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N° 1729

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 juin 2009.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 1672) de MM. François SAUVADET, Philippe FOLLIOT et plusieurs de leurs collègues visant à garantir de justes rémunérations aux salariés concernés par une procédure de reclassement,

PAR M. Philippe Folliot,

Député.

——

INTRODUCTION 5

TRAVAUX DE LA COMMISSION 7

I.- DISCUSSION GÉNÉRALE 7

II.- EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE 11

Article unique : Garanties salariales dans le cadre des procédures de reclassement 11

TABLEAU COMPARATIF 23

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION 25

ANNEXE : Liste des personnes auditionnées par le rapporteur 27

INTRODUCTION

Il y a quelques semaines, des salariés se sont vus proposer par leur employeur, préalablement à leur licenciement, un emploi en Inde pour 69 euros par mois. Ce n’était pas la première fois que de telles offres étaient faites. Est-il acceptable que des salariés dont l’usine ferme, souvent pour être délocalisée à l’autre bout du monde, se voient proposer des offres de « reclassement » dans des pays lointains qui sont assorties de salaires mensuels de quelques centaines, voire dizaines d’euros ? Certainement pas. Pourtant, cela arrive régulièrement, suscitant l’émoi légitime de l’opinion publique : comment admettre que l’on paraisse se moquer ainsi de salariés qui connaissent la souffrance de perdre leur emploi avec des perspectives souvent faibles d’en retrouver un rapidement ?

Mais les employeurs qui adressent ces offres de reclassement à l’étranger déclarent appliquer seulement le code du travail ; selon eux, s’ils ne le faisaient pas, ils courraient le risque de voir les licenciements économiques qu’ils envisagent être déclarés abusifs par les juges du travail. La bonne foi des employeurs en cause n’est sans doute pas toujours totale ; certains se plaisent ainsi à mettre en lumière la complexité et les dérives d’un droit du travail qui conduirait à des aberrations à force de vouloir préserver l’emploi. Le fait est néanmoins que le jugement rendu il y a quelques jours par une cour d’appel tend malheureusement à donner raison à l’argumentation qui fait de l’offre de tous les reclassements disponibles, même manifestement inacceptables, une stricte obligation.

La jurisprudence, puis le code du travail ont institué une obligation rigoureuse, pour les employeurs, de rechercher et de proposer toutes solutions possibles de reclassement en interne avant de prononcer un licenciement pour motif économique ; dans un souci d’élargir au maximum le champ de cette obligation, il a été jugé qu’elle contraignait les entreprises à prospecter les emplois de reclassement dans l’ensemble des sociétés de leur groupe, y compris à l’étranger. Cela entraîne-t-il l’obligation, pour les entreprises, de proposer tout emploi de même catégorie disponible dans leurs implantations dans le monde, y compris lorsqu’il est assorti de conditions salariales indécentes ? On peut en discuter, car le principe d’exécution loyale du contrat de travail, qui est à l’origine de la construction jurisprudentielle de l’obligation de reclassement, devrait conduire à écarter d’office les offres de reclassement non sérieuses car manifestement inacceptables. Pourtant, la cour d’appel de Reims vient de condamner une entreprise à verser de très lourdes indemnités à des salariés licenciés, notamment pour avoir omis de leur proposer des emplois de reclassement en Roumanie à 110 euros par mois. Une clarification de la règle de droit est donc nécessaire.

C’est pourquoi la présente proposition de loi vise à inscrire dans le code du travail des garanties salariales et procédurales au bénéfice des salariés qui sont destinataires d’offres de reclassement interne : le droit sera clair pour les employeurs et les salariés ne se verront plus adresser des propositions que l’on qualifierait de surréalistes si elles n’étaient pas avant tout humiliantes. Le contexte économique actuel, qui voit se multiplier les licenciements économiques – avec une augmentation de 46,8 % des inscriptions à Pôle emploi consécutives à un licenciement économique d’avril 2008 à avril 2009 –, ne rend que plus urgente une telle mesure.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.- DISCUSSION GÉNÉRALE

La Commission des affaires culturelles, familiales et sociales examine, sur le rapport de M. Philippe Folliot, la proposition de loi visant à garantir de justes conditions de rémunération aux salariés concernés par une procédure de reclassement (n° 1672) au cours de sa séance du mercredi 10 juin 2009.

Un débat suit l’exposé du rapporteur.

M. Jean-Frédéric Poisson. Le système actuel est effectivement devenu absurde. C’est une très bonne chose d’obliger les employeurs, dans le cadre d’un licenciement économique, à proposer à leurs salariés des postes dans tout le périmètre du groupe, et il est tout aussi bon que cela inclue les entreprises implantées à l’étranger. Mais, comme souvent, cette idée juste et bonne a été altérée par une application trop rigide : on s’est demandé s’il fallait juste publier les offres ou les adresser, sous quelle forme et dans quels délais, et ce qu’il advenait lorsqu’il n’y avait pas de réponse ou qu’il existait un écart de rémunération… C’est la forma mentis administrative française qui a donc provoqué la situation actuelle. Les médias qui se sont largement étendus sur l’indignité des méchants patrons et ce qu’ils faisaient subir aux gentils salariés sont donc, comme cela leur arrive souvent, allés un peu vite en besogne : en l’occurrence, les méchants patrons n’ont fait que respecter la loi ! Lorsque vous n’avez pas d’autre établissement qu’en Roumanie ou en Inde, vous êtes obligé de faire cette proposition.

La loi doit donc être clarifiée. Si les obligations des employeurs doivent bien sûr être maintenues, il faut des précisions concernant les salaires afférents aux postes proposés. Je suis donc favorable aux amendements qui seront présentés sur ce sujet, sans toutefois oublier que c’est l’ensemble des conditions socioéconomiques d’exercice du travail qui peuvent être très différentes dans d’autres pays – même proches. Je rappelle ainsi que le salaire minimum ne couvre en Allemagne que 54 % des salariés, pour 100 % en France, que les syndicats y font campagne pour qu’aucun salaire ne soit inférieur à 750 euros par mois et que le SMIC espagnol tourne autour de 600 euros par mois, contre 1 300 en France. Je pense donc que la formulation finale devra être à la fois précise et souple.

Je soutiens donc largement cette proposition de loi, mais je suis très perplexe face au deuxième de vos amendements (n° 3 AC), monsieur le rapporteur, car il nous ferait entrer à nouveau dans une mécanique infernale : il faudrait demander préalablement au salarié s’il accepte de recevoir des offres concernant des établissements implantés à l’étranger, avec les contraintes administratives de courriers et de délais que cela implique… Je regrette déjà infiniment que la Cour de cassation ait décidé qu’il n’était pas suffisant pour l’employeur de publier les offres, mais qu’il devait les adresser : cela a rendu le système impossible. Je comprends que vous n’ayez pas entrepris, dans ce texte, de recadrer la jurisprudence, mais il me paraît nécessaire de ne pas en rajouter et je propose donc d’en rester à la formulation initiale. L’obligation de proposer une rémunération équivalente en cas de reclassement suffit.

M. Michel Liebgott. Cette proposition de loi est bienvenue, autant d’un point de vue éthique que parce qu’il faut trouver des solutions juridiques. Et je me félicite qu’elle conduise à reconnaître aujourd’hui l’utilité et l’intelligence de la loi de modernisation sociale.

Elle fait aussi apparaître la nécessité d’une harmonisation sociale par le haut au niveau européen : c’est ce manque d’harmonisation qui est à l’origine des difficultés que nous connaissons aujourd’hui, même si elles sont plus le fait des juridictions que de la loi.

Il existe bien d’autres exemples que ceux que vous avez cités, monsieur le rapporteur. ArcelorMittal peut ainsi proposer des postes au Luxembourg, qui seront sans doute satisfaisants pour les salariés, mais aussi au Kazakhstan, avec un salaire de 300 euros par mois ! Et à Schirmeck, une entreprise a bel et bien proposé à ses salariés de travailler en Roumanie pour 110 euros !

Au-delà de ce texte, il faut donc réfléchir sur l’avenir du droit social en Europe. Dans la période de ralentissement économique que nous connaissons, l’arrêt de notre économie risque de provoquer des transferts de compétences et de savoir-faire et peut-être même des déménagements de matériel qui vont permettre aux grandes entreprises mondialisées de reconstituer des usines là où les coûts salariaux sont les plus bas. La crise conjoncturelle va donc causer des changements structurels. Si l’on n’accélère pas le processus d’harmonisation, les pays les plus développés vont voir disparaître les industries d’excellence qui faisaient leur richesse.

Je comprends bien que la situation actuelle découle de l’arrêt du Conseil d’État de 2004 qui précise que l’ensemble des entités du groupe doivent être prises en compte. En revanche, je crois moins que vous au caractère systématiquement vertueux des chefs d’entreprise : certains sont victimes de l’état du droit, mais d’autres savent l’utiliser au mieux pour leurs actionnaires, aux dépens des salariés. Nous avons là un rôle important à jouer, ainsi que d’autres institutions, en particulier européennes.

Sur le principe, nous sommes donc favorables à ce texte, sous réserve de vérifier qu’il permette véritablement aux salariés d’obtenir un salaire équivalent – ou, sous réserve de leur accord, un salaire inférieur – mais encore faut-il clairement définir de combien.

M. Francis Vercamer. Je remercie Philippe Folliot de présenter ce texte. Les situations comme celle à laquelle il a été confronté sont heureusement peu courantes, mais elles ont un écho retentissant, créent un climat de suspicion vis-à-vis de l’entreprise et du système social français, sont vécues comme un véritable drame par les salariés et décuplent leur colère. Il est donc important d’y remédier.

L’Union européenne a déjà prévu un certain nombre de règles en la matière : pour empêcher le dumping social, elle a prévu que les travailleurs originaires d’un pays aux salaires plus bas que le pays où ils se sont installés seraient payés comme leurs collègues de ce pays – un Roumain en France est payé selon les conditions françaises. Mais le droit communautaire n’a raisonné que dans un sens : un Français qui va travailler en Roumanie n’est pas payé selon les conditions françaises ! Cette proposition de loi, si elle n’est valable qu’au niveau national, constitue un premier pas pour y remédier.

Il est très important que ces garanties en faveur des salariés figurent dans la loi, d’autant que ni la jurisprudence, ni la circulaire de la DGEFP ne sont d’ordre public. Ces dispositions pourraient d’ailleurs pousser à une sorte de nivellement par le haut du niveau social mondial : la délocalisation des salaires français pourrait ainsi accélérer le relèvement du niveau des salaires là où ils sont plus faibles. Le groupe du Nouveau centre adhère donc à cette proposition.

M. Élie Aboud. Je salue la générosité qui sous-tend le dépôt de cette proposition de loi, mais je regrette qu’elle n’ait pas une dimension européenne ; ne faudrait-il pas distinguer trois niveaux : la France, l’Europe et le reste du monde ?

M. Rémi Delatte. J’approuve cette proposition de loi, mais il me semble que l’amendement n° 3 AC proposé par le rapporteur introduit des complexités inutiles. Je regrette que la France soit la seule à légiférer sur cette question, mais j’espère que l’adoption de ce texte amènera les autres pays européens à « tirer vers le haut » tout ce qui est relatif à la dimension sociale.

M. le président Pierre Méhaignerie. Cette proposition de loi présente aussi l’avantage de protéger les entreprises : elles ne seront plus soumises à l’obligation découlant d’un arrêt du Conseil d’État leur imposant, pour justifier un licenciement, de l’accompagner d’une proposition alternative.

M. le rapporteur. Une évolution de la législation est nécessaire.

Je tiens tout de même à indiquer que même si un salarié français de l’entreprise de Castres avait, par extraordinaire, accepté la proposition qui lui était faite d’aller travailler en Inde, il n’aurait pas pu s’y rendre, la législation indienne relative à l’accueil des travailleurs étrangers imposant à ceux-ci un niveau de ressources nettement supérieur à celui du salaire qui était proposé. Cela montre l’absurdité de la jurisprudence actuelle.

On ne peut opérer de distinction entre pays européens et reste du monde, car certains pays n’appartenant pas à l’Union européenne offrent des salaires égaux ou supérieurs aux nôtres, alors que des pays membres de l’Union européenne offrent, eux, des salaires inférieurs ou très inférieurs aux nôtres. S’il y a un jour un salaire minimum européen, la situation sera autre…

Le salaire n’étant pas mensualisé dans un certain nombre de pays, je vous proposerai, dans le premier de mes amendements (n° 4 AC), de supprimer la référence à la rémunération mensuelle de base.

Dans un autre amendement (n° 3 AC), je vous proposerai de réécrire les alinéas 3 et 4 de l’article unique de la proposition de loi. Il s’agirait d’inscrire dans le code du travail un article consacré spécifiquement au reclassement à l’étranger : les offres de reclassement hors du territoire national ne seraient adressées qu’aux salariés ayant manifesté leur accord de principe pour recevoir de telles offres. Je fais cette proposition après avoir rencontré les organisations représentatives des salariés et du patronat et pris contact avec le Gouvernement. J’ai inséré dans l’amendement un délai bref – six jours ouvrables – pour répondre au questionnaire qu’enverra l’entreprise, afin de limiter la contrainte que cela représentera pour les employeurs. L’inconvénient lié à ce délai, pour ces employeurs, sera bien moindre que celui qui résulterait du maintien de l’insécurité juridique dans laquelle ils sont actuellement. En fait, il s’agit de donner une base légale à la méthode dite du questionnaire préalable, qui a déjà été utilisée par certaines entreprises ; ce n’est donc pas un dispositif inventé ex nihilo.

II.- EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE

La Commission examine l’article unique de la présente proposition de loi au cours de sa séance du mercredi 10 juin 2009.

Article unique

Garanties salariales dans le cadre des procédures de reclassement

Le présent article vise à donner aux salariés menacés de licenciement économique des garanties quant au niveau de rémunération afférent aux offres de reclassement que l’employeur est alors tenu de leur faire. Il s’agit ainsi de mettre fin à la pratique choquante de certains employeurs, liée à une interprétation stricte du droit du travail, qui consiste à proposer des reclassements à l’étranger à des salaires de misère.

1. L’obligation de reclassement interne dans le droit en vigueur

a) Le reclassement interne, obligation effective des employeurs et protection fondamentale des salariés menacés de licenciement économique

L’article L. 1233-4 du code du travail dispose :

« Le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré dans l’entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient.

« Le reclassement du salarié s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent. À défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, le reclassement s’effectue sur un emploi d’une catégorie inférieure.

« Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises. »

Sous réserve des ajustements formels entraînés par la recodification en 2008, cette rédaction est issue de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale. L’inscription à cette occasion de l’obligation de reclassement dans le droit positif faisait en fait suite à toute une construction jurisprudentielle développée par les juges du travail, qui a fait de la recherche effective et de l’offre préalable par l’employeur de toutes possibilités de reclassement interne une condition de validité des licenciements pour motif économique.

Les juges ont dégagé l’obligation de reclassement de celle, pour les employeurs, « d’assurer l’adaptation des salariés à l’évolution de leurs emplois », qui découle elle-même de l’obligation (pour l’employeur en l’espèce) « d’exécuter de bonne foi le contrat de travail ». Dès lors doit être considéré comme abusif le licenciement d’un salarié pour suppression d’emploi, dans une espèce où est constatée, quelques jours après ce licenciement, l’embauche d’un autre salarié sur un emploi voisin, « compatible avec [les] capacités » du premier salarié, sur lequel l’employeur, selon les juges, avait donc la possibilité de « reclasser » (en l’adaptant, le formant le cas échéant) celui-ci (1).

Préalable au licenciement (2), l’obligation de reclassement interne s’impose indépendamment de celle, de nature différente, d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) quand le licenciement de dix salariés au moins est projeté par une entreprise de cinquante salariés et plus : certes l’objet du plan de sauvegarde est bien, selon les articles L. 1233-61 et suivants du code précité, de « faciliter le reclassement » des salariés et, en conséquence, la première des rubriques qu’il a vocation à comporter concerne les « actions en vue du reclassement interne des salariés ». Mais le PSE doit viser aussi le reclassement externe et son existence répond également à d’autres considérations : associer les représentants du personnel à la procédure ; assurer, en officialisant les offres faites aux salariés, l’équité de traitement entre eux. Toujours est-il que l’obligation de reclassement interne s’impose même quand un plan social a été établi et que les possibilités de reclassement doivent être recherchées par l’employeur même en dehors de celles prévues dans ce plan (3).

Le reclassement relève de ce que l’on peut considérer comme une obligation de moyens (et non de résultats), mais renforcée : l’employeur doit engager « une recherche effective des postes disponibles », ce qui a pu conduire, par exemple, à la condamnation d’une entreprise qui s’était bornée à l’envoi de lettres circulaires demandant s’il y avait des possibilités de reclassement dans les autres unités du groupe (4).

La recherche de reclassements internes doit également être conduite loyalement, ce qui justifie notamment la condamnation des employeurs dès lors que l’on constate, en même temps que le licenciement en cause, un recrutement sur un poste voisin (cf. jugement du 25 février 1992 précité, confirmé dans d’autres espèces (5)).

Enfin, le fait que la recherche et l’offre de reclassements internes effectifs constituent des obligations de l’employeur n’entrave pas la liberté du salarié : ce dernier est en droit de refuser les offres de reclassement qui lui sont faites (l’employeur ne peut donc pas substituer au motif économique la faute grave pour justifier le licenciement de salariés refusant, même systématiquement, les offres qui leur sont faites (6)).

Il convient enfin de signaler que l’obligation de reclassement a pour corollaire, une fois le licenciement prononcé, la priorité de réembauche dont bénéficient pendant un an les salariés licenciés pour motif économique (article L. 1233-45 du code précité).

b) Le champ de l’obligation de reclassement : les entreprises du « groupe » dont les personnels sont « permutables »

À partir du moment où l’obligation de recherche effective de reclassement interne est prégnante pour les employeurs, se pose la question du champ dans lequel cette recherche est à effectuer. Pour la jurisprudence judiciaire, elle doit l’être « à l’intérieur du groupe parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation leur permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel » (7). Ce critère de permutabilité renvoie plus à des éléments de fait qu’à la définition capitalistique des groupes de sociétés : l’existence de prises de participation entre sociétés ne caractérise pas nécessairement l’existence d’un groupe dont les personnels peuvent être permutés (8). En revanche, des sociétés simplement « partenaires » doivent être intégrées au « groupe » dans lequel le reclassement interne doit être recherché si la possibilité de permutation des personnels entre elles est attestée par la mention dans les contrats de travail d’affectations possibles dans ces sociétés et/ou si, de fait, il apparaît que de telles affectations croisées de salariés se pratiquent (9).

c) La question délicate du reclassement sur des emplois à l’étranger

Le « groupe » dans lequel joue l’obligation de reclassement étant ainsi défini, doit-il inclure les succursales, filiales, sociétés partenaires, etc., situées à l’étranger ? Comme on l’a vu, la Cour de cassation a inclus dans les critères d’appréciation de la permutabilité des personnels le « lieu d’exploitation », ce qui pourrait ou aurait pu être lu comme indiquant que l’éloignement géographique était susceptible de restreindre le champ de l’obligation de reclassement. Cependant, amenée à se prononcer spécifiquement sur la question des offres de reclassement à l’étranger, elle a donné une interprétation limitative de ce critère géographique : le reclassement à l’étranger doit être envisagé « dès l’instant que la législation applicable localement n’empêche pas l’emploi de salariés étrangers » (10).

Dans le cas d’une délocalisation d’activité dans un pays, la Thaïlande, où l’on peut supposer que les conditions salariales sont moins favorables qu’en France, la haute juridiction a cependant donné raison à la cour d’appel qui avait considéré qu’il appartenait à l’employeur, avant de licencier un salarié, d’établir la qualification et les attributions afférentes à l’emploi délocalisé « à l’effet de vérifier si ce poste n’entrait pas effectivement dans les aptitudes professionnelles » du salarié français en cause ; l’employeur doit en effet envisager le reclassement du salarié « fût-ce par voie d’une modification substantielle de son contrat de travail » (11). Le reclassement à l’étranger doit donc être proposé par l’employeur même s’il implique des conditions substantiellement différentes de l’emploi initial.

De même, toujours selon la Cour de cassation, l’opposition présumée de salariés à une mobilité géographique sur le territoire national – attestée par leur refus préalable d’une mutation entre deux régions – n’exonère pas l’employeur de l’obligation de leur proposer tout reclassement interne à l’étranger disponible (12). De manière générale, l’employeur ne peut limiter ses recherches et ses offres de reclassement en fonction des réponses des salariés à un questionnaire préalable sur leurs vœux de mobilité géographique (13).

Il est à noter que par rapport à cette jurisprudence judiciaire assez impérative, la juridiction administrative (parfois amenée à se prononcer sur des licenciements de droit privé à travers le contentieux de l’autorisation administrative de licenciement des salariés protégés, représentants du personnel, délégués syndicaux et assimilés) a une position plus nuancée. Le Conseil d’État a ainsi considéré que pour apprécier les possibilités de reclassement d’un salarié, l’autorité administrative doit prendre en considération toutes les sociétés d’un groupe d’entreprises, y compris celles localisées à l’étranger, mais sous réserve que leurs « activités ou [leur] organisation offrent à l’intéressé, compte tenu de ses compétences et de la législation du pays d’accueil, la possibilité d’exercer des fonctions comparables » et surtout seulement si le salarié a « manifesté à sa demande [son] intérêt de principe pour un reclassement à l’étranger » (14). Si la première de ces deux restrictions à l’obligation de reclassement à l’étranger correspond mutatis mutandis à la notion de « permutabilité » de la jurisprudence judiciaire, la seconde est en revanche absente de cette dernière.

Dans le contexte créé par ces jurisprudences, des employeurs qui fermaient des établissements en France, le plus souvent dans le cadre de délocalisations, ont considéré qu’ils étaient obligés de proposer aux salariés concernés des postes de reclassement dans des pays plus ou moins lointains assortis de salaires locaux très inférieurs au SMIC français. Cette pratique défraye régulièrement la chronique. Si elle permet sans doute à des employeurs plus ou moins scrupuleux de s’abriter derrière un respect formel du droit du travail français tout en en dénonçant les lourdeurs, elle relève aussi de la prudence élémentaire face à un droit incertain.

Dans une instruction de 2006 consécutive à l’une de ces affaires, la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (15) s’est certes prononcée sur les offres de reclassement à l’étranger assorties de salaires de misère pour les écarter. La DGEFP observe dans cette instruction que « certains employeurs invoquent en général l’application [des dispositions légales relatives au reclassement] en considérant qu’elles les contraignent à proposer avant tout licenciement toutes les possibilités de reclassement au sein du groupe auquel appartient l’entreprise, y compris à l’étranger, quand bien même ces propositions seraient de fait inacceptables pour les salariés concernés ». Selon l’administration, cette interprétation « méconnaît un principe fondamental du droit contractuel qu’est celui de l’exécution de bonne foi des obligations contractuelles. L’employeur est tenu d’assurer l’adaptation de ses salariés et d’envisager des propositions qui soient en adéquation avec les attentes légitimes du salarié (…). Dans ce cadre, la proposition d’une entreprise concernant des postes au sein du groupe, dans des unités de production à l’étranger, pour des salaires très inférieures au SMIC ne peut être considérée comme sérieuse », donc ne saurait répondre à l’obligation légale de reclassement. L’obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail (comme tout autre contrat), qui a fondé à l’origine l’obligation de reclassement, doit donc exclure les offres de reclassement non « sérieuses » ; non seulement l’employeur n’est pas tenu de proposer de telles offres, mais même il doit ne pas le faire car il court le risque, en le faisant, d’être condamné pour mise en œuvre déloyale de l’obligation de reclassement.

Pour autant, il ne s’agit là que d’une interprétation administrative. Outre que l’instruction en cause a été annulée par la juridiction administrative, la cour d’appel de Reims a tout récemment infirmé cette interprétation en fondant la condamnation pour licenciements abusifs d’une entreprise notamment sur l’absence d’offres de reclassement dans son usine roumaine à 110 euros par mois (16).

Sur cette question juridiquement incertaine et politiquement sensible, il appartient donc au législateur d’assumer sa responsabilité. Le code du travail, qui reste la principale source du droit du travail dans notre pays, doit être clair. C’est cette démarche qui motive la présente proposition de loi.

2. Le dispositif proposé

Le plus visible, donc le plus évidemment choquant dans certaines offres de reclassement à l’étranger faites aux salariés, c’est le niveau de salaire proposé. C’est pourquoi la proposition de loi traite la question de ces offres abusives par le biais des salaires offerts. Il s’agit, tout à la fois, de garantir un certain niveau de rémunération aux salariés dans le cadre des procédures de reclassement et de « dispenser » les employeurs de se donner la peine de proposer des offres manifestement inacceptables pour les salariés.

Le deuxième alinéa de l’article L. 1233-4 du code du travail, cité supra, prévoit deux modalités de reclassement en interne du salarié :

– « sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent » ;

– « à défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, (…) sur un emploi d’une catégorie inférieure ».

Dans le premier cas de figure, celui de l’emploi équivalent, le salarié est en droit d’exiger que son niveau de rémunération soit globalement maintenu. C’est pourquoi l’alinéa 2 du présent article unique dispose que l’emploi équivalent proposé devra être assorti d’une rémunération « équivalente » (et non « égale », le qualificatif « équivalente » laissant une marge de souplesse dans l’interprétation). Cette règle s’appliquera que l’emploi de reclassement soit ou non localisé en France.

Il est à noter que la version d’origine de la proposition de loi, avant passage en commission, dispose que c’est la rémunération « mensuelle de base » qui est à prendre en compte. Dans la mesure où, dans les pays étrangers, les salaires ne sont pas nécessairement versés mensuellement et pour éviter tout litige sur la distinction entre rémunération de base et accessoires du salaire, le rapporteur propose à la Commission de simplifier la rédaction en supprimant ces précisions.

Il convient également de prendre en compte le cas où un salarié accepte une offre de reclassement sur un emploi d’une catégorie inférieure. Un sacrifice salarial est difficilement évitable. Cependant, des garanties doivent là encore être données. C’est pourquoi l’alinéa 4 de l’article unique de la version d’origine de la proposition de loi pose une règle générale s’agissant des offres de reclassement à l’étranger : elles doivent assurer « le respect des règles de l’ordre public social français en matière de rémunération ».

Si l’on regarde les dispositions énoncées dans le livre II de la IIIe partie du code du travail, intitulée « Salaires et avantages divers », et sous réserve de l’analyse de la notion d’« ordre public social » que l’on peut faire (voir encadré infra), les règles impératives relevant de l’ordre public social français en matière de salaires devraient notamment comprendre le respect du salaire minimum français – SMIC, l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes (plus généralement le principe : « à travail égal, salaire égal »), ou encore les dispositions de protection du salaire telles que l’interdiction de principe des retenues sur salaire sous diverses exceptions.

La notion d’ordre public social

S’agissant du droit du travail, et plus généralement des branches du droit qui reposent pour tout ou partie sur la définition et la réglementation de conventions (ou contrats) particuliers, la notion d’ordre public social dérive de la formule lapidaire de l’article 6 du code civil : « On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs ».

La notion d’ordre public caractérise donc, à l’origine, les règles juridiques qui s’imposent pour des raisons de moralité ou de sécurité impératives dans les rapports sociaux et auxquelles il est donc prohibé, même par accord, de déroger (les conventions contraires à l’ordre public étant nulles). Progressivement, alors que se développait l’État-providence, le principe d’ordre public a ensuite été mobilisé au bénéfice des personnes réputées « faibles » dans les rapports sociaux, qu’il s’est agi de défendre (même à leur insu) dans les relations contractuelles jugées structurellement déséquilibrées qu’elles entretiennent : l’ordre public protège ainsi le locataire contre le propriétaire, l’abonné ou le consommateur contre la grande entreprise, et bien sûr le salarié contre l’employeur.

La notion d’ordre public est indissociable du droit du travail, lequel définit dans le détail les conditions de conclusion, d’exécution et de rupture de conventions d’une nature particulière – les contrats de travail et les accords collectifs de travail – en les entourant de règles impératives.

Il existe toutefois une exception de portée générale au principe d’ordre public en droit du travail : l’objectif étant de protéger les salariés, on peut de manière générale déroger aux règles quand c’est en leur faveur (« principe de faveur »), avec cependant des exceptions particulières à cette exception générale. L’article L. 2251-1 du code du travail dispose ainsi : « Une convention ou un accord peut comporter des stipulations plus favorables aux salariés que les dispositions légales en vigueur. Ils ne peuvent déroger aux dispositions qui revêtent un caractère d’ordre public ». Parmi les dispositions d’ordre public dit « absolu » auxquelles il est prohibé de déroger même en faveur des salariés figurent par exemple, en application du code du travail ou selon la jurisprudence, la réglementation du droit de grève, car il est constitutionnellement reconnu (une convention collective ne peut donc pas échanger une renonciation à la grève contre un avantage financier…), ou encore la non-indexation des salaires sur l’inflation ou sur l’évolution du SMIC.

Par ailleurs, depuis 1982, le législateur a ménagé des exceptions au caractère d’ordre public des dispositions du code du travail indépendamment du principe de faveur : principalement dans le domaine de la réglementation de la durée du travail, mais aussi dans celui des procédures de consultation préalables aux licenciements collectifs, il a autorisé les partenaires sociaux par accord collectif, voire individuellement les salariés en accord avec leur employeur, à déroger à des règles de droit commun sans que la question de savoir si la dérogation est ou non favorable aux salariés n’ait à être posée. Chacune de ces dérogations est cependant encadrée, son champ étant explicitement fixé par le code du travail.

Cependant, l’insertion formelle du concept d’« ordre public social français » dans le code du travail apparaît délicate : cette option aurait certes le mérite de reconnaître explicitement l’un des fondements de notre droit du travail, mais poserait le double problème de la définition exacte du contenu de l’ordre public social et de la possibilité de l’« exporter » (puisqu’il s’agirait en l’espèce de l’appliquer à des emplois localisés à l’étranger).

Le rapporteur propose donc à la Commission d’opter pour une solution alternative. L’objectif reste de garantir aux salariés le plus large champ d’offres de reclassement interne, y compris à l’étranger, tout en interdisant que ne soient envoyées des offres manifestement inacceptables à des salariés par ailleurs fragilisés par la perspective d’un licenciement.

L’option retenue par le rapporteur consiste à donner une base légale à la méthode dite du questionnaire préalable, que certaines entreprises avaient imaginée pour éviter d’avoir à faire à leurs salariés des offres de reclassement exhaustives, aussi indécentes apparaissent-elles. Cette méthode n’a malheureusement pas été admise par les juridictions de l’ordre judiciaire, alors qu’elle l’a été par celles de l’ordre administratif.

Selon la proposition du rapporteur (17), le reclassement devra continuer à être envisagé dans toutes les implantations du groupe d’entreprises, mais l’employeur devra préalablement demander aux salariés s’ils accepteraient de recevoir des propositions de reclassement à l’étranger et sous quelles conditions ; les offres concrètes d’emploi de reclassement à l’étranger ne seront ensuite envoyées qu’aux salariés ayant manifesté leur accord de principe pour recevoir de telles propositions et sous réserve qu’elles répondent aux conditions (de salaire, de localisation…) qu’ils auront exprimées.

Le délai laissé aux salariés pour manifester leur accord pour recevoir des offres d’emploi à l’étranger (le silence valant refus), soit six jours ouvrables, sera court afin de limiter la contrainte que cette nouvelle procédure pourrait représenter pour les employeurs ; l’introduction d’une obligation nouvelle sera largement compensée par la sécurité juridique qu’apportera une procédure simple et précisément décrite dans la loi.

Il est enfin à noter que la nouvelle procédure ne s’appliquera qu’aux entreprises ou groupes ayant des implantations à l’étranger, son inscription dans un nouvel article du code du travail permettant de bien la distinguer des règles de droit commun du reclassement, qui resteront seules applicables au reclassement en France.

*

La Commission examine deux amendements identiques, AC 4 du rapporteur et AC 1 de M. Michel Liebgott.

M. Michel Liebgott. L’ensemble des éléments de rémunération étant pris en compte pour le calcul de l’allocation chômage et de l’indemnité de licenciement, ils doivent l’être également pour le reclassement des salariés.

La Commission adopte les amendements AC 1 et AC 4.

Puis elle examine l’amendement AC 2 de M. Michel Liebgott.

M. Michel Liebgott. La référence au concept d’ordre public social français en matière de rémunération correspond au salaire minimum de croissance. Or les cadres et les salariés qualifiés perçoivent une rémunération supérieure et la garantie du SMIC ne leur suffirait pas. Je souhaite que nous supprimions les alinéas 3 et 4 de l’article afin que seule l’obligation de proposer un reclassement sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente soit inscrite dans le droit du travail.

Cela dit, je ne suis pas hostile à l’amendement du rapporteur, qui substitue à ces deux alinéas des dispositions ne faisant plus référence au concept d’ordre public social français.

M. le rapporteur. Je vous invite à retirer votre amendement, puisqu’il est satisfait par le mien.

L’amendement AC 2 est retiré par son auteur.

La Commission examine ensuite l’amendement AC 3 du rapporteur.

M. le rapporteur. Par rapport à la référence à l’ordre public social, qui pose problème, cet amendement vise à donner aux salariés une solution alternative leur garantissant le plus large champ d’offres de reclassement interne, y compris à l’étranger, et à interdire que leur soient envoyées des offres manifestement inacceptables alors qu’ils sont déjà fragilisés par la perspective d’un licenciement. Cette solution alternative consisterait à donner une base légale à la méthode du questionnaire préalable, qu’a validée la juridiction administrative mais pas la juridiction judiciaire, laquelle a fait du droit en vigueur une lecture impérative. Le reclassement devrait continuer à être envisagé dans toutes les implantations du groupe d’entreprises, mais l’employeur devrait préalablement demander aux salariés s’ils accepteraient de recevoir des propositions de reclassement à l’étranger et sous quelles conditions ; les offres concrètes d’emploi de reclassement à l’étranger ne seraient ensuite envoyées qu’aux salariés ayant manifesté leur accord de principe pour recevoir de telles propositions, et sous réserve qu’elles répondent aux conditions – de salaire, de localisation… – qu’ils ont exprimées. Les salariés resteraient libres de refuser ces offres.

J’ajoute que les salariés disposeraient d’un délai de six jours ouvrables à compter de la réception de la proposition de l’employeur pour manifester leur accord.

M. Jean-Frédéric Poisson. La coexistence de certaines règles de droit et de la jurisprudence – pas toujours constante – de la Cour de cassation crée des situations complexes pour les entreprises et les salariés. Il est donc opportun de clarifier la législation. Et si, conformément à la loi de modernisation sociale, les employeurs doivent respecter leurs obligations, il ne faut pas, alors qu’ils les respectent à la lettre, qu’ils soient soumis à l’opprobre.

L’insertion de l’obligation d’offrir une rémunération équivalente en cas de reclassement, telle que prévue par les alinéas 1 et 2 de l’article unique, me paraît à la fois répondre aux besoins des salariés, aux obligations de l’employeur sur le plan éthique et au souci du législateur. Mais ce qui m’inquiète, c’est que l’on veuille ajouter à ce texte une autre obligation, qui risque d’être source de contentieux : de nouvelles procédures, un nouveau délai… La jurisprudence et le code du travail instaurent déjà des modalités précises pour les procédures de reclassement. De plus, le salarié est le libre d’accepter ou de refuser la proposition qui lui est faite. Aussi, restons-en là. Pourquoi légaliser la pratique du questionnaire préalable, qui est surtout utilisée dans les grandes entreprises ?

Je comprends l’intention du rapporteur, mais je suis très perplexe quant à l’opportunité de cet amendement. Je souhaite donc qu’il soit rejeté.

M. le rapporteur. Le fait d’adresser une lettre recommandée aux salariés, puisqu’en pratique cela se passera ainsi, est une contrainte minime. Dans l’autre sens, l’amendement vise à instaurer une règle simple et claire qui évitera en conséquence le maximum de contentieux.

Une entreprise possédant des établissements en France, en Espagne, en Belgique, en Roumanie, en Inde ou encore au Brésil fera au salarié des propositions en fonction des conditions de rémunérations qu’elles pensent pouvoir légitimement offrir dans chacun de ces pays ; toutefois, comme le salarié aura indiqué à l’avance ses conditions de salaire, si l’entreprise ne peut pas offrir une rémunération égale ou supérieure à celle demandée, elle ne sera pas obligée de faire une proposition. En définitive, le salarié ne risquera plus de recevoir une proposition indécente et l’employeur ne sera plus dans une situation de doute.

J’ajoute, connaissant le peu de goût pour la mobilité de nos concitoyens, que cette disposition concernera peu de salariés.

Enfin, si nous n’adoptions pas cet amendement, nous laisserions dans le texte la référence au concept d’ordre public social français, juridiquement incertaine et source de contentieux.

M. Michel Liebgott. Nous devons adopter cet amendement, qui relève du même esprit que la proposition de loi, s’inscrit dans le droit-fil de la loi de modernisation sociale et participe à la même logique que le principe de flexicurité.

Par ailleurs, ne préjugeons pas des décisions des tribunaux. Au reste, c’est en raison du nombre des contentieux que nous modifions la loi en vigueur.

Enfin, l’amendement a l’avantage de garantir au salarié un salaire décent, dans un pays qu’il aura choisi.

M. Jean-Frédéric Poisson. L’obligation pour l’entreprise de proposer une rémunération globalement équivalente, que nous venons de voter, fait disparaître le risque de proposition à caractère indécent. Dès lors, il faut que les salariés aient connaissance de l’ensemble des offres afin de choisir librement celles qui les intéressent.

Je suis défavorable à cet amendement, mais j’invite le rapporteur – qui s’inquiète, à juste titre, de la référence au concept d’ordre public social français – à le redéposer ultérieurement.

M. le président Pierre Méhaignerie. Je comprends vos arguments, monsieur Poisson, mais ne pourrions-nous pas, à titre conservatoire, adopter cet amendement de manière à engager un débat avec le Gouvernement en séance publique ? Ce dernier, alors, pourra répondra à vos légitimes interrogations.

M. Georges Colombier. Je suis entièrement d’accord avec M. le président.

M. Francis Vercamer. La protection du plus faible étant la raison d’être du droit, il me semble particulièrement nécessaire de garantir aux salariés une sécurité juridique.

Par ailleurs, si le texte ne précise pas la méthode du reclassement, la jurisprudence s’en chargera en raison de la multiplication des conflits qui, contrairement à ce que semble croire M. Poisson, ne manqueront pas alors de survenir. Soit nous prévoyons dès aujourd’hui une nouvelle règle claire, soit nous attendons dix ans que la Cour de cassation ait élaboré une nouvelle jurisprudence, soit dix ans d’insécurité juridique et de contentieux.

M. Michel Liebgott. À cela s’ajoute, sur un plan politique, que la discussion de cette question aura lieu grâce à une initiative parlementaire : au Gouvernement, alors, de prendre ses responsabilités – et je ne doute pas qu’il saura le faire d’une manière ou d’une autre. Pour une fois que nous avons la main, gardons-là !

La Commission adopte l’amendement AC 3.

*

La Commission adopte, à l’unanimité, l’article unique de la proposition de loi ainsi modifiée.

En conséquence, la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales demande à l’Assemblée nationale d’adopter la proposition de loi visant à garantir de justes conditions de rémunération aux salariés concernés par une procédure de reclassement dans le texte figurant dans le document joint au présent rapport.

TABLEAU COMPARATIF

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Dispositions en vigueur

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Texte de la proposition de loi

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Texte adopté par la Commission

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Proposition de loi visant à garantir de justes conditions de rémunération aux salariés concernés par une procédure de reclassement

Proposition de loi visant à garantir de justes conditions de rémunération aux salariés concernés par une procédure de reclassement

Code du travail

Article unique

Article unique


Art. L. 1233-4.
-

Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient.

L’article L. 1233-4 du Code du travail est ainsi modifié :

Le code du travail est ainsi modifié :


Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent. À défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.

1° À la fin de la première phrase du second alinéa, insérer les mots : « assorti d’une rémunération mensuelle de base équivalente. »

1° La première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 1233-4 est complétée par les mots : « assorti d’une rémunération équivalente » ;

Amendements nos AC 1 et AC 4

 

2° Après le second alinéa, insérer un alinéa ainsi rédigé :

2° Il est inséré après l’article L. 1233-4 un article L. 1233-4-1 ainsi rédigé :

 

« Lorsque les emplois proposés pour le reclassement sont situés à l’étranger, ils doivent assurer au salarié le respect des règles de l’ordre public social français en matière de rémunération. »

« Art. L. 1233-4-1. – Lorsque l’entreprise ou le groupe auquel elle appartient est implanté hors du territoire national, l’employeur demande au salarié, préalablement au licenciement, s’il accepte de recevoir des offres de reclassement hors de ce territoire, dans chacune des implantations en cause, et sous quelles restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation.

Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.

 

« Le salarié manifeste son accord, assorti, le cas échéant, des restrictions susmentionnées, pour recevoir de telles offres dans un délai de six jours ouvrables à compter de la réception de la proposition de l’employeur. L’absence de réponse vaut refus.

   

« Les offres de reclassement hors du territoire national, qui sont écrites et précises, ne sont adressées qu’au salarié ayant accepté d’en recevoir et compte tenu des restrictions qu’il a pu exprimer. Le salarié reste libre de refuser ces offres. Le salarié auquel aucune offre n’est adressée est informé de l’absence d’offres correspondant à celles qu’il a accepté de recevoir. »

Amendement n° AC 3

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION

Amendement n° AC 1 présenté par MM.  Michel Liebgott, Christian Eckert, Jean-Patrick Gille, Mme Catherine Lemorton, M. Jean Mallot et les commissaires membres du groupe SRC

Article unique

À l’alinéa 2, supprimer les mots : « mensuelle de base ».

Amendement n° AC 2 présenté par MM.  Michel Liebgott, Christian Eckert, Jean-Patrick Gille, Mme Catherine Lemorton, M. Jean Mallot et les commissaires membres du groupe SRC

Article unique

Supprimer les alinéas 3 et 4.

(retiré en commission)

Amendement n° AC 3 présenté par M.  Philippe Folliot, rapporteur :

Article unique

Substituer aux alinéas 3 et 4 quatre alinéas ainsi rédigés :

« 2° Il est inséré après l’article L. 1233-4 un article L. 1233-4-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1233-4-1. – Lorsque l’entreprise ou le groupe auquel elle appartient est implanté hors du territoire national, l’employeur demande au salarié, préalablement au licenciement, s’il accepte de recevoir des offres de reclassement hors de ce territoire, dans chacune des implantations en cause, et sous quelles restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation.

« Le salarié manifeste son accord, assorti, le cas échéant, des restrictions susmentionnées, pour recevoir de telles offres dans un délai de six jours ouvrables à compter de la réception de la proposition de l’employeur. L’absence de réponse vaut refus.

« Les offres de reclassement hors du territoire national, qui sont écrites et précises, ne sont adressées qu’au salarié ayant accepté d’en recevoir et compte tenu des restrictions qu’il a pu exprimer. Le salarié reste libre de refuser ces offres. Le salarié auquel aucune offre n’est adressée est informé de l’absence d’offres correspondant à celles qu’il a accepté de recevoir. »

Amendement n° AC 4 présenté par M.  Philippe Folliot, rapporteur :

Article unique

À l’alinéa 2, supprimer les mots : « mensuelle de base ».

ANNEXE

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

(par ordre chronologique)

Ø Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)M. Olivier Gourlé, secrétaire général adjoint chargé de la formation professionnelle continue, et M. Michel Charbonnier, conseiller technique

Ø Force ouvrière (FO) – M. David Deloye, assistant confédéral chargé de l’assurance chômage

Ø Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) Mme Christine Dupuis, secrétaire nationale

Ø Mouvement des entreprises de France (MEDEF) – M. Dominique Tellier, directeur des relations sociales, et M. Guillaume Ressot, directeur des affaires publiques

Ø Confédération générale du travail (CGT) – M. Lionel Pastre, secrétaire national, et M. Edmond Andreu

Ø Confédération française de l’encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC) – M. Alain Lecanu, secrétaire national à l’emploi et à la formation, et Mme Juliette Raulin, juriste

© Assemblée nationale

1 () Cour de cassation, chambre sociale, 25 février 1992, n° 89-41634.

2 () Cour de cassation, chambre sociale, 22 février 1995, n° 93-43404.

3 () Cour de cassation, chambre sociale, 6 juillet 1999, n° 96-45665 (et n° 93-43404 précité).

4 () Cour de cassation, chambre sociale, 17 octobre 2001, n° 99-42464.

5 () Par ex., Cour de cassation, chambre sociale, 7 avril 2004, n° 01-44191.

6 () Cour de cassation, chambre sociale, 29 janvier 2003, n° 00-46332 et 46323.

7 () Cour de cassation, chambre sociale, 5 avril 1995, n° 93-42690.

8 () Cour de cassation, chambre sociale, 27 octobre 1998, n° 96-40626 et 40629.

9 () Cour de cassation, chambre sociale, 5 octobre 1999, n° 97-41838.

10 () Cour de cassation, chambre sociale, 7 octobre 1998, n° 96-42812.

11 () Cour de cassation, chambre sociale, 14 novembre 1995, n° 94-41366.

12 () Cour de cassation, chambre sociale, 24 juin 2008, n°s 06-45870 sq.

13 () Cour de cassation, chambre sociale, 4 mars 2009, n° 07-42381.

14 () Conseil d’État, 4 février 2004, n° 255956.

15 () Instruction DGEFP n° 2006-01, 23 janvier 2006.

16 () Cour d’appel de Reims, chambre sociale, 13 mai 2009, n° 08-01098.

17 () L’amendement reprenant cette proposition ayant été adopté, elle constitue les alinéas 3 à 6 de l’article unique de la proposition de loi telle que rédigée par la Commission.