour adapter leurs applications de gestion, et qui étaient estimés par la Cour à environ 80 millions d’euros au total. Des informations transmises ultérieurement au Rapporteurs font état d’un montant de 50 millions pour les coûts de fonctionnement de l’AIFE affectés au seul projet Chorus. La contrainte de maîtrise des coûts de Chorus laissait craindre, pour la Cour, un report coûteux sur ces applications ministérielles.

Le projet annuel de performances pour 2009 du programme Stratégie des finances publiques et modernisation de l’État indique que le scénario retenu évalue le coût prévisionnel total du projet Chorus à 1, 1 milliard d’euros. Ce montant correspond à un coût global de projet sur les dix premières années (donc jusqu’en 2015) en intégrant les dépenses de maintenance et de fonctionnement à partir de 2011, évaluées dans le rapport annuel de performances pour 2008 du même programme à 77,1 millions d’euros par an. Le rapport de suivi de la RGPP de juillet 2008 avait estimé le coût de ce projet entre 893 millions et 1,1 milliard d’euros selon le nombre de licences (entre 14 000 et 25 000).

Le tableau suivant récapitule les informations disponibles sur les coûts du nouveau système d’information financière de l’État :

COÛTS DU NOUVEAU SYSTÈME D’INFORMATION
FINANCIÈRE DE L’ÉTAT (AUTOUR DE CHORUS)

(en millions d’euros)

Coût initial (2006-2012)

Investissement

556,2

Fonctionnement de l'AIFE

50

Adaptation des applications ministérielles

80

Total

686,2

Coût total (2006-2015)

y compris le coût annuel de maintenance

de Chorus de 77,1 millions d'euro

1 100

Source : calculs effectués à partir des projets et rapports annuels de performance et des informations données par le ministère du Budget et la Cour des comptes.

Pour les membres de la Mission, ces estimations gagneraient à être précisées et périodiquement réactualisées, pour la bonne information du Parlement.

Recommandation n° 15 : Réactualiser dans les projets et rapports annuels de performances du programme Stratégie des finances publiques et modernisation de l’État l’évaluation du coût initial (2006-2011) du programme Chorus, en incluant le coût de fonctionnement de l’AIFE.

Recommandation n° 16 : Compléter cette information par le coût prévisionnel de l’adaptation à Chorus des systèmes d’information utilisés par les différents ministères et qui continueront d’exister après la mise en œuvre de Chorus.

Il faut en outre mentionner le coût attendu pour le programme COPERNIC (1,8 milliard d’euros)(22) et celui du développement par l’Opérateur national de paye (ONP) du SI Paye (déploiement prévu entre 2012 et 2016), qui n’est pas encore estimé.

B.– L’ENJEU ESSENTIEL RÉSIDE DANS LA RÉORGANISATION DES SERVICES DÉCONCENTRÉS DE L’ÉTAT CHARGÉS DE LA GESTION BUDGÉTAIRE ET COMPTABLE

La question centrale est le niveau de mutualisation dans les services comptables déconcentrés de l’État. Les arbitrages rendus dans le cadre de la RGPP ont tranché en faveur d’une gestion au niveau régional (et non départemental), mais n’ont pas indiqué selon quelles modalités. Un arbitrage du 18 juillet 2008 a décidé que, du fait de leur taille, les ministères de la Justice, de la Défense et de l’Éducation nationale conserveraient des services comptables spécifiques à leurs administrations, mais organisés à un niveau au moins régional. Pour le ministère de la Défense, ce sont des « régions » militaires (périmètre plus grand que les régions administratives) et pour l’Éducation nationale ce sont les rectorats. Les services pénitentiaires du ministère de la Justice seront organisés en sept plates-formes interrégionales et les services judiciaires en neuf plates-formes interrégionales qui devraient être plus grandes que les actuels services administratifs régionaux (SAR).

L’arbitrage pour les autres ministères est intervenu en janvier 2009 selon les conditions exposées ci-après.

Le rapport de suivi de la RGPP de janvier 2009 proposait trois scénarios :

– Un schéma vertical (« ministérialité tempérée ») permettrait de définir trois ou quatre blocs de ministères pivots rassemblant les directions régionales et départementales correspondantes. C’est le scénario qui a été retenu par l’arbitrage du Premier ministre en janvier 2009. Cet arbitrage demande une bonne répartition des emplois publics, avec environ trois plates-formes dans chaque région. Aucun agent ne verra imposer une mobilité géographique, les redéploiements devant être effectués le plus possible en jouant sur les rotations des effectifs.

– Un schéma horizontal (« interministériel ») créerait un centre de services partagés unique par région, avec une localisation au niveau des régions et des antennes départementales. Ce scénario, le plus ambitieux, prévoyait l’émergence de services facturiers au sein d’un service à compétence nationale (SCN). Les doubles contrôles sur la liquidation seraient alors supprimés. Il a été rejeté pour des conditions de délai de mise en œuvre, car il supposait une recomposition totale des organisations et un mode de restitution des effectifs des ministères qui s’annonçait délicat. Ce scénario constitue néanmoins une cible qui pourrait être atteinte dans une seconde étape.

– Un troisième schéma aurait permis de constituer deux ou trois blocs de ministères impliquant autant de centres de services partagés régionaux, avec rattachement des directions départementales interministérielles au centre de services partagés régional des préfectures. Ce scénario avait la préférence du ministère de l’Intérieur, en ce qu’il correspond assez bien à la logique d’organisation territoriale de l’État et affirme le rôle interministériel des préfets.

On part d’une situation ou les fonctions comptables et financières n’étaient pas clairement identifiées dans les administrations. Un recensement effectué en 2005 montrait 38 000 agents effectuant des tâches financières ou comptables, le plus souvent entre d’autres tâches. Le même recensement début 2007 portait sur 27 000 agents. Le rapport de suivi de la RGPP de juillet 2008 indiquait que les effectifs financiers et comptables des ministères, qui sont actuellement d’environ 25 000 ETPT, pourraient être réduits à 17 000 ETPT avec le scénario vertical (blocs de ministères), voire à 14 000 ETPT avec le scénario horizontal (services facturiers, taille optimale des centres de gestion partagée, dématérialisation complète). Le scénario finalement retenu correspond donc à un doublement de la productivité par rapport aux pratiques actuelles.

Le rapport de suivi de la RGPP de janvier 2009 calculait qu’avec des centres de services partagés mutualisés on pourrait atteindre une productivité de 3 000 actes par agent et par an (15 actes par jour) et libérer 2 400 à 3 600 agents. Avec la mise en place de services facturiers, la productivité pourrait atteindre 6 000 actes par agent et par an et libérer entre 3 500 et 5 200 agents. Avec ces hypothèses, on reste loin des moyennes constatées dans le secteur privé - certes dans un contexte différent - avec des moyennes de 10 000 à 15 000 factures par an par ETPT… La taille critique des centres de services partagés est évaluée par le rapport de suivi à 12 ETPT, avec cible optimale entre 20 et 40 ETPT.

La Mission prend acte de l’arbitrage de janvier 2009 consistant à concevoir une mutualisation des services financiers et comptables sur la base de centres de services partagés régionaux, organisés autour de trois ou quatre blocs de ministères. Il faudra veiller à la bonne répartition sur le territoire - pas seulement dans le chef lieu de région - des plates-formes de services partagés. La Mission estime néanmoins que si le déploiement par bloc de ministères se justifie par sa rapidité de mise en œuvre, afin de respecter les échéances de déploiement de Chorus, il ne doit pas fermer la porte à une évolution ultérieure vers un scénario cible comportant des centres de services partagés régionaux organisés dans le cadre d’un service à compétence nationale. Seul ce scénario cible permettra d’optimiser les gains de productivité par la constitution de centres ayant la taille critique, par la professionnalisation poussée des personnels et par l’industrialisation des processus.

Recommandation n° 17 : Ne pas remettre en cause le choix en faveur d’une mutualisation des services financiers et comptables autour de blocs de ministères, le seul compatible avec le respect du calendrier de déploiement de Chorus. Garder comme objectif cible à terme la constitution de services facturiers régionaux constitués au sein d’un service à compétence nationale, afin d’optimiser les gains de productivité.

C.– LES ENGAGEMENTS EN TERMES DE RETOUR SUR INVESTISSEMENT DEVRONT ÊTRE TENUS

Il faut comparer les coûts de construction du projet Chorus aux économies qu’il pourra engendrer grâce à la professionnalisation des fonctions comptables et financières.

Le « retour sur investissement » (RSI) mesuré par la valeur actuelle nette (VAN) (23) était estimé par le rapport d’audit de 2006 de l’Inspection générale des finances entre 800 et 1 100 millions d’euros en fonction des scénarios. La période sur laquelle la rentabilité a été évaluée est 2005 – 2015, soit dix années correspondant à la durée habituelle d’évaluation des projets dans le cadre d’études de retour sur investissement. Selon le projet annuel de performances pour 2009, la VAN serait de 852,6 millions d’euros sur dix ans.

L’annexe n° 2 montre quatre hypothèses de RSI détaillées dans le rapport de suivi de la RGPP de juillet 2008. La courbe marron montre qu’avec une reconduction de l’existant (pas de professionnalisation des back offices et conservation des applications ministérielles) la VAN serait de – 700 millions d’euros en 10 ans. La courbe rouge (pas de professionnalisation des back offices et abandon de 80 applications ministérielles) abouti à une VAN de – 400 millions d’euros en 10 ans. Dans ses deux scénarios les plus favorables, la VAN est évaluée à 230 millions (professionnalisation des back-offices ministériels et abandon des applications ministérielles) et 1 milliard d’euros (mise en place de services facturiers et abandon des applications ministérielles) sur la même période.

Comme la Cour des comptes l’avait relevé dans son enquête, les critères de l’équilibre financier fixés en 2006 reposent donc sur des hypothèses fragiles relatives aux gains de productivité et à la substitution de Chorus aux applications ministérielles. Le présent rapport a déjà évoqué les incertitudes existant sur l’abandon des applications ministérielles. Les modalités de réorganisation des services financiers et comptables des services déconcentrés de l’État présentent des enjeux financiers encore plus importants.

Le ministre Éric Woerth déclarait le 13 janvier 2009 devant la commission des Finances : « en outre, parler du seul coût du projet me paraît réducteur, dans la mesure celui-ci entraînera des économies substantielles pour l’État, évaluées par l’inspection générale des finances à 5 000 ETP, soit environ 400 millions d’euros, et consécutives à la professionnalisation des agences en charge des fonctions financières, budgétaires et comptables de l’État. (…) Les gains de productivité sont connus : ils sont identifiés par programme et partagés au sein de chaque programme. Ils peuvent également être révisés. Je dispose d’un schéma prévisionnel d’emplois. Durant la négociation de la loi de programmation pluriannuelle, que nous allons revisiter compte tenu des circonstances économiques, je connais, par ministère, l’impact de Chorus, de l’ONP et de COPERNIC. Après discussion avec chaque ministre, on intègre dans chaque mission les économies de postes, qui entrent d’ailleurs dans le calcul du remplacement d’un fonctionnaire sur deux. »

La Mission a eu la surprise de constater que les ministères auditionnés ont tous indiqué que le déploiement de Chorus n’entraînerait pas de réduction d’effectifs au-delà de ce qui a été expressément décidé dans le cadre de la RGPP. Le ministère de la Justice mentionne une réduction de seulement 2 ETPT(24). Le ministère de la Défense indique que l’arrivée de Chorus facilitera la réorganisation de la chaîne financière ; l’identification des gains en personnel induite par Chorus n’est selon lui pas chiffrable car elle est indissociablement liée à la réforme globale du ministère vers une approche interarmées. Chorus est pour ce ministère un levier important de modernisation et de simplification. On ne pourrait donc pas distinguer les gains en productivité qui seront induits par cette réforme générale(25) de ceux qui découleront de la mise en place de Chorus.

Le ministère de l’Intérieur craint un transfert de charge pour les services ordonnateurs, dont la charge de saisie devrait augmenter de 80 % par rapport aux outils actuels du ministère. Il estime que l’option choisie, conjuguée avec l’impossibilité de déplacer massivement les emplois, implique que pour les premières années les services support ne pourront en tous lieux atteindre la taille optimale pour dégager des gains de performance. Pour ce ministère la concentration de la gestion sur des effectifs dédiés ne dégagera pas de gains immédiats ; elle permet simplement de compenser par une plus grande performance dans l’outil la surcharge de saisie imposée par le progiciel. Un calcul précis de l’évolution de la charge de travail, réalisé dans les préfectures, établit l’absence de gain dans les premières années de déploiement.

Le secrétaire général aux affaires régionales (SGAR) de la région Rhône-Alpes a indiqué lors de son audition par la Mission que les effectifs de la plate-forme comptable de son département ne seraient pas réduits après la mise en œuvre de Chorus.

Certains ministères mentionnent même un besoin accru d’effectifs, au moins pendant les premières années de gestion.

Les ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur et de la recherche estiment que la complexité des autorisations d’engagement et l’absence de cette transaction dans les outils actuels conduiront inévitablement à un accroissement de la charge de travail liée au traitement de la dépense. C’est seulement dans une seconde étape, lorsque les potentialités de Chorus en termes de pilotage seront pleinement appréhendées par les agents et qu’ils auront une maîtrise suffisante dans l’outil, que des économies sur le temps passé à renseigner des tableaux de bord sur des outils spécifiques (Excel…) permettront un RSI positif. De ce point de vue, les années 2010 et 2011 risquent d’être très difficiles en raison de la conjonction entre l’apprentissage d’un nouvel outil et des suppressions significatives d’emplois. À l’opposé, certaines applications métier devraient permettre de réduire la charge de travail ; c’est notamment le cas de l’application pour la gestion des déplacements temporaires. Ces deux ministères estiment qu’« au-delà de la nécessaire absorption des économies d’emploi imposées par ailleurs (26), qu’il n’est pas réaliste de penser que des gains significatifs de productivité seront réalisés à court terme grâce à Chorus. (…) À moyen terme, l’efficacité de l’outil dépendra aussi des choix réalisés en termes d’assignation de la dépense (éviter des circuits complexes et supposant des transferts massifs de pièces justificatives) et de dématérialisation des pièces justificatives. »

Plusieurs ministères ont expliqué les difficultés qu’il y aurait à constituer les plates-formes de services partagés (ministérielles ou interministérielles, régionales ou interrégionales) en raison des déplacements de personnels (principalement de catégorie C). Certains ont mentionné les risques de sureffectifs temporaires, ainsi que les problèmes liés à la modification des statuts.

Les membres de la Mission ont eu l’impression que les ministères auditionnés semblaient répondre à leurs questions comme dans le cadre d’une discussion budgétaire. Les ministères ont indiqué qu’ils craignaient subir deux fois les réductions d’effectifs, l’une pour la RGPP et l’autre pour le déploiement de Chorus. Certains ministères pourraient être tentés de masquer le fait qu’ils espèrent bénéficier des réductions d’effectifs dues au déploiement de Chorus pour les réaffecter à d’autres tâches au sein de leur administration. Ils redoutent en outre que les réductions d’effectifs d’un ministère puissent bénéficier à un autre. Enfin les ministères ont sans doute raisonné à terme de deux ou trois ans. Or les hypothèses de RSI formulées par le rapport de suivi de la RGPP de juillet 2008 montrent des courbes en « U », avec les premières années une VAN négative (période d’adaptation à l’outil, formation…), et l’apparition de VAN positive au-delà de six ou huit ans (constitution des centres de services partagés, professionnalisation…) (27).

Au vu des nombreuses promesses non tenues et des déboires enregistrés depuis le début de Chorus, la Mission ne cache pas son scepticisme sur la fiabilité des engagements pris et des hypothèses formulées. Les responsables de Chorus devront convaincre par des actes et des résultats, plutôt que par des affirmations non confirmées par la réalité au fil du temps. La Mission ne cache pas son impatience et conclut qu’il faudra faire preuve d’une vigilance particulière pour suivre sur les dix ans de vie du projet Chorus la réalisation des conditions de RSI.

Recommandation n° 18 : Réactualiser et justifier, dans les projets et rapports annuels de performances du programme Stratégie des finances publiques et modernisation de l’État et pendant les dix premières années de vie du projet, les calculs en termes de retour sur investissement du projet Chorus (réductions d’effectifs réellement engendrées par la réorganisation des services financiers et comptables et abandon des applications ministérielles).

Recommandation n° 19 : Individualiser dans ces projets et rapports annuels de performances, ainsi que dans la programmation budgétaire pluriannuelle, les réductions d’effectifs induites dans différents ministères.

Le raisonnement pourra être étendu, le moment venu, à l’application SI Paye de l’ONP. Comme l’indiquait le 13 janvier dernier devant la commission des Finances M. Yves Buey, directeur des systèmes d’information du ministère du Budget, des perspectives de gains de productivité ont été identifiées dans les décisions prises dans le cadre de la RGPP en décembre 2007. Ces gains sont certes liés de façon mécanique à la mise en place d’un système d’information, mais aussi à de nouvelles organisations. Pour les gains mécaniques, l’ONP travaille en étroite relation avec les ministères à la mise en conformité des systèmes d’information des ressources humaines (SIRH), qui doit permettre d’effectuer un raccordement fluide des SIRH avec la paye. Des audits de modernisation réalisés à la fin de 2006 sur la gestion administrative de la paye ont permis d’identifier très précisément ces gains, avec la mise en place des centres de services partagés.

La Mission rappelle que Chorus met en œuvre des mécanismes d’intégration qui reposent sur des processus et traitements standardisés. Ces mécanismes reposent sur des automatismes qui, pour bien fonctionner, doivent être apparentés à des organisations et processus stables et homogènes.

La Cour des comptes avait rappelé la dépendance vis-à-vis de l’éditeur de Chorus (la société SAP) et l’impact en termes de coûts des changements de périmètres ministériels et de maquette budgétaire (missions, programmes, actions), de réorganisation des services déconcentrés de l’État, ou même en cas de décentralisation.

La Mission estime donc que les importantes réorganisations administratives qui ont été opérées ces derniers mois devront faire place à une période de consolidation. Les évolutions ultérieures devront être évaluées en prenant en compte leur coût en matière de système d’information. Seules celles présentant un avantage fort pourront être envisagées, comme par exemple l’évolution des plates-formes mutualisées de services partagés vers un service facturier organisé en service à compétence nationale. La maquette budgétaire (missions, programmes, actions) devra également être stabilisée, toute modification entraînant un coût d’adaptation des systèmes d’informations.

Recommandation n° 20 : Prendre en compte le coût d’adaptation des systèmes d’information dans les projets ultérieurs de réorganisation administrative et stabiliser autant que possible la maquette budgétaire.

IV.– CALENDRIER : LE DÉPLOIEMENT DE CHORUS DEVRA PERMETTRE UNE CERTIFICATION PAR LA COUR DES COMPTES SUR L’ENSEMBLE DE L’EXERCICE BUDGÉTAIRE 2011

Le ministre du Budget, M. Éric Woerth, avait officiellement reconnu devant la commission élargie du 7 novembre dernier que « Chorus, lui, a pris une année de retard et devrait être opérationnel vers 2011 ». Il reconnaissait également que les comptes 2011 seront les premiers à pouvoir être certifiés par la Cour des comptes avec Chorus. Le ministre a justifié ce choix le 13 janvier dernier devant la commission des Finances : « toutefois – soyons clairs –, je préfère repousser l’échéance d’un an et tirer tous les bénéfices d’un tel outil, notamment en matière de productivité, de qualité comptable et de réduction des délais de paiement de l’État, plutôt que de faire les choses à la va-vite, au risque de supporter des coûts bien supérieurs par la suite. »

Le nouvel objectif, certainement très optimiste, sur lequel s’engage le ministre du Budget est maintenant un déploiement complet avant la fin de l’année 2010, soit un retard d’un an. Il s’explique par le retard précédemment mentionné relatif aux arbitrages en matière de mutualisation des services de gestion budgétaire et comptable, et donc de réorganisation des administrations déconcentrées. Les décisions prises en 2007 et 2008 en matière de réforme de l’administration territoriale de l’État dans le cadre de RGPP ont également influé dans le même sens. L’absence de visibilité sur les organisations cibles a conduit les ministères dont le déploiement était initialement prévu en 2009 de le différer en 2010. Ce n’est donc au mieux qu’à partir de la sixième année après l’entrée en vigueur de la LOLF – et dix ans après son vote par le Parlement – que l’on disposera, peut-être, des outils informatiques adéquats. Les ministères et le Parlement attendent avec impatience le déploiement du système pour bénéficier enfin de tous les avantages de la LOLF pour la gestion publique. La Mission attache une importance particulière à la réussite de cette opération.

L’AIFE indique que le déploiement de Chorus s’effectue de façon échelonnée dans le temps, selon les ministères, pour éviter les risques inhérents au « big bang ». Il est vrai que l’étalement de fait du déploiement annihile tout risque en la matière, même virtuel…

Les travaux menés jusqu’à présent ont permis de déployer au 30 juin 2008 auprès de 100 utilisateurs (licences lourdes) une première version de Chorus (V1) sur un périmètre fonctionnel très réduit portant sur les subventions pour charges de service public et les dépenses de transfert gérées en administration centrale. Le déploiement de la vague de janvier 2009 (V2) a concerné près de 400 utilisateurs exploitant une version qui couvre un périmètre fonctionnel permettant de traiter toutes natures de dépenses et certaines recettes, d’effectuer des opérations de programmation et d’obtenir les premières restitutions via un infocentre. La gestion des immobilisations (V2 Chorus-RE) avec une reprise des données de gestion immobilière, opérationnelle depuis avril 2009, concerne plus de 1 000 utilisateurs. Le déploiement de la vague de juillet 2009 (V3) table sur une hypothèse de 2 000 utilisateurs, avec notamment le ministère de l’Éducation nationale. La V4 est prévue en janvier 2010, avec 11 000 utilisateurs supplémentaires, en particulier le basculement du ministère de la Défense (volumétrie importante et complexité certaine), des programmes pénitentiaire et judiciaire du ministère de la Justice, du reste de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur et de la recherche, les programmes support des ministères de l’Écologie et de l’Agriculture et le programme expérimental relatif aux préfectures. Il est prévu un déploiement sur 3 500 utilisateurs supplémentaires mi-2010 et les 10 000 utilisateurs restant début 2011.

L’AIFE indique que le calendrier est très contraint et que le pilotage du projet se fait maintenant par les délais, avec un programme de travail centré sur les priorités. Un déploiement ne peut intervenir que 18 mois après une décision d’arbitrage.

Les membres de la Mission ne peuvent donc que se féliciter de la proposition de M. Éric Woerth le 13 janvier dernier devant la commission des Finances d’instaurer un indicateur LOLF : « il me semble naturel que le Parlement puisse bénéficier de cette visibilité dans le cadre de la loi de finances. L’effort de transparence sera donc poursuivi. Ainsi, j’ai demandé à l’AIFE d’instaurer un indicateur supplémentaire retraçant l’avancement et le coût du projet Chorus ; il permettra de rendre compte de son déploiement dans les ministères, ainsi que de contrôler qu’il n’y aura pas de dérapage par rapport à la nouvelle échéance. »

Le projet est très ambitieux et présente des risques importants. Le ministère de l’Intérieur estime que certaines fonctionnalités avancées prévues en 2010 seront sûrement reportées. Ce ministère souligne la difficulté qu’il y aura à trouver sur le marché national, en janvier 2010 et janvier 2011, des ressources pour accompagner le changement. Sans ressources d’assistance les utilisateurs ne sauront utiliser correctement Chorus et il faudrait alors s’attendre à des retards de paiement très coûteux.

La Mission se fait l’écho des propos de plusieurs ministères pour souligner le caractère très tendu des délais permettant de respecter les échéances de déploiement de Chorus. Les ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur et de la recherche ont signalé que les arbitrages tardifs (spécification des interfaces avec les applications ministérielles, gestion des référentiels, gestion des tiers) font peser un risque sur le déploiement de juillet 2009. Ils insistent sur la complexité de la prise en main des outils Chorus et la nécessité de prévoir une période d’adaptation suffisante. Le ministère de la Justice souligne également le calendrier très serré, notamment en termes de formation pour les rectorats.

La Mission prend acte du fait que le ministre du Budget ait reconnu un retard d’environ une année. Elle souhaite maintenant que soit tenu l’engagement pris d’un déploiement complet dans l’ensemble des ministères avant le 31 décembre 2010, afin que la certification des comptes de l’année 2011 soit entièrement réalisée sous Chorus.

Recommandation n° 21 : S’assurer que sera tenu l’engagement pris d’un déploiement complet de Chorus dans l’ensemble des ministères avant le 31 décembre 2010, afin que la certification des comptes de l’année 2011 soit entièrement réalisée sous ce système d’information. Instaurer un indicateur LOLF supplémentaire dans le projet annuel de performances du programme Stratégie des finances publiques et modernisation de l’État retraçant l’avancement et le coût du projet Chorus.

CONCLUSION

En conclusion, la mise en œuvre du système d’information financière de l’État reste un point d’attention permanent pour la commission des Finances, qui considère qu’aujourd’hui la réussite du déploiement est une condition de réussite de la LOLF.

Les problèmes rencontrés par le passé ont entraîné un retard de plusieurs années. L’échéance du 1er janvier 2011 constitue un calendrier très tendu et à ce stade la réussite du projet n’est pas acquise.

L’objectif est une meilleure vision qualitative de la dépense publique. Certaines améliorations sont reportées dans un deuxième temps, comme la transformation de la comptabilité d’analyse des coûts (CAC) en véritable comptabilité analytique, l’intégration des opérateurs de l’État ou la mise en place d’un outil de gestion immobilière. La Mission souhaite que le niveau d’ambition ne soit pas réduit pour autant et estime utile le lancement d’expérimentations dès que possible.

La Mission exprime enfin des craintes. La mise en œuvre de Chorus ne peut ignorer le respect des règles fondamentales de la LOLF, sauf à en trahir l’esprit et la lettre.

Les économies attendues dans le schéma de retour sur investissement – RSI (réduction des effectifs, abandon des applications ministérielles) doivent faire l’objet d’un suivi rigoureux afin qu’elles se traduisent réellement. L’allocation des moyens financiers et humains (rôles des décideurs, gestion des ressources humaines, fongibilité des crédits) doit s’effectuer dans le cadre du dialogue normal de gestion, et le système d’information doit être neutre à cet égard. La phase de déploiement de Chorus ne doit pas constituer un moyen de régulation budgétaire occulte ; il en irait de l’acceptabilité du système dans son ensemble et du maintien du consensus politique sur la LOLF – plus solide sur son principe que sur sa mise en œuvre.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa séance du mercredi 8 juillet 2009 à 12 heures, la commission des Finances a procédé à l’examen des conclusions du présent rapport.

M. le président Didier Migaud. Mes chers collègues, nous allons maintenant examiner le rapport que la mission d’information sur la mise en œuvre de la LOLF, la MILOLF, a consacré aux systèmes d’information financière de l’État.

En effet, un système d’information efficace est une condition nécessaire à la sincérité des comptes publics et, plus généralement, à la mise en œuvre de la LOLF. C’est pourquoi la MILOLF s’intéresse tout particulièrement au nouveau système organisé autour de l’application Chorus.

Un premier rapport d’information a été publié en janvier dernier, à la suite de l’enquête demandée à la Cour des comptes sur le fondement de l’article 58 de la LOLF, enquête qui soulevait bon nombre de questions. La Cour des comptes a maintenu, dans son rapport de mai 2009 sur la certification des comptes, la réserve substantielle qu’elle avait émise sur les systèmes d’information financière et comptable de l’État.

La mission va maintenant nous rendre compte de la poursuite de ses travaux, ces six derniers mois, et de ses recommandations. Messieurs les rapporteurs, Michel Bouvard, Jean-Pierre Brard, Thierry Carcenac et Charles de Courson, vous avez la parole.

M. Michel Bouvard, Rapporteur. Mes chers collègues, je vous rappelle que nous avions présenté le rapport de la Cour des comptes il y a quelques mois avec le souhait de vérifier les observations formulées par la haute juridiction financière et la volonté d’approfondir certains points.

L’application Chorus doit remplacer une grande partie des quelque 600 applications ministérielles ou interministérielles financières, de métiers ou mixtes. Ainsi que l’a indiqué le Président Migaud, la Cour des comptes a maintenu, dans son rapport de mai 2009, la réserve qu’elle avait déjà formulée les deux années précédentes sur les systèmes d’information financière et comptable de l’État. La Mission a auditionné des représentants des ministères de l’Intérieur, de la Justice, de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la recherche ainsi que de la Défense, les représentants de la préfecture Rhône-Alpes et de la cour d’appel de Rouen, le directeur du Budget du ministère éponyme, le directeur de l’Agence pour l’informatique financière de l’État, l’AIFE, et la présidente du Comité d’orientation stratégique – COS – Chorus.

Trois sujets principaux ont retenu l’attention de la Mission : la gouvernance globale du projet, les fonctionnalités offertes par le nouveau système d’information, la maîtrise des coûts et le respect du calendrier de déploiement.

Quant à la gouvernance, le Gouvernement a tiré les conséquences de l’échec de l’application Accord 2, avec la mise en place d’instances de pilotage, l’AIFE et le COS. Cependant, nous avons pu constater que cette gouvernance n’a jamais totalement éclairci les compétences respectives du COS, de la direction générale de la Modernisation de l’État, la DGME, du ministre du Budget, du Premier ministre, voire du secrétariat général de l’Élysée dans le cadre des arbitrages de la révision générale des politiques publiques. Surtout, il est apparu que la gouvernance du projet est sans doute restée trop technique. En effet, les réunions du COS se sont souvent déroulées sans la présence des secrétaires généraux des ministères, avec une discussion entre « spécialistes » qui ne facilite pas la compréhension des enjeux. De fait, le pilotage s’est limité à des aspects très techniques, au détriment d’une gouvernance politique de plus long terme.

Par ailleurs, un arbitrage interministériel de 2007 a donné mandat à l’AIFE et au COS de travailler sur la base du consensus des ministères, ce qui a nécessité un travail long et pénible dans le rapprochement des points de vue et a retardé le recours à l’arbitrage politique.

L’un des enjeux du basculement dans Chorus est d’arriver à remplacer les applications ministérielles préexistantes. Or de réelles difficultés demeurent. Sur les 255 applications financières des ministères – hors applications du ministère du Budget – 78 seulement seront totalement remplacées par Chorus ; 11 seront remplacées partiellement ; 55 seront maintenues et interfacées ; 58 seront maintenues sans interface. Restent 53 applications ministérielles dont on ignore à l’heure actuelle le sort qui leur sera réservé. Or la maintenance des applications qui ne seront pas basculées dans Chorus ou le seront partiellement a un coût. Ainsi, le ministère de la Défense a évalué entre 100 000 et 200 000 euros le coût moyen annuel de la maintenance d’une interface. Aujourd’hui, nous sommes donc encore en attente d’évolutions quant au statut d’un certain nombre de ces applications ministérielles.

Je laisse à présent la parole à Charles de Courson sur la question des fonctionnalités et du retour sur investissement du projet Chorus.

M. Charles de Courson, Rapporteur. Je rappelle que le périmètre de Chorus a été structuré autour de trois niveaux de fonctionnalités. Les « fonctionnalités cœur », qui couvrent les attentes prioritaires de la LOLF, et sont utilisées par tous les ministères ; les « fonctionnalités avancées », qui permettent une amélioration de la productivité ou du pilotage de la gestion ; enfin les « fonctionnalités hors champs budgétaire et comptable », qui sont de la responsabilité des ministères.

À l’issue de ses travaux, la Mission a relevé six problématiques principales. Nous soulignons tout d’abord que la capacité de pilotage des gestionnaires doit être préservée. En effet, l’inquiétude demeure que Chorus soit un élément de recentralisation au profit notamment de la direction du Budget. Précisons que ce n’est pas tant l’outil en tant que tel qui est en cause que certaines pratiques.

En second lieu, la Mission a souhaité aborder la question des dépenses fiscales, dont l’intégration progressive au sein de Chorus constitue une priorité. Une telle intégration fait encore partie du « reste à faire ».

Le troisième point concerne la dématérialisation des procédures et la révision du règlement général sur la comptabilité publique de 1962. Ces réformes sont essentielles puisqu’elles doivent permettre une amélioration de la productivité des administrations financières et partant, des économies substantielles.

La Mission s’est également intéressée à la mise en place, à terme, d’une véritable comptabilité analytique. Le texte même de la LOLF ne prévoit pas la tenue d’une telle comptabilité. Il impose uniquement la tenue d’une comptabilité d’analyse des coûts – CAC. Certains ministères se sont d’ores et déjà dotés d’une comptabilité analytique. La Mission estime que la CAC devra un jour évoluer vers une comptabilité analytique.

Le cinquième point abordé par la Mission est relatif à la gestion immobilière. Nous n’en sommes qu’aux prémices de l’intégration de la gestion immobilière au sein de Chorus. À l’heure actuelle, nous ne disposons que d’une sorte de descriptif comptable de l’état du parc immobilier, et non d’un véritable outil de gestion. La commission des Finances a travaillé à des nombreuses reprises sur ce sujet, et la Mission souligne la nécessité pour Chorus d’intégrer pleinement la gestion immobilière de l’État.

Le sixième et dernier point, également soulevé par la Cour des comptes dans ses réserves, concerne l’intégration des opérateurs de l’État au sein de Chorus. Il conviendrait qu’à terme, à l’horizon de quelques années, l’on dispose d’un compte consolidé de l’ensemble des administrations. Ceci prendra du temps, les opérateurs étant des structures extrêmement diverses, mais il ne faut pas oublier que les subventions qui leur sont versées atteignent près de 28 milliards d’euros, le budget total de ces opérateurs étant supérieur à 40 milliards d’euros. Il est nécessaire d’avoir une vision consolidée des comptes de l’État et pour ce faire, il s’agit d’intégrer progressivement les opérateurs au sein de Chorus, en commençant par les plus importants d’entre eux, telles les Agences de l’eau, les universités ou les opérateurs du ministère de la Culture.

Tels sont les six axes d’enrichissement de Chorus. La Mission considère par ailleurs que le choix qui a été fait d’un système plus resserré peut être le gage de sa réussite. Les ambitions doivent être maintenues, mais leur mise en œuvre doit rester progressive. Quant aux coûts, la Mission rappelle dans son rapport que le montant des investissements nécessaires à Accord et à son adaptation à la LOLF – coûts relatifs à l’échec d’Accord 2 compris – ont représenté entre 450 et 470 millions d’euros.

Notre collègue Michel Bouvard l’a rappelé, concernant la gouvernance, il est heureux qu’une structure de pilotage ait été créée, même si l’on peut par ailleurs regretter que les secrétaires généraux des ministères ne se soient pas impliqués autant qu’il eût été nécessaire.

La fourchette initiale quant au financement de l’investissement dans Chorus, telle que calculée par l’Inspection générale des finances, s’échelonnait entre 419 et 566 millions d’euros. L’investissement atteint à l’heure actuelle 556,2 millions d’euros, soit le haut de la fourchette, ce montant ne prenant pas en compte les coûts supplémentaires correspondant à la satisfaction des demandes de la Mission exprimées au travers des six points précédemment exposés. Les coûts de maintenance annuels sont quant à eux évalués à 77 millions d’euros.

Notre interrogation est la suivante : la mise en place de Chorus va-t-elle permettre des économies ? Selon les différentes évaluations menées, le retour sur investissement devrait être positif seulement à partir de 2012 ou 2013. Ainsi, en 2005, 38 000 agents de l’État étaient nécessaires à l’utilisation des systèmes comptables. Début 2007, les effectifs étaient de 27 000 agents. L’objectif pour 2011-2012 est d’environ 14 000 agents, soit une diminution de moitié par rapport à 2007, du fait des efforts de rationalisation et d’intégration. Notre inquiétude est qu’à l’heure actuelle, et les auditions que la Mission a menées nous l’ont confirmé, les administrations font état d’effectifs stables. Ce point est donc à suivre de près et il s’agit de continuer à faire pression. Si, au bout de trois ans, aucune économie ne semble dégagée, il conviendra de procéder à d’autres auditions plus poussées.

M. Michel Bouvard, Rapporteur. En complément de ce que vient d’indiquer Charles de Courson, je précise qu’en sus du coût initial du projet – 556,2 millions d’euros – il faut ajouter 50 millions d’euros de coût de fonctionnement de l’AIFE et 80 millions d’euros de coût d’adaptation des applications ministérielles. Par suite, en rythme de croisière, les coûts de maintenance s’élèveront à 77 millions d’euros par an. Par ailleurs, quant à l’adaptation des applications existantes, le risque de dépendance vis-à-vis de la société SAP, éditrice de Chorus, a été souligné par la Cour des comptes et la Mission partage cette crainte.

Concernant le calendrier, le ministre du Budget, M. Éric Woerth, avait reconnu que Chorus a pris une année de retard et que celui-ci devrait donc être déployé dans tous les ministères avant le 1er janvier 2011, mais ce dispositif n’intègre pas ce qu’a précédemment rappelé Charles de Courson quant aux attentes qui sont les nôtres. Nous souhaitons donc que, sans attendre le basculement total prévu en 2011, nous puissions d’ores et déjà engager quelques expérimentations sur des sujets identifiés – construction d’une comptabilité analytique, intégration des opérateurs – afin que le dispositif soit in fine complet et réponde aux besoins tant des parlementaires que des ministres quant au pilotage de leur administration.

Enfin, dernier point, que Charles de Courson a abordé : la crainte d’une recentralisation. Il convient de rappeler la place qui doit être celle du dialogue de gestion au niveau des ministères et des responsables de programmes et de BOP. Celui-ci doit intégrer la gestion des ressources humaines et les problématiques relatives à la fongibilité des crédits. Le basculement dans Chorus ne doit pas être le prétexte à une régulation budgétaire occulte, inquiétude exprimée par plusieurs interlocuteurs de la Mission. Il ne faudrait pas que Chorus efface ce que le Parlement a souhaité au travers de la LOLF, à savoir une responsabilisation des acteurs qui passe par leur capacité à avoir un véritable dialogue de gestion. Ce rappel figure parmi les 21 recommandations de la Mission.

M. Thierry Carcenac, Rapporteur. Je partage ce que viennent d’exposer nos collègues. Il existe un vrai problème quant au suivi et au coût des systèmes d’information financière de l’État. Ainsi du projet Copernic, dont le coût originellement estimé à 900 millions d’euros a en fait atteint, selon la Cour des comptes, 1,8 milliard d’euros. Le coût total de Chorus devrait être d’1,1 milliard d’euros sur dix ans, dépenses de maintenance comprises. Il s’agit donc de projets colossaux. Or on n’a pas l’impression qu’il y ait une appréciation globale de ce que peut apporter l’informatique aux administrations. Ces projets restent gérés très verticalement et les arbitrages politiques font défaut. La dépendance à l’égard de quelques grandes sociétés constitue également un motif d’inquiétude. Concernant la gouvernance, il conviendrait que l’on ait une vision stratégique globale et non pas éclatée entre différents organismes et institutions, ce qui a produit retards et difficultés. Espérons que le calendrier soit tenu.

Quant au retour sur investissement – un montant actualisé net évalué entre 230 millions et 1 milliard d’euros d’économies est attendu – il serait nécessaire d’en préciser les composantes. Par ailleurs, les crédits relatifs aux différents projets informatiques restent dispersés entre plusieurs programmes budgétaires, empêchant toute vision complète.

M. Jean-Pierre Brard, Rapporteur. Il y a consensus entre nous. Je pense qu’en accompagnement du rapport de la MILOLF, il convient d’insister sur la vigilance que la commission des Finances exercera quant à l’aboutissement de Chorus. J’estime pour ma part que l’absence de compétence et de motivation politique explique les retards et les dérives. Il faut regagner la confiance en tenant le calendrier et éviter toute recentralisation par Bercy, ce qui serait totalement contraire à la logique de la LOLF. L’exigence de « non-régressivité » exprime la crainte que le nouveau système soit moins efficace que le précédent, et les déboires qui ont été rappelés donnent crédit à cette crainte.

M. François Goulard. À entendre nos collègues, je suis extrêmement pessimiste. En effet, les conditions de réussite de ce grand chantier informatique ne me paraissent pas réunies. Son pilotage est assuré, par intermittence semble-t-il, par des secrétaires généraux de ministères qui n’ont généralement jamais été confrontés au pilotage de projets d’une telle ampleur. En second lieu, il faut, en matière informatique, beaucoup de centralisation. La pire des choses est de faire droit aux demandes des utilisateurs. Ceci peut paraître paradoxal, mais si l’on considère que chaque ministère a des besoins spécifiques, rien ne marche, alors qu’en réalité les besoins informatiques sont les mêmes pour tous. Le maintien des applications ministérielles me laisse hélas croire que l’on s’achemine vers un nouvel échec.

M. Henri Emmanuelli. La question primordiale est la suivante : qui réalise le schéma préalable qui s’impose à tous ? Car des besoins particuliers et inconciliables aboutiront à une gabegie financière. J’ai souvenir de la mise en place du système Médoc de contrôle fiscal par la direction générale des Impôts. Celle-ci avait pris onze ans ! Il faut un schéma préétabli, avec des objectifs, et exiger des ministères qu’ils le respectent.

M. le président Didier Migaud. Au sein de l’AIFE, il y a des gens compétents pour traiter des questions informatiques. Le problème relève sans doute davantage du pilotage politique de ce projet à partir du moment où le ministre n’a pas toujours le temps et la disponibilité pour s’en occuper, ni son secrétaire général.

M. Jean Launay. Ce rapport est intéressant. À propos des dépenses fiscales, je suis d’accord pour dire qu’il y a des sujets qui n’ont pas été appréhendés. Je suis stupéfait par le fait que le crédit impôt recherche, malgré sa croissance, n’ait pas conduit à une analyse des gains engendrés par le dispositif, comme cela est mentionné dans le rapport, sans qu’il soit évident de déterminer quelle institution, de l’Insee ou du ministère du Budget, mènerait au mieux cette évaluation. Un autre point de détail, en tant qu’ancien comptable public, je n’ai pas de nostalgie pour le règlement général de la comptabilité publique – RGCP – de 1962. De plus, le principe de la séparation des ordonnateurs et des comptables est réaffirmé dans la LOLF, le dépassement de la notion de caisse est un objectif qui doit être acté, la hiérarchie des contrôles de la dépense et l’amélioration de l’efficience des contrôles ont déjà pu être mises en œuvre. Ainsi, je crois que la question sur ce point du RGCP porte sur l’analyse des centres des services partagés et des partenariats qui peuvent être encouragés. Ce point est détaillé aussi dans le paragraphe sur l’organisation des services déconcentrés de l’État, au sujet de laquelle est évoquée la mutualisation des services financier et comptable. Je ne sais pas si la mise en œuvre de ces services partagés est difficile à appliquer ou si elle fait l’objet d’une contestation.

La question de la gestion des effectifs se pose dans un contexte de mise en œuvre de la RGPP et des objectifs de diminution des effectifs. Nous pouvons nous demander si la règle du non remplacement d’un départ à la retraite sur deux sera appliquée également dans ces services. Toutefois, nous sommes tous d’accord sur le constat que c’est bien le pilotage global du système informatique financier de l’État qui est à améliorer.

M. le président Didier Migaud. Il y a des propositions très intéressantes dans ce rapport. Il faut que vous vous sentiez investis du droit de suite et nous vous en donnons la mission, et que vous nous rendiez des comptes sur les évolutions en cours. Votre mission n’est pas terminée. Nous alerterons le ministre à ce sujet avec le Rapporteur général Gilles Carrez, car il y a des réorientations à prendre à partir des observations de la MILOLF. Il faut poursuivre vos travaux dès le mois de septembre.

M. Jean-Pierre Brard, Rapporteur. Je suis d’accord avec la conclusion du Président et je propose que l’on inscrive au procès-verbal que la Commission a exprimé sa préoccupation et mandate la MILOLF pour exercer ce droit de suite.

M. Alain Claeys. L’efficacité du système suppose que l’on puisse avoir accès directement aux informations. C’est important et, a priori, au niveau du ministère du Budget, cet objectif ne pose pas de difficultés, pour que les responsables de BOP et les responsables de programme puissent avoir un accès aux données, puisque la transparence des données garantit le fait qu’il n’y ait pas de régulations occultes. Cependant, il faut bien noter qu’à l’heure actuelle, les rapporteurs spéciaux ne disposent pas d’un accès libre à l’ensemble de ces informations. Cette question n’a jamais été arbitrée.

M. le président Didier Migaud. Nous autorisons la publication de ce rapport. J’appelle l’attention de notre Commission sur le fait que, dans son rapport sur l’application de la loi fiscale, notre Rapporteur général a fait état d’un certain nombre d’observations sur le crédit impôt recherche. Nous proposons, avec Gilles Carrez, que les deux rapporteurs spéciaux, Alain Claeys et Jean-Pierre Gorges, puissent prolonger le premier travail du Rapporteur général pour voir exactement quelles sont les conséquences de l’augmentation de ce crédit impôt recherche.

M. le rapporteur général Gilles Carrez. Nous avons notamment observé une très forte concentration du crédit impôt recherche sur les activités bancaire et financière, ce qui est assez curieux.

M. Alain Claeys. C’est curieux en effet. Nous terminons justement une mission d’évaluation et de contrôle traitant des pôles de compétitivité. Or, un rapport de la Cour des comptes sur les pôles de compétitivité remet en question l’opportunité de ces structures compliquées, alors que le crédit impôt recherche leur semble un outil fabuleux !

M. le président Didier Migaud. Nous souhaitons que vous puissez faire un rapport d’information à ce sujet.

M. Jean-Pierre Brard, Rapporteur. Je souhaite que nos rapporteurs regardent également l’affaire des 25 millions d’euros de Renault qui semblent relever de l’arnaque.

*

* *

À la suite de ce débat, la Commission a autorisé la publication du présent rapport d’information.

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ANNEXE N° 1 :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

• Ministère de l’Intérieur (10 mars 2009)

– M. Christophe Mirmand, secrétaire général adjoint, directeur de la modernisation et de l’action territoriale

– M. Éric Jalon, directeur de l’évaluation de la performance et des affaires financières et immobilières

– Mme Catherine Ferrier, chef de la mission Chorus

• Ministère de la Justice (17 mars 2009)

– M. Mathieu Hérondart, secrétaire général adjoint

– M. Jean-Yves Hermoso, sous-directeur de la synthèse budgétaire et comptable

– M. Francis Maille, chef de la mission Chorus

• Ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur et de la recherche (7 avril 2009)

– M. Pierre-Yves Duwoye, secrétaire général

– Michel Dellacasagrande, directeur des affaires financières

– Mme Corinne Pasquay, département des systèmes d'information budgétaires et financiers, direction des affaires financières

• Ministère de la Défense (28 avril 2009)

– M. Christian Piotre, secrétaire général de l’administration

– M. Hugues Bied-Charreton, directeur des affaires financières

– M. Serge Feynerou, adjoint du directeur des affaires financières

• Préfecture régionale Rhône-Alpes (5 mai 2009)

– M. Marc Challéat, Secrétaire général aux affaires régionales (SGAR)

• Cour d’appel de Rouen (5 mai 2009)

– M. Hubert Dalle, Premier président

– M. Philippe Ingall-Montagnier, Procureur général

• Ministère du Budget (6 mai 2009)

– M. Philippe Josse, directeur du Budget

– M. Laurent Garnier, sous-directeur à la direction du Budget

• Comité d’orientation stratégique Chorus et Agence pour l’informatique financière de l’État (12 mai 2009)

– Mme Danièle Lajoumard, Inspectrice générale des finances, présidente du comité d’orientation stratégique (COS) Chorus

– M. Jacques Marzin, directeur de l’Agence pour l’informatique financière de l’État (AIFE).

ANNEXE N° 2 : HYPOTHÈSES DE RETOUR SUR INVESTISSEMENT DU PROJET CHORUS

Source : Rapport de suivi de la RGPP du 18 juillet 2008

ANNEXE N° 3 :
TRAVAUX PARLEMENTAIRES SUR LA MISE EN
œUVRE DE LA LOLF

• Rapports de la mission d’information de la commission des Finances de l’Assemblée nationale sur la mise en œuvre de la LOLF (« MILOLF »)

– Rapport d’information (n° 1021) déposé le 10 juillet 2003 par MM. Michel Bouvard, Didier Migaud, Charles de Courson et Jean-Pierre Brard et intitulé « La réforme du budget de l’État : des conditions pour réussir – rapport d’étape de la mission d’information sur la mise en œuvre de la LOLF ».

– Rapport d’information (n° 1554) déposé le 28 avril 2004 par MM. Michel Bouvard, Didier Migaud, Charles de Courson et Jean-Pierre Brard et intitulé « Une nouvelle architecture du budget de l’État pour une plus grande efficacité de l’action publique – propositions de la mission d’information sur la mise en œuvre de la LOLF ».

– Rapport d’information (n° 2161) déposé le 16 mars 2005 par MM. Michel Bouvard, Didier Migaud, Charles de Courson et Jean-Pierre Brard intitulé « Des dispositifs de performance encourageants mais perfectibles – propositions de la mission d’information sur la mise en œuvre de la LOLF ».

– Rapport d’information (n° 3165) déposé le 15 juin 2006 par MM. Michel Bouvard, Didier Migaud, Charles de Courson et Jean-Pierre Brard intitulé « Du débat parlementaire aux services déconcentrés de l’État : les conditions de réussite de la LOLF ».

– Rapport d’information (n° 1058) déposé le 16 juillet 2008 par MM. Michel Bouvard, Thierry Carcenac, Charles de Courson et Jean-Pierre Brard intitulé « Les acteurs de la LOLF : autonomie, responsabilité et contrôle des services déconcentrés de l’État et des opérateurs de l’État ».

– Rapport d’information (n° 1378) déposé le 13 janvier 2009 par MM. Michel Bouvard, Thierry Carcenac, Charles de Courson et Jean-Pierre Brard intitulé « Le système d’information financière de l’État : une condition de réussite de la LOLF, toujours en attente ».

• Rapport d’information de la commission des Finances de l’Assemblée nationale

– Rapport d’information (n° 1780) déposé le 24 juin 2009 par MM. Didier Migaud et Gilles Carrez et intitulé « La performance dans le budget de l’État ». Ce rapport comporte également les contributions des rapporteurs spéciaux et une présentation générale par la mission d’information sur la mise en œuvre de la LOLF (« MILOLF »).

• Rapports au Gouvernement de parlementaires en mission

– Rapport au Gouvernement déposé en septembre 2005 par M. Alain Lambert, sénateur, et M. Didier Migaud, député, et intitulé « La mise en œuvre de la LOLF : réussir la LOLF, clé d’une gestion publique responsable et efficace ».

– Rapport au Gouvernement déposé en octobre 2006 par M. Alain Lambert, sénateur, et M. Didier Migaud, député, et intitulé « La mise en œuvre de la LOLF : à l’épreuve de la pratique, insuffler une nouvelle dynamique à la réforme ».

1 () Parfois abrégée en « MILOLF », ci-après désignée la « Mission ».

2 () Voir annexe n° 3 et http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rap-info/i1376.pdf .

3 () Voir annexe n° 3 et http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rap-info/i1058.pdf .

4 () Voir annexe n° 3 et http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rap-info/i1780.pdf

5 () « Urbaniser » consiste à définir un plan d'ensemble dans lequel s’insèrent les applications ministérielles qui subsisteront après Chorus.

6 () À ce propos, l’AIFE estime qu’il ne revient pas à Chorus de gérer les habilitations.

7 () Sur ce point précis l’AIFE répond qu’il s’agit seulement d’un problème d’adaptation à l’outil, les utilisateurs raisonnant encore comme s’ils utilisaient INDIA , l’infocentre d’ACCORD LOLF. En outre les restitutions sont paramétrables, et il faudra voir avec l’usage.

8 () L’AIFE précise que Chorus ne gère que les euros et les ETPT.

9 () Elles seront connectées une fois par an à Chorus pour un échange de données.

10 () Projets annuels de performances.

11 () Rapports annuels de performances.

12 () Budgets opérationnels de programme.

13 () Unités opérationnelles.

14 () Direction générale de la Modernisation de l’État.

15 () Voir également le rapport d’information (n° 1780) présenté le 24 juin 2009 par MM. Didier Migaud et Gilles Carrez et intitulé « Trois ans de performance dans le budget de l’État ».

16 () Arrêté du 4 juin 2009.

17 () Encyclopaedia Universalis.

18 () Real Estate.

19 () Audit de modernisation sur les procédures budgétaires et comptables et les perspectives de retour sur investissement du projet chorus – novembre 2006 – http://www.audits.performance-publique.gouv.fr/bib_res/221.pdf

20 () Mission Gestion des finances publiques et des ressources humaines.

21 () Les rapports du comité de suivi de la RGPP indiquaient, quant à eux, un coût d’environ 100 millions d’euros par année de retard.

22 () Estimation calculée par la Cour des comptes fin 2006, qui arrête le coût prévisionnel de l’ensemble du programme Copernic à 1,8 milliard d’euros en coûts complets, soit deux fois le montant prévisionnel initialement indiqué en 2003 (0,9 milliard d’euros). Voir le rapport spécial (n° 1198 annexe 23) présenté par M. Thierry Carcenac sur le projet de loi de finances pour 2009, pages 33 et suivantes.

http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/budget/plf2009/b1198-a23.pdf

23 () La valeur actuelle nette (VAN) est le résultat d’un calcul totalisant l’ensemble des coûts du projet diminués des économies générées par l’investissement initial.

24 () Ce ministère jouit actuellement de la meilleure productivité de ses services financiers et comptables (nombre d’actes par agent). Un élément d’explication peut résider dans le fait que ce ministère devra effectuer dans Chorus un certain nombre d’actes qui ne sont pas actuellement remplis (engagements juridiques, services faits…).

25 () Les réorganisations entreprises dans le cadre de la RGPP devraient entraîner une réduction de 2 000 ETPT à horizon 2010.

26 () En application de la règle de non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, 600 ETPT devraient être supprimé entre 2009 et 2011 (100 dans les services centraux et 500 dans les rectorats).

27 () Annexe n° 2.


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