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N° 4221

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 janvier 2012.

RAPPORT D’INFORMATION

déposé

par le COMITÉ D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE
DES POLITIQUES PUBLIQUES
sur l’évaluation de la politique de l’hébergement d’urgence

et présenté

PAR Mme Danièle HOFFMAN-RISPAL et M. Arnaud RICHARD

Députés.

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INTRODUCTION 9

SYNTHÈSE 13

PROPOSITIONS DES RAPPORTEURS 17

PREMIÈRE PARTIE : PRINCIPAUX CONSTATS CONCERNANT LA « REFONDATION » DE LA POLITIQUE D’HÉBERGEMENT ET D’ACCÈS AU LOGEMENT DES PERSONNES SANS DOMICILE OU MAL LOGÉES 19

I.– UN DISPOSITIF D’HÉBERGEMENT QUI DEMEURE QUANTITATIVEMENT SOUS-DIMENSIONNÉ MALGRÉ DES EFFORTS SUBSTANTIELS DANS LA PÉRIODE RÉCENTE 19

A.– L’AUGMENTATION RÉCENTE DES CAPACITÉS NATIONALES D’HÉBERGEMENT ET EN LOGEMENTS ADAPTÉS 19

1.– Les capacités d’accueil ont sensiblement augmenté sur la période 2004-2010 19

2.– La hausse des capacités a notamment concerné l’urgence alors qu’elle devait avant tout concerner le logement adapté 20

3.– La qualité de certains centres d’hébergement a été améliorée grâce au Plan de relance de l’économie 21

4.– L’augmentation des capacités a été rendue possible grâce à un effort budgétaire substantiel au titre du budget de l’État 21

B.– L’AUGMENTATION DU NOMBRE DES PERSONNES SANS DOMICILE 22

1.– Le nombre des personnes sans domicile a peut-être doublé au cours des années 2000, maintenant un sous-dimensionnement important de l’offre 22

2.– Les informations statistiques disponibles, très lacunaires, ne permettent pas de quantifier et qualifier précisément ce sous-dimensionnement 23

II.– UNE GOUVERNANCE COMPLEXE POUR UN DISPOSITIF QUI MOBILISE LES NIVEAUX CENTRAL ET DÉCONCENTRÉS DE L’ÉTAT, AINSI QUE LES OPÉRATEURS ASSOCIATIFS 25

A.– DEUX DIRECTIONS D’ADMINISTRATION CENTRALE ET UNE DÉLÉGATION INTERMINISTÉRIELLE SONT COMPÉTENTES AU NIVEAU NATIONAL 25

1.– Les attributions respectives de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), de la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) et de la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées (Dihal) 25

2.– Les limites du modèle actuel d’organisation administrative au niveau central 26

B.– L’ORGANISATION DÉCONCENTRÉE, TOUT AUSSI COMPLEXE, A SUBI UNE RÉORGANISATION EN PROFONDEUR AU MOMENT DU LANCEMENT DE LA REFONDATION 26

1.– La dissociation, par la réforme de l’administration territoriale (Réate), des volets « cohésion sociale » et « logement » de la politique nationale d’hébergement, sauf en Île-de-France 26

2.– Des constats d’inquiétude quant à l’affaiblissement des capacités et de l’autorité des services déconcentrés de l’État 27

III.– UNE REFONDATION DE LA POLITIQUE D’HÉBERGEMENT ET D’ACCÈS AU LOGEMENT QUI S’APPUIE SUR PLUSIEURS MAILLONS DONT LES ÉTATS D’AVANCEMENT SONT CONTRASTÉS 29

A.– MIEUX PRÉVENIR LES EXPULSIONS LOCATIVES : DES DISPOSITIFS NOMBREUX DONT L’EFFICACITÉ D’ENSEMBLE DEMEURE INCERTAINE 30

1.– L’enjeu important des impayés de loyer dans la problématique de la mise à la rue 30

2.– La difficulté à juger de l’efficacité des nombreuses mesures et dispositifs ayant pour objet d’éviter la mise à la rue des ménages en situation d’impayés de loyers 31

B.– RÉFORMER LA VEILLE SOCIALE : UNE INSTALLATION « MAL CONDUITE »  DES SIAO 33

1.– Une réforme fondamentale pour la régulation de l’offre et de la demande d’hébergement d’urgence et d’orientation 33

2.– Un portage insuffisamment collectif des SIAO 33

3.– Une tendance au fractionnement des SIAO 34

4.– Une réforme soutenue par les représentants des opérateurs associatifs qui s’inquiètent toutefois du manque d’implication de l’État dans sa mise en œuvre 35

C.– PLANIFIER L’ADAPTATION DE L’OFFRE À LA DEMANDE : LES DOCUMENTS DÉPARTEMENTAUX DE RÉFÉRENCE 35

1.– Le questionnement sur la mise en place effective des plans départementaux accueil, hébergement, insertion (PDAHI) 35

2.– Un enjeu crucial en préalable de la démarche de contractualisation avec les opérateurs associatifs 36

D.– CONNAÎTRE L’ACTIVITÉ DES OPÉRATEURS ASSOCIATIFS POUR OUVRIR LA VOIE DE LA CONTRACTUALISATION : LA MISE EN PLACE D’UN RÉFÉRENTIEL NATIONAL DES COÛTS 37

1.– La mise en place du référentiel des coûts n’est pas achevée 37

2.– La contractualisation demeure à négocier et à conclure 38

E.– AUGMENTER L’OFFRE DE LOGEMENTS ADAPTÉS ET DE DROIT COMMUN EN FAVEUR DES PERSONNES SANS DOMICILE 39

1.– Une appréciation relativement convergente du nombre des personnes hébergées susceptibles d’intégrer un logement 39

2.– Un effort important des pouvoirs publics pour augmenter l’offre de logements qui toutefois ne permet pas de mesurer à ce stade un flux nouveau de sortie au titre du « logement d’abord » 40

IV.– QUEL BILAN DE LA REFONDATION À CE STADE, QUELLES PERSPECTIVES POUR LA MENER À BIEN ? 42

A.– UN CONSTAT GÉNÉRAL D’INSUFFISANCE DES RÉSULTATS AU TITRE DE LA REFONDATION 42

B.– DES QUESTIONS NOUVELLES SUR L’ÉTAT ET L’ÉVOLUTION DU MONDE ASSOCIATIF 42

1.– Quelle structure du monde associatif au service d’une prise en charge efficace des personnes sans domicile ? 42

2.– Quels changements pour le travail social dans le cadre de la refondation ? 44

a) Une orientation des travailleurs sociaux des CHRS vers l’accompagnement social « hors les murs » ? 44

b) Quelles formations par rapport au sans-abrisme, notamment pour les travailleurs sociaux des opérateurs associatifs ? 44

c) Quel rôle pour les « référents personnels » prévus initialement dans le cadre de la refondation ? 45

C.– LA REFONDATION AU RISQUE DE L’ISOLEMENT ET DE LA « FILIÉRISATION » DE LA PRISE EN CHARGE DES PERSONNES SANS DOMICILE ? 46

DEUXIÈME PARTIE : LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET LA PRISE EN CHARGE DES PERSONNES SANS DOMICILE : QUELLE ACTION DÉCENTRALISÉE, QUELLE COOPÉRATION AVEC L’ÉTAT ? 47

I. – MALGRÉ CERTAINS ARGUMENTS PLAIDANT POUR LE REGROUPEMENT DE TOUTES LES POLITIQUES D’AIDE SOCIALE AU NIVEAU DÉPARTEMENTAL, LA DÉCENTRALISATION DE LA POLITIQUE D’HÉBERGEMENT N’EST PAS SOUHAITABLE EN L’ÉTAT 49

A.– L’EXERCICE DES COMPÉTENCES RESPECTIVES DE L’ÉTAT ET DES CONSEILS GÉNÉRAUX EST SOURCE DE COMPLEXITÉ 49

1. La prise en charge des femmes enceintes et des mères isolées d’enfants de moins de trois ans est institutionnellement complexe 49

2. Certains conseils généraux déclarent ne pas être opposés au principe d’un bloc de compétences décentralisées pour toute l’aide sociale, y compris l’hébergement 53

B. – LA DÉCENTRALISATION DE LA POLITIQUE D’HÉBERGEMENT ET D’ACCÈS AU LOGEMENT DES PERSONNES SANS DOMICILE OU MAL LOGÉES APPARAÎT CEPENDANT INOPPORTUNE À CE STADE 54

1. Une difficile évaluation des moyens à transférer aux départements dans l’hypothèse de la décentralisation 54

2. Une politique publique qui présente des dimensions nationales 55

II. – LA RÉUSSITE DE LA REFONDATION IMPLIQUE UNE COOPÉRATION ACCRUE ENTRE L’ÉTAT ET LES DÉPARTEMENTS 59

A. – LA PARTICIPATION RÉELLE, MAIS NON QUANTIFIABLE, DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES AU FINANCEMENT ET À LA MISE EN œUVRE DE LA COMPÉTENCE DE L’ÉTAT 60

1.– La participation des départements et communes aux dispositifs relevant de la compétence de l’État 60

2.– La participation des départements en complément de l’exercice de leurs compétences propres 62

3.– La contribution réelle, mais mal connue, des collectivités territoriales à la politique de l’hébergement d’urgence 62

B.– LA PARTICIPATION INÉGALE DES CONSEILS GÉNÉRAUX AUX DISPOSITIFS QUI CONSTITUENT LA REFONDATION 63

1.– L’installation et le fonctionnement des Ccapex 63

2.– L’élaboration des PDAHI et leur intégration dans les PDALPD 65

3.– La participation aux SIAO 67

C.– UNE COORDINATION POUR LES JEUNES MAJEURS PRIS EN CHARGE DURANT LEUR MINORITÉ PAR L’AIDE SOCIALE À L’ENFANCE (ASE) QUI DOIT ÊTRE AMÉLIORÉE 67

1.– L’Ase prend en charge des jeunes dont les difficultés semblent croissantes 69

a) Un plus grand nombre de jeunes aux profils très difficiles 69

b) Des réponses institutionnelles insuffisantes en regard de l’évolution des profils des jeunes pris en charge 70

c) La problématique croissante dans certains départements des mineurs isolés étrangers (MIE) 71

2.– Une part des jeunes majeurs pris en charge par l’Ase durant leur minorité ont recours à l’hébergement d’urgence 72

a) Une hypothèse qui, sans être quantifiée, s’appuie sur de nombreux témoignages et observations 72

b) Une prise en charge de jeunes majeurs par les conseils généraux contribuant à empêcher ou repousser la rupture de l’aide sociale 74

CONCLUSIONS DE L’ÉVALUATION 77

Évaluer le déficit du nombre des places d’hébergement au regard du nombre des personnes sans domicile et relever le nombre de ces places dans les zones tendues par la pérennisation des places hivernales 77

Renforcer les outils de prévention des mises à la rue dans le cas d’impayés de loyer et étudier les coûts publics comparés d’un maintien dans le logement et d’une mise à l’abri au titre de l’hébergement d’urgence 78

Raccourcir le délai de traitement des demandes d’asile et organiser des études et un débat public sur les conditions d’accueil et de séjour sur le territoire français des étrangers en situation irrégulière 79

S’interroger sur la présence dans les dispositifs d’hébergement d’urgence et d’insertion de personnes bénéficiant ou qui devraient bénéficier d’une prise en charge sanitaire ou au titre d’un dispositif d’aide sociale spécifique 81

Mener à son terme la refondation de la politique d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans-abri ou mal logées 82

Gouvernance nationale de la refondation : attribuer les compétences correspondantes à une seule direction d’administration centrale 83

Gouvernance nationale de la refondation : stabiliser les structures administratives issues de la réforme de l’administration territoriale 84

Renforcer la capacité d’innovation et de réactivité du tissu associatif pour mettre en œuvre la refondation et créer des lieux de dialogue sur l’évolution de ce tissu au regard de la mise en place d’un service public 85

Renforcer la coopération entre l’État et les départements en matière de prise en charge des personnes sans domicile sans décentralisation de la compétence 86

Installer dans chaque département un SIAO unique et fondé sur la coopération des opérateurs, mettre en place les PDAHI, achever le référentiel national des coûts et procéder à la contractualisation 89

Augmenter les facultés de sortie vers le logement dans le cadre du « logement d’abord » (logements sociaux, intermédiation locative, maisons relais) et créer des équipes de travailleurs sociaux pour l’accompagnement social dans le logement 91

Conclusion : relever le niveau de priorité collective accordée aux personnes sans domicile et sans abri, notamment en prévoyant une loi de programmation et d’orientation pluriannuelle accompagnant la mise en œuvre de la refondation 93

RÉUNION DU CEC DU 7 AVRIL 2011 : POINT D’ÉTAPE SUR LE DÉROULEMENT DE LA MISSION 95

RÉUNION DU CEC DU 15 DÉCEMBRE 2011 : AUDITION DE M. DIDIER MIGAUD, PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR DES COMPTES, PRÉSENTANT LE RAPPORT DE LA COUR SUR LA POLITIQUE D’HÉBERGEMENT DES PERSONNES SANS DOMICILE 101

RÉUNION DU CEC DU 26 JANVIER 2012 : EXAMEN DU PROJET DE RAPPORT D’INFORMATION 120

ANNEXE 1 : TABLE RONDE RÉUNISSANT DES REPRÉSENTANTS DES PERSONNES ACCUEILLIES, DE FÉDÉRATIONS D'ASSOCIATIONS ET D'ASSOCIATIONS D'AIDE AUX PERSONNES SANS-DOMICILE 129

ANNEXE 2 : AUDITION DE M. BENOIST APPARU, SECRÉTAIRE D’ÉTAT AUPRÈS DE LA MINISTRE DE L'ÉCOLOGIE, DU DÉVELOPPEMENT DURABLE, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT, CHARGÉ DU LOGEMENT 154

ANNEXE 3 : AVIS DU SECRÉTAIRE D’ÉTAT CHARGÉ DU LOGEMENT SUR LE RAPPORT REMIS PAR LA COUR DES COMPTES AU CEC 166

ANNEXE 4 : « CHOSES VUES » LORS DES DÉPLACEMENTS ET VISITES DES RAPPORTEURS 177

ANNEXE 5 : QUESTIONNAIRE ADRESSÉ PAR LES RAPPORTEURS À 30 CONSEILS GÉNÉRAUX 193

ANNEXE 6 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES ET AUTRES TRAVAUX DU GROUPE DE TRAVAIL 199

ANNEXE 7 : RAPPORT D’ÉVALUATION DE LA COUR DES COMPTES : LA POLITIQUE PUBLIQUE DE L’HÉBERGEMENT DES PERSONNES SANS DOMICILE 201

Le rapport est accessible dans une version « pdf » grâce au lien suivant : http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rap-info/i4221.pdf

INTRODUCTION

À l’initiative du groupe UMP, et en application des dispositions de l’alinéa 2 de l’article 146-3 du Règlement de l’Assemblée nationale, le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale (CEC) a inscrit à son programme de travail pour la session 2010-2011 l’évaluation de la politique d’hébergement d’urgence.

Conformément aux dispositions de l’alinéa 3 de l’article 146-3 du Règlement, deux commissions permanentes de l’Assemblée nationale – la commission des affaires économiques et la commission des affaires sociales – ont désigné des binômes de membres, issus respectivement de la majorité et de l’opposition, pour participer aux travaux à mener. Ces membres sont les suivants :

– Affaires économiques : MM. Michel Piron (UMP) et Jean-Yves Le Bouillonnec (SRC) ;

– Affaires sociales : M. Arnaud Richard (UMP) et Mme Danièle Hoffman-Rispal (SRC).

Parmi ces quatre députés, le 28 octobre 2010, le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale (CEC) a désigné deux rapporteurs, Mme Danièle Hoffman-Rispal pour l’opposition et M. Arnaud Richard pour la majorité.

*

* *

Pendant plus de douze mois de travail en commun – et conformément aux orientations qu’ils avaient présentés devant le CEC lors de sa réunion du 7 avril 2011 dans le cadre d’un point d’étape – les rapporteurs se sont attachés à varier les modalités d’évaluation de l’hébergement d’urgence, sujet qui s’est révélé d’emblée indissociable des problématiques relatives à la veille sociale, à l’hébergement d’insertion et à l’accès au logement.

Les rapporteurs ont pu, avec l’autorisation du CEC et le soutien du Président Bernard Accoyer, bénéficier de l’appui de la Cour des comptes, en application de l’article 47-2 de la Constitution (qui dispose qu’elle « assiste le Parlement […] dans l’évaluation des politiques publiques »), et par anticipation, dès le mois de décembre 2010, de la mise en œuvre de l’article L. 132-5 du code des juridictions financières dans sa rédaction issue de la loi du 3 février 2011 tendant à renforcer les moyens du Parlement en matière de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques.

Les rapporteurs tiennent à remercier M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, et Mme Anne Froment-Meurice, présidente de sa cinquième chambre d’avoir permis cette assistance, dans le respect des principes fondamentaux qui contribuent à la qualité du travail de la Cour – en particulier la collégialité et la contradiction –, et ce dès le début de notre mission il y plus d’un an, en ajoutant pour ce faire notre sujet au programme de travail de la Cour.

Les rapporteurs remercient chaleureusement les membres de l’équipe de la Cour qui ont plus particulièrement contribué à la réalisation de son rapport (publié en annexe au présent rapport) : Mme Évelyne Ratte, conseillère-maître et rapporteure, M. Michel Davy de Virville, conseiller-maître et contre-rapporteur, Mme Marie Pittet, conseillère-maître et rapporteure, Mme Marie-Christine Butel, rapporteure, Mme Isabelle Gandin, rapporteur et Mme Fanny Dabard, stagiaire.

Au demeurant, loin de se borner à la livraison d’un rapport – qui constitue désormais, pour toutes les parties prenantes intéressées par le sujet, une référence incontournable de travail – la collaboration avec la Cour des comptes a consisté en échanges réguliers et approfondis avec les membres de cette équipe, à l’occasion de déplacements sur le terrain et dans le cadre de diverses auditions. Ces échanges ont nourri, tout au long de l’année 2011, la réflexion menée sur notre sujet dans nos institutions respectives.

Dans le contexte d’une démarche évaluative, la Cour des comptes s’est dotée d’un comité de pilotage pour mener son étude. En tant que membres de ce comité, les rapporteurs ont pu suivre l’avancée des travaux de la Cour – notamment la réalisation de deux enquêtes auprès respectivement de personnes accueillies dans les structures d’hébergement et de logement adapté et de travailleurs sociaux opérant dans ces structures  –  et bénéficier des réflexions des personnalités qualifiées qui en étaient membres. Lors des réunions de ce comité, nous avons informé ses membres de l’avancée de nos propres travaux et leur avons présenté nos impressions et nos réflexions à l’issue de certains de nos déplacements.

Les rapporteurs ont souhaité en tout état de cause nourrir leur propre réflexion, à la fin de l’année 2010 et au cours du premier semestre de l’année 2011, par des auditions à la fois des principaux responsables administratifs de la politique d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées et de personnalités qualifiées (notamment membres des conseils, comités et observatoires chargés en la matière de contribuer à la connaissance et à la réflexion des pouvoirs publics).

Ce programme d’auditions a été complété, suite à la présentation de son rapport par la Cour des comptes devant le CEC le 15 décembre 2011, par une table ronde réunissant – outre un représentant du Conseil consultatif des personnes accueillies (CCPA) – plusieurs représentants d’associations et de fédérations d’associations parmi les plus impliquées et représentatives sur le sujet de l’hébergement et du logement adapté, ainsi que par l’audition de M. Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement auprès de la ministre de l’Écologie, du développement durable, des transports et du logement. M. Benoist Apparu nous a par ailleurs fait parvenir le 24 janvier 2011 un avis sur le rapport de la Cour des comptes, publié en annexe au présent rapport.

Pour compléter le travail de la Cour des comptes axé sur la politique mise en œuvre par l’État en matière d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans abri ou mal logées, les rapporteurs ont pris l’initiative d’adresser un questionnaire à 30 départements à la fois représentatifs au regard de la taille de leur population et de la diversité de leurs territoires ruraux et urbains, et parmi les plus concernés sur leur territoire respectif par nos problématiques ; en orientant notamment les questions sur la coopération entre les départements et l’État sur certains dispositifs attachés à ces sujets, ainsi que sur le principe et les modalités de la décentralisation en matière d’aide sociale (dans le contexte où la mise à l’abri des personnes sans domicile constitue la seule aide sociale demeurant de la compétence de l’État).

Les rapporteurs tiennent à remercier les 21 départements qui ont bien voulu répondre à cette sollicitation, alors que le questionnaire présentait la difficulté de comporter des questions à la fois techniques et de principe. L’étude concernant les collectivités territoriales a été complétée par plusieurs auditions, dont celle de représentants de l’Assemblée des départements de France (ADF), que les rapporteurs remercient d’avoir bien voulu accepter d’être consultée sur le contenu du questionnaire – évoqué ci-dessus – adressé aux départements et sur la liste des départements destinataires.

Les rapporteurs ont souhaité, autant que faire se pouvait, se rendre sur le terrain dans des structures d’hébergement et de logement adapté, pour y échanger avec les personnes accueillies, les travailleurs sociaux et leurs responsables opérationnels : le 25 janvier 2011 au centre d’accueil et de soins hospitaliers (Cash) de Nanterre, le 30 mai 2011 dans plusieurs établissements et associations à Paris, le 15 décembre 2011 en accompagnement d’une « maraude » organisée par les services de la ville de Paris et le 19 décembre 2011 dans plusieurs établissements et associations dans le département des Yvelines. Par ailleurs, les rapporteurs ont souhaité privilégier ces rencontres et échanges sur le terrain lors de leurs déplacements dans le Rhône (13 et 14 avril 2011), en Loire-Atlantique (29 et 30 juin 2011) et à Londres (13 et 14 septembre 2011), en plus de contacts plus institutionnels avec les élus locaux et services administratifs déconcentrés.

Enfin, les rapporteurs notent que lors de son audition par le groupe de travail le 17 janvier 2012, M. Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement, a salué le travail de la Cour des comptes et a d’ores et déjà indiqué que celui-ci contribuera, avec celui des rapporteurs, aux travaux à venir pour poursuivre la réforme de la politique d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans abri ou mal logées : « notre intention est de tirer profit [du] travail [de la Cour des comptes] et d’appliquer l’ensemble des recommandations contenues dans le rapport. Dès le mois de février – à ce moment, votre propre rapport sera publié –, je rencontrerai les représentants du secteur associatif, afin de déterminer avec eux, en nous fondant sur le document de la Cour et sur celui de l’Assemblée nationale, ce qu’il est possible de faire pour accélérer l’application de la réforme. »

*

* *

Le présent rapport s’attache à présenter :

– les principaux constats concernant la « refondation » en cours de la politique publique de l’État en matière d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées (première partie) ;

– les problématiques relatives à l’action décentralisée des collectivités territoriales concernant la prise en charge des personnes sans domicile (deuxième partie) ;

– les conclusions de l’évaluation conduite par les rapporteurs et leurs propositions.

SYNTHÈSE

On ne peut éluder le fait que des dizaines de milliers de personnes dorment chaque nuit à la rue dans notre pays. À l’issue de nos travaux, et sur le fondement des travaux de la Cour des comptes réalisés à la demande du CEC, nous considérons que le déficit du nombre des places d’hébergement au regard du nombre des personnes sans domicile (80 000 places pour environ 150 000 personnes sans domicile) implique l’ouverture d’un certain nombre de places nouvelles dans les zones tendues.

Ce processus d’ouverture de places nouvelles doit être mis en œuvre au regard d’une analyse préalable et approfondie des besoins manquants dans chaque territoire. Afin d’engager l’effort nécessaire, devrait cependant être mise à l’étude sans délai la pérennisation tout au long de l’année des places supplémentaires ouvertes l’hiver.

L’action publique ne doit en aucune manière baisser les bras s’agissant de la prévention, en tentant d’agir positivement sur le flux des « canaux d’alimentation » de la population des personnes sans-abri. Il convient, autant que faire se peut, de maintenir dans le logement un ménage en difficulté financière, par une action publique préventive mise en œuvre dès le premier impayé de loyer. Car le « logement d’abord », c’est peut-être, au préalable, maintenir dans un logement, quitte à ce que soit dans un autre. Le caractère crucial de ces questions invite à un questionnement collectif : jusqu’où doit aller l’action publique en la matière ? Quels sont les coûts comparés d’un maintien dans le logement sur fonds publics et d’un accueil en hébergement d’urgence après l’expulsion ?

La « refondation » de la politique de l’État en matière d’hébergement et d’accès au logement consiste en premier lieu, par l’édification d’un service public, en une réorganisation d’ampleur du dispositif d’accueil, d’hébergement et d’insertion géré par les opérateurs associatifs sous la direction de l’État ; et, en second lieu, à concevoir et procéder à cette réorganisation pour la mise en œuvre du « logement d’abord », c’est-à-dire l’accès, dès que possible, à un logement adapté ou de droit commun – notamment social – en faveur des personnes sans domicile. Si un certain scepticisme s’est parfois installé – en raison d’un bilan jugé faible, à ce stade, de cette refondation – nous souhaitons cependant que toutes ces réformes soient menées à leur terme. Car nous considérons que la refondation est une réforme positive et bien conçue.

Nous notons que la refondation a été menée dans un contexte administratif complexe. Sans attendre l’achèvement de la refondation, il nous semble logique et opportun de mettre à l’étude l’intégration des compétences de l’hébergement et du logement au sein d’une seule administration centrale, à l’instar de l’innovation prometteuse que constitue la création en Île-de-France de la direction régionale interdépartementale de l’hébergement et du logement (Drihl).

Eu égard au contexte de la réforme de l’administration territoriale, à laquelle ont notamment correspondu à la fois une baisse des effectifs de l’État local et un profond renouvellement des équipes administratives déconcentrées, nous estimons qu’il convient de conserver la nouvelle organisation territoriale de l’État ; ce qui ne constitue pas une approbation sans réserve de la façon dont sont désormais dissociées les compétences respectivement relatives à l’hébergement, au logement, ainsi qu’aux éléments portant sur les champs sanitaire et médico-social.

Au-delà, s’agissant des opérateurs quotidiens de cette politique, il nous apparaît nécessaire d’aborder le sujet de l’organisation du tissu associatif, qui fondera demain – comme aujourd’hui – le maillage des opérateurs de terrain dans les domaines de l’hébergement et de l’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées. L’engagement associatif est source d’innovations et s’appuie sur une motivation de l’action tournée vers les plus démunis. Il convient de conjuguer ces atouts avec les axes d’un service public définis à un niveau politique. Ces enjeux nous semblent appeler, sous une forme qui reste à imaginer, un dialogue dédié, public, et sans doute déconcentré, entre l’État et le monde associatif.

Nous considérons que beaucoup d’arguments militent pour ne pas procéder, à ce stade, à la décentralisation de la compétence de l’État en matière d’hébergement d’urgence et d’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées, bien que les conseils généraux exercent une compétence légale de droit commun en matière d’aide sociale. La question de la « domiciliation » des personnes sans domicile constituerait une difficulté juridique et technique pour la prise en charge de leur hébergement par une collectivité territoriale. Au-delà, la politique d’hébergement a en tout état de cause des dimensions nationales, telles que son lien avec la politique migratoire, ou la garantie d’une prise en charge inconditionnelle et équitable sur l’ensemble du territoire des personnes sans domicile. Pour le succès de la refondation, il importe néanmoins d’améliorer la coopération entre l’État et les collectivités territoriales, qui participent substantiellement à cette politique.

S’agissant des réformes qui composent la refondation, nous appelons l’État à continuer de privilégier la constitution d’un service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO – outil quotidien de régulation mettant en regard l’offre et la demande d’hébergement et de logement au bénéfice des personnes sans domicile) unique par département et regroupant tous les opérateurs départementaux concernés, là où il ne fonctionne pas encore. Nous appelons également à l’accélération de la mise en place des plans départementaux dit « accueil, hébergement, insertion » (PDAHI), au risque, le cas échéant, de révéler publiquement, dans les zones tendues, un manque de places d’hébergement ou en logements adaptés.

Les PDAHI constituent un préalable au conventionnement pluriannuel entre l’État et chaque opérateur associatif, qui doit permettre de concilier l’organisation d’un réel service public et le financement pluriannuel et donc lisible sur le moyen terme, des opérateurs associatifs. Outre le référentiel des prestations (déjà en vigueur), un autre préalable est l’élaboration du référentiel national des coûts des prestations servies par ceux-ci. Il faut désormais, dans des délais rapprochés, que les services de l’État disposent d’un outil fonctionnel en la matière, qui suscite la confiance des opérateurs associatifs.

Réussir la stratégie du « logement d’abord » – consistant, en faveur des personnes sans domicile, en l’accès, accompagné socialement et dès que possible, au logement de droit commun ou adapté – nécessite que des logements adaptés, sociaux ou en intermédiation locative soient rendus disponibles, à des prix accessibles.

Outre la reconquête des « contingents préfectoraux » d’attribution de logements sociaux, nous proposons que soit envisagée une modification de la loi dite « SRU », par le relèvement du taux de 20 % en zones tendues, ainsi que la bonification, pour le calcul de ce taux, des logements sociaux construits en prêts locatifs aidés d’intégration (PLAI) et des places de pensions de famille.

Le « logement d’abord » doit en outre s’appuyer sur l’accompagnement social dans le logement ; à cette fin, nous sommes favorables à la création de « plateaux techniques » constitués de travailleurs sociaux des CHRS ayant vocation à procéder à l’accompagnement social – « hors les murs » du centre – des personnes logées au titre du « logement d’abord ».

Notre étude sur l’hébergement nous conduit enfin à estimer nécessaire un exercice de lucidité dans la sérénité, en ce qui concerne la situation des personnes sans papier et plus particulièrement des personnes en demande d’asile ou déboutées du droit d’asile. Nos travaux nous ont amenés à constater que des personnes étrangères en situation irrégulière, souvent déboutées du droit d’asile, sont hébergées durablement, notamment dans des hôtels quand il s’agit de familles avec des enfants, au titre de la politique publique objet de cette étude.

Ces parcours – nombreux, banalisés, accompagnés et financés sur fonds publics – reflètent-ils un « équilibre » au regard des débats qui traversent notre société quant aux principes et conditions de l’accueil des étrangers ? Nous souhaitons, sur la base d’une évaluation parlementaire préalable, qu’un débat public soit mené sereinement en la matière, ne serait-ce que pour apprécier, évaluer et constater quel est le « prix à payer » de cet « équilibre » respectivement pour les personnes concernées et pour l’État.

En conclusion, nous souhaitons replacer les questions évoquées dans cette synthèse, parfois techniques, dans leur contexte humain. L’enjeu de la refondation, orientée vers le « logement d’abord », est de porter une politique publique à la hauteur des besoins, sinon des projets des personnes sans domicile. La réinsertion des personnes sans domicile et, plus largement, très précarisées ne peut réussir que si la société est ouverte et considère que ces personnes n’en sont pas exclues, ne sont pas des « exclus ». Il s’agit d’une question à la fois culturelle et de priorité politique.

La discussion et l’adoption, dès le début de la prochaine législature, d’un projet de loi d’orientation et de programmation pluriannuelle pourrait contribuer non seulement à accélérer et amplifier la mise en œuvre de la refondation dans l’optique du « logement d’abord », mais aussi à mettre en place une série de dispositions et d’engagements traduisant concrètement une priorité collective nouvelle accordée au sort des personnes sans domicile et les plus précarisées.

PROPOSITIONS DES RAPPORTEURS

Les rapporteurs, conformément aux conclusions de leur évaluation, approuvent l’ensemble des recommandations proposées par la Cour des comptes dans son rapport. Ils souhaitent y ajouter les propositions ci-après, afin de contribuer à la mise en place d’un service public de l’hébergement et de l’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logés, qui leur garantisse l’égalité de traitement, l’inconditionnalité de l’accueil et l’absence de rupture de la prise en charge.

1° Envisager la pérennisation de tout ou partie des places supplémentaires ouvertes chaque hiver, afin de contribuer à l’ouverture de places nouvelles d’hébergement dans les zones les plus tendues.

2° Prévoir la modification des obligations qui s’imposent aux communes par la loi SRU, en augmentant le taux de logements sociaux à atteindre dans les zones les plus tendues ; sous réserve que soient bonifiées dans le calcul de ce taux les constructions en PLAI, ainsi que les places de maisons relais et en pensions de famille.

3° Mobiliser l’expertise, le savoir-faire et les moyens des bailleurs sociaux pour la construction de places nouvelles en hébergement d’urgence et d’insertion.

4° Orienter résolument – le cas échéant en leur attribuant une feuille de route définie par la loi – l’activité des Ccapex vers l’étude des dossiers individuels d’impayés de loyer, notamment les plus complexes et les plus susceptibles de conduire à la mise à la rue des ménages concernés.

5° Lancer une étude sur l’effectivité du bénéfice par les personnes hébergées de certains dispositifs spécifiques d’aide sociale ou de prise en charge médicale auxquels elles ont droit ; et sur les raisons pour lesquelles le bénéfice de ces dispositifs n’empêche pas, dans certains cas, le recours à un hébergement d’urgence.

6° Faire en sorte qu’à court terme une seule direction d’administration centrale soit chargée de la conception et de la mise en œuvre de la politique d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées.

7° Faciliter et organiser l’échange d’informations utiles – entre les départements et les opérateurs associatifs chargés de l’hébergement d’urgence, via notamment les SIAO et pour autant que les jeunes concernés y consentent – concernant les jeunes majeurs pris en charge par ces opérateurs et relevant antérieurement, durant leur minorité, de l’aide sociale à l’enfance (Ase).

8° Inciter à la constitution dans des délais rapides, dans chaque département, d’un SIAO unique (urgence et insertion) par coopération des opérateurs départementaux et non pas seulement par délégation à l’un d’entre eux de la gestion de la veille sociale.

9° Mettre en place des lieux de dialogue et d’échange rassemblant, aux niveaux national et déconcentré, les opérateurs associatifs et l’État, afin d’envisager les meilleures modalités d’organisation et de mise en œuvre du service public de l’hébergement et de l’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées.

10° Procéder à la création de « plateaux techniques » constitués notamment de travailleurs sociaux des actuels centres d’hébergement afin de mettre en œuvre l’accompagnement social dans le logement des personnes bénéficiaires de la stratégie du « logement d’abord ».

11° Relancer la mise en place – prévue par la refondation – des « référents personnels », en prévoyant que ceux-ci puissent être des volontaires au titre du service civique.

12° Envisager la création d’un produit d’épargne réglementé – ou aménager à cet effet un produit d’épargne réglementé existant – dont les dépôts seraient consacrés au moins partiellement aux investissements, portant notamment sur des expérimentations, des associations et bailleurs sociaux œuvrant dans le secteur de la prise en charge des personnes les plus démunies.

13° Soumettre au Parlement dès le début de la prochaine législature un projet de loi d’orientation et de programmation pluriannuelle tendant a) à accélérer et amplifier la mise en œuvre de la refondation dans l’optique du « logement d’abord » – notamment en programmant la construction de places nouvelles en pensions de famille et en centre d’accueil des demandeurs d’asile – et b) à adopter une série de dispositions et d’engagements traduisant une priorité collective accordée au sort des personnes sans domicile et les plus précarisées ; ce texte serait défendu par un ministre de plein exercice, le cas échéant directement rattaché au Premier ministre. Compte tenu de la complexité du sujet de l’hébergement, on pourrait aussi imaginer un nouveau mode de management gouvernemental par projet. C'est-à-dire qu’un ministre pourrait recevoir des compétences transversales au titre d’un projet.

14° Organiser des états généraux – suite à une évaluation parlementaire transpartisane – sur la réalité des conditions d’accueil et de vie sur notre territoire des personnes étrangères en demande d’asile ou en situation irrégulière, et sur les coûts publics associés notamment pour l’État et les collectivités territoriales.

PREMIÈRE PARTIE : PRINCIPAUX CONSTATS CONCERNANT LA « REFONDATION » DE LA POLITIQUE D’HÉBERGEMENT ET D’ACCÈS AU LOGEMENT DES PERSONNES SANS DOMICILE OU MAL LOGÉES

I.– UN DISPOSITIF D’HÉBERGEMENT QUI DEMEURE QUANTITATIVEMENT SOUS-DIMENSIONNÉ MALGRÉ DES EFFORTS SUBSTANTIELS DANS LA PÉRIODE RÉCENTE

A.– L’AUGMENTATION RÉCENTE DES CAPACITÉS NATIONALES D’HÉBERGEMENT ET EN LOGEMENTS ADAPTÉS

1.– Les capacités d’accueil ont sensiblement augmenté sur la période 2004-2010

La période 2004-2010 – et plus particulièrement en 2007-2009 – est marquée par une augmentation (près de 32 000 places, soit une croissance de 62,2 % au total) des capacités d’hébergement d’urgence, d’insertion et en logement adapté (pensions de famille et intermédiation locative) (1).

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE PLACES D’HÉBERGEMENT ET EN LOGEMENT ADAPTÉ

 

2004

2005

2006

2007

Centre d’hébergement d’urgence (CHU) et places de stabilisation hors CHRS

11 919

12 212

13 138

14 565

Places d’hôtel

6 953

8 626

9 393

9 802

Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS)

30 332

30 603

31 185

37 220

Maisons-relais/pensions de famille

1 899

2 262

3 192

4 619

Total places d’hébergement

 51 103

53 703

56 908

66 206

Évolution en % par rapport à l’année n- 1

+ 5,1 %

+ 6,0 %

+ 16,3 %

 

2008

2009

2010

Centre d’hébergement d’urgence (CHU) et
stabilisation hors CHRS

16 556

17 535

18 919

Places d’hôtel

10 647

13 025

15 016

Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS)

38 298

39 442

39 540

Maisons-relais/pensions de famille

5 172

7 909

9 212

Places en résidence hôtelière à vocation sociale à disposition de l’État

 

118

203

Total places d’hébergement

71 673

78 029

82 890

Évolution en % par rapport à l’année n- 1

+ 8,3 %

+ 8,9 %

+ 6,2 %

Source : Direction générale de la cohésion sociale

2.– La hausse des capacités a notamment concerné l’urgence alors qu’elle devait avant tout concerner le logement adapté

La Cour montre que ces évolutions – qui correspondent à un effort considérable d’augmentation du nombre des places d’hébergement et de logement adapté – ne sont pas toujours « en ligne » avec la programmation initiale et les principes de la refondation :

– pour contribuer « au logement d’abord », c’est-à-dire l’attribution – dès que possible – d’un logement adapté ou de droit commun dès le premier signalement à la veille sociale d’un ménage sans domicile, il était prévu que soient disponibles 15 000 places en pension de famille fin 2011 (2). Le nombre des places disponibles devait s’élever – au mieux – à 10 572 à cette date (3); au demeurant, le nombre des places en pension de famille aura ainsi plus que quintuplé en sept ans ;

– la proportion des places d’urgence – en centre d’hébergement et à l’hôtel – a augmenté sur 2004 à 2010 dans l’ensemble de l’offre d’hébergement et de logement adapté ; alors qu’il était prévu – là aussi dans la logique du « logement d’abord » – d’y substituer des places en hébergement d’insertion et de logement adapté. Sur la période, le nombre quotidien des nuitées d’hôtels a plus que doublé ;

– dans ce contexte, la proportion des places en CHRS a baissé ; leur nombre a néanmoins augmenté en six ans de presque un tiers.

Le maintien d’une certaine prépondérance de l’urgence est encore plus marqué si l’on considère les places ouvertes uniquement l’hiver par temps de grand froid. Sur ce sujet, beaucoup des intervenants associatifs lors de la table ronde du 21 décembre, ont porté un regard sévère sur ce volet saisonnier de l’hébergement d’urgence. M. Matthieu Angotti, directeur général de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars), a considéré que « le caractère saisonnier de la réponse institutionnelle, celle-ci étant bien meilleure quand les températures chutent, ne permet pas de réaliser un véritable accompagnement social, seul susceptible de permettre de sortir de l’urgence. »

Pour M. Christophe Louis, directeur de l’association Les enfants du canal et représentant le collectif Les morts de la rue, la modulation saisonnière de l’offre a des effets sur la vie et la mort des personnes sans abri ; il a précisé que les besoins « ne doivent plus être pris en compte seulement pendant la période hivernale si l’on veut ne plus voir mourir des gens dans la rue ». M. Éric Pliez, directeur de l’association Aurore, a estimé « que cette saisonnalité est toujours dommageable aux personnes. »

3.– La qualité de certains centres d’hébergement a été améliorée grâce au Plan de relance de l’économie

La Cour observe que l’augmentation du nombre des places s’est accompagnée, notamment via le Plan de relance de l’économie, d’un plan d’humanisation des centres d’hébergement existants. La Cour indique que ce plan « a conduit l’État à consacrer au total, entre 2008 et 2010, 175 millions d’euros à la rénovation de 11 562 places d’hébergement et à la création de 3 786 autres places ou logements, soit un total de 15 348 places ou logements. Compte tenu du fait que le nombre total de places d’hébergement en 2010 était d’environ 67 000 places (hors places d’hôtel), c’est donc près de 23 % du parc qui a été rénové, réhabilité ou construit en trois ans. (4) » 

Lors de la table ronde du 21 décembre 2011 réunissant – à l’invitation des rapporteurs – des représentants des personnes accueillies et des opérateurs associatifs, Mme Jeanne Dietrich, conseillère technique emploi-logement à l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss), a précisé, évoquant les aspects budgétaires et les capacités d’accueil en hébergement d’urgence de la politique de l’État, qu’« au nombre des évolutions positives, il faut souligner […] la politique d’humanisation des centres d’hébergement. »

4.– L’augmentation des capacités a été rendue possible grâce à un effort budgétaire substantiel au titre du budget de l’État

Le tableau suivant, issu du rapport de la Cour des comptes, retrace les crédits consommés de 2006 à 2010 – au titre du programme 177 « Prévention de l’exclusion et insertion des personnes vulnérables » – pour la veille sociale, l’hébergement d’urgence et d’insertion, ainsi que le logement adapté.

ÉVOLUTION DES CRÉDITS « CONSOMMÉS » CONSACRÉS À LA VEILLE SOCIALE,
À L’HÉBERGEMENT ET AU LOGEMENT ADAPTÉ

(en millions d’euros)

 

2006

2007

2008

2009

2010

CP

753,02

874,95

998,71

1 083,65

1 130,17

Évolution n/n-1

 

+ 16,19 %

+ 14,14 %

+ 8,50 %

+ 4,29 %

Source : Rapport de la Cour des comptes.

Ce tableau traduit l’impact budgétaire de l’augmentation du nombre des places financées via le programme 177. Lors de son audition le 17 janvier 2012, M. Benoist Apparu a précisé que « l’enveloppe budgétaire du programme 177, qui est restée stable, en exécution, entre 2010 et 2011, connaît à nouveau 0 % d’augmentation dans la loi de finances initiale pour 2012 – une politique que nous assumons depuis le départ. »

Il a par ailleurs indiqué que, suite au décret d’avance pris à la fin de l’exercice 2011 pour un montant de 70 millions d’euros et le report de la moitié de cette enveloppe pour l’exécution 2012, « pour la première fois depuis vingt ans, le montant des crédits distribués en début d’année [en 2012] aux services déconcentrés est strictement équivalent à celui du budget exécuté l’année précédente [en 2011]. Même si les associations auraient sans doute préféré une augmentation, cette évolution est essentielle car elle donne au financement du secteur une plus grande fiabilité. »

Le tableau suivant – issu d’informations figurant dans le rapport de la Cour des comptes – permet d’apprécier les différences de coûts pour l’État, par place (par logement pour l’intermédiation locative) et par an, des grandes catégories de places ainsi financées.

COÛTS MOYENS PAR CATÉGORIE DE PLACE ET PAR AN (CHIFFRES 2010)

(en euros)

Hébergement d’urgence

8 500

CHRS

15 900

Pensions de famille

5 200

Intermédiation locative

5 800

Source : rapport de la Cour des comptes.

Ce tableau montre que la refondation et la stratégie du « logement d’abord », décrites infra, correspondent à un enjeu important du point de vue budgétaire, dès lors qu’elles conduisent à loger dans une pension de famille ou en intermédiation locative des personnes hébergées précédemment en urgence ou en CHRS ; étant précisé, de surcroît, que le coût d’un logement en intermédiation locative peut permettre le logement de plusieurs personnes, selon la composition du ménage.

B.– L’AUGMENTATION DU NOMBRE DES PERSONNES SANS DOMICILE

1.– Le nombre des personnes sans domicile a peut-être doublé au cours des années 2000, maintenant un sous-dimensionnement important de l’offre

La Cour considère que l’augmentation des capacités d’hébergement et en logement adapté constatée durant la deuxième moitié des années 2000 est insuffisante pour faire face à « une forte augmentation estimée des populations concernées » (5).

Si la Cour regrette le manque d’informations fiables et régulièrement actualisées en la matière, elle constate que l’enquête « sans-domicile 2001 » de l’Insee avait permis de dénombrer 86 000 personnes sans domicile en France. La Cour – sur la base d’autres travaux de compilation de l’Insee publiés en janvier 2011 et en relevant certains indicateurs plus parcellaires issus d’analyses de praticiens de la veille sociale – indique que « le total des personnes sans domicile aurait été ainsi proche de 150 000 à la fin des années 2000 » (6).

Ainsi, en regard des presque 83 000 places disponibles pour l’hébergement et le logement (en maisons relais) financées sur le programme 177, le sous-dimensionnement de cette offre serait presque de moitié par rapport au nombre des personnes sans domicile. Pour certains intervenants associatifs réunis lors de la table ronde du 21 décembre 2011, le manque de capacité est plus marqué encore ; M. Olivier Marguery, directeur des programmes exclusion de la Fondation de l’Armée du salut, a ainsi estimé « entre 180 000 et 200 000 » le nombre de personnes sans domicile.

Ces évaluations du sous-dimensionnement de l’offre sont analogues à celles concernant l’absence de réponse positive aux demandes de mise à l’abri par le 115, selon la présentation de certaines statistiques faite lors de la même table ronde par M. Matthieu Angotti, (Fnars) ; il a ainsi précisé que le rapport pour 2010 de l’Observatoire national du 115 « montre que l’afflux de demandes nouvelles suscite une réponse institutionnelle assez faible : en dehors des périodes de grand froid, de 40 à 60 % des demandes ne donnent pas lieu à l’attribution d’une place d’hébergement. Une nouvelle évaluation à laquelle nous avons procédé en novembre 2011 indique un taux de 62 % de réponses négatives pour trente-sept départements, hors Paris. »

2.– Les informations statistiques disponibles, très lacunaires, ne permettent pas de quantifier et qualifier précisément ce sous-dimensionnement

La Cour regrette que plus de dix ans sépareront la publication des résultats de l’enquête « sans domicile 2001 » de l’Insee de celle actuellement en cours de réalisation. La Cour estime inopportun de recommander qu’elle soit réalisée plus régulièrement, car il s’agit d’« une enquête lourde dont il ne paraît pas envisageable de réduire la périodicité » (7).

De nombreux intervenants lors de la table ronde du 21 décembre 2011 ont regretté le manque de connaissances quantitatives et qualitatives concernant les personnes sans domicile. M. Matthieu Angotti (Fnars) a ainsi précisé que le rapport – évoqué supra – de l’observatoire national du 115 pour 2010 « souligne combien nous manquons de données objectives, claires et précises, territoire par territoire, sur la situation dans la rue et dans les centres d’hébergement d’urgence, cette absence ouvrant la voie à de vaines querelles de chiffres. C’est pourquoi nous souhaiterions qu’un réel effort soit consenti pour recueillir de telles données, ce qui nécessite des ressources techniques et des compétences spécifiques. »

M. Christophe Louis, représentant Les Morts de la rue et les Enfants du canal, a fait des constats analogues en précisant qu’« il est actuellement très difficile de recenser exactement le nombre de personnes à la rue […]. Il est très difficile, en revanche, de dire si ces personnes sont plutôt des étrangers, des déboutés du droit d’asile ou des personnes expulsées de leur logement ». M. Armando Magallanes, directeur du pôle hébergement de l’association Aurore, a souhaité « insister sur le manque d’enquêtes qualitatives et quantitatives permettant d’évaluer la situation en Île-de-France. Elles sont pourtant nécessaires à la réussite de la politique du “logement d’abord”. Les associations elles-mêmes ont besoin d’une plus grande lisibilité sur ce flux de personnes […] ».

Afin de remédier à la faiblesse de la connaissance publique sur les personnes sans domicile, M. Matthieu Angotti (Fnars), en envisageant un financement public, a indiqué « cela pourrait être l’activité d’un organisme tel que le comité d’évaluation du RSA, dont la création a permis une avancée en la matière. En effet, ce comité a la charge de produire différents types d’évaluation : analyse des données administratives fournies par la Caisse nationale et les caisses d’allocations familiales ; enquêtes à caractère quantitatif et analyses qualitatives, menées par des sociologues, parfois en partenariat avec les associations et les allocataires. On pourrait s’inspirer de ce type de dispositif, assez lourd et onéreux, pour l’adapter à la politique d’accès au logement. Mais on ne peut pas charger les travailleurs sociaux de cette tâche, qui ne relève pas de leur mission. »

II.– UNE GOUVERNANCE COMPLEXE POUR UN DISPOSITIF QUI MOBILISE LES NIVEAUX CENTRAL ET DÉCONCENTRÉS DE L’ÉTAT, AINSI QUE LES OPÉRATEURS ASSOCIATIFS

A.– DEUX DIRECTIONS D’ADMINISTRATION CENTRALE ET UNE DÉLÉGATION INTERMINISTÉRIELLE SONT COMPÉTENTES AU NIVEAU NATIONAL

1.– Les attributions respectives de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), de la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) et de la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées (Dihal)

Comme le précise la Cour des comptes, « les services centraux concernés [par la refondation] sont la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) » (8), respectivement pour ses volets aide sociale et exclusion d’une part, et pour ses aspects immobiliers s’agissant des logements sociaux, aidés et des centres d’hébergement d’autre part.

Dans ce contexte, la Diahl, créée dès le mois d’avril 2008 sur proposition de notre collègue Étienne Pinte faite en janvier de la même année, a notamment pour rôle la mobilisation de tous les départements ministériels concernés et d’« assurer en lien étroit avec la DGCS et la DGALN [direction générale à laquelle appartient la DHUP] le pilotage général de la refondation » (9; pour ce faire, la DGCS et la DHUP l’« informent de façon régulière de l’état d’avancement des travaux qu’elles conduisent dans le cadre de [la] refondation de la politique d’hébergement et d’accès au logement » (10).

Le Dihal préside les réunions du comité de la refondation, qui a pour rôle, comme le note la Cour des comptes, « d’aménager une relation et un dialogue régulier du secteur associatif avec le ministre en charge du logement. Il permet aux associations d’obtenir une information d’ensemble sur le processus de refondation et son avancement. Afin de renforcer l’approche interministérielle, le comité a été ouvert aux représentants des ministères de la Santé, de la Justice, de l’Intégration, de la Jeunesse, et de l’OFII. Il comprend également des représentants du Conseil consultatif des personnes accueillies et hébergées (CCPA) et des membres du réseau de professionnels de l’action sociale » (11)..

2.– Les limites du modèle actuel d’organisation administrative au niveau central

Tout en reconnaissant le rôle positif d’entraînement joué par la Dihal dans le lancement de la refondation, le lien qu’elle a permis d’entretenir à ce titre avec le monde associatif, ainsi que la mobilisation interministérielle réelle à laquelle elle a contribué, la Cour des comptes résume ainsi les difficultés de son action : elle « ne gère aucun crédit d’intervention et son pouvoir de peser sur les décisions est très limité, le travail interministériel est exclusivement fondé sur la négociation et le pouvoir de persuasion [et] l’accès limité aux services déconcentrés est une limite à l’action » (12).

Ces constats sont partagés par plusieurs des représentants associatifs que les rapporteurs ont reçus le 21 décembre 2011 ; certains d’entre eux envisagent des évolutions possibles de l’organisation administrative au niveau central pour pallier ces difficultés. Pour M. Matthieu Angotti (Fnars), « la Dihal, après avoir connu divers échecs et faute de moyens, se cantonne à réaliser des études et des recherches, ce qui ne suffit pas. »

Mme Jeanne Dietrich (Uniopps) a indiqué être favorable « au maintien de la Dihal, mais à condition qu’elle soit pourvue de moyens lui permettant véritablement de fonctionner, afin de mettre en œuvre une interministérialité efficace. La marge se situe en effet davantage du côté des moyens d’action réels donnés à cet organisme que de celui de la création d’une agence. »

Enfin, au nom de la Fondation Armée du salut, M. Olivier Marguery a indiqué souhaiter « soit un ministère des solidarités, soit une délégation interministérielle forte pour l’hébergement et l’accès au logement des personnes sans abri ou mal logées – actuellement la Dihal – qui puisse exercer une autorité sur les différentes administrations centrales afin de mener une politique cohérente, et non plus désarticulée comme celle d’aujourd’hui. La Fondation de l’Armée du salut souhaite que cette politique embrasse toutes les questions relatives à la cohésion sociale et à la solidarité. »

B.– L’ORGANISATION DÉCONCENTRÉE, TOUT AUSSI COMPLEXE, A SUBI UNE RÉORGANISATION EN PROFONDEUR AU MOMENT DU LANCEMENT DE LA REFONDATION

1.– La dissociation, par la réforme de l’administration territoriale (Réate), des volets « cohésion sociale » et « logement » de la politique nationale d’hébergement, sauf en Île-de-France

La Réate a conduit à reproduire aux échelons départemental et régional la dissociation des compétences relatives à la refondation constatée au niveau central :

– au niveau régional, le volet « cohésion sociale » relève des directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) et le volet « logement » des directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) ;

– au niveau départemental, ces deux volets relèvent respectivement des directions départementales chargées de la cohésion sociale (notamment les DDCS) et des directions départementales des territoires (DDT).

La Réate a par ailleurs modifié la répartition des tâches entre les échelons départemental et régional ; s’agissant du volet « cohésion sociale », la Cour des comptes note que les DRJSCS sont ainsi « en charge de la définition de la stratégie régionale et de la coordination des actions conduites au niveau départemental […] et destinataires des crédits déconcentrés », alors que les DDCS sont « en charge de la mise en œuvre opérationnelle des actions. » (13)

La situation est différente en Île-de-France, et ce uniquement à l’échelon régional ; la direction régionale interdépartementale de l’hébergement et du logement (Drihl) est ainsi en charge des deux volets ci-dessus évoqués, dans la région qui, selon la Cour des comptes, « concentre plus de 50 % des personnes sans domicile » (14).

2.– Des constats d’inquiétude quant à l’affaiblissement des capacités et de l’autorité des services déconcentrés de l’État

La question de la dissociation des volets « cohésion sociale » et « logement » au niveau déconcentré pourrait être posée, d’autant plus qu’il a été jugé utile d’intégrer ces deux volets dans une même direction régionale précisément dans la région où les problèmes sont les plus aigus.

Toutefois, sur la base de l’enquête qu’elle a menée auprès des DRJSCS et des DDCS, la Cour des comptes précise que « les difficultés évoquées par les responsables départementaux ne concernent pas la question de l’organisation et de la coordination des services mais les conséquences de la Réate et notamment l’affaiblissement des DDCS » (15). Dans le cas précis de la « reconquête » des contingents préfectoraux dans le parc des logement sociaux – tendant pour l’État à exercer effectivement son pouvoir de désignation des locataires dans 25 % des logements de ce parc (cf. infra) –, la Cour précise que des DDCS ont « insisté sur le fait que la “grave pénurie en effectifs de leur service” ne permettait que de parer au plus pressé […] (16)».

Lors de la table ronde du 21 décembre, les difficultés d’exercer leurs missions par les services déconcentrés de l’État ont été abordées, par exemple s’agissant de la mise en place des services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO) ou des négociations à mener avec les opérateurs associatifs en vue d’une contractualisation pluriannuelle de leurs activités et de leurs moyens ; en outre, M. Matthieu Angotti (Fnars) a souligné, s’agissant de l’amélioration de la connaissance quantitative et qualitative des personnes sans domicile, qu’il convenait « de savoir si les services déconcentrés de l’État disposent des compétences nécessaires pour mener ces travaux d’observation ». Plus généralement, il a indiqué que « les services déconcentrés sont exsangues. »

III.– UNE REFONDATION DE LA POLITIQUE D’HÉBERGEMENT ET D’ACCÈS AU LOGEMENT QUI S’APPUIE SUR PLUSIEURS MAILLONS DONT LES ÉTATS D’AVANCEMENT SONT CONTRASTÉS

La refondation de la politique d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans abri ou mal logées consiste à construire un service public dédié permettant la mise en œuvre du principe du « logement d’abord ».

La « règle » serait qu’un ménage sans domicile ait accès à un logement de droit commun ou à un logement adapté le plus rapidement possible.

La refondation prévoit, en amont d’une telle situation, de prévenir la mise à la rue (du fait d’un départ forcé ou non du logement), notamment en cas d’impayés de loyers. Des commissions de coordination des actions de prévention des expulsions (Ccapex) ont notamment été créées à cet effet, en plus de nombreux dispositifs existants.

Quand une situation de sans-abrisme est connue par la veille sociale, le délai pour l’accès au logement (de droit commun ou adapté) peut en principe être très court pour autant que le ménage concerné est en mesure de gérer son autonomie financièrement et dans les actes de la vie courante. Pour faciliter cet accès, il est prévu qu’il puisse bénéficier, dans le cadre du service public de l’hébergement et de l’accès au logement, d’un accompagnement « dans le logement » pour préparer ou conforter cette autonomie.

Il est aussi prévu que la veille sociale s’appuie sur une connaissance et une capacité d’attribution des logements adaptés ou de droit commun disponibles. C’est l’objet même du SIAO de faire coïncider au mieux – dans chaque département – l’offre et la demande existantes en la matière ; le SIAO disposant au demeurant des mêmes renseignements s’agissant de l’hébergement d’urgence et d’insertion, dans les cas où le recours à ces solutions demeure nécessaire.

La fluidité d’un tel dispositif dépend aussi de l’adaptation à moyen terme de l’offre à la demande en matière d’hébergement et de logement. Les plans départementaux accueil hébergement insertion (PDAHI – élaborés par les services de l’État) doivent programmer cette adaptation, dans le cadre des plans départementaux d’accès au logement des personnes défavorisées (PDALPD – conjointement élaborés par les conseils généraux et les services de l’État).

Toute situation de « sans-abrisme » ne peut bien entendu conduire à l’accès sans délai à un logement de droit commun ou adapté, ne serait-ce que dans le ou les premiers jours de la prise en charge pour lesquels l’hébergement d’urgence est en tout état de cause justifié. La précarité – voire la déstructuration – de certaines personnes est parfois telle qu’un hébergement d’insertion (en CHRS) peut être requis le temps de préparer l’accès au logement. La stratégie du « logement d’abord » repose dans ce cas sur une sortie du CHRS dès que possible.

La qualité de la première orientation par la veille sociale des personnes sans abri est cruciale pour le bon fonctionnement du dispositif. Cette première orientation est devenu un droit législatif depuis 2009, dans le prolongement du droit – lui aussi nouveau et prévu par la loi – à demeurer « dans les murs », en hébergement d’urgence, jusqu’à la mise en œuvre consentie de cette première orientation.

Ce schéma de service public, tourné vers l’accès dès que possible au logement de droit commun ou adapté, nécessite la modification et l’approfondissement des relations entre l’État et les opérateurs. La contractualisation doit leur assurer une visibilité financière contribuant à atteindre les objectifs en lien avec le sens donné à ce service public, dans un cadre harmonisé concernant le contenu et les coûts des prestations correspondantes.

Par la refondation, il s’agit de rompre avec un système fragmenté caractérisé par :

– une veille sociale tournée exclusivement vers l’urgence répétée chaque jour de trouver un toit pour dormir ;

– des centres d’hébergement, certes en lien avec la veille sociale, mais qui demeurent autonomes concernant leur « politique » d’accueil ;

– un hébergement d’urgence proposant la mise à l’abri pour la nuit « qui vient », sans réelle perspective d’orientation et de prise en charge sociales, ne serait-ce qu’à court terme ;

– un système veille sociale/hébergement d’urgence identifiant avec difficulté le profil des personnes hébergées au regard de leurs besoins en termes d’orientation et de prise en charge sociales ;

– un long parcours urgence/insertion/accès au logement, qui fait courir le risque à chaque niveau d’une stagnation de la personne concernée, eu égard à l’absence d’un service public d’ensemble aux objectifs clairement définis.

Au regard de ce que la refondation se propose de mettre en œuvre – par la mise en place concomitante de plusieurs dispositifs techniques importants et complexes – et de ne plus faire, la Cour des comptes a établi des constats que les développements suivants présentent.

A.– MIEUX PRÉVENIR LES EXPULSIONS LOCATIVES : DES DISPOSITIFS NOMBREUX DONT L’EFFICACITÉ D’ENSEMBLE DEMEURE INCERTAINE

1.– L’enjeu important des impayés de loyer dans la problématique de la mise à la rue

Les statistiques relatives aux impayés de loyers semblent insuffisamment actualisées et systématiques et la Cour des comptes salue à ce titre le fait « que la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) s’est engagée à fournir à l’administration l’ensemble des impayés de loyers et à développer un système d’informations ad hoc à compter de 2012 » (17).

Les enquêtes « logement » de l’Insee et les informations fournies par les caisses d’allocations familiales (Caf) indiquent que le nombre de ménages en situation d’impayés de loyer se situait entre 200 000 et 500 000 pour les années 2008 et 2009. (Certaines informations semblent montrer que ce chiffre augmente depuis le début de la crise en 2008). Certains des ménages concernés font l’objet d’un commandement de quitter les lieux. Selon la Cour des comptes, le nombre de ces commandements s’est élevé à « 58 000 en 2008 contre 49 889 en 2000 (soit une augmentation de 16 %). Les statistiques ne permettent pas de savoir combien de personnes ont été concernées [par le fait de quitter effectivement les lieux], ni quel est le devenir de ces familles, mais le risque est important pour ces personnes aux revenus très modestes de devoir recourir à l’hébergement d’urgence » (18).

Ces statistiques montrent que les ordres de grandeur entre le nombre estimé des personnes sans domicile et sans abri (cf. supra : estimation de 150 000 personnes sans domicile à la fin des années 2000) et le nombre des ménages directement menacés par une mise à la rue suite à des impayés de loyer ne sont pas substantiellement éloignés.

2.– La difficulté à juger de l’efficacité des nombreuses mesures et dispositifs ayant pour objet d’éviter la mise à la rue des ménages en situation d’impayés de loyers

La Cour des comptes énumère l’ensemble des dispositifs de prévention de la mise à la rue de ménages en situation d’impayés de loyers.

On peut notamment citer l’obligation d’une décision du juge pour obtenir l’expulsion, l’organisation de la mobilisation des bailleurs sociaux et des organismes payeurs des aides au logement en amont de la procédure d’expulsion, l’information obligatoire de l’État de toute assignation devant le juge civil pour cause d’impayés (information suite à laquelle le préfet est légalement tenu de procéder à une enquête sociale en sensibilisant les services sociaux compétents, notamment les organismes payeurs des aides au logement et les services départementaux qui gèrent le Fonds de solidarité pour le logement – FSL), ou encore la création d’un numéro vert pour l’information des propriétaires et des locataires.

La Cour mentionne aussi les dispositions légales qui permettent au juge civil, selon l’article L. 613-1 du code de la construction et de l’habitation (CCH), d’« accorder des délais renouvelables aux occupants de locaux d’habitation ou à usage professionnel, dont l’expulsion aura été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne pourra avoir lieu dans des conditions normales, sans que lesdits occupants aient à justifier d’un titre à l’origine de l’occupation ». L’article L. 613-2 du CCH précise que la durée de ces délais « ne peut, en aucun cas, être inférieure à un mois ni supérieure à un an » et est fixée par le juge en appréciant, entre autres, la « bonne ou mauvaise volonté » des locataires et la situation respective de ceux-ci et des propriétaires. Une fois le bail résilié sur décision du juge, celui-ci peut encore susciter l’accord des parties sur un échéancier dans l’optique de la signature d’un nouveau bail avec maintien dans le logement initial, en organisant la reprise du versement des aides au logement, (versement a priori suspendu dès que le premier impayé de loyer a été porté à la connaissance des organismes verseurs).

La Cour des comptes observe aussi qu’a été expérimentée en Seine-Saint-Denis la mise en intermédiation locative de logements sociaux occupés par des ménages « de bonne foi » (19) en situation d’impayés, afin de les maintenir dans les lieux et de leur procurer les conditions et le temps nécessaire pour « rétablir » leur situation. Les résultats de cette expérimentation sont aujourd’hui relativement décevants : il semble à ce stade difficile de mettre en œuvre ce montage complexe en temps utile pour les locataires. L’expérimentation s’est néanmoins poursuivie en 2011.

La Cour des comptes analyse longuement les statistiques à sa disposition portant sur les impayés de loyer, les décisions d’expulsion prises par le juge civil, les autorisations de concours de la force publique pour procéder à l’expulsion et le montant des indemnités versées par l’État quand il refuse de prêter ce concours. Elle cherche à répondre à la question de l’efficacité des dispositifs en vigueur de prévention des expulsions. La Cour considère que cette analyse peut conduire à conclure à leur efficacité accrue ces dernières années mais qu’« un doute subsiste » en la matière, de surcroît dans le contexte d’« une augmentation des impayés dans un contexte de crise économique » (20).

Lors de son audition par le groupe de travail le 17 janvier 2012, M. Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement, a lui aussi constaté la difficulté à évaluer les impacts des dispositifs de prévention des expulsions locatives. Il a souligné que « si environ 110 000 jugements d’expulsion sont prononcés chaque année, seulement 60 000 propriétaires formulent une demande de concours de la force publique, dont seulement 20 000 sont acceptées. Au final, en un an, seulement 10 000 expulsions sont réellement effectuées avec le concours de la force publique. Le problème est qu’aucune étude de cohorte n’a été réalisée sur ce sujet. Or, faute d’une telle étude, je ne sais pas ce qu’il advient des personnes concernées par les 100 000 jugements restants. Combien sont parties de leur propre initiative, par peur de l’huissier ou des policiers ? Ont-elles retrouvé un logement ? Se sont-elles tournées vers des structures d’hébergement, des voisins, des amis ? Nous n’en avons aucune idée. »

Les Ccapex, dont la mise en place est obligatoire au titre de la loi du 25 mars 2009 dite « Molle », rassemblent principalement le préfet, le président du conseil général, les organismes payeurs des aides au logement, ainsi que le maire de la commune dans laquelle le ménage concerné réside. La Cour considère que « l’objectif est de réunir tous les acteurs concernés (État, collectivités, bailleurs, propriétaires privés, associations) pour qu’ils agissent ensemble le plus en amont possible dès l’apparition des premiers impayés. (21)»

Considérant que les dernières Ccapex ont été installées depuis moins d’un an, la Cour des comptes considère que « le premier bilan de leur action est […] encore difficile à établir » (22). La Cour, eu égard aux dispositifs auxquels les Ccapex se sont substitués, indique par ailleurs, plus sévèrement, que « la plus-value apportée par les Ccapex […] ne peut être estimée à ce stade [et] reste donc à démontrer ». Les questions relatives à la mise en place et à l’activité des Ccapex sont abordées plus précisément dans la deuxième partie du présent rapport, eu égard aux informations fournies par les conseils généraux interrogés par les rapporteurs sur un dispositif dont ils sont parties prenantes (23).

B.– RÉFORMER LA VEILLE SOCIALE : UNE INSTALLATION « MAL CONDUITE » (24) DES SIAO

1.– Une réforme fondamentale pour la régulation de l’offre et de la demande d’hébergement d’urgence et d’orientation

L’installation et le fonctionnement d’un service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) dans chaque département constituent une réforme d’ampleur de la « veille sociale ».

Le SIAO doit ainsi être le premier des maillons d’une chaîne rénovée de l’hébergement et de l’insertion des personnes sans domicile, dans le contexte de la stratégie du « logement d’abord ». La Cour résume le rôle des SIAO en précisant qu’ils « assurent la régulation des orientations : disposant d’une vision exhaustive du parc d’hébergement d’urgence, de stabilisation, d’insertion et de tout ou partie du parc de logement de transition, ils reçoivent toutes les demandes de prise en charge et orientent les personnes vers la solution la plus adaptée à leur situation(25)»

2.– Un portage insuffisamment collectif des SIAO

La Cour regrette que le portage des SIAO ait été assuré dans de nombreux cas (et sans doute dans la majorité des cas) par l’attribution des missions du SIAO du département à un seul opérateur. Or, l’un des enjeux des SIAO était le regroupement des opérateurs et leur travail en commun, précisément afin de construire la vision exhaustive de l’offre et de la demande et donc d’assurer une réponse adaptée à chaque demande dans le respect de la logique du « logement d’abord ». Pour la Cour des comptes, le portage généralisé des SIAO par des groupements de coopération sociale ou médico-sociale (GCSMS) ou d’intérêt public (GIP) aurait été préférable pour atteindre cet objectif.

Lors de la table ronde du 21 décembre 2011, M. Éric Pliez (association Aurore) a dressé un constat plus optimiste quant à l’approfondissement de la coopération des associations du fait même de l’existence des SIAO, en précisant que « l’un des enjeux de la création des SIAO était de permettre aux associations d’apprendre à partager et à travailler différemment pour orienter ces personnes, et ce mouvement semble se mettre en place d’une manière satisfaisante ». Dans le même esprit, M. Armando Magallanes (association Aurore) a considéré que « les SIAO peuvent obliger le mouvement associatif à rassembler ses pratiques. Nous avons joué un rôle moteur dans plusieurs SIAO, car ces plateformes peuvent donner lieu à une culture commune et être un lieu de rencontre entre les différents acteurs, y compris les bailleurs sociaux. »

3.– Une tendance au fractionnement des SIAO

La Cour des comptes constate qu’il existe plusieurs SIAO dans certains départements

– dans environ 20 départements, il existe un SIAO « urgence » et un SIAO « insertion » (à l’instar de la situation constatée par les rapporteurs dans le Rhône puis en Loire-Atlantique), dichotomie qui peut conduire à des difficultés dans le cas – privilégié dans le contexte du « logement d’abord » – où est envisagé l’accès sans délai d’un ménage sans domicile à un logement ;

– dans au moins deux départements, les SIAO sont compétents sur des aires infra-départementales (Nord – 7 SIAO –  et Pas-de-Calais – 6 SIAO).

La Cour des comptes relève que ces situations sont constatées en plus grand nombre dans des départements dans lesquels la situation est tendue. Elles y empêchent la capacité d’un SIAO à attribuer 100 % des places d’urgence, d’insertion ou en maisons relais, ce qui est pourtant sa vocation. La Cour des comptes constate au demeurant que cet objectif n’est pas atteint dans certains des départements où, pourtant, le SIAO est unique.

Pour la Cour, cette situation d’ensemble « révèle à l’évidence la forte réticence de certains opérateurs locaux à mettre en commun les données relatives à leur parc et à leur activité, et à accepter la mutualisation de l’attribution des places d’hébergement. Et l’administration ne s’est pas partout mise en situation de vaincre ces réticences. (26)»

4.– Une réforme soutenue par les représentants des opérateurs associatifs qui s’inquiètent toutefois du manque d’implication de l’État dans sa mise en œuvre

La Cour des comptes constate ainsi des défauts de mise en œuvre des SIAO, qui seraient imputables, selon elle, à une certaine faiblesse de l’État face aux opérateurs locaux susceptibles de les mettre en place et de les gérer ; lors de la table ronde du 21 décembre 2011, les représentants des opérateurs associatifs, tout en soutenant la réforme, ont regretté pour leur part le manque de moyens – budgétaires mais aussi en termes de formation des praticiens et d’ingénierie publique – consacrés par l’État à leur mise en œuvre.

M. Olivier Marguery (Fondation Armée du Salut) a considéré que « certains SIAO sont des coquilles vides. Sur la vingtaine de SIAO dans lesquels nous sommes impliqués, dix fonctionnent correctement. Par ailleurs, les moyens nécessaires n’ont pas toujours été affectés et l’affichage politique qui a présidé à la création des SIAO s’accompagne souvent, dans les faits, d’injonctions sans moyens ou d’un véritable bricolage. Cependant, là où le système fonctionne, il fonctionne bien. […] Lorsque le système des SIAO fonctionnera, il aura un rôle très positif. »

Mme Jeanne Dietrich (Uniopss) a pour sa part estimé que « de nombreuses difficultés peuvent s’expliquer par le refus d’attribuer aux SIAO des crédits de fonctionnement, dont les associations avaient pourtant souligné d’emblée l’importance ». M. Christophe Louis (Les Morts de la rue et les Enfants du canal) a lui aussi regretté le « manque de moyens supplémentaires qui entrave le fonctionnement efficace du SIAO » et a relevé qu’« il aurait aussi fallu instaurer judicieusement une culture de changement auprès des praticiens du SIAO qui manquent, au surplus, de la formation nécessaire ». M. Matthieu Angotti (Fnars) a évoqué pour sa part le risque, sur le terrain, d’un retour en arrière en précisant qu’« une fois le dispositif lancé, les associations ont eu le sentiment de se trouver seules, sans les moyens ni la concertation nécessaires et avec un vrai risque de buzz négatif autour des SIAO, de nombreux territoires déplorant une détérioration de la situation, avec des délais allongés et une absence de coordination qui complique l’accueil des publics nouveaux qui se présentent. Si l’on ne relance pas la machine en améliorant son pilotage, le risque existe que les acteurs, redoutant ces difficultés, s’organisent entre eux et limitent la concertation […] . »

C.– PLANIFIER L’ADAPTATION DE L’OFFRE À LA DEMANDE : LES DOCUMENTS DÉPARTEMENTAUX DE RÉFÉRENCE

1.– Le questionnement sur la mise en place effective des plans départementaux accueil, hébergement, insertion (PDAHI)

La régulation quotidienne par les SIAO de la demande et de l’offre d’hébergement doit permettre d’identifier les hiatus territoriaux structurels concernant leur adéquation. Dans de tels cas, le législateur a prévu l’élaboration de documents départementaux de planification pour bien les connaître et pour contribuer à les réduire. Le plan départemental accueil, hébergement, insertion (PDAHI – acté par le préfet), inscrit dans le plan départemental d’accès au logement des personnes défavorisées (PDALPD – acté conjointement par le préfet et le président du conseil général – constitue le principal outil de planification qui, partant des connaissances et de la pratique du terrain en termes quantitatifs et concernant le profil des demandeurs, doit conduire à l’adaptation de l’offre (y compris en matière de logements sociaux).

L’élaboration des PDAHI a eu lieu au printemps 2009. Elle a donné lieu à deux séries d’évaluation et d’analyse en novembre 2010 et avril 2011. La Cour des comptes relate les difficultés suivantes concernant la portée et la qualité des PDAHI actuels (en soulignant au demeurant l’implication des acteurs associatifs dans leur élaboration et l’intérêt de l’exercice tendant à unir dans un même document des informations existantes) :

– l’articulation encore perfectible, dans de nombreux cas, entre les PDAHI et les PDALPD. Est également abordée par la Cour la question de la cohérence des PDAHI avec les schémas régionaux d’organisation sanitaires (SROS) et les plans stratégiques régionaux de santé (PSRSP) ;

– l’implication inégale d’acteurs « externes » essentiels comme les conseils généraux, les bailleurs sociaux, voire certaines administrations de l’État (en charge notamment des questions de santé, d’immigration et de la politique carcérale). Certains éléments complémentaires concernant l’élaboration des PDAHI figurent au demeurant dans la deuxième partie du présent rapport, puisque les rapporteurs ont précisément souhaité interroger les départements sur les modalités de leur participation à ce processus ;

– le passage des intentions et orientations à la planification chiffrée. Cette difficulté porte, selon la Cour, sur la mobilisation des logements sociaux et sur la programmation budgétaire (qui doit, en principe, découler de la programmation du nombre des places nécessaires identifiées au titre de l’analyse de la demande).

2.– Un enjeu crucial en préalable de la démarche de contractualisation avec les opérateurs associatifs

L’enjeu de l’élaboration des PDAHI – au-delà de la connaissance précise des besoins – est de constituer la base (avec les référentiels nationaux – qui demeurent à mettre en place – des prestations et des coûts) de la contractualisation entre l’État et les opérateurs, afin de définir pour chacun d’eux les activités à exercer au regard des besoins, en contrepartie du financement pluriannuel de ces activités dans un cadre harmonisé.

Considérant l’insuffisance des premières réalisations, les raisons expliquant cette insuffisance, les tentatives pour y remédier ainsi que le caractère crucial de l’élaboration de PDAHI de qualité pour engager la contractualisation avec les opérateurs associatifs, la Cour des comptes conclut qu’« on peut regretter les imperfections des premiers PDAHI produits (27)» et préconise d’accélérer leur mise en place en veillant à leur bonne intégration dans d’autres documents de programmation locaux, comme les programmes locaux de l’habitat.

Lors de son audition le mardi 20 décembre 2011, Mme Olga Trostiansky, adjointe au Maire de Paris chargée de la solidarité, de la famille et de la lutte contre l’exclusion, nous a fait part de difficultés spécifiques dans le région Île-de-France ; un plan régional (PRAHI) semble avoir été élaboré – programmant l’ouverture de 13 000 places d’hébergement dans la région – , mais sans être dûment adopté par la suite. Ces éléments ont été corroborés lors de la table ronde du 21 décembre par M. Claude Chaudières (Uniopss), qui s’est interrogé sur ce sujet dans les termes suivants : « des objectifs ont été fixés dans le cadre de la région Île-de-France (PRAHI), mais ils n’ont pas été déclinés dans les départements. Pourquoi en 2012, les PDAHI ne sont toujours pas signés en région Ile de France ? »

D.– CONNAÎTRE L’ACTIVITÉ DES OPÉRATEURS ASSOCIATIFS POUR OUVRIR LA VOIE DE LA CONTRACTUALISATION : LA MISE EN PLACE D’UN RÉFÉRENTIEL NATIONAL DES COÛTS

1.– La mise en place du référentiel des coûts n’est pas achevée

Outre l’élaboration des PDAHI, la contractualisation avec les opérateurs associatifs a pour préalable l’établissement d’un référentiel national des coûts des activités de ces opérateurs. La Cour décrit le chemin déjà parcouru en la matière :

– La première étape s’est appuyée sur les éléments du référentiel national des prestations – publié sous forme d’une circulaire signée par le directeur général de la cohésion sociale le 16 juillet 2010 – qui ont été rassemblées en 4 missions : alimenter, héberger, accueillir et construire un parcours d’autonomie ;

– les données organisationnelles et comptables de 240 établissements ont permis de définir six groupes homogènes de structure (GRS) qui les rassemblent, selon la nature de leurs activités, missions et fonctions. Une grille de coûts des prestations offertes a été associée à chacun des GHS ;

– la deuxième phase de l’élaboration du référentiel national des coûts consiste à tester ces outils pour parvenir à l’établissement, selon la Cour, d’un « barème de financement et [de] tarifs plafonds » (28) pour chaque GHS. Ces tests ont été lancés au cours du deuxième semestre de l’année 2011.

Pour les responsables associatifs réunis par les rapporteurs dans le cadre de la table ronde du 21 décembre 2011, il existe une incertitude sur la mise en œuvre de cette deuxième phase. M. Matthieu Angotti précise ainsi que l’« étude [devant conduire à l’établissement du référentiel national des coûts] est restée au milieu du gué : une première phase a été effectuée […]. Nous attendons aujourd’hui de passer à la deuxième étape. »

2.– La contractualisation demeure à négocier et à conclure

En tout état de cause, la Cour des comptes précise que « l’objectif de faire progressivement converger les centres [vers les éléments de barème et de tarifs du référentiel national des coûts], à travers les contrats pluriannuels qui seront signés en 2012 est confirmé par la DGCS » (29).

Les responsables associatifs que les rapporteurs ont entendus le 21 décembre 2011 considèrent que les opérateurs sont prêts à cette échéance, qui doit conduire, outre l’évolution de leurs activités vers les besoins du service public recensés par le PDAHI, à une équité accrue – en regard du référentiel national des coûts – des dotations et subventions qui leur sont accordées ; les « perdants » accepteraient mieux de l’être précisément par la progressivité des changements induite par une contractualisation pluriannuelle.

Évoquant la perspective d’une unification du statut des établissements et centres dans la suite de la contractualisation et l’inéquité des dotations versées aujourd’hui du fait des différences de statut, M. Christophe Louis (Les Morts de la rue et les Enfants du canal) note qu’on «“sur-dote” des dispositifs dont les bénéficiaires devraient déjà être devenus autonomes, et on “sous-dote” des hébergements d’urgence qui nécessiteraient un renforcement de l’accompagnement ». M. Éric Pliez (association Aurore), évoquant d’éventuels « perdants » et l’importance de la pluriannualité du contrat pour eux, indique que « certaines structures, notamment à Paris, se situeront au-dessus des coûts moyens. [Les] associations […] peuvent difficilement gérer des budgets que l’on ampute de 10 ou 15 % en début d’année : il faut leur laisser le temps de se reconvertir, ce qui exige au moins trois ans ». Lors de son audition par le groupe de travail le 17 janvier 2012, M. Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement a précisé, concernant les effets budgétaires négatifs, qu’il s’agissait « de faire en sorte d’en lisser les effets sur huit ou dix ans » pour les opérateurs associatifs concernés.

En accord avec la logique de la refondation, les responsables associatifs considèrent par ailleurs que la contractualisation ne peut être menée que si les outils préalables – PDAHI et référentiels nationaux des prestations et des coûts – sont dûment achevés et si les services déconcentrés de l’État se livrent à une réelle négociation approfondie avec les opérateurs. M. Matthieu Angotti (Fnars) précise ainsi souhaiter que cette action « soit conduite au niveau des territoires. Il faut, au plus vite, engager des discussions collectives dans ce but. Elles pourront, par la suite, donner lieu à des contrats pluriannuels pour chaque association. [en 2011], l’État a voulu lancer des précontrats pour inscrire des objectifs relatifs au logement dans les perspectives CHRS. Les associations ont rejeté cette démarche en raison de l’absence de toute visibilité sur des projets territoriaux à moyen terme » ; ce dernier épisode est relaté par la Cour des comptes dans son rapport, celle-ci précisant que les associations ont refusé cette initiative de la part de l’État, en dénonçant une tentative de procéder au plus vite à des économies avant de disposer des outils permettant de les répartir de façon rationnelle et équitable.

E.– AUGMENTER L’OFFRE DE LOGEMENTS ADAPTÉS ET DE DROIT COMMUN EN FAVEUR DES PERSONNES SANS DOMICILE

1.– Une appréciation relativement convergente du nombre des personnes hébergées susceptibles d’intégrer un logement

Recoupant diverses sources, la Cour considère que « ce seraient sans doute quelque 20 000 à 25 000 personnes, présentes dans les dispositifs d’hébergement, qui seraient susceptibles chaque année de bénéficier de la politique du “Logement d’abord” en accédant de fait à un logement » (30). Si l’on considère le nombre des places d’hébergement financées par le programme 177 (cf. supra le tableau issu des travaux de la Cour), on peut ainsi évaluer de 27 % à 34 % le nombre des personnes hébergées qui seraient susceptibles d’intégrer un logement. Les informations chiffrées utilisées par la Cour des comptes pour établir cette estimation (20 000 à 25 000 personnes prêtes à l’accès au logement) laissent penser que cette proportion est – logiquement – supérieure dans les CHRS.

M. Éric Pliez (association Aurore), lors de la table ronde du 21 décembre 2011, a fourni une information qui rejoint les estimations que l’on peut tirer des travaux de la Cour des comptes, en indiquant que « le premier bilan d’étape du SIAO de Paris a montré que 25 % des familles hébergées à l’hôtel par le Samu social de Paris étaient aptes au logement. »

De façon plus nuancée, et du point des vues des personnes accueillies, M. Roland Aubin (Conseil consultatif des personnes accueillies) a souligné lors de cette table ronde que « les personnes aptes à vivre en logement à court terme sont très minoritaires dans [les] structures d’accueil » telles que les CHRS. M. Roland Aubin invite en tout état de cause à évaluer avec prudence la part des publics hébergés réellement susceptibles de vivre de façon autonome dans un logement, en considérant notamment leur appétence réelle à opérer ce changement dans le contexte d’un certain volontarisme politique en la matière ; il a ainsi précisé que « certaines personnes qui sont hébergées depuis deux ou trois ans par une structure peuvent ne pas être prêtes au changement de vie radical qui leur est proposé [dans le cadre du « logement d’abord »]. Nous ressentons de plus en plus une pression pour orienter vers le logement […]. Il est souvent difficile […] de […] faire valoir [aux personnes hébergées] les avantages supposés du logement, surtout lorsque les intéressés sont déjà hébergés en chambres individuelles, disposant ainsi d’un “petit chez eux”. »

2.– Un effort important des pouvoirs publics pour augmenter l’offre de logements qui toutefois ne permet pas de mesurer à ce stade un flux nouveau de sortie au titre du « logement d’abord »

La Cour des comptes constate – dans le cadre de la refondation, mais aussi, antérieurement, du plan d’action renforcé en direction des personnes sans abri (Parsa) et du Plan de cohésion sociale – un effort de l’État pour élargir l’offre de logements adaptés et de droit commun susceptibles d’être proposés aux personnes sans domicile ou accueillies en hébergement d’urgence ou d’insertion ; cet effort n’a cependant pas toujours correspondu à la programmation en la matière :

– a été évoquée supra le nombre – maximum – de 10 572 places en maisons relais financées fin 2011, qu’il faut comparer aux 15 000 places programmées à cette échéance et aux 1 900 places disponibles en 2004 ;

– le nombre des logements sociaux financés a plus que triplé entre 2000 et 2010 ; parmi eux, la proportion des logements les plus sociaux en terme de loyers (financés par les prêts locatifs aidés d’intégration – PLAI) a augmenté sur la fin de cette période. Au total, en 2010, 131 509 logements sociaux ont été financés dont 26 836 en PLAI. La Cour des comptes observe cependant qu’en termes de construction de logements sociaux, « les objectifs [de l’État] n’ont jamais été atteints au cours des trois années 2008 à 2010 et les objectifs 2011 sont en retrait sur ceux des années antérieures » (31). La Cour observe aussi que la concentration accrue des constructions de logements sociaux dans les zones tendues est trop récente et insuffisante pour mettre en adéquation l’offre et la demande, notamment en Île-de-France ;

– les logements disponibles au titre de l’intermédiation locative étaient, selon la Cour des comptes, au nombre de 2 364 à la fin 2010 ; la programmation en la matière s’élevait à 5 000 logements « captés » à cette échéance. La Cour des comptes considère que « l’objectif de 5 300 logements entrés dans le dispositif à fin 2011 a été trop ambitieux. Le volontarisme en la matière ne doit pas conduire à une programmation budgétaire irréaliste des mesures d’intermédiation locative » (32). La Cour observe que l’intermédiation locative permet, dans l’optique du « logement d’abord », la mobilisation de nouveaux logements en zones tendues, et ce sans investissement initial ;

– en décembre 2010, 60 000 contrats de garantie des risques locatifs (GRL) avaient été passés au titre du « pass GRL » – mis en place par Action Logement et les pouvoirs publics – qui constitue un contrat d’assurance des risques d’impayés de loyer financièrement accessible aux ménages modestes. Dans le cadre de la refondation, il avait été prévu que 400 000 contrats de ce type soient signés à cette échéance.

La Cour des comptes complète ce panorama par les dispositions prises par le Gouvernement fin 2010 et début 2011 – qui concernent la mise en œuvre du Dalo tout autant que la sortie vers le logement social des personnes hébergées –pour « récupérer » au bénéfice des services déconcentrés de l’État le « contingent préfectoral » prévu par la loi d’attribution d’un quart des logements sociaux.

La Cour note, au regard de l’enquête qu’elle a menée auprès de 37 directions départementales chargées de la cohésion sociale (DDCS) qui lui ont répondu, des résultats contrastés mais non négligeables de mobilisation du contingent préfectoral. Elle précise, pour les DDCS ayant répondu à la question parmi ces 37 directions, qu’« on arrive à un chiffre de l’ordre de 40 000 logements reconquis depuis 2007, ce qui serait loin d’être négligeable. Par ailleurs, ces reconquêtes s’observent majoritairement dans des régions sans tension forte sur le logement : cette observation est particulièrement préoccupante car c’est bien sûr dans les zones tendues que cette reconquête est utile et nécessaire. (33)»

La Cour relève que certaines DDCS présentent des objectifs ambitieux pour l’avenir en termes de reconquête du contingent préfectoral et, s’appuyant sur des informations de la DGCS, précise que « le nombre de logements reconquis en Île-de-France s’établit en octobre 2011 à 30 000, pour un total de 60 000 à reconquérir. (34)»

Au total, s’agissant non plus seulement de l’augmentation de l’offre de sorties vers le logement mais de ces sorties elles-mêmes, il semble que les résultats concrets demeurent très partiels et limités à ce stade. La Cour des comptes note qu’« en Île-de-France, le nombre de sorties de CHRS vers le logement depuis 2010 s’établit entre 250 et 450 par mois. (35)»

IV.– QUEL BILAN DE LA REFONDATION À CE STADE, QUELLES PERSPECTIVES POUR LA MENER À BIEN ?

A.– UN CONSTAT GÉNÉRAL D’INSUFFISANCE DES RÉSULTATS AU TITRE DE LA REFONDATION

Dans sa conclusion générale, la Cour des comptes constate que « Les résultats escomptés ne sont pas encore atteints car il faut du temps (36)» à la fois pour organiser le service public en parvenant à contractualiser avec les opérateurs associatifs, mobiliser une offre nouvelle de logements adaptés ou de droit commun accessibles aux personnes sans domicile, reconquérir les contingents préfectoraux et améliorer la prévention des mises à la rue suite à des impayés de loyers.

Les représentants des opérateurs associatifs ne constatent pas à ce stade, sur l’ensemble du dispositif, de changements structurels imputables à une effectivité sur le terrain de la refondation et du « logement d’abord ».

M. Matthieu Angotti (Fnars) a ainsi considéré que « la situation de l’hébergement d’urgence a très peu évolué ces dernières années » et – plus généralement, en pointant le risque d’une remise en cause des principes de la refondation faute de résultats – que « le bilan de la refondation est aujourd’hui assez faible : des bribes de réforme ont été lancées, mais on peut craindre que la nouvelle majorité – quelle qu’elle soit – qui sera aux affaires au printemps prochain ne soit tentée de repartir sur de nouvelles bases, ce qui nous ferait perdre cinq ans. »

M. Éric Pliez (association Aurore) a estimé que l’objectif de mettre fin à une gestion du sans-abrisme par l’urgence quotidienne n’a pas – encore – été atteint : « l’occupation du canal Saint-Martin par les Enfants de Don Quichotte avait permis la naissance du concept de “stabilisation” : il ne devait plus y avoir de remise à la rue. En réalité, nous avons réinventé l’urgence. Ainsi, pour ne pas dormir dehors, des sans-abri restent la nuit dans les structures que nous gérons, alors qu’il s’agit en principe d’accueils de jour. La situation s’est même plutôt dégradée. »

B.– DES QUESTIONS NOUVELLES SUR L’ÉTAT ET L’ÉVOLUTION DU MONDE ASSOCIATIF

1.– Quelle structure du monde associatif au service d’une prise en charge efficace des personnes sans domicile ?

La Cour des comptes comme les représentants des opérateurs associatifs entendus lors de la table ronde du 21 décembre 2011 constatent que l’un des enjeux de la refondation, par l’édification d’un service public, est la capacité de ces opérateurs à s’organiser et à penser un meilleur schéma associatif au bénéfice de la prise en charge des personnes sans domicile.

Beaucoup des représentants de ces opérateurs associatifs ont défendu l’efficience du statut associatif en la matière et ont considéré qu’il incombait aux responsables associatifs de trouver un équilibre entre petites structures innovantes et structures plus grandes susceptibles d’avoir une surface financière viable.

M. Matthieu Angotti (Fnars) a ainsi indiqué que les associations « apportent une forte plus-value par leur capacité d’adapter leur offre de services à la réalité des besoins. Or c’est par le biais de petites structures très décentralisées qu’elles parviennent à innover. Il faut préserver cette “respiration” tout en acceptant la constitution d’assembliers aptes à travailler selon des orientations convergentes afin de prendre en charge des publics tout au long de leur parcours ».

M. Gilles Desrumeaux (Union professionnelle du logement accompagné) a tenu des propos analogues en indiquant être attentif « au maintien de la capacité de créer la nouveauté du secteur associatif. Car ce qui a bougé dans le secteur de l’hébergement et du logement au cours des vingt dernières années relève de son action. Il en va ainsi des agences immobilières à vocation sociale, des investissements dans la maîtrise d’ouvrage d’insertion, comme du démarrage des pensions de famille. […] Il faut donc veiller à concilier la préservation de la souplesse propre à faciliter les innovations et la nécessité pour les organismes d’atteindre, à un moment donné, une taille critique ». M. Christophe Louis (Les Morts de la rue et les Enfants du canal) a donné un autre exemple de la capacité d’innovation des associations en précisant défendre « les petites associations, même si j’admets qu’elles doivent parfois procéder à quelques efforts pour mieux se gérer. Elles interviennent dans un domaine qui évolue rapidement : il y a encore quinze ans, on parlait de “dortoirs” pour les personnes qui étaient à la rue. D’importantes avancées ont eu lieu grâce à l’action de ces associations. Il est important de les préserver pour leur conserver une capacité d’innovation. »

M. Olivier Marguery (Fondation Armée du salut) a considéré que la contradiction entre le maintien d’un tissu de petites associations dynamiques et innovantes et les « contraintes de gestion » qui poussent au regroupement pouvaient être dépassées « par le jeu des fédérations. Celles-ci doivent être soutenues par l’État comme lieux d’expression du monde associatif élargi aux représentants des usagers. Elles peuvent résoudre l’inévitable tension entre l’échelon micro-local qui innove et qui permet une unité de parcours, d’une part, et la logique économique dont dépend notre survie, d’autre part ». M. Roland Aubin (Conseil consultatif des personnes accueillies) a souligné l’importance de la prise en compte des usagers dans la vie et la réflexion des associations, précisant qu’« il serait bon que les associations prennent en compte les recommandations transmises à Mme Roselyne Bachelot-Narquin et préconisant de mieux faire participer les usagers. »

2.– Quels changements pour le travail social dans le cadre de la refondation ?

a) Une orientation des travailleurs sociaux des CHRS vers l’accompagnement social « hors les murs » ?

Alors que la Cour des comptes observe que « la réflexion sur ces sujets reste inaboutie » (37), beaucoup des intervenants lors de la table ronde du 21 décembre 2011 ont insisté sur la nécessité d’un accompagnement social dans le logement en faveur des personnes accédant à un logement dans le cadre de la stratégie du « logement d’abord ».

M. Éric Pliez (association Aurore) a résumé l’enjeu liant cette nécessité de l’accompagnement social à la « reconversion » d’un certain nombre de travailleurs sociaux en activité dans les centres d’hébergement en précisant qu’il « ne sert à rien d’abandonner les gens dans leur logement, comme l’a montré l’exemple du canal Saint-Martin : 80 % des personnes ont été logées et nombre d’entre elles en sont reparties, faute d’accompagnement social – la fraternité qui s’était créée autour de leur campement avait disparu. Le “logement d’abord” ne peut fonctionner que si l’on redéploie intelligemment les bases arrière que sont les accueils de jour et, plus encore, les centres d’hébergement, ce qui implique de mettre en place des “plateaux techniques” susceptibles, dans le logement, de créer du lien social, […] l’essentiel étant d’éviter que les personnes ne se retrouvent isolées dans leur logement. »

M. Matthieu Angotti (Fnars) a indiqué souhaiter l’existence de « “plateaux techniques” et [d’] équipes de travailleurs sociaux dédiés à l’accompagnement hors les murs, avec l’impératif de connaître, autour d’eux, les réseaux et les circuits de services collectifs, notamment dans les domaines de la santé et de l’emploi. Il est fondamental qu’une personne en difficulté sache qu’elle dispose toujours d’une personne vers qui se tourner et qui saura l’orienter. […] Les CHRS sont favorables à la reconversion progressive d’une partie de leurs équipes pour assurer un accompagnement hors les murs, avec le même nombre de travailleurs sociaux et une diminution des places d’hébergement : c’est l’un des principaux enjeux de la refondation. »

b) Quelles formations par rapport au sans-abrisme, notamment pour les travailleurs sociaux des opérateurs associatifs ?

Les représentants des opérateurs associatifs ont abordé la question de la formation professionnelle des travailleurs sociaux en activité, eu égard notamment à la prise en compte des personnes accueillies, aux mutations de leur métier induites par la refondation, à la faiblesse de leur formation initiale en matière d’urgence et de sans-abrisme et à la capacité des associations de mettre en œuvre les normes publiques.

M. Roland Aubin (Conseil consultatif des personnes accueillies), qui contribue à leur formation en la matière, a indiqué que les travailleurs sociaux « souffrent encore de lacunes dans leur connaissance de la loi de 2002 prévoyant la mise en place de conseils de la vie sociale. » M. Olivier Marguery (Fondation Armée du salut) a souligné que « le plus important réside dans la formation en faveur d’un changement culturel des pratiques. Ainsi, l’information sur l’intervention sociale d’intérêt collectif, promue par le Conseil supérieur du travail social, est encore trop peu diffusée et nécessiterait une formation longue. Un groupe de travail avait été constitué sur les métiers de l’urgence sociale, mais il n’a débouché sur rien. Se pose en filigrane la question de la professionnalisation car l’urgence sociale est aujourd’hui traitée soit par le secteur caritatif, soit par des professionnels de l’insertion ou du travail social classique, ce qui ne permet pas forcément à ces derniers de prendre en compte la réalité de la vie d’une personne demeurée sans abri pendant une longue durée. »

M. Claude Chaudières (Uniops) a précisé qu’« il faudrait aussi insister sur une aide à la formation au niveau des conseils d’administration des associations, ne serait-ce qu’en raison de la complexité des lois et de l’évolution des procédures. […] On note souvent un décalage entre l’évolution des missions d’intérêt général définies et financées par l’État et le projet associatif qui peut remettre en cause l’organisation politique et/ou technique d’une association. »

c) Quel rôle pour les « référents personnels » prévus initialement dans le cadre de la refondation ?

Au-delà des changements des modalités de travail des travailleurs sociaux en activité et de leur formation professionnelle, certains intervenants, lors de la table ronde du 21 décembre 2011, ont souhaité rappeler que la refondation prévoyait la mise en place d’un « référent personnel » pour les personnes sans domicile prises en charge et que ce projet n’avait, à ce stade, pas connu un début d’application.

M. Christophe Louis (Les Morts de la rue et les Enfants du canal) a indiqué qu’« un des axes de la refondation du dispositif d’hébergement et d’accès au logement, notamment au travers des SIAO, était le “référent personnel”, mode de coordination des prestations, apparemment oublié. Il s’agissait d’assurer une continuité de la prise en charge. Mais aucun crédit n’a jamais été inscrit à ce titre, pas même pour des expérimentions. Le “référent personnel” devait pouvoir être sollicité par l’intéressé, en cas de difficulté dans sa vie, même un ou deux ans après l’obtention d’un logement ». Pour M. Matthieu Angotti (Fnars), le référent personnel devait être « en mesure d’assurer un premier accueil de qualité, enjeu crucial, puis de mobiliser un réseau d’intervenants en rapport avec des problématiques plus spécifiques […] aussi bien en matière d’emploi que de santé ou de logement. »

C.– LA REFONDATION AU RISQUE DE L’ISOLEMENT ET DE LA « FILIÉRISATION » DE LA PRISE EN CHARGE DES PERSONNES SANS DOMICILE ?

La Cour des comptes et, de façon plus marquée, certains intervenants à la table ronde du 21 décembre 2011, ont signalé le risque d’un isolement institutionnel de la politique de l’État d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans domicile ; cet isolement porterait le risque de créer une « filière spécifique de pauvres », ainsi mise en concurrence avec d’autres filières créées sur la base d’autres dispositifs publics de prise en charge de la précarité ; l’efficacité de l’action publique d’ensemble contre la pauvreté s’en trouverait affectée.

Selon la Cour des comptes, « on sait que la mise en œuvre du Dalo introduit un phénomène de concurrence entre les publics prioritaires. Mais on ignore quelle est la part des personnes ou ménages issus des structures d’hébergement et qui sont relogés au titre du Dalo. (38)» 

M. Claude Chaudières (Uniopss) a précisé que « les ménages prioritaires, au titre des politiques publiques sont très nombreux, les personnes sortant des dispositifs d’hébergement sont mises en concurrence avec tous les autres demandeurs de logements. […] Avec une quinzaine de filières d’accès au logement social dans chaque département, il n’y a plus de lisibilité pour les publics prioritaires et les acteurs locaux ont du mal à se coordonner. »

S’agissant plus précisément du logement adapté ou accompagné, M. Gilles Desrumeaux (Unafo) a souligné que « les pensions de famille accueillent déjà des personnes en situation de grande exclusion. Si le SIAO fonctionne comme une filière d’accès à ces logements, substituant un nouveau droit de réservation à ceux dont disposent aujourd’hui divers acteurs – dont le préfet –, le dispositif ne fonctionnera pas ». Il a précisé qu’« une politique qui a renoncé à s’attaquer au mal-logement et dont la cible s’est déplacée du logement des personnes en situation de pauvreté pour privilégier un filet de sécurité destiné aux publics prioritaires ne manquera pas d’induire des effets de filière. Nous le sentons déjà dans nos établissements [proposant des logements adaptés et accompagnés] : les personnes que nous accueillons doivent être estampillées “public prioritaire” ou être déjà passées par une commission de médiation ou un centre d’hébergement. »

DEUXIÈME PARTIE : LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET LA PRISE EN CHARGE DES PERSONNES SANS DOMICILE : QUELLE ACTION DÉCENTRALISÉE, QUELLE COOPÉRATION
AVEC L’ÉTAT ?

Le protocole d’évaluation adopté par la 5e chambre de la Cour des comptes prévoyait, d’un commun accord avec les rapporteurs du Comité, que ceux-ci « [prennent] plus particulièrement en charge la partie de l’évaluation portant sur les relations avec les collectivités locales. »

Les rapporteurs ont abordé les questions relatives à l’action des collectivités territoriales concernant la prise en charge des personnes sans domicile et de leur coopération avec l’État en la matière en effectuant les travaux suivants :

– les déplacements et visites organisés en régions (Rhône-Alpes et Pays-de-la-Loire) et en Île-de-France (dans les Hauts-de-Seine, à Paris et dans les Yvelines) ont donné lieu à des entretiens avec des élus locaux et ont permis d’examiner les modalités de mise en œuvre de diverses initiatives et actions décentralisées ;

– les rapporteurs ont procédé à l’audition de représentants de l’Assemblée des départements de France (ADF), ainsi que de Mme Olga Trostiansky, adjointe au maire de Paris chargée de la solidarité, de la famille et de la lutte contre l’exclusion ;

– les rapporteurs ont adressé au début du mois de juillet 2011 un questionnaire aux présidents de trente conseils généraux. Ce questionnaire et la liste des départements destinataires – que les rapporteurs ont souhaité représentative de la diversité des territoires tout en privilégiant les zones urbaines les plus denses dans lesquelles se situent l’essentiel des difficultés liées au sans-abrisme – ont été soumis à l’expertise de l’ADF préalablement à l’envoi de ce courrier. L’ADF a d’ailleurs bien voulu tenir les rapporteurs régulièrement informés de ses échanges avec l’État quant à la mise en œuvre sur le terrain de ses compétences et de celles des départements.

Il était en l’espèce logique que les rapporteurs centrent leurs travaux sur l’observation de l’action des départements. Alors que la compétence de l’hébergement et de l’accès au logement des personnes sans domicile et mal logés relève de l’État, les lois de décentralisation ont en effet progressivement confié des responsabilités accrues aux départements en matière d’aide sociale, y compris pour des domaines se situant « à proximité » de la compétence étatique, ou concernant des personnes sans domicile.

La décentralisation des compétences en matière d’aide sociale, initiée avec l’adoption des lois dites « Deferre » en 1982 et 1983, a été sensiblement accentuée avec les lois de 2003 et 2004 – constituant ce qu’il est convenu d’appeler « l’acte II  de la décentralisation » (39) –, jusqu’à prévoir une compétence générale des départements en matière d’action sociale, codifiée à l’article L. 121-1 du code de l’action sociale et des familles (CASF). Celui-ci dispose ainsi que : « le département définit et met en œuvre la politique d’action sociale, en tenant compte des compétences confiées par la loi à l’État, aux autres collectivités territoriales ainsi qu’aux organismes de sécurité sociale. Il coordonne les actions menées sur son territoire qui y concourent ». Ont par ailleurs été transférés en 2004 aux départements – dans les conditions prévues aux articles 6 et suivants de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement – le financement et la gestion des Fonds de solidarité pour le logement (FSL).

Ce mouvement progressif de décentralisation amène logiquement à poser la question du transfert aux départements de la compétence – aujourd’hui résiduelle – de l’État concernant l’hébergement et l’accès au logement des personnes sans domicile et mal logés (cf. I ci-après). La question de la prise en charge de l’hébergement des femmes enceintes et des mères isolées d’enfants de moins de trois ans illustre d’ailleurs certaines pertes d’énergie et de temps – et donc peut-être d’efficacité à l’égard des personnes concernées – pour déterminer dans le détail les champs de compétence respectifs et les modalités d’action de l’État et des départements.

Toutefois, si une certaine logique théorique et pratique peut plaider pour un achèvement de la décentralisation en matière d’aide sociale, il n’apparaît pas souhaitable à ce stade de proposer d’y procéder. La politique d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans-abri et mal logés « porte » en effet des dimensions nationales, qu’il convient de ne pas négliger ; par ailleurs, un transfert de compétences ne peut concerner qu’une compétence dont les moyens – techniques et budgétaires – de l’exercer sont clairement évalués ; or la refondation – qui constitue d’ailleurs la formalisation du souhait que l’État fasse mieux en la matière – ne permet pas à ce stade de procéder à cet exercice d’évaluation.

Dans ce contexte, la coordination entre les conseils généraux et l’État constitue un enjeu majeur de l’efficacité et de l’efficience de la politique d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans-abri et mal logés (cf. II ci-après). Comme le note opportunément la Cour des comptes (40: « la politique de refondation prévoit l’association des services du conseil général aux principaux dispositifs mis en place : PDAHI, SIAO, Ccapex de manière à permettre la conduite au plan local d’une politique commune à l’égard de certains publics et de certaines structures. Toutefois les modalités d’articulation entre les services de l’État et ceux du conseil général restent très diverses selon les départements, […] ». Les rapporteurs, dans les développements ci-après, illustreront ce constat d’une grande variété dans l’intensité et les modalités de coopération entre l’État et les départements.

I. – MALGRÉ CERTAINS ARGUMENTS PLAIDANT POUR LE REGROUPEMENT DE TOUTES LES POLITIQUES D’AIDE SOCIALE AU NIVEAU DÉPARTEMENTAL, LA DÉCENTRALISATION DE LA POLITIQUE D’HÉBERGEMENT N’EST PAS SOUHAITABLE EN L’ÉTAT

A.– L’EXERCICE DES COMPÉTENCES RESPECTIVES DE L’ÉTAT ET DES CONSEILS GÉNÉRAUX EST SOURCE DE COMPLEXITÉ

Si les dispositions législatives évoquées supra sont claires, l’actuelle répartition des compétences entre l’État et les départements est relativement complexe si l’on considère leur mise en œuvre effective sur le terrain, comme en témoigne l’application de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles (CASF) pour la prise en charge des femmes enceintes isolées ou accompagnées d’enfants de moins de trois ans. Les difficultés liées à l’application de cette disposition conduisent à un contexte tendu entre l’État et les départements, jusqu’à l’engagement de contentieux. Cette situation contribue sans doute à ce que certains conseils généraux considèrent qu’il pourrait être logique, voire pertinent, de leur transférer la compétence exercée à ce stade par l’État concernant la politique d’hébergement et d’accès au logement.

1. La prise en charge des femmes enceintes et des mères isolées d’enfants de moins de trois ans est institutionnellement complexe

La mission parlementaire sur l’hébergement d’urgence et l’accès au logement des personnes sans abri ou mal logées, confiée par le Premier ministre à notre collègue Étienne Pinte, avait fait le constat en décembre 2007 d’une « pratique très hétérogène de l’accueil des mères selon les départements. Certains départements accueillent les familles sans restriction, d’autres demandent à ce que soient réunis les besoins de soutien matériel et de soutien psychologique, d’autres étant disposés à accueillir les enfants, mais étant plus restrictifs pour les mères. Les jeunes mères sortant de la maternité avec des nourrissons de moins de trois jours et sans solution d’hébergement sont de plus en plus nombreuses. Cette situation concerne 20 femmes par mois dans les Yvelines, 150 enfants de moins de trois ans sont logés en CHU, CHRS ou à l’hôtel. À Paris, 1 959 enfants de moins de trois ans ont été hébergés par le pôle famille du 115 de Paris en 2006(41)»

La loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, dite loi « Molle », a prévu la modification de l’article L. 222-5 du CASF après l’adoption d’un amendement de nos collègues Étienne Pinte, rapporteur pour avis de la commission des Affaires sociales et culturelles, et Marc-Philippe Daubresse (42). La première phrase du 4° de l’article L. 222-5 du CASF a ainsi été complétée par les mots : « , notamment parce qu’elles sont sans domicile », pour conduire au texte figurant dans l’encadré ci-après.

Article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles

[…] « Sont pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance sur décision du président du Conseil Général : […]

« 4° Les femmes enceintes et les mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d’un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu’elles sont sans domicile ».

Le tableau suivant, issu des réponses des conseils généraux aux questions des rapporteurs, permet de mesurer, pour quelques conseils généraux, le poids – somme toute limité en effectif – de cette problématique dans l’ensemble des jeunes qu’ils prennent en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance.

RÉPARTITION DES PUBLICS PRIS EN CHARGE
PAR CERTAINS CONSEILS GÉNÉRAUX (2010)

(en nombre de personnes)

 

Aide sociale
à l’enfance

4° de l’article L. 222-5 CASF

 

Femmes enceintes
et mères d’enfants
de moins de 3 ans

Enfants de moins de 3 ans

(en nombre et en pourcentage du total Ase)

Alpes-maritimes

2 150

149

135

6,3 %

Calvados

2 230

27

34

1,5 %

Moselle

3 575

189

164

4,6 %

Seine-Maritime

6 249

22

28

0,4 %

Hauts-de-Seine

3 568

149

142

4,0 %

Seine-Saint-Denis

6 533

332

309

4,7 %

Yvelines

1 925

73

76

3,9 %

Source : Réponses au questionnaire adressé par les rapporteurs à certains conseils généraux.

Portant ainsi sur des situations individuelles très difficiles mais relativement peu nombreuses, l’intention des auteurs de l’amendement était de « clarifier le texte en vigueur en rappelant que le fait d’être sans domicile suffit à attester du “besoin de soutien” justifiant la prise en charge » (43) au titre de la compétence départementale en matière d’aide sociale à l’enfance (Ase). Il apparaît – eu égard aux réponses au questionnaire que certains conseils généraux ont adressées aux rapporteurs – que ce souci de clarification n’a pas empêché le développement de controverses à la fois sur le sens à donner à cette disposition législative et sur les modalités concrètes de sa mise en œuvre.

Les conseils généraux sont nombreux à considérer que la modification par la loi « Molle » de l’article L. 222-5 du CASF n’a pas modifié – ou ajouté – à leur compétence antérieure, qui leur impose de prendre en charge des femmes enceintes et des mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans, dans une démarche « éducative », c’est-à-dire en réponse à des difficultés dans l’exercice de l’autorité parentale.

Ainsi, le président du Conseil général de Seine-et-Marne, répondant aux rapporteurs, estime que « cette assertion [sur l’existence d’une compétence départementale d’hébergement d’urgence de ces femmes enceintes, mères et enfants] est parfaitement inexacte, puisque les départements ne sont pas compétents en matière d’hébergement d’urgence, qui reste une compétence d’État. »

L’ajout des mots « notamment parce qu’elles sont sans domicile » est ainsi fréquemment interprété par les conseils généraux comme un élément qualifiant les difficultés matérielles et psychologiques de la mère, qui fondent traditionnellement la prise en charge au titre de l’Ase. Selon le Conseil général des Hauts-de-Seine, « on ne peut […] considérer qu’il existe une présomption selon laquelle une femme enceinte ou une mère isolée avec enfant de moins de trois ans dépourvue de logement relèverait à ce titre de l’Ase ». La Ville de Paris estime, de façon analogue que « les départements n’ont pas d’obligations légales en matière d’hébergement d’urgence, y compris pour les femmes enceintes et les mères d’enfants de moins de trois ans sans domicile […] l’Ase intervient dans le cadre d’une problématique sociale et éducative globale. »

Les conseils généraux font ainsi souvent valoir une différence de finalité et donc une absence d’équivalence entre la nécessité de fournir un hébergement et la compétence du département au titre de l’Ase ; dans cette perspective, la mission de l’État aurait pour objet le secours et le logement, tandis que la mission du département aurait pour finalité la protection de l’enfance. Le Conseil général du Calvados souligne que cette dernière « ne s’inscrit pas par principe dans le cadre de l’urgence » et ajoute que « la loi de 2009 a conduit les services de la DDASS à identifier les accueils qui auraient pu relever de la compétence du département dans les CHRS et foyers d’urgence sur le seul constat de l’accueil d’une femme enceinte ou d’une mère avec enfant de moins de trois ans. Le critère n’est pas suffisant car […] la finalité de l’accueil n’est pas l’hébergement consécutif à l’absence de domicile mais la nécessité d’une action socio-éducative ». Dans un courrier du 4 août 2011 adressé au secrétaire d’État chargé du logement – qu’il a joint en réponse aux questions des rapporteurs – le président du Conseil général de Seine-et-Marne précise que « certaines familles, malgré les conditions difficiles de logement dans lesquelles elles se trouvent, restent en capacité de préserver le lien éducatif de manière remarquable et il est donc profondément injuste de les inscrire dans le registre de la protection de l’enfance avec le caractère intrusif et coercitif que cela représente ». En conséquence, de façon pratique, certains départements – ici le Conseil général de Haute-Garonne – estiment qu’une fois résolues les difficultés éducatives, « un retour en hébergement classique est effectué. »

S’agissant des impacts concrets de cette modification législative, le Conseil général du Val-de-Marne – citant un rapport de 2010 de l’inspection générale départementale de ses services – les estime réels mais très limités, en indiquant que « le département intervient à la marge des politiques en faveur de l’hébergement d’urgence. Son action se justifie par son rôle en matière de protection de l’enfance ». S’agissant de l’impact concret de la modification de l’article L. 222-5 du CASF, le Conseil général du Calvados estime lui aussi qu’« il n’y a pas un avant et un après loi de 2009 ». Le Conseil général de la Haute-Garonne fait part d’un impact plus significatif de la modification législative de 2009, en précisant qu’« avant la loi de 2009, seules les situations relevant de problématiques éducatives […] étaient prises en charge. Depuis cette loi, une bonne partie des femmes accompagnées sont dans des questions uniquement d’hébergement […] le nombre de prises en charge du public au titre de l’article L. 222-5 du CASF a augmenté de 60 %. »

Certains opérateurs financés par l’État au titre de sa compétence en matière d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées semblent en tout état de cause avoir une lecture impliquant plus avant, sur le fondement de l’article L. 222-5 du CASF, les conseils généraux, leurs services et leurs infrastructures, dès lors qu’est posée la question de la mise à l’abri d’une femme enceinte ou d’une mère isolée accompagnée de ses enfants de moins de trois ans. Le Conseil général des Hauts-de-Seine précise ainsi que « depuis l’adoption de [la loi du 25 mars 2009], […] les services de l’État intègrent les centres maternels en tant que lieux d’accueil des personnes en difficulté avec des sollicitations par le 115. »

Les services de l’État considéreraient ainsi qu’il existe une forme de présomption selon laquelle une femme enceinte ou une mère isolée dépourvue de domicile a besoin d’un soutien matériel et psychologique et relève à ce titre de l’Ase.

Le désaccord théorique et pratique conduit certains départements à considérer qu’ils sont en l’espèce confrontés à un transfert de charges non compensé. Dans une lettre au secrétaire d’État chargé du logement, M. Benoist Apparu, le président du Conseil général de Seine-et-Marne a exprimé son inquiétude : « je crains qu’il ne soit avant tout question derrière cette stratégie de transférer des coûts de l’État vers le département, niant la réelle distinction entre les deux dispositifs ». Le Conseil général des Hauts-de-Seine exprime le même sentiment, en affirmant que « l’hébergement d’urgence relève […] de la solidarité nationale et l’interprétation des textes par l’État vise surtout à faire supporter par les départements une charge qui ne cesse de s’alourdir en induisant l’équation : pauvreté = maltraitance des enfants. »

De fait, des demandes de remboursement auprès des départements des frais d’hébergement de personnes éligibles à l’Ase au titre de l’article L. 222-5 du CASF – et hébergées par des opérateurs classiques de l’État en la matière comme les CHU ou les CHRS – ont été adressées par des services de l’État à certains conseils généraux ; et ont donné lieu à plusieurs litiges et contentieux devant les tribunaux, dont les principes faisaient encore récemment l’objet d’échanges nourris entre les départements – via l’ADF – et le Gouvernement et ses services. Si le principe même de ces demandes de remboursement ne semble plus être contesté – suite à une expertise juridique du Conseil d’État réalisée en 2011 –, la controverse concerne désormais le point de savoir si la tarification ainsi appliquée aux conseils généraux peut être mise en œuvre pour des frais d’hébergement relevant d’établissements qui n’auraient pas été autorisés par le président du conseil général en application de l’article L. 313-3 du CASF.

En conclusion, le partage actuel des compétences entre les départements et l’État apparaît constituer une source de tension ; il n’est au demeurant pas certain que cette dernière puisse être apaisée par de nouvelles « retouches » législatives qui maintiendraient globalement inchangées les compétences respectives de l’État et des départements. La difficulté a en effet pour origine le fait que l’aide sociale en faveur d’un même ménage relève de deux autorités publiques différentes selon la nature du secours apporté. Sans exagérer la portée de cette difficulté – qui porte sur un nombre de cas individuels limités au regard des effectifs pris en charge par les départements au titre de l’Ase –, il convient de reconnaître qu’elle conduit les départements comme l’État à consacrer une part de leur énergie à déterminer le modus operandi lui-même de la prise en charge plus qu’à améliorer sa qualité.

2. Certains conseils généraux déclarent ne pas être opposés au principe d’un bloc de compétences décentralisées pour toute l’aide sociale, y compris l’hébergement

Les difficultés de mise en œuvre de l’article L. 222-5 du CASF précité ne sont sans doute pas étrangères à ce que certains conseils généraux considèrent favorablement le principe de la décentralisation de la compétence de l’État – résiduelle en matière d’aide sociale – relative à l’hébergement et au logement des personnes sans abri ou mal logées.

Ainsi, le Conseil général de Haute-Garonne jugerait « utile d’unifier le bloc de compétence et d’attribuer la prestation d’hébergement d’urgence à une même autorité administrative, sans distinction entre les questions de couples ou de femmes seules, et au sujet des questions d’âge des enfants (pourquoi cette barre à 3 ans ?) ». Selon le Conseil général des Bouches-du-Rhône, une telle décision « aurait le mérite de simplifier l’organisation de la réponse sociale en la matière ». Le Conseil général de Meurthe-et-Moselle y voit également une certaine justification, indiquant qu’« un transfert au département de la compétence hébergement serait donc envisageable. Il permettrait sans doute une meilleure articulation entre les différentes politiques sociales. »

B. – LA DÉCENTRALISATION DE LA POLITIQUE D’HÉBERGEMENT ET D’ACCÈS AU LOGEMENT DES PERSONNES SANS DOMICILE OU MAL LOGÉES APPARAÎT CEPENDANT INOPPORTUNE À CE STADE

Les rapporteurs observent en premier lieu la difficulté qu’il y aurait à décentraliser la compétence de l’État pour laquelle – en lançant la refondation – ce dernier a précisément choisi de continuer à l’exercer en modifiant sa gouvernance et les dispositifs techniques qui la constituent, dont certains d’entre eux ne sont d’ailleurs à ce stade pas encore mis en œuvre. Il apparaît donc périlleux de procéder à la décentralisation d’un dispositif dont les contours et contenus font et feront l’objet jusqu’à moyen terme d’importants changements.

Au demeurant, lors de la table ronde à laquelle les rapporteurs ont convié les représentants d’associations dans le domaine de l’hébergement et de l’accès au logement des personnes sans domicile, M. Éric Pliez (association Aurore) a abordé la question du sens à donner à la refondation du point de vue de la décentralisation en s’interrogeant dans les termes suivants : la création de « la délégation interministérielle pour l’hébergement et l’accès au logement des personnes sans-abri ou mal logées (Dihal) ne va-t-elle pas […] dans le sens d’une reprise en main de cette politique par l’État ? »

Deux catégories d’arguments conduisent en tout état de cause à considérer difficile, voire inopportune à ce stade, la décentralisation de la politique d’hébergement et d’accès au logement des personnes défavorisées :

– il semble difficile d’identifier aujourd’hui le coût de la politique qu’il s’agirait de décentraliser ;

– certaines dimensions de cette politique relèvent d’autres problématiques nationales ou mettent en jeu la responsabilité et l’autorité de l’État, à l’instar des modalités de la prise en charge des personnes de nationalité étrangère, des fondements juridiques de la prise en charge par une autorité publique décentralisée d’une personne sans domicile – qui par définition n’est pas « rattachable » à un territoire – ou encore du respect sur l’ensemble du territoire de l’inconditionnalité de l’accueil en urgence.

1. Une difficile évaluation des moyens à transférer aux départements dans l’hypothèse de la décentralisation

La majorité des départements ayant répondu aux questions des rapporteurs sont sceptiques quant à un processus de décentralisation s’appuyant sur la dévolution de moyens budgétaires suffisants pour l’exercice de la compétence relevant aujourd’hui de l’État. Ainsi, évoquant la conjoncture budgétaire actuelle, le Conseil général des Bouches-du-Rhône souligne les « questionnements inévitables sur le transfert des moyens en cette période de difficultés budgétaires nationales. »

En l’espèce, cette question est plus aiguë encore, du fait de la sous-budgétisation chronique du programme 177, qui rend difficile l’identification de bases budgétaires récentes exhaustives permettant de déterminer le montant des charges qu’il conviendrait de transférer aux départements. Au-delà de cette question qui n’est pas que technique, il n’est pas non plus certain que les principes du calcul de ces charges soient évidents. En effet, si est transférée une compétence consistant à apporter une solution de mise à l’abri, de façon inconditionnelle, pour toute demande recensée d’hébergement, il est patent que les crédits du programme 177, même « rebasés », n’y suffiraient pas, loin s’en faut (cf. supra les développements de la première partie du présent rapport relatifs au sous-dimensionnement du dispositif).

Les conseils généraux craignent que l’idée de la dévolution de compétences s’appuie justement sur le constat fait par l’État de son incapacité à financer le dispositif tel qu’il existe. Pour le Conseil général du Calvados, « la question ne semble être posée […] qu’au regard des difficultés de l’État à assurer le financement du dispositif sur l’ensemble du territoire ». Plusieurs conseils généraux témoignent d’ailleurs de la difficulté pour l’État de financer certains dispositifs existants, parfois très directement liés à l’exercice de ses compétences. Le Conseil général de Haute-Garonne déplore « que les services de l’État ne soient pas dotés de moyens en suffisance pour que [les] jeunes majeurs […] puissent être accompagnés », tandis que le Conseil général du Val-de-Marne demande « que le 115 du Val-de-Marne bénéficie d’un financement à hauteur des besoins et ce de façon pérenne. »

2. Une politique publique qui présente des dimensions nationales

L’hébergement des personnes de nationalité étrangère en situation irrégulière est un aspect de la compétence de l’État fréquemment évoqué par les conseils généraux pour considérer sa décentralisation comme difficilement praticable. Ils rappellent en effet que les politiques relatives à l’immigration et l’asile constituent une prérogative régalienne. Compte tenu du fait que l’hébergement d’urgence constitue le seul secours de mise à l’abri pour les personnes sans papier et sans domicile, les conseils généraux seraient – dans l’hypothèse d’une compétence décentralisée – placés dans une situation particulièrement inconfortable en étant tenus de les prendre en charge, sans être, par définition, en capacité de définir et de mettre en œuvre une politique migratoire. La situation actuelle est à ce titre relativement cohérente : l’État est responsable à la fois de la police des étrangers en situation irrégulière et de la prise en charge éventuelle de leur séjour au titre de l’hébergement d’urgence.

Les départements sont d’autant plus sensibles à cette question qu’ils relèvent que les personnes de nationalité étrangère, en situation régulière ou non – souvent en attente ou déboutées du droit d’asile – sont présentes de façon croissante dans les structures qu’ils gèrent au titre de l’Ase – par exemple les centres maternels. Le Conseil général de Meurthe-et-Moselle précise ainsi que les familles de nationalité étrangère représentent « 30 à 50 % des effectifs du centre maternel public ». Ces personnes font parfois l’objet, dans des proportions substantielles, d’une obligation de quitter le territoire français. Le Conseil général du Val-de-Marne précise ainsi que « les mères isolées accueillies […] sont très majoritairement issues de l’immigration africaine. 40 % sont en situation irrégulière au titre du séjour. »

Certains conseils généraux contestent d’ailleurs devoir prendre en charge au titre de l’Ase des familles composées de personnes étrangères en situation irrégulière, parce que leur prise en charge relèverait nécessairement d’un secours organisé au niveau national. Le Conseil général de la Haute-Garonne considère ainsi que « la prise en charge des populations les plus démunies, dont font précisément partie les populations étrangères et en particulier celles qui sont sans statut, relève à l’évidence de la fonction de protection fondamentale de l’État au nom de son rôle de garant de la cohésion sociale ». Le même conseil général constate que la confrontation de sa position et de celle de l’État correspond à un « conflit d’interprétation [qui] n’a pas été porté devant les tribunaux et n’est donc pas tranché. Il entraîne de nombreux soucis au quotidien et laisse des enfants sans réponse satisfaisante. »

Plusieurs conseils généraux insistent également sur la nature du secours apporté par l’État aux personnes sans domicile – qui, par définition, ne sont pas rattachées à une adresse particulière – et, plus largement, sur le « nomadisme » des personnes sans domicile. Le Conseil général du Calvados considère ainsi que « cette compétence de l’État trouve son fondement dans la prise en charge des personnes sans domicile fixe et donc sans domicile de secours » ; pour le Conseil général du Val-de-Marne, « il s’agit fondamentalement d’une mission régalienne […] très en lien avec les missions de maintien de l’ordre public ». Le même conseil général en conclut que « la prise en charge de personnes en errance, sans lien avec le territoire, ne correspond pas à [l’] objectif de la décentralisation des compétences sociales ». Dans le même ordre d’idée, le Conseil général de la Moselle indique qu’il lui « apparaît judicieux de maintenir un dispositif d’accueil uniforme et cohérent sur l’ensemble du territoire national ». Le Conseil général d’Ille-et-Vilaine considère, à tout le moins, qu’un « regard supra départemental sur la prise en charge de ces publics est indispensable. »

Les représentants des opérateurs associatifs, lors de la table ronde du 21 décembre 2011, ont avancé des arguments analogues – portant sur la nécessité d’une certaine uniformité des modalités de l’accueil des personnes sans domicile –, les conduisant à l’expression d’un scepticisme certain sur la question de la décentralisation de la compétence de l’État. Ainsi, M. Christophe Louis (associations Les Morts de la rue et Les Enfants du canal) a posé la question en ces termes : « est-on sûr qu’il y aura égalité de traitement sur tous les territoires. […] La décentralisation […] que vous évoquez suscite en tout état de cause de sérieuses inquiétudes en matière de respect de l’inconditionnalité de l’accueil ». M. Éric Pliez (association Aurore) a exprimé sa crainte que la décentralisation n’aboutisse à « une rupture de l’égalité et de la solidarité. »

M. Matthieu Angotti (Fnars), en soulignant que la décentralisation conduirait à une charge de contrôle pour l’État pas moins lourde que celle qui lui incombe dans le cadre de l’exercice de sa compétence actuelle, a posé la question suivante : « quant à l’équité territoriale, la question se pose déjà aujourd’hui et se poserait plus encore en cas de décentralisation. Quelle place l’État stratège pourra-t-il occuper pour assurer une équité de traitement ? » M. Claude Chaudières (Uniopss) s’est aussi interrogé sur la capacité de l’État à mettre en œuvre un contrôle efficace de la mise en œuvre de la compétence décentralisée, en posant cette question : « comment les préfets dresseraient-ils des constats de carence en matière de sans-abrisme ? »

II. – LA RÉUSSITE DE LA REFONDATION IMPLIQUE UNE COOPÉRATION ACCRUE ENTRE L’ÉTAT ET LES DÉPARTEMENTS

Les rapporteurs considèrent que les modalités de la coopération entre l’État et les collectivités territoriales – notamment les départements – doit être approfondie selon au moins trois axes, dans l’optique de la réussite de la refondation :

– la coopération de fait, par la participation des collectivités territoriales à des dispositifs relevant de la compétence de l’État doit être mieux connue et organisée ;

– les principaux dispositifs techniques qui constituent la refondation prévoient une coopération avec les conseils généraux. Comme l’illustrent les témoignages recueillis auprès d’eux par les rapporteurs, l’intensité et la qualité de cette coopération sont très hétérogènes à ce stade, sans doute faute d’une organisation en amont suffisamment élaborée à ce stade ;

– certains jeunes pris en charge par les départements au titre de l’Ase se retrouvent, une fois leur majorité atteinte, parmi les personnes accueillies par l’État au titre de l’hébergement des personnes sans domicile ; et ce, dans des proportions sans doute non négligeables, quand bien même elles ne sont pas précisément quantifiées. Ce constat n’est pas surprenant, dans la mesure où les jeunes concernés subissent de façon précoce un ou des « accidents de la vie » parmi ceux qui peuvent conduire au sans-abrisme. Ce constat ne doit pas non plus occulter la qualité du travail des départements au titre de l’Ase, qui permet précisément à de nombreux jeunes de se voir offrir une voie meilleure et de s’insérer durablement dans la société. Il n’en reste pas moins que la question du devenir et du suivi des jeunes majeurs – les plus en difficulté – antérieurement pris en charge au titre de l’Ase appelle une coopération accrue entre les conseils généraux et l’État.

Les rapporteurs notent que des représentants des opérateurs associatifs, lors de la table ronde du 21 décembre 2011, ont souligné l’enjeu fondamental, pour le succès de la refondation, d’une coopération réussie entre l’État et les collectivités territoriales. M. Claude Chaudières (Uniopss) a indiqué que « l’avenir de la refondation tient […] à l’engagement des collectivités locales auprès de l’État pour sa mise en œuvre. […] On ne fera pas la refondation contre l’avis des collectivités locales ! » Pour M. Gilles Desrumeaux (Unafo), évoquant plus précisément le logement social et la stratégie du « logement d’abord », « Il convient […] de mieux articuler la politique de l’État et celle des collectivités locales. La programmation du logement relève largement de ces dernières et c’est là que se joue la réussite de la politique. L’État et les collectivités doivent donc s’entendre sur les publics visés, les modes de relogement et la mobilisation de l’accompagnement social. »

Lors de son audition le 17 janvier 2012, M. Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement, a considéré qu’une étape nouvelle des relations entre les collectivités territoriales et l’État était en cours de lancement. Il a ainsi précisé qu’« il y a encore trois mois, nous ne travaillions pas de façon satisfaisante avec l’Association des départements de France. Non seulement nos rencontres étaient trop rares, mais je ne suis pas sûr que l’ADF ait été suffisamment associée à la stratégie de refondation, laquelle, à l’origine, concernait surtout l’État et les partenaires associatifs. La même remarque vaut pour l’Union nationale des centres communaux d’action sociale. Or il y a deux mois, j’ai rencontré les membres du bureau de l’ADF, et je crois que nous sommes parvenus à une analyse commune sur la stratégie du “logement d’abord” et les différents outils mis en place. Une fructueuse séance de travail s’est également tenue avec la commission logement de l’association. Nous avons ainsi défini une forme d’instruction commune, chacune des parties diffusant l’information auprès de son réseau ». D’autres rendez-vous semblent avoir été pris pour l’avenir afin approfondir ce travail en commun et sa déclinaison sur le terrain. Les rapporteurs considèrent que cette démarche doit être durablement poursuivie.

A. – LA PARTICIPATION RÉELLE, MAIS NON QUANTIFIABLE, DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES AU FINANCEMENT ET À LA MISE EN œUVRE DE LA COMPÉTENCE DE L’ÉTAT

1.– La participation des départements et communes aux dispositifs relevant de la compétence de l’État

Les conseils généraux et communes participent à la politique d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées, en investissement – par exemple pour l’ouverture ou la rénovation de places d’hébergement et de logement adapté – et, le cas échéant, pour le fonctionnement de ces mêmes centres ou pour accompagner les dispositifs hivernaux de mise à l’abri.

Lors de la table ronde du 21 décembre 2011, M. Gilles Desrumeaux (Unafo) a souligné que : « le financement d’une résidence sociale est impossible à moins de 50 % ou 70 % de subventions, dont les collectivités fournissent la plus grande part. »

Les rapporteurs ont constaté lors de leurs visites et déplacements en régions et Île-de-France, l’implication des collectivités territoriales dans la politique d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans abri ou mal logés. Dans le Rhône, les rapporteurs ont constaté que le CHRS Carteret, créé par l’association Alynea, se situe sur un terrain loué, dans des conditions spécifiques, par la ville de Lyon. Dans le même département, l’association Le Foyer Notre Dame des sans-abri – dont les rapporteurs ont visité le centre d’hébergement d’urgence Gabriel Rosset – fait état de financements publics (44) illustrant l’implication de toutes les collectivités territoriales et répartis de la façon suivante : État : 64,4 % ; Conseil général du Rhône : 15,3 % ; caisse d’allocations familiales : 10,4 % ; Ville de Lyon : 6,4 % ; Conseil régional de Rhône-Alpes : 1,4 %.

Confrontée sur son territoire à de nombreuses difficultés liées au sans-abrisme, la Ville de Paris – à la fois en tant que commune et département – a fait part aux rapporteurs des moyens qu’elle déploie pour la prise en charge des situations d’urgence. On peut, entre autres, évoquer les éléments suivants :

– les trois permanences sociales d’accueil (PSA) proposent un accompagnement social global en faveur des personnes sans domicile fixe. Le financement par le centre d’action sociale de la ville de Paris (CASVP), de ces trois PSA s’élevait en 2011 à environ 5,8 millions d’euros ;

– le financement de 15 espaces solidarité insertion (ESI) – qui offrent un accueil de jour inconditionnel aux personnes les plus précarisées, dont notamment les personnes sans domicile – s’élevait en 2011 à 3,63 millions d’euros ;

– le Samu social bénéficie d’un financement de la ville à hauteur de 3,7 millions d’euros en 2011, pour son fonctionnement, l’ESI qu’il gère, ainsi qu’en personnel et locaux ;

– certaines maraudes ont été financées pour un montant de 630 000 euros en 2011 ;

– la ville de Paris a créé au sein de sa direction de la prévention et de la protection (DPP) une unité municipale d’assistance aux personnes sans abri constituée de certains des inspecteurs de sécurité de la ville. Cette unité porte assistance aux personnes sans abri qui séjournent sur le domaine municipal (plus particulièrement les bois et espaces verts) ; elle y fait aussi appliquer la réglementation propre à ce domaine. Les rapporteurs ont pu accompagner deux des trente agents de cette unité le 15 décembre 2011 dans la soirée à plusieurs endroits dans Paris et ont pu constater leur connaissance très fine du terrain et des personnes rencontrées. Le coût de fonctionnement de cette unité en 2011 s’élevait à 1,1 million d’euros.

Le Conseil général du Val d’Oise fait part lui aussi d’une participation « de manière volontaire » à un ensemble de prestations relevant au moins en partie de la compétence de l’État, pour un montant total de 4,6 millions d’euros en 2010. Le Conseil général du Val d’Oise prend en compte dans ce montant des contributions pour des nuits d’hôtel pour les bénéficiaires de l’Ase, des places cofinancées dans le dispositif d’hébergement d’urgence, le financement à 50 % des allocations de logement temporaire (ALT) avec l’État, des accueils de jour, des résidences sociales, des maisons relais, des agences immobilières sociales, une cellule « prospection logement » et un atelier « recherche logement ».

2.– La participation des départements en complément de l’exercice de leurs compétences propres

De nombreux conseils généraux témoignent aussi du fait que la mise en œuvre de la partie de l’article L. 222-5 du CASF relative au secours porté aux femmes enceintes et mères isolées d’enfants de moins de trois ans les conduit, pour des raisons humaines et pratiques, à étendre leur action au-delà de leurs compétences.

La Ville de Paris précise ainsi que « faute de places suffisantes la collectivité parisienne est contrainte de prendre en charge un nombre important [de familles], y compris lorsque le père est présent et qu’il y a des enfants de plus de trois ans, même si le département n’a pas de compétence spécifique lorsqu’il n’y a qu’un problème d’hébergement. »

De la même façon, le Conseil général de la Moselle « prend en charge des femmes enceintes et mères isolées : 1° dont la moyenne d’âge des enfants ne dépasse pas 3 ans (l’aîné pouvant donc être âgé de plus de 3 ans) ; 2° sur la base de critères non cumulatifs des besoins matériels et éducatifs (un problème de logement seul suffit) ; 3° les soirs et les week-ends en cas d’urgence, sans passer forcément par le 115 ». Le Conseil général d’Ille-et-Vilaine indique qu’« il peut arriver que l’orientation vers un centre maternel se fasse dans les situations de jeunes couples en grande difficulté […], faute d’une solution adéquate pour le couple ». Dans le même esprit, le Conseil général de Haute-Garonne prend en charge des pères isolés et des couples avec enfants, « la situation actuelle des services en charge de l’hébergement [de ces couples avec enfants] ne permettant pas de loger des familles faute de place en CHRS et d’argent pour des nuits d’hôtels ». Selon une modalité d’action différente, le département du Calvados indique fournir une assistance à la parentalité au sein d’un CHRS « d’un montant annuel de 85 000 euros. »

3.– La contribution réelle, mais mal connue, des collectivités territoriales à la politique de l’hébergement d’urgence

Certains conseils généraux semblent assumer des charges financières supplémentaires importantes, du fait de leur participation à l’exercice par l’État de sa compétence. Outre les montants évoqués supra concernant la Ville de Paris, le Conseil général de Meurthe-et-Moselle estime que « les personnes accueillies qui ne relèvent pas de notre compétence correspondent à la moitié de l’effectif du centre maternel [géré par le conseil général] ». Selon le Conseil général du Val-de-Marne, « la participation du département aux compétences exclusives de l’État en matière d’hébergement s’élève […] à près de 9 millions d’euros en 2011. » Le Conseil général de la Seine-et-Marne avance un montant de 7 millions d’euros de participation supplémentaire.

L’ensemble de ces éléments montre une participation réelle, diversifiée, parfois substantielle, le cas échéant empirique – et en tout état de cause mal connue – des collectivités territoriales à la politique d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées.

La Cour des comptes a souligné la difficulté de la tâche consistant à établir un bilan exhaustif en la matière. Elle indique que « selon le rapport de MM. Thouroude et Peltier réalisé en janvier 2010 à la demande de la DGCS, la contribution des départements représenterait en moyenne 13,6 % des ressources tous statuts institutionnels confondus [des centres d’hébergement], celui des communes 8,3 % et celui des régions 6 %, soit 28 % au total. Ces données ne concordent pas avec les informations qui remontent à travers les réponses aux questionnaires de la Cour selon lesquelles les financements des collectivités territoriales seraient au contraire marginaux. La DGCS n’a pas été en mesure de fournir des informations plus précises. »

Il apparaît ainsi que l’État lui-même n’est pas en mesure d’apprécier l’aide qu’il reçoit des collectivités territoriales pour l’exercice de sa compétence.

B.– LA PARTICIPATION INÉGALE DES CONSEILS GÉNÉRAUX AUX DISPOSITIFS QUI CONSTITUENT LA REFONDATION

1.– L’installation et le fonctionnement des Ccapex

La première partie du présent rapport illustre l’importance de la qualité de la prévention des mises à la rue – dans le cas d’impayés de loyer – dès lors que le ménage concerné envisage de quitter volontairement son logement ou qu’il est menacé d’une expulsion (le cas échéant avec le recours à la force publique).

Instaurées par la loi Molle du 25 mars 2009 puis précisées par une circulaire du 31 décembre 2009 relative à la prévention des expulsions locatives (45), les commissions de coordination des actions de prévention des expulsions (Ccapex) ont pour but de réunir les acteurs concernés par le risque de ces mises à la rue, afin de trouver des solutions pour les éviter. Il s’agit, selon les termes de la circulaire du 31 décembre 2009, de procéder à « une intervention dès les premiers impayés de loyer, en amont de la saisine du juge ». Les Ccapex sont – dans une formation analogue aux comités de pilotage des PDALPD – coprésidées par le préfet et le président du conseil général. Outre le maire de la commune de résidence du ménage concerné, y sont associées toutes les parties prenantes (Caf, bailleurs sociaux et privés, associations de locataires, associations d’insertion,…).

Les conseils généraux notent quasiment tous la coordination réelle entre leurs services et ceux de l’État au sein des Ccapex, dont il était prévu qu’elles soient mises en place dans chaque département le 1er mars 2010. La rapidité avec laquelle l’État a souhaité mettre en place les Ccapex a d’ailleurs présenté, pour certains départements, des inconvénients. Le Conseil général de la Gironde indique ainsi que l’installation de la Ccapex « a eu pour conséquence […] de mettre en œuvre un chantier dans la précipitation et sans moyens humains. »

Plusieurs conseils généraux relèvent que les Ccapex ont au mieux commencé à fonctionner en 2011. Le Conseil général des Hauts-de-Seine indique que « la mise en place de cette instance est trop récente pour pouvoir en dresser un bilan ». Le Conseil général de Seine-Saint-Denis précise que « la Ccapex […] n’a pas commencé ses travaux. »

Le regard des conseils généraux sur les débuts de l’activité des Ccapex est contrasté. Le principe est salué par certains d’entre eux, ce qui permet d’anticiper un exercice prometteur de collaboration entre les conseils généraux et l’État. Le Conseil général des Bouches du Rhône indique que la Ccapex « permet […] une mise en commun des connaissances et des processus ». Pour le Conseil général de l’Eure, elle doit permettre « de bousculer les pratiques locales et de réactiver la mise en place d’une charte de prévention des expulsions. »

Les conseils généraux consultés s’interrogent cependant sur la plus-value des Ccapex, eu égard aux instances auxquelles leur création met fin – notamment les commissions départementales des aides publiques au logement (CDAPL) – et aux instances et dispositifs existants en matière de prévention des expulsions. Les conseils généraux de l’Essonne et de la Vienne rappellent que plusieurs structures bien implantées ou efficaces préexistaient aux Ccapex, notamment les CDAPL. Le Conseil général des Hauts-de-Seine précise que le « département, dans ce domaine, est pourvu de nombreuses instances prévues par la loi ou facultatives. L’enjeu actuel est donc de parvenir à articuler l’ensemble des acteurs mais aussi d’interroger la pertinence de toutes les conserver ». La Ville de Paris précise qu’« un consensus a été trouvé sur le fait que la Ccapex de Paris doit apporter une plus-value aux instances existantes et ne pas se superposer, ni se substituer aux dispositifs de prévention des expulsions existants, mis en place dans le cadre des orientations de la charte de prévention des expulsions signée en 2001. »

La plus-value de la Ccapex en termes opérationnels laisse dubitatifs un certain nombre de conseils généraux, qui observent qu’elle ne constitue pas une instance décisionnelle. Eu égard à une « équation locale » particulière, caractérisée notamment par l’absence de PDALPD, le Conseil général de Seine-Saint-Denis estime qu’avant même le début effectif de ses travaux – le règlement intérieur de la Ccapex étant en cours de finalisation – « cette instance, de par son large faisceau de compétences (pour toutes les situations de risque d’expulsion) assorti d’une certaine fragilité institutionnelle (elle ne donne que des avis ou des recommandations, elle ne peut s’appuyer sur un PDALPD actif ni sur une charte des expulsions) risque d’être “submergée” ». La Ville de Paris ne constate « aucune amélioration » par rapport aux dispositifs existants, d’autant que la Ccapex n’a « aucun rôle décisionnel » et qu’il est de surcroît « d’ores et déjà constaté que les avis de la commission ne sont pas toujours suivis. »

Certains conseils généraux témoignent – à l’instar de celui des Bouches-du-Rhône qui indique que la Ccapex « doit encore démontrer ses capacités à innover et à coordonner les actions » – d’une attente et d’une réflexion sur le sens à donner à la création de cette instance. Le Conseil général de la Moselle précise ainsi que « suite à la première commission, le règlement intérieur a été modifié car il est apparu que les motifs de saisine de la Ccapex ne permettaient pas à cette dernière d’avoir une action réelle sur les situations ». Le Conseil général de la Meurthe-et-Moselle indique que l’objectif est de sortir de la « fausse alternative prise en charge de l’impayé par le FSL ou expulsion [et] d’agir le plus en amont possible. Or, à ce jour, les instances ne sont saisies que préalablement au recours à la force publique. »

Lors de son audition le 17 janvier 2012, M. Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement, a considéré que « la mission des Ccapex est de prévenir les expulsions, et ce, à titre individuel. Ce ne sont pas des commissions départementales destinées à réfléchir et à formuler des recommandations, mais bien des instances chargées, à l’instar des commissions Dalo, d’étudier chaque dossier dont elles sont saisies. »

2.– L’élaboration des PDAHI et leur intégration dans les PDALPD

Dans la première partie du présent rapport, les rapporteurs ont présenté les enjeux de l’élaboration, sous la responsabilité de l’État, de plans départementaux « accueil, hébergement, insertion » (PDAHI), dûment inclus – en application de l’article 2 de la loi dite « Besson » de 1990 – dans les plans départementaux d’action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD – conjointement actés par le président du conseil général et par le préfet de département). Par une programmation géographique et budgétaire des places d’hébergement et en logement adapté, s’inscrivant dans l’ensemble des outils programmatiques relatifs au logement, il s’agit, dans chaque département, d’ouvrir la voie à la contractualisation avec les opérateurs associatifs du secteur de la veille sociale, de l’hébergement et du logement adapté, afin d’organiser un service public correspondant à cette programmation.

Comme le souligne la circulaire du 9 décembre 2009 relative à la planification territoriale de l’offre d’accueil, d’hébergement et d’insertion des personnes sans domicile, qui précise les modalités d’élaboration du PDHAI, « la coordination avec les champs de compétence des conseils généraux est indispensable tant sur les publics (enfants de moins de trois ans, jeunes sortant de l’aide sociale à l’enfance, suivi des femmes enceintes et des jeunes mères, personnes âgées) que sur les outils (FSL et RSA/insertion). »

Les conseils généraux semblent avoir été diversement associés à l’élaboration des PDAHI. La Cour des comptes indique que « le partenariat avec les conseils généraux est laissé à l’initiative des préfets et considéré comme une responsabilité locale. La Dihal constate “la grande disparité des relations entre l’État et les conseils généraux allant du partenariat effectif à l’ignorance polie”» (46). La Cour des comptes, s’appuyant sur l’enquête qu’elle a menée auprès des services déconcentrés de l’État, évoque une coopération entre les services du conseil général et ceux de l’État plutôt satisfaisante dans la Drôme, le Gard, la Moselle ou encore le Territoire de Belfort.

Les réponses des conseils généraux aux questions des rapporteurs confirment une coopération effective dans certains départements ; le Conseil général des Hauts-de-Seine indique ainsi que « s’agissant du PDAHI, les services du Conseil général ont été associés à la première phase d’élaboration du plan dans le cadre de réunions de concertation […]. Cette collaboration s’appuie sur les relations existantes entre ces services au titre du copilotage du PDALPD. »

D’autres réponses sont plus contrastées et évoquent des modalités plus légères de coopération ; le Conseil général du Calvados précise ainsi qu’« un conseiller technique [de la direction compétente du conseil général] a été associé aux travaux du PDAHI ». Pour le Conseil général d’Ille-et-Vilaine, la réalité de la coopération ne signifie pas qu’elle est efficace ; il observe ainsi que « bien des énergies créatrices sont parfois dépensées pour régler des problèmes de forme au détriment du fond et donc des populations qui en ont besoin. »

Certains conseils généraux évoquent une absence de coopération en constatant le manque de travail en commun des services concernés. Ainsi, le Conseil général de Meurthe-et-Moselle indique que « les services du département ne sont pas associés » aux travaux des services de l’État, notamment s’agissant de l’élaboration du PDAHI. De la même façon, le Conseil général de Haute-Garonne souligne qu’« il n’y a pas de modalités de travail en commun liant les services de l’Ase et ceux de l’État. »

D’autres conseils généraux précisent l’absence de liens entre le PDALPD et le PDAHI, pourtant expressément prescrits par la loi. Le Conseil général de la Seine-saint-Denis précise ainsi qu’« il n’y a plus réellement de PDALPD actif en Seine-Saint-Denis depuis juin 2007 […] la démarche concrète de réécriture du PDALPD n’est pas engagée ». Quand ce document existe, son articulation avec le PDAHI n’a pas toujours été réalisée. Le Conseil général de la Meurthe-et-Moselle précise que « le PDAHI n’est pas à ce jour articulé avec le PDALPD ». Le Conseil général d’Ille-et-Vilaine indique que « la conjugaison avec le PDALPD a été parfois délicate à mener. »

Certains commentaires témoignent d’un regard pour le moins dubitatif sur le principe même du dispositif. Pour le Conseil général du Val-de-Marne, évoquant l’un des aspects de la réforme de l’administration territoriale (Réate), « vu le peu de latitude financière et organisationnelle des préfectures de département sur les compétences d’hébergement depuis la régionalisation de celles-ci, l’adaptation du PDAHI au PDALPD est assez illusoire. »

3.– La participation aux SIAO

Pour l’organisation de la veille sociale – en application de la circulaire du 8 avril 2010 relative au SIAO du secrétaire d’État chargé du logement et de l’urbanisme adressée aux préfets de région et de départements –, les SIAO lient l’État à un opérateur qu’il a sélectionné. La coopération avec les collectivités territoriales semble ainsi moins cruciale que pour le fonctionnement des Ccapex et l’élaboration des PDAHI. La circulaire du 8 avril 2010 précise toutefois que « les services de l’État sont […] chargés d’engager une large concertation avec l’ensemble des associations parties prenantes au SIAO et avec les partenaires institutionnels (collectivités locales, […]) » pour la mise en place des SIAO.

Les réalités de la concertation – décrites par les conseils généraux qui ont répondu aux rapporteurs – sont encore une fois très contrastées. Environ le tiers de ces conseils généraux disent ne pas avoir été associés à cette démarche. Le Conseil général de Meurthe-et-Moselle indique ainsi qu’il « n’est pas associé » ; le Conseil général de la Haute-Garonne constate qu’« il n’y a pas de modalité de travail en commun avec l’État. »

Certains conseils généraux n’ont pas accepté les offres de concertation et de coopération telles que formulées par l’État. Celui du Calvados indique qu’il « n’est pas membre du SIAO car il ne serait pas libre de le quitter […]. Le Conseil général y participe en tant qu’invité » ; plus radicalement, celui du Val-de-Marne précise qu’il « ne souhaite pas participer à une prémisse de transfert de compétences. »

D’autres conseils généraux regrettent des modalités de coopération insuffisantes ou souhaitent qu’elles deviennent plus concrètes. Le Conseil général du Val d’Oise explique ainsi regretter « l’insuffisance de partage avec les services de l’État sur les outils mis en place. »

Un tiers environ des conseils généraux ayant répondu aux rapporteurs considère la démarche de coopération engagée auprès d’eux par l’État comme satisfaisante. À titre d’exemple, le Conseil général des Hauts-de-Seine précise que « les services du Conseil général sont associés à la réflexion et à la mise en œuvre du SIAO. »

C.– UNE COORDINATION POUR LES JEUNES MAJEURS PRIS EN CHARGE DURANT LEUR MINORITÉ PAR L’AIDE SOCIALE À L’ENFANCE (ASE) QUI DOIT ÊTRE AMÉLIORÉE

Les départements sont chargés par les articles L. 222-1 et suivants du CASF de prendre en charge, à domicile ou via un placement dans une famille d’accueil ou un centre, les enfants considérés en danger. La décision de la prise en charge relève selon les cas du président du conseil général ou du juge, qui confie alors l’enfant aux services du conseil général.

Selon une terminologie inspirée par les travaux de l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée (Odas), les enfants en danger sont :

– les enfants maltraités, c’est-à-dire victimes de violences physiques, cruauté mentale, abus sexuels, négligences lourdes ayant des conséquences graves sur leur développement physique et psychologique ;

– les enfants en risque, c’est-à-dire ceux qui connaissent des conditions d’existence qui risquent de mettre en danger leur santé, leur sécurité, leur moralité, leur éducation, ou leur entretien, mais qui ne sont pour autant pas maltraités.

Le tableau suivant présente pour l’année 2010 les effectifs des mineurs et jeunes majeurs pris en charge par les conseils généraux ayant répondu sur ce point au questionnaire des rapporteurs.

NOMBRE DES MINEURS ET DES JEUNES MAJEURS PRIS EN CHARGE
PAR LES CONSEILS GÉNÉRAUX AU TITRE DE L’ASE

(en nombre de personnes)

 

Total aide sociale
à l’enfance

Mineurs

Jeunes majeurs

Alpes-maritimes

2 150

1 875

275

Calvados

2 230

1 907

323

Eure

1 498

nc

nc

Haute-Garonne

1 925

3 147

303

Hauts-de-Seine

3 568

2 888

680

Ille-et-Vilaine

2 593

2 245

348

Moselle

3 575

3 448

127

Paris

5 514

4 234

1 280

Seine-Maritime

6 249

6 101

148

Seine-Saint-Denis

6 533

5 370

1 163

Val-de-Marne

3 664

3 236

418

Vienne

1 030

862

68

Yvelines

6 533

1 556

370

Source : Réponses au questionnaire adressé par les rapporteurs à certains conseils généraux

L’Odas évalue le nombre des jeunes pris en charge par les conseils généraux au titre de l’Ase pour l’année 2010 à 145 100 pour les enfants accueillis et 146 000 pour les enfants faisant l’objet d’une mesure de suivi à domicile. Les conseils généraux ont en 2010 consacrés 6,16 milliards d’euros au financement de l’Ase, dont 80 % au titre du placement des enfants accueillis dans des familles d’accueil ou dans des centres spécialisés.

Exception faite de départements ayant une croissance démographique soutenue (Haute-Garonne, Vienne), les conseils généraux ayant répondu aux questions des rapporteurs prennent en charge ces dernières années un nombre de mineurs et de jeunes majeurs en légère augmentation et, dans de rares cas, en légère diminution. Cette évolution est en ligne avec les statistiques publiées par l’Odas, qui montrent une augmentation entre 2005 et 2010 du nombre d’enfants pris en charge au titre de l’Ase d’environ 7 % pour l’ensemble du territoire.

Malgré cette augmentation relativement modérée du nombre des jeunes pris en charge au titre de l’Ase, les départements témoignent de difficultés croissantes à assurer cette mission d’aide sociale. Car les jeunes concernés semblent eux-mêmes confrontés à des problèmes personnels de plus en plus lourds et complexes, les conseils généraux considérant inadaptées les réponses institutionnelles en la matière.

Même si les conseils généraux se prévalent – de façon justifiée – d’une action efficace au titre de l’Ase dans de nombreux cas individuels, il est malheureusement assez logique qu’une part – non quantifiable mais sans doute non négligeable – des jeunes pris en charge par l’Ase soient contraints d’avoir recours à l’hébergement d’urgence, une fois devenus majeurs. Les conseils généraux, parfois allant au-delà de leurs obligations légales, tentent de pallier le couperet du passage à la majorité pour les jeunes les plus en difficulté, en les prenant en charge au début de leur majorité. Il reste que la fin de la prise en charge au titre de l’Ase est caractérisée par une absence de coopération entre les conseils généraux et l’État. Il serait sans doute à tout le moins opportun de prévoir la possibilité d’une transmission d’informations utiles – pour autant que le jeune concerné y consente – des services de l’Ase à destination des services qui accueillent ce jeune au titre de l’hébergement d’urgence, via le SIAO, de façon à mieux le prendre en charge.

1.– L’Ase prend en charge des jeunes dont les difficultés semblent croissantes

a) Un plus grand nombre de jeunes aux profils très difficiles

Beaucoup des conseils généraux qui ont répondu aux questions des rapporteurs constatent une évolution des profils des jeunes pris en charge au titre de l’Ase, ces jeunes semblant confrontés à des difficultés croissantes.

Le Conseil général de l’Essonne indique qu’« il est constaté un nombre croissant de situation d’enfants confiés cumulant de nombreuses difficultés dont la prise en charge relève tant de la pédopsychiatrie que de la prise en charge au titre du handicap ». Selon le Conseil général du Calvados « les professionnels et acteurs s’accordent pour considérer que globalement les situations de détresse des enfants s’observent de plus en plus précocement chez les très jeunes et sont complexes à appréhender ». D’autres conseils généraux évoquent – comme difficultés justifiant la prise en charge des enfants – la multiplication des cas de désordres comportementaux importants, l’absence de références éducatives, ainsi que des préoccupations sexualisées très précoces. Sans s’engager trop avant dans un sujet qui n’est pas le leur, les rapporteurs considèrent que ces témoignages mériteraient qu’une observation et une évaluation plus précise en soient faites, tant ils conduisent à se poser des questions cruciales sur l’évolution du fonctionnement de notre société, des familles et de notre système éducatif.

Le Conseil général d’Ille-et-Vilaine résume la difficulté de la tâche à laquelle il est confronté en indiquant que « les professionnels […] évoquent régulièrement une augmentation du nombre de situations de jeunes dits “incasables”. L’expression désigne des situations d’enfants ou de jeunes en danger qui posent problème aux institutions car elles aboutissent de manière récurrente à des ruptures dans les accueils et accompagnements. »

b) Des réponses institutionnelles insuffisantes en regard de l’évolution des profils des jeunes pris en charge

Certains conseils généraux admettent que l’Ase, telle qu’elle existe, répond mal aux difficultés des jeunes les plus en difficulté. Le Conseil général des Yvelines évoque un problème « d’adéquation entre le profil des mineurs et les réponses qu’il peut offrir ». Le Conseil général de Haute-Garonne souligne l’inadaptation des structures départementales, en précisant que « les réponses de l’Ase, même si elles tentent de s’adapter, ne peuvent répondre complètement à ces problématiques, les structures existantes n’étant pas adaptées ». Des conseils généraux souhaitent compléter leurs actions en y associant d’autres partenaires. Le Conseil général du Calvados précise ainsi que « cela conduit à envisager très tôt la nécessité de créer des coopérations transdisciplinaires avec le secteur médico-social et sanitaire. »

Certains conseils généraux lient ces difficultés croissantes à la diminution des lits psychiatriques et au recentrage des missions des services de l’État chargés de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) – dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) – sur les mineurs ayant fait l’objet d’une condamnation au titre de la loi pénale. Le Conseil général d’Ille-et-Vilaine précise qu’« il convient de souligner que la diminution constante des moyens de la PJJ est une des explications de l’augmentation significative des prises en charge ». « Ces mêmes jeunes qui jusqu’alors étaient suivis par la PJJ ou pris en charge par la psychiatrie sont désormais confiés à l’Ase par défaut d’autres solutions pour le juge des enfants » indique également le département de Haute-Garonne ; le Conseil général des Bouches-du-Rhône constate également une « augmentation des jeunes majeurs [pris en charge au titre de l’Ase] suite au recentrage de la [PJJ] sur le pénal ». Le Conseil général du Val-de-Marne juge « très notoirement insuffisants » les services spécialisés alternatifs de prise en charge, en évoquant notamment la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ou les services psychiatriques.

Le recentrage de la PJJ sur les mineurs ayant fait l’objet d’une condamnation au pénal n’empêche pas certains conseils généraux de devoir prendre en charge certains mineurs se trouvant dans cette situation. Le Conseil général du Calvados, évoquant les centres éducatifs fermés, déplore que ces structures soient sous-employées. Il précise ainsi que « les établissements publics susceptibles de faire face de façon plus appropriée à la gradation des faits délictueux sont peu sollicités. [Il est] regrettable que les jeunes concernés soient très faiblement confiés au titre de l’ordonnance de 1945 dans ces établissements [spécialisés] mais soient accueillis malgré les faits de délinquance en assistance éducative. »

c) La problématique croissante dans certains départements des mineurs isolés étrangers (MIE)

Selon la lettre de l’Odas publiée en mai 2011 sur les finances départementales (évoquée supra), « depuis quelques années, l’arrivée de mineurs étrangers isolés (MIE) impacte l’aide sociale à l’enfance de manière très inégale selon les départements. Si ce phénomène est inexistant ou infime pour une majorité d’entre eux, il tend à se renforcer sur certains territoires où les MIE représenteraient de 2 à 10 % des enfants placés. Il est surtout remarquable pour le département de Paris qui, en 2010, compte 27 % de MIE parmi l’ensemble des enfants placés avec une croissance exponentielle. »

Les réponses de certains conseils généraux adressées aux rapporteurs confortent ces éléments d’information. Ainsi, la ville de Paris confirme le taux de 27 % de MIE dans l’ensemble des jeunes pris en charge au titre de l’Ase, soit 1 500 jeunes sur 5 514. La Ville de Paris précise que l’année 2010 a vu les effectifs de jeunes pris en charge au titre de l’Ase correspondre à une augmentation de 10 % « exclusivement due à l’arrivée des MIE. Le budget de fonctionnement consacré à la prise en charge des MIE est passé de 40 millions d’euros de frais d’hébergement en 2009 à plus de 70 millions d’euros aujourd’hui. Ce montant ne reflète qu’une partie du coût complet de l’accueil des MIE ». Le Conseil général de la Seine-saint-Denis précise être « particulièrement sollicité depuis 2007 par le public des mineurs isolés étrangers au titre de la protection de l’enfance, public qui représente en 2010 plus de 20 % des admissions au sein du service Ase (en majorité des garçons de 15-17 ans). »

D’autres conseils généraux confirment la forte hausse du nombre des MIE faisant l’objet d’une prise en charge au titre de l’Ase ; le Conseil général de l’Essonne indique qu’« il est à noter depuis 10 ans (avec une forte augmentation cette dernière année [en 2010 et 2011] les nouvelles prises en charge de mineurs étrangers isolés ». Le Conseil général d’Ille-et-Vilaine précise, s’agissant du nombre des MIE pris en charge, que « de 6 recensés en 2000, nous sommes à près de 300 à ce jour. »

La prise en charge des MIE au titre de l’Ase apparaît logique, ces mineurs – ou jeunes majeurs – étant notoirement en danger ; ils séjournent en effet en France sans parents, sans papier et, de facto, sans aucun recours ni secours. Les conseils généraux considèrent cependant, là aussi, devoir faire face à une insuffisance de la réponse institutionnelle de droit commun, c’est-à-dire de l’État. En effet, l’hypothèse d’une instrumentalisation internationale de l’Ase – par des filières internationales d’immigration – est tout à fait plausible, pour ne pas dire avérée. Dans son rapport remis au Gouvernement en mai 2010, notre collègue sénatrice Isabelle Debré précisait que l’afflux de mineurs isolés étrangers en France est en partie la conséquence d’une « instrumentalisation du système judiciaire et de la protection de l’enfance. [Depuis 2002], les dispositifs sont utilisés par des réseaux organisés à des fins économiques et d’acquisition de la nationalité française. » (47)

Dans ce même rapport, notre collègue sénatrice Isabelle Debré a montré la complexité de la problématique des mineurs isolés étrangers, au carrefour des compétences d’une multitude d’acteurs, notamment l’État, les départements et les associations. Elle constatait que « la charge des mineurs isolés étrangers revient à l’heure actuelle principalement aux départements qui n’ont eu d’autres choix que de parer au plus pressé, avec une implication financière de plus en plus lourde ».

Cette analyse confirme à la fois l’action indispensable des conseils généraux et les conforte dans l’idée qu’ils ne sauraient être les seuls à mettre en œuvre une réponse institutionnelle à cette problématique. Le même rapport proposait ainsi la création de plateformes opérationnelles territoriales « pour coordonner les actions de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation », sous la responsabilité – étatique – de la PJJ et du préfet. Au niveau national, Mme Isabelle Debré proposait la création d’une plateforme interministérielle, animée par la PJJ, « coordonnant les actions destinées aux mineurs isolés étrangers ». D’un point de vue financier, le même rapport envisageait la création d’« un fonds d’intervention destiné aux départements particulièrement confrontés à l’accueil des mineurs isolés étrangers. »

À ce stade, l’État s’est engagé durant l’automne 2011 à organiser une répartition plus équitable entre départements de la prise en charge des MIE, dont l’accueil est aujourd’hui très concentré à Paris et en Seine-saint-Denis. Des discussions sont engagées entre l’État et certains conseils généraux en vue, le cas échéant, de compléter ce dispositif par une structure nationale de pilotage et par un fonds national de financement.

2.– Une part des jeunes majeurs pris en charge par l’Ase durant leur minorité ont recours à l’hébergement d’urgence

a) Une hypothèse qui, sans être quantifiée, s’appuie sur de nombreux témoignages et observations

Plusieurs institutionnels ou praticiens de l’hébergement des personnes sans domicile ont indiqué aux rapporteurs qu’une part non négligeable des personnes hébergées en CHU ou CHRS avaient été prises en charge par l’Ase durant leur minorité.

Les observations faites supra concernant l’évolution des profils des jeunes pris en charge par l’Ase – et pour certains conseils généraux concernant l’augmentation des prises en charge de mineurs isolés étrangers par définition très fragilisés – ont tendance à conforter cette hypothèse ; si la mission d’aide sociale, de secours et d’insertion de l’Ase se complexifie, et si en parallèle les réponses institutionnelles sont insuffisantes pour répondre à ces difficultés supplémentaires, le risque s’accroît de voir certains jeunes majeurs – pris en charge au titre de l’Ase durant leur minorité – avoir recours, comme ultime filet d’aide sociale, à l’hébergement d’urgence (48).

Certains conseils généraux, sans contester l’hypothèse d’un flux de jeunes majeurs passant de l’Ase à l’hébergement d’urgence, considèrent – à raison – qu’il convient de la replacer dans un contexte plus large portant sur l’ensemble des résultats des prises en charge au titre de l’Ase.

Le Conseil général des Bouches-du-Rhône précise ainsi que « cette hypothèse a été faite à partir d’observations faites au sein du dispositif de l’hébergement social. Une étude un peu semblable qui aurait été faite auprès de familles d’accueil ou de MECS [maisons d’enfants à caractère social] pourraient à l’inverse démontrer combien de jeunes, autrefois en difficulté, ont réussi à s’insérer dans la société ». Il est compréhensible, dans ce contexte, que le Conseil général de l’Essonne estime qu’« énoncée de la sorte cette hypothèse porte en elle une stigmatisation tant des bénéficiaires de l’Ase que des professionnels qui interviennent. »

La plupart des départements que les rapporteurs ont interrogés partagent intuitivement l’hypothèse de l’existence de ce flux de jeunes passant de l’Ase à l’hébergement d’urgence, sans pouvoir la quantifier. Le Conseil général de la Vienne indique toutefois qu’il s’agit d’une « hypothèse non vérifiée par des études chiffrées. »

Personne ne semble en mesure d’améliorer la connaissance sur ces points ; les jeunes majeurs pris en charge par l’Ase pendant leur minorité ne font l’objet d’aucun suivi particulier par les services et opérateurs en charge de la politique d’hébergement. Le Conseil général du Calvados indique que « le Conseil général ne dispose ni d’outils ni de moyens techniques et humains permettant d’appréhender le devenir des jeunes pris en charge durant leur minorité ». Le Conseil général d’Ille-et-Vilaine précise que « le département n’a aucun moyen de s’assurer du devenir de [ces jeunes] ». Le contact est tout au plus gardé avec certains jeunes sur une base affective. Le Conseil général des Bouches-du-Rhône précise que « les maisons d’enfants [du département] et les assistants familiaux gardent des liens avec les jeunes qui le souhaitent. »

La Ville de Paris précise s’être portée candidate « pour être l’un des départements tests d’une étude nationale prévue par l’[Institut national des études démographiques – Ined] consistant dans le suivi d’une cohorte de jeunes pris en charge à l’Ase et devenus majeurs. Mais cette dernière n’est pas encore opérationnelle. »

Enfin, la Seine-Maritime fait état d’une tentative – isolée – de coordination en 2009-2010 avec les services de l’État pour la préparation des futurs majeurs, appuyée sur une commission trimestrielle qui n’a manifestement pas fonctionné. Toutes les demandes d’hébergement des jeunes majeurs concernés ont été rejetées, « faute de place ».

b) Une prise en charge de jeunes majeurs par les conseils généraux contribuant à empêcher ou repousser la rupture de l’aide sociale

Il est donc patent que certains jeunes en difficulté connaissent une rupture de prise en charge dès 18 ans, ou après 21 ans quand ils ont pu bénéficier d’une prise en charge au titre de l’Ase au début de leur majorité (cf. infra). Si ces jeunes sont sans domicile, ils sont théoriquement réorientés vers les opérateurs associatifs de l’État qui gèrent les CHU et CHRS. Ils ne sont en principe éligibles à aucun minimum social. Le Conseil général des Hauts-de-Seine souligne que « la question de l’insertion […] des jeunes ayant eu un parcours à l’Ase interroge […] le dispositif de droit commun en faveur de la population générale et sa capacité à intégrer les jeunes les plus en difficulté. »

L’étude des rapporteurs n’a pas vocation à répondre à ce que certains appellent le « trou noir de l’aide sociale », se situant entre 18 et 25 ans pour les jeunes majeurs les plus en difficulté. Au demeurant, il est nécessaire de ne pas limiter l’espoir pour ces jeunes à une prise en charge par l’aide sociale. Nous relevons les propos tenus par M. Roland Aubin (Comité consultatif des personnes accueillies) lors de la table ronde du 21 décembre 2011 : « beaucoup des jeunes accueillis dans les structures d’hébergement n’ont pour seul rêve que d’atteindre l’âge de vingt-cinq ans pour toucher le RSA. Un pays qui n’offre que cet avenir à ses jeunes a du souci à se faire ! »

Les rapporteurs considèrent en tout état de cause que la fin de la prise en charge au titre de l’Ase d’un jeune en grande difficulté se déroule dans des conditions institutionnelles qu’il faut améliorer. Les rapporteurs proposent ainsi de faciliter et d’organiser l’échange d’informations – entre les départements et les opérateurs associatifs chargés de l’hébergement d’urgence, via notamment les SIAO – sur les jeunes majeurs pris en charge par ces opérateurs et relevant antérieurement, durant leur minorité, de l’aide sociale à l’enfance. Il s’agit à tout le moins de ne pas perdre le bénéfice du travail social réalisé par le département.

Au demeurant, les rapporteurs souhaitent souligner que les conseils généraux – en prenant en charge certains jeunes majeurs – tentent de pallier cette rupture de la prise en charge.

Les départements distinguent le plus souvent les jeunes majeurs ayant bénéficié d’une prise en charge au titre de l’Ase au cours de leur minorité et ceux qui ne sont pas connus des services de l’Ase quand ils atteignent l’âge de 18 ans.

Les premiers peuvent être suivis et aidés par l’Ase jusqu’à 21 ans, dans le cadre d’un projet : un « projet d’insertion professionnelle » dans le Calvados ; un « contrat d’engagement » dans l’Ille-et-Vilaine ; ou encore un « contrat jeune majeur » dans l’Essonne. Le Conseil général de Meurthe-et-Moselle précise que son « projet de majorité » s’appuie sur « une évaluation […] systématiquement organisée 6 mois avant la majorité ». Toutefois, aucun suivi n’est effectué après ce seuil des 21 ans dans la plupart des cas ; le Conseil général d’Ille-et-Vilaine a ainsi précisé que « les prises en charge ne sont pas prévues au-delà de 21 ans (même de façon exceptionnelle) ». Le Conseil général de la Vienne a décidé d’aider les jeunes majeurs de plus de 21 ans sortant du dispositif « lorsque des projets sont en cours (études, etc.). »

Les seconds peuvent aussi être aidés au titre de l’Ase mais ne sont généralement pas prioritaires : en Haute-Garonne, « les sollicitations de jeunes majeurs non connus de l’Ase durant leurs minorités ne sont pas écartées ; elles ne sont cependant pas prioritaires ». Quelques – rares – départements ne différencient pas ces deux catégories. Le Conseil général du Val-de-Marne « prend en charge […] le jeune majeur qu’il ait été accueilli à l’Ase ou non. »

CONCLUSIONS DE L’ÉVALUATION

Les développements suivants constituent le résultat de notre réflexion conjointe au terme de l’ensemble des travaux présentés ci-dessus.

Si ces développements présentent les raisons pour lesquelles nous approuvons l’essentiel des propositions que la Cour des comptes a émises dans son rapport, notre réflexion nous conduit à envisager des recommandations complémentaires, qui sont rassemblées dans une partie dédiée figurant immédiatement après les présentes conclusions.

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Évaluer le déficit du nombre des places d’hébergement au regard du nombre des personnes sans domicile et relever le nombre de ces places dans les zones tendues par la pérennisation des places hivernales

Le rapport de la Cour des comptes propose une évaluation actualisée du nombre des personnes sans domicile – 150 000 personnes –, c’est-à-dire presque le double du chiffre avancé par l’Insee il y a dix ans dans le cadre de son enquête « sans domicile 2001 » ; l’évaluation de la Cour des comptes – qui se situe dans la partie basse des chiffres proposés en la matière par les parties prenantes associatives, qui admettent au demeurant le manque d’informations fiables en la matière – est bien entendu à mettre en regard du nombre des places d’hébergement et en logement adapté financées sur le budget de l’État, soit environ 80 000 places pour l’exercice 2012.

Le manque de places susceptibles d’accueillir – en urgence, en insertion et en logement adapté – des personnes sans domicile est donc patent, malgré un effort substantiel en la matière depuis 2004 dans le contexte du Plan de cohésion sociale et, surtout, depuis 2008 suite aux décisions des pouvoirs publics qui ont suivi l’action engagée par les Enfants de Don Quichotte.

Les rapporteurs approuvent donc la recommandation de la Cour des comptes de « desserrer la contrainte imposée en matière de stabilisation de la capacité d’hébergement, en autorisant dans les zones les plus tendues la création de places d’hébergement ». Cette recommandation doit être mise en œuvre au regard d’une analyse préalable et approfondie des besoins manquants dans chaque territoire, qui pourrait être réalisée par l’application rapide des recommandations de la Cour des comptes concernant la connaissance des populations sans domicile et sans abri : enquêtes légères et annuelles sur le sans-abrisme dans les principales villes du pays, mutualisation et consolidation des informations disponibles, exploitation statistique anonymisée des informations désormais disponibles au titre des services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO), complétée par la mise en place d’observatoires – autour des SIAO – dans les régions les plus concernées par le sans-abrisme.

Une politique efficace et efficiente en matière d’hébergement des personnes sans domicile ne saurait bien entendu se borner à une – nouvelle –augmentation des moyens, et ce après un effort déjà substantiel de l’État en la matière depuis le milieu des années 2000. Mais notre jugement sur la « refondation » ne peut éluder que des dizaines de milliers de personnes dorment chaque nuit à la rue dans notre pays ; par l’inconditionnalité de l’accueil des personnes sans abri, il faut certes entendre que l’origine, l’histoire, la situation des personnes concernées ne sont à considérer, une fois l’urgence d’un toit pour dormir assurée, que pour envisager une orientation consentie. Nous considérons que l’inconditionnalité devrait aussi signifier qu’à toute demande d’assistance pour dormir à l’abri soit apportée une solution sous la responsabilité de l’État.

Au total, afin d’enclencher l’effort nécessaire pour le respect de l’inconditionnalité de l’hébergement d’urgence dans toutes ces dimensions, nous demandons que soit mise à l’étude la pérennisation tout au long de l’année des places supplémentaires ouvertes l’hiver. Ces places ont en quelque sorte le mérite d’exister, c’est-à-dire de répondre un tant soit peu à une demande effectivement constatée ; leur pérennisation permettrait aussi de cesser la remise à la rue saisonnière d’au moins plusieurs milliers de personnes sur notre territoire au début du printemps, la plupart du temps sans orientation consentie définie ; étant au demeurant précisé que la priorité légitime donnée à la mise à l’abri durant l’hiver a peut-être tendance à minorer, voire éluder, les difficultés de la vie à la rue durant l’été et les périodes de forte chaleur.

Renforcer les outils de prévention des mises à la rue dans le cas d’impayés de loyer et étudier les coûts publics comparés d’un maintien dans le logement et d’une mise à l’abri au titre de l’hébergement d’urgence

Notre appel à un renforcement de l’offre en matière de mise à l’abri s’inscrit dans un contexte économique qui ne conduira que difficilement, à moyen terme et toutes choses égales par ailleurs, à une baisse de la demande en la matière. L’action publique ne doit cependant en aucune manière baisser les bras ce qui est de la prévention de l’arrivée dans la rue des personnes qui ont ensuite vocation à solliciter l’assistance de l’État, via les opérateurs associatifs qu’il finance. Nous sommes convaincus qu’il existe des dispositions susceptibles d’agir positivement sur le flux des « canaux d’alimentation » du sans-abrisme.

Nous approuvons ainsi la recommandation de la Cour des comptes de « mesurer l’efficacité des dispositifs de prévention de mise à la rue et conduire une étude sur les coûts comparés d’un maintien dans le logement et d’un accueil dans une structure d’hébergement après une expulsion ». Il convient en effet, autant que faire se peut, de maintenir dans le logement un ménage en difficulté financière, par une action publique préventive mise en œuvre dès le premier impayé de loyer. Ce qui nous conduit bien entendu à approuver une autre recommandation de la Cour concernant l’amélioration de la production et de l’usage des statistiques sur les impayés de loyers.

Cette dernière recommandation est liée à celle, tout aussi opportune, tendant à « procéder rapidement à un premier bilan du travail des Ccapex [commissions de coordination actions de prévention des expulsions] », qui rassemblent, sous la présidence conjointe du préfet et du président du conseil général, les principaux acteurs – notamment l’organisme verseur des aides au logement et le maire de la commune concernée – susceptibles de concevoir et mettre en œuvre les voies et moyens permettant à un ménage de surmonter des difficultés de paiement de leur loyer.

Cela permettrait de sortir des contradictions entre la prévention des expulsions et la mise en œuvre du Dalo.

Les témoignages apportés par les conseils généraux que nous avons interrogés illustrent que les Ccapex sont parfois encore – malgré une tonalité relativement positive quant à l’opportunité de leur création – dans une période de rodage, de définition de leurs missions et de leurs modalités de travail, voire de recherche de ce que pourrait être leur plus-value. Il faut résolument orienter leur action vers le traitement des dossiers individuels – notamment les plus complexes – le plus en amont possible de la situation risquant de conduire vers la rue.

Car le « logement d’abord », c’est peut-être, au préalable, maintenir dans un logement, quitte à ce que soit dans un autre. De l’aide à la gestion du budget du ménage, jusqu’à la garantie publique – le temps nécessaire – du paiement du loyer, en passant par une assistance financière plus ponctuelle, jusqu’où doit aller l’action publique en la matière ? Par l’étude que la Cour se propose d’engager sur les coûts publics comparés d’un maintien d’un ménage dans le logement et de son hébergement après, le cas échéant, son expulsion, nous comprenons qu’il s’agit d’instiller de la rationalité au cœur même de questions sociales (au sens large), complexes et sensibles, qui mêlent la responsabilité individuelle, la justice sociale et le sens et la portée de l’action collective.

Faut-il, par exemple, repenser l’articulation et la pondération, dans nos repères collectifs et dans nos politiques publiques, du droit de propriété et de la lutte contre le sans-abrisme, ou encore de la responsabilité contractuelle des personnes privées – bailleurs et locataires – et de l’assistance aux personnes bénéficiant d’un logement et risquant, un jour, la mise à la rue ? Ces questions de principe méritent sans doute d’être débattues sur la base d’éléments objectifs nouveaux.

Raccourcir le délai de traitement des demandes d’asile et organiser des études et un débat public sur les conditions d’accueil et de séjour sur le territoire français des étrangers en situation irrégulière

Nous pensons qu’un tel exercice de lucidité dans la sérénité est aussi nécessaire s’agissant, au regard de l’hébergement, de la situation des personnes sans papier et plus particulièrement des personnes déboutées du droit d’asile. On ne peut qu’approuver la recommandation de la Cour des comptes en la matière de « ramener rapidement le délai de traitement des demandes d’asile à neuf mois » (49). Il est en effet difficile de faire comprendre à un ménage, après un séjour légal d’environ deux ans sur notre territoire (le temps de l’instruction en première instance puis en appel d’une demande d’asile) et le cas échéant une durée identique de scolarisation de ses enfants, qu’il doit retourner dans son pays d’origine sans autre forme de procès. Raccourcir le temps de l’instruction aurait sans doute ce mérite de renforcer l’autorité de la décision publique, y compris quand celle-ci est, in fine, une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

Nous considérons cependant que cette recommandation, comme l’a indiqué M. Didier Migaud lui-même, Premier président de la Cour des comptes, lors de son audition par le CEC le 15 décembre dernier, n’épuise pas un sujet complexe, dont nous recommandons que les tenants et les aboutissants soient enfin publiquement débattus.

Nos travaux nous ont amenés à constater que des personnes étrangères en situation irrégulière, souvent déboutés du droit d’asile, sont hébergées durablement, notamment dans des hôtels quand il s’agit de familles avec des enfants, au titre de la politique publique objet de notre étude. Cette précarité et cet inconfort sont de fait entretenus et perpétués par le financement public de l’hébergement et par l’absence patente de mise en œuvre des OQTF. Ces situations ne sont au demeurant qu’une période dans un continuum quasi institutionnalisé, allant de l’instant où le ménage arrivant sans titre sur le territoire français est pris en charge par des structures associatives – souvent financées sur fonds publics – pour confectionner presque systématiquement un dossier de demande d’asile, jusqu’au moment où le même foyer obtient le cas échéant le droit de séjourner, par acquisition du statut de réfugié ou, souvent après plusieurs années de séjour (parfois en hébergement d’urgence), par régularisation administrative de sa situation.

Ces parcours – nombreux, banalisés et publiquement accompagnés et financés – reflètent-ils un « équilibre » au regard des débats qui traversent notre société quant aux principes et conditions de l’accueil des étrangers dans notre pays ? Si tel est le cas, il faudrait alors constater que cet « équilibre » correspond à un choix tacite de limiter assez largement les mesures effectives d’expulsion des personnes sans titre de séjour, tout en demandant à la plupart d’entre ces personnes d’assumer une période plus ou moins longue de précarité effective sur le territoire français. Nous considérons, sans juger ici de cette situation de fait, qu’il est nécessaire d’en débattre publiquement. Il est crucial que les citoyens sachent ce que l’État fait en la matière, en leur nom et, d’une certaine façon, en application de leurs choix collectifs plus ou moins tacitement exprimés. Ne serait-ce que pour apprécier, évaluer et constater quel est le « prix à payer » de cet « équilibre » respectivement pour les personnes concernées et pour l’État.

En la matière, le populisme se nourrit du hiatus entre les postures et les principes juridiques, et la réalité vécue ou devinée sur le terrain, qui nous a été décrite dans le détail par les services de l’État eux-mêmes ; la voie difficile de l’examen serein de cette réalité – parce qu’elle signifie l’abandon d’un confortable aveuglement collectif – conduira sans doute à reposer des questions de fond, sensibles, concernant l’« équilibre » actuel, notamment quand la précarité vécue par un ménage étranger sans titre de séjour correspond à un coût substantiel pour l’État (on peut évoquer, à ce titre, l’interdiction de travailler des demandeurs d’asile – et donc la nécessité de les héberger ou de les aider à se loger, parfois à l’hôtel –, le cantonnement à l’hébergement d’urgence, souvent à l’hôtel là aussi, des familles déboutées du droit d’asile ou encore les conditions et la durée moyenne du processus de régularisation des personnes sans papier).

S’interroger sur la présence dans les dispositifs d’hébergement d’urgence et d’insertion de personnes bénéficiant ou qui devraient bénéficier d’une prise en charge sanitaire ou au titre d’un dispositif d’aide sociale spécifique

Toujours concernant la prévention des situations de sans-abrisme, il convient sans doute de s’interroger sur la réalité et la qualité de la prise en charge ou de l’aide sociale spécifiques dont devraient pouvoir bénéficier ou dont bénéficient déjà certaines personnes ayant recours aux dispositifs d’hébergement d’urgence et d’insertion.

Nous considérons que s’il existe une politique de prise en charge des personnes qui ont besoin de soins psychiatriques, s’il existe des minima sociaux et des allocations d’aide sociale en faveur des personnes à la retraite, handicapées ou dépendantes, ce n’est pas pour que les personnes concernées se retrouvent in fine, plus ou moins durablement, dans la situation de solliciter les dispositifs de veille sociale, d’hébergement d’urgence et d’insertion pour disposer d’un abri pour dormir.

Nous craignons que ces dispositifs constituent déjà parfois, peut-être de façon croissante, le « volet logement » de certains autres dispositifs et politiques publics qui doivent pourtant offrir, en principe, à leurs bénéficiaires la capacité de se procurer un tel abri, notamment dans le logement adapté, ou même de droit commun. Au demeurant, c’est bien l’un des enjeux du « logement d’abord » que de permettre à ces personnes bénéficiaires d’une aide sociale particulière de s’installer durablement dans un tel logement, en sortant d’un système d’urgence et d’insertion.

Dans ce contexte, la recommandation de la Cour tendant à améliorer la connaissance des parcours de certains publics fragiles au sein du dispositif d’hébergement d’urgence nous semble non seulement relever du bon sens mais encore revêtir un caractère crucial. Nous pensons qu’il faut la compléter d’études portant sur la pertinence et l’efficience de chacun des dispositifs publics spécifiques d’aide sociale qui concernent en principe ces « publics fragiles ». Il convient en effet de déterminer si toutes les personnes – notamment celles qui vivent en hébergement d’urgence ou d’insertion – qui pourraient bénéficier des prestations correspondantes exercent effectivement leur droit à l’aide sociale au titre de ces dispositifs spécifiques. Il convient aussi de comprendre pourquoi le bénéfice d’une telle prestation peut malgré tout conduire parfois à devoir solliciter un abri pour dormir.

Mener à son terme la refondation de la politique d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans-abri ou mal logées

En évoquant ci-dessus les capacités d’accueil, la prévention des expulsions locatives, les modalités d’accueil et d’hébergement des étrangers sans titre de séjour, ainsi que la question du sans-abrisme des personnes pourtant prises en charge – ou ayant vocation à l’être – par un autre dispositif d’aide sociale ou de soins, nous avons effleuré la question de la « refondation », qui consiste en premier lieu, par l’édification d’un service public, en une réorganisation d’ampleur du dispositif d’accueil, d’hébergement et d’insertion géré par les opérateurs associatifs sous la direction de l’État ; et, en second lieu, à concevoir et procéder à cette réorganisation pour la mise en œuvre du « logement d’abord », c’est-à-dire l’accès, dès que possible, à un logement adapté ou de droit commun – notamment social – en faveur des personnes sans domicile.

Le constat partagé est en réalité très simple. Nous ne pouvons plus segmenter nos approches dans l’hébergement et le logement des plus démunis (ceux qui sont à la rue, ceux qui sont en hébergement et ceux qui ont réellement besoin d’être notre priorité dans le logement social...). Cette segmentation, qu'elle concerne les responsabilités institutionnelles, les opérateurs, les professionnels ou encore les budgets, est néfaste.

Lancée suite à la conférence de consensus de décembre 2007 organisée avec le mouvement associatif dans la foulée de l’action parisienne des Enfants de Don Quichotte, et largement structurée autour des propositions faites par notre collègue Étienne Pinte dans son rapport de 2008, la refondation, comme le montre le rapport de la Cour des comptes, est composée d’un grand nombre de mesures techniques et structurelles, qui dessinent une réforme profonde et cohérente de notre dispositif de veille sociale, d’hébergement d’urgence et d’insertion, d’orientation, d’accompagnement social et d’accès au logement des personnes sans abri ou sans domicile.

Nous retenons de nos échanges avec les opérateurs associatifs, notamment sur le terrain, que si les principes et composantes de la refondation demeurent perçus de façon positive, un certain scepticisme s’est installé et le bilan effectif est jugé faible ; et ce, en raison du retard pris dans la mise en œuvre des dispositifs qui la composent, du manque de résultats concrets en matière d’accès rapide et accompagné au logement des personnes accueillies en CHU et CHRS et d’un certain empressement de l’État à conduire en priorité la partie de la refondation relative à la rationalisation des subventions et dotations dont ces opérateurs bénéficient.

Or nous considérons que la refondation est une réforme positive et bien conçue qui doit être résolument menée à son terme dans les années à venir ; il s’agit de sortir notre dispositif d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans domicile d’un fonctionnement inefficace marqué par une « urgence » répétée chaque jour de la prise en charge qui entrave la qualité de l’orientation des publics accueillis, par une absence de mise en commun des connaissances et des ressources qui rend aveugles les responsables et opérateurs administratifs et associatifs sur la qualité et la portée de leur action, ainsi que par un confinement de cette politique et une stratification de ses dispositifs rendant problématique la sortie des publics accueillis vers des solutions pérennes de logement.

Gouvernance nationale de la refondation : attribuer les compétences correspondantes à une seule direction d’administration centrale

Nous notons que la refondation a été menée dans un contexte administratif complexe, marqué en premier lieu par une séparation fonctionnelle historique au niveau central entre un volet « solidarité » mis en œuvre par la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et un volet « logement » qui relève de la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) ; séparation à la fois comblée et entérinée par l’ajout d’un niveau interministériel – la délégation interministérielle pour l’hébergement et l’accès au logement des personnes sans-abri ou mal logées (Dihal) – marquant opportunément le niveau accru de priorité accordé à compter de 2008 par le Gouvernement à ces problématiques.

Nous notons que la Cour des comptes – constatant de façon justifiée le rôle positif de la Dihal depuis sa création pour imaginer les réalisations concrètes propres à mettre en œuvre la refondation, diffuser auprès des services déconcentrés les éléments constituant ces réalisations, établir et maintenir un lien de confiance avec les opérateurs associatifs et organiser une réflexion continue et ouverte sur les sujets de l’hébergement et de l’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logés – propose de « renforcer les pouvoirs du dihal », dans un contexte où celui-ci ne dispose pas à ce stade d’une quelconque autorité sur les services déconcentrés de l’État et ne gère aucun crédit.

Précisant le 15 décembre dernier devant le CEC ce que la Cour entendait, en émettant cette recommandation, décrire comme organisation centrale à prévoir pour l’avenir, Mme Anne Froment-Meurice, présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes, indiquait qu’il était apparu à celle-ci que « la réflexion n’était pas suffisamment avancée pour pouvoir se prononcer sur une réforme de la gouvernance. [La Cour] a considéré par ailleurs qu’il convenait d’attendre les résultats de la politique en cours, qui pourraient utilement éclairer les options à retenir ». La recommandation de la Cour sur le renforcement des pouvoirs du Dihal ne serait, dans ce contexte d’attente pour définir une organisation cible, qu’une disposition transitoire pour contourner la difficulté du travail quotidien de cette délégation, d’ailleurs relevée par les acteurs associatifs entendus par les rapporteurs lors de la table ronde du 21 décembre 2011.

Nous notons toutefois que la proposition de la Cour conduirait non seulement à une modification substantielle des compétences respectives de la DGCS et de la DHUP – par l’attribution de certaines d’entre elles à la Dihal – mais constituerait aussi, de fait, la préfiguration d’une administration centrale unifiée sur les questions d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées.

Dans ce contexte, il nous semble logique et opportun de mettre à l’étude un tel schéma unifié, sans attendre l’achèvement de la refondation dont l’un des axes est d’ailleurs la constitution d’un service public (unique) sur le champ de compétence actuel de la Dihal. Nous notons d’ailleurs que dans le cadre de la mise en œuvre de la refondation, la création en Île-de-France de la direction régionale interdépartementale de l’hébergement et du logement (Drihl), qui intègre les compétences relatives à l’hébergement et au logement, est considérée comme une innovation prometteuse (pour laquelle il conviendra de procéder prochainement à un bilan, comme le recommande opportunément la Cour des comptes).

Si, toutefois, le rapprochement des compétences des administrations centrales que nous préconisons n’était pas mis en œuvre dans un avenir proche, nous encouragerions à tout le moins une autre recommandation de la Cour des comptes préconisant de « développer des outils communs entre [ces] services […] » ; et ce, quand bien même cette recommandation nous semble précisément légitimer notre proposition d’unifier la gouvernance administrative de ces compétences.

Enfin, quelle que soit l’organisation de l’administration centrale retenue à moyen terme, il conviendrait de mettre en œuvre deux autres recommandations de la Cour des comptes portant respectivement sur la mise au point, au niveau de l’administration centrale d’un dispositif « de recueil de données stable et centralisé » et sur la stabilisation et la consolidation du « tableau de bord interministériel commun à tous les services incluant des indicateurs de suivi, de résultats et de performances et dont la tenue est confiée au Dihal ». Peut-être la mise en œuvre de ces deux recommandations – techniques mais importantes pour la qualité du pilotage de la refondation – serait-elle simplifiée dans le cadre d’une gouvernance unifiée de ces compétences ?

Gouvernance nationale de la refondation : stabiliser les structures administratives issues de la réforme de l’administration territoriale

La refondation a par ailleurs été engagée dans le contexte de la réforme de l’administration territoriale, à laquelle ont correspondu à la fois une baisse des effectifs de l’État local, un profond renouvellement des équipes administratives déconcentrées et une séparation institutionnelle nouvelle entre les politiques de solidarité – dont l’hébergement d’urgence – du ressort des directions régionales et départementales chargées de la cohésion sociale, et les politiques sanitaires et médico-sociales dont sont chargées les Agences régionales de santé (ARS).

Nous considérons, en plein accord avec la recommandation de la Cour des comptes tendant à « stabiliser et consolider l’organisation et le fonctionnement de l’administration déconcentrée sur le champ de l’hébergement et du logement », qu’il convient de conserver la nouvelle organisation territoriale de l’État, afin, en écho à des propos nombreux de nos interlocuteurs associatifs sur le terrain, de donner aux services de l’État le temps nécessaire à la création et à l’entretien de liens efficaces et de confiance avec les opérateurs.

Cet appel à la stabilité des structures administratives territorialisées ne constitue pas au demeurant une approbation sans réserve de la façon dont elles sont désormais organisées. Nous avons constaté que la dissociation des compétences entre la « cohésion sociale » (directions régionales et départementales), le volet « logement » et les éléments relatifs au « sanitaire et au médico-social » (ARS) laissait dubitatives beaucoup des parties prenantes associatives, qui constatent que les personnes qu’elles prennent en charge ont souvent un problème de santé physique ou psychologique, ou un handicap. S’il faut pérenniser les structures administratives nouvelles – pour gagner en stabilité des interlocuteurs et en compétences acquises au titre de l’expérience –, il convient aussi de veiller à créer les conditions d’un partenariat efficace entre ces structures.

Par ailleurs, comme le propose la Cour des comptes, après un bilan du fonctionnement de la Drihl, pourrait être étudiée, sur ce modèle, la mise en place de coopérations interdépartementales, intégrant le cas échéant les volets hébergement et logement, dans « les trois autres régions à fort enjeu (Rhône-Alpes, Nord-Pas de Calais, PACA) sous l’autorité des préfets de région. »

Renforcer la capacité d’innovation et de réactivité du tissu associatif pour mettre en œuvre la refondation et créer des lieux de dialogue sur l’évolution de ce tissu au regard de la mise en place d’un service public

En matière de gouvernance, il nous semble nécessaire d’aborder le sujet de l’organisation du tissu associatif, qui fondera demain – comme aujourd’hui – le maillage des opérateurs de terrain dans les domaines de l’hébergement et de l’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées.

Nous observons que les représentants des associations ont largement participé à l’émergence des principes de la refondation et que le Gouvernement demeure attentif à les associer au suivi de sa mise en œuvre, via des réunions régulières proposées au Collectif des associations unies pour une nouvelle politique publique du logement des personnes sans abri ou mal logées. Nous constatons que le tissu associatif sera nécessairement impacté par la refondation : sans évoquer les éventuels effets d’une nouvelle répartition des ressources publiques – après l’achèvement du référentiel national des coûts des prestations –sur de possibles rapprochements entre associations, il est patent que la mise en place des SIAO implique à tout le moins qu’elles travaillent autrement et, en tout état de cause, de façon plus collective.

Nos interlocuteurs associatifs, lors de la table ronde du 21 décembre 2011 à laquelle nous les avons invités, n’ont pas éludé ces questions. Ils considèrent, de façon pertinente à nos yeux, que le principe d’une organisation du secteur s’appuyant sur le maillage associatif est source d’efficacité : le caractère non lucratif de l’activité des associations répond à la définition d’un service public dont les fondements sont l’aide sociale et la solidarité nationale, en s’éloignant ainsi résolument d’une exigence de rentabilité. L’engagement associatif est par ailleurs source d’innovations renouvelées au bénéfice des plus démunis et s’appuie en tout état de cause sur une motivation de l’action tournée vers leurs préoccupations.

Dans ce contexte, il convient de conjuguer ces atouts avec les axes d’un service public définis à un niveau politique. Cela signifie que la puissance publique, qui finance une très grande partie du fonctionnement des associations du secteur, doit entretenir un dialogue exigeant avec celles-ci, en termes de travail collectif, d’efficience et de professionnalisation du travail social.

L’ensemble de ces sujets nous semblent mériter, sous une forme qui reste à imaginer, un dialogue dédié, public, et sans doute déconcentré, entre l’État et le monde associatif, afin de faire vivre efficacement la mise en œuvre du service public et afin, le cas échéant, de prendre des dispositions concertées en la matière. Le champ des réflexions est large : quels forme et taille efficientes des associations et de leurs centres pour quelles activités et prestations ? Quels rapports à valoriser, ou à éviter, entre associations et entreprises dans les domaines, par exemple, de la collecte de fonds, de l’action des fondations d’entreprise, de la sensibilisation des salariés des entreprises (et donc des citoyens) aux problématiques et à la réalité du sans-abrisme ou de l’offre de formation en faveur des personnes accueillies ? Quels avantages respectifs et quel équilibre entre l’action bénévole et le salariat de travailleurs sociaux dûment formés ? Quelles formations initiales et continues doivent-elles conçues à l’attention de ces travailleurs sociaux et, le cas échéant, des bénévoles ? Quels regards porter sur les conventions collectives en vigueur dans le secteur, au regard des évolutions des métiers et de l’édification d’un service public ?

Nous sommes certains que, sur tous ces sujets, les pouvoirs publics et les associations ont des expériences et des idées à échanger, au bénéfice in fine de la réactivité et de l’efficience du service public et des personnes accueillies.

Renforcer la coopération entre l’État et les départements en matière de prise en charge des personnes sans domicile sans décentralisation de la compétence

Dans un contexte législatif qui attribue aux départements une compétence de droit commun en matière d’aide sociale, nous nous sommes bien entendu posé la question de l’opportunité d’envisager la décentralisation de la politique d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées.

Nous constatons que certains des départements que nous avons interrogés – certes minoritaires parmi ceux qui nous ont fait parvenir une réponse – relèvent qu’il y aurait une cohérence à ce qu’ils soient responsables de cette politique, tant les personnes concernées bénéficient ou ont bénéficié, dans de nombreux cas, de prestations d’aide sociale servies par eux (Ase, RSA, allocation personnalisée d’autonomie – APA…).

Les témoignages des départements semblent montrer au demeurant que le partage actuel des compétences avec l’État est parfois inefficient ; une énergie certaine est consacrée (parfois devant les tribunaux), par certains départements comme par l’État, pour définir, sur le terrain, qui doit faire quoi ; par exemple sur la question de la prise en charge des femmes enceintes isolées ou accompagnées d’enfants de moins de trois ans. Dans le même temps, ces témoignages nous donnent le sentiment d’une discontinuité dommageable des politiques d’accompagnement social au moment du passage à la majorité de jeunes pris en charge durant leur minorité par l’Ase. Il est en effet admis par tous nos interlocuteurs, sans que l’on puisse le quantifier précisément, qu’une proportion non négligeable de jeunes majeurs qui ont recours à l’hébergement d’urgence ont précédemment été pris en charge par l’Ase lorsqu’ils étaient mineurs.

Or, le travail social des services des conseils généraux ne semble pas être utilisé dans le cadre de la prise en charge par les structures et travailleurs sociaux des centres d’hébergement quand des jeunes issus de l’Ase, une fois majeurs, ont recours à ces structures. À législation inchangée sur ce sujet et sur le partage des compétences entre État et départements, nous souhaitons que soit organisée entre eux la transmission des informations utiles s’agissant des jeunes qui, du point de vue des départements, présentent le risque de devoir recourir, une fois majeurs, aux opérateurs chargés de mettre en œuvre la politique d’hébergement d’urgence. Par ailleurs, toujours dans l’intérêt de ces jeunes et du travail social qui peut les concerner à partir de leur majorité, ces opérateurs doivent pouvoir solliciter auprès des départements les informations utiles à l’accompagnement social de ces publics.

En accord avec de nombreux départements que nous avons interrogés et avec une majorité des opinions émises lors de la table ronde du 21 décembre qui a réuni certains représentants des usagers et des associations, nous considérons que beaucoup d’arguments militent pour ne pas procéder, à ce stade, à la décentralisation de la compétence de l’État en matière d’hébergement d’urgence et d’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées.

Une première difficulté juridique et technique résiderait dans la définition des fondements, déconnectés par construction du lieu de résidence, de la prise en charge par une collectivité territoriale d’une personne précisément sans domicile. Cette difficulté pourrait être partiellement contournée si la décentralisation concernait les régions (niveau territorial considéré d’ailleurs comme pertinent par plusieurs de nos interlocuteurs pour la programmation et l’action en la matière) ; mais serait dans ce cas supprimée la plus-value attendue d’un regroupement au niveau du département de l’ensemble des politiques d’aide sociale.

Nous considérons par ailleurs que la décentralisation ne peut être envisagée si, au préalable, certains débats nationaux ne sont pas menés. Nous avons évoqué ci-dessus la nécessité d’un débat sur la réalité des conditions de l’accueil et du séjour, via nos politiques publiques, des étrangers qui arrivent en situation irrégulière sur notre territoire, sur l’écart de la règle à cette réalité et sur ce qu’il conviendrait, le cas échéant, d’en conclure quant à cette règle. Or, ce débat ne peut être que national et il n’est pas envisageable que les collectivités territoriales soient, en la matière, comptables des contradictions qui traversent notre société. Cette difficulté justifie d’ailleurs que la prise en charge des mineurs étrangers isolés par les services de l’Ase fasse l’objet d’une régulation nationale afin de répartir aussi équitablement que possible cette charge croissante pour certains départements et, le cas échéant, d’un concours financier de l’État.

Par ailleurs, la décentralisation ne peut pas être envisagée sans la garantie de l’équité des prises en charge opérées par les différentes collectivités territoriales compétentes. Dans le contexte d’un public constitué de personnes au moins potentiellement mobiles – car sans domicile ou peu attachées à un « logement » dont elles cherchent précisément à ce qu’il soit amélioré – , il serait malvenu de laisser concrètement s’exprimer, entre ces collectivités territoriales, d’éventuels dissensus sur le contenu et la portée d’une prise en charge au titre de l’hébergement de ces personnes. Le débat public national sur ces sujets, même si des désaccords s’expriment en la matière, se traduit aujourd’hui dans la loi par l’inconditionnalité de l’accueil en hébergement d’urgence ; malgré quelques incertitudes ponctuelles, l’État, à travers l’action des opérateurs associatifs, met en œuvre cette inconditionnalité. Serait-il pertinent, dans une confrontation des légitimités politiques et au risque de constater des transferts géographiques de personnes sans domicile, de donner à l’État la tâche de contrôler, et le cas échéant de sanctionner, des conceptions territorialisées de l’inconditionnalité ?

Nous constatons au demeurant que la décentralisation n’est pas au cœur de la refondation, que l’État doit encore mener à son terme. Dans ce contexte où la réforme se trouve « au milieu du gué », procéder à la décentralisation du dispositif serait particulièrement périlleux, dans la mesure où les composantes fondamentales de la refondation viennent d’être mises en œuvre ou sont encore à l’état de projet. Par ailleurs, alors que des débats ou des contentieux financiers importants ont marqué – sans être tous réglés à ce jour – la décentralisation passée de certaines compétences – notamment auprès des départements – , force est de constater que le montant des crédits du programme 177 ne fait pas consensus (même après l’important rebasage opéré en 2011) – quant au financement de la politique d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées ; sans parler de l’évaluation des montants qui seraient nécessaires à la mise à l’abri de tous ceux qui le demandent effectivement.

Si la décentralisation n’est donc pas à ce stade souhaitable et envisageable, il convient néanmoins d’améliorer la coopération entre l’État et les collectivités territoriales, au service de la prise en charge des personnes dépourvues de logement. Les réponses des départements que nous avons interrogés et nos déplacements en région et à Paris montrent que des conseils généraux et communes participent substantiellement à cette politique, en investissement – par exemple pour l’ouverture ou la rénovation de places d’hébergement et de logement adapté – et parfois pour le fonctionnement de ces mêmes centres ou pour accompagner les dispositifs hivernaux de mise à l’abri. Nous approuvons d’ailleurs à ce sujet la recommandation de la Cour des comptes, peut-être par la création d’une annexe au projet de loi de finances, d’« améliorer la connaissance du coût total de la politique publique de l’hébergement, en distinguant les dépenses de fonctionnement et d’investissement de l’État, et les autres cofinancements (collectivités territoriales, usagers, associations). »

L’amélioration de la connaissance en la matière permettrait de quantifier le constat que nous faisons à la lecture des réponses qui nous ont été adressées par certains conseils généraux : l’intensité et la qualité de la coopération qu’ils mettent en œuvre avec l’État sont hétérogènes. Or, plusieurs des clés de la politique de l’État en faveur des personnes sans domicile relèvent d’une bonne coopération avec les collectivités territoriales (il n’y a pas de domaine qui mérite politique plus territorialisée) : la production de logements sociaux et très sociaux, la prévention des expulsions locatives ou encore la continuité et la cohérence du travail social s’agissant des publics pris en charge à la fois au titre de l’hébergement et d’une politique d’aide sociale départementale (Ase, RSA, APA…).

Installer dans chaque département un SIAO unique et fondé sur la coopération des opérateurs, mettre en place les PDAHI, achever le référentiel national des coûts et procéder à la contractualisation

S’agissant des réformes qui composent la refondation, nous partageons en premier lieu la recommandation de la Cour des comptes tendant à « atteindre rapidement l’objectif de n’avoir qu’un SIAO par département et [à] instaurer une forte coordination interdépartementale dans les régions à urbanisation pluri-départementale (Île-de-France et Nord–Pas de Calais) ». Nous comprenons que les services déconcentrés de l’État, par souci d’efficacité ou, à tout le moins, de respect des échéances, aient parfois été conduits à accepter la cohabitation d’un « SIAO urgence » et d’un « SIAO insertion », voire la constitution de plusieurs SIAO territorialement compétents dans un même département. Mais l’objet même du SIAO est bien la connaissance exhaustive et permanente de l’offre et de la demande d’hébergement et en logements pour tout un département, tout en garantissant – et ceci est crucial – la qualité de la première orientation par la veille sociale des personnes sans abri. Cela nécessite à notre sens que l’État continue de privilégier la constitution d’un SIAO unique par département regroupant tous les opérateurs départementaux concernés, même quand le processus a été initialement lancé sur des bases différentes.

Si les SIAO constituent un outil quotidien de régulation mettant en regard l’offre et la demande d’hébergement et de logement au bénéfice des personnes sans domicile, l’adéquation de plus long terme quant à l’offre et la demande - notamment sur la base des informations fournies par les SIAO qui constituent aussi des outils de connaissance - doit notamment s’appuyer sur les plans départementaux dit « accueil, hébergement, insertion » (PDAHI) élaborés par les services déconcentrés de l’État. La Cour des comptes porte un regard contrasté sur les réalisations en la matière, à l’instar des départements que nous avons interrogés et qui ont été diversement associés à cette démarche ; nous notons aussi qu’en Île-de-France, si un plan régional (PRAHI) a, semble-t-il, été élaboré, il n’a pas été dûment acté et n’a donc pas fait l’objet d’une déclinaison départementale.

Nous approuvons la recommandation de la Cour d’« accélérer la mise en place des PDAHI », au risque, le cas échéant, de faire publiquement apparaître, dans les zones tendues, un manque de places d’hébergement ou en logements adaptés. Il est nécessaire que les PDAHI non seulement s’intègrent dans les plans départementaux d’accès au logement des personnes défavorisées (PDALPD) – ce qui constitue une obligation légale diversement appliquée aux termes des témoignages des départements que nous avons interrogés –, mais aussi, comme le prescrit la Cour des comptes, soient coordonnées « avec les documents de programmation du développement des territoires, notamment les programmes locaux de l’habitat (PLH) ». Cette cohérence est l’une des conditions d’un travail social efficace mené conjointement par l’État et les collectivités territoriales et doit aussi permettre de contourner le risque de créer une « filière » isolée des personnes sans domicile dans l’ensemble des politiques d’aide sociale.

La mise en place des PDAHI constitue par ailleurs un préalable au conventionnement pluriannuel entre l’État et chaque opérateur associatif. Car la planification de l’offre et de la demande n’a de sens que si elle peut être déclinée au plus près du terrain, en incitant les opérateurs à s’inscrire contractuellement dans cette perspective, notamment en leur garantissant un financement pluriannuel de leurs activités – celles-ci étant ainsi programmées dans le respect du PDAHI. Nous mesurons la difficulté de la tâche pour les opérateurs, de s’inscrire dans une évolution – parfois importante – de leurs activités ; la tâche ne sera pas plus simple pour les services de l’État, qui devront à la fois mener une réelle négociation approfondie avec chaque opérateur, tout en ne perdant pas de vue l’objectif de la déclinaison du PDAHI au niveau des territoires.

L’autre préalable à l’étape cruciale de la contractualisation entre l’État et chacun des opérateurs associatifs est la faculté de fonder la négociation sur un référentiel des coûts des prestations servies par eux. Il semble que le travail de préparation de ce référentiel ne soit pas achevé, alors même que certains éléments partiels ou d’étape sont, semble-t-il, invoqués à l’occasion d’échanges déconcentrés entre l’État et certaines associations. Il faut désormais, dans des délais rapprochés, que les services de l’État disposent d’un outil achevé en la matière, qui suscite la confiance des opérateurs associatifs. Nous sommes persuadés qu’ils sont prêts à avancer dans le processus de contractualisation, même si certains d’entre eux y perdront financièrement, pourvu que le référentiel des coûts reflète un diagnostic partagé sur l’efficience des pratiques. Au terme de ce processus, deviendra pertinente la question du maintien ou de l’obsolescence de la diversité des statuts des centres et structures d’accueil, sujet sur lequel la Cour des comptes souhaite à juste titre la réalisation d’une étude juridique et financière.

Augmenter les facultés de sortie vers le logement dans le cadre du « logement d’abord » (logements sociaux, intermédiation locative, maisons relais) et créer des équipes de travailleurs sociaux pour l’accompagnement social dans le logement

Les « outils » de la refondation (SIAO, PDAHI, référentiel des coûts, contractualisation) – dont l’assemblage doit conduire à la mise en place d’un service public de l’hébergement et de l’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées – doivent en principe être mis au service du « logement d’abord », stratégie consistant, en faveur de ces personnes, en l’accès, accompagné socialement et dès que possible, au logement de droit commun ou adapté. Le « logement d’abord » constitue ainsi le « sens » dans lequel il est demandé de travailler aux opérateurs du service public.

Nous constatons en premier lieu que des Assises du « logement d’abord » se sont tenues en décembre 2011, alors que les services déconcentrés de l’État et les opérateurs associatifs doivent mettre en œuvre cette orientation depuis plus d’un an. Le « logement d’abord » nécessitait ainsi une clarification conceptuelle et concrète, afin, à tout le moins, de dissiper l’impression qu’il se limiterait à la substitution budgétaire de places de pensions de famille et d’intermédiation locative à des nuitées d’hôtel et à des places en centre d’hébergement.

Le « logement d’abord » nécessite effectivement que des logements adaptés, sociaux ou en intermédiation locative soient rendus disponibles, à des prix accessibles, en faveur des personnes sans domicile ou mal logés. Nous sommes ainsi favorables à chacune des recommandations de la Cour des comptes sur le sujet des « sorties vers le logement », pour lesquelles nous relevons que son rapport constate des résultats d’ores et déjà encourageants.

S’agissant des logements sociaux, il convient effectivement d’« accélérer la reconquête des contingents préfectoraux dans les zones tendues, de façon à pouvoir proposer des logements à prix accessibles aux ménages les plus modestes ». Ce processus est tout autant indispensable pour pouvoir répondre de façon satisfaisante aux ménages prioritaires au titre du Dalo ; à Paris, au 31 décembre 2011, près de 12 000 ménages prioritaires n’avaient pas été relogés. Nous avons été surpris de constater à quel point l’État avait, parfois depuis longtemps, abandonné ses prérogatives concernant les droits dont ils disposent en matière d’attribution de logements sociaux.

Au demeurant, afin de contribuer à l’atteinte de ces objectifs, nous proposons que soit mise à l’étude une modification de la loi dite « SRU » imposant à chaque commune de programmer d’atteindre 20 % de logements sociaux dans l’ensemble de son parc de logements. Pourraient être ainsi considérés, le relèvement de ce taux en zones tendues, ainsi que la bonification pour le calcul de ce taux des logements sociaux construits en prêts locatifs aidés d’intégration (PLAI) et des places de pensions de famille.

Nous sommes tout autant favorables à la recommandation de la Cour des comptes consistant à « accroître le nombre de logements disponibles pour l’intermédiation locative », dispositif – initialement mis en œuvre par la ville de Paris à compter du début des années 2000 – qui cumule plusieurs avantages : il s’agit de permettre l’accès de ménages, notamment des familles, à un « vrai » logement situé dans un ensemble de logements de droit commun, souvent en substitution de places à l’hôtel, en contournant le cas échéant l’écueil de la pénurie de logements sociaux par la mobilisation possible du parc locatif privé. Que le bailleur soit « social » ou « privé », l’intermédiation locative permet de surcroît son implication directe dans une politique d’aide sociale en faveur des plus démunis. Il s’agit sans doute d’une modalité efficace de réduction de l’exclusion ne serait-ce que par la participation à des relations contractuelles de droit commun de personnes qui en sont la plupart du temps exclues.

Nous sommes enfin favorables à la recommandation de la Cour de « poursuivre la création de places en pensions de famille – maisons relais », et ce en rattrapant le retard pris en la matière par rapport aux engagements pris par le Gouvernement. Les personnes susceptibles d’être logées dans les pensions de famille ne sont sans doute pas les mêmes que celles concernées par le logement de droit commun ou l’intermédiation locative ; les pensions de famille permettent le bénéfice d’un « chez soi » et d’une vie collective autour de parties communes à des personnes dont les difficultés physiques ou psychologiques – voire psychiatriques – constituent un obstacle à l’accès à un logement de droit commun. Nous sommes convaincus que les pensions de famille constituent une solution durable pour ces personnes, pourvu qu’elles y soient accompagnées par le soutien sanitaire, médico-social ou psychiatrique dont elles ont besoin.

Le « logement d’abord » consiste à augmenter le nombre des places proposées aux personnes sans domicile dans les logements de droit commun, d’intermédiation locative et dans les pensions de famille. Dans le même temps, un certain nombre de places en CHU et CHRS, et de nuitées d’hôtel, devraient être supprimées, à due concurrence du passage dans le logement d’un certain nombre de personnes hébergées par ces centres. Comme le préconise la Cour, il convient en la matière d’« évaluer précisément le volume et le phasage des transferts de moyens, des places d’hébergement d’urgence vers les places de logement adapté, conformément à la logique de la refondation ». Le « logement d’abord » ne doit selon nous ni être une simple stratégie budgétaire de démantèlement des places en centres d’hébergement ou à l’hôtel, ni constituer une pression sur les publics accueillis – parfois depuis longtemps – dans ces dispositifs d’hébergement que l’on inviterait ainsi, plus ou moins fortement, à suivre une orientation sans réel consentement.

Par ailleurs, nous considérons qu’il convient de retenir la proposition faite par certaines associations de créer, notamment dans les CHRS, des « plateaux techniques » constitués de travailleurs sociaux ayant vocation à procéder à l’accompagnement social, « hors les murs », des personnes ayant accédé à un logement de droit commun ou adapté au titre du « logement d’abord ». Cette stratégie ne peut à notre sens porter ses fruits – une intégration durable dans le logement – que si les personnes concernées sont accompagnées non seulement « vers » mais aussi « dans » le logement. L’effort financier nouveau de l’État en la matière, qu’il convient de saluer, doit être accompagné d’un dispositif global et ambitieux s’appuyant sur les moyens humains disponibles et la capacité d’initiative et de créativité des associations.

La constitution de ces plateaux techniques de travailleurs sociaux doit aussi être l’occasion de relancer la mise en place du « référent », qui devait constituer un lien personnel et individuel entre la personne hébergée ou logée et les travailleurs sociaux techniquement compétents. De nombreuses associations entendues lors de la table ronde du 21 décembre 2011 ont regretté que ce volet de la refondation soit à ce jour resté sans suite.

Conclusion : relever le niveau de priorité collective accordée aux personnes sans domicile et sans abri, notamment en prévoyant une loi de programmation et d’orientation pluriannuelle accompagnant la mise en œuvre de la refondation

En conclusion, nous souhaitons replacer les questions évoquées dans nos conclusions, parfois techniques, dans leur contexte humain. La Cour des comptes, au-delà de sa recommandation très opportune sur l’accélération de la mise en place des comités consultatifs des personnes accueillies (CCPA) dans les régions, a souhaité, pour fonder son étude, interroger certaines de ces personnes accueillies. Parmi les résultats de cette étude, nous sommes frappés par le fait que celles-ci sont bien plus optimistes que les travailleurs sociaux qui les prennent en charge s’agissant de la perspective de trouver un logement stable ou de sortir de la précarité d’ici un à deux ans (50). Nous considérons que l’enjeu de la refondation, orientée vers le « logement d’abord », consiste avant tout à porter une politique publique à la hauteur de ce volontarisme et de cet espoir, en faisant en sorte d’associer ces personnes à la définition d’un chemin auquel elles consentent pleinement.

Nous sommes convaincus que cette politique publique ne peut réussir qu’à condition, par ailleurs, qu’un autre regard soit porté par nos concitoyens et nous-mêmes sur la pauvreté et les personnes sans domicile. Nous avons parfois eu l’impression, au cours de nos visites, de nous rendre dans des centres invisibles – et parfois cherchant à le demeurer –, cachés de la vie du quartier dans lequel ils sont pourtant implantés. Nous pensons que le sens et la qualité de la vie collective aurait pourtant à gagner à se nourrir de la proximité des personnes accueillies par ces structures, étant entendu que l’enjeu pour celle-ci est capital en termes d’estime de soi et d’envie pour entreprendre.

On peut évoquer bien entendu l’importance cruciale du soutien et de la reconnaissance publics apportés au bénévolat et à l’engagement de certains d’entre nous auprès des plus fragiles ; ce soutien public nous semble mériter d’être consolidé en matière fiscale et pourrait être développé en matière d’épargne réglementée via la création, par exemple, d’un livret d’épargne dédié.

La politique publique tendant à réinsérer les personnes sans domicile et, plus largement, très précarisées ne peut en tout état de cause réussir que si la société est ouverte et considère un tant soit peu, ab initio, que ces personnes n’en sont pas exclues, ne sont pas des « exclus ». Nous partageons le sentiment de certaines associations qu’il s’agit d’une question à la fois culturelle et de priorité politique. Ces associations en appellent, en plus et aux côtés des dispositifs techniques qu’il convient de concevoir et de mettre en œuvre en la matière, à l’expression d’une parole politique nationale et locale axée sur la promotion résolue de l’ouverture, de la générosité et de l’éducation à la tolérance à l’égard des plus démunis. S’agissant du niveau politique national, il serait justifié qu’un ministre unique et de plein exercice, le cas échéant directement rattaché au Premier ministre, soit explicitement chargé de ces sujets.

Ce ministre pourrait présenter et défendre dès le début de la prochaine législature – au moins partiellement sur le modèle du Plan de cohésion sociale – un projet de loi d’orientation et de programmation pluriannuelle tendant non seulement à accélérer et amplifier la mise en œuvre de la refondation dans l’optique du « logement d’abord », mais aussi mettre en place une série de dispositions et d’engagements traduisant concrètement une priorité collective nouvelle accordée au sort des personnes sans domicile et les plus précarisées.

Notre approche ne doit pas faire l’impasse sur de multiples évolutions sociales et sociétales qui conduisent aujourd’hui à poser de façon aussi aiguë la question du logement non seulement des sans-abri, mais aussi des plus démunis et des mal logés.

RÉUNION DU CEC DU 7 AVRIL 2011 :
POINT D’ÉTAPE SUR LE DÉROULEMENT DE LA MISSION

M. le Président Bernard Accoyer. L’ordre du jour appelle la présentation par nos rapporteurs – Danièle Hoffman-Rispal pour l’opposition, Arnaud Richard pour la majorité – d’un point d’étape sur l’évaluation de la politique d’hébergement d’urgence. Ce sujet, proposé par le groupe UMP, est suivi par quatre de nos collègues, désignés par la commission des Affaires sociales et la commission des Affaires économiques.

Cette évaluation soulève des questions, notamment parce qu’elle est menée en liaison avec la Cour des comptes, qui a engagé son travail sur ce thème, à la demande du CEC, mais en même temps que les rapporteurs de ce dernier. Je me suis d’ailleurs entretenu à ce sujet avec le Premier président de la Cour, M. Didier Migaud.

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. L’évaluation de la politique d’hébergement d’urgence a été inscrite au programme de travail du CEC en février 2010. Arnaud Richard et moi-même avons été nommés rapporteurs le 28 octobre dernier ; Jean-Yves Le Bouillonnec et Michel Piron, désignés par la commission des Affaires économiques, complètent notre groupe de travail.

La politique d’hébergement d’urgence relève de la compétence de l’État et est mise en œuvre, entre autres, par des opérateurs associatifs. Dans un premier temps, j’évoquerai l’assistance que nous prête la Cour des comptes, ainsi que les principaux thèmes qu’elle souhaite aborder ; Arnaud Richard présentera ensuite, de manière synthétique, les travaux menés à ce jour et les pistes à explorer.

L’article 47-2 de la Constitution établit que « la Cour des comptes assiste [ le Gouvernement et le Parlement ] dans l’évaluation des politiques publiques ». La loi du 3 février 2011, adoptée à l’initiative du Président Bernard Accoyer, a précisé que cette assistance prenait la forme d’un rapport ; si le CEC le confirme, celui-ci figurera donc en annexe de notre propre rapport.

Lors de son audition par le Comité le 3 juin 2010, le Premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, avait déjà évoqué la possibilité que la Cour prête son assistance aux rapporteurs du CEC et, lors de la réunion du 21 octobre dernier, le Président Bernard Accoyer avait annoncé son intention de lui en faire la demande pour l’évaluation de la politique d’hébergement d’urgence. Dès le début de notre mission, nous avons donc examiné les conditions pratiques de cette assistance avec l’équipe de la Cour constituée à cet effet, que nous avons associée à tous nos travaux, qu’il s’agisse des auditions, des déplacements ou de l’élaboration des questionnaires. Nous expérimentons ainsi une méthode de travail nouvelle.

De son côté, la Cour nous a tenue consultés à plusieurs étapes de l’élaboration du cahier des charges de l’étude qu’elle réalisera pour le CEC. Nous nous sommes entretenus en décembre et février derniers avec une délégation de la 5e chambre, préalablement à l’adoption d’un « Protocole formalisé d’évaluation de la politique publique d’hébergement d’urgence » qui nous a été transmis à la fin mars ; puis, nous avons eu le 31 mars un échange sur ce document, qui expose les moyens que la Cour compte entend mettre en œuvre afin de répondre à notre demande d’assistance.

La Cour propose d’évaluer le dispositif d’hébergement d’urgence proprement dit, entendu comme une prestation inconditionnelle d’aide sociale servie par l’État aux personnes sans abri, en se fondant sur les crédits budgétaires correspondants, tout en incluant dans son étude la problématique de l’hébergement de plus long terme, qui doit conduire à une certaine « stabilisation » de la situation des personnes concernées grâce à un accompagnement social. Elle envisage également de traiter de l’accès au logement, mais uniquement dans la perspective d’une politique, en cours de refondation, se donnant pour objectif un accès aussi rapide que possible au logement pour les personnes en hébergement d’urgence ou d’insertion.

La Cour entend souligner les enjeux financiers de la politique d’hébergement d’urgence. Les crédits initiaux se sont révélés systématiquement insuffisants jusqu’en 2010 inclus ; il est encore trop tôt pour dire si l’effort de rattrapage consenti en 2011 sera suffisant. En tout état de cause, une partie de ces crédits finance l’hébergement de demandeurs d’asile, qui devraient être pris en charge par des centres d’accueil dédiés financés par le ministère de l’intérieur. Il conviendra de mesurer l’ampleur de ce « surcoût » pour l’hébergement d’urgence.

La Cour prévoit également d’analyser les « flux entrants » dans le dispositif d’hébergement d’urgence : les expulsions locatives, l’immigration – parfois irrégulière –, les jeunes précédemment pris en charge par les départements au titre de l’aide sociale à l’enfance et qui se retrouvent souvent à la rue dès leur majorité, les sorties de prison, certaines personnes souffrant de problèmes psychiatriques sans être internées. Il convient en effet de connaître les effectifs et les caractéristiques des populations concernées pour juger de l’opportunité des dispositifs mis en œuvre à leur attention.

Globalement, la Cour souhaite procéder à l’évaluation de la « refondation » de la politique d’hébergement engagée en 2008-2009 au regard des objectifs qui lui avaient été fixés : réduire le nombre des personnes à la rue, leur proposer des solutions adaptées en privilégiant autant que possible l’accès direct à un logement, et reconsidérer pour ce faire les liens entre les opérateurs associatifs et l’État en coordonnant leurs activités dans un système intégré d’accueil, d’orientation et d’hébergement de ces personnes.

Cet exercice devrait conduire la Cour à engager une méthode innovante. Elle pourrait ainsi être conduite à intégrer dans ses travaux deux études portant, l’une, sur les caractéristiques des publics accueillis dans les centres d’hébergement d’urgence, l’autre, sur leur degré de satisfaction, sous la forme d’une enquête qui serait commandée à un institut de sondage sur le budget de la Cour. En outre, la Cour souhaite engager des comparaisons internationales.

La Cour a prévu de constituer un comité de pilotage, composé de son équipe de rapporteurs et contre-rapporteur, de personnalités qualifiées et des parlementaires membres du groupe de travail, afin de suivre le déroulement des travaux et de faire des propositions. La première réunion de ce comité de pilotage ne devrait cependant avoir lieu qu’à la mi-avril.

Pour conclure, il convient de souligner la nouveauté de cette démarche puisque, contrairement au mode habituel d’assistance de la Cour au Parlement, les travaux de la Cour des comptes et des rapporteurs du CEC seront conduits en parallèle.

La Cour a d’ailleurs engagé une réflexion générale sur la méthodologie de l’évaluation des politiques publiques, exercice nouveau qu’elle souhaite distinguer de ses activités traditionnelles. Ses chambres restent cependant tenues de se soumettre aux procédures habituelles de collégialité et de contradiction – ce qui constitue une réelle plus-value pour le résultat qui sera in fine transmis au Comité, mais qui peut aussi allonger les délais.

Ce contexte nous conduit à demander au CEC de nous autoriser à clôturer nos travaux après le délai de douze mois prévu par les textes qui régissent le Comité, donc après la fin du mois d’octobre 2011, afin que nous puissions nous appuyer sur le rapport de la Cour, attendu pour la fin de l’année.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Outre diverses réunions de travail avec des représentants de la Cour des comptes, nous avons déjà conduit un certain nombre d’auditions.

Nous avons ainsi entendu en premier lieu M. Étienne Pinte, en sa qualité de président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale – dont je suis également membre – et au titre du rapport qu’il a rendu au Premier ministre en juin 2008, rapport qui est à l’origine de l’actuelle refondation de la politique d’hébergement d’urgence, centrée sur le principe « le logement d’abord ». M. Étienne Pinte nous a fait part de sa riche expérience du sujet.

Nous avons complété cette vue d’ensemble par les auditions de délégations de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale et du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées.

Quatre autres auditions ont permis des échanges avec les dirigeants des principales administrations de l’État chargées du sujet : Mme Sabine Fourcade, directrice générale de la cohésion sociale, M. Alain Régnier, délégué interministériel pour l’hébergement et l’accès au logement des personnes défavorisées, M. Étienne Crépon, directeur de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages et M. Jean-Martin Delorme, directeur régional et interdépartemental de l’hébergement et du logement de l’Île-de-France.

Nous avons également auditionné l’équipe de l’INSEE chargée de la très lourde enquête « Sans domicile 2012 », qui permettra de disposer, à la fin 2012 ou au début 2013, de nouvelles données sur le nombre, la trajectoire et la situation des personnes sans domicile et sans abri.

Plusieurs de ces auditions ont été complétées par des questionnaires écrits, dont les réponses ont été transmises aux rapporteurs de la Cour.

Avec les représentants de la Cour des comptes, nous avons également visité, le 25 janvier au soir, les locaux du centre d’hébergement d’urgence et des lits « halte soins santé » du Centre d’accueil et de soins hospitaliers (CASH) de Nanterre, un site atypique en raison de son mode de gouvernance et des personnes qu’il accueille. Cela nous a permis d’avoir un premier contact avec la réalité du terrain.

La suite de notre programme d’auditions prévoit davantage de rencontres avec les acteurs de terrain, notamment associatifs. Le groupe de travail recevra ainsi cet après-midi une délégation de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars), qui regroupe un grand nombre d’associations œuvrant quotidiennement au service des plus démunis. Nous solliciterons ensuite l’ensemble des grandes associations nationales compétentes.

Il serait également souhaitable d’établir des contacts avec d’autres parties prenantes, notamment les travailleurs sociaux et les personnes accueillies dans les structures d’hébergement. À cet effet, nous envisageons de nous rendre dans des centres d’hébergement d’urgence et d’insertion et d’accompagner une « maraude », en privilégiant autant que possible les contacts non protocolaires. Il existe par ailleurs un Comité consultatif des personnes accueillies, que nous rencontrerons prochainement.

En complément de la comparaison internationale que la Cour des comptes souhaite réaliser, nous pourrions solliciter les postes diplomatiques, en nous appuyant notamment sur l’expertise des services spécialisés de l’Assemblée nationale, pour disposer d’une vision globale des politiques mises en œuvre dans les pays comparables à la France. Si une pratique semblait conduire à des résultats probants tout en s’appuyant sur une organisation différente de la nôtre, nous pourrions envisager de nous rendre dans le pays concerné.

Plusieurs de nos interlocuteurs ont précisé que les situations et les moyens mis en œuvre sont très différents en Île-de-France et en province. C’est pourquoi une mission est prévue les 13 et 14 avril prochains en région Rhône-Alpes.

Enfin, comme la Cour des comptes ne peut juridiquement pas traiter les aspects du sujet relevant des collectivités territoriales, ceux-ci devront faire l’objet d’un travail spécifique. Nous avons déjà établi un premier contact avec l’Association des départements de France et nous envisageons de définir prochainement les principes et les modalités d’une enquête qui serait menée directement par le secrétariat du Comité, autour des thèmes suivants : les actions des collectivités territoriales venant en complément de la mission régalienne d’hébergement d’urgence et d’insertion, le rôle légal des départements en matière d’hébergement d’urgence des enfants de moins de trois ans et le lien entre le public pris en charge par les départements au titre de l’aide sociale à l'enfance et celui pris en charge par l’État au titre de l’hébergement d’urgence et d’insertion.

Nous pouvons d’ores et déjà affirmer que le choix de procéder à l’évaluation de la politique d’hébergement d’urgence était particulièrement opportun. Sa refondation étant en cours, notre travail permettra en effet de faire un point d’étape, sous la forme d’une évaluation intermédiaire.

Il convient en effet de tout mettre en œuvre pour mener à bien l’action visant à accroître l’efficacité et l’efficience de la politique d’accueil, d’orientation, d’hébergement et d’insertion de nos concitoyens les plus en difficulté.

M. Serge Poignant, président de la commission des Affaires économiques. Votre travail avec la Cour des comptes constitue une expérimentation intéressante. Cependant, puisque vous procédez aux mêmes auditions, quelle plus-value apportera précisément cette collaboration ?  Que lui apportez-vous respectivement ?

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. S’agissant de nos auditions, nous les décidons, et y invitons les représentants de la Cour ; nous élaborons ensemble certains des questionnaires transmis aux parties prenantes auditionnées.

M. Arnaud Richard, rapporteur. En tant que parlementaires, nous avons le regard politique que la Cour des comptes n’a pas.

M. Roland Muzeau. Dans votre étude, soulignerez-vous que le coût de l’hébergement d’urgence est de loin supérieur à celui du logement social ?

Par ailleurs, envisagez-vous de vous intéresser aux régions où la situation est particulièrement grave, comme l’Île-de-France ou le Nord ? Une rencontre avec l’Association des départements de France vous permettra d’obtenir des données chiffrées, mais elle ne vous renseignera pas sur le vécu des collectivités territoriales.

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. Sur le fond, nous sommes tous d’accord : il convient, dans la continuité du rapport d’Étienne Pinte et de la politique de refondation engagée en 2008-2009, d’orienter les personnes concernées vers le logement social plutôt que vers l’hébergement d’urgence. L’examen du coût comparé des deux dispositifs figure d’ailleurs dans le cahier des charges de la Cour des comptes et de la direction générale de la cohésion sociale.

Nous n’avons pas eu le temps à ce stade de rencontrer les représentants de toutes les associations. Nous nous rendrons à Lyon la semaine prochaine car on nous a dit que la gestion des sans-abri y diffère sensiblement de celle de l’Île-de-France, mais nous pouvons prévoir d’autres déplacements, par exemple dans le Nord. Quoi qu’il en soit, notre objectif est que les personnes à la rue soient orientées directement vers un logement social.

M. Jean Mallot. La Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a déjà l’expérience du travail avec la Cour des comptes. Même si nous faisons des auditions communes et que nous allons ensemble sur le terrain, la Cour des comptes privilégie l’analyse et la vérification alors que nous privilégions les préconisations. Ces deux approches se complètent heureusement.

M. le Président Bernard Accoyer. Je remercie les rapporteurs pour leur point d’étape et je salue la collaboration engagée avec la Cour des comptes.

Compte tenu de la date prévue pour la remise du rapport définitif de la Cour des comptes, dont l’assistance a été sollicitée en application de l’article 3 de la loi du 3 février 2011, le Comité décide de prolonger le mandat des rapporteurs jusqu’à une date leur permettant d’utiliser les résultats de ce rapport, à la fin de l’année 2011 ou au plus tard à la fin du mois de janvier 2012.

RÉUNION DU CEC DU 15 DÉCEMBRE 2011 :
AUDITION DE M. DIDIER MIGAUD, PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR DES COMPTES, PRÉSENTANT LE RAPPORT DE LA COUR SUR LA POLITIQUE D’HÉBERGEMENT DES PERSONNES SANS DOMICILE

M. le Président Bernard Accoyer. Monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mesdames, messieurs les présidents, mes chers collègues, en décembre 2010, le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques a demandé à la Cour des comptes son assistance pour évaluer la politique de l’hébergement et du logement en faveur des personnes sans domicile.

Monsieur le Premier président de la Cour des comptes, je vous céderai la parole dans un instant pour que vous nous présentiez le rapport de la Cour des comptes. Ce rapport fait suite à un premier, sur la médecine scolaire, que vous nous avez présenté ici même, il y a à peine deux mois.

Avant de vous donner la parole, je tiens à saluer la qualité de la collaboration avec la Cour. Les rapporteurs du CEC ont ainsi été associés aux travaux du comité de pilotage mis en place par la Cour ; de leur côté, ils ont convié les rapporteurs de la Cour à participer aux auditions qu’ils ont conduites ainsi qu’à leurs déplacements sur le terrain. De même, les questionnaires adressés par les rapporteurs du Comité aux différents acteurs de la politique en cause, notamment aux administrations, ont été élaborés après consultation des représentants de la Cour, de façon à éviter des doublons.

Je tiens enfin à saluer l’engagement des deux rapporteurs de la mission d’évaluation de l’hébergement d’urgence pour le Comité, Mme Danièle Hoffman-Rispal pour l’opposition, et M. Arnaud Richard pour la majorité.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Monsieur le Président, madame, monsieur les rapporteurs, messieurs les députés, mesdames, messieurs, c’est un grand plaisir pour moi de venir pour la deuxième fois présenter un rapport d’évaluation devant le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale. J’étais en effet venu en octobre dernier, comme vous l’avez rappelé, monsieur le Président, présenter les travaux de la Cour sur la médecine scolaire. À cet égard, je me réjouis de la publication, il y a un mois, d’un rapport d’information très complet sur ce sujet, qui s’appuie sur l’analyse de la Cour, la complète et en tire des conséquences politiques. C’est là, je crois, un premier exemple très prometteur de ce que peut produire la réunion des forces de la Cour et du Parlement au service de l’évaluation des politiques publiques.

La Cour présente aujourd’hui son rapport sur la politique d’hébergement des personnes sans domicile, afin de contribuer à votre évaluation de cette politique. Il s’agit donc du deuxième rapport produit par la juridiction en réponse à une commande passée par le Comité, sur le fondement de l’article L. 132-5 du code des juridictions financières, issu de la proposition de loi dont vous avez été à l’origine, monsieur le Président de l’Assemblée nationale. Le sujet présente une importance particulière, la privation de domicile étant sans nul doute la forme la plus aiguë du dénuement, et le droit à l’hébergement, la première des solidarités.

Je suis accompagné de Mme Anne Froment-Meurice, présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes, de M. Jean-Marie Bertrand, président de chambre, rapporteur général de la Cour, de Mme Évelyne Ratte, conseillère maître, coordinatrice de l’équipe des rapporteurs, et de M. Michel Davy de Virville, conseiller maître, contre-rapporteur. Ils m’aideront à vous répondre à l’occasion de la discussion qui suivra mon intervention. Sont aussi présents les autres rapporteurs : Mme Marie Pittet, conseillère maître, Mme Marie-Christine Butel, rapporteure, Mme Isabelle Gandin, assistante, Mme Fanny Dabard, stagiaire. Je tiens à saluer la participation de chacun à la synthèse qui vous est aujourd’hui remise sous la forme d’un rapport.

Avant de vous présenter les principaux constats et recommandations de la Cour, je souhaiterais vous exposer brièvement la manière dont la Cour a mené son évaluation. Comme pour sa contribution à l’évaluation de la médecine scolaire, la Cour a été attentive à adapter ses méthodes de travail aux besoins spécifiques d’une évaluation de politique publique, et un protocole d’évaluation a été adopté pour formaliser la méthodologie retenue. Ces adaptations ne remettent pas en cause les principes qui font la force de la Cour : la collégialité de ses travaux et le principe du contradictoire.

Par ailleurs, le champ de l’enquête a été défini comme ne se limitant pas au seul hébergement d’urgence, mais comprenant les diverses formes d’hébergement et modalités d’accès à un logement adapté, prenant appui notamment sur l’accompagnement vers et dans un logement plus pérenne.

La Cour a mené cette enquête essentiellement auprès des services centraux et déconcentrés de l’État, qui sont à titre principal chargés de la mise en œuvre de cette politique publique, en partenariat avec le monde associatif. Il s’agit en fait de la seule des compétences sociales dont l’État ait gardé la gestion directe depuis la décentralisation. Il a été convenu que la contribution des collectivités locales à cette politique publique serait évaluée spécifiquement par le CEC : c’est la raison pour laquelle cet aspect du sujet n’est pas traité dans le rapport.

Les deux rapporteurs de la mission du CEC sur l’hébergement d’urgence, Mme Danièle Hoffman-Rispal et M. Arnaud Richard, ont associé les rapporteurs de la Cour aux nombreuses et précieuses auditions qu’ils ont menées et, symétriquement, ils ont participé à la conduite des travaux de la Cour, à travers un comité de pilotage comprenant également quatre personnalités qualifiées. Je veux ici saluer leur contribution, qui a permis d’enrichir l’approche évaluative de la Cour.

Outre des questionnaires adressés à la plupart des services de l’État concernés, des investigations de terrain ont été conduites à Paris, Lyon et Nantes. De manière plus novatrice, nous avons passé un marché avec l’Ifop, après mise en concurrence, pour qu’il réalise une enquête auprès de trois cents personnes hébergées dans des structures d’accueil et d’hébergement et auprès de cent cinquante travailleurs sociaux. Une telle prise en compte de la perception des acteurs et des utilisateurs d’une politique publique s’avère un outil très précieux pour évaluer cette politique, notamment pour connaître les attentes des citoyens.

Nous avons également étudié plusieurs exemples étrangers, ce qui a permis de confirmer que la question des personnes sans domicile n’est pas spécifique à la France : elle se pose dans des termes proches dans plusieurs pays, notamment de l’Union européenne. Cette analyse confirme aussi qu’un certain nombre des problèmes qui affectent les dispositifs d’hébergement – mouvements de population à l’intérieur de l’Espace européen, demandes d’asile, immigration clandestine – doivent avant tout être abordés dans un cadre européen.

La population des personnes sans domicile, et en son sein celle des personnes hébergées – et non logées – a considérablement augmenté : elle compterait aujourd’hui 150 000 personnes environ, en augmentation de plus de 50 % au cours des dix dernières années. Elle s’est aussi transformée, avec une part croissante d’étrangers, parfois en situation irrégulière, de familles – notamment monoparentales, dont la proportion a sensiblement augmentée –, voire de jeunes ou de personnes exerçant une activité rémunérée.

Face à cette situation, les pouvoirs publics ne sont pas restés inertes : la politique de l’hébergement connaît depuis trois ans une véritable mutation, à l’initiative des associations et sous la conduite de l’État. Ont notamment été mis en place : l’introduction du droit inconditionnel à l’hébergement ; l’adoption, comme dans d’autres pays, du principe du « logement d’abord », qui impose de trouver chaque fois que cela est possible une solution pérenne de logement comme préalable à la réinsertion sociale et à l’employabilité ; un large accroissement de la capacité d’hébergement ; la création d’un délégué interministériel et d’un directeur interdépartemental en région parisienne ; enfin, la volonté de fédérer les associations qui sont les opérateurs de cette politique au sein d’un service public de l’hébergement. Nous savons au demeurant tout ce que cette politique de refondation doit à M. Étienne Pinte, dont je salue la présence.

C’est cette politique de refondation qu’il s’agit d’évaluer. De ce point de vue, le travail important mené par la Cour en moins d’un an nous a permis de mettre en lumière cinq grands constats.

La politique de l’hébergement des personnes sans domicile a été élaborée puis menée par l’État sans que celui-ci se soit donné les moyens d’une meilleure connaissance des populations concernées. Ensuite, si l’accueil des personnes sans domicile a fait l’objet d’efforts indéniables depuis plusieurs années, en nombre de places proposées comme en qualité, son organisation et sa coordination restent insuffisantes. L’accès au logement, l’un des axes stratégiques de la politique du « logement d’abord », souffre d’une offre insuffisante dans les zones où les besoins sont les plus massifs, tant quantitativement que qualitativement. De nombreuses mises à la rue pourraient être évitées par une politique de prévention plus efficace. Enfin, les acteurs demeurent trop nombreux et insuffisamment coordonnés : les relations entre l’État et ses partenaires associatifs restent très largement perfectibles.

Premier constat : la politique de refondation a été définie et mise en œuvre sans que soient connues, à l’entrée dans le dispositif, la demande d’hébergement et ses causes, ni, à la sortie, les populations capables d’accéder immédiatement à un logement. L’administration est démunie et les services déconcentrés soulignent les difficultés à établir une programmation de l’offre quand on méconnaît à ce point les populations concernées. En effet, si de nombreux travaux ont été consacrés au sujet, les données issues des grandes enquêtes nationales sont trop anciennes pour retracer une réalité très évolutive. Des enquêtes thématiques, menées notamment par les associations, apportent des informations intéressantes, qui contribuent de manière déterminante à la connaissance des populations sans domicile, mais elles sont le plus souvent limitées dans le temps et dans l’espace et ne peuvent pas être extrapolées au plan national.

Deuxième constat : la prise en compte des besoins des personnes hébergées reste insuffisante. La politique de refondation prévoyait la mise en place dans tous les départements de services intégrés d’accueil et d’orientation, les SIAO. S’ils jouent un rôle essentiel de plateforme organisant la fluidité des parcours entre l’urgence, l’insertion et le logement, leur mise en place, effective dans la plupart des départements, s’est faite toutefois de manière plus lente que prévue et souvent imparfaite. Dans certains départements, il existe encore une césure entre l’urgence et l’insertion, césure concrétisée par l’existence de deux ou plusieurs SIAO là où l’ambition initiale était qu’il n’y en ait qu’un. Les SIAO ne disposent encore que d’une capacité relative à centraliser les demandes et les offres d’hébergement, et leur articulation avec les centres 115 est à améliorer.

La Cour a constaté que les capacités d’hébergement avaient fortement progressé au cours des dernières années, grâce notamment à la loi instituant le droit au logement opposable, dite loi Dalo, de 2007, et la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion de 2009. Ces deux textes ont d’ailleurs institué un droit opposable, non seulement au logement mais aussi à l’hébergement. Entre 2004 et 2008, le nombre de places d’hébergement et de logement adapté est passé de 51 000 à 83 000, soit une augmentation de 62 %. Si le nombre de structures tournées vers la réinsertion, telles que les maisons relais, a vivement progressé, les places d’urgence continuent de jouer un rôle prédominant. Parallèlement, les conditions d’accueil dans les centres d’hébergement se sont nettement améliorées, grâce au plan dit d’« humanisation » de ces centres : lancé en 2008, et amplifié par le Plan de relance de l’économie en 2009, ce plan d’humanisation a permis de rénover ou de reconstruire près du quart du parc concerné.

Force est de constater cependant qu’en dépit de ces évolutions significatives, les capacités d’hébergement demeurent insuffisantes dans certaines régions au regard du nombre de personnes concernées pour que le droit inconditionnel à l’hébergement soit respecté. Ceci impose le recours, chaque hiver, à des dispositifs spécifiques de mise à l’abri, ce qui est contraire à l’esprit même du droit à l’hébergement. L’insuffisance du nombre de places en centres d’hébergement conduit également à recourir de manière croissante à des nuitées en hôtel, dans des conditions parfois précaires et à un coût lourd pour l’État.

Troisième constat : la sortie vers le logement se heurte à de nombreux obstacles. Le principe du « logement d’abord », au cœur de la stratégie de refondation, implique que l’accès à un logement ordinaire soit privilégié autant que possible, sans passage obligatoire par les structures d’hébergement, sauf bien sûr si la situation de la personne concernée le justifie. La Cour a constaté que la mise en œuvre de ce principe se heurte à deux écueils. En premier lieu, toutes les personnes sans abri ou présentes dans les dispositifs d’hébergement ne sont pas éligibles à un logement : nombre d’entre elles doivent demeurer dans les dispositifs d’hébergement, quand ce n’est pas à la rue. En second lieu, le nombre de logements accessibles aux personnes sans domicile est encore trop faible dans les zones où la demande est forte : malgré les efforts incontestables de l’État pour reconquérir ou effectivement mobiliser les contingents de logements existants, qu’il s’agisse des contingents préfectoraux ou de ceux dits du 1 %, les logements à loyers accessibles aux ménages les plus défavorisés sont en nombre insuffisant, notamment dans les régions très tendues comme l’Île-de-France, le Nord-Pas-de-Calais, ou encore les régions Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur.

L’État s’est pourtant efforcé de mettre en place des dispositifs permettant aux ménages très modestes de se loger dans le parc locatif privé. L’intermédiation locative, qui assure à la fois une sécurité pour les bailleurs et un loyer adapté aux ressources des ménages ainsi logés, mérite de monter en puissance, de même que les dispositifs de garantie des risques locatifs propres à rassurer les bailleurs. Ces dispositifs doivent de toute évidence être développés : à ce jour, ils ne concernent que quelques milliers de logements, alors que l’on estime à 20 000 ou 30 000 le nombre de personnes susceptibles chaque année de quitter les dispositifs d’hébergement si elles pouvaient trouver un logement compatible avec leurs ressources.

Il existe également des formules de logement dit « adapté », intermédiaires entre l’hébergement et le logement : ces « pensions de famille » ou encore ces « maisons relais » sont destinées à ceux dont la situation sociale et psychologique rend difficile l’accès à un logement ordinaire. Bien que le nombre de ces logements adaptés ait doublé entre 2007 et 2010, ce développement reste inférieur aux prévisions : le nombre de places disponibles en fin d’année se situera vraisemblablement autour de 11 000, au lieu des 15 000 prévues dans le cadre de la stratégie de refondation.

Quatrième constat : la prévention ne s’est pas assez développée. Certes, des mesures nouvelles se sont ajoutées aux dispositifs existants dans le cadre de la politique de refondation : création d’un numéro vert, renforcement de la garantie du risque locatif, recours à l’intermédiation locative, mise en place effective des commissions de prévention des expulsions. Toutefois, elles peinent à trouver leur efficacité et ne sont pas encore en mesure de répondre à l’enjeu de l’augmentation des risques d’expulsion que la forte croissance du nombre des impayés de loyers laisse malheureusement présager. La prévention demeure un enjeu essentiel de la politique d’hébergement d’urgence.

La prise en charge de certains publics spécifiques est mieux assurée grâce à une coordination accrue entre administrations concernées, au niveau tant central que local. C’est particulièrement vrai pour les sortants de prison et les personnes souffrant de troubles psychiatriques. En revanche, la prise en compte de la situation des jeunes issus de l’aide sociale à l’enfance, en liaison avec les conseils généraux, est plus problématique. Quant à la situation des demandeurs d’asile, il est regrettable qu’elle ne soit pas traitée en tant que telle dans le cadre de la politique d’hébergement. Cette population reste fixée, souvent pendant plusieurs années, dans le dispositif d’hébergement d’urgence, notamment dans les chambres d’hôtel, sans pouvoir espérer accéder à une forme d’hébergement plus stable ou de logement. Cette situation constitue l’un des principaux obstacles à une fluidification du dispositif d’hébergement et doit donc être prise en compte dans la définition et la mise en œuvre de la politique d’hébergement.

Cinquième constat, enfin : le pilotage de la politique de refondation doit être amélioré.

Une organisation cohérente des services de l’État en charge de la politique de l’hébergement est une condition essentielle de son efficacité. Or ces services sont nombreux : à côté de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), en charge de l’hébergement, et de la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP), en charge du logement, des services des ministères chargés de la justice, de l’intérieur, de la jeunesse ou de la santé sont également concernés. La création, à l’initiative de votre collègue Étienne Pinte, d’une délégation générale, puis interministérielle, pour l’hébergement et l’accès au logement, la Dihal, a certes permis une meilleure animation interministérielle et fortement contribué au dialogue et à la médiation avec le monde associatif. Cependant, en l’absence de moyens financiers et administratifs à sa disposition, la question de l’effectivité de son rôle en matière de pilotage de la stratégie de refondation reste entière. Au niveau déconcentré, les services compétents des ex-directions départementales des affaires sanitaires et sociales ont été touchés par la réforme de l’administration territoriale de l’État, la RéATE, mise en place en 2010. Celle-ci a inévitablement perturbé momentanément l’action des services compétents, désormais les directions départementales chargées de la cohésion sociale (DDCS).

La mise en œuvre de la politique de l’hébergement des personnes sans domicile repose très largement sur les opérateurs associatifs. Elle a été caractérisée, de façon suffisamment inhabituelle pour être soulignée, par la participation des associations à la définition des orientations de la politique de refondation, à l’issue d’une intense et fructueuse période de concertation. Ceci a permis une large adhésion du monde associatif à cette politique. Mais les relations entre ces partenaires se sont progressivement crispées, jusqu’aux tensions de l’année 2011 : grève au Samu social de Paris en mars ; en avril, appel de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale, la Fnars, au refus de signer les conventions proposées par l’administration : en juillet, démission de M. Xavier Emmanuelli, président et fondateur du Samu social de Paris. Seule l’annonce par le Premier ministre, en septembre, du déblocage d’une enveloppe budgétaire additionnelle de 75 millions d’euros sur deux ans a, semble-t-il, permis de répondre aux critiques des associations.

Il est impossible de chiffrer le coût total de la politique publique de l’hébergement du fait de l’absence de données sur le montant des dépenses des collectivités territoriales. Pour l’État, le programme budgétaire consacré à la prévention de l’exclusion et l’insertion des personnes vulnérables constitue le principal poste de dépenses, avec 1,2 milliard d’euros, dont 90 % sont consacrés à la politique d’hébergement. Ce programme a souffert pendant plusieurs années d’un sous-financement chronique, contribuant à une certaine insincérité de la loi de finances, notamment pour l’exercice 2008. L’effort entrepris depuis a permis une meilleure programmation des crédits, à la hauteur des crédits réellement consommés l’année précédente : l’écart entre les deux est passé de 30 % en 2008 à 6 % en 2011. L’ensemble des crédits que l’État consacre à la politique d’hébergement peut être estimé à 1,5 milliard d’euros.

À ces cinq constats répondent cinq axes principaux de progrès pour améliorer l’efficacité de la politique mise en œuvre par l’État dans le cadre de la stratégie de refondation.

Le premier vise à améliorer la connaissance des populations concernées. Il n’est pas acceptable que les services de l’État chargés de conduire cette politique aient une connaissance aussi imprécise de la population sans domicile. Sans négliger les difficultés que j’ai rappelées, il reste possible d’améliorer la connaissance de cette population. À cet égard, la constitution d’une base de données anonymisées, alimentée par les systèmes d’information des nouveaux SIAO est essentielle. Le rapport fait d’autres propositions sur ce sujet, notamment des enquêtes annuelles plus ciblées sur les principales villes concernées par la problématique de l’hébergement d’urgence.

Deuxièmement, il faut améliorer la réponse aux besoins. Les SIAO constituent le pivot du nouveau service public de l’hébergement voulu par la stratégie de refondation. Il faut donc rapidement atteindre l’objectif d’un seul SIAO par département et instaurer une coordination interdépartementale lorsque cela est nécessaire, par exemple en Île-de-France et dans le Nord-Pas-de-Calais.

La politique du « logement d’abord » conduit à s’interroger sur la diversité des structures d’hébergement, qu’il s’agisse des prestations offertes ou des statuts juridiques. Une étude juridique et financière sur l’évolution possible des statuts et des modes de financement des différents types de centres d’hébergement doit être menée, dans le prolongement logique des travaux en cours sur la convergence des coûts et des prestations.

La parole des personnes hébergées doit être mieux entendue et leur participation assurée, en particulier au sein des comités consultatifs des personnes accueillies, qui doivent être généralisés.

Enfin, le problème, que l’on connaît depuis plusieurs années, d’une offre d’hébergement constamment en retard sur une demande toujours croissante, n’a pas encore été vraiment résolu, et ne devrait pas l’être de sitôt, en dépit de premiers résultats obtenus dans le domaine de l’accès au logement. Il n’apparaît donc pas déraisonnable de desserrer la contrainte en matière de stabilisation de la capacité d’hébergement pour créer des places supplémentaires d’hébergement dans les zones tendues, en particulier en accélérant le redéploiement des crédits entre les directions régionales.

Troisièmement, l’amélioration de l’efficacité de la politique de l’État passe par l’augmentation des sorties vers le logement. La démarche en faveur de l’accès au logement est nécessaire mais difficile. Les résultats déjà obtenus ne sont pas encore suffisants pour permettre le désengorgement du dispositif d’hébergement. Il est donc essentiel d’évaluer précisément le volume et le phasage des transferts de moyens des places d’hébergement d’urgence vers le logement adapté.

La reconquête des contingents préfectoraux dans le parc social est un élément central de la politique du « logement d’abord » si l’on veut proposer des logements à prix accessibles aux ménages les plus modestes. Elle doit être accélérée dans les zones tendues. De la même façon, les formules innovantes d’accès au logement, telles que l’intermédiation locative ou les maisons-relais, doivent être développées.

Le quatrième axe de progrès passe par l’amélioration de la politique de prévention. Il conviendrait de pouvoir mesurer l’efficacité des dispositifs de prévention, et pour cela de disposer d’une meilleure connaissance des impayés de loyer, qui sont les premiers signes annonciateurs d’une expulsion locative. Le nouveau dispositif de prévention de ces expulsions pourrait être rapidement évalué.

C’est enfin le pilotage de la politique de refondation qui doit être amélioré. Au niveau central, le pilotage assuré par le délégué interministériel pour l’hébergement et l’accès au logement des personnes sans abri ou mal logées, le Dihal, devrait aller au-delà d’un simple rôle d’animation, de coordination interministérielle et de médiation avec le monde associatif. Cela suppose que ses pouvoirs soient renforcés, de façon à en faire un véritable acteur de la chaîne des décisions administratives et financières.

Au niveau local, la mise en place des plans départementaux de l’accueil, de l’hébergement et de l’insertion, qui constituent l’élément structurant de cette politique, devra être accélérée, de façon à permettre une vraie contractualisation, rendue possible par l’effectivité et l’achèvement des référentiels nationaux des prestations et des coûts.

Enfin, des efforts restent à faire pour développer des outils communs de collecte de données et consolider le tableau de bord interministériel réunissant des indicateurs de suivi, de résultats et de performance, indispensable à la conduite de la réforme. À cet égard, il est également attendu de l’administration qu’elle parvienne à évaluer le coût total de la politique publique de l’hébergement, en distinguant les dépenses de fonctionnement et d’investissement et les différentes sources de cofinancements – associations, collectivités territoriales, usagers eux-mêmes.

Au terme de cette enquête, la Cour fait le constat que les nouveaux objectifs assignés depuis 2007 à la politique d’hébergement des personnes sans domicile ont été formulés de façon explicite et pertinente et font l’objet d’un large consensus. Cependant, les résultats escomptés ne sont pas encore au rendez-vous : il faut du temps pour construire un service public de l’hébergement, coordonner le travail des différentes administrations, organiser l’action des associations et mobiliser une offre de logements. Le calendrier retenu était trop court et les redéploiements opérés en faveur du « logement d’abord » mal évalués et trop rapides. L’enjeu des prochains mois est de continuer d’imprimer un rythme à la réforme, de poursuivre sa mise en œuvre, tout en veillant, par l’optimisation de l’allocation des moyens, à permettre au secteur de l’hébergement de répondre à l’obligation d’accueil inconditionnel des personnes sans domicile, que lui impose la loi, et à assurer la mise en place d’un véritable service public de l’hébergement et de l’insertion.

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. Vous me permettrez de souligner au préalable la nouveauté de l’exercice auquel nous avons participé, puisque c’était la première fois que des rapporteurs du CEC travaillaient concomitamment avec la Cour des comptes. Ce travail passionnant a prouvé que cette étroite collaboration était utile et possible. Sur le fond, je voudrais citer en premier lieu le rapport de 2008 de notre collègue Étienne Pinte, qui a, ainsi que cela vient d’être rappelé, largement inspiré la « refondation » que nous évaluons aujourd’hui.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Le travail avec les représentants de la Cour des comptes a en effet été passionnant, et l’on doit saluer la précision et la richesse de l’analyse de la Cour. Je voudrais également saluer le travail des collaborateurs du CEC, qui nous ont accompagnés au cours de ces plus de neuf mois d’auditions et de déplacements sur le terrain. Enfin, je voudrais à mon tour saluer le travail original et considérable de notre collègue Étienne Pinte, président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE).

On ne peut qu’approuver les préconisations et les recommandations de la Cour, que ce soit en termes de connaissance et de prise en compte des populations concernées par la politique d’hébergement, qu’il s’agisse de la problématique de la sortie vers le logement, de la prévention des remises à la rue, ou du pilotage de la politique de refondation. Comme vous l’avez dit, monsieur le Premier président, en dépit de l’accroissement significatif du nombre des places d’hébergement et en logement adapté et malgré les efforts conséquents de l’État, le développement de cette politique reste insuffisant, alors que la période que nous traversons le rend tout particulièrement nécessaire.

Dans cette perspective, comment la Cour des comptes apprécie-t-elle l’implication des bailleurs sociaux dans la refondation de la politique d’hébergement et d’accès au logement, comme maillon ultime mais indispensable d’une politique volontariste du « logement d’abord » ?

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. Notre mission nous a montré avec quelle facilité des ménages en difficulté pouvaient se retrouver à la rue à la suite d’une expulsion. Comment inciter le juge civil à utiliser davantage ses pouvoirs de suspension des jugements d’expulsion ?

Par ailleurs, la Cour recommande de renforcer les pouvoirs du Dihal. Quelle est in fine l’organisation centrale que la Cour estimerait souhaitable pour le moyen ou le long terme ?

M. Arnaud Richard, rapporteur. La recommandation de la Cour d’écourter le délai de traitement des demandes d’asile est-elle de nature à répondre, dans son ensemble, au constat fait par la Cour que la stratégie de refondation a ignoré la problématique de l’hébergement des déboutés du droit d’asile et, plus largement, des personnes étrangères en situation irrégulière ?

Est-il justifié aux yeux de la Cour qu’une politique publique s’appuie sur un aussi grand nombre d’opérateurs privés et de travailleurs sociaux qui ne sont pas des agents publics ?

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. Plus largement, dans quelle mesure l’État tente-t-il, ne serait-ce que de façon indirecte, d’influer sur le paysage des opérateurs du secteur, par exemple en incitant aux regroupements, ou sur la maîtrise de leur masse salariale, en comparant, par exemple, les coûts des opérateurs à prestations égales ?

Par ailleurs, vous êtes-vous fait une idée des avantages et des inconvénients d’une gestion décentralisée de la politique d’hébergement d’urgence et d’accès au logement des personnes sans domicile ?

M. Arnaud Richard, rapporteur. S’agissant d’une réforme assez bien conçue et concertée, mais dont la mise en œuvre semble quelque peu « patiner », les prochains mois verront-ils apparaître de nouveaux éléments ou des rendez-vous cruciaux, appelés à impacter durablement son devenir et son efficience ? De manière plus globale, la Cour a-t-elle identifié les faiblesses de l’État qui expliqueraient l’insuffisance d’une politique où celui-ci doit être « la force des faibles » ? Ces faiblesses recoupent-elles celles constatées à l’occasion d’autres travaux de la Cour ?

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. C’est à bon droit que vous m’interrogez sur l’implication des bailleurs sociaux, le protocole qui nous lie au CEC prévoyant que les travaux de la Cour ne se limiteraient pas au seul hébergement d’urgence, mais s’étendraient à toutes les formes d’hébergement et aux modalités d’accès à un logement adapté, prenant appui notamment sur l’accompagnement individualisé vers un logement plus pérenne. Dans ce cadre, nous avons constaté que les moyens consacrés au développement du parc de logements très sociaux ont connu une forte progression depuis le plan de cohésion sociale de 2005, notamment en 2009, année au cours de laquelle 20 000 logements très sociaux ont été financés, contre 6 000 par an en moyenne entre 2002 et 2005.

Il est vrai que la programmation des crédits n’a que progressivement pris en compte la carte des besoins. Ce n’est que tout récemment que les financements ont commencé à être recentrés au bénéfice des zones tendues, notamment de l’Île-de-France. Ainsi, la part de la zone A, c’est-à-dire les zones très tendues, qui comptait 19 % du nombre total des logements financés en 2005, s’est progressivement élevée à 27 % en 2009 et 36 % en 2010. Les bailleurs sociaux sont évidemment mobilisés pour la construction de logements très sociaux là où la demande se concentre. La Cour souligne que les loyers de ces logements, particulièrement en Île-de-France, restent néanmoins trop élevés pour une partie des ménages en situation de précarité, contraints de ce fait de chercher à se loger dans le parc privé.

L’enquête de la Cour auprès des services déconcentrés montre que les bailleurs sociaux sont associés au fonctionnement de ces nouveaux dispositifs mis en place par la politique de refondation. Ils participent en particulier aux comités de suivi des services intégrés d’accueil et d’orientation, et des plans départementaux d’accueil, d’hébergement et d’insertion. Ils sont membres des commissions de coordination des actions de prévention des expulsions. Toutefois, nous n’avons pas procédé à un contrôle de l’action des bailleurs sociaux, qui ne relevait pas du périmètre de notre enquête.

Quant au juge civil, ce magistrat exerce ses pouvoirs de façon indépendante dans le cadre de la législation en vigueur. Les expulsions n’interviennent qu’au terme d’un processus construit précisément pour en prévenir, quand c’est possible, la conclusion. C’est ce qui explique la mobilisation des bailleurs en amont, les enquêtes sociales impliquant l’État, le recours au juge, la décision finale du préfet. L’analyse de ce processus confirme avant tout la nécessité de faire porter l’effort de prévention le plus en amont possible de la phase contentieuse. L’augmentation du nombre des impayés de loyers est effectivement inquiétante. Dans un contexte de crise économique, le phénomène doit être mieux suivi et analysé sur le plan statistique. L’estimation qui en est faite tous les six ans par l’enquête logement de l’Insee n’est pas suffisante, c’est évident. Les travaux engagés avec la Cnaf ainsi que la proposition faite par la DHUP aux ministères de l’intérieur et de la justice de fiabiliser la collecte des statistiques sur le contentieux locatif doivent se concrétiser rapidement.

Compte tenu de ces incertitudes, un doute subsiste quant à l’efficacité réelle des mesures de prévention et à leur capacité à faire face à l’augmentation des impayés. On peut être surpris, voire choqué, que, dans ce contexte, n’aient pas été rassemblées des données fiables sur les coûts comparés des mesures de maintien dans le logement et de la prise en charge par une structure d’hébergement. Au-delà du drame que représente la privation du logement par l’expulsion, il est probable que, dans certains cas, le coût du maintien est inférieur à celui des mesures, notamment d’hébergement, qu’elle entraîne. Même s’il ne saurait être question de ne pas veiller au respect des droits du bailleur, cette analyse en termes d’efficience nous apparaît absolument nécessaire.

Dans cet esprit, la question des impayés ne peut être déconnectée de celle de l’augmentation des loyers et de la solvabilité des ménages les plus modestes, dont le taux d’effort pour accéder à un logement, et s’y maintenir, est de plus en plus important. Il est nécessaire que les expérimentations prévues par la stratégie de refondation visant à recourir à l’intermédiation locative pour prévenir les expulsions soient plus largement conduites sur le terrain, puis évaluées par les services. Les réponses des services montrent d’ailleurs que des mécanismes de coordination avaient parfois été mis en place depuis plusieurs années. Les résultats des études qui viennent d’être engagées par l’Agence nationale pour l’information sur le logement et le Conseil général de l’environnement et du développement durable devront clarifier le rôle des commissions qui ont été mises en place et dégager des pistes d’amélioration.

Vous souhaitez savoir par ailleurs si la recommandation consistant à écourter le délai de traitement est de nature à répondre, dans son ensemble, au constat fait par la Cour que la stratégie de refondation a ignoré la question spécifique de l’hébergement des déboutés du droit d’asile et, plus largement, des personnes étrangères en situation irrégulière. Il serait totalement imprudent d’assurer que cette seule mesure peut répondre, dans son ensemble, à un problème d’une rare complexité qui nous est, soulignons-le, commun avec nos principaux voisins européens. C’est cependant, à n’en pas douter, un facteur essentiel de réponse : le dispositif actuel de l’asile est conçu et calibré pour accueillir 35 000 demandeurs par an avec un délai de traitement d’environ neuf mois. Or le flux actuel est de plus de 50 000 demandeurs par an et le délai de traitement moyen est de 19 mois. L’hébergement généraliste subit directement l’impact de cette saturation en accueillant à la fois les demandeurs ne trouvant pas de place en centres d’accueil pour demandeurs d’asile, les Cada, et les déboutés du droit d’asile qui ne quittent pas le territoire français. Le délai de traitement a un double effet : d’une part, il augmente mécaniquement le nombre de demandeurs d’asile qui doivent être logés et, d’autre part, il constitue un facteur d’enracinement qui rend plus difficile le départ pour la majorité des demandeurs finalement déboutés – 75 % d’entre eux. Du fait de l’inconditionnalité de l’hébergement, la circulaire du 24 mai 2011 se contente d’organiser les flux vers les centres d’hébergement de droit commun sans aborder le devenir des populations concernées. Compte tenu de leur situation, ces personnes déboutées du droit d’asile, et donc en situation irrégulière, restent fixées, souvent pendant plusieurs années, dans les dispositifs d’hébergement d’urgence et demeurent logés notamment dans des chambres d’hôtel.

Mme Anne Froment-Meurice, présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes. Sur l’organisation centrale de la conduite de cette politique et ses perspectives d’évolution, la Cour a constaté que la mise en œuvre de la politique de l’hébergement depuis 2008 a reposé sur une coordination plus étroite des services de l’État, tant au niveau central que local. Incontestablement, la création, en 2008, d’un délégué général pour la coordination de l’hébergement et de l’accès au logement, qui est devenu en 2010 le délégué interministériel à l’hébergement et à l’accès au logement, a renforcé la conduite interministérielle de la réforme, notamment dans la phase de concertation – ô combien cruciale – avec les associations et lors du lancement des premières mesures. L’enquête de la Cour souligne cependant les difficultés et les limites de l’action du Dihal, qui ne gère aucun crédit d’intervention et dont l’efficacité repose essentiellement sur sa capacité de négociation et son pouvoir de persuasion.

Dans la perspective de la mise en place d’un service public de l’hébergement et de l’accès au logement, la question de l’organisation à prévoir pour l’avenir afin de préserver le caractère interministériel de cette politique se pose en effet. Les responsables qui ont été auditionnés par la Cour évoquent trois solutions possibles : d’abord, le maintien de la situation actuelle, qui a la préférence des directions d’administration centrale. Cette solution conjugue un pilotage coordonné par les deux directions centrales, la DGCS et la DHUP, toutes deux placées sous l’autorité de la ministre chargée de l’Écologie, du développement durable, des transports et du logement. Elle repose sur le rôle de mobilisation et d’animation exercé par le Dihal avec les autres ministères concernés, de l’intérieur, de la santé, de la justice, de la jeunesse et des sports, et tout le secteur associatif.

La deuxième solution marquerait une évolution. Elle viserait à modifier l’organisation des compétences entre les directions centrales et conduirait à regrouper au sein d’une même entité les missions relevant du logement et celles afférentes à l’hébergement en transférant la gestion des crédits consacrés à l’hébergement et figurant dans le programme 177 à la DHUP, qui deviendrait ainsi le pilote central de la politique du logement et de l’hébergement.

La troisième solution consisterait à créer une agence dédiée à la politique de l’hébergement qui intégrerait les moyens humains et financiers des directions actuellement en charge de la conduite de cette politique. Une variante de cette solution tendrait simplement à prévoir la reprise de cette politique par une agence existante, l’Agence nationale de l’habitat (Anah), l’Agence nationale de la rénovation urbaine (Anru) ou l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé).

Il est apparu à la Cour que la réflexion n’était pas suffisamment avancée pour pouvoir se prononcer sur une réforme de la gouvernance. Elle a considéré par ailleurs qu’il convenait d’attendre les résultats de la politique en cours, qui pourraient utilement éclairer les options à retenir.

S’agissant du bien-fondé de conduire une politique publique en s’appuyant sur un grand nombre d’opérateurs privés non lucratifs et de travailleurs sociaux n’ayant pas le statut d’agent public, il ne faut pas oublier que la plupart des politiques sociales sont précisément mises en œuvre par des opérateurs privés non lucratifs relevant très fréquemment de la loi de 1901. Le secteur associatif a souvent pris la suite de l’action caritative traditionnelle des églises ou s’est imposé en l’absence d’initiatives prises par l’État. C’est le cas pour la politique en faveur des personnes handicapées et des personnes âgées ou de l’accueil de la petite enfance, domaines dans lesquels les structures d’accueil sont généralement gérées par des associations.

Le secteur associatif est donc un partenaire essentiel des pouvoirs publics dans toutes ces politiques publiques sociales. Le maillage territorial qui s’est ainsi constitué, l’expérience et les compétences accumulées sont des atouts considérables dont il paraît très difficile, voire inopportun, de se priver. En revanche, l’État, qui finance les associations gestionnaires par voie de subventions ou de dotations globales, doit être en mesure de contrôler le bon usage des financements accordés à ces associations, le respect des directives d’action qu’il donne et la qualité des prestations fournies. À cet égard, le rôle des services déconcentrés est très important pour pousser les opérateurs à se professionnaliser et à rechercher une plus grande efficience de leur gestion.

Sur ce terrain, la Cour a constaté des faiblesses dans l’exercice par l’État de la tutelle sur les opérateurs de la politique d’hébergement. C’est pourquoi elle recommande que la démarche de contractualisation avec les associations, qui est déterminante pour rationaliser et mieux structurer les opérateurs, soit rapidement conduite.

S’agissant du statut des travailleurs sociaux, les salariés des associations relèvent de conventions collectives auxquelles ils sont très attachés. Le fait qu’ils n’aient pas le statut d’agent public paraît sans incidence sur la qualité des services offerts aux personnes concernées par les politiques sociales.

M. Didier Migaud. S’agissant des initiatives de l’État sur la cartographie des opérateurs du secteur ou sur la maîtrise de leur masse salariale, nous savons qu’une démarche de contractualisation a été engagée avec les associations dans l’objectif d’adapter l’offre d’hébergement à la demande en tenant compte des besoins réels de chaque territoire, d’harmoniser la qualité des prestations et de faire converger les coûts des établissements. Cela montre la volonté de l’État de faire évoluer le paysage des opérateurs en rapprochant l’offre d’hébergement de la demande, et de maîtriser les coûts des établissements, dont plus de 80 % sont constitués par la masse salariale.

L’État a mis en place trois outils – les plans départementaux d’accueil, d’hébergement et d’intégration, le référentiel national des prestations et le référentiel des coûts – destinés à rationaliser l’offre par territoire, et donc à faire évoluer la cartographie des structures et à faire converger l’activité des centres vers des coûts standards issus du référentiel des coûts, ce qui revient à peser sur les dépenses des établissements. Pour l’heure, nous ne sommes pas encore en mesure d’évaluer les résultats de cette démarche, à peine engagée. On peut simplement considérer que la méthode et les outils disponibles sont de nature à rationaliser le dispositif d’accueil et d’hébergement.

Vous nous demandez si nous nous sommes fait une idée des avantages et des inconvénients d’une gestion décentralisée de la politique d’hébergement d’urgence et d’accès au logement des personnes sans domicile : non, car cela ne faisait pas partie du travail que vous nous aviez confié. Notre enquête a porté sur les services de l’État, les associations, mais pas sur le rôle des collectivités territoriales, qui a été laissé à votre appréciation. Cependant, pour juger de l’opportunité de la décentralisation de la politique d’hébergement, il faut bien évidemment tenir compte du rôle des collectivités territoriales et des moyens qu’elles y consacrent d’ores et déjà.

Quant à la question relative aux faiblesses de l’État identifiées par la Cour qui pourraient expliquer les insuffisances des résultats enregistrés, nous avons tenu à souligner la qualité du travail de refonte de la politique de l’État qui a été engagée en étroite concertation avec les associations, dans le cadre du chantier national prioritaire de la refondation 2007-2009. Il n’est pas si fréquent de voir associer un véritable souci de cohérence et d’efficacité de l’action publique avec celui du dialogue avec des associations, diverses et assez peu coordonnées même si elles se retrouvent au sein de la Fnars.

On peut cependant déplorer une mise en œuvre trop lente. Comme c’est souvent le cas, la cohésion interministérielle reste trop faible. Les pouvoirs du délégué interministériel pour la coordination de l’hébergement et de l’accès au logement sont trop limités, surtout dans les quatre conurbations où se situe l’essentiel des problèmes – Paris, Marseille, Lyon et Lille. Nous estimons en outre que la cohérence des calendriers n’a pas été très bien assurée. La lenteur des progrès n’a pas permis de dégager assez vite les gains qui auraient permis de faire face à une reprise de la demande suscitée par la crise et à l’incidence de la pression migratoire. La stabilisation des moyens qui a été tentée en 2011 s’est avérée impossible même si elle doit rester un objectif qui devrait, à terme, pouvoir être atteint.

M. Marcel Rogemont.  Je ferai plusieurs observations.

La première porte sur l’accueil des personnes sans papier. Du fait de la politique menée par l’État, on note une concentration géographique des structures. Or cela a des conséquences localement s’agissant notamment de l’accueil des mineurs, qui relèvent de la responsabilité des conseils généraux. En Ille-et-Vilaine, nous devons ainsi supporter des dépenses très importantes à ce titre. Peut-être faudrait-il mettre en place un système de péréquation pour traiter ces questions. Sans mettre en doute la qualité du travail accompli par les services de l’État, il me semble nécessaire de mener une réflexion complémentaire sur ce point.

Ma deuxième observation a trait à l’obligation d’accueil. Pour les personnes qui quittent les hébergements prévus par les associations de réinsertion et qui bénéficiaient d’un suivi de la part de ces associations, le parcours se termine presque toujours en logement social. C’est sur les organismes HLM que pèse alors la suite. Or cette responsabilité est peu prise en compte. Vous suggériez une intermédiation locative visant à prémunir les bailleurs privés contre des loyers impayés. Pourquoi ne pas prévoir un tel système pour les organismes HLM ? Sinon, ce seront les plus pauvres des plus pauvres qui paieront les conséquences de la politique de l’État. Je rappelle qu’actuellement les ressources des entrants en logement HLM sont à moins de 60 % des plafonds HLM. 

Vous avez parlé de reconquête des contingents préfectoraux : la loi Dalo aurait été inutile si le système avait bien fonctionné.

Enfin, Mme Froment-Meurice envisageait la création d’une agence qui reprendrait une partie des responsabilités des services de l’État. Veillons cependant à ne pas rajouter un opérateur dans le dispositif et à multiplier les filières ! Il vaudrait mieux réfléchir, à mon sens, à une adaptation des services de l’État aux politiques locales de l’habitat, s’agissant notamment de l’organisation des dispositifs et de l’application de la loi Dalo. Le système y gagnerait en simplification.

M. Étienne Pinte.  Je remercie la Cour pour son rapport. Toutes ses analyses correspondent parfaitement à ce que j’ai observé depuis plusieurs années et parviennent aux mêmes conclusions que moi. Je m’en tiendrai à quatre questions.

Premièrement, vous n’avez pas évoqué le recours à l’ordonnance de 1945 sur la réquisition, outil législatif qui prête, certes, à controverse. Alors que deux millions de logements sont vacants et que nous sommes confrontés à une grave crise dans les zones tendues, pourquoi les autorités préfectorales n’ont-elles pas recours à cette ordonnance en cas de problème d’hébergement d’urgence ?

Deuxièmement, s’agissant des impayés, l’une des solutions ne passerait-elle pas par la revalorisation de l’aide personnalisée au logement (APL), qui permettrait à un certain nombre de familles d’éviter de se retrouver en situation d’insolvabilité et, donc, de potentielle expulsion ?

Ma troisième question porte sur le droit d’asile. Représentant l’Assemblée nationale au conseil d’administration de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’Ofpra, je peux vous indiquer que, d’ici à la fin du mois, l’Office aura enregistré 60 000 demandes de statut de réfugié politique au titre de l’année 2011. Vous l’avez dit, il faut compter dix-neuf mois pour arriver à une solution définitive. Or, au terme de ce délai et surtout lorsqu’il y a des enfants, les familles sont, sinon installées, en tout cas en partie intégrées. Ne pourrait-on essayer de coordonner les décisions de l’OFPRA et celles de la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA, sachant que celle-ci accorde plus de statuts de réfugié que l’Ofpra ?

Ma dernière question porte sur le coût de l’hébergement. En 2008, le coût de l’hébergement en hôtel représentait environ un million d’euros par jour. Avez-vous pu actualiser ce chiffre ? Par ailleurs, une meilleure coordination dans les zones tendues ne permettrait-elle pas de réduire le recours à l’hôtel ? De passage dans la région Rhône-Alpes, voilà deux mois, j’ai ainsi constaté, alors que la tension était très grande à Lyon, qu’il y avait des logements vacants à Villefranche-sur-Saône, ville très proche. Une plus grande volonté politique des administrations pourrait rendre plus cohérente la demande de logements sociaux et très sociaux.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, suppléant son président.  Ma question portera sur la prise en charge de certains publics spécifiques.

J’ai noté que votre rapport ne faisait pas allusion aux personnes victimes de violences conjugales, qui sont souvent obligées de quitter le domicile conjugal. Or le travail législatif ayant conduit à une meilleure prise en compte de ces violences, les associations ont de plus en plus de mal à trouver des solutions d’hébergement en urgence, que ce soit pour la victime des violences, souvent obligée de quitter le domicile conjugal, ou pour le conjoint violent dont l’éviction a été décidée par le juge.

Les bienfaits des nouvelles dispositions législatives trouvent ainsi une limite dans la difficulté de leur mise en œuvre. La Cour s’est-elle penchée sur ce problème ? Cela pourrait éclairer le travail d’analyse et d’évaluation de la mise en œuvre de la loi du 9 juillet 2010 que je mène avec notre collègue Danielle Bousquet.

Mme Évelyne Ratte, conseillère maître à la Cour des comptes, coordinatrice de l’équipe des rapporteurs. Monsieur Rogemont, vous regrettez que les personnes sans domicile qui sortent du circuit des associations pour arriver dans un logement manquent d’accompagnement. Ce problème a été identifié dans la stratégie de refondation. C’est ainsi qu’un dispositif spécifique, l’AVDL, l’accompagnement social vers et dans le logement, a été mis en place. Il est financé par l’État et doit permettre aux associations de poursuivre l’accompagnement des personnes après leur départ des établissements d’hébergement. Ce dispositif devrait notamment être financé par le reversement des amendes dont l’État devra s’acquitter pour non-respect du Dalo.

Monsieur Pinte, nous n’avons pas véritablement travaillé sur les quatre points que vous avez soulevés. Nous n’avons pas du tout investigué sur le recours à l’ordonnance de 1945 concernant la réquisition car notre travail d’évaluation portait sur l’évaluation d’une politique publique, qui ne fait précisément pas mention de l’utilisation de cette ordonnance. Nous n’avons pas poussé la curiosité au-delà des contours de la politique que nous avions à examiner. En tout état de cause, l’ordonnance de 1945 est toujours utilisée avec précaution, compte tenu du statut du droit de propriété dans notre univers législatif et de notre mentalité collective.

Sur l’APL, nous n’avons pas fait d’enquête sur la politique du logement dans son ensemble. Nous avons simplement constaté la difficulté à trouver des logements à loyer accessible pour les populations sans domicile. Même les logements de type « PLAI » sont parfois difficiles d’accès. Une piste pourrait consister à élaborer une politique publique définissant un « reste à charge » supportable.

S’agissant du droit d’asile, votre proposition ne peut qu’être retenue. Il serait bon en effet de parvenir à une meilleure coordination entre les deux niveaux d’instruction des demandes de droit d’asile entre l’Ofpra et la CNDA. Mais, là encore, nous n’avons pas fait d’investigation puisque nous n’étions pas chargés d’examiner ce point.

En ce qui concerne le coût de l’hébergement en hôtel, le rapport contient de nombreuses informations. En effet, le coût des nuits d’hôtel n’a cessé d’augmenter d’une année sur l’autre. Nous avons constaté en outre que ce mode d’hébergement, qui concernait essentiellement la région parisienne et éventuellement Marseille et le Nord-Pas-de-Calais, s’est étendu, ces deux dernières années, à d’autres régions. La généralisation de cette forme d’accueil en urgence est à noter. Nous faisons quelques propositions en la matière.

Monsieur Geoffroy, vous avez raison de souligner la situation des femmes victimes de violences. Le problème vient du fait que ce sont souvent les femmes qui partent, et non les hommes comme le voudrait pourtant la logique. Pour l’heure, cependant, sont considérés comme publics spécifiques les sortants de prison, les personnes souffrant de troubles psychiatriques et les jeunes issus de l’aide sociale à l’enfance. Les femmes victimes de violence relèvent en quelque sorte du droit commun, même si leur parcours et leurs besoins sont spécifiques à un moment donné.

M. le Président Bernard Accoyer. Je sais, madame Hoffman-Rispal, monsieur Richard, que vous souhaitiez aborder d’autres points, notamment d’ordre plus financier. Je vous propose de les examiner lors de discussions complémentaires directes avec l’équipe de la Cour, et de faire figurer les éléments de réponse correspondants dans le rapport que vous présenterez le 26 janvier prochain.

Monsieur le Premier Président de la Cour des comptes, je vous remercie, une fois encore, pour cette action exemplaire entre la Cour et les députés. Ce travail en commun permettra d’approfondir des questions dont on mesure ainsi d’autant mieux la portée. Je proposerai au Comité que, comme il est maintenant d’usage, le rapport de la Cour des comptes soit publié en annexe à celui des rapporteurs du Comité, qu’il est prévu d’examiner à la fin du mois de janvier.

RÉUNION DU CEC DU 26 JANVIER 2012 :
EXAMEN DU PROJET DE RAPPORT D’INFORMATION

M. le Président Bernard Accoyer. Notre ordre du jour appelle la présentation du rapport sur l’évaluation de la politique d’hébergement d’urgence. Quatre de nos collègues ont été désignés par les commissions des affaires économiques et des affaires sociales pour participer à ces travaux. Nos deux rapporteurs sont Mme Danièle Hoffman-Rispal pour le groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche, et M. Arnaud Richard pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

Je rappelle que les rapporteurs ont bénéficié de l’assistance de la Cour des comptes, dont le rapport sur ce sujet nous a été présenté, le 15 décembre dernier, par son Premier président Didier Migaud. Le rapport de la Cour a établi un constat et formulé des recommandations que les rapporteurs ont pris le temps de discuter avec les parties prenantes et le Gouvernement. J’en profite pour remercier les représentants de la Cour des comptes ici présents, M. Michel Davy de Virville, Mme Évelyne Ratte, ainsi que Mme Marie Pittet et Mme Marie-Christine Butel.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Monsieur le président, mes chers collègues, mesdames et monsieur les représentants de la Cour des comptes, au cours de plus de douze mois de travail en commun, et conformément aux orientations que nous vous avions présentées lors du point d’étape du 7 avril 2011, nous avons souhaité diversifier les modalités d’évaluation de l’hébergement d’urgence, sujet qui s’est révélé d’emblée indissociable des problématiques relatives à la veille sociale, à l’hébergement d’insertion et à l’accès au logement.

Dans cette perspective, nous avons pu, avec l’autorisation du CEC et grâce au soutien du président Bernard Accoyer, bénéficier de l’appui de la Cour des comptes, en application de l’article 47-2 de la Constitution et, par anticipation, dès le mois de décembre 2010, de la proposition de loi du président Bernard Accoyer, désormais codifiée à l’article L. 132-5 du code des juridictions financières depuis l’entrée en vigueur de la loi du 3 février 2011.

Nous souhaitons remercier M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, et Mme Anne Froment-Meurice, présidente de sa cinquième chambre, d’avoir permis cette assistance, dans le respect des principes fondamentaux qui contribuent à la qualité du travail de la Cour, en particulier la collégialité et la contradiction avec les parties prenantes, et ce dès le début de notre mission il y a plus d’un an. La Cour des comptes a dû en conséquence quelque peu bousculer son programme de travail. Nous souhaitons tout autant remercier les membres de la Cour qui ont contribué à la réalisation de son rapport : M. Michel Davy de Virville, conseiller-maître et contre-rapporteur, Mme Évelyne Ratte, conseillère-maître et coordinatrice de l’équipe des rapporteurs, Mme Marie Pittet, conseillère-maître et rapporteure, Mme Marie-Christine Butel, rapporteure, Mme Isabelle Gandin, assistante, ainsi que Mme Fanny Dabard, stagiaire.

Loin de se limiter à la livraison d’un rapport, qui constitue déjà, pour toutes les parties prenantes, une référence incontournable, notre collaboration avec la Cour a consisté en des échanges réguliers et approfondis avec les membres de cette équipe, à l’occasion de déplacements sur le terrain et dans le cadre de très nombreuses auditions. Ces échanges ont nourri tout au long de l’année 2011 la réflexion menée sur ce sujet dans nos institutions respectives.

Notre propre réflexion s’est nourrie également des travaux que nous avons menés à la fin de l’année 2010 et au cours du premier semestre de l’année 2011 : d’abord l’audition de notre collègue Étienne Pinte, dont les réflexions, propositions et initiatives ont contribué à faire avancer le sujet ces dernières années ; puis les auditions des principaux responsables administratifs de la politique d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées, ainsi que de personnalités qualifiées, notamment des membres des conseils, comités et observatoires chargés de contribuer à la connaissance et à la réflexion des pouvoirs publics en la matière.

À la suite de la présentation devant le CEC du rapport de la Cour des comptes par son Premier président, le 15 décembre 2011, ce programme a été complété par une table ronde réunissant, outre un représentant du Conseil consultatif des personnes accueillies, le CCPA, plusieurs représentants d’associations et de fédérations d’associations parmi les plus impliquées et les plus représentatives dans le domaine de l’hébergement et du logement adapté, ainsi que par l’audition de M. Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement auprès de la ministre de l’Écologie, du développement durable, des transports et du logement. M. Apparu nous a par ailleurs fait parvenir le 24 janvier 2011 un avis sur le rapport de la Cour des comptes, qui sera publié en annexe à notre rapport.

Nous avons aussi pris l’initiative – complétant ainsi le travail réalisé par la Cour des comptes – d’adresser un questionnaire à trente départements, représentatifs par la taille de leur population et la diversité de leurs territoires ruraux et urbains, et parmi les plus concernés par nos problématiques. Nos questions portaient sur la coopération entre les conseils généraux et l’État en matière d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans domicile et, plus largement, sur le principe et les modalités de la décentralisation en matière d’aide sociale, sachant que la mise à l’abri des personnes sans domicile constitue la seule aide sociale relevant encore de la compétence de l’État. Nous tenons à remercier les vingt et un départements qui ont bien voulu répondre à notre questionnaire, d’autant qu’il comptait à la fois des questions extrêmement techniques et des questions politiques.

Nous avons souhaité nous rendre autant que faire se pouvait sur le terrain, dans des structures d’hébergement et de logement adapté, pour nous entretenir avec les personnes accueillies, les travailleurs sociaux et leurs responsables opérationnels. Dès le 25 janvier 2011, nous avons visité le centre d’accueil et de soins hospitaliers, le CASH, de Nanterre, et le 30 mai 2011 plusieurs établissements et associations à Paris. Le 15 décembre 2011, nous avons accompagné une « maraude » organisée par les services de la Ville de Paris. Le 19 décembre 2011, nous nous sommes rendus dans plusieurs établissements et associations des Yvelines. Nous avons privilégié ce type de rencontres et d’échanges sur le terrain lors de nos déplacements dans le Rhône, les 13 et 14 avril 2011, en Loire-Atlantique les 29 et 30 juin 2011, et à Londres les 13 et 14 septembre 2011, sans parler de contacts plus institutionnels avec les élus locaux et les services administratifs déconcentrés. Au total, nous nous sommes rendus dans une vingtaine de structures parties prenantes de l’accueil, de l’hébergement et de l’accès au logement des personnes sans domicile.

Il faut noter par ailleurs que, le 17 janvier 2012, lors de son audition par le groupe de travail, le secrétaire d’État chargé du logement a salué le travail de la Cour des comptes, indiquant d’ores et déjà que ce rapport contribuerait, avec celui que nous présentons aujourd’hui, à faire évoluer la réforme de la politique d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans abri ou mal logées. Je cite les propos de M. Apparu : « Dès le mois de février, je rencontrerai les représentants du secteur associatif afin de déterminer avec eux, en nous fondant sur le document de la Cour et sur celui de l’Assemblée nationale, ce qu’il est possible de faire pour accélérer l’application de la réforme. »

Je voudrais enfin remercier l’équipe du CEC de nous avoir accompagnés durant ces travaux.

Nous approuvons dans leur ensemble les recommandations de la Cour des comptes. À l’issue de nos travaux et de nos réflexions, nous souhaitons y ajouter quelques propositions, dont nous considérons qu’elles sont à même de contribuer à la mise en place d’un service public de l’hébergement et de l’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées, qui leur garantisse une égalité de traitement, l’inconditionnalité de l’accueil et l’absence de rupture de la prise en charge.

Nous observons que la refondation  en cours de la politique de l’État en matière d’hébergement et d’accès au logement vise : en premier lieu, à une réorganisation d’ampleur, via l’édification d’un service public, du dispositif d’accueil, d’hébergement et d’insertion géré par les opérateurs associatifs sous la direction de l’État ; en second lieu, à concevoir cette réorganisation dans la perspective du « logement d’abord », c’est-à-dire l’accès, dès que possible, à un logement adapté ou de droit commun, notamment social, en faveur des personnes sans domicile.

Cette réforme a été engagée par les pouvoirs publics en 2008, avec l’accord des associations parties prenantes et de leurs plus importantes fédérations ; celles-ci ont même largement contribué à la concevoir et à créer les outils qui lui sont associés.

Si cette refondation a pu susciter parfois un certain scepticisme en raison d’un bilan jugé insuffisant à ce stade, nous considérons cependant qu’elle constitue une réforme positive et bien conçue et nous souhaitons qu’elle soit menée à son terme.

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. Je voudrais d’abord m’associer aux remerciements d’Arnaud Richard, en y ajoutant ceux que nous vous devons, monsieur le président, pour l’aide que vous nous avez apportée.

On ne peut éluder le fait que, dans notre pays, des dizaines de milliers de personnes dorment chaque nuit dans la rue. À l’issue de nos travaux, et sur le fondement de ceux réalisés par la Cour des comptes à la demande du CEC, nous considérons que le déficit du nombre des places d’hébergement au regard du nombre des personnes sans domicile – 80 000 places pour environ 150 000 personnes sans domicile – impose l’ouverture de nouvelles places dans les zones tendues. L’ouverture de places nouvelles suppose une analyse préalable et approfondie des besoins de chaque territoire. Afin d’engager l’effort nécessaire, il faudrait étudier sans délai la possibilité de pérenniser tout au long de l’année les places supplémentaires déjà ouvertes l’hiver.

L’action publique ne doit en aucune manière renoncer à la prévention, ce qui suppose d’agir positivement sur les flux alimentant la population des personnes sans-abri. Ainsi, afin de maintenir dans le logement un ménage en difficulté financière, il conviendrait de mettre en œuvre une action publique préventive dès le premier impayé de loyer. Le premier objectif du « logement d’abord » ne devrait-il pas être, en effet, de maintenir ces personnes dans un logement, quitte à ce que ce ne soit pas le même ? Le caractère crucial de ces problèmes invite à un questionnement collectif : jusqu’où doit aller l’action publique en la matière ? Quels sont les coûts comparés d’un maintien dans le logement sur fonds publics et d’un accueil en hébergement d’urgence après l’expulsion ? Cette réflexion sociétale doit être menée.

En matière de prévention, nous proposons d’orienter résolument, le cas échéant en leur attribuant une feuille de route définie par la loi, l’activité des commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives, les Ccapex, vers l’étude des dossiers individuels d’impayés de loyer. Il faut que ces commissions se saisissent des dossiers les plus complexes et les plus susceptibles de conduire à la mise à la rue des ménages concernés. Ce traitement en amont des problèmes permettrait d’éviter à certains de ces ménages de se retrouver provisoirement à la rue.

Nous proposons par ailleurs que soit évaluée l’effectivité de l’accès des personnes hébergées à certains dispositifs spécifiques d’aide sociale ou de prise en charge médicale auxquels elles ont droit et qu’on étudie les raisons pour lesquelles le bénéfice de ces dispositifs n’empêche pas, dans certains cas, le recours à un hébergement d’urgence. La question est de savoir dans quelle mesure l’hébergement d’urgence et d’insertion en vient à constituer le volet « logement » de dispositifs d’aide sociale tels que l’allocation adulte handicapé, l’AAH, l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, ou encore le minimum vieillesse, alors que ceux-ci sont en principe conçus pour que leurs bénéficiaires n’aient pas recours au tout dernier filet d’aide sociale qu’est la mise à l’abri.

Étant donné la complexité du contexte administratif dans lequel s’inscrit la refondation, il nous semble opportun de ne pas attendre l’achèvement de cette réforme pour mettre à l’étude la possibilité d’intégrer les compétences de l’hébergement et du logement au sein d’une seule administration centrale, sur le modèle de l’innovation prometteuse que constitue la création en Île-de-France de la direction régionale interdépartementale de l’hébergement et du logement, la Drihl.

Dans le contexte de la réforme de l’administration territoriale et de la diminution au plan local des effectifs de l’État et du profond renouvellement des équipes administratives déconcentrées qui l’ont accompagnée, nous estimons qu’il convient de conserver la nouvelle organisation territoriale de l’État même si cela ne vaut pas approbation sans réserve de la façon dont sont désormais dissociées les compétences relatives à l’hébergement, au logement et aux champs sanitaire et médico-social.

Il faut aussi aborder le sujet de l’organisation du tissu associatif, qui continuera à constituer demain, comme il le fait aujourd’hui, le maillage des opérateurs de terrain dans le domaine de l’hébergement et de l’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées. L’engagement associatif est source d’innovations et est orienté vers les plus démunis. Il convient de conjuguer ces atouts avec les axes d’un service public définis à un niveau politique. Ces enjeux nous semblent appeler, sous une forme qui reste à imaginer, un dialogue dédié, public, et sans doute déconcentré, entre l’État et le monde associatif.

Nombre d’arguments militent pour ne pas procéder, à ce stade, à la décentralisation de la compétence de l’État en matière d’hébergement d’urgence et d’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées, même si les conseils généraux exercent une compétence légale de droit commun en matière d’aide sociale. La question de la « domiciliation » des personnes sans domicile constituerait une difficulté juridique et technique pour la prise en charge de leur hébergement par une collectivité territoriale. En tout état de cause, la politique d’hébergement a indéniablement une dimension nationale, non seulement du fait de son lien avec la politique migratoire, mais aussi parce qu’elle doit garantir une prise en charge inconditionnelle et équitable des personnes sans domicile sur l’ensemble du territoire.

Assurer le succès de la refondation suppose néanmoins d’améliorer la coopération entre l’État et les collectivités territoriales, qui participent substantiellement à cette politique. C’est pourquoi il convient de faciliter et d’organiser l’échange d’informations utiles entre les départements et les opérateurs associatifs chargés de l’hébergement d’urgence, via notamment les services intégrés d’accueil et d’orientation, les SIAO, et pour autant que les personnes concernées y consentent – je pense notamment aux jeunes majeurs pris en charge par ces opérateurs qui relevaient durant leur minorité de l’aide sociale à l’enfance, l’Ase. C’est là un problème délicat, qu’il s’agit de traiter dans le respect des compétences de chacun, notamment des conseils généraux, qui accomplissent un travail difficile en faveur des enfants en danger. il nous est revenu à plusieurs reprises, notamment des associations et du terrain, qu’un certain nombre de jeunes pris en charge par l’Ase avaient, une fois majeurs, recours à l’hébergement d’urgence. Il ne faudrait pas perdre, dans de telles hypothèses, le fruit du travail social accompli par les conseils généraux.

Nous appelons l’État à continuer de privilégier la constitution d’un SIAO unique dans les départements qui en sont encore dépourvus ; regroupant tous les opérateurs départementaux concernés, les SIAO constituent au niveau du département l’outil quotidien de régulation mettant en regard l’offre et la demande d’hébergement et de logement au bénéfice des personnes sans domicile.

Nous appelons également à l’accélération de la mise en place des plans départementaux d’accueil, d’hébergement et d’insertion, les PDAHI, même si ceux-ci risquent de mettre en lumière un manque de places d’hébergement ou en logements adaptés dans les zones tendues. Les PDAHI constituent un préalable au conventionnement pluriannuel entre l’État et chaque opérateur associatif, qui doit permettre de concilier l’organisation d’un service public réel et le financement pluriannuel, et donc lisible sur le moyen terme, des opérateurs associatifs. Outre le référentiel des prestations, déjà en vigueur, l’élaboration d’un référentiel national des coûts des prestations servies par ceux-ci est un autre préalable. En la matière, il faut désormais que les services de l’État disposent, dans des délais rapprochés, d’un outil fonctionnel et qui suscite la confiance des opérateurs associatifs.

Réussir la stratégie du « logement d’abord », c’est-à-dire assurer dès que possible l’accès, socialement accompagné, des personnes sans domicile au logement de droit commun ou adapté, nécessite que des logements adaptés, sociaux ou en intermédiation locative soient rendus disponibles, à des prix accessibles aux plus démunis.

Outre la reconquête des contingents préfectoraux d’attribution de logements sociaux, qui a déjà commencé, nous proposons que la loi « SRU » soit modifiée, par un relèvement du taux de 20 % en zones tendues, ainsi que par la bonification, pour le calcul de ce taux, des logements sociaux construits en prêts locatifs aidés d’intégration, les PLAI, et des places en maisons relais ou en pensions de famille.

Plus largement, nous préconisons de mobiliser l’expertise, le savoir-faire et les moyens des bailleurs sociaux pour la construction de places nouvelles en hébergement d’urgence et d’insertion. Les bailleurs sociaux, qui jouent déjà un rôle croissant dans ce domaine, doivent y être plus impliqués encore.

Le « logement d’abord » doit en outre promouvoir l’accompagnement social dans le logement. À cette fin, nous sommes favorables à la création de « plateaux techniques » constitués de travailleurs sociaux des centres d’hébergement et de réinsertion sociale, les CHRS, qui ont vocation à procéder à l’accompagnement social – « hors les murs » du centre –des personnes logées au titre du « logement d’abord ».

Nous préconisons en outre de relancer la mise en place, prévue par la refondation, des « référents personnels » ; ceux-ci pourraient être volontaires au titre du service civique.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Notre étude sur l’hébergement nous conduit par ailleurs à estimer nécessaire un exercice de lucidité dans la sérénité à propos de la situation des personnes sans papier, plus particulièrement des demandeurs d’asile ou des déboutés du droit d’asile. Nos travaux nous ont amenés à constater que des personnes étrangères en situation irrégulière, souvent déboutées du droit d’asile, sont hébergées durablement, souvent dans des hôtels s’agissant de familles comptant des enfants, au titre de la politique publique objet de notre étude. Ces parcours, nombreux, banalisés, accompagnés et financés sur fonds publics, reflètent-ils un équilibre au regard des débats qui traversent notre société quant aux principes et aux conditions de l’accueil des étrangers ? Pour aborder cette grave question, nous souhaitons l’organisation d’états généraux, après une évaluation parlementaire transpartisane – pourquoi pas menée par le CEC –, sur la réalité des conditions d’accueil et de vie sur notre territoire des personnes étrangères en demande d’asile ou en situation irrégulière, et sur les coûts publics associés, notamment pour l’État et les collectivités territoriales.

Enfin nous préconisons la discussion et l’adoption, dès la prochaine législature, d’un projet de loi d’orientation et de programmation pluriannuelle. Il s’agirait, non seulement d’accélérer et d’amplifier la mise en œuvre de la refondation dans l’optique du « logement d’abord », mais aussi de prendre une série de dispositions et d’engagements qui feraient du sort des personnes sans domicile et en situation de grande précarité une priorité collective. Ce texte pourrait être défendu par un ministre de plein exercice, le cas échéant directement rattaché au Premier ministre. Pour affronter la complexité du sujet de l’hébergement, on pourrait d’ailleurs imaginer un nouveau mode de management gouvernemental par projet, où un ministre recevrait des compétences transversales au titre d’un projet.

Un tel texte pourrait créer un produit d’épargne réglementé, ou aménager un produit d’épargne réglementé déjà existant, afin d’orienter au moins une part de cette épargne vers les investissements – notamment expérimentaux – des associations et bailleurs sociaux opérant dans le secteur de la prise en charge des personnes les plus démunies.

Nous souhaitons, en conclusion, replacer ces questions, parfois techniques, dans leur contexte humain. L’enjeu de la refondation, orientée vers le « logement d’abord », est de porter cette politique publique à la hauteur des besoins, sinon des projets des personnes sans domicile. Notre société ne parviendra à réinsérer les personnes, et plus largement les personnes en situation de grande précarité, qu’à la condition de ne pas les considérer comme des exclus ab initio. Cela doit être une priorité, à la fois culturelle et politique. Le traitement de cette question ne relève pas seulement de dispositifs techniques complexes : elle dépend aussi du regard que la société porte sur les plus pauvres. Son succès suppose de concilier ces deux dimensions.

Dans ces conditions, monsieur le Président, nous souhaitons donner à ce rapport le titre suivant : « Pour un service public efficace de l’hébergement et de l’accès au logement des plus démunis ».

M. le Président Bernard Accoyer. Je vous remercie, madame et monsieur les rapporteurs, d’avoir, sur un sujet grave et complexe, accompli cet excellent travail.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, membre désigné par la commission des Affaires économiques pour participer aux travaux. Je souhaite à mon tour remercier nos deux collègues, ainsi que la Cour des comptes, pour tout le travail accompli. Dans le domaine extrêmement complexe de l’accueil et de l’hébergement des sans-abri, les bonnes intentions ne suffisent pas à faire une politique. Toute la difficulté est de donner à nos structures publiques la capacité de prendre en charge ces personnes. Dans cette perspective, je tiens à saluer la réaffirmation dans ce rapport de certaines initiatives du Gouvernement, telles que la création des SIAO : il faut aller au bout de cette démarche, même si elle est difficilement acceptée par les partenaires associatifs.

Par ailleurs, tant le rapport de la Cour des comptes que le travail de nos collègues évaluent à un million d’euros par jour le coût de l’hébergement en hôtel pour l’État et les collectivités publiques. Ce chiffre doit nous interpeller.

Je veux enfin remercier mes collègues d’avoir soulevé la question de l’accueil des personnes qui restent sur le territoire national sans titre de séjour, des considérations humanitaires empêchant leur expulsion. J’approuve la proposition de consacrer à ce sujet extrêmement important une réflexion spécifique.

M. le Président Bernard Accoyer. Je veux à nouveau remercier la Cour des comptes pour cette première collaboration, qui s’est révélée fructueuse. Elle démontre le bien-fondé de la réforme constitutionnelle, qui permet d’approfondir la coopération entre la Cour et les assemblées en matière d’évaluation des politiques publiques.

La démonstration est d’autant plus concluante que le sujet est complexe, non seulement parce que les paramètres en sont mal connus, mais surtout parce qu’il suppose de concilier dimension humanitaire et respect des contraintes financières pesant sur les budgets publics. Ce travail ne sera probablement jamais complètement terminé et il fait incontestablement partie de ceux qu’il conviendra de poursuivre au fil des législatures, quelles que soient les majorités. Voilà en effet un sujet qui mérite d’être constamment remis sur le métier de l’évaluation et du contrôle parlementaires.

Conformément aux dispositions de l’article 146-3 du Règlement, le Comité autorise la publication du rapport sur l’évaluation de la politique de l’hébergement d’urgence, auquel le rapport de la Cour des comptes sera annexé.

Le rapport sera distribué et publié sur le site internet. Il sera transmis au Gouvernement.

ANNEXE 1

TABLE RONDE RÉUNISSANT DES REPRÉSENTANTS
DES PERSONNES ACCUEILLIES, DE FÉDÉRATIONS D'ASSOCIATIONS
ET D'ASSOCIATIONS D'AIDE AUX PERSONNES SANS DOMICILE

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. Dans notre mission d’évaluation de la politique d’hébergement d’urgence, nous avons bénéficié dès le début de nos travaux, via la sollicitation par le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques qui nous a nommés rapporteurs, de l’assistance de la Cour des comptes. Celle-ci nous a accompagnés dans nos auditions des acteurs notamment institutionnels de la politique d’hébergement et dans nos déplacements en région parisienne, à Lyon et à Nantes. Nous avons d’ailleurs été, au sein d’un comité de pilotage, associés aux travaux consacrés par la Cour à ce sujet.

Alors que nous devons rendre notre rapport le 26 janvier, la Cour nous a d’ores et déjà présenté le 15 décembre dernier celui qu’elle a consacré à cette problématique. C’est notamment à partir de ce rapport que nous souhaitions dialoguer avec vous dans le cadre de cette table ronde dont nous souhaitons qu’elle permette à un panel large de personnes accueillies et de parties prenantes associatives de s’exprimer.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Nos échanges se déclineront, si vous le voulez bien, selon trois thèmes : quel est votre sentiment quant à la situation actuelle dans la rue et dans les centres d’hébergement d’urgence, d’insertion et dans les logements adaptés ? Que pensez-vous de la refondation de la politique d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans abri et sans domicile ? Enfin, quel chemin reste-t-il à parcourir pour améliorer l’efficience du dispositif d’ensemble ?

M. Matthieu Angotti, directeur général de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars). Nous sommes tous d’accord pour reconnaître la grande qualité du rapport de la Cour des comptes. Nous avons même été étonnés par la sévérité de ses conclusions, non que nous ne la partagions pas, mais parce qu’elle est inhabituelle de la part d’une telle institution.

Le jour de la présentation du rapport de la Cour des comptes, la Fnars publiait son rapport annuel de l’observatoire national sur le « 115 », qui rend compte de l’activité de ce service en 2010. Ce rapport souligne combien nous manquons de données objectives, claires et précises, territoire par territoire, sur la situation dans la rue et dans les centres d’hébergement d’urgence, cette absence ouvrant la voie à de vaines querelles de chiffres. C’est pourquoi nous souhaiterions qu’un réel effort soit consenti pour recueillir de telles données, ce qui nécessite des ressources techniques et des compétences spécifiques. Cette question recoupe celle de l’organisation de la gouvernance : il convient de savoir si les services déconcentrés de l’État disposent des compétences nécessaires pour mener ces travaux d’observation.

Mais il s’agit surtout d’appréhender le flux des personnes qui ne sont pas susceptibles d’aller vers le logement à court terme, afin d’adapter les structures d’hébergement à ces publics, la difficulté étant qu’ils sont extrêmement hétérogènes.

Au sein même de la population des migrants, les situations sont très diverses. La question ne se résume d’ailleurs pas à celle des migrants : les structures d’hébergement doivent faire face à l’afflux de nouveaux publics, encore accéléré par la crise : jeunes – les jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans représentent 20 % des personnes ayant sollicité le « 115 » en 2010 –, parfois mineurs, familles monoparentales, etc.

Notre évaluation de l’activité du « 115 » montre que l’afflux de demandes nouvelles suscite une réponse institutionnelle assez faible : en dehors des périodes de grand froid, de 40 à 60 % des demandes ne donnent pas lieu à l’attribution d’une place d’hébergement. Une nouvelle évaluation à laquelle nous avons procédé en novembre 2011 indique un taux de 62 % de réponses négatives pour trente-sept départements, hors Paris. Cette insuffisance de la réponse institutionnelle est particulièrement dommageable pour les familles, dont elle favorise l’éclatement. Cette insuffisance pose problème, non seulement à l’entrée, mais aussi à la sortie des structures d’hébergement : tant que celle-ci n’aura pas gagné en rapidité, en fluidité et en efficacité grâce à un accompagnement adapté, le problème ne pourra pas être réglé.

Ce rapport révèle également que le caractère saisonnier de la réponse institutionnelle, celle-ci étant bien meilleure quand les températures chutent, ne permet pas de réaliser un véritable accompagnement social, seul susceptible de permettre de sortir de l’urgence. La réforme n’a pas mis fin à cette forte variation saisonnière des attributions de places.

En conclusion, la situation de l’hébergement d’urgence a très peu évolué ces dernières années.

M. Christophe Louis, directeur de l’association Les enfants du canal et représentant le collectif Les morts de la rue. Il est actuellement très difficile de recenser exactement le nombre de personnes à la rue. Tout ce que l’on peut dire, c’est que, tant qu’il y a des personnes à la rue, il y a des besoins, et que ceux-ci ne doivent plus être pris en compte seulement pendant la période hivernale si l’on veut ne plus voir mourir des gens dans la rue.

Ce n’est pas seulement le « 115 », mais tous nos dispositifs d’hébergement qui semblent totalement dépassés par la situation actuelle. Ainsi, une étude menée en 2010 avec le centre « 115 » de Paris a fait apparaître que trente-cinq personnes décédées dans la rue en novembre et décembre à Paris n’avaient plus appelé le « 115 » depuis plus de deux ans. Cela prouve que le dispositif ne satisfait plus les besoins des personnes à la rue. On constate par ailleurs une augmentation de la mortalité dans la rue, les décès intervenant toujours aux mêmes âges, ce qui est particulièrement inquiétant. Il est très difficile, en revanche, de dire si ces personnes sont plutôt des étrangers, des déboutés du droit d’asile ou des personnes expulsées de leur logement. Je pense que c’est aux pouvoirs publics de se donner les moyens de le savoir. Les services en charge de l’immigration et les services sociaux notamment devraient améliorer leurs capacités d’évaluation afin de connaître la situation exacte de ces personnes, ce qui n’est pas toujours le cas à l’heure actuelle.

M. Armando Magallanes, directeur du pôle hébergement de l’association Aurore. Je veux insister sur le manque d’enquêtes qualitatives et quantitatives permettant d’évaluer la situation en Île-de-France. Elles sont pourtant nécessaires à la réussite de la politique du « logement d’abord ». Les associations elles-mêmes ont besoin d’une plus grande lisibilité sur ce flux de personnes, qui, s’il est plus visible en hiver, existe toute l’année. J’espère que la mise en place des services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO), nous permettra de disposer d’un observatoire des besoins en hébergement. Les pouvoirs publics doivent nous associer au diagnostic, dans le cadre d’un dialogue de gestion, élément fondamental d’une politique venant au secours de ces personnes.

M. Éric Pliez, directeur de l’association Aurore. L’occupation du canal Saint-Martin par les Enfants de Don Quichotte avait permis la naissance du concept de « stabilisation » : il ne devait plus y avoir de remise à la rue. En réalité, nous avons réinventé l’urgence. Ainsi, pour ne pas dormir dehors, des sans-abri restent la nuit dans les structures que nous gérons, alors qu’il s’agit en principe d’accueils de jour. La situation s’est même plutôt dégradée.

Il est par ailleurs nécessaire de redéfinir l’urgence, quand on sait que 80 % des personnes ayant sollicité le « 115 » étaient déjà connues de ce dispositif. Le premier bilan d’étape du SIAO de Paris a montré que 25 % des familles hébergées à l’hôtel par le Samu social de Paris étaient aptes au logement. Cela signifie que des personnes sont restées plusieurs années dans une structure d’accueil où elles n’avaient rien à faire. Cela conforte l’observation selon laquelle le public de ces dispositifs est extrêmement divers, et que la problématique des personnes à la rue dépasse la situation des clochards traditionnels.

Ce qui est sûr, c’est que la politique de stop and go de l’hébergement saisonnier ne fonctionne plus, et que cette saisonnalité est toujours dommageable aux personnes. Par ailleurs, une véritable évaluation permettrait de « sortir » un certain nombre des personnes concernées de l’hébergement en hôtel ou de toute autre forme d’hébergement précaire.

Il est vrai que nous manquons des éléments qui nous permettraient de caractériser exactement ce public. Cependant, pour avoir participé cet été à l’hébergement des jeunes Tunisiens à la suite de la crise politique qui secouait leur pays, l’association Aurore confirme que nous sommes bien confrontés à des afflux de sans-abri en provenance de pays en crise. Notre mission de gestion du Carré des biffins, chargé de l’accompagnement social des vendeurs à la sauvette à Paris, nous permet également de constater la précarisation croissante de cette population. Mais je reconnais que ces observations de terrain ne peuvent pas se substituer à des données précises.

Mme Jeanne Dietrich, conseillère technique emploi-logement à l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss). Le constat de la Cour des comptes, selon laquelle la moitié des besoins d’hébergement ne serait pas couverte, tient compte des 15 000 nuitées d’hôtel, considérées par la loi de finances pour 2012 comme places d’hébergement. C’est donc bien plus que la moitié des besoins en places d’hébergement stricto sensu qui ne sont pas couverts. Au nombre des évolutions positives, il faut souligner, en revanche, la politique d’humanisation des centres d’hébergement.

L’incidence de la crise économique sur l’augmentation du nombre des sans-abri est d’autant moins contestable qu’elle se traduit également par un recours accru à l’aide alimentaire, souvent lié à la perte du logement. Ce lien n’avait cependant rien d’inéluctable à nos yeux : si les pouvoirs publics avaient, conformément au souhait des associations, mis en place un moratoire des expulsions locatives, les conséquences en termes d’augmentation du nombre de sans-abri auraient sans doute été singulièrement différentes.

Vous nous demandez par ailleurs si l’accroissement du nombre de sans-abri est alimenté essentiellement par les personnes expulsées et les déboutés du droit d’asile. Il est évident que le nombre des places en centres d’accueil pour les demandeurs d’asile (Cada), est bien en deçà des besoins d’hébergement, contraignant par la même les demandeurs d’asile à recourir aux CHRS par défaut, là où ils devraient être pris en charge par les CADA. C’est la raison pour laquelle les associations demandent depuis longtemps que le nombre de places en CADA soit augmenté.

Par ailleurs, alors que nous sommes régulièrement appelés par voie ministérielle au respect du principe de l’accueil inconditionnel, les associations nous indiquent que des préfets persistent à leur demander de donner la priorité aux personnes ayant la nationalité française.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Dans quel département ?

M. Matthieu Angotti. Par exemple, en Moselle, en Normandie, dans le Limousin et dans le Calvados. Un tribunal administratif de la région Lorraine a même validé une injonction de ne pas appliquer le principe de l’accueil inconditionnel à des déboutés du droit d’asile.

M. Claude Chaudières, animateur du groupe prévention-hébergement-logement à l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss). De même, le préfet de Seine-Saint-Denis a donné comme consigne que le « 115 » ne prenne pas en compte les demandes de trois cents familles Roms, expulsées d’un terrain à l’autre.

S’agissant de la connaissance des besoins, je veux insister sur quelques points qui nous semblent importants, et d’abord sur le déficit de prévention des situations d’exclusion et sur le sous-financement du secteur de la veille sociale et de l’hébergement d’urgence, qui rend impossible le respect du principe d’accueil inconditionnel. Enfin, les associations ont regretté que le diagnostic demandé par le Premier ministre dans le cadre du « Grand chantier prioritaire 2008-2012 pour l’hébergement et l’accès au logement des personnes sans abri » ne comporte aucun élément sur la situation des personnes en situation d’exclusion, ni sur leurs besoins. Des travaux ont pourtant été consacrés aux moyens de définir ces besoins, et certaines associations réunies en collectif ont exprimé leur position sur les données dont la connaissance leur semblait nécessaire dans cette perspective.

M. Gilles Desrumeaux, délégué général de l’Union professionnelle du logement accompagné (UNAFO). Il faut d’abord définir la cible de votre évaluation : s’agit-il de la politique d’hébergement stricto sensu ou de l’accès au logement en général, notamment à un logement adapté ? En effet, le rapport de la Cour des comptes fait l’impasse sur la question du logement accompagné, que je représente ici. Ce secteur représente quand même 200 000 logements, qui accueillent des personnes dont les ressources sont inférieures au Smic. Or il émarge au programme 177 du budget de l’État.

Poser la question, c’est aussi s’interroger sur la cible de la politique de refondation de l’hébergement et du logement d’abord : s’agit-il uniquement des sans-abri, ou de toutes les personnes en situation de mal-logement ? On passe ainsi de quelques centaines de milliers de personnes à quelques millions !

L’autre lacune du rapport de la Cour des comptes est de ne pas comporter de véritable analyse de ce qui alimente la rue. Ainsi, la Cour n’aborde pas une question aussi essentielle que celle de la crise du logement : si la crise économique contribue à l’ampleur du phénomène, le déficit de logements est ancien. Aujourd’hui, il manque entre 150 000 et 200 000 logements, et ceux que l’on construit ne sont pas accessibles aux personnes en difficulté.

De notre point de vue, trois catégories principales alimentent le sans-abrisme. Il s’agit d’abord des travailleurs précaires, notamment les jeunes, qui peinent à se loger et qui recourent aujourd’hui à des expédients, tels que les habitats insalubres, l’hébergement chez des tiers, etc. La deuxième catégorie rassemble les personnes en situation de mal-logement du fait d’une rupture, d’un chômage ou d’autres accidents de la vie. L’expansion de la troisième catégorie nous inquiète particulièrement : elle concerne des personnes en situation de vulnérabilité à la suite d’expériences très difficiles – longs passages par la rue, souffrances psychiques ou autres difficultés personnelles. Ces personnes ne doivent pas simplement être logées : elles doivent également bénéficier d’un accompagnement dans leur vie quotidienne.

En ne livrant pas d’analyse sur ce qui alimente le sans-abrisme, le rapport laisse croire qu’il suffirait de traiter la partie émergée de l’iceberg. La politique d’hébergement manquera ses objectifs si elle ne répond pas aux besoins de logements peu chers et d’accompagnement social des personnes en situation de fragilité.

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. Il est vrai que le champ de l’analyse de la Cour était limité par l’objet de notre mission, qui se rapporte, sans s’y limiter, à « l’hébergement d’urgence ».

M. Olivier Marguery, directeur des programmes exclusion de la Fondation de l’Armée du salut. Si nous avons été très intéressés par le rapport de la Cour, et si nous en sommes globalement satisfaits, nous avons quelques réserves d’ordre général à formuler.

Premièrement, ce rapport pêche par un défaut de contextualisation : l’environnement de l’hébergement d’urgence n’est pas suffisamment pris en compte. Deuxièmement, il aurait dû lister les droits dont l’absence d’application explique aussi que nombre de personnes se retrouvent à la rue. Il existe en effet en France une batterie de textes en faveur des handicapés, des personnes âgées, etc., qui ne sont pas appliqués. Avant de refonder la politique d’hébergement, on devrait se soucier d’une meilleure application des textes en vigueur.

Si nous partageons les conclusions du rapport en ce qui concerne la gouvernance de la refondation, nous déplorons que rien ne soit dit des rapports entre l’État et le secteur associatif, qui devrait être un des partenaires de cette politique. Les associations et les fédérations auraient dû être, non seulement consultées, mais pleinement mobilisées dans la réalisation de celle-ci.

S’agissant de la politique européenne, le rapport s’appuie beaucoup sur les conclusions du rapport Damon. Or celui-ci s’inspire du modèle anglo-saxon du housing first, qui vise la « mise à l’abri », alors que notre politique est celle du « logement d’abord », et fait l’impasse sur d’autres propositions européennes, au moins aussi pertinentes.

Pour répondre à votre première question, je partage les propos de Mme Dietrich. La Cour exagère le nombre de places d’hébergement, qui couvre plutôt le tiers que la moitié des besoins. En effet, la loi de finances pour 2012 ne prévoit que 65 000 places d’hébergement (et non 80 000, nombre qui inclut des nuitées d’hôtel) pour un nombre de personnes sans domicile que nous estimons entre 180 000 et 200 000 personnes, au lieu du nombre de 150 000 retenu par la Cour.

Au surplus, nous estimons que l’accroissement du sans-abrisme est dû d’abord à l’échec des politiques publiques en faveur des personnes handicapées et des personnes âgées, ou du traitement social du chômage, cet échec faisant basculer de nouveaux publics dans l’hébergement d’urgence : travailleurs vieillissants, jeunes retraités désargentés, personnes handicapées. Parmi ces nouveaux publics, il faut évoquer aussi les mineurs, et pas seulement étrangers, qui ne sont pas suffisamment pris en charge par la protection de l’enfance.

En revanche, nous n’avons pas constaté dans nos structures un accroissement du nombre de personnes ayant subi une expulsion locative, étant donné que nous accueillons des publics en grande précarité. Quant aux personnes qui quittent volontairement leur logement, nous en avons toujours accueilli, les loyers représentant une charge trop importante pour les personnes qui n’ont pour seules ressources que les minima sociaux.

S’agissant des déboutés du droit d’asile, la seule nouveauté réside dans le cynisme de la politique de stigmatisation menée par l’État à leur encontre depuis deux ans, lequel a transformé en problème majeur ce qui n’en était pas un à l’origine. Quand des préfets substituent au principe de l’accueil inconditionnel celui de la priorité nationale, il n’est pas étonnant qu’il y ait de plus en plus de déboutés du droit d’asile à la rue.

Je tiens à alerter l’Assemblée nationale sur la stigmatisation des Roumains, Bulgares ou Kosovars désignés comme « Roms ». Le rapport de la Cour des comptes n’évoque pas le sort ainsi réservé à une population européenne, alors qu’il est encore pire que celui fait aux déboutés du droit d’asile.

Quant à l’incidence de la crise économique, la Fédération de l’Armée du salut n’est pas capable de la mesurer. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que l’afflux de nouveaux publics dans les structures d’hébergement d’urgence est la conséquence de l’absence d’une politique d’État à leur égard. Nous voyons en revanche l’impact des crises internationales dans l’afflux d’étrangers – Libyens, Tunisiens ou Kosovars – dans les structures d’urgence. Mais, là non plus, il n’y a rien de nouveau : c’est la stigmatisation qui rend ces publics plus visibles – nous n’accueillons pas plus d’étrangers que par le passé !

M. Arnaud Richard, rapporteur. Le Président de la République et le Premier ministre ont rappelé le principe de l’inconditionnalité de l’accueil. Si certains préfets y contreviennent, cela ne saurait conduire à incriminer l’État dans son entier.

M. Roland Aubin, délégué du Conseil consultatif des personnes accueillies (CCPA). Le public accueilli par les centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), a considérablement changé. Il conviendrait désormais de supprimer le mot de « réinsertion », tant ces centres sont devenus des voies de garage, où l’on parque les personnes que les SIAO ne savent pas où placer. De ce fait, les CHRS accueillent des publics totalement disparates, relevant plutôt des maisons d’accueil ou des pensions de famille, handicapés, victimes d’addictions, etc. Les salariés des CHRS consacrent 80 % de leur temps à 20 % des résidents, et le problème ne fait que s’aggraver. Les travailleurs sociaux se voient parfois contraints de laver ou de changer certains résidents.

Le principe de l’accueil inconditionnel, excellent en lui-même, conduit trop souvent dans les faits à partager la misère. Ainsi, au Havre, la veille sociale fait face à 80 ou 100 demandes par jour, alors que ne sont offertes que de douze à vingt places d’urgence, ce qui conduit à opérer une sélection. On voit même arriver depuis peu des mamans d’une vingtaine d’années avec leur bébé dans des centres pour hommes, faute de places ailleurs.

Dans tous les CHRS sont aussi accueillies des familles déboutées du droit d’asile, alors que leurs enfants, nés en France, ne sont pas expulsables. Pour elles, le logement en appartement, avec un accompagnement social adapté, serait une solution meilleure et moins onéreuse.

La structure où je suis hébergé accueille aussi des personnes âgées de plus de soixante-quinze ans, dont l’une réside dans le centre depuis vingt-six ans.

Les personnes aptes à vivre en logement à court terme sont très minoritaires dans ces structures d’accueil. Les quelques uns susceptibles d’aller en logement devraient bénéficier d’un accompagnement social très lourd, comportant des visites quotidiennes, certains nécessitant au préalable un hébergement dans des maisons relais ou des familles d’accueil. Mais Le Havre souffre d’une très grande pénurie de ces structures, avec une seule place d’hébergement pour quinze demandes.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Cette évolution des publics est-elle due à la crise économique ou à l’augmentation massive du nombre des demandeurs d’asile ?

M. Roland Aubin. La crise n’a rien amélioré, mais elle ne suffit pas à tout expliquer. Beaucoup des jeunes accueillis dans les structures d’hébergement n’ont pour seul rêve que d’atteindre l’âge de vingt-cinq ans pour toucher le RSA. Un pays qui n’offre que cet avenir à ses jeunes a du souci à se faire !

M. Arnaud Richard, rapporteur. Beaucoup de ces jeunes sortent de l’aide sociale à l’enfance…

M. Éric Pliez. Les CHRS sont devenus des fourre-tout, au point qu’on y trouve désormais des personnes qui relèvent de la psychiatrie, alors que ces structures ne sont pas dotées de moyens médico-sociaux. La question est de savoir comment on pourrait accompagner vers l’insertion sociale un public aussi divers et sur lequel nous manquons de lisibilité.

M. Christophe Louis. Les jeunes accueillis dans les structures d’hébergement d’urgence ne sortent pas tous de l’aide sociale à l’enfance : certains ont toujours été en marge des dispositifs institutionnels.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Pourquoi les structures d’accueil ne parviennent-elles pas à produire des analyses qualitatives, à partir des logiciels mis en place pour centraliser les demandes d’hébergement ?

M. Matthieu Angotti. Ce n’est pas leur métier, et cela ne doit pas l’être ; cela pourrait être l’activité d’un organisme tel que le comité d’évaluation du RSA, dont la création a permis une avancée en la matière. En effet, ce comité a la charge de produire différents types d’évaluation : analyse des données administratives fournies par la Caisse nationale et les caisses d’allocations familiales ; enquêtes à caractère quantitatif et analyses qualitatives, menées par des sociologues, parfois en partenariat avec les associations et les allocataires. On pourrait s’inspirer de ce type de dispositif, assez lourd et onéreux, pour l’adapter à la politique d’accès au logement. Mais on ne peut pas charger les travailleurs sociaux de cette tâche, qui ne relève pas de leur mission.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Je ne suis pas certain que les SIAO et les centres d’appels du « 115 » accepteraient de transmettre à un niveau centralisé ces données extrêmement sensibles.

M. Matthieu Angotti. Il serait évidemment hors de question de transmettre des informations nominatives. En tout état de cause, de telles données ne sont pas nécessaires pour établir une analyse quantitative, complétée par un volet qualitatif. Il s’agirait de constituer, via la statistique publique et sous le contrôle de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), une base de données nationale parfaitement anonymisée, et de mener parallèlement des enquêtes à caractère qualitatif. Mais cela exigerait de définir des priorités.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Venons-en à notre deuxième thème : la refondation de la politique d’hébergement et d’accès au logement des personnes sans abri et sans domicile.

Pour compléter ce thème d’une question concrète, quel regard portez-vous sur l’implication des bailleurs sociaux dans la refondation ?

M. Olivier Marguery. Nous sommes favorables à la mise en place des SIAO et nous participons à différents partenariats avec d’autres acteurs de l’hébergement d’urgence ou de l’insertion. Ce processus a cependant été engagé très vite, sans que les services déconcentrés de l’État en aient une bonne connaissance.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Le ministre le reconnaît lui-même.

M. Olivier Marguery. L’efficience n’a pas été à la hauteur du volontarisme affiché en termes d’efficacité et certains SIAO sont des coquilles vides. Sur la vingtaine de SIAO dans lesquels nous sommes impliqués, dix fonctionnent correctement.

Par ailleurs, les moyens nécessaires n’ont pas toujours été affectés et l’affichage politique qui a présidé à la création des SIAO s’accompagne souvent, dans les faits, d’injonctions sans moyens ou d’un véritable bricolage. Cependant, là où le système fonctionne, il fonctionne bien. La mobilisation des bailleurs sociaux est très disparate selon les territoires. Certains jouent le jeu, mais nous n’en sommes qu’au point de départ. Lorsque le système des SIAO fonctionnera, il aura un rôle très positif.

M. Roland Aubin. En Seine-Maritime, le SIAO travaille bien avec les bailleurs sociaux et les demandeurs obtiennent assez facilement des logements. Il arrive même qu’une structure refuse des logements lorsqu’elle n’a pas de candidats pour les occuper. De nombreux SIAO, en revanche, s’apparentent à des « chambres d’enregistrement » : faute d’appartements ou de places d’hébergement, ils enregistrent les candidats et inscrivent les déboutés sur des listes d’attente jusqu’à ce que toutes les personnes en situation régulière aient été hébergées – ce qui signifie qu’ils ne leur fourniront jamais de logement. Ce mode de fonctionnement est évidemment officieux, car les SIAO ont l’obligation d’enregistrer les demandes, mais ils doivent aussi « gérer la misère » et le font chacun à sa manière.

Le CCPA doit prochainement participer à des réunions avec l’Igas et la Fnars, ce qui nous permettra de recueillir l’information remontant de toutes les régions.

M. Gilles Desrumeaux. Les difficultés que rencontrent les SIAO tiennent au fait que l’angle d’attaque se limite à l’hébergement d’urgence. Il est inévitable que les SIAO fonctionnent comme un club des centres d’hébergement, car ils ont pour cible les personnes à la rue ou en très grande difficulté. Le secteur du logement accompagné est peu présent dans ces dispositifs et l’intervention des bailleurs sociaux se fait par les droits de réservation.

Une politique qui a renoncé à s’attaquer au mal-logement et dont la cible s’est déplacée du logement des personnes en situation de pauvreté pour privilégier un filet de sécurité destiné aux publics prioritaires ne manquera pas d’induire des effets de filière. Nous le sentons déjà dans nos établissements : les personnes que nous accueillons doivent être estampillées « public prioritaire » ou être déjà passées par une commission de médiation ou un centre d’hébergement. Cela tient notamment au fait que les SIAO ne réunissent pas l’ensemble des acteurs concernés par le mal-logement.

L’enjeu de la politique de refondation et d’accès au logement ne relève pas d’une politique nationale, mais de politiques décentralisées, par le biais notamment des plans départementaux d'action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD) ou du Fonds de solidarité pour le logement (FSL). Or, la politique actuelle est une politique d’État, qui n’a pas été articulée avec les conseils généraux, les collectivités locales et les bailleurs sociaux.

Il faut sortir de la vision limitée à l’hébergement !

M. Arnaud Richard, rapporteur. C’est une bonne nouvelle que d’apprendre que vous êtes prêts à apporter vos logements accompagnés dans le dispositif des SIAO. Le turn over est-il suffisant pour qu’on puisse les utiliser dans ce cadre ?

M. Gilles Desrumeaux. Les pensions de famille accueillent déjà des personnes en situation de grande exclusion. Si le SIAO fonctionne comme une filière d’accès à ces logements, substituant un nouveau droit de réservation à ceux dont disposent aujourd’hui divers acteurs – dont le préfet –, le dispositif ne fonctionnera pas. Le système est embolisé et il faut trouver des solutions, avec de véritables outils de concertation assurant l’efficacité de ces politiques. Le directeur d’une grande association d’Île-de-France gérant des foyers de jeunes travailleurs expliquait récemment que toutes les personnes appartenant aux publics prioritaires avaient refusé les logements proposés, qui ne correspondaient pas à leur demande réelle. Ces dysfonctionnements doivent être résolus et les SIAO doivent permettre une véritable confrontation des demandes et des offres de logement pour s’articuler avec les dispositifs qui existent déjà sur les territoires.

M. Claude Chaudières. Les SIAO, mis en place en avril 2010, se sont vu fixer par les préfets l’objectif d’être opérationnels pour le 15 septembre 2010, avant la période hivernale, de sorte que les situations d’urgence ont été ciblées en priorité, avant les dispositifs d’insertion. Les relations entre les associations et les bailleurs sociaux fonctionnent bien depuis les accords collectifs départementaux des années 1990 et les associations sont représentées dans les commissions d’orientation.

La première difficulté que nous rencontrons est que les ménages prioritaires au titre des politiques publiques sont très nombreux et que les personnes sortant des dispositifs d’hébergement sont mises en concurrence avec tous les demandeurs de logements.

Par ailleurs, avec une quinzaine de filières d’accès au logement social dans chaque département, il n’y a guère de lisibilité pour les publics prioritaires et les acteurs locaux ont du mal à se coordonner.

Au-delà du logement social, il ne faut pas oublier non plus de mobiliser le parc privé en recourant au droit de désignation dont dispose le préfet. De fait, le niveau des loyers du parc locatif très social est identique à celui du parc HLM. Il faut cependant que l’Agence nationale pour l’habitat (Anah) se donne pour priorité de développer le conventionnement dans le parc privé.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Le droit de désignation est très peu utilisé par les préfets.

M. Claude Chaudières. En effet. Il est pratiquement impossible de faire du logement très social en région parisienne. Dans le parc HLM, les loyers sont de 7 à 8 euros par mètre carré, alors qu’ils devraient se situer à 3 ou 4 euros par mètre carré pour loger les populations qui se situent sous le seuil de pauvreté. On ne peut pas envoyer non plus toutes les populations dans les communes comptant le plus grand nombre de logements locatifs sociaux, car il faut veiller à la mixité sociale. En outre, les associations sont très présentes dans les commissions de désignation. Il n’y a cependant pas encore de transparence ni de coordination avec la plateforme SIAO.

Mme Jeanne Dietrich. De nombreuses difficultés peuvent s'expliquer par le refus d'attribuer aux SIAO des crédits de fonctionnement, dont les associations avaient pourtant souligné d'emblée l'importance.

M. Éric Pliez. Il manque clairement un pilotage du SIAO et il se dégage, au bout d’un an, le sentiment d'un fonctionnement assez brouillon. Il manque également, en Île-de-France, une volonté forte d'étendre le dispositif aux territoires autres que Paris. Les égoïsmes locaux rendent difficile pour les préfets d'imposer la création de structures et une répartition différente de l'hébergement en Île-de-France.

Par ailleurs, les bénéficiaires de Solibail – au titre de l’intermédiation locative – ne sont désormais plus prioritaires au titre de la loi Dalo et nous redoutons que ne se recréent, faute de moyens, des stocks ou des paliers supplémentaires dont pâtiront les personnes en attente d’un logement.

L'un des enjeux de la création des SIAO était de permettre aux associations d'apprendre à partager et à travailler différemment pour orienter ces personnes, et ce mouvement semble se mettre en place d'une manière satisfaisante. Il faut viser à terme à une réorganisation des associations, notamment avec une organisation territoriale différente du social et du médico-social, reposant sur des schémas clairs, mais nous n’en sommes pas encore là. Les associations sont prêtes à une telle réorganisation, à condition que la perspective du « logement d’abord » ne se traduise pas par des restrictions budgétaires.

Quant aux bailleurs sociaux, il a fallu longtemps pour les convaincre d’intervenir dans le champ des maisons relais et des résidences sociales, et ils peuvent être prêts à s’ouvrir à d’autres actions, comme le « logement d’abord », à condition d’y trouver leur compte, sous forme de garanties d’accompagnement des personnes entrant dans ces logements et d’une intervention des associations auprès de ces personnes dans un parc qui s’est beaucoup paupérisé depuis une vingtaine d’années et dont une minorité de résidents, dont ceux souffrant de troubles psychiatriques, peuvent « pourrir » la vie du quartier. Ce serait là une logique gagnant-gagnant.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Vous avez notoirement de bonnes relations avec les bailleurs…

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. Même à Paris ?

M. Éric Pliez. Nous avons d’excellentes relations avec les bailleurs parisiens.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Certains bailleurs sont cependant plus volontaristes que d’autres.

M. Éric Pliez. Les esprits évoluent. Après une certaine circonspection, tous les bailleurs de la Ville de Paris mettent en place des résidences sociales et des maisons relais en partenariat avec des associations. L’apport de ces dernières, c’est l’accompagnement social.

M. Armando Magallanes. Les SIAO peuvent obliger le mouvement associatif à rassembler ses pratiques. Nous avons joué un rôle moteur dans plusieurs SIAO, car ces plateformes peuvent donner lieu à une culture commune et être un lieu de rencontre entre les différents acteurs, y compris les bailleurs sociaux. Il faut convaincre ces derniers que le monde associatif sait accompagner et prend des risques avec eux.

En outre, les SIAO jouent dans chaque territoire un rôle important d’observation. Ils doivent pouvoir porter un diagnostic en vue d’organiser la fluidité, en tenant compte de l’intérêt des personnes concernées, et peuvent à ce titre être un bon outil.

M. Christophe Louis. À l’origine, toutes les associations étaient engagées dans la refondation et demandaient notamment des moyens supplémentaires, tant pour les SIAO que pour la mise en œuvre de l’ensemble de cette politique. Mais ce n’est pas parce qu’on changerait la plomberie que tout le reste irait mieux ! Les SIAO ne pouvaient malheureusement pas créer plus de places d’hébergement, ce qui fait que les « stocks » de personnes en attente demeurent. Les SIAO étaient initialement destinés à faciliter l’hébergement et devaient permettre aux personnes accueillies de bénéficier de la continuité d’un parcours. Or, dans certains SIAO, ces personnes restent en attente, ce qui conduit à s’interroger sur cette continuité. Certains territoires comptent deux SIAO et le SIAO « urgence » devient parfois un « 115 » professionnel, dans le cadre duquel les personnes prises en charge – non pas à leur demande, mais à celle d’un professionnel – « tournent » de foyer en foyer.

Au manque de moyens supplémentaires qui entrave le fonctionnement efficace du SIAO, s’ajoutent d’autres éléments, comme la mise en œuvre de la politique du « logement d’abord », qui est venue complexifier le mouvement d’installation de ces SIAO. Or, dans ce secteur, on ne peut pas créer instantanément des places disponibles de logement.

Il aurait aussi fallu instaurer judicieusement une culture de changement auprès des praticiens du SIAO qui manquent, au surplus, de la formation nécessaire.

Un nombre croissant de bailleurs sociaux demandent à avoir connaissance du contenu des évaluations du SIAO sur la situation individuelle des personnes, ce qui pose un problème déontologique : une personne demandant un logement social n’aurait-elle plus les mêmes droits que tout un chacun ? Ces bailleurs se sont également engouffrés sur le marché des pensions de famille, mais celles-ci ne sont plus adaptées au marché de leurs publics d’origine – les bénéficiaires du RSA –, dont le reste à vivre est insuffisant, et doivent donc recevoir des personnes touchant le minimum vieillesse, légèrement supérieur, ou l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Certains bailleurs sociaux transforment également le règlement de ces pensions de famille pour interdire par exemple aux résidents d’y apporter leurs meubles ou d’y recevoir leurs invités, alors que ces établissements constituent du logement durable : les personnes « récalcitrantes » risquent à leur tour de sortir de ce dispositif.

Cela dit, je crois fortement aux SIAO, mais à condition qu’ils soient accompagnés et disposent de moyens supplémentaires pour sortir certains publics de la rue.

M. Matthieu Angotti. Nous avons senti comme un trou d’air : une fois le dispositif lancé, les associations ont eu le sentiment de se trouver seules, sans les moyens ni la concertation nécessaires et avec un vrai risque de buzz négatif autour des SIAO, de nombreux territoires déplorant une détérioration de la situation, avec des délais allongés et une absence de coordination qui complique l’accueil des publics nouveaux qui se présentent.

Si l’on ne relance pas la machine en améliorant son pilotage, le risque existe que les acteurs, redoutant ces difficultés, s’organisent entre eux et limitent la concertation des associations avec les bailleurs sociaux et les collectivités territoriales, ce qui nous ferait revenir à la situation précédente et ferait perdre leur sens aux SIAO.

Alors que nous demandions depuis deux ans une concertation autour du concept du « logement d’abord », qui aurait dû prendre la forme d’une conférence de consensus permettant de définir un projet politique très clair, nous avons obtenu – très tard, en décembre 2011 – des Assises nationales, c’est-à-dire une série de colloques dont la méthodologie était assez sommaire. Tout le monde s’accorde aujourd’hui pour considérer que le « logement d’abord » consiste en premier lieu à assurer un logement, surtout dans les zones tendues, puis un accompagnement, ce qui suppose un financement à cet effet. Le ministre a admis que l’accompagnement soit financé par l’État au titre de l’aide sociale, ce qui permet de développer des offres de service par le biais des CHRS. Ces pistes arrivent cependant bien tard et Philippe Barbezieux, de l’Igas, reconnaît lui-même que le travail qu’il a réalisé dans ce domaine se limite encore à un défrichement et à un recensement des chantiers en cours.

Pour ce qui est de savoir si la réforme est bien conçue et si elle est compromise, l’enjeu clé est sa gouvernance. La Cour des comptes a du reste bien décrit le problème de l’interministérialité, illustré en outre par la tentative récente de Mme Pécresse d’attribuer le budget du Fonds d’aide au relogement d’urgence (Faru) à un tout autre objet. Le fait que le délégué interministériel ou le secrétaire d’État au logement ignore qu’il existe au ministère de l’Intérieur une ligne permettant potentiellement de récupérer des fonds pour le programme 177 – chroniquement sous-doté – montre bien qu’un dialogue interministériel s’impose.

Il faut aussi évoquer la gouvernance financière, marquée jusqu’à présent par une course à la rallonge budgétaire qui a maintenu les associations dans la précarité.

Pour toutes ces raisons, le bilan de la refondation est aujourd’hui assez faible : des bribes de réforme ont été lancées, mais on peut craindre que la nouvelle majorité – quelle qu’elle soit – qui sera aux affaires au printemps prochain ne soit tentée de repartir sur de nouvelles bases, ce qui nous ferait perdre cinq ans.

Nous sommes plutôt optimistes en soutenant la réforme, mais la partie n’est pas gagnée !

M. Olivier Marguery. Dans plusieurs territoires, le SIAO a permis la mobilisation de certains bailleurs sociaux qui jouent le jeu, mais les résistances sont encore nombreuses, pour des raisons politiques et culturelles, face aux personnes venant de la rue.

Par ailleurs, nous sommes confrontés chaque jour à l’impossibilité d’intégrer dans le parc social des personnes qui ne disposent pas des revenus suffisants pour y être éligibles.

Se posent enfin de nombreuses questions techniques et financières qui freinent l’accueil des plus démunis par les acteurs du logement social.

À la différence de M. Pliez, je ne pense pas que le parc social se paupérise : il me semble au contraire que le niveau de vie moyen des Français qui y résident est plus élevé aujourd’hui qu’il y a quarante ans, lorsque j’y résidais moi-même. Les critères qui permettent de disposer d’un logement social excluent aujourd’hui beaucoup plus qu’autrefois les plus démunis – on le constate particulièrement dans certaines villes.

M. Christophe Louis. Les collectivités locales sont les grandes oubliées de la refondation, aux travaux de laquelle elles n’ont pas participé.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Le transfert aux collectivités locales de cette politique aujourd’hui financée en grande partie par l’État et gérée par des opérateurs serait-il une bonne idée ?

M. Christophe Louis. Ce pourrait être intéressant, mais est-on sûr qu’il y aura égalité de traitement sur tous les territoires ? Il est inquiétant que certaines municipalités prennent des arrêtés pour interdire la mendicité ou le glanage, pour exclure des gens ou fermer des établissements. Si ces compétences étaient décentralisées, des garanties seraient nécessaires.

M. Matthieu Angotti. Il faudrait transférer, avec les compétences, les moyens correspondants. Quant à l’équité territoriale, la question se pose déjà aujourd’hui et se poserait plus encore en cas de décentralisation. Quelle place l’État stratège pourra-t-il occuper pour assurer une équité de traitement ? Cela suppose des structures de coordination de l’action sociale dans les régions avec une place adaptée pour l’État. Il faudrait donc des garanties en termes budgétaires et de gouvernance.

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. En tant qu’élue de Paris, cela me semble impossible. Se pose en effet la question de la domiciliation : à quelle collectivité incombe, par exemple, la prise en charge de Parisiens envoyés dans une pension de famille dans une autre collectivité ? Compte tenu des sommes que l’État doit déjà aux collectivités au titre de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), de la prestation compensatoire du handicap (PCH) et de bien d’autres prestations, les collectivités locales ne pourront pas tenir.

M. Gilles Desrumeaux. Nous sommes très attachés à la poursuite de la politique de refondation. Des éclaircissements restent à apporter sur les publics cibles ainsi que sur les normes de cette politique, et les Assises interrégionales et nationales ont produit à cet égard un bon document de travail.

Quant au transfert aux collectivités locales, il est de fait aujourd’hui largement réalisé : le financement d’une résidence sociale est impossible à moins de 50 % ou 70 % de subventions, dont les collectivités fournissent la plus grande part. Il convient donc de mieux articuler la politique de l’État et celle des collectivités locales. La programmation du logement relève largement de ces dernières et c’est là que se joue la réussite de la politique. L’État et les collectivités doivent donc s’entendre sur les publics visés, les modes de relogement et la mobilisation de l’accompagnement social.

Le développement des pensions de famille rencontre aujourd’hui des difficultés. Le dispositif est robuste, mais les difficultés du financement de ces opérations peuvent entraîner des dérives en termes de coût et de taille des logements, rendant ces derniers moins accessibles à certains publics. En matière de logement accompagné, la refondation a surtout produit des études, mais guère de résidences sociales ou de maîtrise d’ouvrage d’insertion. Je rappelle à cet égard que le secteur associatif capte aujourd’hui près de 40 000 logements dans le domaine de la maîtrise d’ouvrage d’insertion et des mandats de gestion : cette offre mériterait d’être développée mais, faute de moyens, elle ne l’est pas. Si nous souscrivons donc à l’orientation générale de la refondation, force est de constater qu’hormis le programme des pensions de famille – qui n’est du reste pas à la hauteur des objectifs fixés et connaît de grandes difficultés –, peu de choses ont été mises en œuvre. Une politique qui se limiterait à l’urgence et ne prendrait pas en compte, plus largement qu’aujourd’hui, le logement et l’accompagnement social des personnes en situation de pauvreté et de mal-logement ainsi que les outils correspondants, ne saurait aboutir.

M. Claude Chaudières. L’Uniopss pense que cette politique doit rester sous la responsabilité de l’État. Compte tenu de la multiplicité des dispositifs existants, la coordination est en effet très difficile. Une régulation s’impose au niveau régional ou départemental entre l’État et les collectivités territoriales, car la loi a prévu une telle coordination ; en inscrivant notamment le plan départemental d’accueil, d’hébergement et d’insertion (PDAHI), la Commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives et le plan de lutte contre l’habitat indigne dans le plan départemental d’accès au logement des personnes défavorisées (PDALPD) et en prescrivant que la mise en œuvre de cette politique donne lieu à des échanges avec le président du conseil général.

Par ailleurs, les collectivités locales ont des obligations en matière de logements sociaux et d’hébergement. Comment les préfets dresseraient-ils des constats de carence en matière de sans-abrisme ?

L’avenir de la refondation tient plutôt à l’engagement des collectivités locales auprès de l’État pour sa mise en œuvre.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Il y a eu un « rendez-vous manqué » avec les collectivités territoriales !

M. Claude Chaudières. La refondation, mise en place en janvier 2008 et mise concrètement en œuvre depuis juin 2010, rencontre de nombreuses difficultés en termes de calendriers et de budgets. L’enjeu est aujourd’hui celui de la gouvernance et du pilotage, ainsi que de la question de savoir comment associer les autres acteurs. On ne fera pas la refondation contre l’avis des collectivités locales !

Mme Jeanne Dietrich. La condition essentielle de mise en œuvre du logement d’abord et de la refondation est la production de logements. Or, si le PLF pour 2012 prévoit une programmation de 120 000 logements sociaux, le budget prévu à ce titre est inférieur de 60 millions d’euros à celui de l’année dernière. Comment construira-t-on le même nombre de logements avec 60 millions d’euros de moins ?

M. Arnaud Richard, rapporteur. Les montants prévus à ce titre en loi de finances ne sont cependant que l’un des éléments de la politique de production de logements, laquelle repose essentiellement sur des prêts et sur le volontarisme des bailleurs.

M. Christophe Louis. La décentralisation que vous évoquez suscite en tout état de cause de sérieuses inquiétudes en matière de respect de l’inconditionnalité de l’accueil.

M. Éric Pliez. On peut craindre en effet une rupture de l’égalité et de la solidarité. La question est de savoir comment organiser sur les territoires un dispositif centralisé avec des services déconcentrés. Les agences régionales de santé, par exemple, n’ont pas fait preuve d’une grande efficacité sur nos sujets, mais elles se mettent en place. Pour éviter les ruptures, je serais plutôt favorable à des agences, à condition qu’elles communiquent entre elles et qu’on y retrouve l’ensemble des services nécessaires pour fonctionner, comme la justice et la santé.

Dès lors, même si l’État reste garant, la question se poserait d’une décentralisation accrue s’accompagnant de moyens qui peuvent être différenciés selon les besoins locaux – mobilité en province, logement à Paris et dans quelques autres zones –, ce qui suppose un dispositif à géométrie variable, y compris dans les programmations. L’État doit certes être garant de l’équité dans la décentralisation, mais le travail aux différents niveaux locaux devrait en tout état de cause être précisément défini.

M. Olivier Marguery. Le conseil d’administration de la Fondation de l’Armée du salut est défavorable à une décentralisation de la politique d’hébergement, mais favorable à un service public de l’hébergement, compte tenu des nombreux effets pervers observés dans le cadre de la décentralisation et de la déconcentration.

Dans l’état des politiques publiques européennes et françaises mises en œuvre, il n’existe par exemple pas de droit décliné relatif à la fraternité. Or, la question de l’hébergement d’urgence ne peut pas être traité sur le seul plan technique des dispositifs de discrimination, de séquençage et de découpage : elle doit être repensée et refondée plus globalement au moyen d’une compréhension des publics concernés.

Nous adhérons au chantier de la refondation, mais avec quelques bémols, car la mise en œuvre est marquée par des rendez-vous manqués qui ne le sont que pour des prétextes techniques, alors que l’enjeu est avant tout culturel et politique et consiste à savoir quel regard l’opinion publique porte sur les plus pauvres. Aucune politique publique n’existe en la matière et l’opinion publique ne reçoit qu’une information défavorable sur ces populations. Les travailleurs sociaux comme les énarques, les préfets ou les élus politiques et les associatifs ne reçoivent aucune formation sur la place de l’autre et sur le vivre ensemble dans une société plus juste et plus égalitaire. Nous souhaiterions que l’État aborde ces questions.

La stigmatisation du demandeur d’asile renvoie aux accords de Schengen et de Dublin et à plusieurs lois françaises. Il n’arrive pas plus d’étrangers en France aujourd’hui qu’en 1922, mais l’intégration était alors automatique, car il n’y avait ni Schengen, ni Dublin. Si le nombre d’étrangers apparaît aujourd’hui supérieur, c’est à cause des critères juridiques mis en place pour les décompter.

Je le répète : nous souscrivons au chantier de la refondation, mais à condition qu’il s’accompagne d’une politique de l’État qui prenne en compte la question du regard de l’opinion publique sur la pauvreté et la précarité de la personne sans-abri, comme c’est déjà le cas en Pologne et en République tchèque. Il doit également s’accompagner d’actions de formation, car rien n’est fait en ce domaine.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Mon intention à ce stade n’est pas de proposer la décentralisation : je tenais simplement à ce que nous puissions aborder ce sujet tabou.

M. Éric Pliez. La Délégation interministérielle pour l'hébergement et l'accès au logement des personnes sans-abri ou mal logées (DIHAL) ne va-t-elle pas d’ailleurs dans le sens d’une reprise en main de cette politique par l’État ?

Mme Jeanne Dietrich. Pour ce qui est du service public de l’hébergement, il s’appuie aujourd’hui principalement sur des associations assumant une mission d’intérêt général tout en conservant un statut associatif. Cette configuration permet de concilier l’intérêt général et la liberté associative.

Nous sommes plutôt favorables au maintien de la DIHAL, mais à condition qu’elle soit pourvue de moyens lui permettant véritablement de fonctionner, afin de mettre en œuvre une interministérialité efficace. La marge se situe en effet davantage du côté des moyens d’action réels donnés à cet organisme que de celui de la création d’une agence.

M. Claude Chaudières. L’ANAH fournit un exemple concret d’une agence qui fonctionne.

M. Matthieu Angotti. La clé réside dans une culture de la concertation. Nous ne disposons pas à cet égard de très bons exemples. Ainsi, la DIHAL, après avoir connu divers échecs et faute de moyens, se cantonne à réaliser des études et des recherches, ce qui ne suffit pas. Par ailleurs, le récent plan d’accompagnement prévu dans le cadre de la refondation associe l’État, qui travaille sur des outils d’accompagnement des services déconcentrés, et les associations, qui travaillent sur leurs propres outils d’accompagnement, mais la coordination n’a pas été facile et la Direction générale de la modernisation de l’État (DGME) avait tendance à mener ses travaux d’une manière isolée, allant jusqu’à rédiger des fiches par association à l’intention des services déconcentrés. Il nous faut donc insister pour qu’il y ait des points de contact, car la concertation est encore faible.

En matière de déconcentration, nous sommes très attachés à l’enjeu du projet territorialisé et nous nous efforçons d’assurer des concertations collectives préalables aux négociations bilatérales entre associations et services déconcentrés pour la campagne budgétaire de 2012. Ces concertations, portant sur les activités des trois années qui viennent dans le cadre du « logement d’abord », associent l’État, les associations, les collectivités territoriales et les bailleurs sociaux. Très peu de régions prévoient actuellement cette étape collective, pourtant indispensable pour éviter que les associations ne négocient leurs budgets avec les services de l’État sans concertation.

Il faut en outre miser sur des expérimentations. Ainsi, pourquoi ne pas attribuer les 5 millions d’euros d’excédent du Faru (Fonds d’aide au relogement d’urgence) à un fonds de dotation de l’innovation dans le champ de l’hébergement et de l’accès au logement, en mettant en place un appel à projets et une évaluation solides ? Une telle démarche pourrait essaimer. Le traitement des dix territoires pilotes actuellement retenus dans le cadre du récent plan d’accompagnement manque de méthode et est entouré du plus grand flou. Certaines méthodes pourraient être reprises et les projets territoriaux nous permettraient d’avancer sur les questions de la formation et de l’offre de services d’accompagnement. Malheureusement, au niveau tant national que territorial, nous sommes encore loin d’avoir une culture de la concertation !

M. Roland Aubin. La concertation doit inclure la personne concernée et celle-ci doit accepter d’aller dans le logement qu’on lui propose. De fait, certaines personnes qui sont hébergées depuis deux ou trois ans par une structure peuvent ne pas être prêtes au changement de vie radical qui leur est proposé.

Il reste encore beaucoup à faire pour la concertation, et très peu de SIAO associent les usagers ou leurs représentants à leurs réunions d’évaluation, malgré les circulaires de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) en ce sens. J’ai moi-même envoyé des courriels à des SIAO qui n’ont même pas eu la politesse de me répondre. Il conviendrait d’écouter le point de vue des usagers.

Certaines personnes accueillies sont encore très loin de pouvoir vivre en logement – au point que certains usagers qui avaient obtenu un logement ont dû revenir vers des structures d’hébergement après quelques semaines seulement.

Peut-être aussi faudrait-il davantage de petites structures de dix à quinze appartements, comme celles qui existent en Finlande, dans lesquelles est assuré un accompagnement social et que l’on peut quitter quand on le souhaite. Le manque de maisons relais et de familles d’accueil se fait cruellement sentir dans de nombreuses régions.

Les bailleurs sociaux, que j’ai entendus aux Assises nationales, souhaitaient demander davantage de renseignements aux personnes issues de centres d’hébergement, au motif qu’il leur fallait tenir compte des autres locataires, dans l’optique de l’étude des demandes de logement social. Mais ne faudrait-il pas alors que la réciproque soit vraie ? Par souci d’équité et pour éviter la stigmatisation des plus précaires, mieux vaudrait s’en tenir aux renseignements fixés légalement pour tout demandeur de logement social.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Votre intervention suscite d’autres questions de ma part : les personnes accueillies, dans leur diversité, sont-elles convenablement informées des dispositifs mis en place à leur intention ? La création du SIAO et la refondation politique par l’orientation « logement d’abord » tiennent-elles compte du fait qu’apparemment certaines personnes à qui l’on propose un logement préfèrent demeurer en structure d’hébergement ? Cette distorsion entre l’objectif poursuivi et la réalité vécue peut-elle provenir d’un manque d’explications à destination des populations visées, certaines personnes étant restées de nombreuses années en structure d’hébergement ? Comment les messages correspondants devraient-ils être formulés et par qui ? Est-ce le rôle des travailleurs sociaux ? Les personnes accueillies ont-elles conscience du changement intervenu depuis 2008 ?

M. Roland Aubin. Nous ressentons de plus en plus une pression pour orienter vers le logement. Au Havre, par exemple, un travailleur social s’est d’abord occupé de personnes en logement avant d’être affecté à une structure d’hébergement, ce qui facilite sa mission dans le cadre du logement d’abord. Mais, globalement, les travailleurs sociaux sont plutôt des généralistes, insuffisamment formés aux questions du logement.

Les centres d’hébergement et de réinsertion sociale s’occupent un peu de tout et ne prennent guère le temps de constituer des dossiers de demande de logement, même si les services de certaines structures fonctionnent très bien en la matière. C’est du moins mon impression personnelle, mais je ne suis peut-être pas représentatif des populations concernées. De plus, il est souvent difficile de communiquer avec celles-ci et de leur faire valoir les avantages supposés du logement, surtout lorsque les intéressés sont déjà hébergés en chambres individuelles, disposant ainsi d’un « petit chez eux ».

M. Éric Pliez. Il ne sert à rien d’abandonner les gens dans leur logement, comme l’a montré l’exemple du canal Saint-Martin : 80 % des personnes ont été logées et nombre d’entre elles en sont reparties, faute d’accompagnement social – la fraternité qui s’était créée autour de leur campement avait disparu. Le « logement d’abord » ne peut fonctionner que si l’on redéploie intelligemment les bases arrière que sont les accueils de jour et, plus encore, les centres d’hébergement, ce qui implique de mettre en place des « plateaux techniques » susceptibles, dans le logement, de créer du lien social, d’intégrer la dimension psychologique du problème individuel ainsi que de traiter les aspects relatifs à l’emploi et à la restauration collective, entre autres, l’essentiel étant d’éviter que les personnes ne se retrouvent isolées dans leur logement. Il faut, au contraire, leur proposer des formules de réintégration citoyenne. La modalité pratique de logement importe assez peu.

M. Gilles Desrumeaux. Accéder à un logement ne suffit pas : il faut aussi assurer un accompagnement social par un travailleur social qui vous rend visite chaque semaine ou chaque mois. Ce qui soulève la question de la diversité des formes de logement et des modes d’habitat, tels que, dans le secteur semi-collectif, les pensions de famille, les résidences sociales et ce qu’on appelle « le logement en diffus », comme alternative au logement social. Somme toute, il s’agit d’adapter les différentes possibilités de logement aux besoins des personnes. Le logement accompagné, reposant sur la gestion locative adaptée, ou sociale, tient à cet égard un rôle important qu’il faut développer : la personne trouve constamment quelqu’un à qui parler et sur qui elle peut compter. Si d’autres solutions existent, celle-ci nous semble en tout cas spécialement bien adaptée aux personnes vulnérables ou en situation de précarité.

M. Christophe Louis. Un des axes de la refondation du dispositif d’hébergement et d’accès au logement, notamment au travers des SIAO, était le « référent personnel », mode de coordination des prestations, apparemment oublié. Il s’agissait d’assurer une continuité de la prise en charge. Mais aucun crédit n’a jamais été inscrit à ce titre, pas même pour des expérimentions.

Le « référent personnel » devait pouvoir être sollicité par l’intéressé, en cas de difficulté dans sa vie, même un ou deux ans après l’obtention d’un logement. Car il n’est pas aisé de s’adresser une deuxième fois à un centre communal d’action sociale (CCAS). Jouant un rôle de coordonnateur, le « référent social » – et pas forcément un « travailleur social » – devait, afin d’éviter les retours à la rue, servir d’interface avec les différents services sociaux. Celui-là pouvait, ou non, être bénévole, car il ne faut pas s’appuyer à l’excès sur le bénévolat : on risque alors de vouloir réaliser des économies sur quelque chose qui n’est pas encore en place. Prévoyons d’abord les moyens si nous voulons éviter les retours à la rue !

M. Matthieu Angotti. L’accompagnement social doit être, si besoin, pluridisciplinaire, mais sans dispersion des actions. Aujourd’hui, une personne en difficulté sociale, quel que soit le niveau de ses difficultés, se sent perdue devant le millefeuille des dispositifs le concernant, aussi bien en matière d’emploi que de santé ou de logement. C’est pourquoi on avait imaginé un référent plutôt professionnel, en mesure d’assurer un premier accueil de qualité, enjeu crucial, puis de mobiliser un réseau d’intervenants en rapport avec des problématiques plus spécifiques. Nous voulions ainsi qu’il puisse exister, dans les centres d’hébergement, des « plateaux techniques » et des équipes de travailleurs sociaux dédiés à l’accompagnement hors les murs, avec l’impératif de connaître, autour d’eux, les réseaux et les circuits de services collectifs, notamment dans les domaines de la santé et de l’emploi. Il est fondamental qu’une personne en difficulté sache qu’elle dispose toujours d’une personne vers qui se tourner et qui saura l’orienter. Or les intervenants sociaux de premier accueil ne sont pas aujourd’hui en état de connaître l’ensemble des dispositifs existants. Un accompagnement à la fois global et pluridisciplinaire s’impose.

M. Armando Magallanes. Accompagner la personne est essentiel. Il nous faut pour cela des plateaux techniques qui permettent de construire un réseau autour d’elle et au long de son parcours. Il s’agit de favoriser la réinsertion par le travail, par la santé et par la reconstitution des droits. Cette action doit s’inscrire dans un territoire et permettre de donner la parole à la personne qu’on accueille.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Les divers dispositifs en vigueur sont d’une grande complexité, impliquant des acteurs nombreux et qui changent sans arrêt.

Entendez-vous par « plateau technique » un soutien en lien avec toutes les structures, qui soit complémentaire du SIAO ?

M. Matthieu Angotti. Je pensais plutôt à quelque chose d’intégré dans les structures. Les CHRS sont favorables à la reconversion progressive d’une partie de leurs équipes pour assurer un accompagnement hors les murs, avec le même nombre de travailleurs sociaux et une diminution des places d’hébergement : c’est l’un des principaux enjeux de la refondation. C’est ce que nous appelons « plateau technique » ou équipe « référente ». Le rôle des SIAO est différent, consistant, en matière d’hébergement et d’accès au logement, à coordonner l’ensemble des actions et à réguler le système en fonction de l’offre et de la demande.

M. Christophe Louis. Des expériences de référents ont déjà eu lieu à d’autres titres, notamment pour l’accompagnement des familles de victimes de la maladie d’Alzheimer.

Une grande avancée consisterait aussi à sortir de la notion d’urgence et à mettre en place des centres d’hébergement à statut unique, alors que ceux-ci empruntent aujourd’hui des formes diverses, y compris désormais celle de « maisons relais d’urgence ». Leurs moyens devraient aussi être identiques car, bien souvent, on « sur-dote » des dispositifs dont les bénéficiaires devraient déjà être devenus autonomes, et on « sous-dote » des hébergements d’urgence qui nécessiteraient un renforcement de l’accompagnement.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Si un préfet proposait une telle formule afin de « reprofiler » les moyens, les acteurs associatifs l’accepteraient-ils ?

M. Christophe Louis. Tout dépend de la façon dont on présente les choses. Si un préfet décide seul, la réaction risque d’être négative, mais si cela se fait en concertation, les différents acteurs accepteront de participer sans difficulté. Telles étaient d’ailleurs les bases de la refondation. Mais, après que les associations ont été impliquées, les services de l’État ont repris le dossier en main et ont effacé plusieurs de nos suggestions.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Vous vouliez peut-être tirer tous les dispositifs vers le haut du point de vue financier…

M. Christophe Louis. Nous voulions seulement que plus personne ne dorme dans la rue.

M. Éric Pliez. Nous avions également entamé une étude nationale des coûts, dont le déroulement a été interrompu.

M. Matthieu Angotti. En réalité, disons que cette étude est restée au milieu du gué : une première phase a été effectuée mais le rapport qualité-prix de la prestation d’Accenture, société de conseil en management, nous a paru plutôt faible. Nous devions étudier 300 établissements, mais 120 seulement l’ont été. Nous devions, la première étape franchie, demander aux autres établissements de se positionner vis-à-vis de l’enquête.

Nous attendons aujourd’hui de passer à la deuxième étape, le risque étant que les préfets s’approprient les résultats de la première alors que ceux-ci sont insuffisants pour conclure sur une évaluation nationale des coûts.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Il y aura nécessairement des gagnants et des perdants…

M. Matthieu Angotti. Assurément, et, si l’on s’en tient aux travaux de cette étude nationale des coûts tels qu’ils sont à ce stade, pas nécessairement sur les bons critères !

M. Éric Pliez. L’étude continue et, parallèlement, des décisions se prennent, ce qui complique les choses. Je ne sais s’il y aura des gagnants et des perdants, mais certaines structures, notamment à Paris, se situeront au-dessus des coûts moyens. Par ailleurs, certaines associations, dépourvues de contrat d’objectifs et de moyens (CPOM), peuvent difficilement gérer des budgets que l’on ampute de 10 ou 15 % en début d’année : il faut leur laisser le temps de se reconvertir, ce qui exige au moins trois ans.

M. Gilles Desrumeaux. La question des financements présente plusieurs dimensions.

En premier lieu, nous ne sommes pas à la hauteur d’un certain nombre d’enjeux, comme on le voit avec les résidences sociales, dont la moitié ne bénéficie pas de l’aide à la gestion locative sociale (AGLS). Dans ces conditions, le travail de proximité et de vigilance à l’égard des personnes se fait difficilement. Les résidences sociales ne peuvent se borner à une fonction hôtelière.

En second lieu, se pose la question du pilotage à moyen terme des politiques sociales. Par exemple, les pensions de famille, qui comptent 10 000 places, ne connaissent aujourd’hui que des conventions annuelles, assorties, dans certains départements, d’une réduction des crédits en début d’année, parfois suivie d’une rallonge en cours d’année. Si toutes les circulaires gouvernementales évoquent des conventions pluriannuelles, je n’en connais aucune qui concerne les résidences sociales, lesquelles disposent de 80 000 logements. Nous sommes confrontés à des négociations tardives et pour une seule année, sans le pilotage à moyen terme qui permettrait d’anticiper les changements de cap nécessaires. On constate donc un décalage entre un discours officiel retranscrit dans les circulaires et les réalités du terrain, hormis quelques CPOM dans le secteur de l’hébergement.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Le plan de cohésion sociale présenté par M. Jean-Louis Borloo en 2004 offrait tout de même cinq ans de visibilité et a permis d’importantes avancées. Mais une arrivée massive de demandeurs d’asile en a rendu plus difficile la réalisation. Le ministre a reconnu que les mesures décidées l’avaient été à marche forcée. Les associations ont toutefois bien absorbé le choc des réformes alors intervenues.

Peut-être manque-t-il, en effet, une plus grande prise de conscience dans l’opinion publique s’agissant des questions relatives à la pauvreté. Les personnes accueillies ne sont pas, au demeurant, parfaitement informées des changements opérés.

Il est vrai qu’il faut dans certains cas plus de moyens, et ce n’est pas tous les jours que la Cour des comptes le dit également.

D’une façon générale, la politique du logement souffre d’un défaut de territorialisation, ce qui aboutit parfois à soutenir fiscalement des réalisations dans des zones qui n’en ont pas besoin. Le rôle que, depuis quelques années, jouent les collectivités territoriales, n’est pas suffisamment maillé avec les objectifs poursuivis localement par l’État.

Le Premier ministre a annoncé des moyens supplémentaires en matière d’hébergement. Une nouvelle programmation pluriannuelle des financements serait néanmoins la bienvenue.

M. Matthieu Angotti. Nous connaissons aujourd’hui une situation exactement à l’inverse d’une projection pluri-annuelle. Voilà trois ans que nous sommes sollicités pour faire avancer les choses toutes les trois semaines, le Gouvernement nous demandant sans cesse de nous dépêcher. Or la vraie question est ailleurs : comment se fixer des objectifs cohérents, à trois ou cinq ans, et veiller à ce qu’on les atteigne, étape par étape, avec beaucoup de volontarisme ? La refondation a besoin d’une perspective à moyen terme, et non d’une succession hâtive de petits objectifs, selon les méthodes dites « agiles », en vogue dans certaines entreprises privées…

Nous souhaitons que cette politique à moyen terme soit conduite au niveau des territoires. Il faut, au plus vite, engager des discussions collectives dans ce but. Elles pourront, par la suite, donner lieu à des contrats pluriannuels pour chaque association.

L’année dernière, toujours dans la série des petits objectifs rapides, l’État a voulu lancer des précontrats pour inscrire des objectifs relatifs au logement dans les perspectives CHRS. Les associations ont rejeté cette démarche en raison de l’absence de toute visibilité sur des projets territoriaux à moyen terme.

M. Claude Chaudières. En matière de programmation, des objectifs ont été fixés dans le cadre de la région Île-de-France, mais ils n’ont pas été déclinés dans les départements. C’est pourquoi les associations parisiennes refusé de signer le plan départemental d’hébergement, d’accueil et d’insertion (PDAHI) de Paris.

Depuis janvier 2008, la refondation a suscité trois discours politiques différents : lorsque Mme Christine Boutin était ministre du Logement et de la ville, la priorité portait sur la mise à l’abri, l’humanisation et le soutien aux personnes à la rue ; puis, avec M. Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement et de l’urbanisme en juin 2009, une nouvelle stratégie, présentée en novembre de la même année, tendait à davantage de fluidité afin que les personnes soient plus rapidement orientées vers le logement ; et, depuis juin 2010, le mot d’ordre est devenu le « logement d’abord ». Ces changements incessants sont, pour nos associations, difficiles à gérer dans la durée. Il nous faut une stratégie claire et un calendrier des objectifs que l’on puisse suivre.

Les outils de programmation existent : il suffit de les mettre en œuvre !

M. Arnaud Richard, rapporteur. Quelle que soit la prochaine majorité politique, le pire serait l’arrivée d’un ministre voulant réinventer la roue…

M. Matthieu Angotti. Exactement !

M. Arnaud Richard, rapporteur. Avec M. Jean-Louis Borloo, nous avions connu une certaine continuité dans le volontarisme.

M. Christophe Louis. N’imitons pas le ministère de l’Éducation nationale, qui lance une nouvelle réforme chaque année.

M. Arnaud Richard, rapporteur. La Cour des comptes a procédé à une analyse intéressante de la gouvernance. Est-il, en effet, cohérent que la politique sociale de l’hébergement relève d’un secrétaire d’État chargé du logement qui est lui-même placé auprès du ministre en charge du développement durable, loin de la cohésion sociale ? Cela n’a guère de sens.

M. Matthieu Angotti. Nous déplorons en tout état de cause le manque de priorités données à notre sujet. À chacune de nos rencontres avec M. le Premier ministre, on nous a certes annoncé une rallonge budgétaire, mais elles n’ont pas pour autant donné lieu à la définition d’orientations nouvelles en la matière. Si l’on ajoute à cela que les services déconcentrés sont exsangues, on comprend pourquoi il est difficile d’avancer.

M. Olivier Marguery. Nous demandons, soit un ministère des solidarités, soit une délégation interministérielle forte pour l'hébergement et l'accès au logement des personnes sans abri ou mal logées – actuellement la DIHAL – qui puisse exercer une autorité sur les différentes administrations centrales afin de mener une politique cohérente, et non plus désarticulée comme celle d’aujourd’hui.

La Fondation de l’Armée du salut souhaite que cette politique embrasse toutes les questions relatives à la cohésion sociale et à la solidarité. Elle doit effectivement se décliner territorialement, aux niveaux européen, national, régional et intercommunal, mais non plus départemental, niveau inadapté à la question de l’hébergement d’urgence.

Quel est le périmètre d’action pertinent au regard des publics concernés ? Sans doute la communauté de communes ou d’agglomération. En revanche, le bon niveau politique et administratif serait plutôt celui de la région, comme pour les agences régionales de santé (ARS) et pour les directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) – si ce niveau territorial n’est pas lui-même trop exigu.

Tous les territoires intermédiaires nous semblent, à terme, devoir être supprimés. Or, aujourd’hui, la concertation s’effectue souvent au niveau du département ou de la commune, territoires obsolètes car les publics visés sont « ailleurs ».

La stratégie européenne pour 2020, dite aussi « Europe 20/20 », vise à réduire de moitié le nombre de pauvres, soit 20 millions de pauvres en moins. La plateforme européenne implique une prise de relais par des plateformes nationales – en France, il s’agit de réduire d’un tiers le nombre de pauvres –, puis par des plateformes régionales.

Notre Fondation souhaite aussi que soient fixés des termes à des objectifs et que soient assurées une lisibilité et une gouvernance cohérente. Mais l’État et ses services déconcentrés n’en sont pas capables. Du coup, j’insiste sur la formation des personnels d’accueil, dans un contexte général d’insuffisance de l’administration et des travailleurs sociaux. Les seules formations mises en place portent sur la gestion technique des dispositifs, ce qui est insuffisant. Quelques milliers de pseudo-spécialistes ont beau livrer leurs propres interprétations, il n’existe aucune appropriation de cette nouvelle culture et de cette nouvelle problématique qu’est le sans-abrisme.

Comment passe-t-on d’une formule reposant sur la gestion caritative à une politique du logement ? Il faut pour cela du dialogue, de la concertation et de la confrontation des représentations.

L’idée de planifier une politique de lutte contre les pauvretés à l’horizon de cinq ans me semble judicieuse. Mais j’insiste sur la nécessité de s’accorder sur la notion de territoire et, partant, sur les périmètres les mieux adaptés.

M. Éric Pliez. Le niveau régional est, en effet, intéressant, mais tout dépend du contexte : en Île-de-France, le problème ne se pose de la même façon qu’en Limousin ou en Auvergne.

Il faut éviter de reproduire l’erreur commise avec la sectorisation psychiatrique. Car les populations bougent. Comment, dès lors, adapter nos structures dans une perspective de refondation sans ajouter de couches au millefeuille ? Comment réussir notre reconversion ? Cela ne sera pas simple, compte tenu notamment des patrimoines immobilisés, et prendra beaucoup de temps. Inspirons-nous aussi de l’exemple des maraudes : inutiles d’en organiser plus que nécessaire à un endroit quand elles font défaut à un autre ! L’idée demeure donc, afin d’assurer une couverture maximale, d’offrir des réponses de proximité, fournies par des organismes inscrits dans la citoyenneté.

Trop longtemps le problème des structures d’hébergement fut leur coupure avec le monde extérieur, notamment avec les conseils de quartier et, d’une façon générale, avec la vie citoyenne. De telle sorte que le bénévolat se développait d’un côté, les professionnels de l’autre, et personne ne se parlait. Comment décloisonner les deux sans reproduire des secteurs opaques ?

M. Matthieu Angotti. Il nous faut aussi intégrer la dimension collective du travail social : sortir de la relation bilatérale entre le travailleur social et la personne qu’il accompagne, se mettre avec elle sur un pied d’égalité, mais aussi penser à la collectivité en inscrivant l’action dans un quartier ou dans une communauté. Cette exigence ressort encore insuffisamment des programmes de formation initiale comme continue des travailleurs sociaux.

M. Christophe Louis. Au-delà du logement, il faut aussi prendre en compte les autres vecteurs de l’évolution de la personne – notamment le travail – qui lui permettront de se reconstruire.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Au cours de nos déplacements, nous avons visité des structures solides qui assurent des hébergements, mais qui procèdent également à des actions autres, telles que la vente de vêtements ou des efforts d’insertion, soit un ensemble de prestations qui leur ont permis de constituer des réseaux comprenant différents métiers. S’agit-il là d’une voie d’avenir ?

D’autres structures se limitent au seul hébergement. Assistera-t-on demain à une certaine concentration des acteurs et à la présence de quelques « gros » organismes par département ?

Je sais que le sujet est sensible…

M. Matthieu Angotti. Le mouvement associatif subit, d’un côté, une force centripète qui, notamment pour des raisons de fragilité financière et de cohérence des actions, tend à la constitution d’ « assembliers », alors qu’une force centrifuge tend au contraire à sa dispersion en raison de la puissance d’innovation des associations. Celles-ci apportent une forte plus-value par leur capacité d’adapter leur offre de services à la réalité des besoins. Or c’est par le biais de petites structures très décentralisées qu’elles parviennent à innover. Il faut préserver cette « respiration » tout en acceptant la constitution d’assembliers aptes à travailler selon des orientations convergentes afin de prendre en charge des publics tout au long de leur parcours.

La problématique de l’insertion professionnelle est analogue à celle de l’hébergement et du logement : il est indispensable que les structures procédant, par exemple, à de l’insertion par l’activité économique, ne captent pas les publics pour les retenir auprès d’elles, mais qu’elles se montrent au contraire ouvertes à l’emploi ordinaire et disposent de travailleurs sociaux assurant l’accompagnement des personnes dans ce cadre. Il convient d’articuler ainsi des logiques de parcours et des logiques d’opportunité, aussi bien pour le logement que pour l’emploi.

M. Claude Chaudières. Je m’attends plutôt, pour le secteur associatif, à une évolution consistant à mettre en commun des moyens et des compétences. Nous l’avons déjà expérimenté en Seine-Saint-Denis avec le rassemblement de 43 centres d’hébergement pour créer Interlogement 93, principalement en vue de faciliter les relogements. Le SIAO en fournit un autre exemple. La mutualisation peut prendre, selon les territoires, des formes très différentes, comme celles de conventions autour d’un projet ou bien de création de structures ad hoc.

Il faut aussi insister sur la bonne application du droit, comme l’obligation de 20 % de logement social…

M. Arnaud Richard, rapporteur. Sans oublier le « 1 pour 1 000 » pour les places d’hébergement !

M. Gilles Desrumeaux. Le système des agréments répond depuis peu à une logique selon trois blocs : la maîtrise d’ouvrage d’insertion, l’ingénierie sociale, financière et technique, enfin l’intermédiation et la gestion locatives sociales. Il s’agit ainsi d’agréer des opérateurs démontrant leurs capacités à intervenir efficacement.

Nous sommes très attentifs au maintien de la capacité de créer la nouveauté du secteur associatif. Car ce qui a bougé dans le secteur de l’hébergement et du logement au cours des vingt dernières années relève de son action. Il en va ainsi des agences immobilières à vocation sociale, des investissements dans la maîtrise d’ouvrage d’insertion, comme du démarrage des pensions de famille. La capacité d’innovation des associations est donc précieuse, quitte à ce que des organismes publics prennent le relais de leurs initiatives. Il s’agit souvent d’associations émergentes, par exemple animées par des retraités qui achètent ensemble des logements et développent des formes d’épargne solidaire. Lorsqu’elles prennent de l’ampleur, elles se professionnalisent dans la durée et franchissent certains caps, dont celui de l’agrément. Il faut donc veiller à concilier la préservation de la souplesse propre à faciliter les innovations et la nécessité pour les organismes d’atteindre, à un moment donné, une taille critique.

M. Arnaud Richard, rapporteur. L’épargne solidaire n’a cependant jamais bénéficié d’un véritable support institutionnalisé permettant de la canaliser !

M. Gilles Desrumeaux. De grands acteurs ont mis en place quelques vecteurs pour cela, mais d’importants progrès restent à accomplir. Les secteurs de l’hébergement et du logement accompagné ne peuvent exclusivement s’appuyer sur des structures professionnelles. Si celles-ci ne s’inscrivent pas dans le tissu social, notamment par leur capacité à agréger des bénévoles et à susciter des initiatives originales, il manque quelque chose qui est, justement, le propre du secteur associatif.

M. Olivier Marguery. La plateforme locale diversifie ses services afin de répondre aux besoins d’hébergement et d’insertion. Nous gérons de telles structures par défaut car elles ne présentent guère d’intérêt si elles ne comptent qu’un seul gestionnaire. Elles sont néanmoins pertinentes pour répondre aux besoins des publics, pour rationaliser les coûts et mutualiser les moyens.

Nous souhaitons maintenir le maximum de tissu associatif multiple et innovant, y compris par la création d’associations d’usagers dans le secteur de l’hébergement d’urgence. Dans le même temps, des contraintes de gestion obligent notre fondation à se développer, à reprendre d’autres structures et à en créer de nouvelles, ce qui représente une certaine contradiction avec l’indispensable pluralisme des petites structures associatives, mais la logique économique nous l’impose. Nous croyons pouvoir surmonter cette contradiction par le jeu des fédérations. Celles-ci doivent être soutenues par l’État comme lieux d’expression du monde associatif élargi aux représentants des usagers. Elles peuvent résoudre l’inévitable tension entre l’échelon micro-local qui innove et qui permet une unité de parcours, d’une part, et la logique économique dont dépend notre survie, d’autre part. Faute de quoi, ce seront les gros qui mangeront les petits !

M. Arnaud Richard, rapporteur. Vous êtes membres de la Fnars, de l’Uniopss et d’autres fédérations peut-être…

M. Olivier Marguery. Bientôt de l’Unafo et d’autres fédérations en effet.

M. Christophe Louis. Les associations sont aujourd’hui invitées à modifier leurs projets ou leur objet. Je défends les petites associations, même si j’admets qu’elles doivent parfois procéder à quelques efforts pour mieux se gérer. Elles interviennent dans un domaine qui évolue rapidement : il y a encore quinze ans, on parlait de « dortoirs » pour les personnes qui étaient à la rue. D’importantes avancées ont eu lieu grâce à l’action de ces associations. Il est important de les préserver pour leur conserver une capacité d’innovation.

M. Gilles Desrumeaux. Les frontières entre associations sont souvent héritées du passé. Un effort de recomposition a été entrepris, notamment dans le secteur du logement accompagné en créant, avec la Fédération des PACT et la Fédération des associations pour la promotion et l'insertion par le logement (Fapil), les acteurs du logement d’insertion, lesquels regroupent presque 160 000 logements sur les 200 000 existants. Nous devons nous efforcer d’éviter un trop grand éparpillement de la voix associative.

M. Éric Pliez. « Assemblier » ne veut pas dire « monopole ». Plusieurs formules doivent coexister. Une association, quelle que soit sa taille, ne peut jamais travailler seule. Le système a besoin de souplesse et de diversité. Mais il faut bien sûr qu’une association ait du sens et ne se réduise pas à une petite entreprise personnelle.

Aujourd’hui toute l’insertion par l’activité économique peut, en principe, bénéficier du crédit d’impôt concernant l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Mais un assujetti à l’ISF préférera placer son argent dans une start-up dans l’espoir d’un retour sur investissement que nous ne pouvons évidemment lui apporter. Il conviendrait donc d’orienter le mécanisme vers des structures associatives comme les nôtres.

M. Roland Aubin. Il serait bon que les associations prennent en compte les recommandations transmises à Mme Roselyne Bachelot-Narquin et préconisant de mieux faire participer les usagers. Nous pouvons déjà faire partie d’associations à titre individuel. C’est ainsi que je suis membre de l’association Impact qui, regroupant des travailleurs sociaux et des personnes accueillies, intervient dans les centres d’hébergement et pour la formation des travailleurs sociaux ; ces derniers souffrent encore de lacunes dans leur connaissance de la loi de 2002 prévoyant la mise en place de conseils de la vie sociale.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Les besoins en formation sont très importants et les dotations des structures sont de façon générale insuffisantes, surtout pour financer la rémunération des remplaçants.

M. Olivier Marguery. La formation à la connaissance de la loi de 2002 se fait, mais elle ne suffit pas. Le plus important réside dans la formation en faveur d’un changement culturel des pratiques. Ainsi, l’information sur l’intervention sociale d’intérêt collectif, promue par le Conseil supérieur du travail social, est encore trop peu diffusée et nécessiterait une formation longue. Un groupe de travail avait été constitué sur les métiers de l’urgence sociale, mais il n’a débouché sur rien. Se pose en filigrane la question de la professionnalisation car l’urgence sociale est aujourd’hui traitée soit par le secteur caritatif, soit par des professionnels de l’insertion ou du travail social classique, ce qui ne permet pas forcément à ces derniers de prendre en compte la réalité de la vie d’une personne demeurée sans abri pendant une longue durée. Certaines universités ont toutefois mis en place des licences pour les métiers de l’urgence, formant environ 150 étudiants par an mais dont les diplômes ne sont pas reconnus par les conventions collectives, qui appliquent des normes disparates.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Ne pourrait-on mettre un peu d’ordre dans ces conventions collectives ?

M. Olivier Marguery. Certainement, mais cela coûte cher du fait des différences entre conventions collectives. Or la politique de formation devrait constituer l’axe central de la refondation. Il conviendrait de mieux mobiliser les travailleurs sociaux, de même que les conseillers des offices de HLM ou les préfets…

M. Claude Chaudières. Il faudrait aussi instituer une aide à la formation au niveau des conseils d’administration des associations, ne serait-ce qu’en raison de la complexité des dispositifs. Certaines aides ont été accordées dans ce but au niveau régional. On note souvent un décalage entre l’organisation du travail de l’association et son projet initial.

M. Éric Pliez. Dans ce domaine, nous avons des métiers « à col blanc » et des métiers « à col bleu ». Un travailleur social diplômé sortant de son école ne s’oriente pas vers les métiers de l’urgence. A contrario, les métiers de l’urgence rassemblent des personnes peu qualifiées et difficiles à inscrire dans un cursus de formation.

M. Arnaud Richard, rapporteur. Mesdames, messieurs, je vous remercie. Vos interventions permettront de nourrir le rapport que nous remettrons dans la seconde quinzaine de janvier 2012.

ANNEXE 2

AUDITION DE M. BENOIST APPARU,
SECRÉTAIRE D’ÉTAT AUPRÈS DE LA MINISTRE DE L'ÉCOLOGIE,
DU DÉVELOPPEMENT DURABLE, DES TRANSPORTS
ET DU LOGEMENT, CHARGÉ DU LOGEMENT

M. Arnaud Richard, rapporteur. Le Comité d’évaluation et de contrôle a décidé de travailler sur l’hébergement d’urgence et bénéficié, sur ce sujet délicat, de l’assistance de la Cour des comptes. Comme d’habitude, la Cour a travaillé de manière contradictoire et collégiale, et son rapport, peu suspect de subjectivité, analyse la question de façon sereine. Après avoir reçu le premier président de la Cour, nous aimerions connaître l’avis du Gouvernement sur ces travaux.

Mme Danièle Hoffman-Rispal, rapporteure. C’est la première fois qu’un rapport du CEC est effectué sur la base d’un travail commun avec la Cour des comptes. Nous avons vraiment travaillé ensemble, y compris au sein d’un comité de pilotage de l’évaluation à la quelle la Cour a procédé. Nous partageons donc largement les conclusions du rapport de la Cour des comptes auquel nous avons contribué – d’une certaine manière – par nos débats. Ce document apporte d’ailleurs des éléments de réponse aux questions que je vous avais posées lors de l’examen du projet de loi de finances.

M. Benoist Apparu, secrétaire d’État chargé du logement. Le fait que le CEC puisse s’appuyer sur l’expertise de la Cour des comptes me semble constituer une réelle avancée que l’on peut porter au crédit de la dernière réforme constitutionnelle.

J’ai lu attentivement le rapport de la Cour et je suis d’accord à 99 % avec son contenu, qu’il s’agisse du constat ou des recommandations. C’est un excellent travail. Quelle que soit la politique publique concernée, il me semble essentiel de pouvoir bénéficier d’une expertise neutre, provenant d’une institution publique dont personne ne conteste la rigueur : cela va dans le sens d’un apaisement des relations entre majorité et opposition, ou entre l’État, les collectivités locales et les associations. Trop souvent, en effet, nos débats sont affectés par une vision réductrice, fondée sur l’opposition entre « gentils » et « méchants ».

Mon sentiment, à la lecture de ce rapport, est qu’il valide la stratégie et les outils que nous avons mis en place avec le monde associatif depuis l’ouverture, en 2008, du Chantier national prioritaire 2008-2012 pour l’hébergement et l’accès au logement des personnes sans-abri ou mal logées, démarche prolongée, en 2009, par ce que l’on a appelé la « refondation ». La Cour des comptes pointe, il est vrai, certains retards, certaines insuffisances. À l’inverse, elle trouve que nous allons trop vite dans certains domaines, notamment s’agissant des demandes de transformation sur le terrain.

La Cour prend acte de l’augmentation substantielle des moyens consacrés à l’hébergement, ce qui ne signifie pas qu’elle les estime suffisants. En particulier, elle reconnaît les efforts consentis sur le programme 177. De même, elle salue la meilleure adéquation entre la loi de finances initiale et l’exécution du budget – même si un écart demeure.

La Cour reconnaît également l’utilité des différents outils que nous avons élaborés, qu’il s’agisse de la stratégie du « logement d’abord », de l’humanisation des centres d’hébergement, des SIAO – services intégrés d’accueil et d’orientation – ou des Ccapex - commissions de coordination des actions de prévention des expulsions. Mais là encore, elle considère que les choses ne vont parfois pas assez loin, ni assez vite. Elle juge en particulier - et je partage cette analyse – que les SIAO et les Ccapex tardent à se mettre en place.

Notre intention est de tirer profit de ce travail et d’appliquer l’ensemble des recommandations contenues dans le rapport. Dès le mois de février – à ce moment, votre propre rapport sera publié –, je rencontrerai les représentants du secteur associatif, afin de déterminer avec eux, en nous fondant sur le document de la Cour et sur celui de l’Assemblée nationale, ce qu’il est possible de faire pour accélérer l’application de la réforme.

Je regrette toutefois que la Cour ait autant insisté sur les tensions budgétaires auxquelles la stratégie de la refondation a été confrontée pendant l’année 2011 et n’ait fait qu’une discrète allusion à l’abondement de 75 millions d’euros supplémentaires finalement inscrit par le Premier ministre grâce à un décret d’avance. Cette décision fait pourtant tomber l’argument selon lequel une réforme aussi complexe à mettre en œuvre ne saurait souffrir d’une réduction des crédits. En fait, il n’y a pas réduction, mais stabilisation. Je suppose cependant que les magistrats de la Cour n’ont pas eu le temps de remanier l’ensemble du chapitre.

Enfin, il est un point sur lequel je ne partage pas l’analyse de la juridiction financière, c’est la préconisation d’augmenter le nombre de places d’hébergement dans les zones tendues en attendant que l’ensemble de la réforme soit mise en œuvre. Je sais que de nombreux partenaires associatifs sont du même avis, mais pour ma part, je suis convaincu que ce serait une erreur profonde. L’enjeu, en effet, n’est pas d’augmenter le nombre de places, mais d’achever la mise en œuvre du « logement d’abord » et d’accélérer le mouvement de rotation en hébergement afin de libérer des places existantes.

Je crains, en effet, que chercher à augmenter sans cesse le nombre de places en hébergement ne revienne à vouloir vider le tonneau des Danaïdes. Une telle politique ne serait qu’un expédient, une façon de pallier les difficultés que nous rencontrons à loger un certain nombre de gens. Nous risquerions de maintenir en hébergement, de façon artificielle, des personnes pouvant accéder au logement, et notamment au logement social. Pour certaines catégories de personne sans domicile, par définition en situation de précarité, l’hébergement n’est qu’une forme précaire de logement et n’est donc pas une réponse adaptée.

Prenons l’exemple des nuitées d’hôtel – la pire solution –, qui représentent un peu plus de 10 % des 116 000 places d’hébergement disponibles.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. La Cour évoque 80 000 places…

M. le secrétaire d’État. Ce sont peut-être les chiffres de 2007. Depuis, nous avons ouvert 26 000 places supplémentaires – un résultat dont je me flatte, même si je considère qu’il ne serait pas de bonne politique de poursuivre dans cette voie.

Quoi qu’il en soit, nous avons recours, chaque nuit, en Île-de-France, à plus de 12 000 chambres d’hôtels – pour un coût de 17 euros par nuit dans les hôtels ayant passé un contrat avec le SAMU social. Or l’analyse des publics concernés conduit à formuler deux constats dramatiques. Tout d’abord, et contrairement à ce qui se passe dans les centres d’hébergement, la mise à l’abri à l’hôtel ne fait l’objet d’aucun accompagnement social. Ensuite, la durée moyenne du séjour en chambre d’hôtel est de dix-huit mois. Cela signifie que certains n’y passeront que trois mois, mais d’autres trois ans ! Selon moi, maintenir aussi longtemps une personne sans domicile dans une structure hôtelière est une très mauvaise politique. La véritable vocation de l’hôtellerie est de représenter un simple sas vers le logement. En réduisant entre trois à six mois la durée moyenne du séjour, on doublerait le nombre de chambres disponibles. C’est pourquoi l’enjeu n’est pas d’augmenter le nombre de places, mais d’accélérer le rythme des sorties vers le logement.

Or, en ce domaine, nous disposons d’importants moyens d’action, à condition de faire preuve de persuasion à l’égard des bailleurs sociaux et de mieux utiliser le contingent préfectoral. Il existe en France 4,5 millions de logements sociaux, dont le taux de rotation annuel atteint 10 % : cela signifie que 450 000 logements sociaux se libèrent chaque année – à comparer au nombre de personnes, en Île-de-France, dont le relogement est considéré comme prioritaire en application du droit au logement opposable : 12 000 par an. Et on n’arriverait pas à les reloger dans les logements sociaux disponibles ? C’est un problème de tuyaux, pas une question de nombre de places d’hébergement.

Sur le million de personnes ayant déposé une demande de logement social, 40 % sont déjà dans le parc et demandent seulement à changer de domicile. Le stock de nouveaux demandeurs s’élève donc à 600 000, soit un ordre de grandeur comparable à celui des logements disponibles.

Bien sûr, l’offre ne correspond pas toujours à la demande, soit d’un point de vue géographique, soit d’un point de vue financier : tout le monde n’a pas les moyens d’accéder au prêt locatif social – PLS –, par exemple. Il n’en demeure pas moins que nous disposons d’importantes marges de manœuvre.

M. Arnaud Richard. Qu’en est-il des réflexions de la Cour des comptes sur le processus de refondation ? Y a-t-il du nouveau en ce domaine ?

M. le secrétaire d’État. A priori, non, même si certains chiffres sont en progression – visibilité des SIAO, mise en œuvre des Ccapex.

La refondation repose sur une stratégie et deux outils : la stratégie est celle du « logement d’abord » ; les outils, les SIAO et le référentiel des prestations et des coûts. C’est grâce à eux que nous parviendrons à mettre en place un service public de l’hébergement et de l’action en faveur du logement.

Le système des SIAO est mis en place partout, pour des résultats inégaux, mais plutôt satisfaisants, même s’il faut progresser en ce domaine, comme le réclame d’ailleurs la Cour. Nous nous appuierons sur son rapport pour pousser les services déconcentrés de l’État et les associations à aller plus vite.

En ce qui concerne le référentiel des prestations et des coûts, nous avons pris du retard – de l’ordre de un an. La raison principale est que le premier appel d’offres lancé auprès de nos prestataires a été infructueux. En outre, les discussions avec les associations se sont révélées complexes, en particulier avec la Fnars – Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale. Il faut dire que cette démarche représente un bouleversement pour le secteur, et qu’elle nécessitera des contractualisations beaucoup plus lourdes, département par département, projet par projet. La mise en place du référentiel, notamment dans sa partie coûts, implique un encadrement du financement pour chaque structure, avec un montant plancher et un montant plafond, et aura donc un impact sur l’ensemble du financement des acteurs associatifs.

M. Arnaud Richard. Avec des gagnants et des perdants.

M. le secrétaire d’État. En effet, même si nous allons bien sûr faire en sorte d’en lisser les effets sur huit ou dix ans.

L’enveloppe budgétaire du programme 177, qui est restée stable, en exécution, entre 2010 et 2011, connaît à nouveau 0 % d’augmentation dans la loi de finances initiale pour 2012 – une politique que nous assumons depuis le départ. Certes, le montant des crédits en loi de finances initiale pour 2012 est inférieur à celui du budget exécuté en 2011. Mais un décret d’avance, confirmé par une loi de finances rectificative pour 2011, a prévu des crédits supplémentaires à hauteur de 75 millions d’euros sur deux ans : la moitié pour 2011, l’autre, en report, pour 2012. Cette technique budgétaire n’est sans doute pas très orthodoxe, mais c’est ce qui nous permet d’assurer une stabilisation des crédits sur trois années. C’est ainsi que pour la première fois depuis vingt ans, le montant des crédits distribués en début d’année aux services déconcentrés est strictement équivalent à celui du budget exécuté l’année précédente. Même si les associations auraient sans doute préféré une augmentation, cette évolution est essentielle car elle donne au financement du secteur une plus grande fiabilité.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. D’autant que les associations ont besoin de savoir où elles vont.

M. Arnaud Richard. Qu’en est-il des 50 millions d’euros consacrés à l’asile ?

M. le secrétaire d’État. Ils relèvent d’un autre programme, le 303 : « Immigration et asile ».

La crédibilité de la contractualisation et du référentiel des coûts et des prestations dépend bien évidemment de la fiabilité de la loi de finances. Avec la pratique adoptée pendant vingt ans, et consistant à rajouter des crédits en cours d’année – jusqu’à cinq fois par an ! –, la contractualisation représentait, pour les services déconcentrés et les associations, la quadrature du cercle.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Je partage une partie de vos propos, avec certaines réserves.

La Cour des comptes souligne dans son rapport l’augmentation du nombre d’expulsions – 10 000 de plus en dix ans. Lorsque j’ai insisté, au moment de l’examen du projet de loi de finances, sur l’importance du nombre de travailleurs hébergés dans les CHRS, les centres d’hébergement et de réinsertion sociale, vous m’avez un peu envoyé promener. Pourtant, la proportion de travailleurs hébergés au Chapsa de Nanterre atteindrait 13 %.

Le fait que des travailleurs doivent passer par ce type de parcours me préoccupe beaucoup, et c’est pourquoi la mise en place des Ccapex me semble une bonne idée, à condition d’y mettre les moyens. Or la Cour des comptes, qui porte pourtant rarement une telle appréciation, semble juger que les services déconcentrés ne disposent pas de crédits suffisants pour assurer leurs missions.

M. le secrétaire d’État. Cette partie du rapport a dû m’échapper…

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Par ailleurs, je comprends votre raisonnement : il est préférable de faire plus d’efforts pour éviter les expulsions et de limiter le recours à l’hébergement d’urgence, en dirigeant ceux qui en bénéficient vers le « logement d’abord », de façon à libérer plus de places en CHU – centres d’hébergement d’urgence – et en CHRS, et à augmenter le rythme de rotation, y compris en chambre d’hôtel. Mais l’absence de pérennisation des places hivernales et l’instabilité budgétaire sont susceptibles d’entraîner des problèmes dans les zones tendues comme l’Île-de-France, notamment pendant un ou deux ans. En outre, je suis persuadée que nous manquons de places dans les parcours intermédiaires c’est-à-dire en pensions de famille et dans les maisons relais. On ne pourra réussir à accueillir les publics en difficulté – consommateurs d’alcool ou de drogue, personnes atteintes de problèmes psychiatriques ou de handicaps – qu’à condition de concentrer les moyens sur le dernier stade avant le logement d’abord.

M. le secrétaire d’État. Vous abordez là, il me semble, trois sujets différents.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Oui, parce que suivre votre raisonnement me conduit à explorer l’ensemble du champ, de la prévention de l’expulsion jusqu’à l’accès au logement.

M. le secrétaire d’État. Vous avez parlé d’une augmentation du nombre d’expulsions – 10 000 de plus en dix ans. En réalité, ce qui a augmenté, c’est le nombre de jugements d’expulsion, ce qui n’est pas du tout la même chose. Si environ 110 000 jugements d’expulsion sont prononcés chaque année, seulement 60 000 propriétaires formulent une demande de concours de la force publique, dont seulement 20 000 sont acceptées. Au final, en un an, seulement 10 000 expulsions sont réellement effectuées avec le concours de la force publique.

Le problème est qu’aucune étude de cohorte n’a été réalisée sur ce sujet. Or, faute d’une telle étude, je ne sais pas ce qu’il advient des personnes concernées par les 100 000 jugements restants. Combien sont parties de leur propre initiative, par peur de l’huissier ou des policiers ? Ont-elles retrouvé un logement ? Se sont-elles tournées vers des structures d’hébergement, des voisins, des amis ? Nous n’en avons aucune idée.

De même, aucune analyse n’a été effectuée sur les motivations des jugements. Il est probable que neuf personnes assignées en justice sur dix sont en situation d’impayé pour raison économique, les autres étant des locataires de mauvaise foi ou occasionnant un trouble de voisinage. Mais ce ratio est probablement inversé dans le cas des 10 000 expulsions effectuées avec le concours de la force publique. En effet, les préfets consultent toujours les dossiers lorsqu’ils sont saisis, et ils sont moins enclins à accorder leur concours en cas de situation sociale complexe que lorsque le motif de l’expulsion est la mauvaise foi ou le trouble de voisinage. Mais tout cela n’est qu’approximation ; pour prévenir les expulsions, nous avons besoin d’études de cohorte.

Nous savons par ailleurs que de nombreux jugements d’expulsion concernent des retards très importants dans le paiement du loyer : jusqu’à dix-huit mois, voire deux ans. Dans de telles situations, il est beaucoup trop tard pour intervenir, et c’est pour y répondre que nous avons créé les Ccapex.

M. Arnaud Richard. Les Ccapex pourraient réaliser les analyses dont vous avez besoin.

M. le secrétaire d’État. Ce n’est pas sûr, parce qu’elles sont supposées intervenir avant le jugement, à titre préventif. Il appartient plutôt au ministère de la justice ou à notre secrétariat d’État de faire ce travail.

La mission des Ccapex est de prévenir les expulsions, et ce, à titre individuel. Ce ne sont pas des commissions départementales destinées à réfléchir et à formuler des recommandations, mais bien des instances chargées, à l’instar des commissions Dalo, d’étudier chaque dossier dont elles sont saisies. Les bailleurs sociaux recourent volontiers à cet outil, puisqu’ils adressent environ 60 à 70 % des dossiers examinés en Ccapex. Ce n’est pas le cas, en revanche, des bailleurs privés.

Quant au bilan de ces commissions, il est mitigé : certaines remplissent bien leurs missions, d’autres non.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Nous ferons des recommandations sur ce point.

M. le secrétaire d’État. Il conviendrait notamment de s’interroger sur les relations entre Ccapex et commissions Dalo et sur les moyens qu’elles pourraient mettre en commun.

Vous avez également évoqué la part de travailleurs hébergés au Chapsa.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Au Chapsa ou ailleurs, cela importe peu.

M. le secrétaire d’État. Je ne saurais vous dire quelle est leur proportion au niveau national ; les systèmes d’information développés via les SIAO devraient nous permettre d’en savoir un peu plus. Par ailleurs, la Fnars a accepté que le logiciel de l’État devienne la référence. Désormais, un seul logiciel sera utilisé sur l’ensemble du territoire, ce qui nous permettra de disposer de statistiques beaucoup plus fiables sur les publics concernés par l’hébergement.

Mais peu importe, en effet, la part exacte des travailleurs occupant des places d’hébergement, car ils n’ont de toute façon rien à y faire. Il est évident que la stratégie du « logement d’abord » s’adresse en priorité à cette catégorie. À la limite, on risque de les déstructurer en les éloignant du logement.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Un travailleur social du Chapsa nous a dit avoir vu au moins une personne revenir au bout de six mois dans un ancien logement. Dans ces conditions, pourquoi ont-elles dû en passer par là ?

M. le secrétaire d’État. Cela n’a effectivement pas de sens. La stratégie du « logement d’abord » vise justement à rompre avec ce parcours en escalier et à faire du logement l’objectif le plus direct.

L’été dernier, nous avons eu sur ce sujet un différend avec Xavier Emmanuelli, qui a gardé des personnes sans domicile la vision qu’il a acquise il y a vingt ans : des gens marqués par une addiction, par de grandes fragilités psychiatriques, des personnes ayant avant toute chose besoin d’un accompagnement sanitaire. Pour ces sans-abri « traditionnels », le « logement d’abord » ne constitue sans doute pas la meilleure stratégie. Mais depuis vingt ans, le profil des personnes vivant dans la rue a profondément évolué : nombre d’entre elles sont des travailleurs très pauvres, qui n’ont pas les moyens de se loger dans le parc privé et ont été refoulés du parc social.

Mon objectif est de faire de l’hébergement un sas vers le logement, et non, bien entendu, de supprimer les places existantes. Nous devons garder un volant de places d’urgence, non seulement pour accueillir les sans-abri auxquels songe le docteur Emmanuelli, qui nécessitent un important accompagnement social, mais aussi à titre de solution transitoire de courte durée – un à trois mois – avant l’obtention d’un logement.

Quant aux pensions de famille, dans notre esprit comme dans les textes, elles sont à classer dans le logement, et non dans l’hébergement. Ces institutions ont été créées par Jean-Louis Borloo dans le cadre du Plan de cohésion sociale. Elles fonctionnent un peu comme les maisons de retraite et sont destinées aux personnes dont on sait qu’elles ne pourront jamais, sauf cas exceptionnel, vivre de façon autonome. Il ne faut surtout pas les considérer comme une étape supplémentaire dans un parcours vers le logement classique.

M. Arnaud Richard. C’était en effet leur vocation initiale : une forme de logement destinée à un certain public.

M. le secrétaire d’État. En tant qu’ancien membre du cabinet de M. Borloo, vous pouvez en effet en témoigner ! Pourtant, on observe une certaine dérive, et ma crainte est que les pensions de famille ne deviennent une étape de plus dans un parcours en « escalier », allant de la rue au logement en passant par le CHU, le centre de stabilisation et le CHRS. Or le logement, tel que nous l’avons défini lors des assises régionales, puis nationales du « logement d’abord », implique un bail traditionnel et un type d’habitation adapté aux moyens financiers et à la situation personnelle. Dans une pension de famille, chacun dispose d’une chambre ou deux, d’une kitchenette, d’une boîte aux lettres ; on peut décorer les lieux comme on le souhaite, recevoir du monde, etc. Ce mode de logement pérenne, destiné à des personnes ne pouvant vivre seules, doit être développé. Il est vrai – et la Cour des comptes l’a noté – que nous connaissons un léger retard dans ce domaine, mais nous avons écrit aux directions départementales de la cohésion sociale pour les inciter à ouvrir de nouvelles places.

M. Arnaud Richard. Le Gouvernement pourrait organiser une programmation de façon informelle.

M. le secrétaire d’État. Mais une programmation triennale existe déjà : sur un total de 15 000 places, 12 000 ont été validées et 9 000 sont d’ores et déjà réalisées. Les départements connaissant un retard sont invités à accélérer le processus, et pour ceux qui ont atteint leurs objectifs, nous sommes prêts à financer de nouveaux projets.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Les résultats ne seraient-ils pas meilleurs si les pensions de famille étaient comptabilisées comme logements locatifs sociaux au sens de l’article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains ?

M. le secrétaire d’État. En fait, cela dépend du mode de financement du logement : s’il est financé par le programme 135, grâce à un PLAI – prêt locatif aidé d’intégration – ou un PLS – prêt locatif social –, il sera pris en compte au titre de l’article 55 de la loi SRU. Cela étant, la plus grande partie des pensions de famille sont financées par des PLAI. Ce qui amène certains spécialistes du logement – notamment dans l’opposition – à critiquer les 25 000 PLAI que nous avons accordés en 2011, en jugeant excessif le nombre de structures collectives – environ 5 000 – qu’ils ont permis de financer. Nous avons pourtant besoin de structures de ce type.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Quid de la pérennisation des places hivernales ? Même en dehors de l’hiver, les personnes vivant à la rue doivent affronter toute sorte de problèmes. De plus, une canicule peut toujours survenir.

M. le secrétaire d’État. Comment est-on parvenu à porter de 90 000 à 116 000 le nombre de places d’hébergement entre 2007 et aujourd’hui ? En pérennisant, année après année, les places ouvertes en urgence pendant l’hiver – à l’exception, bien sûr, de certaines structures comme les gymnases. Or, dans la mesure où nous estimons qu’il ne serait pas de bonne politique d’augmenter indéfiniment le nombre de places d’hébergement, non seulement nous avons décidé de ne pas autoriser de nouvelles ouvertures – même si, bien évidemment, les projets déjà engagés seront menés à terme –, mais nous considérons que les places offertes en période hivernale, et que l’on pourrait qualifier de « places de mise à l’abri », n’ont pas vocation à être proposées le reste de l’année.

Il serait pourtant beaucoup plus facile, objectivement, de continuer à ouvrir des places d’hébergement.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Mais celles-ci ont un coût.

M. le secrétaire d’État. Probablement, mais là n’est pas le débat. Cette stratégie, qui a été la nôtre pendant les dix dernières années, ne doit pas être poursuivie, pour des raisons financières, certes, mais surtout humaines.

M. Arnaud Richard. En matière d’hébergement, quelles sont les relations entre l’État et les collectivités locales, en particulier les départements ? L’exemple de l’Ase, l’aide sociale à l’enfance, montre qu’il n’y a pas toujours une continuité entre les politiques nationales et départementales.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. On pourrait également évoquer le cas des femmes enceintes ou des mères d’enfants de moins de trois ans.

M. Arnaud Richard. Je précise que nous n’avons pas pris le parti d’une décentralisation, même si nous nous sommes posé la question.

M. le secrétaire d’État. Comme tout le monde.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Mais ce n’est pas réalisable à l’heure actuelle.

M. le secrétaire d’État. La question de la prévention se pose aussi bien à l’échelle de l’État qu’à celle des collectivités locales. Ainsi, l’État doit mieux prévenir l’errance à la sortie de prison, car 7 % des détenus libérés ne disposent pas d’une solution de logement ou d’hébergement. Les services pénitentiaires et sociaux doivent donc mieux se coordonner avec les SIAO.

M. Arnaud Richard. Certains le font déjà.

M. le secrétaire d’État. Oui, mais ce n’est pas systématique. Dans certains départements, la communication est bien organisée, dans d’autres non. Il en est de même pour les malades sortant d’hôpitaux psychiatriques.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Leur situation est encore plus grave.

M. le secrétaire d’État. Des problématiques similaires se posent pour les collectivités locales. Ainsi, si le Conseil d’État considère que les enfants de moins de trois ans sont à la charge des départements, la moitié de ces derniers récusent cette responsabilité. De même, pour les jeunes atteignant l’âge de dix-huit ans, la coordination entre le champ de compétence de l’État et celui des départements est mal assurée. Le problème se pose donc aussi bien au plan interministériel qu’au plan local.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Sans parler du manque de moyens !

M. Arnaud Richard. En fait, personne n’assure la transition.

M. le secrétaire d’État. À mes yeux, cette tâche devrait revenir aux SIAO. Ils constituent le meilleur outil pour coordonner le travail effectué par les associations, les bailleurs sociaux et les différents services publics.

S’agissant des collectivités locales, il y a encore trois mois, nous ne travaillions pas de façon satisfaisante avec l’Association des départements de France. Non seulement nos rencontres étaient trop rares, mais je ne suis pas sûr que l’ADF ait été suffisamment associée à la stratégie de refondation, laquelle, à l’origine, concernait surtout l’État et les partenaires associatifs. La même remarque vaut pour l’Union nationale des centres communaux d’action sociale.

Or il y a deux mois, j’ai rencontré les membres du bureau de l’ADF, et je crois que nous sommes parvenus à une analyse commune sur la stratégie du logement d’abord et les différents outils mis en place. Une fructueuse séance de travail s’est également tenue avec la commission logement de l’association. Nous avons ainsi défini une forme d’instruction commune, chacune des parties diffusant l’information auprès de son réseau.

Les responsables de l’ADF approuvent la philosophie du « logement d’abord », mais ils craignent que l’État ne délègue de nouvelles responsabilités aux départements en leur demandant de payer à sa place. Je crois les avoir rassurés sur ce point. Notre intention est de financer par les crédits des CHRS le basculement vers le « logement d’abord », car ces crédits peuvent être employés « hors les murs ». Par exemple, dans l’hypothèse où un département accepterait de signer un avenant au PDALPD, le plan départemental d’action pour le logement des personnes défavorisées, de façon à transformer, dans un certain délai, une partie des places de CHRS en logements, l’État continuerait à financer non seulement les places de CHRS existantes, mais également les nouveaux logements. Bien sûr, cela ne durerait pas éternellement : une personne qui retrouverait son autonomie relèverait tout naturellement du Fonds de solidarité pour le logement – FSL –, c’est-à-dire du droit commun : c’est tout l’objectif de la stratégie du « logement d’abord ». Selon la même logique, aujourd’hui, une personne quittant un CHRS pour un logement classique relève du domaine de compétence du conseil général.

À partir du moment où nous sommes parvenus à lever toutes les ambiguïtés, nos relations avec l’ADF ont connu un progrès considérable. Il appartient désormais aux préfets et aux présidents de conseil général de négocier un avenant au PDALPD afin d’y intégrer les éléments du PDAHI – plan départemental d’accueil, d’hébergement et d’insertion – et ceux de la stratégie du logement d’abord. Nous sommes prêts à signer une convention avec l’ADF lorsque je serai reçu par son bureau, le 7 février.

M. Arnaud Richard. Lorsque nous avons rencontré les responsables de l’ADF, il y a six mois, afin notamment d’élaborer le questionnaire que nous avons envoyé aux collectivités locales, ils étaient très inquiets.

M. le secrétaire d’État. Je crois sincèrement les avoir rassurés. Le président de la commission logement, en particulier, pensait que nous voulions faire porter sur les départements la charge de l’accompagnement social ou des loyers : ce ne sera pas le cas, du moins tant que la personne concernée n’aura pas retrouvé une autonomie.

Il va sans dire qu’il faudra également mieux articuler le FSL avec les crédits d’accompagnement social.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Nous avons tous intérêt à faire fonctionner le FSL en amont, afin de prévenir les expulsions.

M. le secrétaire d’État. Il existe par ailleurs un autre moyen de financer l’accompagnement social, le FNAVDL – fonds national d’accompagnement vers et dans le logement –, qui recueille le produit des astreintes payées par l’État au titre de la « non-mise en œuvre » du Dalo et dont une partie des ressources doit permettre l’accompagnement des bailleurs sociaux prêts à accueillir des publics difficiles. Mais le financement de droit commun provient des crédits CHRS. Un élément important pour rassurer les responsables de département, a été leur dire que le « logement d’abord » relève du code de l’action sociale et des familles – et donc de l’État – et non du code général des collectivités territoriales.

M. Arnaud Richard. Ne serait-il pas nécessaire d’organiser une nouvelle rencontre avec les bailleurs afin de préciser leurs missions ?

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Nous avons pu constater sur le terrain que l’investissement des bailleurs sociaux pouvait être très inégal. À Lyon, il est remarquable, mais ce n’est pas forcément le cas ailleurs.

M. le secrétaire d’État. La situation à Lyon a inspiré la création des SIAO. Mais il est vrai que la qualité de l’action des bailleurs sociaux est très variable. Certains font un excellent travail, accompagnent depuis longtemps les acteurs associatifs et ont de bonnes relations avec le SIAO. De même, à l’échelle nationale, nos relations sont très bonnes avec l’Union sociale pour l’habitat – USH. Mais sur le terrain, les décisions prises ne sont pas toujours parfaitement appliquées. Si de nombreux bailleurs jouent le jeu, dans certains territoires, c’est parfois plus compliqué. Nous disposons de plusieurs outils pour améliorer les choses, comme le réseau des SIAO, auxquels les bailleurs sont supposés participer, ou la convention d’utilité sociale.

M. Arnaud Richard. C’est de la littérature !

M. le secrétaire d’État. Pas quand certains bailleurs sociaux refusent de la signer parce qu’ils estiment que les objectifs qui leur sont impartis en termes de relogement des personnes sortant de l’hébergement sont trop élevés, comme c’est le cas à Paris.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Vous proposez tout de même un taux de 7,5 % de logements sociaux libérés en faveur des personnes hébergés notamment en CHRS !

M. le secrétaire d’État. En fait, en Île-de-France, nous avons demandé à tous les bailleurs sociaux de consacrer 15 % des logements libérés aux personnes reconnues prioritaires au titre du Dalo, tandis que de son côté l’État leur destine la plus grande part du contingent préfectoral – à Paris, 80 % de ce contingent leur est directement attribué, malgré les frictions que cela peut entraîner avec les collectivités locales.

À Paris, nous avons réclamé un effort supplémentaire, dans la mesure où le nombre de demandeurs de logement social concernés par le Dalo y est très supérieur à ce qu’on observe dans le reste de la région. La Ville de Paris ayant refusé, nous avons tenté d’obtenir le même résultat – autour de 22 % – en mixant les publics : une partie Dalo, une partie provenant des centres d’hébergement.

J’en reviens à l’inégalité de situations entre bailleurs sociaux. D’une façon générale, les plus grands d’entre eux, ceux qui possèdent le plus de logements, peuvent bénéficier d’une ingénierie sociale beaucoup plus développée, et agissent donc plus efficacement. Par ailleurs, certains tentent des expériences intéressantes. Ainsi, l’un d’entre eux accorde à ses locataires dont la situation est la plus précaire – ceux pour qui même des loyers de catégorie PLAI sont déjà trop élevés – des rabais financés par le produit des surloyers qu’ils perçoivent.

J’ai demandé à ce bailleur, le Logement français, de réfléchir à ce que seraient les résultats économiques d’une révision complète du système des loyers dans son parc HLM destinée à mieux adapter ces derniers aux revenus des locataires.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, membre du groupe de travail. Nous menons les mêmes réflexions.

M. le secrétaire d’État. À ce stade, nous ne savons pas si ce serait une bonne idée, d’autant qu’il s’agirait d’une révolution, très compliquée à mettre en place et dont les conséquences sur le mode général de financement du logement social seraient très lourdes. Mais c’est une direction que nous devons prendre si nous voulons ouvrir le parc social à des publics plus difficiles.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Que pensez-vous de l’idée de fusionner, dans les quelques départements concernés, les différents SIAO en un SIAO unique ?

M. le secrétaire d’État. J’y suis plutôt favorable, même si certaines situations locales peuvent y faire obstacle. De même, j’estime que la vocation d’un SIAO est de réunir l’insertion et l’urgence, même si certaines spécificités locales peuvent justifier de les séparer - comme à Paris.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Je suis convaincue qu’un premier accueil de qualité, visant une insertion rapide, permettrait d’éviter certaines situations aberrantes que nous avons pu observer, notamment s’agissant de travailleurs pauvres.

M. le secrétaire d’État. Rappelons par ailleurs qu’il existe encore quelques SAO – services d’accueil et d’orientation –, ancêtres des SIAO, et que tous les « 115 » ne sont pas intégrés dans les SIAO. Nous devons avancer sur ces sujets pour éviter les situations dont vous parlez.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Comment expliquer ce qui s’est produit à Paris il y a deux ou trois semaines : plusieurs familles laissées sans solution d’hébergement ?

M. le secrétaire d’État. S’agissant des familles, le SAMU social ne fait pourtant état d’aucune demande non pourvue en journée depuis début novembre.

M. Martin Choutet, conseiller technique au cabinet de la ministre chargée du logement. Dans la période récente, on n’a compté que quelques refus exceptionnels, la nuit, à un moment où tous les hôtels étaient complets.

M. le secrétaire d’État. Je vous invite à me préciser ultérieurement votre question.

Cela m’amène au communiqué publié vendredi par la FNARS afin de présenter les résultats de son « baromètre du 115 ». Il appelle de nombreuses remarques tant il comporte de biais statistiques. Tout d’abord, l’activité du 115 ne concerne pas toutes les places d’hébergement. Ensuite, la situation de Paris n’est pas prise en compte. Mais surtout, l’enquête n’est pas fondée sur des situations réelles, mais sur des appels téléphoniques. Ainsi, dans la Loire, la Fnars évoque un taux de refus de 91 %, en reconnaissant elle-même le caractère étonnant d’un tel chiffre. Renseignement pris auprès de la préfecture, on ne compte aucun refus. Il en est de même dans le Rhône : la proportion de non-attribution y atteindrait 60 % d’après la Fnars, alors que pour le préfet, 88 % des demandes ont donné lieu à hébergement. Je vous invite donc à la prudence à l’égard d’une enquête dont nous ne connaissons pas la méthodologie.

M. Martin Choutet. Par exemple, si une personne appelle et qu’on lui demande de rappeler deux heures plus tard, le premier appel sera recompté comme un refus.

M. le secrétaire d’État. Il n’est d’ailleurs pas exclu que certaines associations particulièrement militantes, agissant notamment en faveur des Roms, aient appelé vingt fois au sujet de la même personne.

Mme Danièle Hoffman-Rispal. Nous avons visité certains centres d’héber-gement qui n’attribuent pas toutes leurs places au SIAO, mais en conservent une partie en stock. Il est d’autant plus difficile de savoir ce qui se passe sur le terrain.

M. le secrétaire d’État. N’hésitez pas à dénoncer cette attitude : pour ma part, je considère que toutes les places d’hébergement doivent être mises à la disposition des SIAO.

M. Arnaud Richard. Pour l’instant, ce n’est pas le cas.

M. le secrétaire d’État. Bien sûr, et c’est tout l’enjeu de la création de ces services. Lorsqu’en juillet 2009 j’ai effectué ma première maraude en compagnie de Xavier Emmanuelli, le 115 n’attribuait que 30 % des places d’hébergement. On n’avait donc aucune visibilité sur les 70 % restantes.

M. Martin Choutet. En matière d’urgence, ce taux atteint 100 % à Paris.

M. le secrétaire d’État. Mais pas en matière d’insertion. C’est pourquoi j’ai donné une instruction claire aux préfets et aux directions de la cohésion sociale : les associations ont parfaitement le droit de refuser d’attribuer des places, mais alors l’État ne paiera plus. Dans le but de mettre en place un service public de l’hébergement et de l’accès au logement, nous avons créé les SIAO avec l’accord de tous les partenaires associatifs – même si certains en critiquent la mise en œuvre. Dans ces conditions, j’exige 100 % de visibilité. Une association peut trouver des raisons de ne pas mettre ses places à disposition, mais dans ce cas, elle doit renoncer à ses financements.

Je souhaite, pour finir, aborder la question de la gouvernance, évoquée par la Cour des comptes à la fin de son rapport.

Du point de vue administratif, la politique de l’hébergement a été ballottée d’un ministère à l’autre au cours des dernières années : un jour elle est rattachée à l’action sociale, le lendemain au logement, etc. Pour ma part, lors de chaque remaniement ministériel, j’ai toujours plaidé auprès de Matignon afin que l’hébergement soit rattaché au ministère du logement. En effet, dans la mesure où nous travaillons avec le secteur associatif, les bailleurs sociaux, les collectivités locales, un rattachement à l’action sociale constituerait une erreur stratégique. En outre, le ministre en charge de l’hébergement doit également l’être du logement, car son but doit être de faire accéder au second le plus possible de bénéficiaires du premier.

Si on considère les niveaux administratifs inférieurs, alors qu’en Île-de-France, au sein de la Drihl – direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement –, l’organisation est la même qu’au plan ministériel, l’hébergement et le logement sont au contraire séparés dans deux directions d’administration centrale et dans les services déconcentrés hors l’Île-de-France. À un certain moment, il conviendra donc d’harmoniser l’organisation. Si nous ne l’avons pas fait, c’est parce qu’une telle réforme ne pouvait avoir lieu en même temps que la refondation. Mais la question se posera à nouveau dans l’avenir, au moins dans les régions accueillant de grandes métropoles et concentrant tous les problèmes d’hébergement.

M. Arnaud Richard. Par ailleurs, depuis l’adoption de la loi « Grenelle 2 », il n’est peut-être plus nécessaire de rattacher le logement au ministère du développement durable.

M. le secrétaire d’État. Sur cette question de la définition du périmètre ministériel, je suis très partagé. Je sais que certains plaident en faveur d’un ministère autonome, mais, à mes yeux, l’enjeu principal est moins le logement que l’urbanisme. Pour réussir la ville durable, nous devons développer des politiques communes en matière de transport, d’énergie et de logement – sans pour autant confier tous les sujets à un même ministère, sinon cela devient l’hôtel Matignon. On peut éventuellement séparer le logement du reste à condition d’y adjoindre la ville, mais séparer le logement de l’urbanisme n’aurait aucun sens.

ANNEXE 3

AVIS DU SECRÉTAIRE D’ÉTAT CHARGÉ DU LOGEMENT
SUR LE RAPPORT REMIS PAR LA COUR DES COMPTES AU CEC

Par courrier en date du 24 janvier 2012, M. Benoist Apparu a adressé aux rapporteurs l’avis suivant sur le rapport remis par la Cour des comptes au CEC :

La Cour des Comptes a réalisé un travail d’évaluation remarquable, très complet, qui embrasse tous les aspects d’un sujet par nature complexe, se situant au croisement de compétences et d’acteurs multiples. Ce rapport assure également une mise en perspective européenne utile à la réussite de la stratégie de la refondation française.

Il constitue sans aucun doute un document de référence pour l’Etat dans son action actuelle et à venir ; le gouvernement s’appuiera sur ses recommandations.

• I) Avis général

e) les points d’accord :

La Cour reconnaît à la fois le caractère nécessaire d’une réforme de ce secteur et l’intérêt des choix stratégiques et des mesures structurantes qui ont été prises dans le cadre de la refondation (Stratégie du « Logement d’abord », humanisation, mise en place des SIAO, des Ccapex).

Il n’y a donc pas de divergence avec le gouvernement sur cet aspect essentiel, qui, par ailleurs, recueille aussi l’adhésion des associations et des acteurs du logement et qui s’inscrit en cohérence avec les conclusions de la conférence Européenne de consensus de décembre 2010.

La Cour rappelle l’augmentation substantielle des moyens dévolus à cette politique, et ses effets concrets déjà perceptibles sur la vie quotidienne des personnes sans abri. En effet, l’augmentation de 29% des moyens dédiés sur le Programme 177 à l’hébergement et le logement adapté entre 2007 et aujourd’hui est bien le signe que ce chantier national est une priorité.

La Cour souligne également que cette réforme repose sur les échanges avec les usagers et sur la nécessité d’intégrer ceux-ci dans les processus de construction et de mise en œuvre des politiques qui les concernent. De ce point de vue, l’expérience du nouveau Conseil Consultatif des Personnes Accueillies et Accompagnées (CCPA) est reconnue.

La Cour invite le gouvernement à accélérer la mise en œuvre de certains outils structurants, à les conforter (Par exemple : faire en sorte que les SIAO remplissent désormais toutes les missions qui leur sont confiées, rationaliser leur organisation, renforcer l’intermédiation locative, atteindre les objectifs fixés en matière de création de pensions de famille, etc.). Le gouvernement entend inscrire résolument son action dans ces orientations. Par ailleurs, l’accompagnement des acteurs au changement va se poursuivre, en s’appuyant en particulier sur les sites pilotes. Un programme exceptionnel d’accompagnement des acteurs et des territoires est engagé et se poursuivra jusqu’à la mi 2013.

b) des points positifs qui apparaissent sous-estimés :

La Cour valorise insuffisamment les effets positifs mais « non visibles » de la refondation :

- des modalités de travail partagées avec les associations et un dialogue qui se renforce avec les acteurs du logement d’insertion et les bailleurs sociaux (il faut constater que l’implication constructive des acteurs partenaires se poursuit en parallèle à leurs expressions « publiques » parfois critiques),

- une adhésion aux objectifs et principes de la réforme que la tenue des assises inter régionales et nationales du « logement d’abord » a permis de consolider,

- des rapprochements entre services de l’Etat : cohésion sociale et logement en particulier, des avancées notables en matière de travail inter ministériel, ne serait-ce que par la participation des différents ministères au comité de la refondation ou à un certain nombre de groupes de travail (sur les liens santé et logement, sur la prise en charge des sortants de prison par exemple).

c) les divergences :

La Cour préconise une augmentation des capacités d’hébergement dans les zones tendues, où la pression de la demande reste forte.

Une telle orientation n’non-conformes pas souhaitable et serait contraire aux principes même du « logement d’abord ». Dans les régions où les acteurs sollicitent des places d’hébergement supplémentaires, tous les leviers pour mobiliser des logements ne sont toujours pas intégralement utilisés. C’est pourtant cette voie qui permettra d’apporter des réponses de fond, durables et efficientes : il s’agit donc de privilégier la reconstitution de l’intégralité du contingent préfectoral ainsi que la mobilisation de l’intégralité des 25% des attributions des collecteurs d’Action Logement pour les ménages prioritaires au titre du DALO ou sortants d’hébergement. Plutôt que l’augmentation constante du nombre de places d’un secteur « hors du droit commun », l’accélération des sorties d’hébergement est la démarche plus efficace et soutenable pour pouvoir accueillir de nouveaux entrants en hébergement.

La piste d’un rééquilibrage progressif des moyens entre régions, déjà amorcé, sera également poursuivie.

Toutefois, ces éléments ne concernent pas les capacités d’hébergement des demandeurs d’asile, dont le nombre a augmenté très fortement, et qui sont du ressort du Ministère concerné.

Concernant l’évolution du nombre de personnes sans domicile fixe, la difficulté résulte autant de la disparité des sources que de leur insuffisance. Pour cette raison, on ne peut déduire des informations disponibles qu’il y a une forte augmentation des personnes sans domicile fixe. Il existe par ailleurs une confusion en matière de dénombrement des personnes sans abri, parmi lesquelles sont parfois comptabilisées aussi les personnes hébergées, dont le nombre identifié augmente dès lors que le nombre de places augmente.

Enfin, la Cour n’a pas complètement intégré toutes les conséquences des arbitrages du Premier Ministre concernant le budget du programme 177. La Cour évoque une baisse des crédits délégués en 2011 au regard de l’année 2010. Pourtant, suite au décret d’avance du 30 novembre 2011, 75 millions d’euros, à répartir sur deux ans, sont venus abonder le Programme 177, ce qui permet une parfaite stabilité du budget de l’hébergement et du logement adapté, à hauteur de 1128 millions d’euros, pour les années 2010-2011-2012.

Par conséquent, les estimations de la Cour sur les crédits consacrés en particulier à la veille sociale et à l’hébergement d’urgence sont inexactes car partielles.

Il faut par ailleurs souligner que cette stabilité à un niveau record des crédits s’accompagne pour la première fois d’une réelle visibilité, puisque les crédits disponibles pour chaque région ont été notifiés dès le 21 octobre, ce qui permet aux services de l’Etat une anticipation pour mettre en œuvre la stratégie. Pour la première fois, le montant global notifié aux régions pour l’année suivante est égal et non inférieur au budget de l’exécuté de l’année en cours ; on peut ainsi parler d’un budget soutenable et sincère. Cela constitue une avancée considérable pour faciliter le pilotage et la mise en œuvre opérationnelle de la réforme.

• II) Avis sur des points particuliers (Pages 15 à 17 du rapport de la Cour)

e) La connaissance des publics concernés :

L’enquête auprès des sans domicile réalisée par l’INSEE et l’INED conduite en 2012 offrira des données très complètes sur le profil des personnes, leur parcours professionnel, familial et résidentiel ainsi que sur leurs conditions de vie actuelles.

Cette enquête ponctuelle est utile, mais ne pallie que partiellement l’absence d’un système d’information stable et robuste.

La montée en charge des SIAO, véritables plates-formes d’observation de la demande et de l’offre à l’échelle des territoires départementaux, va permettre de construire en 2012 ce dispositif d’information. Des travaux seront conduits avec les associations pour s’assurer que le Système d’information des SIAO mis en place par l’Etat répond bien à l’ensemble des besoins répertoriés, dans sa nouvelle version (4è génération prévue courant 2012).

La base de données sociales des SIAO (BDOS), un entrepôt de données alimenté par des données anonymisées issues des différents logiciels SIAO, permettra la restitution d’indicateurs ainsi que des travaux d’analyse et d’études à partir des données brutes individuelles. Cette base de données nationale sera mise en place dans le courant de l’année 2012, avec pour fonction de regrouper les informations relatives à l’offre d’hébergement, à la nature des demandes, au profil des demandeurs, à leur situation au moment de la demande et au suivi de leur parcours résidentiel jusqu’à l’accès au logement. Elle sera alimentée par l’ensemble des SI-SIAO. La BDOS sera accessible aux opérateurs et à l’Etat : SIAO, fédérations d’associations et services de l’Etat (DDCS/DDCSPP, DRJSCS, DRIHL, DGCS, DREES) et à différents niveaux géographiques : territoire du SIAO, département, région, Non-conformes entière. Dès le début de l’année 2012, un schéma de gouvernance de la BDOS sera mis en place : comité de concertation avec l’ensemble des acteurs concernés ; un comité scientifique et éthique ; un comité technique des usagers ainsi que des comités territoriaux.

Par ailleurs, la mise en œuvre du numéro unique d’enregistrement de la demande de logement social sera pleinement opérationnelle en 2012, et va aussi constituer une source précieuse d’informations.

Enfin, dans plusieurs régions, ont d’ores et déjà été mis en place des « observatoires régionaux des populations fragiles » : la MIPES en IDF, la MRIE en Rhône-Alpes et l’observatoire régional de la précarité en PACA. Le souhait de ces observatoires est de s’organiser en réseau dès 2012 (un contact est pris avec l’ONPES pour la coordination).

b) La prise en compte des besoins des personnes hébergées :

Les SIAO constituent la pierre angulaire d’un service public de l’hébergement et de l’accès au logement. Il sera nécessaire, dans des délais rapides, de faire évoluer les SIAO : le gouvernement veillera à ce que la distinction entre urgence et insertion s’efface et que sauf rares exceptions il n’y ait plus qu’un seul SIAO par département. L’accent sera également mis sur la nécessité de réexaminer l’organisation et le fonctionnement de la veille sociale dans son ensemble au regard de la montée en charge du SIAO : intégration du 115 et des SAO (sauf si l’organisation et le fonctionnement actuels sont optimaux).

En outre et de façon plus large, la DGCS prévoit de produire pour mai/juin 2012 de nouvelles instructions qui tiendront compte des travaux en cours :

- par lettre du 21 juin 2011, le secrétaire d’Etat chargé du logement a demandé à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de procéder à l’évaluation des services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO), un an après leur mise en place opérationnelle, en application de la circulaire du 8 avril 2010. Les résultats de cette mission seront rendus fin janvier/début février 2012.

- la FNARS et la Croix Rouge ont pour mission de réaliser un guide des bonnes pratiques des SIAO pour la fin du 1er semestre 2012.

- depuis novembre 2011, la DGCS organise régulièrement des réunions du club des 10 SIAO. Des préconisations concrètes sur le fonctionnement des SIAO ainsi que sur les partenariats locaux sont attendues à l’issue de trois séances de travail (novembre, décembre 2011, février 2012)

Une étude juridique et financière sur les incidences de l’évolution de l’offre d’hébergement et d’accompagnement par les opérateurs Accueil Hébergement Insertion est en cours à la DGCS. Une information sur le sujet sera donnée aux services déconcentrés dans le cadre de la préparation à la contractualisation 2012.

Les travaux conduits avec les 10 territoires pilotes permettront, plus rapidement et de façon plus intense et innovante, dès 2012, une « mise en pratique » de l’ensemble des priorités issues des assises nationales « Logement d’abord ». La DGCS a mis à disposition de ces territoires un accompagnement rapproché mis en œuvre par l’ANSA.

La place et l’évolution du rôle des usagers s’appuieront en 2012 sur les travaux menés par le CNLE. Les CCPA régionaux, qui feront l’objet d’un soutien financier accru du Ministère, seront opérationnels dans les 10 territoires pilotes « logement d’abord ». Il sera également demandé aux services déconcentrés, selon les modalités les plus appropriées au niveau local, d’intégrer systématiquement l’expertise des personnes concernées à l’occasion de la révision des PDAHI et PDALPD.

c) Les sorties vers le logement :

Depuis l’été 2010, une stratégie globale de reconquête des contingents préfectoraux a été menée. Elle prend appui sur :

- l’affichage explicite de l’objectif d’utilisation de la totalité des droits de réservation de l’État, c’est-à-dire 25 % des logements en stock ou 25 % du flux des libérations de tous les logements ;

- l’évolution des textes (décret 15/02/2011 et arrêté du 10/03/2011, modifié le 23/09, sur les conventions de réservations, qui donnent aux préfets les moyens juridiques de récupérer et de gérer convenablement leur contingent) ;

- la mise à disposition des DDCS et des DDT d’un outil de reporting des bailleurs sociaux sur les attributions de logements imputées sur le contingent préfectoral afin de connaître en temps réel les attributions en question.

Une évaluation des méthodes mises en place et des résultats obtenus sera réalisée par le CGEDD au cours du premier trimestre 2012.

Concernant les pensions de famille, à la suite du rapport de la Cour, des instructions ont été données aux préfets par circulaire du 13 janvier 2012, pour amplifier leur développement. Les objectifs déjà fixés aux régions doivent être à minima atteints, et, pour les régions qui le sollicitent, une réévaluation à la hausse sera rendue possible sous certaines conditions. L’ambition quantitative ne doit pas faire oublier les exigences qualitatives. A cet égard, le public visé pour les pensions de famille est celui évoqué par la circulaire de 2002 et les projets non-conformes à ces orientations, devront faire l’objet d’une autorisation exceptionnelle de la DGCS, «  à titre expérimental ». Le logement adapté aux besoins de publics ne pouvant pas directement, pour des raisons diverses, accéder à un logement, comprend également les résidences sociales. Il s’agit de les développer. Les actions utiles seront mises en œuvre dès la publication des résultats de l’étude sur le logement adapté qui doit être rendue au début de l’année 2012 (étude DIHAL/DGCS/DHUP).

Concernant les transformations du parc d’hébergement, le volume et le phasage des transferts, il a été décidé d’en confier la responsabilité aux préfets. Les instructions ministérielles du 13 janvier 2012 portent aussi sur ce sujet. Les préfets devront conduire une concertation avec tous les acteurs dès le mois à venir pour organiser la mise en œuvre concrète du « Logement d’abord » sur leur territoire et engager des transformations concrètes, en s’appuyant en premier lieu sur les opérateurs volontaires.

d) La prévention de la mise à la rue :

La prévention de la mise à la rue nécessite le développement de l’observation sociale et le renforcement de l’action interministérielle, en particulier sur 4 volets : prévention à destination des publics sortant de l’Aide Sociale à l’Enfance, sortants de prison, prévention santé et prévention des expulsions locatives. Dans cette perspective, différents travaux sont en cours ou sont prévus pour le courant du premier semestre 2012 :

- la constitution d’un groupe de travail associant l’administration pénitentiaire sur la situation des sortants de prison est en cours. En outre, le programme travail de l’IGAS a inscrit pour 2012 une évaluation de la situation des sortants de prison (hébergement, insertion, accès aux droits plus généralement) ;

- un groupe de travail sur la situation des jeunes sortants ASE, ou suivis par des missions locales et l’Education nationale, est prévu pour le premier semestre ;

- un groupe de travail sur la santé, animé par la DIHAL, a livré ses préconisations, actuellement à l’étude à la DGS. En outre, des travaux sont prévus avec les ARS en février/mars 2012, dans le cadre des Programmes Régionaux pour l’Accès à la Prévention et aux Soins en particulier.

Concernant la prévention des expulsions locatives :

Les Ccapex (commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives) sont désormais en place dans l’ensemble des départements. L’enjeu étant maintenant de s’assurer de leur plein fonctionnement, le ministère a engagé une série de travaux qui visent à accompagner la montée en charge du dispositif :

-une mission d’analyse a été confiée au Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD) sur les bonnes pratiques développées dans le cadre de la mise en place des Ccapex ;

-une analyse des règlements intérieurs des Ccapex a été réalisée par l’Agence Nationale pour l’Information sur le Logement (ANIL), afin de dégager des pistes en matière de définition des dossiers complexes, de types d’avis et de recommandations, ou encore de modes d’organisation des commissions. L’ANIL a produit par ailleurs une étude sur le profil des ménages en impayé, qui sera complétée par une nouvelle enquête qualitative réalisée à partir d’entretiens avec des ménages récemment expulsés de leur logement.

Les conclusions de ces travaux seront partagées avec l’ensemble des services de l’Etat en charge de cette problématique lors d’une première journée nationale d’étude sur le sujet, qui se tiendra le 9 février 2012.

Enfin, un amendement en cours d’examen dans le cadre du projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs, vise à renforcer les compétences de la Ccapex (transmission des commandements de payer par les huissiers, coordination renforcée avec le tribunal d’instance, extension du champ de compétence de la Ccapex en vue notamment d’émettre des recommandations aux locataires).

e) Le pilotage de la politique de refondation :

La question du pilotage de la politique publique de l’hébergement et de l’accès au logement est évidemment cruciale.

Le décloisonnement progressif des champs de l’hébergement et du logement, qui sous-tend la refondation, sans qu’il implique pour autant la disparition d’un secteur au profit d’un autre, nécessite un pilotage transversal et interroge de fait la structuration actuelle des services de l’Etat concernées, tant au niveau central que déconcentré. La diversité des problématiques à prendre en charge renvoie également à la dimension interministérielle du pilotage.

Comme le constate la Cour, il n’y a pas de solution nouvelle, radicale, et évidente pour modifier la gouvernance au niveau national. Aussi, la question mérite d’être approfondie.

Pièces jointes : Tableaux des capacités d’hébergement (cf. pages suivantes)

La circulaire du 13 janvier 2012 relative à la mise en œuvre opérationnelle du logement d’abord est accessible par le lien suivant : http ://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2012/01/cir_34461.pdf

ANNEXE 4

« CHOSES VUES » LORS DES DÉPLACEMENTS
ET VISITES DES RAPPORTEURS

Centre d’hébergement d’urgence et d’assistance des personnes sans-abri (Chapsa) du Centre d’accueil et de soins hospitaliers (CASH) de Nanterre, 25 janvier 2011

Nous avons choisi de nous déplacer en premier lieu au CASH de Nanterre car, du point de vue de l’hébergement d’urgence, il est un établissement à la fois emblématique et très particulier.

Emblématique, car il a longtemps été – et est encore – associé à la vétusté, l’inconfort et le caractère collectif de ses anciens dortoirs collectifs ; son image de « repoussoir » auprès de certaines personnes sans-abri est aussi le produit de son histoire, puisqu’il fut créé au XIXe siècle pour l’hébergement – à l’époque non consenti dans bien des cas – des indigents et des vagabonds à une époque où le vagabondage et la mendicité constituaient des délits.

Particulier, car il n’est pas un établissement associatif ; la loi précise qu’il est un établissement public autonome et spécifique de la Ville de Paris à caractère sanitaire et social, dont le conseil d’administration est présidé par le Préfet de police de Paris. Par ailleurs, outre son secteur social et médico-social, il est constitué d’un hôpital de 286 lits, dont le service des urgences enregistre 37 000 passages par an (dont 7 000 au titre des personnes accueillies par le centre d’hébergement d’urgence et d’assistance des personnes sans-abri – Chapsa).

Notre visite du 25 janvier 2011 s’est cantonnée au Chapsa – soit le centre d’hébergement d’urgence proprement dit, ainsi qu’aux locaux des lits halte soins santé (LHSS – 48 lits) et de l’accueil de jour.

Le secteur social et médico-social du CASH est composé de bien d’autres compartiments, qui le rendent présents à toutes les étapes de notre dispositif « accueil, hébergement, insertion » : les locaux du CASH abritent ainsi le 115 du département des Hauts-de-Seine, des équipes de rue, un service domiciliation, un CHRS de 126 places, un CHRS de longue durée de 140 places, ainsi qu’une résidence sociale de 56 logements. Par ailleurs, le CASH abrite un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) de 248 lits. L’ensemble du secteur social et médico-social bénéficie enfin d’une consultation médicale dédiée et bien entendu, le cas échéant, d’une facilité d’hospitalisation, ce qui est particulièrement utile.

Nous sommes accueillis au Chapsa (notamment par M. Philippe Thomas, directeur général du Cash de Nanterre, Mme Chantal Lacombe, adjointe au directeur, M. Éric Saldumbide, directeur de la vie sociale et de l’insertion et M. Dominique Cornacchia, directeur du pôle urgence sociale et orientation) à la nuit tombée, au moment de l’arrivée des personnes sans-abri qui vont prendre une douche, se restaurer et passer la nuit dans les chambres de quatre à huit lits qui se sont substituées aux dortoirs collectifs. Les personnes accueillies sont acheminées au Chapsa soit par la Brigade d’assistance aux personnes sans-abri de la Préfecture de police (Bapsa), soit par les soins de la RATP. Les arrivants sont visiblement en situation de très grande précarité ; nous ne parvenons que difficilement à engager une conversation avec certains d’entre eux sur leur situation et le pourquoi de leur venue au Chapsa ; un peu plus tard, nous constaterons la même difficulté d’entrer en communication et d’échanger réellement dans la salle où sont servis les repas. Pour autant, une étude menée par le Chapsa sur 100 personnes parmi celles accueillies en 2010 montre que 13 d’entre elles étaient salariées.

Nous pouvons constater que l’accueil des personnes sans-abri est réellement inconditionnel. La seule formalité est l’invitation à décliner verbalement son identité, « contrainte » dont les personnes accueillies peuvent s’acquitter par un surnom. Elles peuvent bénéficier d’un casier individuel pour y déposer leurs affaires et sont invitées, avant le repas, à prendre une douche. Nous visitons pendant quelques instants une chambre vide de huit lits. Le temps des grands dortoirs collectifs inhumains est révolu depuis d’importants travaux à la fin des années 1990 ; le Chapsa reste en revanche un établissement en partie « classique » dans les prestations qu’ils offrent au titre de l’hébergement d’urgence : un accueil « à la nuitée » (avec remise à la rue chaque matin), en petit collectif pour dormir, dans des conditions limitées de confort.

Nous visitons ensuite la halte de jour, ouverte depuis 2009. Environ 40 personnes y sont accueillies quotidiennement, pendant la partie de la journée où l’accès au Chapsa n’est pas autorisé. L’accueil de jour permet précisément la prise en charge d’une partie des personnes accueillies la nuit au Chapsa, notamment parmi celles qui « attendent » hors les murs  – dans le quartier alentour – l’heure à laquelle elles pourront de nouveau avoir accès au Chapsa. Les équipes de rue dirigent parfois ces personnes vers l’accueil de jour.

Nous nous rendons ensuite dans l’« unité 2 » du Chapsa, ouverte en octobre 2010 suite au Plan de relance de l’économie. Cette unité – constituée de chambres pouvant accueillir deux personnes – prévoit une prestation d’hébergement d’urgence continue, avec droit au maintien dans les murs pour plusieurs semaines ou mois, le temps de définir et de lancer une orientation positive pour les personnes accueillies. Cette unité est en phase avec le droit issu de la loi Molle de 2009 de demeurer sur place, en hébergement d’urgence, le temps de définir une orientation consentie. La capacité de cette unité – très récente – à remplir son rôle auprès des personnes traditionnellement reçues au Chapsa est encore incertaine ; beaucoup d’entre elles ne sont pas prêtes à un travail social menant à une orientation.

En visitant cette unité 2 et au contact de ses travailleurs sociaux, nous nous interrogeons aussi sur l’objet de cette « marche d’escalier » supplémentaire, dont l’un des débouchés est l’accueil en CHRS, notamment les deux CHRS qu’abrite le site du Cash. Tout en gardant son rôle incontournable de mise à l’abri « à bas seuil » de personnes souvent très déstructurées, le Chapsa cherche aussi à s’adapter à la volonté des pouvoirs publics de faire de l’hébergement d’urgence une étape réellement orientée vers l’insertion, dans des conditions d’accueil stabilisées et continues. Sur les trois derniers mois de l’année 2010, l’unité 2 du Chapsa a accueilli 38 personnes, dont 11 salariées ; six d’entre elles disposaient d’un contrat à durée indéterminée (CDI).

Nous visitons enfin les LHSS, dont la vocation est d’accueillir en milieu médicalisé des personnes sans domicile dont l’état de santé nécessite qu’elles ne soient pas laissées à la rue, sans pour autant que leur hospitalisation soit requise. Le taux d’occupation des 40 lits en LHSS s’élève à plus de 90 %.

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CHRS Carteret, association Alynea,
Lyon, 13 avril 2011

Nous sommes accueillis en début de soirée au CHRS Carteret par Mme Hennÿ Beyer, présidente de l’association Alynea (association lyonnaise nouvelle d’écoute et d’accompagnement) et par M. Jérôme Colrat, son directeur. Installé sur un terrain appartenant à la ville de Lyon, le CHRS se compose d’une quinzaine de bungalows – composés dans la plupart des cas de deux petits studios de (très) petites dimensions – et de locaux communs, notamment pour la restauration collective. Le terrain est surplombé d’une voie ferrée, sur laquelle passe, durant notre visite, plusieurs trains de marchandise.

Le CHRS Carteret accueille de façon inconditionnelle un peu plus de 30 personnes très marginalisées, dont des couples. Les personnes accueillies peuvent être accompagnées de leur chien. Beaucoup d’entre elles présentent des problèmes d’addiction, notamment à l’alcool. Au vu de certains comportements dans l’enceinte du CHRS, nous pouvons constater – ce qui nous est confirmé – que la consommation d’alcool est tolérée dans l’enceinte du CHRS, en application du principe selon lequel les règles doivent être souples en direction des personnes accueillies, afin d’atteindre l’objectif d’amorcer une orientation consentie vers la réinsertion. Par ailleurs, l’interdiction de l’alcool serait, selon l’équipe qui nous accueille, contournée et conduirait sans doute, à proximité du site, à des comportements d’alcoolisation massive avant d’entrer dans l’enceinte du centre.

Cette tolérance, comme celle d’ailleurs consistant en l’accueil des personnes accompagnées de leurs chiens, se situe dans la logique de l’association Alynea, qui prévoit, avant toute chose, d’accueillir toute personne comme elle est, dans un cadre rassurant, stabilisant et socialisant. Il s’agit de faire preuve d’une haute tolérance des comportements de personnes très déstructurées, pour progressivement les amener à participer à une vie sociale et à un projet personnel.

Nous nous entretenons avec l’un des délégués élus des personnes accueillies, ainsi qu’avec un jeune homme accompagné de son chien. Au cours de ces conversations à la tonalité plutôt agréable et ouverte, nous constatons – pour le premier de nos deux interlocuteurs – une certaine difficulté à sortir d’un propos descriptif et répétitif, centré sur les réelles difficultés du passé, marquées par une forte addiction à l’alcool (censée avoir été surmontée). Le jeune homme, en rupture de toute attache familiale, semble prêt à envisager un « avenir meilleur », et ce malgré les séquelles d’un grave accident de la route qui le handicapent fortement pour un projet professionnel.

De retour dans le bungalow des travailleurs sociaux, les représentants et salariés de l’association nous font part de leur questionnement par rapport aux moyens dont ils disposent. Comment investir financièrement, alors que le terrain dont l’association dispose fait l’objet d’un bail précaire ? Comment s’occuper convenablement de plus de trente personnes, et assurer la sécurité de tous –  y compris des travailleurs sociaux, qui font l’objet de nombreux accidents du travail suite à certaines violences – avec un encadrement parfois très léger ? Comment prendre en charge et faire vivre en collectivité des personnes lourdement atteintes de pathologies psychiatriques, dont les symptômes ne sont pas toujours détectables ab initio ?

Nous quittons le CHRS Carteret marqués par le courage et l’ambition d’un projet tourné vers des personnes en très grandes difficultés ; et par la précarité de ce projet, la faiblesse de ses moyens, ainsi que son isolement géographique.

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CHU Gabriel Rosset, association le Foyer Notre-Dame des sans-abri,
Lyon, 14 avril 2011

Suivant les conseils de notre collègue Étienne Pinte, nous décidons de modifier le programme de notre déplacement en région Rhône-Alpes, afin d’y ajouter la visite du CHU Gabriel Rosset géré par l’association le Foyer Notre-Dame des sans-abri. Nous sommes accueillis par M. Benoît Viannay, président de l’association, sur un site pour lequel elle bénéficie d’un bail emphytéotique de 99 ans conclu avec la commune de Lyon.

L’association le Foyer Notre-Dame des sans-abri est connue et reconnue dans l’agglomération lyonnaise et, au-delà, dans toute la région Rhône-Alpes ; elle peut ainsi s’appuyer sur une capacité historique à récolter des fonds dans des proportions considérables, même si un peu plus de la moitié de son financement est issue de subventions publiques.

Le CHU Gabriel Rosset peut accueillir presque 200 personnes quotidiennement, essentiellement des hommes seuls, mais aussi quelques couples. Nous constatons la qualité des installations, tant des chambres que des parties collectives, notamment les locaux pour la restauration collective. La mise en œuvre du droit à rester dans les murs est effective depuis peu. Ce qui a posé un problème de principe qui a été tranché par l’État : une « absence » d’une nuit – par exemple, pour un homme seul ayant très épisodiquement un contact avec son enfant, et qui séjourne ponctuellement pour être en capacité de l’accueillir – doit-elle conduire à l’abandon de sa chambre par cet homme dans le CHU ? L’État a décidé du maintien à disposition de la chambre dans ce cas d’absence épisodique ; ce qui peut conduire à laisser une chambre très ponctuellement inoccupée.

Par ailleurs, les personnels qui nous accueillent témoignent de la nécessité d’articuler le principe du droit – nouveau – à rester dans les murs, avec la motivation nécessaire pour envisager une orientation permettant la sortie de l’hébergement d’urgence. Le rapport aux personnes accueillies est en tout état de cause empreint d’une incitation à l’exercice de la responsabilité, par appel le cas échéant à la participation financière pour certaines prestations de (petits) services (brosse à dent, kits sanitaires…).

Le Foyer Notre-Dame des sans-abri s’appuie sur un nombre non négligeable de salariés (environ 250), mais aussi sur presque 1 500 bénévoles. Ceux-ci apportent du temps, de l’expertise et des compétences dans tous les domaines : médecine générale, soins infirmiers, coiffure, ou encore éducation.

Les locaux du 115 du Rhône se situent dans le CHU Gabriel Rosset. Nous passons rapidement dans ces locaux, observant les suites données à certains appels et, notamment, la recherche de chambres d’hôtel disponibles pour accueillir des familles.

Pendant tout le temps de cette visite, nous avons pu mesurer la force que confèrent la taille importante d’une l’association, son histoire ancrée dans un territoire et sa capacité à fédérer les énergies et les moyens.

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Résidence accueil Primavera, association Aurore
Paris (18e), 30 mai 2011

Nous sommes reçus à la résidence accueil Primavera gérée par l’association Aurore par la directrice de la résidence et une partie de l’équipe des travailleurs sociaux qui y exercent. Au cours des premiers échanges, nous apprenons que l’association Aurore a créé des « résidences accueil » depuis 2006, qui sont des maisons relais dans lesquelles les résidents sont suivis par une équipe hospitalière pour leurs difficultés psychiques et psychiatriques. À la résidence accueil Primavera, les habitants – qui y bénéficient d’un logement pérenne comme toutes les personnes logées dans une maison relais – sont suivis par des équipes de l’hôpital public Maison blanche.

La résidence accueille 24 personnes, qui ont le statut de locataire et bénéficient d’un bail d’une durée de cinq ans renouvelable. 17 d’entre elles sont issues des hôpitaux qui les ont prises en charge au titre de leur pathologie psychique ou psychiatrique et 7 autres sont issues de CHU ou CHRS et ont été accompagnées vers la résidence accueil par les services de l’État. Le travail social, qui s’organise autour de la présence permanente d’un maître de maison, consiste notamment à proposer des activités socialisantes à des personnes qui ont, pour beaucoup d’entre elles, une tendance à l’enfermement et au retrait. La condition de leur accueil à la résidence est que leur pathologie soit stabilisée et ne nécessite plus une prise en charge autre qu’un suivi réalisable par une équipe hospitalière leur rendant visite régulièrement.

Si les résidents ont vocation à rester dans les murs pour y vivre, l’équipe de la résidence nous explique tenter de développer pour chaque locataire un projet de vie, qui peut conduire in fine à prévoir un déménagement dans un logement de droit commun ; en 2010, trois locataires ont quitté la résidence pour emménager dans un logement ordinaire. Le projet de vie peut aussi consister en une recherche d’emploi, par exemple dans un centre d’aide par le travail.

L’équipe nous précise que les difficultés psychiatriques, dont les manifestations les plus lourdes apparaissent classiquement à l’adolescence, conduisent certains jeunes directement dans la rue. L’enjeu pour la veille sociale est de savoir détecter ces situations et de procéder, dès le premier contact, à une bonne orientation. Le SIAO – dont la mise en place fait encore l’objet à l’époque de négociations entre l’État et les associations – doit permettre des progrès en la matière.

Au niveau budgétaire, l’équipe indique que les 16 euros par jour et par personne reçus de la part de l’État sont insuffisants pour boucler le budget de la résidence. Celle-ci récupère directement les aides au logement et fait participer quand cela est possible les locataires pour des sommes minimes. L’équilibre budgétaire pourrait être plus simple à atteindre si le nombre des locataires était supérieur. Mais les services de l’État n’incitent pas à dépasser le seuil des 25 personnes par maison relais. En tout état de cause, toutes les choses faites « en plus », par exemple les sorties culturelles ou les activités de cuisine, nécessitent des ressources mobilisées auprès de tiers comme les fondations d’entreprise, les magasins d’alimentation, l’agence du don en nature…

L’équipe nous sensibilise aussi à la difficulté de recruter des salariés bien formés et motivés, pour encadrer et accompagner des personnes stabilisées, mais qui, parfois, « décompressent ». La vie privée et familiale du maître de maison, logé sur place dans un logement de fonction, constitue bien entendu aussi un enjeu pour réussir un recrutement sur ce type de poste.

Nous achevons notre visite en nous rendant dans le logement loué par une personne qui accepte de nous y accueillir quelques minutes. Nous échangeons sur les difficultés à vivre une vie apaisée dans un logement – une petite pièce en tout et pour tout – avec des voisins considérés comme bruyants notamment la nuit ; la personne à laquelle nous rendons visite nous montre toutefois qu’elle est autonome et peut faire la cuisine, après avoir acheté ses provisions, comme tout le monde, dans la petite surface commerciale la plus proche.

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Centre d’hébergement d’urgence « Crimée »
pour femmes seules ou avec leurs enfants,
Centre d’action sociale de la Ville de Paris
Paris (19e), 30 mai 2011

Nous sommes accueillis par une partie de l’équipe sociale du centre d’hébergement « Crimée », – géré par le Centre d’action sociale de la Ville de Paris (CASVP) –, qui a abrité depuis sa création des femmes seules ou avec enfants, initialement selon des modalités « asilaires », c’est-à-dire sans travail social. Celui-ci a commencé à se développer à partir de 1984. En 1999 et en 2005-2006, le centre a connu une profonde restructuration de ses locaux historiques (qualifiés de « sordides » par l’équipe en place) et de son objet : s’il a toujours le statut de centre d’hébergement d’urgence, il propose désormais des durées de séjour d’environ 20 mois, toujours pour des femmes seules ou avec enfants, en vue de sorties vers le logement social de droit commun, via le Dalo. Malgré ces durées longues de séjour, le centre n’est pas devenu un CHRS, alors qu’il en a les caractéristiques. Le relèvement du coût « à la place » pour les financeurs publics qui serait induit par le changement de statut n’est pas étranger au statut quo. En 2010, le centre a reçu 743 demandes d’admission pour une trentaine de places libres.

Le centre d’hébergement « Crimée » accueille beaucoup de femmes ayant vécu à l’hôtel, y compris au titre d’une prise en charge par l’Ase quand elles sont accompagnées d’enfants de moins de trois ans. Les femmes accueillies ont subi dans de nombreux cas des violences conjugales, ce qui explique, à un moment donné, leur isolement. Elles arrivent au centre, dans la plupart des cas, avec des situations personnelles et professionnelles qui ne leur permettent pas de prétendre à un logement social. Les trois quarts des femmes accueillies sont ressortissantes de pays hors l’Union européenne, mais sont en situation régulière, souvent détentrices de leur deuxième titre de séjour. In fine, 70 % des femmes accueillies sortent du centre avec un travail et pour habiter un logement social. Elles sont parfois aidées ensuite pour s’équiper dans leur logement par le FSL et la CAF.

Les femmes accueillies participent à leur hébergement à hauteur de 20 % de leurs ressources ; elles doivent aussi financer éventuellement la ou les places en crèche pour leurs enfants. Celle-ci est située dans les murs et accueille aussi des enfants vivant dans le quartier. Au-delà de l’heure de fermeture de la crèche, la garde des enfants n’est pas assurée par le centre ; les femmes accueillies doivent s’être organisées, notamment entre elles.

L’équipe du centre précise que la durée d’hébergement, très longue, finit par avoir un impact négatif sur l’énergie et le moral des femmes, alors que les douze premiers mois d’hébergement sont souvent ressentis par les intéressées comme une chance et un nouveau départ. Pour cette équipe, le « logement d’abord » doit permettre le raccourcissement de la durée de séjour dans le centre. À la longue, il devient plus difficile de faire partager aux femmes accueillies l’idée qu’elles bénéficient d’une chance en étant hébergées au centre « Crimée ».

Nous visitons les locaux, ainsi qu’une chambre disponible, dont les petites dimensions nous laissent entrevoir la promiscuité de la vie des femmes avec leurs enfants pendant plusieurs mois et souvent plus d’un an. Les chambres ne sont pas équipées de kitchenette et les repas sont pris dans l’espace de restauration collective. Nous y prenons notre repas du midi avec certaines femmes ayant accepté d’échanger avec nous. Nous mesurons la dureté de certains moments de leur vie passée, le rôle stabilisateur du centre et leur désir de mener à l’avenir une vie « normale » dans un logement de droit commun.

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Espace solidarité insertion (ESI), accueil de jour,
Fondation de l’Armée du salut
Paris (3e), 30 mai 2011

Nous descendons sous le boulevard Saint-Martin dans l’ancienne station de métro éponyme, dans des locaux qui, s’ils appartiennent encore à la RATP, sont mis à disposition pour accueillir un ESI, c’est-à-dire un accueil de jour pour les personnes sans domicile. Les ESI, dont une partie du financement est assurée par la Ville de Paris, sont au nombre de 15 intra muros. Le directeur de l’ESI Saint-Martin nous précise que l’espace accueille des personnes qui vivent surtout dans le nord-est de Paris.

Leur sont notamment proposés – uniquement pendant la journée – un lieu pour se poser (les locaux sont équipés de sanitaires, de douches et y sont offertes des boissons chaudes), des renseignements pour s’orienter dans la recherche d’aides sociales, un service de domiciliation et quelques activités comme la mise à disposition de livres ou le visionnage collectif de films (un film est diffusé pendant notre visite devant quelques dizaines de personnes). Le directeur nous confie qu’il n’est pas facile de quantifier la « valeur ajoutée » de l’ESI mais il l’estime importante, surtout à l’égard de personnes pour lesquelles il s’agit du seul lieu où elles sont convenablement accueillies durant la journée.

Pour le directeur, le travail social consiste en premier lieu à imposer des règles aux personnes accueillies et à les aider à se rendre présentables ; toutes choses indispensables pour se rendre dans une permanence sociale d’accueil (PSA) de la Ville de Paris, afin d’explorer les possibilités de s’orienter positivement (cf. supra s’agissant du rôle des PSA à Paris).

Une très grande partie des personnes accueillies est sans papier, souvent sans aucune pièce d’identité et sans aucun droit, si ce n’est l’hébergement d’urgence via le 115 et, le cas échéant, le bénéfice de l’aide médicale de l’État (AME). Les primo-arrivants sont souvent exténués par un voyage qu’ils ont payé au prix fort, tant financièrement que physiquement. Ils viennent en premier lieu de l’Afrique du Nord, dans une moindre mesure d’Afghanistan et d’Irak. Les ressortissants de pays de l’Est de l’Europe, dont les Roms, n’ont que peu recours à l’ESI, parce qu’ils s’appuient plus volontiers sur les solidarités nationales. Il nous est précisé que si la France a pu avoir pour des personnes accueillies une image d’eldorado, ce n’est plus le cas aujourd’hui ; le souhait d’y venir n’a pour autant pas baissé. Le directeur nous signale voir apparaître un public un peu nouveau, en situation régulière et en très grande précarité.

Le public des personnes accueillies à l’ESI est quasi exclusivement masculin ; très peu de femmes et de couples s’y rendent. Il y a moins de violence qu’on pourrait le croire, selon le directeur, malgré quelques passages à l’acte, ce qui nécessite en tout état de cause des équipes professionnelles et pérennes.

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CHRS rue de Malte et rue Oberkampf, association Atoll 75
Paris (11e), 30 mai 2011

Nous sommes reçus par les dirigeants de l’association Atoll 75 dans les locaux d’un restaurant géré par l’association, tenu par des bénévoles et qui sert aussi de lieu de restauration collective aux personnes hébergées dans le CHRS géré par l’association (dont certaines des chambres sont situées au-dessus de ce restaurant). Atoll 75 revendique en tout état de cause son immersion dans le quartier ; et sa grande discrétion, qui est au cœur de ses modalités de travail auprès des personnes sans-abri.

Le travail de rue des éducateurs spécialisés de l’association commence par une implantation dans un quartier, en nouant des contacts amicaux et informels avec les personnes qui, de façon évidente, habitent dans la rue. Il s’agit de « tricoter » progressivement un lien personnel, sans nommer, ni présenter l’association elle-même ; et sans non plus, au départ, présenter les objectifs du travail social, c’est-à-dire l’hébergement ou le logement, d’une part, et l’activité professionnelle via des chantiers d’insertion d’autre part.

L’équipe d’Atoll 75 précise que ses modalités de travail ne sont pas classiques, au regard du travail social plus conventionnel en CHU et CHRS consistant par exemple à proposer d’emblée de faire valoir des droits au bénéfice d’une aide sociale. Cette équipe admet que son travail n’est envisageable qu’avec le secours de base apporté aux personnes sans-abri par l’hébergement d’urgence de type « mise à l’abri » et par les accueils de jour.

Est enfin soulignée la difficulté de l’exercice du métier d’éducateur spécialisé, qui nécessite une grande confiance en soi. La formation est difficile et les éducateurs spécialisés dûment diplômés ne se lancent que rarement dans le travail de rue tel qu’il est pratiqué par l’association.

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Accueil de jour, association l’Écoute de la rue,
Nantes, 29 juin 2011

Nous sommes accueillis par Mme Masson, présidente de l’association l’Écoute de la rue, dans des locaux (de taille modeste) se situant à quelques centaines de mètres de la préfecture de Loire-Atlantique et de la région des Pays-de-la-Loire. L’association s’appuie uniquement sur des bénévoles, notamment des retraités. Le principe originel de l’association – financée par l’État mais aussi par le conseil général et la mairie de Nantes – est de patrouiller dans les rues, toujours en duo rassemblant une femme et un homme, à la rencontre des personnes sans-abri. En outre, l’association s’appuie désormais sur un accueil de jour, qui propose une halte-repos (par exemple autour d’un café), une socialisation et de premiers éléments d’orientation vers certains services sociaux.

En 2010, 200 personnes différentes sont passées à l’accueil de jour pour environ 3 500 passages. La fréquentation est en forte augmentation en 2011. 40 % des personnes qui fréquentent l’accueil de jour ont moins de 30 ans. Elles ont pour une partie d’entre elles été prises en charge par l’Ase durant leur minorité, mais ce n’est pas le cas de toutes, loin s’en faut. Certains jeunes « visiteurs » viennent de subir une décohabitation difficile avec leurs parents.

L’équipe qui nous reçoit est assez dubitative sur le bien-fondé des principes de la refondation : le “logement d’abord” lui semble un principe inadapté pour un nombre substantiel des personnes qu’elle rencontre durant la journée. Nous “tombons” par ailleurs à un moment délicat du dialogue – notamment budgétaire – entre les associations du département et l’État : une importante fédération locale a choisi de boycotter le fonctionnement du SIAO. Nous constatons que l’image de ce nouveau dispositif s’en trouve affectée, alors que l’équipe de l’association considère que la qualité du premier accueil est primordiale.

Nous nous entretenons avec quelques personnes accueillies dans ce lieu accueillant. Est exprimée l’idée chez certains de nos interlocuteurs d’un acharnement personnel contre eux, ainsi – comme dans d’autres endroits visités – qu’une grande défiance envers les autorités publiques et les responsables politiques.

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Halte de nuit, association les Eaux vives
Nantes, 29 juin 2011

Nous sommes accueillis vers 22 h 40 dans cette structure ouverte depuis le 26 décembre 2008. Sa première vocation est de procéder à une mise à l’abri pendant la nuit, en parfaite inconditionnalité, mais sans endroit aménagé pour dormir ; pendant l’hiver, jusqu’à 60 personnes, la plupart fortement alcoolisées, s’y rassemblent, alors qu’une affluence de 30 personnes constitue déjà un travail substantiel d’accueil et d’encadrement pour le personnel. La principale orientation conseillée est l’appel au 115, dès lors que la personne revient chaque nuit pendant une durée jugée trop longue ; la confiance des publics accueillis envers la capacité du 115 à leur offrir une solution convenable est limitée. L’équipe des travailleurs sociaux tente parfois d’inciter certaines personnes accueillies à se tourner vers certains services sociaux (CCAS notamment).

Beaucoup des personnes accueillies ont des problèmes psychologiques ou psychiatriques très lourds. La formation des travailleurs sociaux est insuffisante pour faire face à ce public. Certains jeunes précédemment pris en charge au titre de l’Ase se retrouvent dans la halte de nuit, souvent avec des chiens. Il est complexe de faire cohabiter ces jeunes avec les personnes en difficulté psychiatrique. La halte de nuit accueille aussi quelques femmes célibataires, peu nombreuses.

L’équipe nous confie ne pas savoir si elle mène sa mission de façon efficace. Les conditions de travail sont très compliquées : le bâtiment n’est pas conçu pour accueillir un grand nombre de personnes: il faut constamment surveiller trois entrées. Si l’arrivée d’un vigile a allégé les tâches de surveillance, elles demeurent lourdes, dans un contexte où la violence est quotidienne. Les travailleurs sociaux nous précisent que la soirée est très calme, du fait de l’observation dont nous sommes l’objet par les personnes accueillies. L’insertion de la halte de nuit est difficile dans le quartier : il est incontestable qu’elle attire des nuisances. Si la consommation d’alcool et de drogues est interdite dans les locaux de l’association, elle existe aux alentours, ce qui induit de surcroît l’existence de trafics. Les travailleurs sociaux observent au demeurant une augmentation des quantités absorbées d’alcool et de stupéfiants, toujours plus tôt suite au passage à la vie dans la rue.

Dans ce lieu très difficile, nous passons un agréable moment, en discussion avec des travailleurs sociaux, des employés et certaines personnes accueillies ; certaines d’entre elles s’apprêtent à se reposer dans une petite salle où sont installés des transats. La halte de nuit n’est pas un dortoir mais on peut s’y reposer dans le calme.

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Plateforme d’accueil et d’information des demandeurs d’asile (Aida),
association Saint-Benoît Labre
Nantes, 30 juin 2011

Nous nous entretenons avec M. Benoît Moreau, président de l’association, M. Jean-Claude Laurent, directeur, ainsi qu’avec certains de ses salariés. L’association, fondée en 1953, a eu initialement pour objet l’hébergement d’urgence généraliste. Elle a diversifié ses activités en ouvrant un CHRS, des ateliers et chantiers d’insertion et gère aussi depuis peu des lits halte soins santé (LHSS). À l’initiative de l’État à compter de 2002, l’association s’est tournée vers le premier accueil des migrants primo-arrivants, afin de faire face à un flux migratoire croissant. Depuis la création de la plateforme Aida, ce flux n’a cessé de croître et le nombre des salariés affectés à cette activité est passé de 3 à plus de 12 aujourd’hui.

La première mission de la plateforme consiste à domicilier les migrants pour qu’ils puissent bénéficier de l’autorisation provisoire de séjour (APS), préalablement à la constitution d’un dossier de demande d’asile. L’équipe de la plate-forme considère travailler « à la chaîne » pour accomplir cette mission. Le 29 juin 2011, veille de notre visite, 11 personnes ont été prises en charge par la plateforme. De 2007 à 2010, le nombre des domiciliations est passé de 300 à plus de 600 par an.

L’association aide ensuite les demandeurs d’asile dans la confection et la défense de leur dossier. Elle les guide aussi pour qu’ils s’orientent dans l’ensemble des prestations d’aide sociale et de travail social dont ils peuvent bénéficier, y compris auprès des collectivités territoriales. Elle les assiste pour leur hébergement, en proposant des places en centre d’accueil des demandeurs d’asile (Cada) ou des nuitées d’hôtel. Nous est signalée la difficulté institutionnelle de la prise en charge des familles de demandeurs d’asile ayant un enfant handicapé, qui peut relever – selon les interprétations – de l’État ou du conseil général.

L’association nous précise que le délai d’instruction d’une demande d’asile, qui fait l’objet d’un appel, est de 18 à 20 mois. Dans 30 % des cas, le droit d’asile est accordé. Seules 7 à 8 % des personnes déboutées acceptent l’aide au retour. Le reste des personnes déboutées a en principe vocation à quitter le territoire français.

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The Big Issue
Londres, 13 septembre 2011

Nous échangeons dans les locaux de cette « entreprise sociale » et association situées à la périphérie du centre de Londres. Créée il y a 20 ans, le cœur de son activité est la réalisation d’un journal hebdomadaire– « The Big Issue » –, réalisé en grande partie par des journalistes professionnels et qui aborde tout sujet d’actualité, difficile ou plus léger (le soutien inconditionnel à la cause des personnes sans domicile est un fil rouge du journal). Le journal est vendu par l’entreprise à des personnes sans-abri ou très précaires, à charge pour elles de les revendre dans la rue en trouvant leur clientèle. 126 000 exemplaires sont vendus chaque semaine aux personnes sans abri. En moyenne, une proposition de vente à la rue sur quatre aboutit à la vente d’un journal. Un vendeur « réussit » à obtenir un certain équilibre économique quand il vend 50 exemplaires dans la semaine, ce qui nécessite beaucoup de travail, sans être hors de portée.

L’objectif est que la personne sans domicile devienne « économiquement active », en capitalisant en parallèle sur la plus-value apportée par l’activité de vente en termes d’estime de soi et de projection vers l’avenir. La personne sans domicile doit devenir son propre patron, car elle doit réfléchir à réaliser des économies afin d’être en capacité d’acheter de futurs exemplaires. L’entreprise constitue aussi un lien entre cette personne et les services sociaux auxquels elle pourrait s’adresser pour se faire aider. The Big Issue a récemment choisi de ne plus proposer directement de travail social, car l’entreprise considère ne pas apporter de plus-value par rapport aux offres existantes en la matière ; elle s’interroge aussi sur la « dépendance » des vendeurs à ce type d’offre sociale, risquant de minorer l’effet recherché d’un rebond par soi-même dans le cadre d’une réelle activité économique.

Les profils des vendeurs ont changé depuis la création de l’entreprise : il y a 20 ans, le vendeur était souvent un ancien ouvrier britannique des usines qui ont fermé au Royaume-Uni dans les années 80. Aujourd’hui, il y a plus de personnes issues de l’immigration et l’addiction à l’alcool et aux drogues est omniprésente dans la rue. Le vendeur « moyen » est aujourd’hui plutôt un homme d’environ 30 ans, parmi les plus défavorisées des personnes qui vivent à la rue. Ce qui est nouveau et alarmant est que certaines personnes disposant d’un logement souhaitent également vendre le journal, afin d’éviter de devoir le quitter faute de ressources.

Les parcours des vendeurs sont très divers. Certains sortent effectivement du sans-abrisme à cette occasion ou renouent avec leur famille. Ce peut être une étape dans un plus long chemin. Un autre effet patent de la vente du journal est qu’elle correspond à une « normalisation » de la vie à la rue aux yeux des acheteurs, qui éprouvent moins de peur et d’hostilité à l’égard des personnes contraintes d’y vivre. Ce changement de regard renforce l’estime de soi du vendeur.

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Centre d’hébergement Arlington House,
Londres, 14 septembre 2011

Le centre d’hébergement se trouve près du centre de Londres, dans le quartier de Camden, en pleine expansion. Il s’agit d’un bâtiment ancien, de très grande taille, sur sept étages, entièrement et soigneusement rénové. L’investissement a été massif pour « transfigurer » ce lieu qui fut il y a un siècle un établissement pour travailleurs. Pour les responsables qui nous reçoivent, il fallait « faire beau » pour se donner la chance de faire bien, en faisant autrement.

Le centre d’hébergement s’appuie sur sa localisation intéressante dans Londres pour louer une partie de ses locaux à des entreprises qui, en plus de leurs activités commerciales classiques, proposent aux résidents de la formation professionnelle par l’apprentissage. Ces services de formation sont aussi proposés aux personnes en situation de précarité habitant dans le quartier. Nous constatons qu’une entreprise proposant à ses clients des fichiers musicaux à télécharger est installée dans les locaux, ainsi que deux studios de photographie. Un cabinet d’architecture s’y est aussi implanté.

Ces entreprises sont attirées par la modicité des loyers commerciaux pratiqués par Arlington House, eu égard aux prix pratiqués dans le quartier de Camden. Elles bénéficient aussi en retour d’une image de type « économie sociale et solidaire » dont elles peuvent chercher à tirer bénéfice. Le bâtiment abrite par ailleurs un centre de conférence qui est offert à la location. Le travail de collecte de fonds est systématique, réalisé à grande échelle, notamment auprès des personnes fortunées. L’équilibre économique s’appuie aussi sur une participation substantielle des personnes accueillies à leur hébergement, étant entendu qu’une partie des chambres relèvent du logement social.

De fait, le public accueilli est très divers. Il semble qu’il y ait des étudiants en formation, payant environ 150 euros par semaine pour résider à Arlington House. Il y a par ailleurs des personnes en très grande difficulté, accueillies en urgence pendant six à huit semaines, voire jusqu’à six mois dans les cas d’addiction les plus difficiles. Un travail social « de base » est mis en œuvre pour ces personnes, avant de leur proposer une orientation vers l’insertion par la formation professionnelle.

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Centre d’hébergement Saint Mungo’s,
Londres, 14 septembre 2011

Ce centre d’hébergement est situé dans le centre de Londres (quartier de Westminster), dans des bâtiments hors du commun, puisqu’il s’agit d’une ancienne paroisse entièrement aménagée pour accueillir des personnes sans domicile. Nous sommes en premier lieu accueilli par la fédération Homeless Link, qui regroupent 500 associations travaillant dans le domaine de la lutte contre le sans-abrisme. La fédération est l’interlocuteur des pouvoirs publics nationaux et locaux (notamment le Grand Londres) sur le sujet.

Homeless link partage la vision « pro-active » des pouvoirs publics : il faut aller chercher les personnes sans abri et passer un accord avec elles sur un projet de réinsertion, auquel chaque partie se tient solidement et ce, sans jamais procéder à une remise à la rue sans orientation bien définie au préalable. La baisse observée au Royaume-Uni depuis 2002 du nombre des personnes sans abri viendrait de cette démarche volontariste. Par contre, la fédération estime que le gouvernement britannique se trompe en considérant pouvoir réduire les aides au logement – dont bénéficient d’ailleurs les personnes pour financer leur hébergement dans les centres – eu égard à la baisse attendue des loyers du fait de la crise. Le risque est réel de voir le nombre de personnes sans abri augmenter.

La fédération gère aussi directement des centres comme celui de Saint Mungo’s ; pour cette partie opérationnelle de son activité, elle est financée à 45 % sur fonds publics, recourt de façon massive à la collecte de fonds (1 millions de livres sterling par an, soit environ 1,2 millions d’euros) et vend des prestations de services au titre de sa partie « entreprise sociale » (formations, conférences, conseils, systèmes d’information sur les personnes sans domicile). Homeless link bénéficie par ailleurs de financements de fondations d’entreprise.

Les représentants d’Homeless Link nous précisent que 50 % des personnes sans domicile dans le quartier de Westminster sont des ressortissants britanniques, ayant des difficultés graves de socialisation. Ces hommes célibataires sont les « perdants » du droit au logement britannique, qui, à la charge des collectivités territoriales, fonctionne plutôt bien en direction précisément des jeunes, des familles, des personnes handicapées ou âgées. L’autre moitié des personnes sans-abri sont des ressortissants étrangers, issus en grande partie des pays de l’Est de l’Europe. Le retour forcé de ces personnes dans leur pays d’origine est un axe exploré par les pouvoirs publics. D’ailleurs, il nous est précisé qu’il y a bien une approche territorialisée de la prise en charge des personnes sans abri, à l’intérieur même du Royaume-Uni : le centre Saint Mungo’s n’a pas vocation à prendre en charge les personnes « venues » d’autres régions du pays.

Le centre Saint Mungo’s propose des durées de séjour assez longues pour une première mise à l’abri, en tout cas du point de vue de l’urgence telle qu’elle est encore pratiquée en France. Les séjours pour évaluation des difficultés durent environ huit semaines en règle générale. Les séjours d’insertion sont prévus pour des périodes allant de 6 mois à un an, parfois plus encore.

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Maraude avec des agents de l’unité d’assistance aux personnes sans-abri de la direction de la prévention et de la protection (DPP) de la Ville de Paris,
Paris, 15 décembre 2011

Nous accompagnons pendant une partie de la nuit deux agents de l’unité municipale d’assistance aux personnes sans-abri de la Ville de Paris. Leur rôle consiste, sur le domaine notamment des bois et parcs de la Ville de Paris, à rencontrer les personnes sans abri, à vérifier qu’elles ne courent pas de danger immédiat et à tenter de leur proposer une orientation d’urgence dans certains cas. Toute famille avec enfant rencontrée la nuit est ainsi incitée à prendre l’attache du Samu social pour trouver une solution d’hébergement sans délai, à l’hôtel dans la plupart des cas. Les agents nous confient qu’ils appellent eux-mêmes le 115 dans certains cas et, parfois, acheminent sans délai des familles pendant la nuit dans des hôtels en grande banlieue, qui peuvent être situés à plusieurs dizaines de kilomètres du lieu où ils les ont rencontrées.

Nous commençons cette maraude par un arrêt dans les tunnels routiers situés sous les halles. Plusieurs dizaines de personnes vivent dans divers endroits de ces tunnels, cachés de la vue des automobilistes et de leurs passagers. La consommation de drogues et d’alcool est massive pour les personnes que nous rencontrons, qui refusent tout hébergement ou tout projet, même rudimentaire, d’orientation. Les agents vérifient qu’elles ne sont pas en détresse physique qui nécessiterait une intervention médicale rapide.

Nous nous rendons ensuite place de la République, où se situent des jardins centraux, lieux de vie de plusieurs ressortissants polonais, bien connus des agents qui nous accompagnent. Le rôle de ces agents consiste en l’espèce en la vérification de la bonne application de la réglementation de la ville concernant ses parcs et jardins ; les passants peuvent-ils circuler dans des jardins ? Ces jardins subissent-ils des dégradations ? Les personnes sans-abri fuient notre présence dès que nous arrivons. Par souci de sécurité, les agents de la Ville de Paris se contenteront d’éteindre le brasero autour duquel elles se réchauffaient et cuisinaient avant que nous repartions. Nul doute qu’il ne tardera pas à être rallumé.

La destination suivante est un talus du périphérique situé près de la porte d’Aubervilliers. Y vivent, « à l’abri » de tout regard, des familles roumaines roms, dans des cabanes en bois, dont le chauffage est assuré par la combustion de palettes dans des cylindres centraux en métal ; la fumée s’échappe par des cheminées bricolées. Nous savons que des enfants en bas âge dorment dans ces abris de fortune et qu’ils sont scolarisés dans l’école la plus proche. Ces familles refusent d’être hébergées à l’hôtel, car cela signifierait pour elles un éloignement de plusieurs dizaines de kilomètres de Paris.

Nous finissons cette maraude par une visite rendue à des personnes sans-abri résidant dans des tentes situées sous la pile d’un pont situé près de Bercy. Ils sont une vingtaine d’hommes, de diverses nationalités. Tous sont en rupture de la société depuis longtemps et très marqués physiquement par la vie à la rue. Là aussi, les agents de la ville vérifient que leur état de santé ne nécessite pas une intervention en urgence. En ce soir de tempête correspondant à une alerte orange, les agents de la ville nous raccompagnent à l’adresse abritant le siège de leur unité pour repartir assurer la sécurité de plusieurs centaines de personnes qui vivent dans des campements dans les bois de Vincennes et de Boulogne.

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Centre d’hébergement d’urgence pour femmes isolées avec enfants,
Centre d’hébergement pour hommes seuls,
Viroflay et Versailles,
Association Hôtel social Saint-Yves
19 décembre 2011

Nous sommes reçus à Viroflay par M. Jacques Duez, président de l’association Hôtel social Saint-Yves (HSSY) et par M. Pierre Verzy, directeur général, dans un centre d’hébergement d’urgence où sont accueillies des femmes isolées accompagnées de leurs enfants. Le centre peut accueillir jusqu’à 35 personnes dans 14 studettes, qui ne permettent pas à ce stade de faire la cuisine. Les repas sont donc pris dans un espace collectif, en attendant que se concrétise le projet d’équiper les chambres de kitchenette. Nous visitons aussi la crèche, qui accueille les enfants des femmes hébergées par le centre.

Nous sommes frappés par la qualité et la clarté des locaux, notamment des parties collectives. Les responsables de l’association nous indiquent que ce point, qui est bien entendu un atout, doit aussi être « géré » : les personnes qui sont accueillies se sentent bien et en sécurité dans ce bâtiment de surcroît situé dans un quartier pavillonnaire accueillant. Il faut donc une offre d’orientation emportant l’adhésion des femmes accueillies pour que des places soient libérées dans cet établissement dont la vocation première est l’accueil en urgence.

De fait, les durées de séjour sont relativement longues, afin que le travail social permette d’envisager une sortie dans de bonnes conditions ; c’est-à-dire avec un travail, un logement décent et une situation clarifiée au regard du droit de séjour des étrangers, eu égard au nombre important des femmes de nationalités étrangères qui résident dans le centre.

Nous nous rendons ensuite dans le centre d’hébergement d’urgence des Mortemets situé à Versailles, qui accueille des hommes seuls. Ce centre dispose de 65 places, réparties dans des chambres où résident en règle générale deux personnes. Les locaux, qui ont servi à partir du milieu des années 1990 à l’accueil provisoire en hiver de personnes sans domicile, sont assez vétustes ; les parties collectives sont accueillantes mais très petites.

Les responsables de l’HSSY souhaiteraient une amélioration radicale du bâtiment dont ils disposent, mais ce type de dossier est très difficile à concevoir et faire avancer, et ce d’autant plus que l’association n’est pas propriétaire des lieux. Il faut mobiliser – chose difficile pour une association – des compétences immobilières et de maîtrise d’œuvre, et disposer d’une assistance de qualité de la part des services déconcentrés de l’État. Tout en constatant que leurs relations sont bonnes avec ces services – ce qui a conduit à la conclusion dès 2010 d’un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) –, les responsables de l’association constatent que la réforme de l’administration territoriale de l’État a changé leurs interlocuteurs et a dispersé des compétences dans différents services, au risque de les affaiblir.

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Bateau « Je sers », association la Pierre Blanche
Conflans-Sainte-Honorine, 19 décembre 2011

Nous sommes accueillis à l’heure du déjeuner par M. Christian Souchon, président de l’association la Pierre Blanche, qui gère les activités du centre d’hébergement d’urgence du bateau « Je sers », amarré sur les quais du port fluvial de Conflans-Sainte-Honorine. Nous partageons le repas des personnes accueillies sur le bateau. Nous échangeons avec certaines personnes accueillies et les responsables de ce centre, pour beaucoup membres de la communauté assomptionniste résidant dans cette paroisse (qui demeure dédiée aux bateliers – l’association de l’entraide sociale batelière, liée à la Pierre Blanche, perpétue aujourd’hui cette fonction originelle d’assistance concrète aux personnes de la profession).

Le bateau accueille chaque jour une centaine de personnes, pour le repas ou pour l’hébergement dans les cabines. La vie y est « communautaire » au sens où les personnes accueillies sont pleinement investies dans l’entretien des locaux, la confection des repas et plus largement dans les activités liées à la cuisine. Celle-ci vient précisément d’être rénovée. L’accueil est bien entendu inconditionnel, le cas échéant en prévoyant des installations de fortune et de dernière minute dans la salle où sont servis les repas, pour y faire dormir des personnes qui « frappent à la porte ». Les responsables de « Je sers » nous précisent qu’ils sont parfois tenus de refuser du monde, quand l’admission n’est pas envisageable eu égard à l’espace du bateau qui n’est pas extensible.

Le fonctionnement du centre s’appuie sur le travail de certains salariés et sur l’engagement de bénévoles relativement nombreux ; il apparaît que le rayonnement historique de la paroisse et son rôle connu et reconnu auprès des plus démunis mobilisent les énergies locales. Depuis peu, le centre a aussi recours à des volontaires du service civique.

Du point de vue matériel, le centre s’appuie sur des activités de récupération et distribution de nourriture (banque alimentaire) et de vêtement (vestiaire) ainsi que de meubles. De façon plus « conventionnelle », l’association la Pierre Blanche gère aussi un dispositif s’apparentant à de l’intermédiation locative : elle loue des appartements à son nom qu’elle sous-loue par la suite à des personnes et des familles en démarche de réintégration sociale.

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Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et locaux
de l’association Agir, Combattre, Réunir (ACR)
Conflans-Sainte-Honorine, 19 décembre 2011

L’association ACR est peut-être ce qu’il est convenu d’appeler un « assemblier » dans les domaines de l’hébergement et de l’accès au logement des personnes sans domicile ou mal logées. En nous accueillant dans leurs locaux, sa présidente Mme Françoise Léger et son directeur général M. Jean-Paul Carceles nous présentent une impressionnante panoplie d’activités.

Au titre de son pôle d’hébergement, dirigé par Mme Henriette Pottier, ACR gère en premier lieu un CHRS disposant de 30 places, situé dans des maisons relativement anciennes de la ville de Conflans-Sainte-Honorine ; pour les responsables de l’association, des travaux seraient nécessaires pour ces locaux peu adaptés au départ pour l’hébergement collectif, et ce d’autant plus que les mêmes locaux abritent un service d’accueil et d’orientation en direction des sortants de prison et des personnes souhaitant obtenir le droit à l’hébergement opposable (Daho) ; dans ce dernier cas, l’association prépare les dossiers des personnes souhaitant bénéficier du Daho, en amont de l’examen de leur dossier par la commission départementale compétente.

ACR gère l’ensemble du dispositif de veille sociale du département des Yvelines. Nous visitons les locaux des répondants du 115, qui constituent aussi le lieu d’implantation du SIAO du département des Yvelines ; il semble que soient effectivement signalées au SIAO toutes les places d’urgence disponibles dans l’ensemble du département. Nous « testons » le logiciel qui permet de mettre en regard les demandes de mise à l’abri et les offres disponibles. Nous constatons, avec l’équipe du SIAO, la puissance potentielle de l’outil informatique ainsi que le travail d’analyse encore à concevoir pour exploiter les possibilités qu’il offre en matière de suivi des personnes au titre du travail social et d’élaboration de bases de données statistiques. Au-delà de ces éléments techniques, l’équipe nous montre que le nombre des appels au 115 a augmenté de 30 % en 2009 par rapport à 2008 et de 20 % en 2010 par rapport à 2009. La tendance à la hausse perdure en 2011.

ACR a pris en charge par ailleurs des activités dans le cadre de l’intermédiation locative et gère ainsi 60 unités familiales ; auxquelles s’ajoutent 43 autres unités familiales en logements passerelles, dont le fonctionnement s’apparente à celui de l’intermédiation locative.

La qualité du travail d’ACR a conduit les services de l’État à demander à l’association de prendre en charge un nombre important des activités énumérées ci-dessus. Cette reconnaissance ne va pas sans difficultés pour les responsables de l’association. Ils s’inquiètent de l’évolution des carrières de leur personnel, eu égard à l’augmentation de la quantité et de la qualité du travail qui leur est demandé. Ils souhaiteraient que l’État développe la formation professionnelle à l’endroit des salariés et promeuve les carrières d’encadrement. Le manque de perspective dans un contexte de tensions accrues concernant les conditions de travail pose un problème à terme pour le fonctionnement de l’ensemble du système.

ANNEXE 5

QUESTIONNAIRE ADRESSÉ PAR LES RAPPORTEURS
À 30 CONSEILS GÉNÉRAUX

Entre le 29 juin et le 4 juillet 2011, les rapporteurs ont adressé aux présidentes et présidents de 30 conseils généraux (Alpes-Maritimes, Ariège, Bas-Rhin, Bouches-du-Rhône, Calvados, Cantal, Essonne, Eure, Gironde, Haute-Garonne, Hauts-de-Seine, Hérault, Ille-et-Vilaine, Loire-Atlantique, Manche, Meurthe-et-Moselle, Moselle, Nord, Paris, Pas-de-Calais, Pyrénées-Orientales, Rhône, Savoie, Seine-Maritime, Seine-et-Marne, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Val-d’Oise, Vienne et Yvelines) le questionnaire suivant :

I.– Tableau

1° Remplir le tableau suivant :

Nota Bene : Le tableau renseigné peut être accompagné des tous les commentaires utiles, le cas échéant méthodologiques.

En tout état de cause, doivent être explicités les éléments justifiant qu’un renseignement demandé n’est pas livré.

II.– Le service de l’aide sociale à l’enfance (ASE)

A.– Fonctionnement et activités du service

1° De quelle manière le service de l’ASE de votre département est-il territorialement organisé ?

 Fournir le projet de service prévu par l’article L. 221-2 du CASF et préciser :

– quelles en sont les principales orientations en vigueur et, le cas échéant, quels en sont les éléments s’ajoutant aux obligations légales prévues par le CASF ;

– quelles sont les principales modifications qui l’ont affecté depuis 2005 ;

– quels en sont les éléments précisément relatifs au suivi des trajectoires des majeurs qui étaient pris en charge par l’ASE avant leur majorité ;

– quels en sont les éléments précisément relatifs à l’obligation d’hébergement d’urgence telle que prévue au 4° de l’article L. 222-5 du CASF.

 Depuis 2005, le service de l’ASE a-t-il, au moins partiellement, fait l’objet a) d’un audit ou d’une étude initiée par le département (via, par exemple, l’inspection générale de ses services, un autre de ses services ou un prestataire externe),  ou b) d’un contrôle par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas – cf. article L. 221-9 du CASF) ou par la chambre régionale des comptes? Dans l’affirmative, quelles ont été les principales analyses, conclusions et préconisations de cet audit, étude ou contrôle, et dans quelle mesure ces analyses, conclusions et/ou préconisations ont-elles été retenues et mises en œuvre ?

 Quelles observations pouvez-vous faire sur les évolutions du nombre et des caractéristiques (ou des « profils ») des enfants pris en charge par l’ASE depuis 1995 ?

 

2000

2006

2007

2008

2009

2010

1. AIDE SOCIALE

           

a) Montant des dépenses

           

b) Population du département

           

c) Montant des dépenses d’aide sociale par habitant

           

2. AIDE SOCIALE À L’ENFANCE (ASE, art. L. 221-1 du CASF) :

a) Montant des dépenses :

– en euros

dont dépenses :

de personnel

d’intervention

de fonctionnement

d’investissement

– en % des dépenses d’aide sociale

           

b) Nombre de personnes prises en charge au titre de l’ASE :

dont nombre des :

. mineurs

. jeunes majeurs au titre du dernier alinéa de l’article L. 222-5 du CASF

           

c) Dépenses au titre de l’ASE par enfant pris en charge :

           

d) Jeunes majeurs pris en charge au-delà des obligations légales du département :

. nombre

. montant des dépenses

. montant des dépenses par jeune majeur pris en charge

           

3.  HÉBERGEMENT D’URGENCE (4° de l’art. L. 222-5 du CASF) :

a) Montant des dépenses :

– en euros

dont dépenses :

. de personnel

. d’intervention

. de fonctionnement

. d’investissement

. pour nuitées d’hôtel

. versées à des associations

– en % des dépenses au titre de l’ASE

           

b) Nombre de personnes prises en charge au titre de l’hébergement d’urgence :

dont :

. femmes enceintes

. femmes avec enfant(s) de moins de trois ans

. enfants de moins de trois ans

           

c) Dépenses au titre de l’hébergement d’urgence par enfant pris en charge :

           

d) Nombre de demandes (en comptant 1 personne = 1 demande) d’hébergement d’urgence relevant de la compétence du département :

dont nombre de demandes :

. non satisfaites faute de disponibilités

. adressées au département via les services de l’État (115, SIAO)

           

e) Nombre des places (en comptant 1 personne = 1 place) d’hébergement d’urgence à disposition du département :

dont :

. nuitées d’hôtel

. places gérées par les associations

. places gérées par les services du département

. autres places

           

f) Durée moyenne en nombre de jours de la prise en charge d’une personne au titre de la compétence légale du département en matière d’hébergement d’urgence.

           

g) Dépenses au titre de l’hébergement d’urgence au-delà des obligations légales du département :

dont :

. financement d’actions ou d’organismes relevant de la compétence de l’État en matière d’hébergement d’urgence

. financement d’autres actions ou organismes en application des décisions du département.

           

B.– Les majeurs, après leur prise en charge par le service de l’ASE

 Dans quelle mesure et suivant quelles modalités le département prend-il en charge ou accompagne-t-il des majeurs (au titre de leur prise en charge durant leur minorité par le service de l’ASE et/ou en application du dernier alinéa de l’article L. 222-5 du CASF) ?

 S’agissant des trajectoires des majeurs antérieurement pris en charge durant leur minorité par le service de l’ASE :

– Dans quelle mesure et par quels moyens le département les suit-il ou est-il informé de leur devenir ?

– Transmettre les informations, notamment statistiques, éventuellement disponibles en la matière.

 Quelles sont les modalités et la régularité des contacts éventuels entre a) les services de l’État compétents pour l’hébergement d’urgence et d’insertion des personnes sans abri ou sans domicile, et b) le service de l’ASE de votre département, au titre de la prise en charge par ce service, durant leur minorité, des personnes qu’ils accueillent désormais au titre de la compétence de droit commun de l’État en matière d’hébergement d’urgence ?

 Quel regard portez-vous sur l’hypothèse selon laquelle une partie non négligeable des personnes sans abri ou sans domicile ont antérieurement été prises en charge au titre de l’ASE durant leur minorité ?

III.– La compétence du département en matière d’hébergement d’urgence (4°  de l’article L. 222-5 du CASF)

A.– Les modalités de mise en œuvre de la compétence légale du département

 Quels sont les moyens matériels et humains de « veille sociale » propres au département permettant aux femmes enceintes et aux mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans sans domicile visés par le 4° de l’article L. 222-5 du CASF de rentrer en contact avec les services du département ?

 S’agissant des capacités d’hébergement notamment d’urgence destinées à la prise en charge de ces femmes et enfants :

– Comment le département estime-t-il ex ante les moyens permettant de fixer l’offre relative à ces capacité à hauteur des besoins anticipés ?

– Pourriez-vous décrire concrètement ces capacités, en distinguant les structures et établissements publics (en précisant le rôle du département et de ses personnels dans leur gestion et fonctionnement), les structures et établissements associatifs, les nuitées d’hôtel et les autres modalités (que vous voudrez bien décrire de façon sommaire) ?

– S’agissant de chacune des catégories évoquées à l’alinéa précédent, l’offre d’hébergement d’urgence dont vous disposez vous paraît-elle adaptée, quantitativement et qualitativement, à la « demande » ?

– Dans le cas d’un refus de prise en charge au titre de l’insuffisance des moyens dont dispose le département, selon quelles modalités sont déterminées les personnes effectivement prises en charge ?

– Dans quelle mesure les places d’hébergement d’urgence dont vous disposez ont-elles été, le cas échéant, ponctuellement ou régulièrement utilisées à l’attention de personnes ne relevant pas de votre compétence légale ?

 S’agissant des femmes et enfants accueillis par vos soins au titre de votre compétence en matière d’hébergement d’urgence, depuis 2005 :

– Quelles sont les caractéristiques (ou les « profils ») classiques et atypiques des femmes et enfants pris en charge ?

– Quelles sont les prestations, de tous ordres (repas, soins de soi-même, accès aux soins médicaux, travail social…), que le département sert au titre de leur prise en charge ?

– Quelles sont, pour eux, les solutions classiques et atypiques de sortie de l’hébergement d’urgence ?

 Depuis 2005, l’exercice par le département de sa compétence en matière d’hébergement d’urgence a-t-il, au moins partiellement, fait l’objet a) d’un audit ou d’une étude initiée par le département (via, par exemple, l’inspection générale de ses services, un autre de ses services ou un prestataire externe), ou b) d’un contrôle par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas – cf. article L. 221-9 du CASF) ou par la chambre régionale des comptes ? Dans l’affirmative, quelles ont été les principales analyses, conclusions et préconisations de cet audit, étude ou contrôle, et dans quelle mesure ces analyse, conclusions et/ou préconisations ont-elles été retenues et mises en œuvre ?

B.– Les actions supplémentaires et complémentaires du département

 Dans quelle mesure et selon quelles modalités le département a-t-il mis en œuvre depuis 2005 ou met-il en œuvre une politique d’hébergement d’urgence au-delà des compétences obligatoires prévues par la loi ?

2° Dans quelle proportion les femmes et enfants accueillis par le département au titre de sa compétence en matière d’hébergement d’urgence bénéficient-ils d’une autre ou de plusieurs autres prestations d’aide sociale servies par le département et, dans l’affirmative, lesquelles ?

C.– La coordination avec l’État

 S’agissant des modalités et outils de dialogue et de coordination, le cas échéant de nature conventionnelle, avec l’État au titre de l’exercice par lui et par le département de leurs compétences respectives en matière d’hébergement d’urgence :

– Quels ont été ces modalités et outils depuis 2005 ?

– Quel est le contenu opérationnel actuel de ces modalités et outils ?

– Êtes-vous satisfaits de ces modalités et outils actuels et, le cas échéant, quelles améliorations vous paraissent souhaitables les concernant ?

 La définition et l’exercice des compétences respectives de l’État et de votre département en matière d’hébergement d’urgence ont-ils donné lieu depuis 2005 ou donnent-ils lieu à un débat ou à un contentieux ? Quels en ont été ou quels en sont les termes et, le cas échéant, quelle en a été l’issue opérationnelle et/ou juridique ?

 Quel regard portez-vous sur l’opportunité et l’efficience de la règle légale en vigueur prévoyant une compétence d’hébergement d’urgence de droit commun relevant de l’État et une compétence « résiduelle » relevant du département au titre du 4° de l’article L. 222-5 du CASF ?

 S’agissant des personnes prises en charge par les services du département au titre des prestations d’aide sociale légale et par les services de l’État au titre de leur hébergement :

– Quelles sont les modalités de travail en commun liant vos services et ceux de l’État en faveur de ces personnes ?

– Cette prise en charge « partagée » est-elle selon vous efficiente ?

 S’agissant du plan départemental « accueil, hébergement, insertion » (PDAHI) prévu par la circulaire du 9 décembre 2009 :

– Dans quelle mesure et selon quelles modalités avez-vous été et êtes-vous associé à son élaboration, à sa mise en œuvre et à son actualisation ?

– Dans quelle mesure et selon quelles modalités ce plan est-il articulé avec votre Plan départemental d’action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD) ?

 Quel regard portez-vous sur l’idée d’une décentralisation de la compétence d’hébergement d’urgence et d’insertion exercée par l’État vers les départements (en plus des interrogations légitimes et opportunes sur la nécessaire dévolution des moyens qui accompagnerait une telle réforme) ?

 Dans quelle mesure le département est-il associé au fonctionnement du ou des services intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) ?

 Dans quelle mesure financière et qualitative et selon quelles modalités :

– le département accompagne-t-il ou participe-t-il à la mise en œuvre par l’État de sa compétence de droit commun en matière d’hébergement d’urgence ? L’État sollicite-t-il le département pour procéder à cet accompagnement ou à cette participation ?

– l’État accompagne-t-il ou participe-t-il à la mise en œuvre par le département de sa compétence en matière d’hébergement d’urgence prévue par le 4° de l’article L. 222-5 du CASF ?

IV.– La commission de coordination des actions de prévention des expulsions (Ccapex)

 S’agissant de la création et du fonctionnement de la Ccapex de votre département, pourriez-vous :

– Présenter les termes de la concertation et de la discussion avec l’État qui ont précédé cette création ?

– Préciser la date de cette création, ainsi que les structures, organismes ou procédures auxquels la Ccapex a succédé ?

– Préciser sa composition, son rythme de travail et décrire quelles sont ses activités et ses actions ?

– Présenter les moyens humains, matériels et financiers sur lesquels elle s’appuie et, le cas échéant, préciser quels sont les membres de la Ccapex contribuant à la mise à disposition de ces moyens ?

– Dresser un premier bilan évaluatif, quantitatif et qualitatif, de l’activité de la Ccapex de votre département ?

 Quel regard portez-vous :

– Sur l’opportunité de la mesure nationale ayant régi la généralisation de la création des Ccapex ?

– Sur le fonctionnement de ce dispositif dans votre département ?

V.– Autres considérations et éléments d’informations que le département souhaite porter à la connaissance des rapporteurs (réponse libre)

ANNEXE 6

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
ET AUTRES TRAVAUX DU GROUPE DE TRAVAIL

Auditions :

– M. Étienne Pinte, député, rapporteur pour avis de la commission des Affaires sociales sur la mission budgétaire Ville et logement, (programme Prévention de l’exclusion), auteur d’un rapport en tant que parlementaire en mission, président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) (2 décembre 2010).

– M. Alain Régnier, préfet, délégué interministériel pour l’hébergement et l’accès au logement des personnes sans abri ou mal logées (14 décembre 2010).

– M. Didier Gélot, secrétaire général de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (Onpes) l’Observatoire de la pauvreté (20 janvier 2011).

– Mme Marie-Françoise Legrand, membre du conseil d’administration d’Emmaüs France, présidente de l’association Igloo-France, vice-présidente de l’association Paris-Habitat, M. Bernard Lacharme, secrétaire général, M. Frédéric Pascal, M. Bernard Devert, membres du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées (HCLPD) (10 février 2011).

– M. Jean-Louis Lhéritier, inspecteur général de l’Insee, chef du département des prix à la consommation, des ressources et des conditions de vie des ménages, Mmes Catherine Rougerie, chef de la division du logement, et Mme Françoise Yaouancq, conceptrice de l'enquête auprès des sans-domicile (10 février 2011).

– Mme Sabine Fourcade, directrice générale de la cohésion sociale au ministère des Solidarités et de la cohésion sociale, et Mme Catherine Lesterpt, sous-directrice adjointe à la direction générale de la cohésion sociale (17 février 2011).

– M. Étienne Crépon, directeur de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP), ministère de l’écologie, du développement, Mme Hélène Dadou, sous-directrice des politiques de l'habitat et Mme Hélène Sainte-Marie, directrice de projet droit au logement et à l'hébergement (17 mars 2011).

– M. Jean-Martin Delorme, directeur régional et interdépartemental de l'hébergement et du logement (DRIHL), et Mme Annick Deveau, directrice adjointe de la DRIHL, ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement (17 mars 2011).

– M. Jean-Pierre Hardy, chef du service Insertion, politiques sociales et familles, logement et habitat, à l'Assemblée des départements de France responsable (ADF), et Mme Marylène Jouvien, chargée des relations avec le Parlement (30 mars 2011).

– Mme Nicole Maestracci, présidente de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS) (7 avril 2011).

– Mme Pascale Pichon, enseignante-chercheure à l'Université Jean Monnet de Saint-Étienne (28 avril 2011).

– Mme Brigitte Frénais-Chamaillard, chef du service de l’asile au ministère de l’Intérieur, et Mme Julia Capel-Dunn, chef du département des réfugiés et de l’accueil des demandeurs d’asile (6 juin 2011).

– M. Julien Damon, responsable du département Questions sociales au Centre d'analyse stratégique (27 juin 2011).

– M. Dominique Braye, président de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), accompagné de Mme Edith Le Capitaine, chargée de développement territorial (13 juillet 2011).

– M. Bruno Arbouet, directeur général d’Adoma, accompagné de Mme Nathalie Chomette, directrice de l’exploitation (13 juillet 2011).

– Mme Olga Trostiansky, adjointe au maire de Paris, chargée de la solidarité, de la famille et de la lutte contre l’exclusion, Mme Françoise Stanajic, directrice adjointe du cabinet de Mme Trostiansky, et Mme Geneviève Gueydan, directrice de l'action sociale, de l'enfance et de la santé, à la mairie de Paris (20 décembre 2011).

– audition, sous forme de table ronde, des représentants des organismes et associations suivants : M. Matthieu Angotti, directeur général de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS) ; M. Christophe Louis, directeur de l’association Les enfants du canal et représentant du collectif Les morts de la rue ; M. Éric Pliez, directeur, et M. Armando Magallanes, directeur du pôle hébergement de l'association Aurore ; M. Roland Aubin, délégué du Conseil consultatif des personnes accueillies (CCPA) ; M. Olivier Marguery, directeur des programmes exclusion et Mme Marie Guidicelli, conseillère technique du secteur exclusion de la Fondation de l'Armée du Salut ; Mme Jeanne Dietrich, conseillère technique emploi-logement et M. Claude Chaudières, animateur du groupe prévention-hébergement-logement de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS) ; M. Gilles Desrumeaux, délégué général de l’Union professionnelle du logement accompagné (UNAFO) (21 décembre 2011).

– M. Benoist Apparu, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Écologie, du dévelop-pement durable, des transports et du logement, chargé du logement (17 janvier 2012).

Autres travaux :

– Visite du Centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre (CASH) (25 janvier 2011).

– Réunion de travail avec la Cour des comptes (28 janvier 2011).

– Déplacement dans le département du Rhône et en région Rhône-Alpes (13 et 14 avril 2011).

– Visites dans certains établissements et sites du dispositif « Accueil, hébergement, insertion », à Paris (30 mai 2011).

– Déplacement dans le département de Loire-Atlantique et en région des Pays-de-la-Loire (29 et 30 juin 2011).

– Déplacement au Royaume-Uni (13 et 14 septembre 2011).

– Maraude nocturne avec l’unité d’assistance aux personnes sans abri des inspecteurs de sécurité de la ville de Paris (15 décembre 2011).

– Visites dans certains établissements et sites du dispositif « Accueil, hébergement, insertion », dans le département des Yvelines (19 décembre 2011).

– Réunion du groupe de travail pour l’examen des propositions des rapporteurs (18 janvier 2012).

ANNEXE 7

RAPPORT D’ÉVALUATION DE LA COUR DES COMPTES :
LA POLITIQUE PUBLIQUE DE L’HÉBERGEMENT
DES PERSONNES SANS DOMICILE

Le rapport est accessible dans une version « pdf » grâce au lien suivant : http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rap-info/i4221.pdf

1 () Cf. le rapport de la Cour des comptes, p. 85.

2 ()  La pension de famille associe des logements privatifs et des locaux collectifs avec la présence quotidienne d’un hôte.

3 () Cf. le rapport de la Cour des comptes, pp. 128 et 129.

4 ()  Cf. le rapport de la Cour des comptes, p. 99.

5 ()  Cf. le rapport de la Cour des comptes, p. 55.

6 ()  Cf. le rapport de la Cour des comptes, p. 56.

7 ()  Ibid., p. 68.

8 ()  Cf. le rapport de la Cour des comptes, p. 174.

9 ()  Cf. la lettre de mission du Premier ministre adressée à M. Alain Régnier, Dihal, le 21 septembre 2010, citée par la Cour des comptes dans son rapport, page 176.

10 ()  Cf. la lettre du ministre d’État et du secrétaire d’État chargés du logement adressée au Dihal le 23 août 2010, citée par la Cour des comptes dans son rapport, page 177.

11 ()  Cf. le rapport de la Cour des comptes, p. 178.

12 ()  Cf. le rapport de la Cour des comptes, p. 180.

13 ()  Cf. le rapport de la Cour des comptes, p. 185.

14 ()  Ibid., p. 183.

15 ()  Ibid., p. 188.

16 ()  Ibid., p. 147.

17 ()  Cf. le rapport de la Cour des comptes, p. 151.

18 ()  Ibid.

19 ()  Cf. le rapport de la Cour des comptes, p. 153.

20 ()  Ibid., p. 160.

21 () Cf. le rapport de la Cour des comptes, p. 154.

22 () Ibid., p. 155.

23 () Ibid., p. 160.

24 () Ibid., p. 71.

25 () Ibid., p. 72.

26 ()  Cf. le rapport de la Cour des comptes, p. 76.

27 () Cf. le rapport de la Cour des comptes, p. 202.

28 () Ibid., p. 222.

29 () Cf. le rapport de la Cour des comptes, p. 222.

30 ()  Cf. le rapport de la Cour des comptes, p. 125.

31 () Cf. le rapport de la Cour des comptes, p. 134.

32 ()  Ibid., p. 140.

33 ()  Cf. le rapport de la Cour des comptes, p. 146.

34 ()  Ibid., p. 147.

35 ()  Ibid.

36 () Cf. le rapport de la Cour des comptes, p. 231.

37 ()  Cf. le rapport de la Cour des comptes, page 117. Cette réflexion de la Cour vaut aussi en l’espèce pour la nature, le statut et les missions du « référent personnel » évoqué infra.

38 ()  Cf. le rapport de la Cour des comptes, p. 144.

39 ()  Cf. notamment la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, et les lois n° 2003-1200 du 18 décembre 2003 portant décentralisation en matière de revenu minimum d’insertion et créant un revenu minimum d’activité et n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.

40 () Cf. le rapport de la Cour des comptes, p. 227.

41 () Rapport de M. Étienne Pinte au Premier ministre sur l’hébergement d’urgence et l’accès au logement des personnes sans abris ou mal logées, juin 2008, p. 26.

42 () Un amendement identique avait été déposé par le groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

43 () Exposé sommaire de l’amendement déposé et défendu par nos collègues Étienne Pinte, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles saisie pour avis, et Marc-Philippe Daubresse. Cet amendement a été adopté suivant l’avis favorable du Gouvernement.

44 ()  À hauteur de plus de 7 millions d’euros au titre de 2011.

45 () Circulaire adressée par le ministre d’État et le secrétaire d’État chargés du logement aux préfets de région et de département.

46 () Cf. le rapport de la Cour des comptes, p. 228.

47 () Rapport de Mme Isabelle Debré, sénatrice des Hauts-de-Seine, parlementaire en mission auprès du garde des sceaux, ministre de la Justice et des libertés, sur les mineurs isolés étrangers en France, mai 2010.

48 ()  En revanche, il faut aussi relever le constat – plus alarmant encore – établi par M. Christophe Louis (représentant le collectif Les Morts de la rue et l’association Les Enfants du canal) qui, lors de la table ronde du 21 décembre 2011, indiquait que « les jeunes accueillis dans les structures d’hébergement d’urgence ne sortent pas tous de l’aide sociale à l’enfance : certains ont toujours été en marge des dispositifs institutionnels. »

49 ()  Dans le domaine des conditions d’accueil des demandeurs d’asile, la France est soumise, comme en principe l’ensemble des États membres de l’Union européenne, à la directive 2003/9/CE du conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres.

50 ()  La Cour des comptes relève que, parmi les travailleurs sociaux, « 34 % souhaitent que les personnes qu’ils hébergent actuellement soient d’ici un an ou deux dans un logement social ou très social (là où 48 % des personnes sans domicile interrogées se projettent dans un logement stable), [et] 38 % d’entre eux n’envisagent aucune évolution pour les personnes accueillies au sein de leur structure (contre 9 % chez les personnes sans domicile) ». Cf. le rapport de la Cour des comptes, p. 124.


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