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N° 2851 N° 28

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ASSEMBLÉE NATIONALE SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURESESSION ORDINAIRE DE 2010 - 2011
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Enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale Enregistré à la présidence du Sénat

Le 12 octobre 2010 Le 12 octobre 2010

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OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

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RAPPORT

sur

LES LEÇONS À TIRER DE L’ÉRUPTION
DU VOLCAN EYJAFJÖLL

Compte rendu de l’audition publique du 8 juillet 2010

Par M. Christian Kert, Député.

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Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Claude BIRRAUX, par M. Jean-Claude ÉTIENNE,

Président de l'Office Premier Vice-Président de l'Office

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SOMMAIRE

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Pages

introduction 5

M. Claude Birraux, député, président de l’OPECST. 5

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’Etat aux transports. 6

M. Christian Kert, député des Bouches-du-Rhône. 11

première table ronde : Déroulement de l’événement et appréciation du risque 13

M. Vincent Courtillot, directeur de l’Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP). 13

M. François Jacq, président de Météo-France. 18

M. Claude Lelaie, Head of Product Safety d’Airbus 20

M. Jacques Renvier, directeur adjoint R &T de Snecma 21

M. Patrick Gandil, directeur général de l’aviation civile (DGAC). 24

M. Fabio Gamba, secrétaire général adjoint de l’Airlines European Association (Association européenne des compagnies aériennes). 29

M. Patrice Hardel, directeur de l’aéroport Paris Charles de Gaulle. 30

M. Franck Goldnadel, directeur de l’aéroport d’Orly. 31

M. Jocelyn Smykowski, président du Syndicat national des pilotes de ligne. 31

M. Louis Jobard, président du Syndicat national des pilotes de ligne d’Air France. 32

M. Jean-Marc Roze, secrétaire général du Syndicat national des agences de voyage. 34

Deuxième table ronde : Quelles voies pour améliorer la gestion du risque ? 36

M. Vincent Courtillot, directeur de l’Institut de Physique du Globe de Paris. 36

M. Hormoz Modaressi, directeur du département des risques du Bureau de recherches géologiques et minières. 37

M. Patrick Allard, directeur de recherches à l’IPGP et au Centre national de la recherche scientifique. 38

M. Alain Ratier, directeur général adjoint de Météo-France. 38

Mme Pascale Ultré-Guérard, responsable du programme d’Observation de la Terre du Centre National d’Etudes Spatiales (Cnes). 40

Mme Nicole Papineau, directrice adjointe de l’Institut Pierre Simon Laplace 40

M. Jean-Paul Malingreau, chef d’unité A1, Centre commun de recherche de la Commission européenne. 42

M. Claude Lelaie, Head of Product Safety d’Airbus. 47
M. 
Jacques Renvier, directeur adjoint R&T de Snecma.
47

M. 
Jocelyn Smykowski, président du Syndicat national des pilotes de lignes
47

M. 
Louis Jobard, président du Syndicat national des pilotes de ligne d’Air France.
47

M. Pierre Verger, directeur des études de l’Observatoire régio
nal de la santé de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
47

M. Patrick Gandil, directeur général de l’aviation civile. 47
M. C
laude Frantzen, membre du Conseil d’administration de l’Institut pour la maîtrise des risques.
54

Mme Estrid Brekkan, ministre Conseiller près l’Ambassade d’Islande. 54

M. Badaoui Rouhban, directeur de la section de la prévention des catastrophes de l’Unesco. 54





OINTRODUCTION

M. Claude Birraux, député, président de l’OPECST.
Au moment de commencer cette audition publique, je voudrais tout d’abord remercier M. le secrétaire d’État aux transports d’avoir bien voulu accepter de prononcer l’allocution d’ouverture, confirmant ainsi tout l’intérêt – que je souhaite voir se renforcer encore – porté par le Gouvernement aux travaux, si riches, de l’OPECST.

Je me réjouis également de constater que notre collègue Christian Kert, qui est à l’origine de cette réunion, a conservé une passion intacte pour la problématique des catastrophes naturelles, lui qui assure depuis plus de quinze années successivement la présidence du Comité français de la décennie internationale des Nations Unies et celle de l’Association française de prévention des catastrophes naturelles. Le rapport qu’il nous a présenté en 1999 sur les techniques de prévision et de prévention des risques naturels en France a ouvert la voie à d’autres travaux de l’OPECST : audition publique organisée le 23 juin 2009 par mes collègues sénateurs Jean-Claude Etienne, premier vice-président de l’OPECST, et Roland Courteau sur les dispositifs d’alerte aux tsunamis en France et dans le monde ; rapport sur le même sujet, que j’ai présenté le 8 juillet 2009 ; enfin, audition publique organisée hier au Sénat, également par Jean-Claude Etienne et Roland Courteau, sur le thème « La France est-elle préparée à un tremblement de terre ? ».

L’initiative de Christian Kert est tout à fait opportune, non seulement pour des raisons contingentes, mais aussi pour des raisons de fond.

Il est tout d’abord évident qu’il faut s’attacher à améliorer les moyens de gérer le risque volcanique car le réveil de certains volcans comme, en Islande, Hekla et Katia, proches de Eyjafjöll, serait considéré comme plausible par certains spécialistes ; et il importe de prévenir une nouvelle paralysie du transport aérien, dont le coût est loin d’être négligeable puisque, selon la Commission européenne, il se situe entre 1,5 milliard et 2,5 milliards d’euros quant aux pertes subies par les compagnies aériennes, les agences de voyages et les aéroports.

Au-delà, cette audition publique illustre pleinement deux préoccupations majeures qui sont au cœur des travaux de l’OPECST, celle de promouvoir une synergie efficace entre les différents acteurs et celle de prévenir toute dérive dans l’application du principe de précaution.

La synergie entre les acteurs est absolument essentielle aux différents stades – évaluation du risque, gestion du risque et communication sur le risque. Cet impératif est d’autant plus fort que les scientifiques se trouvent de plus en plus souvent confrontés à l’incertitude quant au risque lui-même et à ses effets. C’est dire combien il est important que cette synergie se développe entre les scientifiques des différentes disciplines, comme plusieurs rapports récents de l’OPECST n’ont pas manqué de le souligner. Je suppose que, comme le suggère l’organisation de cette audition publique, cette synergie n’a pas fait défaut entre les volcanologues et les autres scientifiques – et j’espère qu’une certaine querelle entre météorologues et volcanologues ne va pas reprendre ici.

La synergie entre scientifiques est la condition nécessaire de celle qui doit se déployer entre scientifiques et décideurs. Le fait qu’elle existe ne garantit certes pas automatiquement le succès dans l’appréciation et la gestion d’un risque, mais il est probable qu’en son absence, l’action des décideurs ne pourrait pas être optimale. C’est pourquoi je note avec beaucoup d’intérêt que, par exemple, la DGAC, aidée de Météo-France, peut, grâce à un spectromètre infrarouge – IASI – pister les panaches de cendres volcaniques, afin de donner des informations sur leur itinéraire.

Comme dans un jeu de poupées russes, cette synergie entre scientifiques et décideurs doit elle-même se prolonger en direction du public. C’est la condition pour que la communication sur le risque et l’application du principe de précaution soient efficaces.

Je laisse à M. Bussereau et aux intervenants qui lui succèderont le soin de dire si ces objectifs ont été atteints lors de l’éruption du volcan Eyjafjöll. Je voudrais seulement souligner que l’OPECST est très soucieux de prévenir toute dérive dans l’interprétation et l’application du principe de précaution, comme l’ont montré les débats qui se sont déroulés lors de l’audition publique organisée au Sénat le 1er octobre 2009 sur ce thème. J’y insiste à nouveau : il importe de clarifier la portée réelle de ce principe et, à cette fin, de développer le dialogue entre les représentants politiques, la communauté scientifique et la société civile.

Depuis sa création, l’OPECST joue un rôle d’interface entre les scientifiques, les politiques et les citoyens. Il me semble nécessaire de lui donner une impulsion nouvelle, en créant en son sein un conseil sociétal, à côté du conseil scientifique ; j’ai déposé dans ce but au mois d’avril dernier une proposition de loi, cosignée par douze députés membres de l’Office. L’échec du débat public sur les nanotechnologies m’a en effet convaincu de la nécessité d’une telle initiative. Ce conseil permettrait de mieux entendre les préoccupations de la société. Dans l’attente de l’adoption de cette proposition de loi, je souhaite que, comme les autres auditions publiques, celle-ci soit l’occasion de débats féconds.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d’état aux transports. Tout d’abord, je remercie l’OPECST de l’organisation de cette audition publique. C’est une initiative particulièrement judicieuse. Longtemps parlementaire moi-même, j’ai toujours porté beaucoup d’attention aux travaux de l’OPECST, trop peu connus, y compris des parlementaires eux-mêmes. Je pense notamment, pour avoir vécu dans mon département les effets de la tempête de 1999, au rapport de M. Kert sur les techniques de prévision et de prévention des risques naturels en France, ou encore aux travaux en cours aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat sur Xynthia, qui pourraient être prolongés à l’Office par une réflexion plus scientifique.

Le nuage de cendres engendré par l'éruption du volcan islandais a provoqué une crise sans précédent : au niveau du transport aérien d'abord, mais aussi, par ricochet, dans de nombreuses activités économiques, en Europe et au-delà. On a rarement vu des centaines de milliers de voyageurs se trouver ainsi bloqués aux quatre coins du monde ; et le coût de cette crise dépasse probablement le milliard d'euros. Il est donc nécessaire que les responsables politiques, l’ensemble des acteurs du transport aérien et les scientifiques examinent la façon dont cette crise a été gérée, afin d'en tirer les bons enseignements pour le futur.

Entre le 14 avril dernier, jour de l'éruption du volcan islandais, et le 21 mai, moment où le phénomène s’est arrêté, l'action menée par la France ainsi qu'au niveau européen s'est articulée autour de trois enjeux majeurs : la sécurité aérienne, notre priorité absolue ; le sort des passagers bloqués loin de leur destination ; l'impact économique de la crise, en particulier sur les compagnies aériennes.

Pour garantir la sécurité aérienne, il a été décidé de fermer l’espace aérien.

La nocivité des cendres volcaniques pour les avions est connue depuis longtemps. Chacun se souvient d’incidents graves, en Asie et ailleurs, qui ont révélé les conséquences terribles que peuvent entraîner les panaches de volcans en éruption : moteurs abîmés, perte de toute visibilité, brouillage des communications et des instruments de bord. S'y exposer, c'est risquer la perte de l'appareil et de ses passagers.

Les autorités françaises et européennes étaient donc fondées à se montrer prudentes lorsque, le 14 avril, le nuage de cendres venu d'Islande a commencé à se répandre sur le Nord de la Grande-Bretagne. L'organisme chargé d'indiquer la présence de cendres volcaniques dans l'espace aérien, le VAAC (Volcanic Ash Advisory Centres – Centre de surveillance des cendres volcaniques) de Londres, a alerté rapidement tous les pays du risque d'extension du nuage sur l'ensemble de l'Europe. En France, l'espace aérien a été fermé progressivement, du Nord vers le Sud, à partir du jeudi 15 avril. Le dimanche, avec la fermeture des aéroports de Nice et Marseille, la fermeture du ciel français est devenue intégrale.

Avec Jean-Louis Borloo, nous avons immédiatement mis en place une cellule de crise. Elle a fonctionné vingt-quatre heures sur vingt-quatre, avec deux buts essentiels : d’une part, faire revenir nos ressortissants bloqués à l'étranger, d’autre part, évaluer la situation sur le plan aérien et trouver des solutions techniques pour accéder à notre territoire dans de bonnes conditions de sécurité.

Nous avons adopté une attitude pragmatique – et je remercie M. Patrick Gandil et ses équipes de la Direction générale de l’aviation civile, qui nous ont particulièrement bien conseillés.

La France a été la première à rechercher des solutions pour débloquer, dans la mesure du possible, le trafic aérien. Peut-être parce qu’ils étaient en période électorale, les deux grands pays voisins, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, avaient-ils une attitude plutôt attentiste. Dès le dimanche 18 avril, la DGAC, Air France et la compagnie Aigle Azur ont procédé à des vols tests, à vide, afin d'améliorer les connaissances de l'impact du nuage de cendres sur les avions et leurs moteurs. L'analyse de ces tests, combinant des mesures réalisées sur les appareils aux comptes rendus de vol des pilotes, a permis de réévaluer le risque représenté par les cendres volcaniques. Les résultats obtenus ont montré que la densité des cendres contenue dans l'air était en réalité très faible. Des valeurs limites de concentration ont pu être fixées, à l'intérieur desquelles les avions pouvaient voler sans danger.

Dès le lundi 19 avril, les premiers «corridors» ont été ainsi ouverts au trafic aérien, permettant la desserte des aéroports du Sud – Toulouse, Nice, Marseille et Bordeaux. Parallèlement, la mise en place de cellules opérationnelles dans les préfectures a permis de superviser les choses et de commencer à rapatrier nos ressortissants en utilisant tous les moyens de transport disponibles. Le mercredi 21 avril, nous avons pris la décision d’aller vers la réouverture de la quasi-totalité de notre espace aérien et de tous nos aéroports.

La coordination européenne s’est avérée un peu difficile.

La première téléconférence des ministres des transports de l'Union européenne, le lundi, a été un peu chaotique, mais elle a finalement permis d'adopter les préconisations de l'agence européenne de navigation aérienne Eurocontrol et de laisser une marge de manœuvre à chaque Etat pour apprécier le phénomène et rouvrir son espace aérien sous certaines conditions.

La France a été grandement aidée par ses experts de la DGAC, de Météo-France, mais aussi d’Airbus et de Safran, qui ont travaillé activement pour proposer des solutions pragmatiques. Durant toute la crise, nous avons cherché à être une force de proposition au niveau européen ; et en l'espace de quelques semaines, l’Europe a collectivement progressé dans la gestion des risques liés aux cendres volcaniques.

Nous allons bien sûr approfondir le retour d’expérience de cette période. Nous voulons adopter une nouvelle réglementation, que nous allons soumettre à l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) car en la matière, il faut s’appuyer sur des règles acceptées au niveau mondial.

Notre deuxième priorité était d’assurer l’acheminement de tous les passagers bloqués.

Ils étaient sans doute des dizaines de milliers à se trouver dans des situations très inconfortables, voire en réelle difficulté, au point d’aller manifester devant nos consulats généraux et nos ambassades. Il fallait agir le plus vite possible. Comme le nombre d’aéroports ouverts était limité, nous avons doté le sud de la France de plateformes d’accueil, avec un dispositif de transports terrestres, pour amener ces passagers à destination.

Je remercie les compagnies aériennes et les voyagistes de leur implication. Je veux aussi saluer les transporteurs routiers de voyageurs, qui ont fait preuve d’un grand esprit de solidarité et d’un sens aigu du service public, à un moment où la grève à la SNCF n’était pas terminée. Démonstration a ainsi été faite de l’usage qui pouvait être fait de la complémentarité des modes de transport, grâce à une bonne organisation.

Une fois notre espace aérien à nouveau ouvert, nous avons mis en place une importante logistique pour ramener les voyageurs bloqués hors de nos frontières. Les compagnies aériennes françaises, et notamment Air France, ont fait du bon travail. Elles ont fourni des efforts importants pour affréter 120 vols en court, moyen et long courrier. Le jeudi 22 avril, elles ont notamment mis en place 20 vols à destination des zones les plus critiques, en réponse à la demande que j'avais formulée avec Jean-Louis Borloo. La mobilisation de vols supplémentaires aura permis de ramener vers la France 150 000 personnes en sept jours, après trois jours de paralysie du trafic aérien.

Ces circonstances exceptionnelles nous ont amenés à reconsidérer les règles européennes en vigueur en matière de droits des passagers.

Légitimes et peu contestables en période normale, ces règles sont apparues difficiles à appliquer dès lors qu’un grand nombre de passagers voyaient leur parcours perturbé.

Lors du Conseil des ministres des transports européens du 4 mai, puis de celui du 24 juin, nous avons donc décidé d’associer une certaine flexibilité à un principe d'équité dans l'application des droits des passagers, pour éviter la multiplication des contentieux entre les voyageurs et les compagnies.

J'ai demandé à la Commission de clarifier le règlement européen relatif aux droits des passagers. Elle en a pris acte et annoncé la révision prochaine de ce règlement. Il convient d’avoir un texte plus équilibré, adapté aux contextes de crise.

Dans le cas présent, il convient à la fois de répondre équitablement aux difficultés éprouvées par les passagers et de ne pas pénaliser les compagnies aériennes – qui, au moment où elles ont été confrontées aux conséquences de l’éruption du volcan – devaient déjà faire face à une conjoncture économique très difficile.

Cela m’amène au troisième point de mon propos : l’impact économique sur les compagnies aériennes.

La propagation du nuage de cendres a entraîné l'arrêt ou une très forte réduction du trafic aérien sur une grande partie de l'Europe, et par conséquent sur la plupart des aéroports mondiaux. On estime que plus de 15 000 vols desservant la France n'ont pu être réalisés. Cela représente une perte de trafic aérien, au départ et à l'arrivée de notre territoire, de 1,7 million de passagers, soit 1,4 % du trafic annuel. Ce sont des conséquences plus graves que celles du 11 septembre 2001. Le coût financier pour les transporteurs aériens français s'élève à environ 170 millions d'euros, dont 40 millions d'euros de frais d'assistance aux passagers et 11 millions d'euros pour les vols supplémentaires affrétés, selon une estimation de la Fédération nationale de l'aviation marchande (FNAM) – qui s'est montrée particulièrement active et responsable au cours de la crise. Par ailleurs, les mesures de chômage partiel qui ont dû être prises par les compagnies ont entraîné la perte de près de 150 000 heures de travail. Tout cela est venu alourdir un contexte économique peu favorable.

C’est pourquoi nous avons souhaité soutenir l’activité de nos compagnies aériennes, particulièrement en faisant en sorte que les normes réglementaires et fiscales n'entravent pas leur développement économique. Jean-Louis Borloo et moi-même avons demandé au Premier ministre la mise en oeuvre de diverses mesures, en particulier l'assouplissement des règles d'utilisation des créneaux horaires pour l'accès aux aéroports coordonnés, l'abandon des sanctions pour les vols exploités dans des conditions contraires aux restrictions d'exploitation des aéroports jusqu'à la résorption de la crise et l'exonération spécifique des charges sociales dans le cadre du dispositif de chômage partiel pour les personnels navigants pendant la durée de la crise.

Nous avons également souhaité, dans le cadre de la réforme de la taxe professionnelle, retirer les appareils des bases d’imposition des compagnies aériennes. Cela se traduira par une amélioration de leur situation concurrentielle. Une seconde étape est attendue avec la publication du décret relatif à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), qui permettra de faire évoluer les modalités de détermination de la valeur ajoutée des entreprises de navigation maritime ou aérienne. L'exclusion des activités internationales de cet indice offrira à ces entreprises une nouvelle marge de manœuvre.

En conclusion, cette crise a été difficile, mais elle nous a permis de progresser et de construire un cadre plus robuste et plus européen. Les vols sont possibles dans certains cas, malgré les cendres volcaniques, sous condition d’une bonne évaluation des risques. En cas de nouvelle éruption, la fermeture totale de l’espace aérien à laquelle nous avons dû procéder d’urgence deviendra exceptionnelle parce que l’on aura tiré des conséquences opérationnelles de la crise que nous venons de vivre.

M. Christian Kert, député des Bouches-du-Rhône. Merci, monsieur le ministre. Vous savez que la présence de membres du Gouvernement à nos réunions est un encouragement à poursuivre nos travaux.

Monsieur le président, je tiens à vous remercier publiquement de la totale confiance que vous faites aux membres de l’Office lorsqu’ils souhaitent, à tour de rôle, organiser des auditions publiques et élaborer des rapports.

Tout à l’heure, l’auditeur d’une station régionale m’a chargé de demander à M. Bussereau s’il était conscient qu’un événement comme celui qui nous occupe aujourd’hui pouvait se reproduire. Vous avez d’ores et déjà répondu, monsieur le ministre ; et ce risque est la raison même de la rencontre de ce matin. Je tiens à remercier particulièrement M. Paul-Henri Bourrelier, Président du conseil scientifique de l’Association française de prévention des catastrophes naturelles (AFPCN), qui est à vos côtés et qui, le premier, a eu l’idée de cette audition et a proposé qu’elle soit organisée par l’OPECST.

Cette audition publique rassemble la plupart des parties concernées : volcanologues, spécialistes des sciences de la terre et de l’atmosphère, industriels de l’aéronautique, régulateur du transport aérien – Direction générale de l’aviation civile (DGAC) –, professionnels du transport aérien – Aéroports de Paris (ADP), Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), Association européenne des compagnies aériennes (AEA), Syndicat national des agences de voyages (SNAV) – et personnalités qualifiées. Après une première partie rétrospective, destinée à dresser le bilan de ce qui s’est passé, nous engagerons une analyse prospective, en examinant les moyens susceptibles d’améliorer la politique de gestion des risques, dans un contexte d’autant plus marqué par l’incertitude que les volcans du monde sont loin de tous faire l’objet de la même surveillance que ceux d’Islande.

Je tiens à saluer la présence parmi nous de Mme Estrid Brekkan, ministre conseiller près l’ambassade d’Islande à Paris, ainsi que de fonctionnaires de la Commission européenne et d’Eurocontrol.



PREMIÈRE TABLE RONDE :
DÉROULEMENT DE L’ÉVÉNEMENT ET APPRÉCIATION DU RISQUE

Le point de vue des volcanologues

Nous abordons la première partie de nos travaux en écoutant tout d’abord le point de vue des volcanologues, représentés ici par M. Vincent Courtillot, directeur de l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP) et par M. Patrick Allard, directeur de recherches à l’IPGP et au Centre national de recherche scientifique (CNRS), auxquels je souhaiterais poser plusieurs questions. Comment l’IPGP suit-il l’activité volcanique et les éruptions ayant un impact sur le trafic aérien ? Quelles relations entretient-il avec le réseau international des observatoires ? A quel moment a-t-il perçu que l’éruption pouvait perturber le trafic aérien ? Comment pouvait-on évaluer la nature et le volume des émissions et la répartition du nuage dans l’espace ?

M. Vincent Courtillot, directeur de l’Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP). Je commencerai donc par une présentation de l’éruption d’Eyjafjöll, que j’ai préparée avec Patrick Allard, présent à mes côtés, que vous verrez sur une photo à quelques dizaines de mètres de l’embouchure du volcan, et avec Steve Tait, directeur des observatoires volcanologiques de l’IPGP.

Statutairement, c’est à l’IPGP qu’a été confiée depuis plusieurs décennies la surveillance des volcans actifs du territoire national – le Piton de la Fournaise à la Réunion, la Soufrière de Guadeloupe et la Montagne Pelée en Martinique. Mais notre intérêt pour la recherche et la formation ne s’arrête pas aux volcans français. Nous avons une expertise et une expérience à l’échelle mondiale, de par notre participation active, depuis la fameuse éruption phréatique de la Soufrière de 1976, à l’Organisation mondiale des observatoires volcanologiques (WOVO), et surtout grâce à nos liens personnels et d’équipes avec les grands observatoires volcanologiques, en particulier en Italie, en Alaska et au Japon – pays dans lesquels la surveillance est d’ailleurs assurée de façon très différente, étant confiée soit aux géologues, soit aux météorologues.

En France, d’autres centres que le nôtre sont experts en volcanologie. Le principal est l’université et l’institut de physique du globe de Clermont-Ferrand, mais il y a également des équipes très actives à Chambéry, Grenoble, Orléans, Toulouse et, bien sûr dans nos îles volcaniques – nos universités des départements d’outre-mer sont associées à l’IPGP.

La communauté scientifique française avait une bonne connaissance de l’Islande et de l’Afar. Il existe deux types de volcans : les rouges, à lave fluide, considérés comme peu dangereux, dans lesquels se classent ceux d’Islande, de l’Afar et de la Réunion ; les noirs, à lave visqueuse, explosive, dangereux, tels que la Montagne Pelée, le Pinatubo, El Chichon, le Mont Saint-Helens. En Islande et en Afar, la particularité est que ce qui devrait être à 2000 mètres sous l’eau émerge : la dorsale qui sépare l’Amérique de l’Europe est poussée à la surface en un endroit qu’on appelle « point chaud » – qui a donc une activité volcanique renforcée.

Nous avions décidé à l’IPGP, tout à fait indépendamment de l’éruption islandaise, de constituer une « task force », c’est-à-dire une équipe d’intervention rapide pour aller non pas seulement sur les volcans du territoire français dont la surveillance nous est confiée, mais aussi sur des volcans étrangers dont l’observation peut être très riche d’enseignements.

Un précédent gouvernement avait supprimé le Conseil supérieur d’évaluation des risques volcaniques (CSERV). Une cellule de crise du centre ministériel de veille opérationnelle et d’alerte (CMVOA) s’est mise en alerte à partir du début de la deuxième phase de l’éruption.

De notre côté, nous avons eu des contacts directs avec le cabinet du Premier ministre. Le 15 avril, on nous a demandé officiellement d’aider à constituer et à coordonner une cellule de crise fonctionnant de façon ininterronpue. Nous l’avons mise en place immédiatement, mais je me dois de signaler que l’Institut de physique du globe n’a ni les moyens juridiques, ni les moyens financiers de constituer une telle cellule de crise – tout en souhaitant que l’expérience islandaise contribue à faire évoluer la situation.

Enfin il se trouve que, chance extraordinaire, nous avions convoqué à l’IPGP pour la première fois notre Conseil scientifique international des observatoires volcanologiques. Se trouvaient donc à Paris quatre grands volcanologues étrangers, dont le spécialiste islandais Freystein Sigmundsson. Empêché de rentrer dans son pays et donc « prisonnier » de notre institut pendant huit jours, il nous a fait grandement profiter de son aide, notamment en nous mettant en relation directe avec ses collègues. C’est ainsi que nous avons pu avoir accès sur nos iphones aux trémors du volcan, pratiquement en temps réel, ce qui a accru notre capacité à répondre aux demandes qui nous étaient faites.

L’Islande, entièrement faite de basalte, est traversée de failles et secouée de tremblements de terre. Les éruptions volcaniques sont fréquentes. En moyenne, une éruption du type de celle de l’Eyjafjallajoküll se produit une fois tous les dix ans, et ce sera le cas jusqu’à la nuit des temps. L’éruption du Laki en 1783 était d’une autre importance, et il s’en reproduira également de ce type.

Le cratère sommital de l’Eyjafjallajoküll est couvert d’un glacier de quelques centaines de mètres d’épaisseur. Ce volcan n’a eu que quatre éruptions au cours des mille dernières années, mais la dernière n’était pas du tout inattendue. Nos collègues islandais, qui n’en ont été nullement effrayés, l’avaient vu arriver depuis longtemps, ayant observé des crises volcaniques depuis 1994 et une augmentation de la sismicité durant plusieurs semaines avant le début de l’éruption. Cependant si l’augmentation brutale du nombre de séismes est un indicateur de l’arrivée d’une crise, elle ne permet pas d’en déterminer précisément le moment.

Nos collègues islandais ont également utilisé un autre indicateur, l’enregistrement GPS de la déformation du sol. Il a très clairement montré le gonflement du volcan, l’arrivée de l’éruption, la deuxième phase de l’éruption puis le dégonflement du volcan.

La première phase de l’éruption, du 20 mars au 12 avril, s’est caractérisée par l’émission d’un magma fluide, basaltique, en bordure Est du glacier – que plus de 25 000 personnes sont tranquillement venues regarder. Dans la phase majeure, celle à partir de laquelle l’alerte a été donnée, de mi-avril jusqu’en mai, la lave était plus riche en silice, donc plus visqueuse et explosive, et est entrée en interaction plus violente avec la glace.

C’est cette interaction du magma chaud avec la glace, conduisant au refroidissement et à la fragmentation du magma en particules très petites, qui a abouti à la formation d’un nuage épisodique, un panache d’une hauteur de plus de 9 kilomètres – soit, à quelques kilomètres près, l’altitude qui sépare la troposphère de la stratosphère. Or quand un volcan – ou l’activité humaine – émet des produits dans la troposphère, les effets sont locaux ou régionaux ; mais si ces produits atteignent la stratosphère, les vents stratosphériques peuvent les répartir sur un hémisphère entier, comme ce fut le cas avec l’éruption du Pinatubo aux Philippines il y a quelques années, voire sur la terre entière. L’altitude du panache est donc un élément particulièrement important.

Grâce à diverses collaborations, nous avons pu mesurer de nombreux éléments – les trémors, la déformation, la concentration en cendres volcaniques estimée à partir de données satellitaires. La détection du nuage volcanique a également été faite depuis le sol par l’équipe de Clermont-Ferrand à l’aide d’un radar particulier, le LIDAR1, ce qui a permis de bien voir arriver le nuage au-dessus de l’Angleterre. D’autres données satellitaires ont permis de mesurer les quantités de SO2 volcanique émises.

Patrick Allard a approché de très près le volcan. Grâce à un instrument qu’il a mis au point avec nos collègues de Clermont-Ferrand, il a pu déterminer de façon assez précise la composition et le flux de ce panache, éléments très importants pour comprendre le fonctionnement du volcan et le devenir des cendres.

J’en viens à la réponse à la crise.

Le ministère a mis en place une cellule de crise, dans laquelle nous nous sommes impliqués avec les volcanologues des autres établissements, en liaison avec nos collègues islandais, de même que Météo-France, des laboratoires d’études atmosphériques comme le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE) et le Laboratoire de météorologie dynamique (LMD), ainsi que les motoristes d’Air France. Nous avons organisé très rapidement, depuis l’IPGP, un système de téléconférences qui sont devenues très rapidement biquotidiennes, afin d’échanger les informations. Assurant cette veille vingt-quatre heures sur vingt-quatre par rotation, nous avons, avec l’aide d’un collègue, Guillaume Levieux, émis des rapports journaliers qui ont été envoyés à de très nombreux destinataires, dont toutes les tutelles. Par ailleurs, il y a eu des interventions sur le volcan : Patrick Allard s’y est rendu, mais cela n’a été ni très facile, ni très rapide – ce qui montre qu’il faudrait s’attacher à améliorer la capacité de réaction des intervenants comme des tutelles. Enfin, Météo-France a travaillé sur la simulation du parcours des cendres, et des vols tests ont été effectués – mais là encore, il n’était pas très facile de reprogrammer un avion et d’obtenir les autorisations.

Je tiens à souligner que des dizaines de jeunes gens et de jeunes femmes se sont portés volontaires, nuit et jour, pendant plus d’un mois, pour assurer une permanence. Ils se sont engagés dans cette opération sans rien demander, alors que rien ne les y obligeait. Pendant la crise, j’ai obtenu du cabinet du Premier ministre l’assurance que leur travail serait reconnu ; j’espère que cette promesse sera tenue et que l’on donnera à l’IPGP les moyens de les remercier – car nous ne disposons pas, contrairement à Météo-France, par exemple, d’un système de veille légal et rémunéré.

Par ailleurs, de nombreux établissements ont engagé de l’argent d’équipes de recherche qu’il était prévu d’utiliser autrement. C’est plus d’un demi-million d’euros qui, dans la période difficile que nous connaissons, manquent aux laboratoires de recherche. Sans doute n’est-ce pas beaucoup par rapport au 1,7 milliard de dollars de dépenses ou aux 170 millions d’euros de pertes des compagnies aériennes ; il reste qu’une compensation serait nécessaire.

Ce premier retour d’expérience que nous faisons aujourd’hui grâce à l’Office parlementaire sera suivi d’un autre à l’automne, à caractère plus scientifique. D’ores et déjà, j’ai dressé avec des collègues une liste non exhaustive des améliorations à rechercher.

Nous avons constaté les difficultés rencontrées pour déterminer la taille et la concentration des cendres, la lenteur de la mise en route de certaines expériences, parfois le manque de langage commun entre collègues scientifiques – entre chimistes et physiciens, entre géologues, volcanologues et météorologues ; mais ce langage a commencé à se construire, grâce à ce travail commun. Nous avons également vérifié que ce qui est démontré aux yeux des scientifiques ne débouche pas toujours sur la validation opérationnelle des outils.

Autre point sur lequel je tiens à insister : cette éruption n’est en rien exceptionnelle. En cela, c’est une magnifique expérience, sans danger, une chance à exploiter jusqu’au bout car il se produira des éruptions de ce type environ tous les dix ans. L’interaction avec la glace, la composition de la lave, la hauteur du panache, la direction des vents et l’évolution du trafic aérien se sont combinés pour nous donner l’impression que c’était la première fois qu’une telle crise avait lieu, mais en réalité des phénomènes analogues s’étaient déjà produits ; simplement, ils n’avaient pas eu les mêmes conséquences.

En 1783, l’éruption du Laki, également en Islande, fut d’une tout autre importance : la longueur de la fissure atteignait 15 kilomètres, la lave émise a dépassé la dizaine de kilomètres cubes – 10 000 fois plus que pour l’Eyjafjöll – , le quart de la population de l’Islande a succombé, les trois quarts du cheptel également ; et on vient de s’apercevoir que probablement 100 000 personnes en Europe étaient mortes en 1783-1784 à la suite de cette éruption, qui a affecté le climat de la totalité de l’hémisphère nord. Ce type d’éruption se reproduira aussi, peut-être tous les 500 ans ou tous les 1 000 ans. Si l’éruption du Laki se reproduisait aujourd’hui, aucun avion ne pourrait circuler dans l’Atlantique nord pendant une année entière au moins.

Nous devons mieux étudier et intégrer le risque volcanique en Europe, dans le cadre de scénarios qui peuvent affecter fortement les populations et les circuits économiques. Pensons aux volcans d’Islande, a priori peu dangereux, mais aussi aux volcans d’Italie, de Grèce, des Canaries ou des Açores, qui le sont beaucoup plus.

Point très positif, cette expérience aura aussi montré que nous avons su, en temps réel – en vingt-quatre heures –, constituer un réseau de compétences et de confiance qui n’existait pas auparavant, avec des partenaires dont beaucoup sont ici aujourd’hui. C’est une avancée majeure. On pourra améliorer le dispositif, mais il sera facile de le remettre rapidement en place.

Enfin, cette éruption me donne l’occasion d’évoquer le soutien financier des activités de surveillance. Dans le cadre du contrat quadriennal de l’IPGP avec le CNRS et son Institut national des sciences de l’univers, nos dotations pour la surveillance des volcans n’ont cessé de décroître très fortement au cours des quatre dernières années, le CNRS de l’époque – l’équipe a changé il y a quelques mois – ayant considéré que la surveillance n’était pas une activité de recherche. C’est juridiquement faux, l’IPGP étant sous la tutelle de la ministre de l’enseignement supérieur de la recherche et ayant cette mission. On pourrait cependant très bien concevoir que le financement qui relevait jusqu’à présent du CNRS et de l’enseignement supérieur provienne désormais du ministère chargé de l’environnement ou du ministère de l’intérieur ; encore faut-il que les décisions soient prises à temps. Nous tentons actuellement de mettre au point un accord tripartite entre les trois ministères mais force est de constater qu’en dehors des périodes de crise, les autorités pensent rarement à financer ce travail ingrat qu’est la surveillance.

Le point de vue des scientifiques de l’atmosphère

M. Christian Kert. Après le point de vue des volcanologues, nous en venons au point de vue des scientifiques de l’atmosphère.

Je m’adresse donc à M. François Jacq, président de Météo-France, et M. Alain Ratier, directeur général adjoint. Quel est le dispositif international de surveillance météo des panaches volcaniques ? Comment le panache de ce volcan a-t-il été suivi, par quelles observations et quels calculs ? Quel type d’informations délivrez-vous ? Quel message vos collègues des autres pays européens peuvent-ils délivrer ? Quelle est la précision des indications, quelle est la validité des prévisions ? Saviez-vous comment le panache évoluait, chimiquement et physiquement ? Bien entendu, je vous laisse libres d’évoquer d’autres questions qui vous paraîtraient importantes.

M. François Jacq, président de Météo-France. Je me bornerai, en essayant de répondre à vos questions, à traiter de l’appui météorologique à la gestion de la crise.

L’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) a réparti les responsabilités en matière de surveillance des cendres volcaniques, par grandes zones, entre des centres appelés VAAC. Ces centres ont un rôle consultatif d’appui à la gestion de crise par les autorités de la navigation aérienne. C’est ainsi que le centre en charge des volcans islandais est le VAAC de Londres, géré par le service météorologique britannique, le Met Office, qui a travaillé dans le cas de l’Eyjafjöll avec l’appui de l’IMO, institut islandais dont la compétence est à la fois météorologique, géologique et volcanologique. Pour sa part, Météo-France est en charge du VAAC de Toulouse, couvrant l’Afrique et une grande partie de l’Europe.

Dans une première phase, jusqu’au 19 avril, le centre anglais a utilisé le modèle NAME, modèle de dispersion lui permettant, à partir d’un taux d’émission normé, d’examiner comment les particules se diluaient dans l’espace et de déterminer les zones dans lesquelles la présence de cendres était probable. En effet, si on savait bien que les cendres étaient en principe gênantes pour les avions, on ne savait pas encore dire à partir de quelle concentration ou de quel seuil.

A partir du 19 avril, le VAAC de Londres est passé de la détermination de zones où la présence de cendres était probable à la délimitation de zones définies à partir d’un certain niveau de concentration, avec un seuil de vulnérabilité fixé à 2 mg/m3 proposé à l’issue d’une concertation avec les motoristes, pour définir les zones de non-vol.

Au-delà de ces modèles, tous les outils d’observation ont été mobilisés – outils de repérage globaux comme les satellites, mais aussi avions de recherche pour, là où la présence de cendres était suspectée, faire des prélèvements et mesurer in situ des quantités et des concentrations.

Nous avons par ailleurs constaté une grande concordance entre les prévisions de zones de concentration faites avec leurs modèles respectifs par le VAAC de Londres, par Météo-France – modèle MOCAGE – et par nos collègues canadiens du VAAC de Montréal.

Quelle a été l’implication de Météo-France dans cette affaire ?

Nous avons activé le VAAC de Toulouse, notamment pour produire des cartes de taux de dilution, puis de concentration, afin d’aider la Direction générale de l’aviation civile dans la gestion de la crise, et pour être prêt à tout instant à assurer notre rôle de secours du VAAC de Londres. Bien entendu, nous avons essayé de maintenir la meilleure coordination possible avec le VAAC de Londres et l’IPGP.

Par ailleurs, nous avons continué à jouer notre rôle en matière de météorologie aéronautique, en émettant des messages et avertissements – appelés SIGMET.

Je n’insiste pas sur notre rôle d’appui à la DGAC et à la gestion interministérielle de crise. Nous avons aidé à la mise en place d’une stratégie pragmatique de gestion, et notamment au choix des corridors et des zones de vols tests.

Enfin, nous sommes intervenus en partenariat avec la communauté de recherche dans le cadre de SAFIRE – unité mixte CNRS, CNES et Météo-France – qui exploite les avions de recherche français. Des vols ont eu lieu, lorsque c’était possible, dans les endroits où l’on pensait qu’il y avait des cendres. Tout à fait en fin de crise, ces vols ont permis, en partenariat avec l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS), d’avoir des indications sur la teneur chimique des cendres.

Le 16 avril, nous avons pu observer l’arrivée d’une couche de cendres au-dessus de Paris, que les divers outils avaient permis de prévoir. C’est à ce moment que les aéroports parisiens ont été fermés.

Quels enseignements tirer de tout cela ?

Nous avons vécu une crise exceptionnelle, du fait de la densité habituelle du trafic dans cet espace aérien et de divers paramètres qui ont compliqué la situation.

Pour l’avenir, le premier impératif me paraît être la connaissance des seuils de vulnérabilité, l’appréciation de la gravité du phénomène et de ses conséquences sur le fonctionnement des avions conditionnant évidemment les stratégies à mettre en place.

On peut ensuite formuler le problème en termes de prévision de la concentration, mais l’amélioration de la prévision suppose, d’une part, une parfaite connaissance du terme source en temps réel et, d’autre part, la disponibilité d’observations de concentration en 3D. C’est le deuxième axe de progrès.

Aucun outil d’observation ne peut à lui seul apporter des réponses suffisantes. Cela dit, je tiens à souligner l’apport des lidars – spatiaux, aéroportés et au sol –, capables de caractériser la répartition verticale des cendres.

Enfin, je souscris aux propos de Vincent Courtillot sur les moyens : notre intervention, dans le cadre de SAFIRE, m’a contraint, en accord avec le CNRS et le CNES, à annuler d’autres missions scientifiques et à mobiliser du personnel. Je pense également que cette question relève d’un traitement de niveau interministériel.

Le point de vue des industriels de l’aéronautique

M. Christian Kert. Après ces deux exposés scientifiques, nous allons écouter le point de vue des industriels de l’aéronautique, représentés ici par M. Claude Lelaie, d’Airbus, et M. Jacques Renvier, de Snecma. Quels sont les dangers réels de ces panaches volcaniques, selon la nature des cendres et leur densité ? Quelle expérience en a-t-on ? Pourquoi l’industrie aéronautique n’a-t-elle pas fixé des seuils au plan international ? Dans un grand quotidien parisien, des scientifiques ont affirmé de manière assez catégorique que les tempêtes de sable pouvaient être au moins aussi dangereuses pour les aéronefs que les cendres volcaniques : qu’en est-il ?

M. Claude Lelaie, Head of Product Safety d’Airbus. Je laisserai Jacques Renvier répondre au sujet de l’effet sur les avions, puisque le problème concerne les moteurs. Je voudrais pour ma part revenir sur ce qui s’est passé et sur les raisons pour lesquelles on en est arrivé là.

Cette crise résulte d’une totale incompréhension. Les Anglais ont fixé à 200 microgrammes par mètre cube la concentration de particules permettant de dire qu’on était en présence d’un nuage de cendres. L’OACI interdisant de voler dans des cendres, l’interdiction s’est appliquée dès cette concentration détectée. C’était une situation absurde : nous avons volé le 16 avril avec l’A340-600 et avec l’A380, alors que l’espace aérien français était quasiment fermé ; il y avait un grand ciel bleu sur tout le Sud de la France, 300 kilomètres de visibilité… et on considérait que nous étions dans un nuage de cendres ! Faute de consultation préalable, les concentrations fixées par les Anglais étaient sans rapport avec ce que les moteurs et les avions pouvaient supporter.

Les constructeurs d’avions et de moteurs ont travaillé ensemble. Dès le 19 avril, nous nous sommes mis d’accord pour fixer à 2 milligrammes par mètre cube – soit dix fois plus – le niveau limite de concentration acceptable pour voler en sécurité.

On parle beaucoup de modèles, mais dans l’industrie, on ne peut pas utiliser un modèle sans l’avoir vérifié. Le modèle de calcul des concentrations n’a jamais été validé : personne n’est entré dans le nuage pour mesurer la concentration. C’est là le fond du problème. Les avions qui ont fait de la recherche, qu’ils soient français, anglais ou allemands, n’ont en fait servi à rien car ils ne sont pas entrés dans la zone critique dite zone noire, la no flight zone.

Dans la deuxième phase de la crise, nous avons considéré qu’il fallait aller voir ce qui se passait dans cette no flight zone ; nous étions prêts à sacrifier pour cela deux gros moteurs d’un A340-600. Nous avons donc mis au point un protocole d’essai avec Rolls Royce pour faire voler cet avion dans les conditions les plus critiques. Nous avons voulu aller à mi-chemin entre l’Écosse et le volcan, dans la zone noire. Comme nous n’avions pas, à bord, de système de mesure de concentration, nous avons décidé de nous faire accompagner par l’avion anglais. Mais celui-ci a refusé de rentrer dans la zone noire… Nous avons néanmoins mené notre expérience, mais nous n’avons finalement rien pu tirer de ce vol puisque, si nous avons constaté l’absence de dommages sur l’avion, nous ignorions le taux de concentration auquel il avait été confronté. Des analyses postérieures – par des modèles – ont conclu que l’avion ne devait pas être dans la zone noire… Soit ! Mais nous avions dépensé des sommes considérables, fait vingt heures de vol sur des avions d’essai – dont l’heure de vol est trois fois plus chère que celle d’un avion de ligne – pour rien ! Airbus est prêt à mettre de l’argent sur la table, mais il faut que cela serve à quelque chose. Si on ne sait pas associer un type de dommages à un moteur à un niveau de concentration, on ne progressera pas. C’est d’ailleurs pourquoi nous sommes en train de nous équiper pour le futur.

Enfin, en mai, nous avons conclu que l’avionneur que nous sommes s’alignerait sur la position des motoristes : pour des moteurs Rolls Royce, c’est Rolls Royce qui définira les concentrations acceptables, pour un moteur CFM, ce sera CFM.

M. Jacques Renvier, directeur adjoint R &T de Snecma. L’expérience a montré que la traversée de nuages visibles à forte concentration était un risque pour la sécurité des vols, bien qu’il n’y ait jamais eu d’accident d’avion associé aux cendres.

Les trois modes d’endommagement les plus importants d’un moteur par ingestion de cendres volcaniques sont les suivants.

D’abord, l’accumulation de cendre vitrifiée sur les distributeurs de turbines haute pression, qui forment une couronne derrière la chambre de combustion : les particules fondent en traversant la chambre de combustion, où la température avoisine les 1 400 degrés. Au sortir de la chambre de combustion, la silice se dépose sur les bords d’attaque des aubages et obture progressivement le canal de passage de l’air ; le compresseur à haute pression va donc produire des efforts accrus pour faire passer le débit nécessaire à la poussée. A partir d’un certain moment, le compresseur va devenir instable aérodynamiquement, incapable de fournir le débit d’air. On rentre alors dans des phases de pompage. Le moteur peut aller jusqu’à l’extinction, on perd la poussée et il faudra rallumer. Heureusement, quand le moteur s’éteint, la gangue vitrifiée repasse par un cycle thermique qu’elle a du mal à supporter ; elle se brise, ce qui redonne un peu de marge au moteur pour repartir.

Le deuxième risque est l’usure des aubes de compresseurs à haute pression. C’est à cet endroit du moteur que les températures sont les plus fortes et les vitesses de rotation les plus importantes. Sous l’effet de la silice, ces aubes s’usent et perdent leurs caractéristiques aérodynamiques. Elles deviennent incapables de fournir les performances qu’on leur demande. Le compresseur entre en dysfonctionnement aérodynamique et dans une phase de pompage. Il ne peut plus fournir pression ni débit. Là encore, le moteur va s’éteindre et on va perdre la poussée.

Enfin, il peut y avoir endommagement par pollution et obturation des circuits de refroidissement et de ventilation. Il en résulte une surchauffe des pièces, des brûlures et un endommagement progressif du moteur.

Les conséquences opérationnelles de ces endommagements sont de deux types. Dans les deux premiers cas, il peut y avoir perte de puissance brutale et simultanée des moteurs, ce qui constitue un vrai problème de sécurité. Dans le troisième cas, l’usure prématurée du moteur pose plutôt le problème de la maintenance et de son coût.

La sévérité des dommages que subissent les moteurs exposés aux cendres volcaniques est fonction de plusieurs facteurs. D’abord, la composition physico-chimique des cendres et leur concentration. Ensuite, la durée d’exposition du moteur aux cendres et son régime de fonctionnement : à cet égard, nous avons des consignes très strictes, établies en liaison avec l’OACI depuis de très nombreuses années – il ne faut pas entrer dans un nuage visible, où le moteur est le plus en danger, et si on y entre, il est recommandé de placer tout de suite le moteur au ralenti, afin de diminuer la température de la chambre de combustion et d’éviter l’agglomération des particules sur les distributeurs, puis de sortir dès que possible. En troisième lieu, la conception du moteur : les moteurs modernes fonctionnant à des températures élevées pour réduire la consommation de carburant, les systèmes de refroidissement sont plus complexes. Enfin, bien sûr, l’état d’usure du moteur avant la rencontre avec les cendres.

Il est important de souligner qu’il n’y a pas d’impact opérationnel immédiat connu à une distance supérieure à 1 000 kilomètres du volcan.

Quelle expérience avons-nous de tout cela ?

Un groupe de travail de motoristes continue à fonctionner sous la houlette de l’Agence européenne de sécurité aérienne (AESA). Sur les cinquante-cinq cas de rencontre de volcan notifiés, cinq ont conduit à des arrêts en vol. En approche d’Anchorage, par exemple, lors de l’éruption du mont Redoubt en 1989, sur un Boeing 747 équipé de moteurs GE CF6, il y a eu perte de la poussée, pompage et dévissage du moteur, à 150 km du volcan. En Indonésie, lors de l’éruption du mont Galunggung en 1982, sur un B747 équipé de moteurs RR RB211, il y a eu jusqu’à sept tentatives de rallumage avant que les moteurs ne redémarrent, et une perte d’altitude de l’ordre de 15 000 pieds. Dans le cas du DC8 CFM56 2, avion de la NASA qui, en 2000, au cours d’un vol d’essai scientifique, a traversé par inadvertance, de nuit, un petit bout du nuage, assez loin du volcan ; la concentration était faible, un moteur a été plus endommagé que les trois autres mais l’avion a pu continuer son vol sans problème particulier.

A la suite de la définition des zones, nous avons recommandé à nos clients des inspections visuelles et des inspections plus approfondies des avions volant en zone EPZ (Enlanced Procedure Zone – Zone à procédure de sécurité renforcée). Ni Rolls Royce ni nous-mêmes n’avons constaté de dommages significatifs sur les moteurs ; aucune inspection n’a conduit à une dépose. Cela tend à prouver que les calculs du Met Office ont surestimé la concentration moyenne de particules.

Nous manquons d’éléments quantitatifs sur les moteurs pour fixer des limites de concentration car notre travail a porté, au cours des quarante dernières années, sur les techniques d’évitement du nuage. Le seuil de 2 milligrammes par mètre cube d’air a été fixé, difficilement, entre tous les motoristes. Il s’appuie notamment sur quelques essais d’ingestion de sable mais l’AESA, à juste raison, n’a pas accepté cette limite en tant que telle, car nous n’avions pas de dossier technique permettant de savoir précisément pendant combien de temps on pouvait faire tourner un moteur dans cet environnement.

Le point de vue du régulateur du transport aérien

M. Christian Kert. Nous poursuivons avec le point de vue du régulateur du transport aérien, représenté par M. Patrick Gandil, directeur général de l’aviation civile (DGAC), Mme Florence Rousse, directrice de la sécurité civile, et M. Maurice Georges, directeur des services de la navigation aérienne.

Comment, pour vous, l’événement s’est-il déroulé ? Comment pouviez-vous apprécier le risque ? De quels outils opérationnels disposiez-vous pour y répondre ? Avez-vous mandaté une mission de retour d’expérience en France et en Europe ?

M. Patrick Gandil, directeur général de l’aviation civile (DGAC). Je vous parlerai d’abord du déroulement de la crise vu de la DGAC, avant d’examiner les principes de gestion qu’il conviendrait d’adopter dans l’avenir face à une crise du même type.

La crise, vue de la DGAC, se résumait à ce problème simple : doit-on interdire ou autoriser le vol des avions dans l’espace aérien français ? Nous avons évidemment participé aux réflexions sur les moyens de faire revenir les passagers bloqués, mais ce que nous pouvions faire de plus utile en la matière, c’était de remettre des avions dans le ciel et d’assurer à nouveau la liaison entre Paris et les aéroports du Sud puis ceux du reste du monde.

L’éruption a lieu le 14 avril. Le 15, on commence à fermer l’espace aérien au nord de la France – une partie de l’Europe avait déjà commencé à le faire. Le vendredi 16, on ferme progressivement la totalité de l’espace aérien français ; à un moment, seul l’aéroport de Nice reste ouvert.

Cette fermeture était-elle justifiée ? C’est une bonne question a posteriori, mais je pense que personne, dans le monde de l’aviation, n’aurait pris une décision différente. Une carte produite par le centre météorologique indiquait la présence de cendres, les recommandations de ne pas voler dans les cendres étaient claires : il était normal, s’agissant d’une industrie à haut niveau de sécurité, de commencer par arrêter les vols et de réfléchir ensuite.

En ce qui me concerne, j’étais bloqué à New York, d’où je suis revenu dans la journée du samedi. Ce retour m’a permis de voir en détail comment travaillait l’équipage et de quelles informations il disposait. J’ai pu faire d’autres observations dans mon voyage entre Nice et Paris. J’ai ainsi bénéficié d’une information sur le déroulement de la crise, vu d’un cockpit, que d’autres collaborateurs ne pouvaient pas avoir.

Une téléconférence avait été initiée par l’autorité britannique de sécurité, la CAA (Civil Aviation Authority), qui a commencé à travailler avec les avionneurs et les motoristes. C’est alors qu’a été avancé le seuil de 2 milligrammes par mètre cube. La cellule de crise ministérielle a été instituée à ce moment-là.

Je ne voyais aucun élément d’encouragement : personne, évidemment, ne pouvait nous dire quand l’éruption s’arrêterait ; certes il n’y avait pas eu de mort, mais des dizaines de milliers de Français et des Européens encore bien plus nombreux étaient bloqués un peu partout dans le monde, souvent dans une situation très difficile ; l’aviation européenne était en train, pour cause de rupture de paiements, de se détruire petit à petit. On ne pouvait pas, sans être totalement sûr du danger, s’installer dans cette situation. Voilà pourquoi nous avons réagi dès le dimanche matin, avec Air France et notamment avec l’un de ses responsables, M. Alain Bassil. D’un commun accord, nous avons lancé des vols d’évaluation. Il s’agissait d’observer les moteurs, tant pendant le vol, grâce aux différents moyens de mesure, sous la surveillance d’un pilote de l’OCV (Organisme de contrôle en vol) de la DGAC, qu’après le vol. Avec les techniques dites de boroscopie, on examine en détail l’intérieur du moteur et tous ses orifices. Nous aurions ainsi pu voir, s’il y avait eu des traces de cendre cristallisée ; mais nous n’avons rien vu du tout.

Après ces essais le dimanche, nous étions confortés dans l’idée que l’on pouvait probablement voler. Nous avons donc fait des vols d’essai aux limites du nuage – telles qu’elles apparaissaient sur les cartes météo –, sur une ligne Bordeaux-Toulouse. Ensuite, nous avons fait d’autres vols d’essai entre Paris et les différents aéroports du Sud. Nous n’avons rien trouvé non plus.

Aussi avons-nous, dès le lundi, fait réaliser des vols à vide – dont nous avions absolument besoin car les aéroports du Sud étaient encombrés d’avions. Nous avions aussi la possibilité de relancer les vols de fret. Le même jour, sur la base de nos propositions, le Premier ministre et les ministres nous ont autorisés à relancer le trafic, en nous demandant d’essayer de le faire dans un cadre européen en persuadant nos collègues des pays voisins.

Dès le mardi, donc, la totalité de la flotte long courrier d’Air France et une partie de celle des autres compagnies françaises étaient en vol. Certes, la flotte long courrier ne représente que le quart de la flotte : nous étions loin d’avoir un trafic normal ; mais c’était le moyen le plus efficace pour aller rechercher nos passagers bloqués. Le mercredi, la situation s’était beaucoup améliorée. Le jeudi, la flotte moyen courrier était en vol. Le vendredi, la situation était revenue à peu près à la normale.

Comment avons-nous conçu notre logique de surveillance ?

Surtout pas à partir des chiffres que nous pouvions avoir : les chiffres des motoristes sont sûrement précis, mais la question leur est mal posée. On l’a bien entendu dans l’exposé de M. Renvier : pour certains événements, il nous parle de risques pour le vol – extinction des réacteurs –, pour d’autres il nous parle de désordres ou d’usure des moteurs et de problèmes de maintenance. Or la responsabilité de la DGAC est d’assurer la sécurité des passagers et de l’équipage. L’usure des moteurs est un problème important, mais qui ne relève pas de nous. Je me méfiais donc un peu du chiffre – si précis – de 2 mg par m3. De leur côté, nos collègues de la météo nous disaient que leurs informations étaient à un facteur 10 près. Cette discordance entre les données techniques des motoristes et les données météorologiques posait un réel problème. Quand on passe, sur les cartes météo, de 2 mg à 20 mg, on traverse l’Atlantique ! Une variation sur une échelle de 1 à 10 change absolument tout ; cette incertitude rend les chiffres inutilisables pour l’exploitation de l’aviation.

Par ailleurs, je ne crois pas du tout qu’un chiffre instantané de densité nous soit très utile, et cela pour plusieurs raisons.

S’agissant tout d’abord des conditions d’exploitation, la situation est très différente selon que l’avion passe dans la zone de cendres pendant quelques minutes ou fait un vol en croisière. Il se trouve que, dans l’événement que nous avons eu à gérer, les cendres se sont toujours situées au-dessous du niveau 200. Or à part quelques petits avions turbo propulsés volant en grande partie au-dessous de ce niveau, la quasi-totalité des avions de ligne étaient appelés à traverser la zone en un temps relativement bref, puis à voler en croisière dans un air qui, au sens des modèles, était totalement libre de cendres. J’aurais probablement eu une attitude différente s’il y avait eu une certaine concentration de particules entre les niveaux 300 et 350 ou 400, c’est-à-dire au niveau des vols en croisière transatlantique – car le temps d’exposition, au lieu d’être de quelques minutes, aurait été de cinq ou six heures, ce qui aurait tout changé. En l’occurrence, il s’agissait de cendres de basse altitude, qui pouvaient être traversées relativement rapidement.

Nous ne progresserons dans nos méthodes d’analyse et de prévision que si la question posée aux motoristes concerne d’abord la sécurité du vol – peut-il y avoir un effet instantané pendant le vol ? – et non l’usure des moteurs. D’autre part, nous avons besoin d’un couplage entre la concentration et le temps d’exposition pour, ensuite, croiser les informations des cartes météo avec les types d’exploitation.

Enfin, il faut savoir comment sont faites ces cartes météo. Elles partent d’une évaluation du débit du volcan, forcément imprécise, à laquelle on applique un modèle de diffusion pour faire apparaître des courbes de niveau de concentration. Mais toutes les observations, qu’elles aient été faites au radar météo ou au lidar, montrent que le nuage se déplace par bancs et que sa concentration n’est pas du tout homogène. Le modèle dont on dispose est donc fruste.

Que peut-on envisager pour l’avenir ?

D’abord, il faut que la question soit bien posée, avec précision. Les motoristes doivent se doter petit à petit de moyens d’expérimentation pour arriver à mesurer et qualifier le phénomène, mais dans un tel domaine l’expérimentation n’est pas facile – car tout dépend de la forme des cendres, de leur taille, du chimisme, des débits… Il faut aussi bien préciser le type de moteurs sur lequel on travaille : les moteurs qui m’intéressent sont ceux des avions de ligne usuels, mais ils sont très différents de ceux des avions militaires, qui ont rencontré des problèmes différents. C’est pratiquement un nouveau point de certification que nous demandons aux motoristes d’imaginer, mais cela demandera du temps.

La méthode que nous avons choisie est la suivante. Au moment où le nuage apparaît dans une zone où l’on vole, il n’est pas immédiatement très concentré ; la concentration augmente au fur et à mesure que le cœur du nuage approche. A ce stade, il n’y a absolument aucun risque pour les personnes. En revanche, on peut exercer une surveillance renforcée des moteurs, en utilisant tant les systèmes de télétransmission dont les avions sont équipés que la boroscopie. Tant que les moteurs reviennent intacts, on continue à voler. Le jour où l’on constate un problème, on prend le temps d’examiner la situation et d’en tirer les conséquences.

Cette méthode très pragmatique est aussi très efficace – car il n’y a aucune raison que le deuxième ou le troisième avion ait un comportement différent du premier. Et suivant que l’on est confronté à un phénomène météorologique assez stable ou plus chahuté, on module le nombre de contrôles sur les avions et sur les moteurs. Il n’y a pas d’autre vraie méthode – puisque les chiffres sont à un facteur 10 près.

Pour autant, je ne suis pas sûr du tout que ce que je dis maintenant sera adapté aux prochaines crises.

Nous avons assisté à deux phénomènes différents à la mi-avril et au début du mois de mai. A la mi-avril, il y avait une petite zone fortement concentrée, qui correspondait aux zones noires sur les cartes du VAAC, et une très grande zone rouge autour, qui occupait une partie de l’Europe. Au début du mois de mai, il y avait, avec les mêmes codes de couleur, une immense zone noire, avec un tout petit liseré rouge autour. En examinant de plus près cette zone noire avec le VAAC et Météo France, qui nous ont donné des distributions de concentrations, on a vu en fait une petite tache noire concentrée sur le volcan, une tache gris foncé peu importante et une énorme tache gris clair. C’est dans cette tache gris clair que nous avons essayé, de façon très pragmatique et au début avec une grande prudence, d’aller voler. Est-ce que la troisième crise se caractérisera par une distribution très différente ? Je n’en sais rien, mais elle peut survenir rapidement et il faut s’y préparer car nous sommes désormais dans une ère de trafic aérien intense.

Les pays européens n’ont malheureusement pas tous eu la même approche de la crise. L’Agence européenne de sécurité aérienne nous a cependant proposé une méthode qui semble acceptable par la majorité d’entre eux. Il reste que s’il peut y avoir une coordination sur les règles, on ne peut pas l’envisager sur les résultats opérationnels : on ne va pas fermer des endroits où le nuage ne se trouve pas.

J’aimerais, pour terminer, lancer une idée. L’aviation est confrontée à un autre phénomène dangereux bien connu : celui des orages. S’il n’est pas recommandé de voler dans les cumulonimbus, on n’interdit pas de voler dans certaines zones au motif d’un risque d’orage – et pourtant, la prévision des orages est précise. La raison en est que le pilote dispose à bord d’un radar météo qui lui permet de repérer les phénomènes de turbulences et, ensuite, de négocier avec le contrôle aérien l’endroit où il devra passer. Dans le cas d’un nuage volcanique, la situation est différente : le pilote ne dispose d’aucun instrument de bord pour repérer les cendres. Si ces phénomènes deviennent importants au fur et à mesure du développement de l’aviation, ne faudrait-il pas avoir à bord des instruments de visualisation ?

Le point de vue des professionnels du transport aérien

M. Christian Kert. Les professionnels du transport aérien vont maintenant nous apporter leur témoignage. Ils sont représentés par M. Fabio Gamba, secrétaire général adjoint de l’Airlines European Association (Association européenne des compagnies aériennes), M. Patrice Hardel, directeur de l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle, M. Franck Goldnadel, directeur de l’aéroport de Paris-Orly, M. Jocelyn Smykowski, président du Syndicat national des pilotes de lignes (SNPL), Louis Jobard, président du SNPL Air France ALPA et M. Jean-Marc Roze, secrétaire général du Syndicat national des agences de voyages.

M. Fabio Gamba, secrétaire général adjoint de l’Airlines European Association (Association européenne des compagnies aériennes). Avant de développer mon propos, je voudrais dire d’emblée qu’il faut plus d’Europe, et une Europe plus intelligente.

Durant la crise et postérieurement à celle-ci, l’AEA a soutenu que le modèle de dispersion utilisé par le VAAC de Londres et les tests auxquels il a procédé pour recouper les prévisions ne pouvaient pas constituer une base suffisamment solide pour justifier une fermeture quasi complète de l’espace aérien. Avec des instruments et des procédures adéquats – qui existent –, nous aurions pu éviter la paralysie des vols sans aucunement mettre en péril la sécurité, à l’instar d’autres régions dans le monde, qui connaissent des activités volcaniques autrement plus fréquentes et virulentes – je pense notamment à l’Indonésie, à l’Alaska, aux îles Hawaï ou aux îles Kouriles. Bien sûr la nature des éruptions volcaniques peut être différente, mais il est intéressant de constater que les éruptions volcaniques qui se produisent partout dans le monde – y compris dans le sud de l’Europe – n’entraînent pas systématiquement la fermeture de l’espace aérien.

Nous avons proposé durant la crise, et nous continuons à proposer en accord avec la Commission européenne et l’AESA, une procédure nouvelle au niveau européen qui tienne davantage compte de l’expérience de gestion de crise comme de l’expérience des pilotes et de leur compagnie. Les pilotes, notamment, sont formés à éviter toutes sortes de risques comme les cumulonimbus et les orages, les vents violents ou les bancs d’oiseaux.

Je déplore qu’il y ait eu peu de dialogue. Force est de constater également que ce n’est que sous l’impulsion de plusieurs compagnies aériennes, dont Air France-KLM, Lufthansa et British Airways, qu’au moyen de vols d’observation, on a pu se rendre compte que des portions de l’espace aérien avaient été déclarées contaminées à tort. Cela nous a conduits à souhaiter une meilleure diffusion de l’alerte dans les premières heures de l’éruption, notamment quand elles sont dangereuses – comme celle de la Soufrière de Montserrat au mois de février dernier, à la différence de celle de l’Eyjafjöll –, plus d’observations et moins de modèles virtuels pour le suivi du nuage de cendres, le recours aux technologies qui ont fait leurs preuves et des progrès dans les techniques de mesures d’observation, notamment satellitaires. Dans ce dispositif, le rôle des compagnies aériennes et des pilotes est crucial.

S’agissant des passagers, on a beaucoup parlé de leur perception des choses ; je voudrais pour ma part parler plutôt de faits. Actuellement, le règlement européen (CE) 261/2004 du 11 février 2004 donne à tout passager bloqué le droit à une explication objective de la situation et à une compensation ou une prise en charge proportionnée à son dommage si les faits sont imputables à la compagnie. Or en l’occurrence, nous n’avions pas les éléments nécessaires pour fournir ces informations et, bien sûr, les faits ne pouvaient pas nous être imputés.

Une compagnie aérienne ne peut pas être tenue responsable en tous temps, en toutes circonstances, et pour une durée inconnue à l’avance. Le règlement européen, et c’est sa faiblesse, ne définit pas les circonstances extraordinaires. Il génère des attentes presque malsaines, en tout cas déraisonnables, chez les passagers bloqués. Il serait important de trouver avec les différents partenaires, notamment la Commission européenne, un terrain d’entente pour le réviser.

Air France est parvenue à une solution qui nous a semblé appropriée, en accord avec l’association UFC - Que choisir. Mais dans toute l’Europe, chaque pays, chaque compagnie aérienne, chaque association de passagers a essayé d’en trouver une. De ce fait, et en raison de l’imprécision du règlement CE 261/2004, les passagers ont du mal à savoir ce qu’ils doivent faire et comment ils peuvent se retourner soit vers les compagnies aériennes, soit contre l’État ou une quelconque institution. Le futur règlement européen devra prévoir ce type de situation.

M. Patrice Hardel, directeur de l’aéroport Paris Charles de Gaulle. Gérer les crises et les rendre aussi peu visibles que possible fait partie de notre travail. Celle-ci était si exceptionnelle que sa gestion en était, pour ainsi dire, plus simple, en l’absence des passagers – bien qu’elle ait eu lieu à une période de grande pointe. Nous avons cependant dû trouver, avec les autorités de l’État, des solutions à des situations de détresse particulières.

La coordination avec la DGAC et les autres autorités publiques a très bien fonctionné. Nous n’avons pas rencontré de difficultés particulières pour être prêts à redémarrer dès la réouverture de l’espace aérien. En revanche, la réouverture temporaire qui a eu lieu le deuxième jour de la crise – le vendredi – a été difficile, car le transport aérien exige d’anticiper l’information des passagers et la logistique. De telles fenêtres, certes commodes pour permettre aux passagers de voyager, posent donc des problèmes et risquent même de provoquer des émeutes si certains voient les autres partir sans pouvoir le faire eux-mêmes.

M. Franck Goldnadel, directeur de l’aéroport d’Orly. La coordination avec l’aviation civile s’est faite dans le cadre de points pluriquotidiens. Au début de la crise, compte tenu de l’incertitude quant à la durée de l’interruption, les annulations étaient décidées pour des durées très courtes, ce qui obligeait à n’en avertir les passagers que lorsqu’ils étaient déjà sur place. Puis, l’aviation civile – en cela plus rapide que d’autres autorités – a annoncé des délais plus longs, ce qui a permis aux compagnies aériennes et aux passagers de prendre des dispositions et a limité l’affluence dans les aérogares.

Nous nous sommes concentrés sur l’information des passagers, par tous les médias, en insistant sur le fait qu’ils ne devaient se rendre sur les plates-formes aéroportuaires qu’après avoir obtenu des compagnies aériennes confirmation de la reprise de l'activité. Malgré la fermeture de l'espace aérien, des passagers étaient présents dans les aérogares, car certaines compagnies ont recouru à l’intermodalité pour profiter de l'ouverture de certaines plates-formes de province.

Il faut enfin souligner toute l'énergie déployée par les partenaires du transport aérien pour faire redémarrer en quelques heures une machine très complexe, compte tenu également de la priorité donnée par le Gouvernement aux vols long-courrier et au rapatriement des passagers étrangers bloqués en France et des passagers français bloqués à l'étranger.

M. Jocelyn Smykowski, président du Syndicat national des pilotes de ligne. L’autre représentant des pilotes assis autour de cette table, Louis Jobard, qui préside la section Air France de notre syndicat, a vécu en direct les problèmes que peuvent poser les cendres volcaniques au cours d'un vol. Au cours des 30 dernières années, l'aviation commerciale a connu 90 incidents graves, avec des conséquences non négligeables, mais sans accident.

En matière de transport public aérien de passagers, la capacité à arrêter les vols – sage décision – ne doit pas reposer sur un facteur chance lié à un phénomène mal maîtrisé. Après avoir arrêté les vols, la question est de savoir sur quelles bases et à partir de quelles données scientifiques les reprendre. Comme on a pu le constater ce matin, certains acteurs – je pense aux scientifiques et à la Direction générale de l'aviation civile – ne sont pas d'accord sur la pertinence des modèles exposés…

Dans un nuage, volcanique ou non, le pilote avance en aveugle. L'information lui vient du sol, car l’œil est pratiquement inutile pour identifier un nuage volcanique. Le fait que le ciel soit bleu n’est pas un indice suffisant pour conclure qu’il n’y a pas de danger.

Bien qu’ils subissent l’impact le plus important, les moteurs ne sont pas les seuls éléments touchés par les cendres : celles-ci peuvent aussi affecter les sondes Pitot, les pare-brises, le conditionnement d’air, la pressurisation et l’ensemble des autres dispositifs.

Alors que, tout au long de la crise, la profession a été exclue de tous les débats et de toutes les actions, les pilotes ont assumé toute la responsabilité des vols lorsque ceux-ci ont repris et ce sont les commandants de bord et les copilotes qui auraient dû gérer tout incident qui aurait pu survenir. Cette situation est d'autant plus étonnante que les vols ne reprenaient pas dans les pays voisins. Du jour au lendemain, les informations qui avaient force de loi jusqu'au lundi – les « visual approach charts », ou « cartes VAAC », les informations météorologiques et géophysiques – ont cessé, d’un coup, d’être le référentiel et on a envoyé des pilotes, volontaires le premier jour, puis ignorants de la situation, effectuer des vols d'essai pour voir s'il y aurait de la casse. Il est à peine exagéré de dire que cela revient à envoyer des gens sans protection particulière dans une zone d'Afrique touchée par le virus Ebola pour constater à leur retour – en s’entourant de toutes les précautions – s'ils sont ou non contaminés. C'est inacceptable. L'aviation est un métier à risques, mais à risques maîtrisés, où l’on n’avance jamais sans avoir préalablement vérifié les processus et les méthodes. On ne peut pas procéder à l'envers, en se disant que tout va bien puisqu'on n'a rien cassé. La profession a très mal vécu cette méthodologie.

M. Louis Jobard, président du Syndicat national des pilotes de ligne d’Air France. Je commencerai par répondre aux deux questions qui nous ont été posées par écrit, portant sur la formation et l'information qui ont été fournies aux pilotes durant la crise. Compte tenu des délais très courts, les pilotes n'ont reçu aucune formation théorique – avec entraînement assistée par ordinateur ou sur simulateur – lors de la reprise des vols. Étant des gens sérieux, ils ont relu la check-list relative aux nuages volcaniques fournie par chaque constructeur, afin de se remémorer le plus précisément possible la conduite à tenir – réduire les moteurs pour éviter la gravité et sortir du nuage le plus vite possible, à supposer qu'on en connaisse les limites.

Pour ce qui est de la préparation des vols, ou PPV, on peut distinguer trois phases. Lorsque l'espace aérien a été fermé, des vols tests ont été organisés, d'abord par KLM et Lufthansa, puis par Air France, pour ouvrir des corridors, ce qui, du reste, ne s’est jamais fait nulle part, car même l’Alaska, qui est confrontée toute l’année à ce problème, utilise des routes d’évitement, avec des terrains de dégagement situés du même côté du nuage. Le SNPL Air France s’est étonné que ces tests aient été effectués par des pilotes de ligne – certes volontaires – sur des avions d’Air France, alors que l’État français possède de très beaux A320, et peut-être bientôt A330. Toujours est-il qu’en l’absence d’informations, et alors que la carte VAAC indiquait que l’espace était fermé, on a fait des vols d’essai.

L’espace aérien a ensuite été rouvert avec les corridors, mais sans densité publiée. Ainsi, des avions ont été rapatriés du monde entier en utilisant des cartes sur lesquelles le nuage s’arrêtait exactement à la limite de la zone VAAC – comme jadis le nuage de Tchernobyl aux frontières de la France…–, de telle sorte que nos pilotes qui rentraient d’Asie survolaient la Sibérie sans savoir dans quelle zone ils se trouvaient réellement.

A ensuite été publiée une séparation en trois zones : les cartes faisaient apparaître une zone noire, ou « no-fly zone » et une zone rouge, qui imposait une inspection à l’arrivée, plus ou moins importante selon les traces observées. Malheureusement, les cartes qui nous ont été fournies dans un premier temps étaient en noir et blanc, ce qui rendait difficile de distinguer ces deux zones…

Le Syndicat national des pilotes de ligne, en particulier sa section Air France, a été largement tenu à l’écart de la réflexion. Or, plus encore que les conséquences économiques et techniques, c’est la sécurité des vols qui importe, et cet aspect n’a guère été évoqué ce matin, sinon par M. Gandil.

Après la crise, les informations ont été un peu plus pertinentes, mais certains pilotes se sont émus qu’on les fasse voler dans des zones « rouges » et que les inspections réalisées à l’arrivée soient très légères.

Le premier impact d’un nuage volcanique porte sur les moteurs. En 2002, un Airbus A340 d’Air France que je pilotai est entré dans une « bulle » d’air contenant des poussières volcaniques, entre Tokyo et Nouméa, à plus de 1 800 kilomètres du volcan Rabaul – ce qui me permet, en tant que commandant de bord de ce vol, de contester formellement l’idée qu’il n’y aurait pas de danger au-delà de 1 000 kilomètres. De nuit et par ciel clair, la cabine a été envahie par un gaz qui aurait pu se révéler toxique. Si l’équipage a pu utiliser des masques pour respirer de l’oxygène à 100 %, les passagers n’ont pas eu cette ressource. Sont ensuite apparus des feux de Saint-Elme, puis les quatre moteurs ont dévissé, avant de se rallumer en automatique grâce à la technologie Airbus et SNECMA-General Electric. Tout cela a duré entre 30 secondes et une minute. J’ai alors décidé de poursuivre la route. Nous sommes sortis du nuage et sommes parvenus à destination. J’ai prévenu les centres de contrôle pour que les autres vols se déroutent, car la seule information dont nous disposions jusqu’à présent était un avis aux navigateurs aériens (NOTAM) indiquant une éruption permanente du volcan Rabaul à 1 000 nautiques de la route. À l’arrivée à Nouméa, le boroscopage des moteurs a fait apparaître que ceux-ci étaient parfaitement propres, car le type de poussières qui y avait pénétré les avait nettoyés, sans fondre dans les chambres de combustion. En revanche, les filtres de conditionnement d’air étaient totalement obstrués par des poussières volcaniques et tous les circuits Pitot et statiques étaient pollués, mais heureusement sans provoquer de problèmes avec la vitesse. L’avion est resté bloqué au sol pendant quarante-huit heures avant de pouvoir être remis en vol.

Il n’est pas vrai de dire qu’il n’y a jamais eu d’accident à cause d’un nuage volcanique. Voilà une vingtaine d’années, un DC10 d’une compagnie australienne, habituellement utilisé sur des lignes régulières, mais employé également pour des vols touristiques autour d’un volcan australien en éruption, a traversé le panache. Tout le monde est mort !

Il ne faut donc pas prendre ces questions à la légère. Nous avons demandé par communiqué de presse une enquête sur la manière dont la crise a été gérée. J’évoquerai tout à l’heure la situation dans d’autres régions du monde, très en avance sur nous, où l’on parvient à faire travailler ensemble Russes et Américains et à exploiter les liaisons toute l’année malgré près de 600 volcans en éruption dans le monde.

Voler dans un espace aérien déclaré à risque est une énorme responsabilité que prend un commandant de bord – car, in fine, c’est lui qui décide de se dérouter ou non. Il est pratiquement impossible de distinguer visuellement le danger et l’annonce faite par EasyJet de la mise en place d’un système de détection devra certainement faire l’objet d’un processus de validation. En cas d’incident ou d’accident, l’attribution des responsabilités sera l’objet de doutes sérieux. Or, dans un contexte de judiciarisation croissante, il est prévisible qu’un passager importuné par une odeur de dioxyde de soufre intentera un procès. Qui sera responsable ? Le commandant de bord qui a traversé une zone dont il n’avait pas connaissance, ou la compagnie qui a maintenu le vol ? Il est certes problématique que des centaines ou des milliers de passagers soient bloqués en escale, mais la sécurité des vols doit primer.

M. Christian Kert. Vous regrettez de n’être pas invités à toutes les tables rondes, mais quand vous l’êtes, ce n’est pas pour rien…

M. Louis Jobard. Lorsqu’il est question de sécurité des vols, nous devrions être invités aux tables rondes. Il est d’ailleurs dommage que M. le ministre soit parti car il a tort de penser que les pilotes doivent s’occuper de faire voler les avions sans chercher à savoir ce qui se passe lors de telles crises. Il n’est pas normal de décider de l’ouverture ou de la fermeture d’un espace aérien sans que le syndicat de pilotes majoritaire soit autour de la table.

M. Christian Kert. C’est pourquoi vous êtes les bienvenus aujourd’hui.

M. Jean-Marc Roze, secrétaire général du Syndicat national des agences de voyage. Les voyagistes et les agences de voyage ont pu participer à l’ensemble des cellules de crise interministérielles, ce qui leur a permis d’assurer le relais avec les cellules de crise mises en place par les voyagistes français.

La problématique était multiple. Il s’agissait d’abord de prendre en charge les clients à destination, dont le nombre a été estimé à 50 000 environ. Étant donné qu’il s’agissait d’un cas de force majeure, nous n’avions pas d’obligation légale de prendre en charge financièrement les frais supplémentaires. Dans la pratique, cependant, la majorité des tour opérateurs français ont pris ces frais à leur charge pour tout ou partie, ce qui représente pour la profession un coût supplémentaire de l’ordre de 40 millions d’euros – dont 4 millions pour l’un de ces opérateurs.

Il s’agissait également du rapatriement des clients vers la France, pour lequel nous avons eu des échanges réguliers et constants avec les compagnies aériennes, notamment françaises. Ce rapatriement a été relativement facile à mettre en œuvre pour les vols de type charter affrétés par les voyagistes : dès que le trafic a été possible, nous avons fait partir des avions à vide pour aller chercher des clients dans la Caraïbe et dans d’autres sites. Il a été un peu plus compliqué de le faire pour les vols réguliers, car les compagnies régulières ont eu tendance, lors de la reprise des vols, à faire voyager aux dates prévues les passagers qui avaient réservé. Il a donc fallu un certain temps et des actions coordonnées par l’État pour envoyer des avions et procéder au rapatriement.

Il nous a aussi fallu gérer la situation des nombreux clients qui devaient partir cette semaine-là – sachant que, pour les tour opérateurs, le mois d’avril représente, après le mois d’août, le deuxième volume de départs. Il a donc fallu imaginer des solutions et informer les clients des possibilités de départ via les plates-formes aéroportuaires de province.

Enfin, il a fallu gérer les litiges. Sans attendre la mise en place d’un médiateur, décidée par M. Hervé Novelli, secrétaire d’État chargé du tourisme, la profession s’est mobilisée, avec la Fédération nationale de l’aviation marchande (FNAM), qui regroupe les compagnies françaises, et l’UFC-Que Choisir, pour passer un accord visant à résoudre dans le meilleur intérêt de nos clients tous les cas d’annulation de départs, de frais supplémentaires ou de prolongation de séjour. Les solutions proposées ont été acceptées à 85 % par la clientèle.

M. Christian Kert. Certaines des interventions que nous venons d’entendre ont déjà introduit la thématique de la deuxième table ronde. Je vous propose donc de passer dès maintenant à cette thématique : quelles perspectives pouvons-nous tracer et quelles solutions pouvons-nous préconiser ? Comment mieux anticiper ce risque et comment mieux le gérer ? Le ministre sera, bien évidemment, destinataire des actes de ces échanges.

DEUXIÈME TABLE RONDE :
QUELLES VOIES POUR AMÉLIORER LA GESTION DU RISQUE ?



M. Vincent Courtillot, directeur de l’Institut de Physique du Globe de Paris.
Tout d’abord, en réponse à une question évoquant les tempêtes de sable, je rappelle que la taille des grains, l’altitude et la durée de vol sont différentes dans un nuage de sable et dans un nuage volcanique. Surtout, le sable consiste essentiellement en silice, dont la température de fusion est sensiblement plus élevée que celle des basaltes ou des trachy-andésites émis par la dernière éruption.

Second point : l’Institut de physique du globe de Paris, associé à l’Université de Trinité-et-Tobago, est désormais chargé, au terme d’un concours international, de la surveillance du volcan de Montserrat, évoqué par M. Gamba. Nous avons donc la chance, non seulement d’avoir été préférés, sur un territoire britannique, au Geological Survey qui était également candidat, mais aussi de surveiller un volcan en pleine éruption. Depuis quinze ans, en effet, les deux tiers de l’île de Montserrat sont évacués, car la capitale, Plymouth, est recouverte de plus de dix mètres de cendres et les éruptions pyroclastiques dangereuses continuent. Des gens ont donc quitté leurs maisons depuis plus de quinze ans et on déplore quelques décès – dus sans doute à des imprudences, comme dans le cas de l’avion évoqué tout à l’heure. Nous pouvons donc étudier un volcan en éruption, émetteur de panaches de cendres importants, plus dangereux que le volcan islandais et qui a provoqué des déroutages d’avions.

Troisième point : dans le triangle essentiel de toutes les sciences de la nature, qui sont des sciences de milieux complexes, il faut de l’observation, de la théorie physique et chimique, de la réflexion et des modèles numériques. Dans de nombreuses disciplines, la puissance des ordinateurs a fait que cette branche est surdéveloppée et, pour faire écho au collègue qui demandait plus d’observation et moins de calculs, je demanderai pour ma part plus d’observation, plus de compréhension physique et moins de calculs. L’une des conclusions de cette table ronde devrait être le financement et l’engagement de tous les partenaires dans des programmes d’observation, de mesure, d’expérimentation et de compréhension physique. C’est alors seulement que nous pourrons élaborer des modèles numériques s’appuyant sur des connaissances que nous n’avons pas encore aujourd’hui.

Enfin, réduire la marge d’incertitude de 2 à 20 milligrammes par mètre cube est un programme de travail important, qui intéressera, je l’espère, nos financeurs tels que le CNRS et l’INSU. Si les volcanologues travaillent sur la composition des panaches, il est possible de réduire les marges d’erreur d’un facteur 10. Ce sera alors le tour des météorologistes, qui devront en étudier la dispersion, et des motoristes. Ceux-ci, je l’ai constaté avec stupéfaction durant les trois premiers jours de la crise, où nous avons constitué une cellule qui fonctionnait 24 heures sur 24, ont tous refusé de nous donner la moindre valeur de seuil de risque et nous ont imposé le risque zéro – lequel est impossible. Un travail s’impose donc pour déterminer des seuils sérieux, ce qui suppose probablement des expériences en soufflerie – nous pouvons leur fournir des kilos de poussière de basalte pour qu’ils puissent en étudier les effets sur les moteurs. Un programme de recherche combiné devrait être lancé pour que nous soyons en mesure d’installer dans le cockpit des avions un spectromètre indiquant rapidement la densité et la composition du nuage.

M. Hormoz Modaressi, directeur du département des risques du Bureau de recherches géologiques et minières. Par rapport à la démarche classique d’évaluation des risques volcaniques, qui consiste à identifier l’aléa, l’exposition et la vulnérabilité des éléments exposés, cette expérience d’éruption en Islande, comme d’ailleurs le tsunami de l’Océan indien, montre bien que, dans certains cas, notamment pour des événements rares aux conséquences importantes, il conviendrait peut-être de changer de modèle et de voir les choses autrement.

Pour changer de modèle, il faut d'abord évaluer le seuil de tolérance des moteurs et de tous les éléments exposés des avions, au moyen d'une collaboration forte entre les spécialistes des sciences de la Terre, des volcans, de la géochimie, des sciences de base et des matériaux et les constructeurs. C'est tout à fait réalisable.

Il faut ensuite savoir quels sont les volcans susceptibles d'émettre ce type de matériaux dangereux pour les vols. Là encore, la science est disponible.

Il faut alors identifier l'exposition. L'examen de la carte des vols révèle que tous les avions passent au même endroit : s’est-on déjà demandé ce qu'il adviendrait si un incident se produisait là ? La même démarche pourrait s'appliquer aux transports maritimes ou au transport d'énergie et de matériaux. On pourrait également l’élargir à d'autres phénomènes naturels.

Il faut ensuite voir comment traiter le problème. Pour les tsunamis, il a été convenu que des systèmes d'alerte devraient être mis en place. Pour ce qui concerne les éruptions volcaniques, il faudrait renforcer les systèmes d'observation des volcans en temps réel, par exemple au moyen de LIDAR. Il conviendrait également que des instruments embarqués permettent aux pilotes de savoir par quelle zone ils peuvent passer. Pour traiter de tels problèmes, il ne suffit pas d'une analyse classique qui se contenterait d'identifier une fois pour toutes les risques volcaniques sur l'Europe. Je le répète, il faut élargir l'analyse à tous les phénomènes qui peuvent menacer les transports et les différents réseaux de distribution d'énergie.

M. Patrick Allard, directeur de recherches à l’IPGP et au Centre national de la recherche scientifique. Il a beaucoup été question ce matin de la caractérisation du terme source, afin de disposer de modèles appropriés et utilisables. Que l’on recoure à des méthodes satellitaires, d’observation au sol ou aéroportées, nous avons besoin de personnel compétent sur place. Or, l’expérience islandaise nous a montré qu’il n’existe pas de systèmes volcanologiques européens réactifs. Alors qu’une task force européenne aurait permis d’intervenir plus rapidement, les initiatives ont été, au mieux, bilatérales. Il faudrait donc, là aussi, plus d’Europe.

Par ailleurs, pour faire écho à M. Courtillot, qui a annoncé que l’Islande pourrait connaître une éruption de ce type tous les dix ans, je rappelle qu’un autre volcan islandais, l’Hekla, entrant en éruption tous les dix ans, présente un gonflement critique et que les volcanologues islandais s’attendent à une éruption imminente ou proche de ce volcan. Cela nous rappelle qu’il existe en Italie et en Grèce – pour ne parler que de l’Europe continentale – des volcans beaucoup plus dangereux et puissants, qui sont des bombes à retardement. Il importe de les considérer comme des facteurs de risque et les gouvernements doivent leur consacrer l’attention et les financements nécessaires.

M. Alain Ratier, directeur général adjoint de Météo-France. Météo-France est en charge d’un système d’aide à la décision et cherche à l’améliorer, sans forcément vouloir en régler chaque détail.

Les seuils permettant d’évaluer la vulnérabilité doivent être mieux connus pour permettre de distinguer le risque économique du risque de sécurité, question qui a déjà été abordée. Leur ordre de grandeur conditionne la difficulté du problème scientifique à traiter et les produits d’avertissement que nous pourrons proposer. De fait, chercher à prévoir des concentrations faibles à longue distance pose un problème scientifique plus difficile. Il faut donc faire progresser la recherche en ce sens, ce qui aura des impacts sur les priorités scientifiques que nous devrons nous donner.

D’autre part, il ne faut pas opposer modélisation et observation, mais au contraire essayer de mieux conditionner un problème de prévision et de diagnostic grâce aux observations. De ce point de vue, l’observation est une priorité.

Pour ce qui est du facteur source, il faut le connaître avec précision et en temps réel. Or durant la crise, autour des 18 et 19 avril, on a révisé a posteriori d’un facteur 10 les estimations du terme source. Il faut aussi savoir comment initialiser les modèles, c’est-à-dire qu’il faut non seulement connaître la source en toute généralité, mais aussi les paramètres de la source qui sont importants pour le modèle. Ainsi, les particules très lourdes qui tombent très vite sont rapidement sans intérêt. Un dialogue s’impose donc entre les volcanologues et les modélisateurs.

Au niveau opérationnel, il n’y a pratiquement pas d’observation des concentrations dans l’atmosphère. De fait, si les données des satellites détectent dans certaines conditions la présence de particules et permettent d’estimer certaines de leurs propriétés optiques, elles n’indiquent pas les concentrations, et a fortiori pas en trois dimensions. Seuls les LIDAR donnent accès à la répartition sur la verticale. Il faut donc disposer d’une stratégie d’observation qui permette d’interpréter les observations des satellites et des LIDAR en termes de concentration. Il faut pour cela connaître les propriétés optiques des particules, et donc leur nature chimique, ce qui suppose de procéder à des mesures in situ là où les cendres sont assez denses, à quelques centaines de kilomètres du volcan, à l’aide peut-être d’avions sans pilote, et très tôt dans l’événement. On disposerait alors d’une meilleure contrainte qui permettrait de mieux interpréter toutes les données de télédétection.

L’observation a également une utilité directe dans l’aide à la décision, comme on l’a vu durant la crise, alors que seul le quart sud-ouest était ouvert : grâce à un LIDAR qui se trouvait à Toulouse un peu par hasard, on a pu vérifier que les cendres étaient peu abondantes, et situées dans les basses couches de l’atmosphère, ce qui a permis d’autoriser les vols sur la zone transatlantique. On retrouve ici l’importance de la connaissance de la répartition verticale pour apprécier le temps d’exposition d’un vol: si on connaît la structure verticale fine et qu’on extrapole ces données avec les modèles à plus grande échelle, on peut mettre en place des stratégies adaptées de gestion du trafic. Seuls les LIDAR permettent cette mesure tridimensionnelle fine. Il faut donc disposer en Europe d’un réseau de LIDAR qui mesurera le vent et les aérosols et qui, tout en servant à bien d’autres types de recherches, sera mobilisable dans de telles circonstances.

Il ne faut pas non plus opposer les observations de la source et les mesures dans l’atmosphère. En effet, on ne saurait dire quel est le facteur d’erreur incompressible sur la source, mais il restera probablement élevé. . On peut alors espérer compenser les incertitudes sur la source en contraignant le modèle par les observations de la concentration.

Je ne peux pas laisser dire que les modèles ne sont pas validés, car ils sont intercomparés et ont été validés sur certains événements. Je rappelle à ce propos que le feu lié à l’incident de Buncefield a été à l’origine de particules grasses qui ont perturbé, plus d’une semaine après l’événement, le freinage des TGV. L’exploitation des modèles en mode rétrotrajectoire, demandée à l’époque par le permanencier de Météo-France, avait permis de remonter à l’origine du problème.

Quant aux orages, il est des cas où les avions ne les évitent pas, s’ils sont généralisés sur une vaste zone. Ainsi, à Roissy en juin 2005, deux « Mayday »2 ont conduit à un regain d’intérêt pour certains systèmes d’avertissement des orages et m’ont valu de recevoir quelques visites le lendemain.

Mme Pascale Ultre-Guerard, responsable du programme d’Observation de la Terre du Centre National d’Etudes Spatiales (Cnes). J’évoquerai rapidement l’apport des satellites au suivi de l’édifice volcanique.

Les satellites permettent de mesurer les déplacements du sol – c’est-à-dire ce qui se passe à la surface – et de détecter des signes précurseurs. Ils permettent aussi de suivre les anomalies thermiques et de cartographier les dépôts afin de mieux connaître les évènements passés et, ainsi, de cartographier l’aléa.

Ces observations relèvent généralement de la recherche et il n’existe pas de dispositifs opérationnels permettant un suivi des volcans par la télédétection. De telles observations pourraient être rendues plus systématiques dans le cadre du GMES, programme européen de surveillance de l’environnement et de production de services environnementaux, actuellement limité à la gestion de la crise.

L’observation spatiale contribue également au suivi du panache du volcan. C’est notamment ce que permet, en orbite géostationnaire, le satellite Météosat de deuxième génération, muni de l’imageur Seviri, qui fournit une image de l’Europe toutes les quinze minutes. De même, le microsatellite Parasol (développé par le Cnes), en orbite basse, fournit une indication de la taille des particules. Lors de l’éruption du volcan Eyjafjöll, les images ont ainsi pu distinguer des particules issues de deux sources distinctes – les unes d’une pollution située dans le Nord de l’Europe, les autres du panache volcanique.

Le LIDAR monté sur le satellite Calipso (coopération Cnes-Nasa) a permis de montrer l’étalement du panache dans la structure verticale. Cependant, comme l’a expliqué M. Ratier, il n’est pas facile d’établir des cartes de ce genre.

L’instrument Iasi (développé par le Cnes), interféromètre de sondage atmosphérique dans l’infrarouge, permet de prévoir les déplacements des grandes masses d’air. Il fournit également une indication de la composition chimique de l’atmosphère – c’est-à-dire, en l’espèce, du panache volcanique – et transmet en temps réel les données aux centres de surveillance des poussières volcaniques.

Des marges de progression demeurent cependant. Si les mesures satellitaires permettent une mesure globale et permanente de l’atmosphère terrestre et fournissent des informations assez riches, elles ont leurs limites. Ainsi, à la différence des satellites opérationnels – météorologiques notamment –, les satellites scientifiques ne fournissent des données qu’au bout de quelques jours. En outre, la continuité de leurs mesures n’est pas assurée – c’est notamment le cas des mesures de l’atmosphère par LIDAR.

Un traitement opérationnel des données fournies par les satellites de recherche suppose la mise en place d’un dispositif qui n’existe pas actuellement, et qui a un coût.

Par ailleurs, les données satellitaires sont des mesures indirectes, parfois incomplètes ou pas assez précises, qui ne s’utilisent donc jamais seules et doivent s’inscrire dans le cadre d’un réseau d’observations, notamment au sol ou depuis des avions. Elles doivent également être calibrées au moyen de données exogènes et de systèmes de validation très pointus.

On peut identifier deux grandes pistes d’amélioration. En termes d’organisation, les données doivent être exploitées en synergie et, si possible, en temps réel. Il importe aussi de bien cerner la demande, pour savoir quoi observer et avec quelle précision, ce qui suppose des contacts avec l’utilisateur. En termes d’innovation, des satellites plus performants devraient pouvoir permettre de surmonter certaines limitations – je pense notamment à la nouvelle constellation des satellites Météosat (Météosat Troisième Génération et post-EPS) et, dans le domaine des LIDAR, à une prochaine mission de l’ESA (European space Agency – Agence spatiale européenne), baptisée Earthcare, et à la mission ACE prévue par la NASA.

En matière de synergie, toutes les composantes sont importantes – notamment, au centre du dispositif, la modélisation numérique et la validation, l’expertise scientifique et l’assimilation des observations. Aux côtés des centres de surveillance des poussières volcaniques (qui doivent en garder la responsabilité), le programme GMES pourrait jouer un rôle utile (grâce à ses infrastructures de mesure). Il faut enfin veiller à la rétroaction, afin d’améliorer les systèmes en fonction d’un retour d’expérience permanent.


Mme Nicole Papineau, directrice adjointe de l’Institut Pierre Simon Laplace.
Notre démarche associe, autour du CNES, de l’INSU (Institut national des sciences de l’univers) du CNRS et de Météo-France, de nombreux partenaires, notamment universitaires. La communauté scientifique s’est mobilisée dès le premier jour, au niveau français et au niveau européen. La coordination nationale qui existe depuis plus de vingt ans sous l’égide de l’INSU du CNRS est un atout important. En particulier, des liens forts ont été établis entre les organismes de recherche et les organismes opérationnels, par exemple avec Météo-France. Il faut enfin saluer le volontariat des personnels de recherche – chercheurs, enseignants chercheurs, ingénieurs et techniciens.


Il importe de disposer d’un réseau important de sites d’observation et d’avions de recherche. Par exemple, les chercheurs ont été en mesure de séparer, à partir des observations effectuées à l’aide de LIDAR sur le site SIRTA situé à Polytechnique, les nuages ordinaires des cendres volcaniques. Il convient, à ce propos, de ne pas opposer les modèles. Ont ainsi fonctionné des modèles opérationnels validés, d’origine britannique, et des modèles de recherche tels que le modèle CHIMERE de l’Institut Pierre Simon Laplace, utilisé par exemple dans les phases de pollution à l’ozone. Ces différents modèles ont, bien entendu, besoin d’être inter comparés et validés par des observations.

Nos avions de recherche dans le cadre de SAFIRE (citée précédemment) ont été équipés pour les missions spécifiques liées à l’événement. En 24 heures, un LIDAR a ainsi été développé conjointement par le CEA et LEOSPHERE. Il faut souligner, en pensant à l’avenir, que nous ne disposions pas d’un LIDAR embarquable sur un avion déjà opérationnel, que nous aurions pu monter en moins de deux heures. Il a également fallu installer une veine de prélèvement, qui a permis à l’INERIS d’analyser la nature des éléments prélevés et de conclure à leur origine volcanique.

Dans ce domaine, nous sommes intégrés à un réseau européen EUFAR3 auquel participent notamment tous les avions de recherche européens. Dès le lendemain de l’éruption, les diverses équipes ont ainsi communiqué par courrier électronique pour coordonner les interventions des différents avions. Il existe donc, j’y insiste, une communauté scientifique qui, durant des semaines, s’est efforcée d’améliorer la connaissance de la situation. Je citerai à cet égard le réseau européen EARLINET4, qui vise à définir des profils verticaux par LIDAR.

Des questions restent en suspens. Les unes portent sur le transport à longue distance dans l’atmosphère et le dépôt des aérosols : Quelle est la distribution en taille de ces aérosols ? Comment sédimentent-ils ? Les autres portent sur les propriétés optiques des poussières : quel en est l’impact sur le bilan radiatif de la Terre ?

Il importe désormais de renforcer les réseaux au sol, aéroportés et satellitaires, afin de disposer entre autres des moyens en LIDAR appropriés. En matière de synergie, nous avons, sous l’égide de divers organismes, organisé des pôles de données thématiques qui permettent de regrouper les données d’observations et de constituer des produits issus de plusieurs types de données qui s’attachent à améliorer les modèles. Tout cela suppose des moyens en personnels permettant de procéder à des observations, à des analyses et à des modélisations.

Afin de disposer d’aides à la décision pour une prochaine crise, il conviendrait de tirer parti des campagnes scientifiques déjà prévues et, au-delà, de mettre en œuvre une campagne spécifiquement consacrée aux volcans, associant des « atmosphériciens » et des volcanologues.

M. Jean-Paul Malingreau, chef d’unité A1, Centre commun de recherche de la Commission européenne. Le directeur général des transports de la Commission européenne m’a demandé de le représenter.

Le ministre a relaté tout à l’heure l’évolution politique du dossier durant la crise, du 15 au 21 avril. La pression politique était alors forte pour prendre au niveau européen des mesures susceptibles de relâcher la tension qui se faisait sentir dans le transport aérien et préparer les semaines suivantes. Les discussions étaient principalement consacrées à la valeur limite de concentration des cendres dans l’atmosphère et ne portaient ni sur l’amélioration de modèles, ni sur l’envoi d’avions de mesure. C’est finalement une décision politique qui a été prise sur cette valeur limite. Bien que le cheminement soit difficile à établir, il semble que la source principale en soit l’industrie, par le biais d’une interrogation formulée par téléconférence par les services britanniques de sécurité aérienne. La donnée proposée au terme d’une enquête rapide de ces services permettait de relâcher la pression et a été acceptée par une décision du Conseil des ministres des transports du 19 avril, définissant ce qu’on a appelé la « méthodologie européenne ».

Les échanges qui ont eu lieu dans divers pays permettent de concentrer l’attention des décideurs sur trois points qui pourraient permettre de développer une meilleure approche de cette analyse de crise.

Le premier est la caractérisation des sources de cendres volcaniques, qui a été largement évoquée au cours de cette audition publique. La réponse européenne, dont M. Patrick Allard a déploré l’absence, aurait été possible, car des mécanismes existent pour envoyer des experts travailler sur cette question. Cependant, la demande n’en a pas été faite par l’Islande. De fait, les pays sont pleinement souverains en matière de demandes d’assistance extérieure.

Le deuxième point est que, dès le développement de la crise, les observations et les modèles auraient pu être mieux intégrés, car les connaissances nécessaires existent. L’avenir réside donc certainement dans une amélioration du va-et-vient entre les imageries satellitaires, les informations fournies par les différents moyens aéroportés et le modèle – mais les modélisateurs n’y étaient pas nécessairement prêts, ni les personnes qui collectent les données à les fournir. L’ensemble des éléments existaient en Europe, mais n’ont pu être réunis assez vite pour résoudre la question. Je rappelle à ce propos que c’était le VAAC de Londres qui était formellement en charge des « advisories ».

Enfin, dans les jours qui ont suivi la crise, on a assisté à un foisonnement de mesures, d’activités aéroportées et de travail sur les modèles, qui n’a pas été coordonné. Il s’agit maintenant de réfléchir à la manière dont les données récoltées dans de très nombreux pays européens pourraient servir à fournir une réponse européenne valable, utilisant les compétences qui existent sur l’ensemble du continent. En termes de réponse communautaire, nous répondons à la demande du Conseil des ministres des transports et une cellule de coordination de crise a été mise sur pied au niveau européen et est en cours d’élaboration. La question qui se pose maintenant est de savoir où elle se positionnera dans l’ensemble des institutions déjà chargées de répondre à ces crises, au niveau tant national qu’international. Des organismes tels que le VAAC doivent retrouver une position dans cette proposition européenne. Tout cela se fait en coordination avec Eurocontrol. Il faudra, en termes de retour d’expérience, savoir où imbriquer les compétences scientifiques et techniques existantes au niveau européen dans cette cellule de crise : s’agira-t-il de créer une nouvelle plate-forme au niveau européen, ou de laisser le champ libre à chacun pour établir des relations bilatérales entre les différentes parties des agents de gestion de la crise ? Cela reste à voir.

Pour conclure, je suis d’accord avec M. Courtillot pour dire qu’un travail très utile qui pourrait être accompli dans les prochains mois pourrait consister à construire une série de scénarios qui nous aideraient à voir quelle serait l’ampleur des mesures à prendre en termes de préparation à des crises futures.

Il s’agit enfin d’étudier, au niveau européen, la situation dans d’autres parties du monde, notamment de voir comment les différents acteurs de ces crises peuvent être impliqués dans leur gestion. Les procédures appliquées ailleurs sont à cet égard très différentes de celles qui ont cours en Europe.

Le programme est assez chargé pour les mois et les années à venir. La question qui nous préoccupe en permanence est de savoir ce qui se passerait si une crise similaire devait se produire la semaine prochaine.

M. Claude Lelaie. Les propos tenus par le représentant du SNPL relativement à l’accident du DC 10 d’Air New Zealand de 1979 ne sont pas tout à fait exacts. Si cet avion s’est écrasé sur le mont Erebus, volcan d’Antarctique, ce n’est pas à cause de l’émission de cendres volcaniques qui aurait provoqué l’extinction des moteurs, mais à la suite d’une erreur de navigation. Il suffit pour le vérifier de consulter, comme je l’ai fait, la base de données mondiale des accidents aériens.

M. Jocelyn Smykowski. Nous ne disposons apparemment pas de la même base de données !

M. Jacques Renvier. Je peux confirmer les propos de M. Lelaie, l’enquête sur cet accident ayant été confiée à notre partenaire General Electric.

M. Claude Lelaie. Pour en revenir à la gestion de la crise, je crois qu’au début tout le monde a été surpris par cette affaire. Suivre une politique du risque zéro, conforme à la recommandation de l’OACI d’éviter à tout prix de traverser les cendres volcaniques, revenait à clouer les appareils au sol.

Une fois passé ce moment de surprise, la DGAC a su faire preuve de pragmatisme. Sa réaction a d’ailleurs été citée en exemple dans toutes les téléconférences qui se sont tenues durant la crise, surtout en mai. Les compagnies aériennes auraient aimé que les aviations civiles des autres pays fassent montre du même pragmatisme, en autorisant, comme tous les motoristes le recommandaient, le survol des zones où la concentration de cendres volcaniques était inférieure à deux milligrammes par mètre cube. Le bien-fondé de ces recommandations a d’ailleurs été confirmé par l’analyse a posteriori des moteurs dans le cadre du programme de vérification engagé par certaines compagnies aériennes.

Troisièmement, on ne progressera pas dans ce domaine tant qu’on ne sera pas capable de définir des modèles de mesure, entendus au sens large : il s’agit d’abord de déterminer ce qui sort du volcan, ce qui n’est déjà pas facile, avant d’intégrer la vitesse des vents, le mode de dissipation des cendres dans l’atmosphère, etc. On ne peut pas dire que nous disposons aujourd’hui d’un modèle validé, puisqu’aucun système n’a pu mesurer la concentration réelle. L’inspection du moteur de l’A340-600 que nous avons envoyé deux fois dans les zones réputées « noires », qui ne l’étaient pas réellement, n’a rien révélé d’anormal.

Il est aujourd’hui nécessaire de lancer un programme de grande ampleur pour valider tout ça. Dans cet objectif, Airbus a décidé d’équiper un de ses appareils de différents systèmes destinés à mesurer les concentrations de cendres et leur évolution. Installer un tel dispositif sur un avion n’est pas simple, les particules ne suivant pas les filets d’air. Nous travaillons à résoudre cette difficulté, car c’est le seul moyen de progresser.

M. Jacques Renvier. Depuis toujours, notre doctrine est que les appareils doivent éviter de traverser les nuages de cendres. La nouveauté, c’est que nous nous sommes trouvés confrontés pour la première fois à la nécessité d’indiquer des normes chiffrées : on nous a demandé de définir le seuil de tolérance des réacteurs d’avions aux particules de cendres volcaniques. Or, nous ne disposons pas d’éléments chiffrés nous permettant de justifier nos choix. Le seuil de concentration que nous avons indiqué, confirmé par quelques vols d’essai, n’est donc pas celui du risque zéro, mais celui au-delà duquel nous recommandons d’éviter de pénétrer dans le nuage visible de cendres.

Les valeurs avancées lors des téléconférences internationales auxquelles j’ai participé étaient très diverses, avec des écarts de l’ordre de 100. Il ne s’agit pas de savoir quelle est la meilleure méthode de calcul, mais ce qu’on en attend. On peut bien user le soleil à faire des vols d’essai : il faudra bien à un moment donné s’entendre sur des normes calibrées. Ce consensus suppose qu’on engage un dialogue qui n’existe pas pour l’instant.

Deuxièmement, cette crise est l’occasion d’améliorer les procédures opérationnelles, en s’inspirant notamment des méthodes d’Alaska Airlines. Nous n’avons malheureusement guère eu le temps, lors des conférences internationales, d’en discuter avec les représentants de cette compagnie.

Troisièmement, les motoristes – que ce soit Rolls Royce, General Electric, Pratt & Whitney, Honeywell ou SNECMA – travaillent, en étroite coopération avec l’AESA, à améliorer la connaissance de la réaction des moteurs à une exposition à de tels niveaux de concentration de cendres. Entre autres paramètres, nous devons déterminer quels types de particules sont à surveiller, quel est le rôle des gaz du type acide sulfurique, vérifier l’influence des différents régimes moteur, des durées d’exposition, etc. Le rapport d’étape qui sera remis en juillet à l’AESA fera le point sur tous ces éléments.

M. Jocelyn Smykowski. Si l’aéronautique est une activité à risque, il s’agit d’un risque maîtrisé, par l’analyse de phénomène et la définition de normes destinées à permettre d’effectuer cette activité en toute sécurité. C’est là la base du métier, celui du moins que nous défendons.

Nous avons été confrontés à un phénomène extraordinaire, inconnu en Europe, alors que pèse le risque d’une éruption autrement plus grave d’un autre volcan, Hekla, dans un délai possible de six mois à deux ans. Cela signifie que nous pouvons être une nouvelle fois confrontés à la situation que nous venons de vivre, avec des conséquences encore pires.

Certains prétendent que nous n’avons pas les moyens de développer des modèles d’analyse et d’en assurer l’efficacité, d’établir des normes de certification et des procédures à suivre pour les pilotes, d’élaborer pour ces derniers des dispositifs d’aide à la décision. Pour l’heure, nous, les pilotes, n’avons pas accès à de nombreux éléments, même dans la phase de préparation des vols. Il est quand même étonnant, compte tenu des conséquences économiques du phénomène – on parle d’un coût d’1,5 à 2 milliards d’euros, dont 170 millions pour l’industrie – qu’on ne trouve pas les marges de manœuvre financières pour prévenir les effets de la prochaine catastrophe.

Certes, nous avons tous, autour de la table, le sentiment d’avoir agi le moins mal possible, en acceptant une part d’incertitude, dans un équilibre précaire entre la nécessité de transporter les passagers et le niveau de risque à assumer. Celui-ci doit être le plus bas possible dans le secteur aérien, qui a toujours travaillé dans l’anticipation et la mise au point d’éléments certifiés garantissant un maximum de sécurité. Ce n’est pas tout à fait ce qui s’est passé au cours de cette crise.

Nous avons beaucoup travaillé, dans un esprit extrêmement pragmatique et en coopération étroite avec les scientifiques et les professionnels, notamment d’Alaska Airlines, à définir des procédures claires, destinées à l’ensemble des pilotes, qui devront être formées à l’exécution de ces procédures. Je rappelle qu’en France, c’est seulement depuis l’apparition de ce phénomène qu’on a lancé des programmes spécifiques d’entraînement et de formation.

M. Louis Jobard. À l’issue de cette audition publique, je vous transmettrai, monsieur le président, la position officielle de l’International Federation of Air Line Pilots’Associations, l’IFALPA, dont le SNPL est membre.

Dans le cadre des réunions tenues par la Skyteam Pilots Association, dont nous sommes également membres, nous avons pu rencontrer assez longuement les pilotes d’Alaska Airlines. L’environnement dans lequel cette compagnie travaille comptant de très nombreux volcans, ces pilotes sont constamment confrontés à des éruptions volcaniques. L’État d’Alaska a donc instauré en 2004 un dispositif de surveillance et d’alerte coordonnée. L’Interagency Operating Plan for Volcanic Ash Episodes coordonne volcanologues, géologues, météorologues, etc., à la différence de ce qui se passe en Europe, où chaque intervenant se coordonne avec ses homologues européens, sans interaction horizontale. Ce dispositif de veille permanente permet d’indiquer aux opérateurs de la région des mesures effectives de la position et de la densité des nuages de cendres. Une fois qu’elle dispose de ces informations validées, Alaska Airlines peut, dans le respect des recommandations de l’OACI et de son principe du risque zéro, envoyer ses avions inspecter les zones, afin de vérifier que la situation y est conforme aux informations dont elle dispose. Elle peut ensuite relancer ses opérations aériennes en contournant plus largement les zones rouges ou noires. Alaska Airlines assure par ailleurs un suivi longitudinal de ses appareils, dont les parties exposées aux cendres subissent une érosion accélérée. Le même constat vaut pour les avions africains, exposés aux vents de sable.

Quant aux pilotes d’Alaska, qui courent constamment le risque d’être confrontés à un nuage volcanique qui n’aurait pas été signalé, le déplacement des masses d’air n’étant pas toujours conforme aux prévisions des services météorologiques, ils ont l’obligation de suivre une formation régulière aux risques et à la conduite à tenir dans ce cas et doivent, tous les six mois, s’entraîner sur simulateur à faire face à toutes les conséquences possibles d’un tel incident.

On voit par comparaison ce qui a manqué en Europe : si la surveillance et l’alerte ont parfaitement fonctionné, on a pêché par manque de coordination. Notre position est qu’il vaut mieux voler en dehors des zones rouges et noires tant qu’on ne dispose pas de modèle efficace.

A la question de savoir de quelle marge de manœuvre un pilote dispose en vol, je peux, pour avoir vécu cette situation, vous faire la réponse suivante : aucune, puisque nous n’avons pas le moyen de la prévoir. La seule solution, une fois entré dans le nuage, est de traiter les check lists les unes après les autres. Si les moteurs se rallument et que les pitots donnent la bonne vitesse, alors peut-être tout va-t-il finalement bien se passer. Sinon, vous vous retrouvez en descente d’urgence en plein milieu du trafic aérien, particulièrement dense dans le nord de l’Europe. La situation est très différente pour les pilotes qui relient l’Alaska au Japon. Dans cette zone très peu dense, il est extrêmement facile de contourner une zone volcanique, alors que c’est quasiment impossible en Europe, tous les aéroports étant sous le nuage.

M. Pierre Verger, directeur des études de l’Observatoire régional de la santé de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. En ce qui concerne les répercussions de l’irruption volcanique sur la santé des populations, on peut, à partir des rapports déjà disponibles, qui ne sont pour la plupart que des rapports d’étape émanant de différentes agences européennes, distinguer des effets directs et des effets indirects.

Les effets directs à court terme tout d’abord sont liés aux rejets du volcan, qui comportent des gaz, notamment le SO2, gaz assez toxique qui provient également de la pollution automobile, et des cendres volcaniques, composées de particules, de silice pour l’essentiel, abrasives, corrosives, voire acides ; un quart sont des particules fines, d’un diamètre inférieur à dix microns qui leur permet d’atteindre les parties distales de l’arbre respiratoire, c’est-à-dire les plus vulnérables.

Ces cendres comportent également du fluor, qui, selon la littérature disponible sur les effets sanitaires potentiels des éruptions volcaniques, serait l’un des éléments les plus problématiques du point de vue sanitaire. En effet, un excès de fluor peut induire des intoxications aiguës, lesquelles peuvent entraîner un coma et une fragilisation du squelette (donc des fractures) et des douleurs articulaires.

Les effets directs potentiels ne sont évidemment pas les mêmes selon qu’on se trouve dans des zones proches ou éloignées du volcan. Les répercussions constatées en Islande concernaient pour l’essentiel l’appareil respiratoire, avec le risque d’apparition de symptômes respiratoires chez les personnes vulnérables (notamment celles souffrant déjà de pathologies respiratoires ou d’asthme) ou d’irritation des muqueuses de la gorge et de la trachée. Ces effets ont été observés chez un petit nombre d’habitants de la zone la plus fortement touchée par les retombées du volcan. Parmi les effets possibles, on peut aussi mentionner des symptômes ophtalmiques – conjonctivites, abrasions cornéennes chez les porteurs de lentilles – ou des irritations cutanées, liées notamment au caractère acide des particules.

Dans le reste de l’Europe, les effets directs potentiels à court terme sont différents par suite de niveaux d’exposition beaucoup plus faibles du fait de la localisation en hauteur du panache, de la diffusion et de la dispersion du nuage, et des dimensions plus importantes des particules retombées au sol, ce qui les rend moins dangereuses pour l’appareil respiratoire. Les pays comme la France ou le Royaume-Uni, dotés à la fois de dispositifs de surveillance environnementale et de surveillance sanitaire, n’ont pas observé d’impact significatif du nuage, ni sur le plan environnemental ni sur le plan sanitaire, et ce quel que soit l’indicateur retenu.

Les effets directs à long terme potentiels des dépôts de cendres, sur lesquels on n’a encore que peu d’informations, peuvent venir de la contamination de l’eau et de la chaîne alimentaire. L’agence européenne de sécurité alimentaire, chargée d’évaluer les risques s’agissant du fluor, a conclu à un risque négligeable en dehors de la proximité immédiate du volcan. L’agence fait cependant état, dans son évaluation, de nombreuses incertitudes liées au manque de données, notamment sur l’évolution des concentrations de fluor dans les rejets tout au long de l’éruption.

Quant aux effets indirects possibles, ils sont liés à l’interruption du trafic aérien. Aucune répercussion sur l’acheminement d’organes ou de moelle osseuse pour transplantation ou sur l’approvisionnement en médicaments n’a été signalée, mais là encore on manque d’informations et de données. L’afflux massif de voyageurs dans les aéroports peut provoquer du stress et des réactions anxieuses ; des besoins fondamentaux des personnes amenées à séjourner de façon imprévue dans un aéroport peuvent ne plus être satisfaits, notamment ceux de populations vulnérables, tels les enfants ou les personnes âgées. Cet afflux peut par ailleurs provoquer des ruptures dans le traitement des diabétiques, des asthmatiques, des porteurs de maladie coronarienne, ou d’autres maladies chroniques graves. Sur tous ces points, nous ne disposons d’aucune donnée publiée et nous en en sommes réduits aux hypothèses.

Je conclurai mon intervention en ouvrant quelques pistes de discussion.

Nous constatons des difficultés d’évaluation des risques en temps réel : l’absence de nombreuses données laisse une large place aux incertitudes, même si, en ce qui concerne l’Europe, les principaux dispositifs d’observation ont fourni des éléments relativement rassurants. Cela prouve l’intérêt d’une préparation ex ante pour faciliter les recueils de données ainsi que l’utilité du retour d’expérience pour améliorer la coordination internationale : le domaine sanitaire et épidémiologique n’échappe pas à la nécessité d’une telle coopération, déjà maintes fois évoquée ce matin.

On peut conclure également sur l’intérêt, pour assurer la gestion des risques en cas de crise, des dispositifs de surveillance environnementale et sanitaire de la population générale permettant de produire des données d’observation en quasi-temps réel, venant en complément des démarches d’évaluation des risques. Il faudrait en outre mettre en place des dispositifs de surveillance sanitaire dans les aéroports pour faire face aux problèmes générés par un afflux massif de voyageurs, qui risquent en outre d’être contraints d’y séjourner durant des périodes plus ou moins longues. M. Bussereau a rappelé combien on manquait de données dans ce domaine. Il serait également intéressant d’élaborer des méthodologies permettant d’évaluer les impacts sociaux et économiques de cette crise sur les voyageurs eux-mêmes.

M. Claude Frantzen, membre du conseil d’administration de l’Institut pour la maîtrise des risques.

La transformation d’un potentiel de catastrophe humaine en une véritable catastrophe économique à laquelle nous avons assisté relève d’une nécessité que l’on peut qualifier de « cyndinique ». Les sciences cyndiniques, ou sciences du danger, privilégient une approche globale, systémique, transverse, faisant apparaître des dissonances et des déficits. Mais elles constituent d’abord un outil pragmatique qui permet cinq regards différents : sur les faits, sur les modèles, dont on a beaucoup parlé ce matin, sur les valeurs, sur les règles et sur les objectifs.

Je ne m’attarderai pas sur l’ensemble des faits, qui ont déjà été largement exposés. Je soulignerai simplement la nécessité d’un traitement transnational de ces faits, une vision uniquement nationale étant incapable de répondre aux questions que vous avez posées ce matin.

En ce qui concerne les modèles, on a constaté l’absence d’une chaîne continue de modèles validés allant des causes jusqu’aux effets potentiels de l’éruption volcanique sur le transport aérien. Les cyndiniques appellent « modèle » tout ce qui permet de guider l’action, qu’il s’agisse de modèles déterministes et mathématiques ou de modèles discursifs, beaucoup utilisés en sciences humaines. Il est essentiel de bien définir les limites de ces modèles si on veut éviter les catastrophes qui ont bouleversé récemment le secteur financier, par exemple, où on avait oublié les limites des différents modèles

Les modèles utilisés dans le champ qui nous occupe aujourd’hui sont, non seulement peu cohérents, mais contestés. C’est le cas notamment des modèles de dispersion des particules dans l’atmosphère ou de ceux mesurant l’impact des cendres sur les appareils. Il en va de même dans le domaine de la mitigation, où les quelques modèles de conduites opérationnelles se révèlent relativement simplistes, ou de l’organisation du trafic, qui souffre de l’imprécision de ses modèles de management. L’organisation des VAAC est également très incertaine : on ne sait si leurs recommandations s’adressent aux compagnies ou aux autorités. Cette confusion s’est trouvée aggravée en Europe, où le VAAC de Londres avait la charge de suivre l’évolution du nuage dans des espaces aériens très éloignés de sa zone d’exercice habituelle et relevant de la compétence d’autres centres. Enfin l’information ne se distingue pas toujours de la prescription : ainsi la délimitation de zones rouges ou noires présente déjà en soi un caractère prescriptif.

Sur l’axe des valeurs, la vie occupe évidemment une place centrale, mais la prise de risque fait également partie des valeurs vitales. Le principe de précaution a également été évoqué, à tort, cette crise étant à mon avis tout à fait en dehors du champ de ce principe. En effet, celui-ci n’a valeur constitutionnelle que dans le domaine environnemental, alors qu’il s’agit là d’un problème de perturbation du transport aérien, qui relève du champ économique. Deuxièmement, le risque d’une catastrophe majeure pour les avions était certain, alors que le principe de précaution ne s’applique que dans le cas où l’existence d’un risque n’est pas certaine.

Toujours dans ce domaine des valeurs, il ne faut pas oublier le home, sweet home : le droit de rentrer chez soi ou de rallier la destination où on comptait se rendre prend une valeur tout à fait considérable, au point de concurrencer la valeur « vie » ou la valeur « prise de risque ». Il faut également prendre en compte la question « qui paie le mistigri ? » : à qui faire porter la charge du dommage quand le responsable n’est pas identifiable ? Il reste le débat classique, tout particulièrement en France, sur la répartition de la responsabilité entre l’État sauveur et l’exploitant privé. La valeur « temps » entre aussi en jeu : le temps du volcanologue n’est pas celui du pilote ; le temps du chercheur n’est pas celui du motoriste. En outre, comme je l’ai découvert ce matin, le temps de la prévision pose une difficulté particulière en matière de gestion de la crise, notamment lorsqu’il faut synchroniser le redémarrage des différents acteurs.

Je dirais en conclusion qu’il y a quatre débats à mener, en France, mais aussi en Europe et dans le monde. Il faut d’abord débattre des modèles. Ceux-ci doivent être enrichis dans une perspective résolument opératoire : si la recherche académique est nécessaire, on a surtout besoin actuellement de modèles qui permettent aux équipages de savoir ce qu’ils ont à faire et à ne pas faire. Il faut se garder de toute vision excessivement déterministe des modèles : dans un univers incertain, un modèle n’a pas nécessairement pour fonction d’apporter une réponse précise à une question précise.

La difficulté est de concilier ce paramètre d’incertitude avec la nécessité de la certification. C’est possible, même si cela nécessite un travail considérable, puisque cette notion de certification dans un monde incertain est déjà utilisée pour gérer des risques tels que les dommages causés aux appareils par la grêle, déjà cités, ou les oiseaux.

Les modèles doivent par ailleurs prendre en compte les répercussions économiques.

Il faudra également engager le débat de la préparation. Des exercices à pleine échelle impliquant les autorités, notamment politiques, de plusieurs pays, constitueraient certainement la meilleure préparation à la gestion de futures éruptions, notamment dans la perspective du réveil d’Hekla le bien nommé. Une véritable préparation suppose également la mise à disposition de moyens de mesure réels. Je pense en particulier à la procédure du double vol, qui permet de doubler un avion de ligne ordinaire par un appareil dédié à la mesure des cendres. J’avoue avoir été quelque peu choqué d’apprendre qu’on a hésité à mettre en œuvre cette procédure ; il faudra à l’avenir prendre toutes dispositions, y compris humaines, pour pouvoir réaliser de telles mesures. Enfin, une action efficace suppose une définition claire et synthétique des lieux de décision. Il y a dans le transport aérien deux lieux privilégiés de vision synthétique : le pilote dans le cockpit, et, tout à fait en amont, les États, qui ont accès à l’ensemble de l’information. Dans l’action, c’est le pragmatisme, comme mode d’emploi et non le diktat des modèles qui doit l’emporter.

Le dernier débat porte sur les valeurs. C’est le vieux débat entre prise de risque et blocage : quel niveau de risque est-on prêt à accepter ? La vérité bien connue que le risque zéro n’existe pas entre en contradiction avec l’exigence de voler en toute sécurité : il faut continuer à progresser dans la voie de la réduction de cette contradiction.

M. Patrick Gandil, directeur général de l’aviation civile. Je vais d’abord vous exposer quelle a été notre philosophie dans la gestion de cette crise, avant d’indiquer quelques solutions pour l’avenir.

Le phénomène que nous avons eu à affronter était nouveau à plus d’un point de vue. Si la perturbation du trafic aérien par des cendres volcaniques n’avait rien de nouveau en soi – les précédents étaient même nombreux – l’apparition d’un tel phénomène dans une zone de trafic extraordinairement dense, entraînant le blocage de certains des plus grands aéroports du monde, constitue une situation tout à fait inédite. Deuxième nouveauté, alors que la gestion de telles situations est ordinairement soumise au principe que les appareils ne doivent pas entrer dans le panache, cette crise impliquait l’usage de modèles élaborés à partir de calculs de concentrations infinitésimales, et de moyens de mesures relativement nouveaux ne correspondant pas forcément aux règles de prudence établies par l’OACI au début des années quatre-vingt. C’est ce qui explique que des appareils aient pu traverser le nuage sans le moindre dommage, la précision dans la mesure des particules dépassant de beaucoup la définition d’un nuage de cendres sur laquelle se fondent les recommandations de l’OACI.

Face à cette nouveauté, le décideur doit agir, ce qui suppose de sa part une juste appréciation de la situation et la définition claire de l’objectif et de ce qu’il veut éviter. Notre objectif était évident : assurer la sécurité des passagers et de l’équipage. En ce qui concerne l’appréciation de la situation, il ne s’agissait pas de déterminer s’il est dangereux de traverser un nuage de cendres en général, mais si cela l’était dans le cas particulier. Sur ce point, je conteste absolument la comparaison établie par M. Smykowski avec Ebola. L’excès conduit à l’erreur, et je n’avais pas le droit, pour ma part, à de telles caricatures. J’avais au contraire le devoir d’apprécier le risque avec exactitude afin de donner un conseil adapté à la situation. Il s’agissait de prendre une juste mesure du risque, et non de l’extrapoler au point de n’autoriser que l’inaction. Il y a un moment où on doit prendre ses responsabilités en son âme et conscience, après avoir recueilli le maximum d’informations auprès des spécialistes, notamment des pilotes. Nos sociétés meurent à force d’ouvrir le parapluie ou de se réfugier dans l’inaction, et, dans le cas d’espèce, l’honneur de la DGAC a été de s’y refuser.

On doit également s’inspirer de ce que font les autres. Les procédures mises en œuvre par l’Etat d’Alaska, telles que M. Jobard vient de nous les décrire, méritent tout particulièrement notre attention. Ces observations confirment la nécessité de s’entendre sur la définition du nuage : la consigne de voler hors du nuage en vol à vue laisse penser qu’un nuage est nécessairement quelque chose de visible. On mesure à cet exemple l’étendue du travail de redéfinition qui s’impose à nous en vue d’adapter ces concepts à la précision des nouveaux outils de modélisation. C’est de plus de science que nous avons besoin, et non pas de plus de catastrophisme.

Augmenter nos connaissances suppose l’action coordonnée de multiples acteurs, cette nécessité de coordination ne devant cependant pas faire négliger l’importance de chaque partie. La première question que les autorités doivent poser aux motoristes et aux avionneurs est de savoir, non pas ce qui peut abîmer telle ou telle partie de l’avion, mais ce qui est dangereux, à quelle concentration et à la suite de quelle durée d’exposition, voire quelles particules : il s’agit de parvenir à un niveau raisonnable de description, ce qui suppose d’accepter une certaine marge d’imprécision. Cela concerne non seulement les risques encourus par les moteurs à hautes températures, mais également ceux auxquels sont exposées les autres parties de l’avion à des températures ordinaires, les dommages étant dans ce dernier cas, à mon avis, générés par des niveaux de concentrations de cendres plus élevées que ceux qui mettent en péril les moteurs. Les simulations et les essais auxquels les motoristes et les avionneurs devront procéder pour mesurer ces niveaux de risque devront probablement impliquer aussi les volcanologues et les météorologues. Pour ma part, ce que j’en attends concrètement, c’est qu’on me dise quelle quantité absolue de cendres ou quelle durée d’exposition aux particules de cendres un moteur peut supporter : je pense que ce n’est pas impossible, mais que cela demandera un travail assez long. Cela suppose notamment qu’on puisse observer d’autres éruptions – on va finir par penser qu’on manque cruellement d’éruptions !

Ces motoristes et ces avionneurs doivent pouvoir dispenser en temps réel aux personnels chargés de la maintenance et surtout aux pilotes une information précise sur les situations auxquelles ils risquent d’être confrontés.

En ce qui concerne les météorologues, nous attendons d’abord d’eux une aide à la décision via l’établissement de cartes et de courbes de concentration. Par ailleurs, nous sommes preneurs de tout ce qu’ils pourraient nous apprendre sur les mouvements des gaz présents dans les nuages. Nous avons déjà avancé dans cette coopération, en dépit de la rusticité des outils dont nous disposons et des nombreuses critiques dont ils ont fait l’objet : ainsi la validation de modèles par l’analyse d’informations recueillies par satellite, en mettant en évidence la distribution de concentrations, nous a permis de prendre la mesure de certains risques.

Troisièmement, nous devons développer la coopération internationale, notamment européenne. Le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France, pays qui ont une longue tradition d’aviation, ont une responsabilité particulière dans ce domaine, les trois plus grandes compagnies européennes relevant des autorités de sécurité de ces trois États. Il s’agit d’adopter des normes communes en matière de sécurité, de maintenance et de pilotage, tant au niveau de l’AESA que de l’OACI, via notamment des coopérations entre l’AESA et la Federal Aviation Administration américaine. Tout ce travail a déjà été engagé, et la réaction de l’AESA a été assez rapide lors de cette crise. Mais on n’élabore pas à la légère des normes à caractère obligatoire et ce travail exigera du temps. En attendant, nous serons contraints de prendre nos responsabilités – je pense notamment aux pilotes – pour faire tourner le système.

Il faudra enfin, dans un avenir plus lointain, développer les systèmes embarqués d’information en temps réel. Quelle que soit en effet la qualité des modèles, quand on est confronté, en plein milieu de l’Atlantique, aux évolutions aléatoires d’un nuage de cendres, le plus sûr serait de pouvoir les suivre sur un écran. Tous les travaux visant à développer les outils de mesure ne pourront que contribuer au développement de l’avionique de bord.

Vous pouvez considérer toutes ces pistes comme le rêve fou de la DGAC, mais si une partie de ce rêve devenait réalité, cela suffirait pour nous permettre de vivre mieux la prochaine éruption volcanique.

Mme Estrid Brekkan, Ministre Conseiller près l’Ambassade d’Islande. Le nom d’Eyjafjallajökull signifie « glacier de la montagne des îles », même s’il s’agit d’un volcan.

Nous apprécions beaucoup l’occasion qui nous est donnée de participer à cette rencontre, l’Islande suivant de très près tout ce qui est fait pour nous aider à éviter le retour d’une situation comme celle que nous avons vécue au printemps. Notre pays étant une île, le bon fonctionnement du transport aérien est vital pour nous : en l’absence d’avion, le seul moyen de se rendre à l’étranger est le ferry, qui, chaque semaine, part de l’est de l’Islande et met 52 heures pour rallier le Danemark… C’est dire combien nous serions isolés sans le transport aérien.

Les interventions passionnantes que nous venons d’entendre auraient mérité de ma part de plus longs commentaires que ne me le permet le peu de temps qui m’est imparti. Je voudrais simplement signaler que l’Islande a, paradoxalement, peu souffert pendant cette période et que la vie quotidienne s’y est poursuivie comme si de rien n’était, excepté, bien évidemment, dans la zone du volcan. Dans cette région, qui représente 1 ou 2 % du territoire islandais, la vie privée et professionnelle des habitants, notamment des agriculteurs, est toujours gravement affectée par les retombées de l’éruption. Mais nous avons bon espoir que tout rentrera dans l’ordre.

J’ai eu grand plaisir à entendre les scientifiques, notamment les météorologues et les géologues, se féliciter de leur bonne collaboration avec leurs homologues islandais. Cela est conforme à l’esprit des relations qui nous lient avec la France dans tous les domaines.

M. Badaoui Rouhban, directeur de la section de la prévention des catastrophes de l’Unesco. C’était vraiment un plaisir d’assister à ces auditions. Vous avez souligné la nécessité de développer la coopération internationale dans la gestion de ce type de crise, le ministre évoquant en particulier le besoin de « plus d’Europe ». Ce sujet me semble en effet de ceux qui se prêtent tout particulièrement à un traitement transnational. Les Nations unies devraient s’interroger sur leur rôle dans ce domaine, l’Unesco notamment, dont la compétence s’étend à des disciplines telles que la volcanologie, la climatologie, la météorologie, l’aéronautique, les sciences de l’espace, pourrait engager avec vous une réflexion à partir de ces auditions.

M. Christian Kert. L’éruption du volcan Eyjafjöll qui a débuté à la mi avril 2010 n’est pas exceptionnelle : des éruptions volcaniques projetant à haute altitude de grandes quantités de cendres volcaniques qui forment des nuages se répandant à de grandes distances se sont produites dans le passé et se produiront dans un avenir plus ou moins proche. Devant un danger identifié mais qu’elles n’étaient pas en mesure d’apprécier immédiatement, les autorités ont dû, par précaution, fermer d’urgence l’espace aérien en Europe. Me référant aux propos introductifs du Président Claude Birraux, il m’apparaît que le progrès consiste à traiter de tels risques dès lors qu’ils sont évalués, par la prévention. Les exposés présentés au cours de la matinée montrent que ce résultat peut être attendu de travaux scientifiques et techniques qui amélioreront la connaissance des émissions et de la diffusion des nuages de cendres volcaniques, de la fixation de normes de sécurité pour les avions et les procédures de gestion de crise. Les nombreux opérateurs, scientifiques ou professionnels, devront coopérer à un niveau international, notamment avec les autorités qui gèrent l’espace aérien de l’Europe.

L’éruption du volcan Eyjafjöll nous intéresse aussi parce qu’elle constitue un modèle qui souligne les nouveaux risques d’une société mondialisée de haute technicité et l’importance de ses réseaux (réseau des observatoires géophysiques, de surveillance et de prévision des organismes météorologiques, de l’aviation civile, des fabricants d’avions, des pilotes, des agences de voyage…). Il est, en effet, nécessaire de préparer des réponses appropriées en analysant dans toute leur complexité les exemples qui se présentent.

L’OPECST est enfin très soucieux des impacts psychologiques et sociaux des crises qui affectent un large public : la séance aura eu à, cet égard, le mérite de contribuer à l’information de tous en constituant l’amorce d’un retour d’expérience global faisant intervenir toutes les parties prenantes ; il pourrait être envisagé de la prolonger par une nouvelle audition publique, lorsque les retours d’expérience spécialisés, accompagnés de recommandations ou de décisions auront été menés à bien.

Je remercie chacune et chacun des intervenants, ainsi que toute l’équipe de l’OPECST, de la qualité de ces débats, qui ont permis un dialogue ouvert et direct. Je remercie également, madame la Ministre Conseiller, de l’intérêt que vous portez à nos travaux.

Ces échanges feront l’objet d’un compte rendu que nous soumettrons aux différents intervenants.

La séance est levée à 13 heures 20.

1 LIDAR : acronyme de l’expression anglaise Light Detection and Ranging. Il s’agit d’une technologie de télédétection ou de mesure optique basée sur l’analyse des propriétés d’une lumière laser envoyée vers son émetteur.

2 Mayday : expression utilisée au plan international dans les communications radio-téléphoniques pour signaler qu’un avion ou un bateau est en détresse.

3 EUFAR : European Fleet of Airborne Research Flotte européenne de recherche aéroportée. La France y contribue à travers le programme SAFIRE, lequel réunit le CNRS, le CNES et Météo-France.

4 EARLINET : European Aerosol Research Lidar Network. Ce réseau auquel participent deux stations françaises, vise à mesurer par lidar la distribution verticale des aérosols.


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