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N
° 97

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 18 juillet 2007.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR :

- LE PROJET DE LOI, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du protocole n° 13 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, relatif à l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances,

et

- LE PROJET DE LOI, adopté par le Sénat, autorisant l’adhésion au deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort,

par M. Jacques REMILLER,

Député

Voir les numéros  :

Sénat : 277, 341 et T.A. 103 ; 278, 342 et T.A. 104 (2006-2007).

Assemblée nationale : 5, 10

INTRODUCTION 5

I – UN ENGAGEMENT IRREVERSIBLE EN FAVEUR DE « L’INVIOLABILITÉ DE LA VIE HUMAINE » EN EUROPE 7

A. – DE LA RECONNAISSANCE DU DROIT À LA VIE … 7

B. – …À L’ABOLITION TOTALE DE LA PEINE DE MORT EN TOUTES CIRCONSTANCES. 8

1) Le protocole n°6 : l’abolition de la peine de mort en temps de paix 8

2) Le protocole n°13 : l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances 11

II – DES AVANCÉES SUR LE CHEMIN DE L’ABOLITION UNIVERSELLE DE LA PEINE DE MORT 13

A. –  LE PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES DE 1966 PROCLAME LE DROIT À LA VIE. 13

1) Un instrument universel de protection des droits de l’homme 13

2) Le Pacte reconnaît le droit à la vie mais n’interdit pas la peine de mort 14

B. – LE DEUXIÈME PROTOCOLE FACULTATIF DE 1989 : UN INSTRUMENT À PORTÉE UNIVERSELLE VISANT À ABOLIR LA PEINE DE MORT 15

1) Un instrument universel prohibant la peine de mort 15

2) Le deuxième protocole additionnel est doté d’une force juridique contraignante 16

CONCLUSION 19

EXAMEN EN COMMISSION 21

« (…) nous vous demandons de consacrer une inviolabilité plus haute et plus sainte encore ; l’inviolabilité de la vie humaine ».

Victor HUGO, Assemblée nationale constituante,

séance du 15 septembre 1848.

Mesdames, Messieurs,

L’appel solennel de Victor HUGO à la tribune de l’Assemblée nationale constituante, le 15 septembre 1848, a été relayé par de nombreux défenseurs de l’abolition de la peine de mort dont le combat, ancien et souvent difficile, n’est jamais terminé.

Certes, de réels progrès ont été enregistrés dans le monde où la cause abolitionniste gagne du terrain. Plus de la moitié des Etats ont proscrit la peine capitale dans leur législation ou dans les faits et depuis 1990, selon l’organisation de défense des droits de l’homme, Amnesty International, plus de 40 pays et territoires ont aboli la peine capitale en toutes circonstances. Aujourd’hui, 89 pays et territoires ont proscrit la peine de mort pour tous les crimes ; 10 pays l’ont aboli sauf pour les crimes exceptionnels tels que ceux commis en temps de guerre et 30 pays peuvent être considérés comme abolitionnistes de facto dans la mesure où, si la peine de mort est toujours prévue par leur législation, ils n’ont procédé à aucune exécution depuis au moins dix ans. Au total, ce sont ainsi 129 pays et territoires qui ont renoncé à recourir à la peine capitale de jure ou de facto.

Il reste toutefois 68 pays dans le monde qui maintiennent la peine de mort et appliquent ce châtiment. Au cours de l’année 2006, au moins 1.591 prisonniers ont ainsi été exécutés et 3.861 personnes condamnées à mort, toujours d’après Amnesty International qui considère ces chiffres comme très certainement en deçà de la réalité. 91 % des exécutions recensées ont eu lieu en Chine, en Iran, au Pakistan, en Iraq, au Soudan et aux Etats-Unis.

En France, la peine de mort a été abolie par la loi n°81-908 du 9 octobre 1981. Depuis le 24 février 2007, cette interdiction est inscrite dans notre Constitution dont le nouvel article 66-1 proclame que « Nul ne peut être condamné à la peine de mort »(1). Cette révision constitutionnelle a été rendue nécessaire à la suite de la décision n°2005-524/525 DC (2) du Conseil constitutionnel. Saisi de la question de savoir si une révision de la Constitution était nécessaire pour ratifier deux engagements internationaux relatifs à l’abolition de la peine de mort, le Conseil a considéré que si le protocole n°13 à la Convention européenne des droits de l’homme (3) était compatible avec notre charte fondamentale, la ratification du deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 15 décembre 1989 (4) affecterait les conditions essentielles de la souveraineté nationale. Le Conseil a, en effet, estimé que, dans la mesure où le deuxième paragraphe de l’article 6 du protocole exclut toute dérogation fondée sur l’article 4 du Pacte, l’impossibilité de le dénoncer confère au protocole un caractère irréversible, susceptible de porter atteinte à la souveraineté nationale (5).

Dans ces conditions, un projet de loi constitutionnelle (6) inscrivant l’interdiction sans réserve de la peine de mort dans notre Constitution a été soumis à l’Assemblée nationale, le 17 janvier 2007. A l’issue de son examen par chacune des deux assemblées, le texte a été adopté par le Congrès du Parlement le 19 février 2007.

Cette révision constitutionnelle ouvre la voie à l’adhésion sans réserve de la France au deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’adhésion à ce protocole onusien ainsi qu’au protocole n°13 à la Convention européenne des droits de l’homme permet aujourd’hui à la France de réaffirmer son engagement pour l’abolition de la peine de mort en temps de paix comme en temps de guerre.

I – UN ENGAGEMENT IRREVERSIBLE EN FAVEUR DE « L’INVIOLABILITÉ DE LA VIE HUMAINE » EN EUROPE

L’adoption du protocole n°13 à la Convention européenne des droits de l’homme doit permettre de consolider le principe de « l’inviolabilité de la vie humaine » qui est au fondement du droit à la vie que proclame la Convention.

A. – De la reconnaissance du droit à la vie …

Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, les pays européens, déchirés, ont éprouvé le besoin de s’unir et d’affirmer des valeurs communes de respect des droits et des libertés fondamentales des individus. Regroupés au sein du Conseil de l’Europe, créé en mai 1949, ils adoptent, l’année suivante, la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – ci-après dénommée « Convention européenne des droits de l’homme » –, premier instrument juridique international garantissant la protection des droits de l’homme (7).

La Convention européenne des droits de l’homme définit les droits et libertés de caractère civil ou politique que tout Etat partie s’engage à reconnaître à toute personne relevant de sa juridiction. Parmi les droits et libertés fondamentales que la Convention proclame figurent le droit à la vie, l’interdiction de la torture, de l'esclavage et du travail forcé, le droit à la liberté et à la sûreté, le droit à un procès équitable, le droit au respect de la vie privée et familiale, la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d'expression, la liberté de réunion et d'association, le droit au mariage, le droit à un recours effectif et l’interdiction de discrimination.

Le premier droit énoncé par la Convention est le droit à la vie. Considéré par la Cour européenne des droits de l’homme comme « l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l’Europe » (8), le droit à la vie est le premier des droits de la personne humaine, car il est la condition nécessaire à l’exercice de tous les autres droits. L’article 2 de la Convention dispose ainsi que le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. Une jurisprudence constante de la Cour interprète cette disposition comme imposant à l’Etat non seulement de s’abstenir de donner la mort intentionnellement, mais aussi de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie.

Toutefois, l’article 2 de la Convention n’exclut pas la possibilité d’atteintes au droit à la vie en précisant que « la mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal, au cas où le délit est puni de cette peine par la loi ». Son deuxième paragraphe prévoit une clause d’exception selon laquelle un « recours à la force rendu absolument nécessaire » par la défense de l’ordre public ne constitue pas une violation de la Convention. Le recours à la peine de mort n’est donc pas exclu mais strictement encadré.

La Cour européenne des droits de l’homme, chargée de garantir le respect effectif des dispositions de la Convention, a eu à connaître de l’exception ouverte au droit à la vie proclamé par l’article 2 de la Convention. Dans deux arrêts récents (9), elle a établi une relation entre le prononcé de la peine capitale et l’interdiction des traitements inhumains et dégradants stipulée par l’article 3 de la Convention, élargissant ainsi la protection des individus à l’encontre de la peine capitale.

Si l’affirmation du droit à la vie représente un progrès essentiel dans la construction d’un régime juridique de protection des droits de l’homme, l’abolition de la peine de mort a longtemps représenté l’objectif ultime pour parachever ce régime et conforter les valeurs démocratiques communes au plan européen. C’est ainsi qu’au début des années 80, un premier protocole proclamant l’abolition de la peine de mort a été élaboré puis adopté par le comité des ministres du Conseil de l’Europe.

B. – …à l’abolition totale de la peine de mort en toutes circonstances.

A la suite de plusieurs initiatives de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, un premier texte – le protocole additionnel n°6 à la Convention européenne des droits de l’homme – qui abolit la peine de mort en temps de paix, a été adopté en 1983. Cette évolution a été confortée et prolongée par l’adoption, en mai 2002, du protocole n°13 qui interdit également le recours à la peine capitale en temps de guerre.

1) Le protocole n°6 : l’abolition de la peine de mort en temps de paix

Le protocole additionnel n°6 à la Convention européenne des droits de l’homme constitue le premier instrument juridiquement contraignant en Europe qui interdit la peine de mort et n’autorise aucune dérogation ni réserve. Ouvert à la signature des Etats membres du Conseil de l’Europe le 28 avril 1983, il est entré en vigueur le 1er mars 1985. Avec ce protocole, l'Europe est passée d'une situation de tolérance de la mort légale à sa prohibition.

Le principe de l’abolition de la peine de mort

L’article 1er du protocole n°6 stipule que « la peine de mort est abolie. Nul ne peut être condamné à une telle peine ni exécuté ». Sous réserves de situations envisagées à l’article 2, un Etat doit donc supprimer la peine capitale de sa législation pour devenir partie au protocole.

Parallèlement, l’article 2 du protocole limite au temps de paix l’obligation de l’abolition de la peine de mort. Autrement dit, un Etat peut devenir partie au protocole même si sa législation, actuelle ou future, prévoit la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre. Toutefois, la peine de mort ne pourra être appliquée que dans les cas prévus par cette législation.

Il convient, par ailleurs, de relever que le protocole ne prévoit aucune possibilité de dérogation (article 3) ni de réserves (article 4) à son dispositif, par exception aux dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme (articles 15 et 57).

Dans la mesure où le protocole n°6 revêt un caractère additionnel, il n’a pas pour effet de supprimer, pour les parties qui y adhèrent, l’article 2 précité de la Convention européenne des droits de l’homme sur le droit à la vie. Toutefois, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que les Etats parties, comme les Etats non parties au protocole (Arménie, Russie, Turquie), ne peuvent plus se prévaloir du paragraphe 1 de cet article (10). Le juge européen estime, en effet, que la pratique abolitionniste de la quasi-totalité des Etats contractants traduit l’accord de ceux-ci pour abroger, ou du moins substantiellement modifier, l’exception de la peine de mort prévue à l’article 2, paragraphe 1, et qu’il y a lieu de considérer que la peine de mort est « une forme de sanction inacceptable, voire inhumaine, qui n’est plus autorisée par l’article 2 » (11). Une jurisprudence constante de la Cour a, par ailleurs, conduit à ne pas autoriser l’extradition d’un individu vers un pays où il risquerait d’être condamné à mort et soumis aux conditions extrêmement dures du quartier des condamnés à mort.

Le rejet de la peine de mort, pierre angulaire de l’identité européenne

Soucieux de parvenir à un espace européen sans peine de mort, le Conseil de l’Europe a fait de l’abolition de la peine capitale une condition d’adhésion à l’organisation.

En principe, les protocoles additionnels qui complètent la Convention européenne des droits de l’homme sont facultatifs et ne s’appliquent donc qu’aux Etats qui les ont ratifiés. Toutefois, afin de garantir l’application la plus large du protocole n°6, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a tenu à lui conférer une autorité particulière. Dans cette perspective, elle a adopté, en 1994, une résolution 1044 aux termes de laquelle l’une des conditions à satisfaire par les nouveaux Etats désireux d’adhérer à l’Organisation est l’institution immédiate d’un moratoire sur les exécutions, accompagnée d’un engagement de signer et de ratifier le protocole n°6 dans un délai de un à trois ans.

Par la suite, l’Assemblée parlementaire a régulièrement rappelé sa profonde conviction que « l’application de la peine de mort constitue une peine inhumaine et dégradante, et une violation du droit le plus fondamental de l’homme, le droit à la vie », réaffirmant que « la peine capitale n’a pas sa place dans des sociétés démocratiques civilisées, régies par l’Etat de droit »(12).

Aujourd’hui, à l’exception de la Fédération de Russie, les 46 Etats membres du Conseil de l’Europe, dont la France(13), ont ratifié le protocole additionnel n°6. L’interdiction de la peine de mort apparaît ainsi comme une valeur essentielle, partagée par la quasi-totalité des Etats européens, au même titre que le pluralisme démocratique et le respect de l’Etat de droit.

Si l’adoption du protocole n°6 a constitué un progrès décisif, la possibilité qu’il laisse ouverte de recourir à la peine de mort en temps de guerre est apparue incompatible avec l’affirmation de valeurs démocratiques communes. Dans une résolution 1246 (1994), l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a soulevé cette question, recommandant au Conseil des ministres « d’élaborer un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme abolissant la peine de mort, à la fois en temps de paix et en temps de guerre, et obligeant les signataires à ne la réintroduire en aucune circonstance ».

A l’occasion du cinquantième anniversaire de la Convention européenne, les ministres des Etats membres du Conseil de l’Europe, réunis à Rome en novembre 2000, ont adopté une résolution exprimant leur soutien à un nouveau protocole abolissant la peine de mort en temps de guerre. Une étape décisive était franchie qui allait conduire à l’adoption du protocole n°13 à la Convention européenne des droits de l’homme, qui abolit la peine de mort en toutes circonstances.

2) Le protocole n°13 : l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances

Le protocole n°13 à la Convention européenne des droits de l’homme, relatif à l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances a été adopté à Vilnius le 3 mai 2002. Il est entré en vigueur le 1er juillet 2003.

Le principe de l’abolition totale de la peine de mort

Comme son intitulé l’explicite, le protocole n° 13 a pour objet de proscrire la peine de mort en temps de paix comme en temps de guerre, ce qui le différencie du protocole n° 6 qui admet le recours à la peine de mort pour « des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre ».

L’article 3 du protocole n° 13 précise que, par exception à l’article 57 de la Convention, les Etats ne peuvent faire de réserve au protocole. Autrement dit, en adoptant ce protocole, les pays signataires s’engagent de manière irréversible sur le chemin de l’abolition totale de la peine capitale, en toutes circonstances : ils prennent l’engagement de ne jamais condamner à mort et exécuter les individus sous leur juridiction et d’exclure le recours à la peine capitale de leur droit interne comme sanction applicable aux infractions qu’il identifie.

L’article 5 précise les relations du protocole n°13 avec la Convention en indiquant que toutes les dispositions de cette dernière s’appliqueront aux articles 1 à 4 du protocole, ce qui inclut le système de garantie instauré par la Convention, notamment la juridiction de la Cour européenne des droits de l’homme. Rappelons que la Cour est un organe de jugement supranational dont les décisions, qui revêtent l’autorité de la chose jugée, ont un caractère obligatoire pour l’Etat mis en cause.

Compte tenu de son caractère additionnel, le protocole n°13 ne supprime pas les dispositions de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme. En revanche, l’exception ouverte lorsque la peine de mort est prononcée par un tribunal, au cas où le délit est puni de cette peine par la loi (2ème phase du paragraphe 1), n’est plus applicable pour les Etats parties à ce protocole.

Enfin le protocole n° 13 écarte l’application de l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme qui autorise les parties à prendre des mesures dérogeant à leurs obligations « en cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation ».

Par ailleurs, pour les Etats parties aux deux protocoles additionnels, le protocole n°13 se substitue naturellement au protocole n°6. A ce jour, il a été ratifié par 38 Etats membres du Conseil de l’Europe.

Un engagement irréversible

Le protocole n° 13 constitue donc une avancée décisive pour la réalisation de l’objectif poursuivi par le Conseil de l’Europe, d’exclusion totale de la peine capitale comme sanction qu’un Etat peut infliger et du caractère irréversible de cette abolition. Y compris pour des actes commis en temps de guerre ou de danger, de guerre la peine de mort ne peut être rétablie. Il représente un instrument essentiel pour l’affirmation d’un « espace européen sans peine de mort » (14) que les différents organes du Conseil de l’Europe ont appelé de leurs vœux à maintes reprises.

De par son objet, le protocole vient renforcer la reconnaissance du droit à la vie, proclamé par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui devient ainsi un véritable droit intangible. Ratifier ce protocole revient donc à renoncer définitivement à la peine de mort et à faire du droit à la vie un attribut effectif et inaliénable de la personne humaine.

Dans sa décision du 13 octobre 2005(15), le Conseil constitutionnel français a considéré que le protocole n°13 était compatible avec la Constitution du 4 octobre 1958 dans la mesure où son article 5, qui règle la question des rapports entre le protocole et la Convention européenne des droits de l’homme, n’exclut pas la possibilité d’une dénonciation (article 58 de la Convention). Dans ces conditions, le protocole ne porte pas atteinte aux « conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale », parmi lesquelles figure « l’adhésion irrévocable à un engagement international touchant à un domaine inhérent » à la souveraineté nationale.

L’adoption de la loi constitutionnelle n°2007-239 du 23 février 2007 relative à l’interdiction de la peine de mort est venue conforter le processus de ratification du protocole en inscrivant dans notre Constitution que « nul ne peut être condamné à la peine de mort ». Cette réforme confirme le choix abolitionniste de la France que la ratification du protocole n°13 à la Convention européenne des droits de l’homme permettra de consolider, tout en participant au mouvement des pays européens dans cette direction.

Votre Rapporteur recommande donc l’adoption du projet de loi n° 5 qui permet de réaffirmer l’engagement de la France pour l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances.

II – DES AVANCÉES SUR LE CHEMIN DE L’ABOLITION UNIVERSELLE DE LA PEINE DE MORT

Le 10 décembre 1948, l’Assemblée générale des Nations unies, composée de représentants de tous les Etats membres de l’Organisation, a adopté la Déclaration universelle des droits de l’homme qui pose la première pierre d’un véritable système international de protection des droits de l’homme. Dotée d’une force morale incontestable, la Déclaration est, en revanche, dépourvue de caractère obligatoire. C’est la raison pour laquelle l’Assemblée générale a adopté, quelques années plus tard, deux textes conventionnels destinés à traduire la volonté des Etats de défendre de façon explicite les droits de l’homme : le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, d’une part, et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, d’autre part. Ces deux pactes, associés à la Déclaration universelle des droits de l’homme, constituent la « Charte internationale des droits de l’homme ».

A. –  Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 proclame le droit à la vie.

Adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 16 décembre 1966, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques est entré en vigueur le 23 mars 1976. Il a été ratifié par 160 des 172 Etats membres de l’Organisation des Nations unies.

1) Un instrument universel de protection des droits de l’homme

Le Pacte relatif aux droits civils et politiques énonce une liste détaillée de droits et libertés protégés comme le droit à la vie (article 6) ; l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (article 7) ; l’interdiction de l’esclavage et des travaux forcés (article 8) ; le droit à la liberté et à la sécurité (article 9) ; le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (article 18), etc.

Aux termes de son article 4 (paragraphe 1), le Pacte autorise toutefois les Etats parties à suspendre la jouissance et l’exercice des droits proclamés en cas de danger public exceptionnel menaçant la vie de la nation, « dans la stricte mesure où la situation l'exige » et « sous réserve que ces mesures ne soient pas incompatibles avec les autres obligations que leur impose le droit international et qu'elles n'entraînent pas une discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l'origine sociale ».

Le Pacte institue, par ailleurs, un mécanisme de surveillance : le Comité des droits de l’homme (articles 28 et suivant). Ce comité, composé de 18 experts indépendants, examine les rapports présentés périodiquement par les Etats parties sur la mise en œuvre de leurs obligations(16). En ratifiant le premier protocole facultatif, qui a également été adopté le 16 décembre 1966, les Etats reconnaissent la compétence du Comité pour recevoir des communications de particuliers (17) qui estiment être victimes d’une violation de l’un des droits énoncés dans le Pacte. Ces communications individuelles ne peuvent être présentées devant le Comité des droits de l’homme qu’après épuisement des voies de recours internes.

La France a été autorisée à adhérer au Pacte international relatif aux droits civils et politiques par la loi n°80-460 du 25 juin 1980. Le Pacte est entré en vigueur en France le 4 février 1981. Notre pays est également partie au premier protocole facultatif, acceptant ainsi la compétence du Comité des droits de l’homme pour recevoir des requêtes individuelles dénonçant la violation de l’un des droits reconnus par le Pacte.

2) Le Pacte reconnaît le droit à la vie mais n’interdit pas la peine de mort

L’article 6 du Pacte proclame dans son premier paragraphe que : « Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie ».

Si le Pacte reconnaît le droit à la vie, il autorise, dans certains cas, le recours à la peine capitale. Il prévoit ainsi que « dans les pays où la peine de mort n'a pas été abolie, une sentence de mort ne peut être prononcée que pour les crimes les plus graves, conformément à la législation en vigueur au moment où le crime a été commis et qui ne doit pas être en contradiction avec les dispositions du présent Pacte ni avec la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide » (article 6, paragraphe 2).

Il précise que la peine capitale ne peut être appliquée qu’en vertu d’un jugement définitif rendu par un tribunal compétent. Il permet également à tout condamné à mort de solliciter la grâce ou la commutation de peine (article 6, paragraphe 4). En outre, le Pacte interdit qu’une sentence de mort puisse être imposée pour des crimes commis par des personnes de moins de dix-huit ans et puisse être exécutée contre des femmes enceintes (article 6, paragraphe 5).

Alors que l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme se contente de prévoir l’hypothèse de « l’exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est prévu par la loi », l’article 6 du Pacte est beaucoup plus restrictif en stipulant que la peine capitale ne peut être imposée que pour « les crimes les plus graves ». Le Comité des droits de l’homme a précisé que la validité d’une sentence de mort était subordonnée au respect rigoureux de toutes les garanties d’un procès équitable (« Carlton Reid c/ Jamaïque », 20 juillet 1990) et qu’un système de condamnation obligatoire à la peine de mort dans tous les cas de meurtre, quelles que soient les circonstances et la situation personnelle du coupable, était incompatible avec l’article 6 du Pacte (« Thompson c/ Saint-Vincent et les Grenadines », 18 octobre 2000) (18).

Malgré cette interprétation abolitionniste de l’article 6 du Pacte par le Comité des droits de l’homme, certains Etats ont souhaité se doter d’un instrument international, juridiquement contraignant, prohibant la peine de mort. Dans cette perspective, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté, le 15 décembre 1989, le deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort.

B. –  Le deuxième protocole facultatif de 1989 : un instrument à portée universelle visant à abolir la peine de mort

Le deuxième protocole facultatif est le premier texte international, visant à abolir la peine de mort, qui ait un caractère universel.

1) Un instrument universel prohibant la peine de mort

Le deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques vise à abolir la peine capitale en temps de paix comme en temps de guerre.

Dans son article 1er, le protocole prévoit qu’« aucune personne relevant de la juridiction d’un Etat partie au présent protocole ne sera exécutée » et oblige chaque Etat partie à « prendre toutes les mesures voulues pour abolir la peine de mort dans le ressort de sa juridiction ». Son article 2 dispose, par ailleurs, qu’il ne sera admis aucune réserve au protocole en dehors de la réserve formulée lors de la ratification ou de l’adhésion et prévoyant l’application de la peine de mort en temps de guerre « à la suite d’une condamnation pour un crime de caractère militaire, d’une gravité extrême, commis en temps de guerre ».

Contrairement au protocole additionnel n°6 à la Convention européenne des droits de l’homme précédemment examiné, le deuxième protocole facultatif au Pacte de 1966 ne distingue pas entre le temps de paix et le temps de guerre. En outre, la restriction qu’il prévoit à l’interdiction de la peine de mort qu’il énonce est facultative et doit être expressément formulée au moyen d’une réserve au moment de la ratification. Enfin, l’étendue des exceptions à l’interdiction de la peine capitale est plus limitée : le protocole onusien vise, en effet, une hypothèse strictement définie, celle des crimes de caractère militaire commis en temps de guerre et d’une extrême gravité, alors que le protocole additionnel n°6 évoque « le temps de guerre » ou le cas de « danger imminent de guerre » (article 2).

En revanche, les dérogations à l’interdiction de la peine de mort, telles qu’elles pourraient être instituées en application de l’article 4 du Pacte de 1966 en cas de « danger public exceptionnel » menaçant « l’existence de la Nation », sont proscrites par le deuxième protocole facultatif. Sur ce point, ce protocole se rapproche des protocoles additionnels n°6 et n°13 qui écartent l’application de l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Entré en vigueur le 11 juillet 1991, le deuxième protocole facultatif a été ratifié une soixantaine d’Etats dont la quasi-totalité des membres de l’Union européenne, à l’exception de la France et de la Lettonie.

2) Le deuxième protocole additionnel est doté d’une force juridique contraignante

Un mécanisme de surveillance

La compétence du Comité des droits de l’homme s’étend au deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte visant à abolir la peine de mort, pour les États qui ont adhéré à ce protocole.

L’article 4 prévoit en effet que, pour les Etats qui ont fait la déclaration prévue à l’article 41 du Pacte, le Comité peut recevoir des communications étatiques par lesquelles un Etat partie prétend qu’un autre Etat ne s’acquitte pas des obligations qui lui incombent en vertu du protocole « à moins que l’Etat partie en cause n’ait fait une déclaration en sens contraire lors de la ratification ou de l’adhésion ». La France n’ayant pas reconnu la compétence du Comité pour connaître de requêtes interétatiques, une déclaration précisant qu’elle ne s’étendra pas au deuxième protocole est sans objet.

En ce qui concerne les Etats parties au premier protocole facultatif, l’article 5 du deuxième protocole prévoit l’extension de la compétence reconnue au Comité des droits de l’homme pour recevoir et examiner des communications de particuliers relevant de leur juridiction « à moins que l’Etat partie en cause n’ait fait une déclaration en sens contraire lors de la ratification ou de l’adhésion ». La France, partie au premier protocole facultatif du 16 décembre 1966, n’entend pas se prévaloir de cette disposition.

L’impossibilité de dénonciation

Le deuxième protocole facultatif ne peut être dénoncé. Il interdit toute suspension à l’application de ses dispositions, y compris dans le cas « où un danger public exceptionnel menace l’existence de la nation » (article 6).

Comme cela a été précédemment évoqué, par sa décision du 23 octobre 2005, le Conseil constitutionnel a considéré que cette impossibilité de le dénoncer confère au deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques un caractère irréversible qui affecterait les conditions essentielles de la souveraineté nationale. L’autorisation d’adhérer à ce protocole ne pourrait donc intervenir qu’après révision de notre Constitution.

La loi constitutionnelle n°2007-233 du 23 février 2007 relative à l’interdiction de la peine de mort a rendu possible l’adhésion sans réserve de la France au deuxième protocole facultatif.

Dans ces conditions, votre Rapporteur recommande l’adoption du projet de loi n° 10 qui contribue à faire du droit à la vie un attribut inaliénable de la personne humaine.

CONCLUSION

Le principe d’irrévocabilité de l’abolition de la peine de mort est désormais inscrit dans notre Constitution. En adhérant au protocole n°13 à la Convention européenne des droits de l’homme ainsi qu’au deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, notre pays réaffirme son engagement en faveur de l’abolition définitive de la peine capitale dans le monde.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission a examiné les projets de loi n° 5 et n° 10 au cours de sa deuxième séance du mercredi 18 juillet 2007

Après l’exposé du rapporteur, le Président Axel Poniatowski a félicité le rapporteur pour sa présentation qui venait utilement rappeler les raisons pour lesquelles la Constitution du 4 octobre 1958 avait été reformée en février dernier.

Puis, M. Jean-Paul Bacquet a souhaité savoir si cette révision, ainsi que l’adhésion prochaine de la France à ces deux protocoles, interdisaient désormais toute initiative visant à rétablir la peine de mort en France.

M. Jean-Jacques Guillet a ensuite souhaité connaître la position des Etats-Unis sur le deuxième protocole facultatif de 1989.

Confirmant à M. Jean-Paul Bacquet que de telles initiatives seraient désormais irrecevables en France, M. Jacques Remiller, rapporteur, a rappelé qu’aux Etats-Unis, le recours à la peine capitale relevait de la compétence des Etats fédérés et non du niveau fédéral. De fait, trente-huit Etats ont rétabli la peine de mort tandis que douze ne la prévoient pas dans leur législation.

M. François Rochebloine a demandé si les Etats fédérés pouvaient, dès lors, adhéré au deuxième protocole facultatif visant à prohiber la peine de mort.

Le Président Axel Poniatowski a rappelé que de tels engagements internationaux relevaient, aux Etats-Unis, de la seule compétence de l’Etat fédéral.

M. Patrick Labaune s’est interrogé sur la possibilité de rétablir la peine de mort en temps de guerre, malgré l’adhésion à ces protocoles internationaux.

M. Jacques Remiller, rapporteur, a insisté sur le contenu de ces protocoles qui visaient précisément à écarter une telle hypothèse ainsi que le sens de la démarche des Etats qui y adhéraient en vue, notamment, de promouvoir la cause abolitionniste dans le monde. Il a ajouté que, par ailleurs, rares étaient les Etats qui avaient rétabli la peine capitale après y avoir renoncé.

Enfin, M. Jean-Paul Bacquet s’est interrogé sur la nature des sanctions que pouvaient infliger la Cour pénale internationale.

M. Jacques Remiller, rapporteur, a précisé que le recours de la peine capitale était clairement exclu par les statuts de cette juridiction internationale.

Suivant les conclusions du rapporteur, la Commission a adopté les projets de loi (n° 5 et n° 10 ).

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La commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le projet de loi n° 5 ainsi que le projet de loi n° 10.

NB : Les textes des protocoles figurent en annexe aux projets de loi n° 5 et n° 10.

© Assemblée nationale

1 () Loi constitutionnelle n°2007-239 du 23 février 2007 relative à l’interdiction de la peine de mort.

2 () Conseil constitutionnel, décision n°2005-524/5252 DC, 13 octobre 2005, Engagements internationaux relatifs à l’abolition de la peine de mort.

3 () Dont la ratification fait l’objet du présent projet de loi n°5.

4 () Dont la ratification fait l’objet du présent projet de loi n° 10.

5 () Pour une analyse détaillée de cette décision ainsi que du contenu de la réforme constitutionnelle, se reporter au rapport n°3611 de M. Philippe HOUILLON, rapporteur, sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l’interdiction de la peine de mort – 24 janvier 2007.

6 () Projet de loi constitutionnelle n°3596 relatif à l’interdiction de la peine de mort.

7 () La Convention européenne des droits de l’homme est entrée en vigueur en France le 3 mai 1974.

8 () Cour européenne des droits de l’homme, Arrêt Mac Cann, 27 septembre 1995.

9 () 12 mars 2003, Öcalan c/ Turquie ; 12 mai 2005, Öcalan c/ Turquie

10 () 12 mars 2003, Öcalan c/ Turquie 

11 () Frédéric Sudre, Droit européen et international des droits de l’homme, PUF, 2003.

12 () Résolution 1187 « L’Europe, continent exempt de la peine de mort », mai 1999.

13 () La France a signé le protocole n°6 le 28 avril 1983 et l’a ratifié le 17 février 1986. Il est entré en vigueur le 1er mars 1986.

14 () Depuis 1998, aucune exécution n’a été commise au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe.

15 () Conseil constitutionnel, décision n°2005-524/525 DC, 13 octobre 2005, Engagements internationaux relatifs à l’abolition de la peine de mort.

16 () Il s’agit donc d’un organe conventionnel, différent du Conseil des droits de l’homme qui vient d’être institué pour remplacer la Commission des droits de l’homme en tant qu’organe subsidiaire de l’Assemblée générale des Nations unies (Résolution 60/251 du 15 mars 2006).

17 () Les personnes morales, les groupements, les associations, les sociétés ou les organisations non gouvernementales ne sont pas autorisées à former des requêtes.

18 () Frédéric Sudre, Droit européen et international des droits de l’homme, PUF, 2003.