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N
° 2067

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 novembre 2009

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE (n° 1966) DE M. HERVÉ GAYMARD, RAPPORTEUR DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES, sur la situation du secteur laitier.

PAR M. Michel Raison,

Député.

——

Voir le numéro 1966.

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

I.— GÉNÉALOGIE DE LA CRISE LAITIÈRE 9

A.— UN SECTEUR CLÉ DE L’ALIMENTATION LONGTEMPS TRÈS ENCADRÉ 9

1. Les fondamentaux de l’économie laitière 12

2. Une régulation ancienne aujourd’hui à bout de souffle 13

a) De l’OCM lait à l’OCM unique 13

b) Quel encadrement du prix du lait au niveau national ? 15

B.— 2007-2009 : CRISE CONJONCTURELLE ET/OU CRISE STRUCTURELLE 16

1. Un marché très volatil 16

2. Une filière bloquée 18

a) Des difficultés en amont et en aval 18

b) Comment repartir sur de nouvelles bases ? 20

II.— POUR UNE NOUVELLE RÉGULATION DU MARCHÉ DU LAIT 22

A.— UNE MOBILISATION FORTE DE LA FRANCE AU NIVEAU COMMUNAUTAIRE 22

1. Le bilan de santé de la PAC 22

2. Le « G 20 laitier » 24

B.— LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES 26

1. Rappel des éléments essentiels de contexte 26

2. Les points-clés de la proposition de résolution 27

EXAMEN EN COMMISSION 29

PROPOSITION DE RÉSOLUTION 41

ANNEXE : COMMUNIQUÉ DE PRESSE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE DU 5 OCTOBRE 2009 43

MESDAMES, MESSIEURS,

Le secteur laitier traverse aujourd’hui une crise sans précédent, marquée par une instabilité inédite du prix du lait. Alors qu’en 2007 et au début de l’année 2008, le marché a connu une hausse du cours sans précédent, résultant notamment d’une nouvelle demande au niveau mondial, la situation s’est rapidement dégradée sur le reste de l’année dernière en raison du repli de la demande et d’un regain de la production, occasionnant des surplus sur le marché européen et mondial. Les producteurs, dont certains avaient profité de l’embellie des marchés pour investir, se retrouvent aujourd’hui dans une situation financière critique, entraînant des gestes désespérés comme le déversement dans les champs de milliers de litres de lait au mois de septembre, lors de la « grève du lait ».

Cette crise vient démontrer, si besoin était, que depuis la mise en œuvre des hausses régulières de quotas laitiers, censées aboutir à leur suppression pure et simple en 2015, ceux-ci ne jouent plus leur rôle directeur dans la production de lait au niveau européen. Or, l’augmentation de la production se heurte à la baisse de la consommation et au recul des exportations européennes, entraînant une chute des cours que l’affaiblissement des mécanismes d’intervention ne permet plus d’amortir pour les producteurs. Enfin, au strict niveau national, la remise en cause de l’encadrement des prix du lait par l’interprofession a contribué à accroître la dérégulation du marché. Cette situation se traduit aujourd’hui par une perte de revenus pour les agriculteurs d’environ 30 % par rapport à 2008.

Mais cette crise est aussi l’illustration parfaite de ce qui y attend notre agriculture si l’on persiste à vouloir réformer la politique agricole commune (PAC) dans le sens voulu par la Commission de Bruxelles : permettre aux agriculteurs de mieux « répondre aux signaux du marché ».

Car, quel signal nous envoie aujourd’hui le marché ? L’impératif de baisser encore les prix et les coûts de production pour être compétitif au niveau mondial ? La nécessité d’opter pour une agriculture très intensive, reposant sur des fermes géantes où seraient parqués, selon l’expression employée par le ministre de l’agriculture, des milliers de « pis sur tréteaux » (1) ? L’obligation de renoncer à conserver des exploitations de taille moyenne implantées partout sur le territoire ?

Il faut clairement refuser cette perspective et réaffirmer notre fidélité au modèle européen d’une agriculture multifonctionnelle, durable, compétitive, présente sur les territoires, soucieuse de préserver l’environnement, de maintenir la vitalité du monde rural et d’assurer une alimentation suffisante, saine et de qualité, à un prix raisonnable pour nos concitoyens.

La bataille doit être engagée dès aujourd’hui pour refonder la PAC dans la perspective de 2013 et en faire l’instrument du développement d’une politique alimentaire et agricole, irréprochable en termes de sécurité sanitaire et environnementale mais également compétitive. À cet égard, les conditions de concurrence sont à repenser, aussi bien au niveau intra-communautaire que vis-à-vis de nos partenaires extérieurs. Il est à cet égard plus que temps d’exiger que les produits que nous importons respectent les mêmes conditions de production que celles que nous imposons à nos exploitants. Enfin, il ne faut pas abandonner les outils de régulation et d’intervention dont nous disposons au niveau communautaire car leur disparition ne pourrait que fragiliser encore plus la situation des producteurs européens dans un contexte d’instabilité accrue des cours des matières premières.

La position de la France est constante, elle l’a défendue dans le cadre de l’examen du bilan de santé de la PAC, sans parvenir toutefois à convaincre ses partenaires de s’opposer à la suppression, programmée dès 1999, des quotas laitiers en 2015. Face à l’ampleur de la crise qui secoue le secteur laitier, le ministre de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche a toutefois réussi à fédérer autour d’une position commune 20 autres États membres et exiger de la Commission européenne, d’une part, qu’elle apporte un soutien ponctuel aux exploitations en difficulté et, d’autre part, qu’elle mette en place un groupe de travail sur la régulation du marché laitier.

L’application des dispositions du traité de Lisbonne risque également de changer la donne en faisant entrer dans le jeu le Parlement européen (PE), qui disposera à l’avenir d’un pouvoir de codécision sur les dossiers agricoles. Espérons que cette promotion du rôle du Parlement, hier très favorable à une régulation des marchés agricoles (2), constitue, comme l’a récemment exprimé M. Paolo de Castro, président de la commission agriculture et développement durable du PE, une « belle opportunité » lorsqu’il s’agira d’instaurer un nouveau cadre d’intervention publique pour le secteur agricole.

En attendant de voir fonctionner ce mécanisme inédit, il appartient au Parlement français, dans le cadre de l’article 88-4 de la Constitution, de se prononcer sur la question capitale de la régulation du secteur laitier au niveau communautaire, question-test pour l’avenir de la politique agricole commune après 2013. Dans cette perspective, le 14 octobre dernier, la commission des affaires européennes a adopté une proposition de résolution réclamant la création d’instruments pertinents de régulation de l’offre et d’organisation de la production sur le marché laitier, réaffirmant la nécessité de mettre en œuvre la réforme des quotas laitiers de manière prudente et mesurée et appelant à fournir aux exploitants les moyens de mieux valoriser leur production. L’occasion est ainsi donnée à l’Assemblée nationale d’exprimer son soutien à la mise en place d’un système de régulation concourant à la réalisation des objectifs assignés à la PAC : garantir l’approvisionnement des consommateurs et maintenir le niveau de revenu des agriculteurs.

I.— GÉNÉALOGIE DE LA CRISE LAITIÈRE

A.— UN SECTEUR CLÉ DE L’ALIMENTATION LONGTEMPS TRÈS ENCADRÉ

Les chiffres du secteur laitier

Le secteur laitier en Europe

En 2007, l’Union européenne a produit plus de 147 millions de tonnes de lait de vache, représentant plus de 26 % de la production mondiale (contre 19 % pour l’Amérique du Nord et centrale et 16 % pour l’Asie).

En 2007, la consommation moyenne d’un Européen en produits laitiers s’est élevée à 265 kg de lait ou de produit laitier, cette moyenne cachant cependant de fortes disparités (de 394 kg en Finlande à 143 kg en Slovénie).

Le lait est la production agricole communautaire la plus importante : elle représente plus de 14 % de la valeur totale de la production de biens agricoles pour les exploitants, à hauteur de 45 millions d’euros. Le premier pays producteur est l’Allemagne suivi de la France, du Royaume-Uni et des Pays-Bas.

Livraison de lait par les exploitations pendant la campagne 2006-2007 (source : Commission européenne)

Les productions des différents États membres sont très hétérogènes, tant en ce qui concerne la taille des exploitations, qu’en termes de rendement.

Répartition des exploitations laitières selon le nombre de vaches laitières en 2007

(source : Centre national interprofessionnel de l’économie laitière – CNIEL)

Rendement annuel par vache laitière (litres/an) en 2007

(source : Centre national interprofessionnel de l’économie laitière – CNIEL)

Le secteur laitier français

La France est le deuxième pays producteur de l’Union européenne, avec un quota de 25,3 milliards de litres de lait (17 % du quota européen). Notre pays compte 105 000 exploitations professionnelles, dont 90 000 élevages de vaches laitières (3,8 millions de bêtes). Depuis 1984, la filière a connu une profonde restructuration et le nombre d’exploitations a été divisé par 4, 5 : en 1983, la France comptait 439 000 exploitations pour plus de 7 millions de bêtes (soit une moyenne de 16 vaches par exploitation).

La production française de lait varie fortement selon les régions ; bien que présente sur quasiment l’ensemble du territoire, elle y reste inégalement répartie, trois régions (Bretagne, Pays-de-la-Loire et Basse-Normandie) concentrant environ 45 % des troupeaux et de la production. Les exploitations sont majoritairement de taille petite et moyenne.

Nombre d’exploitations laitières par département pendant la campagne 2006/2007 (source : Office de l’élevage)

Le secteur laitier est le troisième secteur de l’agriculture française en valeur (7,7 milliards d’euros en 2007, y compris les subventions) après les grandes cultures et la viticulture. Il occupe plus de 30 % de la SAU. 37 % des exploitations de bovins laitiers et 30 % de la collecte de lait de vache sont localisés en zone défavorisée ou de montagne.

S’agissant de l’aval, on dénombre environ 300 transformateurs laitiers et 600 usines implantées en France, occupant environ 57 000 salariés pour un chiffre d’affaires (CA) annuel de 23 milliards d’euros (18 % du CA des industries agroalimentaires). Les coopératives représentent 35 % du chiffre d’affaires de la transformation contre 65 % pour les industriels privés comme Bongrain, Lactalis, Danone ou encore Bel.

La moitié de la production laitière est destinée à la fabrication de produits de grande consommation commercialisés sur le territoire national, 20 % à la fabrication de produits de grande consommation exportés et 30 % à la fabrication de produits industriels (beurre, poudre). La France se situe au troisième rang européen pour la consommation individuelle de produits laitiers avec 336 kg en 2007, notamment grâce à sa forte consommation de beurre et de fromages.

Le solde du commerce extérieur de produits laitiers est positif à 3,5 milliards d’euros.

Source : Autorité de la Concurrence ; CNIEL

1. Les fondamentaux de l’économie laitière

Le lait est une denrée très périssable, qui ne peut se conserver plus de quelques jours : les producteurs sont donc obligés d’écouler leur production, qu’ils ne peuvent par ailleurs pas stopper ou diminuer aisément (les vaches doivent être traites tous les jours, en général deux fois par jour). À cet égard, tout arrêt de production (par réforme et abattage des troupeaux) est irréversible. La relation entre producteurs et transformateurs se caractérise donc par une forte dépendance économique des producteurs vis-à-vis des transformateurs, comme l’illustre bien la pratique consistant pour l’industriel, c’est-à-dire le client, à établir lui-même la « paie » du lait, c'est-à-dire la facture de son fournisseur, le producteur. Cette dépendance économique est particulièrement forte dans le secteur de production du lait liquide ou du beurre où le secteur de la transformation est très concentré et laisse donc peu de marges de manœuvre aux producteurs (3).

En raison précisément du caractère périssable des produits laitiers, coexistent deux segments de marché : le premier correspond à un marché national de produits frais (dits produits de grande consommation : lait, desserts lactés, fromages) difficilement transportables, qui représente environ 70 % de la production, et le second au marché international de produits secs, constitués de beurre et surtout de poudre de lait utilisée dans l’industrie agroalimentaire et dans l’alimentation animale (30 % de la production). Le secteur des produits frais est évidemment beaucoup plus valorisé que celui des produits secs, qui ne sont souvent que des surplus. Ce dernier dicte cependant le niveau des cours mondiaux, puisque le beurre en vrac et la poudre de lait sont les seuls produits laitiers à s’échanger dans des proportions significatives au niveau mondial. Or, un pays domine largement ce segment de marché et se trouve de fait en position de fixer le prix du lait au niveau international : la Nouvelle-Zélande.

Le secteur laitier néo-zélandais

Grâce à un climat doux et humide, favorable à la pousse de l’herbe toute l’année, la Nouvelle-Zélande a développé un « modèle laitier » à bas coût (vaches à l’extérieur toute l’année, pas de bâtiments d’élevage, pas d’apport d’aliments concentrés – céréales, soja). Celui-ci repose sur une agriculture extensive bénéficiant d’économies d’échelle importantes (500 vaches par exploitation) compensant sa faible productivité (3 500 litres par vache et par an contre le double en Europe).

L’économie laitière néo-zélandaise est dominée à plus de 90 % par un acteur unique, la coopérative Fonterra, qui se trouve en situation quasi-monopolistique. Elle bénéficie en outre de prérogatives héritées de l’ancien office public de commercialisation, le New Zealand Dairy Board, désormais sa filiale à 100 %, qui lui assurent notamment un accès exclusif à certains marchés sur des périodes déterminées.

La Nouvelle-Zélande exporte 90 % de sa production sous forme de produits stockables (beurre, poudre de lait, cheddar).

Avec un coût de revient le plus bas au monde, à environ 120 euros / 1 000 litres de lait, elle est ainsi en position de dicter le niveau des cours mondiaux sur ces produits.

Enfin, n’oublions pas que, comme dans tout le secteur agricole, le libre jeu du marché ne garantit pas un ajustement spontané de l’offre à la demande. Le marché du lait se caractérise ainsi par une demande globalement peu sensible au prix pour les produits de base (mais qui croît avec le pouvoir d’achat) ainsi que par une offre de court terme relativement inélastique. L’Autorité de la concurrence dans son avis rendu à la demande de la commission des affaires économiques du Sénat (4 l’illustre très clairement : « si un éleveur constatant une hausse des prix peut augmenter son volume en donnant une alimentation plus riche à ses vaches, cette augmentation n’est possible que dans les limites physiologiques de l’animal, et si le prix est réellement susceptible de couvrir les coûts variables associés qui sont relativement élevés. Par ailleurs, cette capacité d’adaptation à la hausse n’est pas symétrique à la baisse, les animaux qui ne se nourrissent souvent que d’herbe ne peuvent être amenés à produire moins. Ces limites dans le choix du volume de l’éleveur sont d’autant plus contraignantes que le produit n’étant pas stockable, l’éleveur ne peut utiliser ce moyen pour réguler son volume vendu ». Ces rigidités entraînent donc une forte volatilité des prix s’exerçant principalement sur les produits industriels réalisés avec les excédents de stocks, qui constituent la variable d’ajustement en cas de déséquilibre. Or, 0,5 % d’excédent ou de déficit entre l’offre et la demande entraîne un déséquilibre du marché laitier.

Jusqu’à récemment toutefois, cette fragilité de l’équilibre entre l’offre et la demande de lait au niveau international ainsi que l’instabilité des cours mondiaux en résultant n’influençaient pas vraiment la formation des prix du lait dans l’Union européenne, grâce au système de régulation mis en place au niveau communautaire dans le cadre de l’organisation commune du marché du lait.

2. Une régulation ancienne aujourd’hui à bout de souffle

a) De l’OCM lait à l’OCM unique

L’Organisation commune du marché du lait (OCM lait) a été une des premières organisations de marché à être créée dans le cadre de la politique agricole commune, en 1968. Reposant uniquement sur des mesures de soutien au marché, cette organisation finit par entraîner au début des années 1980 une crise de surproduction sans précédent, et fut donc ensuite complétée par une politique de régulation des volumes se traduisant principalement par l’instauration en 1984 de quotas laitiers. Jusqu’en 1999, l’OCM lait a ainsi consisté :

– en une régulation des volumes par les quotas laitiers, mais également par des mesures de stockages publics et privés et l’octroi d’aides à l’exportation ou à la consommation pour écouler les surplus ;

– et un soutien des prix à la production grâce à un système de prix administré (un prix indicatif, représentant ce que le Conseil des ministres européens estimait être « le juste prix » à verser aux producteurs, un prix d’intervention pour les produits industriels – beurre et poudre de lait, et un prix de seuil, sorte de prix minimum d’exportation) et l’imposition de droits de douane sur les importations.

Avec le temps, cette organisation a toutefois fait l’objet de critiques de plus en plus nombreuses, accusée de créer un marché fictif et surtout de constituer une entrave au commerce. C’est ainsi que dans un contexte de mondialisation et de libéralisation accrue des échanges, symbolisé par la signature des accords de Marrakech en 1994, les protections existantes ont peu à peu été démantelées.

En 1999, l’OCM lait est réformée : le prix indicatif est encadré et voué à diminuer progressivement ; le prix de seuil est supprimé. Les conditions de mise en œuvre de l’intervention sont durcies : l’intervention sur la poudre de lait est désormais assurée à un prix prédéterminé, sur une période bien arrêtée (1er mars – 31 août) et dans la limite d’un certain volume ; l’intervention sur le beurre n’est plus destinée à s’appliquer que lorsque le prix a diminué suffisamment et suffisamment longtemps. Quant aux prix d’intervention, ils sont diminués de 15 %. Parallèlement, l’aide au stockage privé, l’aide à l’utilisation de la poudre de lait pour l’alimentation animale ou encore les restitutions à l’exportation sont maintenus. Enfin, une aide directe laitière est créée et une augmentation du quota communautaire global est décidée : la suppression des quotas est d’ores et déjà à l’ordre du jour, mais devra préalablement faire l’objet d’un rapport dans la perspective de la réforme de la PAC à mi-parcours, en 2003. Comme le note M. Jean Bizet dans son rapport d’information présenté au nom de la commission des affaires européennes du Sénat sur le prix du lait dans les États membres de l’Union européenne (5), « en 1999, la nouvelle organisation du secteur laitier se profile avec une baisse des prix compensée par des aides aux revenus ».

Ce mouvement est encore amplifié en 2003 avec une nouvelle baisse des prix d’intervention (de 25 % pour le beurre et de 15 % pour le lait en poudre). L’intervention pour le beurre se voit en outre appliquer un plafond, d’abord fixé à 70 000 tonnes puis ramené à 30 000 tonnes, au-delà duquel celle-ci n’a plus lieu à prix fixe, mais par adjudication (6). La fin des quotas laitiers est officiellement programmée.

Enfin, la création en 2007 de l’OCM unique, qui fusionne 21 OCM existantes dont l’OCM lait met fin à la notion de prix indicatif tout en conservant les mécanismes d’intervention sur le beurre et la poudre de lait tels que modifiés en 2003. Le bilan de santé de la PAC acté en 2008 confirme pour sa part la suppression des quotas laitiers, considérés par la Commission européenne comme « une camisole de force pour [les] producteurs », au travers d’un mécanisme « d’atterrissage en douceur » prévoyant l’augmentation progressive des quotas jusqu’en 2015. Selon la Commission, celle-ci devrait entraîner un accroissement de la production, une baisse des prix et un renforcement de la compétitivité du secteur, les difficultés éprouvées par certaines régions pour « maintenir un niveau minimum de production » devant être compensées par des mesures de développement rural, ainsi qu’un soutien spécifique dans le cadre de l’article 68 du règlement (CE) n° 1782/2003 du Conseil révisé.

L’objectif poursuivi au travers de ces réformes est de laisser faire le marché et réduire les mécanismes communautaires à un simple « filet de sécurité » en temps de crise. En conséquence, depuis la suppression des prix garantis, le prix du lait est beaucoup plus sensible aux fluctuations du marché. Au niveau national, cette instabilité nouvelle est désormais accrue par l’arrêt des recommandations du CNIEL (centre national interprofessionnel de l’économie laitière) sur le prix du lait.

b) Quel encadrement du prix du lait au niveau national ?

De 1997 à 2008, des accords interprofessionnels définissaient les modalités de fixation du prix du lait sur la base d’une combinaison de différents indicateurs trimestriels. Le comité de suivi du prix du lait au sein de l’interprofession nationale mettait ainsi l’ensemble des acteurs de la filière autour de la table afin de définir des « recommandations » sur le prix du lait. Dépourvues de caractère obligatoire, ces recommandations étaient cependant plutôt bien acceptées dans les relations commerciales entre producteurs et transformateurs.

En avril 2008, la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) a toutefois demandé l’abandon de ce système d’accord interprofessionnel sur le prix du lait, au motif du non respect des règles de la concurrence. La DGCCRF soulignait notamment dans un courrier adressé au CNIEL qu’« il n’entr[ait] pas dans les prérogatives des instances professionnelles d’émettre de quelconque recommandation de prix, ou d’évolution de prix, à la production : de telles pratiques sont toujours condamnées tant par le Conseil de la concurrence que par la Commission européenne ». Cette vision des choses est d’ailleurs confirmée par l’avis rendu par l’Autorité de la concurrence à la demande du Sénat qui indique dans le point 62 de celui-ci que « les recommandations de prix générales apparaissent, aux yeux de l’Autorité, de peu de secours pour les producteurs de lait et présentent de forts risques juridiques au regard des règles de concurrence. En la matière, seuls, le cas échéant, des accords ciblés liés à une démarche de qualité pour des produits commercialisés sous marque ou label de qualité sont, sous certaines conditions, envisageables ». L’Autorité de la concurrence apporte également un éclairage intéressant sur le contexte dans lequel la DGCCRF a été amenée à agir en indiquant que son intervention visait à mettre un coup d’arrêt à l’augmentation des prix alimentaires. Or, comme l’a souligné le Président de la République dans son discours de Poligny le 27 octobre dernier, « entre le mois de septembre 2008 et le mois de septembre 2009 l’indice des prix à la production des produits agricoles a baissé de 20 %. Sur la même période, les prix à la consommation des produits alimentaires ont baissé de 1 % ». L’initiative de la DGCCRF ne laisse donc pas de susciter des interrogations.

Le rôle de l’interprofession ne pouvant cependant pas être réduit à néant dans un contexte de crise profonde, un nouveau cadre législatif a été élaboré et adopté dans le cadre de la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009. Un article L.632-14 a ainsi été inséré dans le code rural autorisant le CNIEL à « élaborer et diffuser des indices de tendance, notamment prévisionnels, des marchés laitiers, ainsi que tout élément de nature à éclairer la situation des acteurs de la filière laitière ». Ce même article précise que les centres régionaux interprofessionnels de l’économie laitière (CRIEL) sont quant à eux compétents pour « élaborer et diffuser des valeurs qui entrent dans la composition du prix de cession du lait aux collecteurs ou aux transformateurs, en s'appuyant notamment sur les indices » élaborés par le CNIEL. L’article précise enfin que « les opérateurs de la filière laitière peuvent se référer [à ces] indices et valeurs (…) dans le cadre de leurs relations contractuelles » et que ces pratiques échappent aux dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce relatives aux ententes restrictives de concurrence et à l’exploitation abusive de position dominante.

En dépit de cette avancée sur le plan juridique, une mission de médiation a néanmoins dû être mise en place par le Gouvernement afin de surmonter les difficultés rencontrées par les membres de l’interprofession pour initier le processus d’élaboration de ces données, dans un contexte de crise divisant profondément les professionnels. Cette médiation a abouti à la signature d’un accord interprofessionnel le 3 juin 2009, dont la pérennité paraît mal assurée. Celui-ci fixe notamment une tendance de prix pour l’année 2009 pour le lait de base moyen (entre 262 et 280 euros / 1 000 litres selon le mix produit des laiteries), dénoncée par de nombreux acteurs de la filière.

B.— 2007-2009 : CRISE CONJONCTURELLE ET/OU CRISE STRUCTURELLE

1. Un marché très volatil

Dans son avis du 2 octobre 2009, l’Autorité de la concurrence rappelle qu’en l’absence de mécanismes de régulation des prix et des volumes, le marché du lait est soumis à une très forte volatilité des cours qui réagissent ou plutôt « surréagissent » à un faible déficit de production, comme en 2007, ou à un léger excédent, comme en 2008.

Ainsi, en 2007, face à une importante augmentation de la demande au niveau mondial, notamment en provenance de l’Inde et de la Chine, et à la flambée générale des cours des matières premières en raison d’une moindre production liée à la sécheresse. Celle-ci touche notamment l’Océanie et affecte la production de lait néo-zélandaise. Les prix du lait et des produits laitiers s’envolent. Fin 2008, suite à la crise économique et financière, on assiste à un recul de la demande, notamment sur les produits les plus chers, l’ultra-frais et les fromages, avec un repli sur les produits de base comme le lait liquide (7). Parallèlement l’offre augmente, suite notamment à un retour de la production néo-zélandaise à ses niveaux habituels. Les cours chutent.

Les répercussions de cette instabilité ne sont plus amorties comme elles avaient pu l’être auparavant par les mécanismes protecteurs de la PAC, notamment en raison de la diminution très importantes des prix à l’intervention. Si la Commission européenne a loyalement utilisé les outils restant à sa disposition, leur activation reste impuissante à atténuer véritablement les effets de la crise.

La disparition conjointe de plusieurs instruments, au niveau national et communautaire, visant à stabiliser les prix du lait, alliée à un retournement du marché au niveau international, contribue à plonger le secteur laitier dans la crise. Si la baisse des cours a particulièrement touché la France, avec une diminution atteignant 44 % du prix du lait entre le point haut des années 2007-2008 et le printemps 2009, elle n’a pas non plus épargné le reste de l’Europe avec des chutes de prix constatées de 41 % en Allemagne, 40 % aux Pays-Bas, 30 % au Royaume-Uni, 19 % en Italie.

Le prix du lait en 2009

Comme le souligne le rapport du sénateur Jean Bizet sur le prix du lait dans l’Union européenne, en trois ans, entre 2007 et 2009, après avoir connu une période de baisse lente mais constante, le prix du lait dans l’Union européenne s’est envolé, gagnant près de 43 % en dix-huit mois avant de subir une chute tout aussi vertigineuse, de l’ordre de 32 % en quinze mois.

Pour l’année 2009, la collecte communautaire a marqué un recul de l’ordre de 2 % au premier trimestre 2009, recul essentiellement dû à la baisse de la production française qui retrouve un niveau « normal » après un premier trimestre 2008 exceptionnel. Elle pourrait donc vite revenir à un niveau proche de celui de 2008, compte tenu des hausses de collecte enregistrées dans certains pays et ce malgré le niveau très bas du prix du lait payé aux producteurs.

Dans ce contexte de baisse relative de la collecte, la situation est préoccupante sur le marché des fromages, avec un recul des fabrications de plus de 3 % et un effet report sur les poudres. Les cours de fromages sont relativement stables mais à un niveau bas.

En France, la collecte est en forte baisse au premier trimestre 2009 (environ – 8 %), pour retrouver un profil proche de la moyenne des dix dernières années, après le niveau exceptionnel du début 2008. La sous-réalisation du quota pour la campagne laitière 2008/2009, qui s’achève le 31 mars, atteint ainsi un niveau record de 1,2 million de tonnes, soit presque 5 % du quota national.

Dans ce contexte, le prix du lait payé aux producteurs français au cours du premier trimestre se situe à 32 €/100 litres en recul de 15 % par rapport à au premier trimestre 2008. Il est cependant nettement supérieur à celui payé en Allemagne et en Belgique (25 €/100 litres) ou encore aux Pays-Bas (28 €), mais il reste comparable à celui payé en Italie et en Espagne. La valorisation du lait en beurre/poudres est quant à elle inférieure à 20 €/100 litres. Le prix du lait, qui avait augmenté avec retard en 2007/2008, est donc resté très élevé par rapport à la valorisation des produits, notamment industriels, ainsi que par rapport au prix du lait payé dans d’autres États membres, en particulier en Allemagne.

À partir du mois d’avril, le prix français a chuté plus franchement à 22 €/100 litres, en baisse de l’ordre de 30 %, rejoignant le niveau du prix moyen communautaire. Ce décrochage du prix a été à l’origine des manifestations des éleveurs puis de la mise en place de la mission de médiation qui a permis d’aboutir le 3 juin 2009 à un accord au sein du CNIEL pour un prix du lait de base moyen pour l’année 2009 entre 262 et 280 €/t selon le mix produit des laiteries.

Source : CNIEL, juin 2009.

Si la chute des prix est vraisemblablement temporaire, leur plus ou moins lente érosion devrait normalement se poursuivre pour rejoindre le niveau des prix mondiaux, comme prévu par la Commission européenne, sans toutefois exclure de nouvelles périodes de forte instabilité, qui, à l’avenir, sera la norme. Il faut donc bien se rendre à l’évidence : les facteurs conjoncturels ont précipité le secteur laitier européen dans la crise uniquement parce que les garde-fous qui fonctionnaient auparavant ont été supprimés. Cette crise n’est donc pas fondamentalement une crise conjoncturelle. Les sénateurs Jean-Paul Emorine et Jean-Paul Bailly dans le rapport d’information qu’ils ont présenté à la commission de l’économie du Sénat le 28 octobre dernier l’ont très pertinemment souligné en ces termes : « la crise actuelle du lait n’est pas un phénomène conjoncturel, contrecoup naturel de la hausse des cours des années 2007 et 2008. Cette crise marque la fin d’un système caractérisé par la stabilité et la prévisibilité de la production et des prix » (8).

La situation sur le marché laitier ne peut donc conduire qu’à une disparition massive des exploitations les plus fragiles et une concentration accrue de la production accélérant la déprise agricole, si l’on consent à la suppression définitive des quotas laitiers sans instaurer de nouveau mécanisme de gestion de l’offre et si on laisse les producteurs gérer seuls la négociation du prix du lait.

2. Une filière bloquée

a) Des difficultés en amont et en aval

Si la décision de la DGCCRF de mai 2008 a précipité l’interprofession dans la crise, elle a également contribué à mettre à jour les profondes divergences de vue au sein de la filière. En effet, si les producteurs estiment que le prix du lait n’est pas assez élevé, les transformateurs considèrent, eux, que le lait français est trop cher par rapport à nos concurrents européens. Le prix du lait en France se situe en effet dans le haut de la fourchette des prix pratiqués dans l’Union européenne. Ils soulignent en outre que raisonner en termes de prix moyen ne convient pas : les prix du lait payés aux producteurs varient en effet chaque mois en fonction des volumes de production (9). Ils rappellent en outre que le prix du lait ne constitue qu’une partie du revenu des producteurs qui reçoivent aussi un paiement pour la teneur du lait en matière grasse et en matière protéique présente au-delà des normes respectives de 38 g/l et 32 g/l : ce bonus est rémunéré à hauteur de 20 euros / 1 000 litres. Enfin, depuis l’instauration des droits à paiement unique (DPU), les exploitants perçoivent une aide laitière découplée d’environ 30 euros / 1 000 litres.

Quant aux producteurs, des prix insuffisamment rémunérateurs leur posent un problème structurel car l’élevage est une activité intensément capitalistique où les charges fixes représentent près des deux tiers des coûts de production. La crise actuelle survient en outre dans un contexte de hausse du coût des intrants et notamment de l’alimentation du bétail, créant un effet de ciseau sur le revenu des producteurs. L’Autorité de la concurrence dans son avis sur le secteur laitier observe ainsi qu’en avril 2009, les producteurs ont dégagé une marge négative de l’ordre de - 1,2 à - 2 euros par hectolitre de lait. Ces difficultés laissent craindre un abandon progressif de l’activité laitière, qui se trouve par ailleurs être une des plus contraignantes du métier d’agriculteur en raison de la présence continue sur l’exploitation qu’elle exige. Dans leur rapport d’information précité, les sénateurs Jean-Paul Emorine et Gérard Bailly soulignent à cet égard que 56 % des éleveurs laitiers ont plus de 45 ans et qu’il y a fort à parier que les contraintes inhérentes à la production laitière et les incertitudes liées à l’avenir de la régulation dans ce secteur découragent plus d’un candidat à la reprise.

La tendance de prix pour l’année 2009 fixée par l’accord interprofessionnel du 3 juin ne satisfait en outre ni les producteurs qui le considèrent trop bas d’autant que leurs charges d’exploitation ont augmenté (investissement, mise aux normes, hausse du coût de la nourriture pour animaux et des engrais azotés…), ni les acheteurs qui le trouvent trop élevé. À cet égard, l’entreprise Entremont, que la crise a profondément déstabilisée, notamment en raison d’achats antérieurs de poudre de lait à un cours très nettement supérieur au cours actuel, a annoncé dès le mois de juin qu’elle ne serait pas en mesure de respecter l’accord. Enfin, sur un marché intracommunautaire où les différences de prix commencent à être conséquentes, le risque s’accroît de voir les industriels s’approvisionner en dehors du marché national.

Toutefois, si le débat se focalise aujourd’hui sur le niveau des prix, c’est plutôt leur instabilité accrue qui constitue sur le long terme un facteur de risque majeur pour la filière. D’où la nécessité d’établir une forme de « régulation privée » des prix et des volumes, favorable à l’ensemble des acteurs. L’Autorité de la concurrence le reconnaît d’ailleurs en ces termes : « Cette forte volatilité des prix est nuisible à l’efficacité économique du secteur, car elle engendre une incertitude sur les recettes des éleveurs comme sur les coûts des transformateurs, ce qui pèse non seulement sur les investissements mais également sur la viabilité des entreprises et donc sur l’ordre public économique en général. »

b) Comment repartir sur de nouvelles bases ?

Les relations restent très tendues aujourd’hui au sein de la filière, et nul ne sait si celle-ci sera à même d’établir un cadre stable et équitable pour les relations commerciales. L’accord du 3 juin 2009 a néanmoins prévu que le CNIEL élabore les indices de tendance des marchés laitiers visés à l’article L. 632-14 du code rural et les publie trimestriellement à partir de 2010. Les « trois familles » du CNIEL (10) ont en outre pris l’engagement de négocier un accord d’ici la fin de l’année afin de définir un cadre interprofessionnel pour les futures relations contractuelles entre producteurs et transformateurs.

Le développement de la contractualisation, par opposition à la pratique de la « paie du lait », est en effet avancé comme clé de l’avenir du secteur. Les professionnels ont néanmoins exprimé des réticences à ce sujet : les producteurs craignent une intégration par l’aval, et les transformateurs souhaitent pouvoir conserver des marges d’ajustement sur un marché très volatil. Dans ce contexte, l’Autorité de la concurrence recommande d’avoir recours à des contrats écrits :

– conclus pour une durée longue, de 2 à 5 ans, permettant au producteur d’investir en ayant de réelles perspectives ;

– garantissant un prix fixe pour un volume de base, le surplus étant acheté à un prix variable, en fonction des cours des marchés. Dans ce cadre, il pourrait revenir à la puissance publique de définir le pourcentage maximal de production susceptible de relever de la part variable, faute de quoi le contrat ne serait pas valable ;

– prenant en compte, à un rythme régulier mais modéré (par exemple trimestriel ou semestriel) un indice de revalorisation des prix, calculé par un organisme indépendant du marché.

Ces propositions constituent une base de réflexion intéressante, même si des interrogations demeurent sur l’échelon pertinent de la contractualisation ainsi que sur un éventuel regroupement des producteurs pour peser dans la négociation. Une « gouvernance contractuelle » de la filière, permettant l’adoption de lignes directrices pour l’élaboration des contrats, est donc souhaitable avec une implication forte de l’interprofession. Cela est-il possible en l’état actuel du droit ? Aujourd’hui, le contenu de l’article L. 632-14 du code rural est examiné à la loupe par la Commission européenne ; toute évolution allant vers un renforcement du rôle de l’interprofession et la généralisation de contrats laitiers le seraient vraisemblablement aussi au regard du droit de la concurrence. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre d’une nouvelle régulation européenne, il conviendra non seulement de s’interroger sur la gestion de l’offre mais également sur son organisation.

Enfin, outre la contractualisation, d’autres pistes restent encore à explorer sur la base d’exemples de réussite existants. En effet, dans la crise que traverse le secteur laitier, on observe des différences notables selon la destination de la production. La matière première destinée à être transformée en produit élaboré est mieux valorisée. France Agri Mer a ainsi constaté au mois d’août dernier des écarts de prix en France allant de 258 euros à 326 euros / 1 000 litres de lait, ce dernier chiffre ayant été relevé en Franche-Comté où grâce à la présence de l’AOC Comté (11), le lait est valorisé à des prix plus intéressants pour les producteurs. Le Président de la République ne s’y est pas trompé qui a choisi de prononcer son dernier grand discours sur l’agriculture, dans lequel la régulation occupe une place majeure, à Poligny, dans le Jura, c’est-à-dire au cœur de l’aire d’appellation de l’AOC Comté.

L’exemple de la filière Comté

La filière Comté, c’est aujourd’hui : plus de 3 000 exploitations productrices de lait ; plus de 170 ateliers de fabrication, dites fruitières ; 20 maisons d’affinage.

Cet univers professionnel lié par une histoire, une culture, est également soudé dans une communauté de destin économique. Avec une production de plus de 50 000 tonnes, le Comté contribue très largement à l’essor économique du massif jurassien.

Tout en utilisant des techniques modernes pour faciliter le travail des hommes et optimiser la qualité, l'élaboration du Comté est restée traditionnelle. Chaque étape est soumise à des règles strictes consignées dans le cahier des charges de l’AOC (appellation d’origine contrôlée).

Le lait du Comté est produit dans des exploitations familiales pratiquant une agriculture extensive, qui ne vise pas des rendements forcément très élevés mais qui cherche une production de qualité, tenant compte des particularités des sols. L'agriculteur élève des vaches de race Montbéliarde (95% du cheptel) ou Simmental française (5%), nourries avec une alimentation naturelle à base d'herbe fraîche à la belle saison et de foin en hiver. Tout aliment fermenté, type ensilage, est interdit. La flore du massif jurassien est très diversifiée et, en fonction de l'endroit où elles se trouvent, les vaches broutent des plantes différentes qui vont influer sur le lait et donc sur le goût des Comtés.

Pour produire le fourrage nécessaire à l'alimentation de son troupeau, chaque agriculteur doit exploiter au minimum un hectare de surface fourragère par vache laitière. Il trait ses vaches matin et soir. Le lait doit être porté chaque jour à la fruitière. Pour exprimer au mieux la diversité des terroirs, la zone de collecte de chaque fruitière est limitée à une zone de 25 km de diamètre.

Une vache donne environ 20 litres de lait pendant 365 jours de l'année. Le lait devant être travaillé dans les 24 heures, le Comté est fabriqué tous les jours de l'année.

Les indispensables fonctions de promotion, de défense des intérêts de la filière, d’animation, de recherche sont assurées par le CIGC (Comité Interprofessionnel du Gruyère de Comté, basé à Poligny). Cette organisation collective est à la fois porte-parole et trait d’union entre les partenaires de la filière et son environnement économique, administratif, politique ou universitaire.

L’équilibre du marché est indispensable pour maintenir la plus value permise par l’AOC Comté. Quand les stocks deviennent dangereusement excessifs, le CIGC s’efforce de prendre les mesures pour enrayer cette tendance. Ainsi, depuis 1995, la filière Comté bénéficie d’un plan de campagne, instrument agréé par les pouvoirs publics et s’imposant à l’ensemble des opérateurs de la filière. Celui-ci procède d’un « contrat moral » basé sur l’échange suivant : la filière Comté accepte un minimum de croissance annuelle et, en retour, les pouvoirs publics lui accordent les moyens juridiques de limiter cette croissance.  Le CIGC utilise les plaques vertes*, qu’il n’a pas le droit de refuser mais dont il peut limiter la diffusion par une surfacturation des plaques commandées par les fromageries au-delà de leur référence de base. Cette dernière est calculée en fonction de la somme des références laitières des apporteurs de lait des fromageries, et des paramètres « transformation » afférents à chacune (taux de spécialisation, rendement, et poids moyen des meules).

Ainsi, en 2004/2005, le CIGC a pu prendre pris des mesures d’urgence afin d'enrayer la crise : 

- l’augmentation temporaire (d’octobre 2004 à mars 2005) de la part fromagerie de la plaque verte. Cette augmentation a permis au CIGC de mener deux campagnes publicitaires supplémentaires qui ont contribué à l’accroissement des ventes ;

- la mise en place d’opérations de dégagement de lait ou de fromage en blanc, facultatives mais aidées par le CIGC.

* plaques de caséine de couleur verte, de forme ovale avec une dimension bien précise servant à authentifier chaque meule de plus de 5 kg.

Source : extraits du site internet www.comte.com

L’Autorité de la concurrence rappelle également dans son avis du 2 octobre 2009 que le litre de lait biologique est vendu plus de 10 centimes plus cher que le lait conventionnel et que la France doit importer plus de 30 % de sa consommation. Elle invite donc les producteurs à aller conquérir ce nouveau marché et, plus généralement, à réfléchir à un positionnement sur des segments de marché garantissant une valeur ajoutée supplémentaire. Une meilleure valorisation des produits pourrait également passer par une promotion de l’origine « France » ou des productions de proximité, par exemple un étiquetage adapté ou par le développement de circuits courts qui sont pour l’heure quasiment inexistants dans notre pays, contrairement à d’autres États membres comme le Royaume-Uni. Ces évolutions supposent néanmoins pour certaines que des modifications d’ordre réglementaire soient introduites, avec l’aval de Bruxelles.

II.— POUR UNE NOUVELLE RÉGULATION DU MARCHÉ DU LAIT

A.— UNE MOBILISATION FORTE DE LA FRANCE AU NIVEAU COMMUNAUTAIRE

1. Le bilan de santé de la PAC

Grâce au bilan de santé de la PAC, on dispose aujourd’hui d’une « radiographie » assez précise de l’opinion des États membres de l’Union européenne sur la régulation du marché du lait et l’application des quotas laitiers. Tout d’abord, seul un petit nombre d’États membres (la France, la Finlande et l’Autriche) sont ouvertement favorables au maintien des quotas, qui constituent dans ces pays non seulement un instrument économique d’encadrement de la production mais également un outil de répartition équilibrée de l’activité sur le territoire.

Cette conception n’est en revanche pas partagée par les États membres dans lesquels les quotas laitiers ne sont considérés que comme de simples actifs de l’exploitation qui ne participent à une logique d’équilibre du territoire. Dans ces pays, typiquement le Danemark et les Pays Bas, le secteur laitier s’organise autour de coopératives très puissantes en situation quasi-monopolistique et la production est concentrée sur un petit nombre d’exploitations pratiquant l’élevage intensif. Si la suppression des quotas signifie pour ces pays un potentiel d’accroissement de leur production, il n’est pas exclu qu’ils exigent une indemnisation pour leurs producteurs à l’occasion de la perte de cet actif.

Enfin, il y a un groupe d’États membres qui considèrent que les quotas dont ils disposent ne leur permettent pas de produire suffisamment de lait pour leur consommation : c’est principalement le cas de l’Italie, et dans une moindre mesure du Portugal et de la Grèce, qui en conséquence souhaitent leur suppression, tout en partageant la conception française des quotas comme outils d’aménagement du territoire.

Quant aux nouveaux États membres, leur agriculture nécessitant une profonde restructuration pour gagner en productivité, ils ne sont généralement pas favorables au principe des quotas ; néanmoins, certains d’entre eux, comme la Pologne et la Roumanie, sont sensibles au risque de disparition d’un grand nombre de leurs exploitations et de déprise du territoire représenté par la fin des quotas.

On comprend donc que la France n’ait pas pu constituer de minorité de blocage lors du bilan de santé de la PAC pour s’opposer à l’augmentation progressive des quotas jusqu’à leur suppression programmée en 2015. Elle a néanmoins une nouvelle fois fait valoir son point de vue et appelé à l’instauration d’outils de gestion de l’offre rénovés pour pallier la fin de cet instrument de maîtrise des volumes produits. La résolution adoptée par l’Assemblée Nationale le 14 octobre 2008 soutenait également cette position. Le rapport présenté par le groupe de travail ad hoc créé par la Commission des affaires économiques et la Délégation pour l’Union européenne (12) insistait notamment sur :

– le renforcement des interprofessions pour maîtriser les volumes et les prix dans un cadre juridique sécurisé (conformément aux orientations proposées dans le cadre du mémorandum français sur le droit de la concurrence) ;

– la mise en place d’une politique de contractualisation à la fois en amont et en aval afin de fixer le niveau de production sur un territoire ;

– l’instauration de mesures d’accompagnement en faveur des zones de montagne et des zones intermédiaires pour compenser les surcoûts de la production et de la collecte.

Ces revendications restent aujourd’hui valables et prennent même une acuité toute particulière avec la crise qui frappe le secteur laitier. Le Gouvernement français a donc repris l’initiative d’œuvrer en faveur d’une nouvelle régulation européenne du marché du lait, ralliant l’Allemagne à sa cause dès le mois de juillet 2009 (13). À la fin de ce même mois, la Commission européenne publiait son rapport sur la situation dans le secteur laitier réclamé par les États membres un mois plus tôt. Si elle y reconnaît la gravité de la crise, elle ne propose alors que quelques réponses ponctuelles, comme l’augmentation des moyens alloués à la promotion des produits laitiers ou le relèvement du plafond de minimis pour les aides nationales. Dans un communiqué commun, la France et l’Allemagne ont souligné l’insuffisance de ces mesures. Cependant, grâce à la multiplication des démarches diplomatiques du ministre Bruno Le Maire, la France a ensuite réussi à rassembler une majorité suffisante d’États membres pour faire avancer ce dossier au niveau communautaire et pour plaider la cause des producteurs, en très grande difficulté financière.

2. Le « G 20 laitier » 

Les 27 ministres de l’agriculture européens, réunis lors d’un conseil européen à Luxembourg les 19 et 20 octobre dernier, ont approuvé les mesures proposées par le « G 20 laitier », 21 États-membres favorables à une régulation du marché du lait réuni sous l’impulsion de la France (14), pour trouver une solution à la crise. Le Conseil a ainsi décidé d’accorder une aide d’urgence pour soutenir la filière laitière avec la création d’un fonds laitier doté de 280 millions d’euros au bénéfice des producteurs les plus en difficulté. La France sera, après l’Allemagne, le deuxième bénéficiaire de cette somme, dont elle recevra 17 %. Notons que le Gouvernement français a également pris, depuis le mois de juin 2009, une série de mesures d’urgence destinées à soulager la trésorerie des éleveurs. 30 millions d’euros ont ainsi été débloqués pour prendre en charge une partie des annuités et intérêts d’emprunts de 2009 avant l’été, suivis de 30 autres millions d’euros annoncés lors du salon SPACE de Rennes. Afin que ces mesures soient compatibles avec les règles applicables aux aides d’État, le ministre Bruno Le Maire a demandé et obtenu de la Commission européenne le relèvement du plafond des aides « de minimis » de 7 500 à 15 000 euros. Les éleveurs ont également obtenu un report des appels à cotisation de la MSA (mutualité sociale agricole) et ont bénéficié du versement anticipé de 70 % des aides PAC au 16 octobre au lieu du 1er décembre. Enfin, à la demande de l’État, les banques se sont engagées à accorder de nouveaux prêts à hauteur de 250 millions d’euros que les exploitants n’auront à rembourser qu’à partir de janvier 2011 à un taux maximal de 3 %.

Le Conseil européen de Luxembourg a également décidé de la prolongation des achats d’intervention sur toute l’année. La Commission devrait en outre examiner également la réactivation des restitutions à l’exportation en fonction de l’évolution des marchés. Un engagement sur une politique de déstockage contra-cyclique en fonction du niveau des prix a été pris pour ne pas perturber la reprise du marché. Un accord politique sur la proposition d’un dispositif de rachat de quotas par les États-membres, comparable à celui déjà mis en place en France, a été conclu : il sera institué après avis du Parlement européen. Enfin, une clause d’urgence devrait voir le jour dans le cadre de l’OCM unique : celle-ci permettra, après aval du Parlement européen, d’examiner dans des délais très brefs l’activation d’un dispositif d’aide au stockage privé pour le fromage.

Les 27 ministres ont également réaffirmé la nécessité d’offrir une vraie perspective à moyen terme pour la filière laitière et l’agriculture européenne à travers la mise en place d’une nouvelle régulation communautaire des marchés agricoles. Un groupe de haut niveau, présidé par M. Jean-Luc Demarty, directeur général de la direction générale de la Commission chargée de l’agriculture, est chargé de proposer, d’ici juin 2010, un nouveau cadre réglementaire. Le groupe s’est d’ores et déjà réuni le 13 octobre dernier et un premier rapport a été fait au Conseil. Les ministres ont confirmé leur volonté d’obtenir des résultats rapides sur les points faisant l’objet de consensus, comme la nécessité d’une organisation plus équilibrée de la filière, qui devrait trouver une traduction réglementaire dans l’OCM unique sans attendre juin 2010. Le Président de la République dans son discours de Poligny a lui-même jugé que l’échéance de juin 2010 était bien trop éloignée et s’est engagé à réclamer des résultats à la Commission dès le mois de janvier.

La « feuille de route » du groupe de haut niveau pour un nouveau cadre réglementaire du marché du lait en Europe, actée dès la réunion extraordinaire des ministres européens de l’agriculture du 5 octobre 2009, porte sur quatre chantiers prioritaires :

– donner aux producteurs les moyens juridiques de s’organiser de façon efficace afin de permettre un véritable dialogue entre opérateurs de la filière, de rééquilibrer les relations entre producteurs et transformateurs et de donner aux uns comme aux autres la visibilité dont ils ont besoin ;

– améliorer les instruments existants afin de les rendre plus efficaces et réactifs (par exemple l’activation du stockage public et privé, la prise en compte des situations d’urgence, l’exportation, la promotion) ;

– promouvoir le développement d’outils d’encadrement des marchés et éviter les comportements spéculatifs, à l’instar des réflexions actuellement menées sur la régulation des marchés financiers. Le ministre français de l’agriculture, Bruno Le Maire, promeut par exemple la création de marchés à terme encadrés ;

– assurer la transparence et l’information complète des acteurs du secteur, notamment sur les évolutions de marchés, ainsi que des consommateurs sur la nature des produits et les lieux de production à travers l’étiquetage.

B.— LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

1. Rappel des éléments essentiels de contexte

La proposition de résolution européenne sur la situation du secteur laitier rappelle tout d’abord plusieurs considérations contextuelles importantes. Ainsi, au travers de quatre considérants, elle évoque :

– le rôle du secteur laitier dans notre modèle agricole, à la fois en termes de production et en termes de répartition équilibrée de l’activité sur les territoires. La production laitière est en effet présente dans tous les États membres de l’Union européenne, nouveaux comme anciens. Elle permet de satisfaire les besoins des consommateurs européens et compte un très grand nombre d’exploitations qui constituent, dans plusieurs pays comme la France, l’Autriche, l’Irlande ou la Pologne, un facteur d’équilibre de la production agricole sur le territoire, en maintenant une activité dynamique dans les zones rurales ;

– la sensibilité du marché du lait aux fluctuations conjoncturelles. Les spécificités du marché du lait sont ici rappelées : la rigidité importante de l’offre et donc la sensibilité très importante des prix en cas de fluctuation de la demande ; la suppression des mécanismes protecteurs de la PAC, qui accroît la dépendance de ce secteur à un prix mondial correspondant non pas aux produits de consommation courante mais aux surplus transformés (beurre et poudre de lait) sur le marché desquels, la Nouvelle-Zélande, qui exporte quasiment la totalité de sa production, est le leader mondial ;

– la nécessité d’un cadre stable qui permette de garantir la pérennité de la filière. L’instabilité des revenus des producteurs constitue un facteur de risques important pour la survie des exploitations dans un secteur hautement capitalistique, où les charges fixes sont élevées. Si les aides directes contribuent à stabiliser ces revenus, elles ne sont qu’un pis-aller pour les producteurs qui souhaitent vivre du prix de leur production. L’absence de visibilité sur l’évolution des cours place cependant cet objectif hors d’atteinte et renforce la vulnérabilité des producteurs. Cette situation va cependant à l’encontre de deux des cinq objectifs assignés à la PAC par l’article 33 du TCE (traité instituant la Communauté européenne) : assurer un niveau de vie équitable à la population agricole et stabiliser les marchés ;

– la mise en place impérative d’un système rénové de gestion de l’offre. Comme nous l’avons rappelé plus haut, il s’agit là d’une exigence constante de la France qui repose sur un constat simple : le libre jeu du marché ne permettra de satisfaire à lui seul l’ensemble des objectifs que poursuit la PAC. Dans un contexte mondial de plus en plus instable et très concurrentiel, des outils de stabilisation des marchés et d’orientation des productions sont plus que jamais nécessaires, notamment afin d’ancrer la production agricole sur nos territoires mais également de l’orienter pleinement dans la voie du développement durable. Cette vision implique évidemment de conserver des leviers d’action au sein de la PAC, comme l’a encore fait valoir récemment le Président de la République dans son discours de Poligny.

2. Les points-clés de la proposition de résolution

La proposition de résolution se décline en quatre points :

– le premier concerne les instruments de gestion du marché laitier au niveau communautaire et leur utilisation par la Commission européenne. Comme indiqué précédemment, leur mise en œuvre a été progressivement restreinte et ne permet plus une réelle fluidification du marché qui est cependant leur raison d’être. C’est pourquoi le point 1 insiste sur la nécessité de faire évoluer ces instruments dans le cadre de l’OCM unique, en les rendant plus réactifs : on peut notamment penser à l’extension des périodes de stockage privé de six à douze mois par an. Ce même point souligne l’intérêt qu’il y aurait à créer de nouveaux instruments dans la perspective de la suppression des quotas laitiers : l’idée de mettre en place un marché à terme en fait partie. Plus généralement, la question de la gestion des volumes, après 25 ans de quotas laitiers, sera centrale à l’avenir pour éviter un retour à la surproduction. L’Europe devra se donner les moyens d’assurer un fonctionnement efficace du secteur laitier et de faire converger la production vers un niveau assurant un approvisionnement équilibré des marchés. Dans cette perspective, une plus grande transparence sur les prix et les volumes devra être organisée ;

– le deuxième point de la proposition de résolution s’attache à la question cruciale du droit de la concurrence et de sa modification, le cas échéant, pour permettre à la fois aux producteurs de mieux s’organiser, aux producteurs et aux collecteurs d’établir un cadre stable et prévisible pour les relations commerciales et, éventuellement, à la puissance publique d’intervenir pour une meilleure régulation du système (extension d’accords, sanctions en cas de non-respect des règles du jeu). Le point 2 demande donc expressément une modification des règles en vigueur afin de favoriser la contractualisation et, plus généralement, l’organisation économique de ce secteur. Il convient à cet égard de souligner que si les pays nordiques, comme le Danemark ou les Pays-Bas, n’ont pas d’intérêt spécifique à soutenir une telle proposition, c’est que leur système laitier repose sur des coopératives quasi-monopolistiques dont le fonctionnement échappe déjà au droit de la concurrence ;

– le troisième point revient sur l’épineuse question de la suppression des quotas laitiers. S’il est aujourd’hui impossible d’envisager qu’une majorité qualifiée d’États membres se dégage pour revenir sur la suppression des quotas programmée pour 2015, décision qui est même aujourd’hui entérinée dans le discours officiel français, il convient de rappeler ici qu’augmenter automatiquement chaque année les quotas dans une proportion fixée à l’avance n’a pas de sens. Comme cela avait été souligné dans le cadre de la résolution sur le bilan de santé de la PAC adoptée par l’Assemblée nationale le 14 octobre 2008, l’augmentation progressive des quotas laitiers doit impérativement faire l’objet d’un réexamen annuel et n’être mise en œuvre que si elle correspond à la situation réelle du marché. C’est pourquoi le point 3 « appelle à une vigilance particulière sur la mise en œuvre de la décision de la Commission de hausse annuelle des quotas laitiers jusqu’en 2015, qui devrait être adaptée en fonction des tendances constatées sur les marchés » ;

– enfin, le quatrième point de la proposition de résolution vise évidemment la mise en œuvre de mesures d’accompagnement de la suppression des quotas. Il s’agit là en effet d’un point extrêmement important sur lequel la France ne peut transiger. Elle a d’ailleurs déjà obtenu certaines d’avancées, grâce à la révision de l’article 69 du règlement (CE) n° 1782/2003. Initialement destiné à permettre aux États membres de financer des mesures liées à la protection de l’environnement ainsi qu’à l’amélioration de la qualité et de la commercialisation des produits agricoles, son champ d’application a été étendu à la gestion des risques au travers d’un article 70 ainsi qu’à la compensation des difficultés de production rencontrées dans certaines régions défavorisées via un article 68. Celui-ci s’applique notamment au secteur du lait et des produits laitiers. Une enveloppe de 45 millions d’euros sera ainsi consacrée à la production de lait de vache en montagne à travers une aide couplée à hauteur de 20 euros/1 000 litres à partir de 2010. Il convient toutefois d’aller plus loin si l’on souhaite réellement pouvoir, au niveau national, conforter les équilibres du secteur laitier, améliorer sa productivité et valoriser ses produits, comme le rappelle le point 4. Il est clair que le nouveau cadre communautaire devra contribuer à mieux mettre en valeur la production laitière, y compris en autorisant un affichage de l’origine des produits favorisant les filières locales et les débouchés de proximité.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 10 novembre 2009, la Commission a examiné, sur le rapport de M. Michel Raison, la proposition de résolution européenne (n° 1966) sur la situation du secteur laitier.

M. Patrick Ollier, président. La proposition de résolution présentée aujourd’hui a été adoptée le 14 octobre dernier par la commission des affaires européennes. Elle s’inscrit dans le droit fil de nos travaux récents sur l’agriculture au cours desquels notre commission a entendu le ministre Bruno Le Maire puis l’ensemble des syndicats agricoles. Plusieurs d’entre nous participent également à des groupes de réflexion constitués par le ministère en vue de la préparation de la prochaine loi de modernisation de l’agriculture. Enfin, nous nous rendrons demain avec MM. Michel Raison et Jean Gaubert en Saône-et-Loire, au cœur du bassin allaitant, pour une journée de travail et de rencontre avec les producteurs.

M. Michel Raison, rapporteur. En préambule, je rappellerai, comme l’a fait M. Hervé Gaymard devant la commission des affaires européennes, que la présente proposition de résolution constitue en quelque sorte le prolongement du rapport sur le bilan de santé de la PAC, que notre commission avait réalisé conjointement avec la commission des affaires européennes en juin 2008. Nous avons donc cette fois également conduit ensemble les auditions préalables à l’élaboration de la proposition de résolution.

Pourquoi une résolution européenne sur la crise laitière ? Pour comprendre, il faut revenir quelque peu en arrière et se souvenir de ce que fut l’organisation commune du marché du lait à ses débuts. L’OCM lait a été l’une des premières organisations communes de marché mises en place, en 1968. Elle reposait à la fois sur un dispositif de gestion des marchés, avec des mesures de stockage public et privé et des mécanismes de restitution aux exportations et d’aides à la consommation activés en cas de surproduction, et sur un dispositif de prix administré, composé en réalité de trois prix :

– le prix indicatif, qui correspondait au prix estimé par le Conseil européen comme devant être versé aux producteurs ;

– le prix d’intervention, un prix de réserve payé à l’occasion de la mise en œuvre du stockage public ;

– et le prix de seuil, prix minimum d’exportation.

En ignorant complètement les évolutions sur le marché, ce système a fini par entraîner à la fin des années 1970 la constitution de stocks considérables de beurre et de poudre de lait conduisant à la création, en 1984, des quotas laitiers dont le principe avait, à l’époque, suscité une levée de boucliers de la part des organisations syndicales, les mêmes qui réclament aujourd’hui leur maintien.

D’autres décisions vont ensuite profondément modifier ce dispositif, à commencer par la réforme de l’« Agenda 2000 », en 1999, qui supprime le prix de seuil et encadre le prix indicatif et le prix d’intervention, avec pour conséquence une première baisse du prix du lait. En 2003, lors de la réforme de la PAC à mi-parcours, la mise en œuvre des mécanismes d’intervention sur le beurre et la poudre de lait est encadrée : elle ne peut avoir lieu que sur une période donnée et sur un volume prédéterminé. En 2008, enfin, dans le cadre du bilan de santé de la PAC, le prix indicatif est supprimé.

S’agissant des quotas laitiers, leur suppression a été proposée dès 1999, lors du sommet de Berlin. Le gouvernement français avait évidemment défendu le principe du maintien des quotas mais il était minoritaire au Conseil : je me souviens d’ailleurs que M. Pierre Moscovici, ministre des affaires européennes et conseiller régional de Franche-Comté, comme moi, m’avait appelé au petit matin pour me tenir au courant des résultats de la négociation. La suppression des quotas laitiers devait avoir lieu à l’horizon 2012, mais grâce à un accord politique franco-allemand, ceux-ci ont pu bénéficier en 2003 d’une rallonge supplémentaire jusqu’en 2015. La formule prônée par la Commission européenne d’un « atterrissage en douceur » des quotas, consistant en fait en leur augmentation progressive tous les ans jusqu’en 2015, a ensuite été retenue dans le cadre du bilan de santé de la PAC.

Face à la situation du secteur laitier aujourd’hui, chacun essaie de comprendre les origines de la crise. Beaucoup d’explications sont avancées qui s’avèrent souvent erronées. A cet égard, si au sein de la commission des affaires économiques, les parlementaires ont toujours eu à cœur de lutter contre les excès de la grande distribution, Jean-Paul Charié en tête, il faut reconnaître que les pratiques de la grande distribution ne sont pas à l’origine de la crise que traverse aujourd’hui le secteur laitier. Cette crise est d’ailleurs généralisée dans toute l’Union européenne, preuve s’il en était que la grande distribution française n’est pas la raison principale des difficultés de nos producteurs.

Si on observe ce qui s’est passé ces trois dernières années, on se rend compte que sur les dix-huit premiers mois, il y a eu une surchauffe et une incitation à la production dans un contexte de crise alimentaire et de flambée des prix des denrées agricoles. Je rappelle d’ailleurs que la Commission européenne promettait à l’époque que la situation allait perdurer avec des prix durablement élevés, justifiant la suppression des mécanismes d’intervention existant au niveau communautaire. Cette prédiction a été démentie peu de temps après avec une chute rapide des prix qui a conduit à la situation de détresse actuelle des producteurs.

Les principales raisons de la crise sont au nombre de trois :

– c’est tout d’abord le contrecoup de la surchauffe des dix-huit premiers mois : à une hausse excessive a succédé une baisse elle aussi excessive ;

– c’est ensuite la baisse de la demande, notamment en provenance des pays émergents ;

– enfin, c’est surtout l’affaiblissement des instruments de gestion du marché au niveau communautaire, qui n’ont pas réussi à réguler ces excès.

70 % des produits laitiers sont consommés localement sous forme transformée (yaourts, fromages, etc…) et 30 % sont commercialisés sous la forme de poudre. Au total, seuls 6 à 7 % de la production laitière sont échangés sur le marché international, essentiellement de la poudre. Or, ce sont ces quelques pour-cent qui cassent le marché, en raison des exportations à bas prix en provenance en particulier de Nouvelle-Zélande, et qui fabriquent artificiellement le prix mondial du lait. La Nouvelle-Zélande n’a pas du tout la même conception de l’organisation de la production laitière sur le territoire que l’Europe, la seule fonction de l’exploitant laitier néo-zélandais étant de produire du lait à bas coût pour l’exportation.

Que faire ? Il convient d’agir à la fois sur la gouvernance européenne du secteur laitier et sur l’organisation des relations entre producteurs et industriels du lait. Je tiens à cet égard à saluer les efforts du ministre de l’agriculture français au niveau communautaire pour œuvrer en faveur d’une nouvelle régulation européenne de la production. Les États membres de l’Union européenne ont toutefois des positions très divergentes sur les quotas laitiers : un premier groupe d’États membres souhaite pouvoir s’organiser librement sans quota ; un deuxième groupe d’États membres, emmené par la France, y est plutôt favorable ; le dernier groupe est composé d’États membres qui n’ont jamais très bien supporté les quotas car ceux-ci ne leur permettaient pas de produire à hauteur de leur consommation. La discussion risque donc d’être difficile.

Même si certains se bercent encore d’illusions, on ne peut faire autrement qu’envisager la suppression des quotas. Le rapport sur le bilan de santé de la PAC soulignait en revanche l’impossibilité de supprimer à la fois les quotas et les mécanismes d’intervention sur le marché et la nécessité de mettre en place des nouveaux systèmes de régulation au fur et à mesure de la disparition des quotas. Il nous faut également réfléchir à la conclusion de contrats entre producteurs et transformateurs, même si cela risque d’être compliqué juridiquement car dans ce domaine, il n’y a pour le moment pas de contrat écrit et la facture est établie par l’acheteur : c’est la « paie du lait ». Enfin, il nous faut conserver notre conception de la production laitière, à la fois facteur de production, élément de l’équilibre de nos territoires et activité générant un revenu décent pour les agriculteurs.

C’est pourquoi il vous est proposé aujourd’hui d’adopter une proposition de résolution. Au travers de quatre considérants, celle-ci rappelle tout d’abord les principaux éléments de contexte que sont :

– le rôle du secteur laitier dans notre modèle agricole, à la fois en termes de production et en termes de répartition équilibrée de l’activité sur les territoires ;

– la sensibilité du marché du lait aux fluctuations conjoncturelles ;

– la nécessité d’un cadre stable qui permette de garantir la pérennité de la filière ;

– la mise en place impérative d’un système rénové de gestion de l’offre.

La proposition de résolution se décline en quatre points :

– le premier concerne les instruments de gestion du marché laitier au niveau communautaire et leur utilisation par la Commission européenne. Leur mise en œuvre a été progressivement restreinte et ne permet plus une réelle fluidification du marché qui est cependant leur raison d’être. C’est pourquoi le point 1 insiste sur la nécessité de faire évoluer ces instruments dans le cadre de l’OCM unique ;

– le deuxième point de la proposition de résolution s’attache à la question du droit de la concurrence et de sa nécessaire modification, pour permettre aux producteurs de mieux s’organiser, aux producteurs et aux transformateurs d’établir un cadre stable et prévisible pour leurs relations commerciales et, éventuellement, à la puissance publique d’intervenir pour une meilleure régulation du système ;

– le troisième point porte sur la suppression des quotas laitiers. S’il est aujourd’hui impossible d’envisager qu’une majorité qualifiée d’États membres se dégage pour revenir sur la suppression des quotas programmée pour 2015, augmenter automatiquement chaque année les quotas dans une proportion fixée à l’avance n’a pas de sens, comme cela avait été souligné dans le cadre de la résolution sur le bilan de santé de la PAC ;

– enfin, le quatrième point de la proposition de résolution concerne la mise en œuvre de mesures d’accompagnement de la suppression des quotas. La France a déjà obtenu un certain nombre d’avancées dans le cadre du bilan de santé de la PAC avec l’adoption de l’article 68 qui permet désormais aux États membres de compenser les difficultés de production rencontrées dans certaines régions défavorisées notamment dans le secteur du lait et des produits laitiers. Une enveloppe de 45 millions d’euros sera ainsi consacrée à la production de lait de vache en montagne à travers une aide couplée à hauteur de 20 euros/1 000 litres à partir de 2010. Il faut aller plus loin maintenant pour conforter véritablement les équilibres du secteur laitier, améliorer sa productivité et valoriser ses produits.

De la sorte, la proposition de résolution me paraît balayer l’ensemble des enjeux actuels qui se font jour dans le secteur laitier : c’est la raison pour laquelle je vous propose de l’adopter conforme.

M. Antoine Herth. La proposition de résolution constitue une bonne initiative tant il est vrai que la crise dure toujours comme l’ont montré les derniers mouvements de protestation chez les producteurs de roquefort. Je salue l’analyse qui a été faite de l’évolution du système de gestion des quotas laitiers. Le rapporteur a fort à propos rappelé le rôle d’aménagement du territoire des quotas laitiers, leur suppression à l’avenir suscite donc légitimement l’inquiétude. Il faudra également assurer le revenu des producteurs, alors que les quotas offraient auparavant un cadre harmonieux aux relations entre tous les acteurs de la filière.

Je voudrais insister sur les quatre points affirmés par la résolution, et notamment sur le rôle de l’interprofession dont on a vu qu’elle pouvait jouer un rôle de médiation et dont les recommandations étaient auparavant très attendues au sein du monde agricole. Cela devrait pouvoir continuer, voire être amélioré dans le cadre européen : ce qui apparaît comme une spécificité française pourrait fort bien être étendue au niveau européen pour permettre de trouver un consensus entre acteurs qui devraient a priori être en compétition.

Je voudrais également évoquer la situation de l’industrie laitière française : la restructuration de l’entreprise Entremont a fait l’objet de nombreuses attentions de la part du ministre de l’agriculture et la Commission devrait également suivre ce dossier, car s’il devait mal évoluer, cela fragiliserait considérablement le tissu industriel français dans le secteur laitier.

Enfin, les quotas laitiers seront supprimés progressivement d’ici 2015 et je souscris aux recommandations figurant dans la proposition de résolution pour gérer cette phase de transition. Toutefois, je voudrais attirer l’attention sur une situation nouvelle en Europe : dans la perspective d’une redéfinition des règles du jeu, certains de nos partenaires et concurrents sont tentés par une fuite en avant et se positionnent d’ores et déjà pour conquérir de nouvelles parts de marché. Parallèlement, le gouvernement français persiste dans une attitude frileuse pour la gestion de la fin de campagne actuelle, qui risque de nous faire perdre des occasions de nous positionner sur des débouchés nouveaux. C’est un point sur lequel il conviendrait d’interroger le ministre.

Je suis donc très favorable, comme mes collègues du groupe UMP, à l’adoption de la résolution.

M. François Brottes. On ne peut qu’être d’accord avec une telle résolution. Mais le texte arrive très tard et dément l’attitude de votre majorité sur les quotas. A l’origine, la droite était contre les quotas, tandis que la gauche a tout fait pour qu’ils soient instaurés. Aujourd’hui, vous regrettez le risque de leur disparition. Or, lorsque le Président Chirac a décidé d’évacuer la question des quotas en renvoyant le problème à 2013, nous avions déjà souligné à l’époque que cela revenait à reporter à plus tard un problème qui allait s’avérer gravissime.

Entre-temps, vous avez contribué à déstabiliser la relation entre producteurs, transformateurs et distributeurs. Le rapporteur connaît bien le sujet, mais la résolution passe sous silence le rôle de la distribution. Ainsi, dans l’alinéa 11 de la résolution, il est demandé une modification du droit de la concurrence européen qui permette une régulation visant notamment à organiser des relations plus équilibrées « entre producteurs et transformateurs ». Les distributeurs ne sont pas mentionnés alors qu’ils jouent un rôle extrêmement malsain et « s’en mettent plein les poches » au détriment des producteurs et des transformateurs.

C’est également sous l’actuelle majorité que la DGCCRF, de manière tout à fait inopportune, a cassé la dynamique interprofessionnelle du secteur laitier. Il ne faut pas rejeter sur l’Europe la responsabilité de la France et de votre majorité. Certes, il y a une difficulté à se faire entendre sur le sujet au niveau européen, mais on n’aurait jamais dû céder sur la suppression de certains garde-fous que l’on veut rétablir aujourd’hui. Or, dans le même temps, il y a l’intervention de la DGCCRF et les dispositions de la loi de modernisation de l’économie qui ont déstabilisé les relations entre ceux qui produisent et ceux qui distribuent. La résolution est un catalogue de vœux pieux. Enfin, à l’alinéa 10 de la résolution, qu’entend-on par « flexibilité » ? Le rapporteur pourrait-il nous l’expliquer ? S’agit-il de continuer à neutraliser les conditions de vente et d’empêcher les producteurs de vendre leur produit à un niveau au moins équivalent au coût de production ? Ce n’est pas ce que nous souhaitons !

Mme Annick Le Loch. J’ai assisté à la présentation qu’a faite M. Hervé Gaymard en commission des affaires européennes. Il y a une vraie inquiétude sur les territoires. Les entreprises agricoles, et notamment laitières, sont fragilisées. Au plus fort de la crise, on a évoqué le risque de voir disparaître 30 % des entreprises laitières, qui sont source d’emplois et d’activité. La crise est grave. Elle trouve son origine dans la dérégulation et tout le monde souhaite aujourd’hui des règles sur le marché européen du lait, avec une stabilisation et une sécurisation des marchés, et le maintien des prix d’intervention. Mais aujourd’hui, on constate que les cours sont repartis à la hausse : cela m’interpelle. On pourrait en effet penser que le prix payé au producteur pourrait également repartir à la hausse, ce n’est toutefois pas le cas. Et pourtant, au niveau européen, dès que les prix repartent à la hausse, la Commission freine les moyens d’intervention ou d’aide.

La proposition de résolution contient des idées intéressantes qui sont à retenir, notamment sur le système rénové de gestion, sur la régulation, sur la transparence des marchés, sur la nécessité d’une relation plus équilibrée entre producteur et transformateur. Mais la loi de modernisation de l’économie n’a rien arrangé sur ce point. L’ensemble des points mentionnés dans la proposition de résolution sont à conserver mais il faut exiger davantage de transparence et de règles sur le marché européen pour que les producteurs puissent continuer à vivre du prix de leur production.

M. Jean Dionis du Séjour. Je souhaiterais faire un zoom sur le Lot-et-Garonne : en 1984, il y avait 2 400 producteurs de lait dans le département, en 2009, il en restait 600. Il ne faut par conséquent pas béatifier le système des quotas. Il y a eu une diminution considérable du nombre de producteurs laitiers en 25 ans. Il faut moderniser le système : à cet égard, le texte va dans le bon sens. Comme l’a rappelé le rapporteur, on constate des points de vue divergents en Europe entre, d’une part, le Danemark et les Pays-Bas, où l’exploitation moyenne produit 800 000 à 1 million de litres de lait par an et, d’autre part, les pays avec un modèle d’exploitations familiales, telle la France, où l’on produit 200 000 litres par an. Il y a donc une vraie divergence politique et le rapporteur a raison de dire que le travail politique du Gouvernement pour obtenir une majorité au Conseil des ministres européen va dans le bon sens.

Que veut-on en termes de présence de la production laitière sur le territoire ? La réserve-t-on à ce que l’on appelle le « fer à cheval laitier », c’est-à-dire les régions à herbe sur la façade Atlantique, le nord et les montagnes ? Ou bien veut-on une présence sur tout le territoire, y compris dans des territoires intermédiaires, comme le Lot-et-Garonne ? Dans la résolution, il y a une certaine timidité sur cet aspect, ainsi que sur les indemnités compensatrices de handicaps naturels.

M. Daniel Fasquelle. Il y a une grande attente sur cette question du lait. L’enjeu est considérable à la fois pour les producteurs et pour l’aménagement du territoire. Il y a un choix à faire en la matière, M. Jean Dionis du Séjour a raison. Veut-on ou non assurer une présence des agriculteurs sur tout le territoire ? La vie de nos villages est en jeu. Le secteur agricole n’est pas un secteur comme les autres : il ne peut être soumis aux mêmes règles que les autres. Il faut garantir le revenu des agriculteurs, assurer des prix stables pour les consommateurs et défendre l’autosuffisance alimentaire. Par conséquent, chacun s’accorde à reconnaître que l’activité agricole doit être encadrée.

C’est donc une bonne chose que cette proposition de résolution ait été adoptée par la commission des affaires européennes. Après une forte régulation à l’origine de la PAC, on a assisté à un mouvement inverse et la dérégulation est allée trop loin. Elle a fait l’objet de débats à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Faut-il rappeler que, lors de l’ouverture du cycle de Doha, les socialistes étaient alors au pouvoir, et avaient donné leur accord au démantèlement des aides agricoles. Nous entamons une nouvelle période de régulation, la résolution est donc importante pour l’Europe. Il faudra également en reprendre les principes dans la loi de modernisation agricole, en amendant le droit français de la concurrence et pas seulement le droit européen de la concurrence.

M. Patrick Ollier, Président. Nous sommes tout à fait d’accord sur ce point et nous sommes en train de travailler avec le ministre de l’agriculture, M. Bruno Lemaire, sur un projet et je pense que vous ne serez pas déçu, M. Daniel Fasquelle. M. Bruno Lemaire est un ministre de conviction, qui veut aller jusqu’au bout.

M. Michel Lejeune. C’est au passé qu’il faut désormais parler des quotas laitiers. Demain, ils n’existeront plus. Au niveau européen, les maintenir est une position indéfendable. Ce qui ne signifie pas que cela soit la fin de la régulation. Je me félicite qu’il soit prévu dans la résolution d’organiser un système de contrats entre producteurs, transformateurs et distributeurs. Cela permettra de mieux répartir la production sur l’ensemble du pays.

Je voudrais également évoquer la question de l’impôt foncier non bâti. Les agriculteurs demandent, non pas qu’il soit supprimé mais au moins qu’il soit raisonné. Il y a des différences entre communes de Seine-Maritime, qui vont de 5 % à 100 %. Dans certaines communes, la taxe foncière sur les propriétés non bâties s’élève à 100 %. Il faut là aussi envisager une régulation du système, tout en maintenant le principe de libre administration des collectivités locales.

En outre, on constate un problème d’endettement des jeunes agriculteurs, notamment en Normandie, en particulier du fait des mises aux normes réalisées dans le cadre du PMPOA (plan de maîtrise des pollutions d’origine agricole). Aujourd’hui, ces jeunes agriculteurs sont fortement touchés, et il faudrait prendre le relais des emprunts qu’on leur a fait contracter pour protéger la Mer du Nord et surtout la Manche des risques d’eutrophisation.

Enfin, l’herbe permet de nourrir les bovins mais elle évite également le ruissellement et les problèmes d’inondations et d’érosion, non seulement en zone de montagne mais aussi en plaine. C’est un aspect à prendre en compte.

M. Serge Poignant. J’apporte tout mon soutien à cette résolution. Dans le cadre des mesures d’urgence annoncées par le Président de la République, mais aussi pour la mise en œuvre des mesures de baisse des coûts de la main-d’œuvre, le développement de l’assurance contre les aléas économiques, on est obligé de passer par l’Europe. C’est le cas aussi pour la régulation.

Adopter cette résolution, c’est notre rôle. Nous l’avons fait dans le cadre du bilan de santé de la PAC en 2008. Ce n’est pas un vœu pieux ! Nous devons soutenir le Gouvernement et nous engager totalement en faveur de cette nouvelle régulation. Les changements de politique sont aussi dus à des changements de la part des agriculteurs. Au-delà de la régulation, il faut également apporter notre soutien à la partie « contrat » et à la partie « valorisation des produits » de cette proposition de résolution. Je soutiens par conséquent cette proposition de résolution sur le lait et souhaite que nous allions plus loin en nous intéressant plus largement à la crise agricole, et en particulier à l’élevage porcin et aux fruits et légumes.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Je soutiens cette proposition de résolution même si à l’alinéa 10, on ne donne aucun détail sur les nouveaux instruments à développer et si, à l’alinéa 11, on ne va pas jusqu’à mentionner la distribution.

Le lait est un produit de première nécessité, il faut donc une meilleure organisation de la production, de la transformation et de la distribution, à travers un encadrement des prix et des volumes. A chaque maillon de la chaîne, on doit pouvoir gagner correctement sa vie.

Réguler les volumes et les prix, il me semble qu’il s’agit toujours de quotas. Mais il doit y avoir des modes en termes de vocabulaire.

Enfin, la traçabilité des produits doit permettre de protéger notre production.

Mais, au final, la régulation ne peut se faire qu’au niveau mondial. J’ai d’ailleurs écrit au Président de la République pour lui demander un « G 20 » de l’alimentation et de l’agriculture. Et si aucune action concertée n’est possible au niveau mondial, alors nous devrons mettre en place une préférence communautaire.

Enfin, je voudrais souligner que la crise agricole date de bien avant la LME.

M. Gabriel Biancheri. Le Président de la République viendra dans quelques jours dans ma circonscription, pour annoncer des mesures pour la filière fruits et légumes, notamment sur le coût horaire du travail des saisonniers.

La résolution vient à point nommé pour la filière laitière, qui connaît plusieurs vrais problèmes. Nous arrivons au bout d’une évolution technique et sanitaire, censée permettre de mieux produire chaque année. Aujourd’hui, les exploitations sont donc très spécialisées. Dans certaines zones, seul l’élevage est possible, et le coût des équipements interdit toute reconversion. Certains jeunes agriculteurs ont investi 300 000 à 400 000 euros pour des équipements très performants. Sans régulation du secteur leur permettant de vivre de leur travail, ils seront obligés d’abandonner leur métier.

M. Jean-Pierre Nicolas. Les producteurs de lait sont aux abois, dans toute la France. Leurs ressources diminuent, mais ils doivent continuer à rembourser leurs emprunts. La proposition de résolution sur la politique européenne est intéressante, mais nous devons aussi prendre des mesures franco-françaises.

M. Michel Raison, rapporteur. Je me réjouis de la passion pour l’agriculture qui s’exprime à travers ces interventions ; il ne s’agit pas seulement d’alimentation, c’est toute une culture qui est remise en cause.

M. Antoine Herth, j’adhère à vos remarques, et je partage vos inquiétudes sur les pertes de parts de marché, puisque nous n’atteignons déjà plus nos quotas, avant même la libéralisation du marché. Des producteurs d’autres pays en profiteront.

M. François Brottes, je vous ai connu mieux inspiré. Cette résolution ne vient pas trop tard. Elle n’a pas vocation à résoudre tous les problèmes. Elle complète nos travaux sur le bilan de santé de la PAC, pour préparer la suppression des quotas en 2015. Je rappelle que la suppression des quotas a été décidée en 1999. Ne schématisons donc pas, la droite n’est pas contre les quotas quand la gauche les défendrait.

M. François Brottes. Mais si ! C’est Louis Mermaz qui les a créés !

M. Michel Raison, rapporteur. M. le Président Ollier, vous suggérez un amendement pour mentionner les distributeurs, mais la résolution s’adresse à l’Union européenne. Certes, les dysfonctionnements dans le secteur de la distribution perdurent, même après la loi de modernisation de l’économie. Ce n’est toutefois pas cette loi qui est à l’origine de la crise laitière, dans la mesure où celle-ci est européenne et où la France est l’un des pays où le lait est payé le plus cher en Europe. Inutile de prendre la grande distribution comme bouc émissaire.

Je ne pense pas non plus qu’il soit de bonne politique de s’en prendre à la DGCCRF, qui s’est contentée de faire son travail. Le législateur a fait le sien en rétablissant le CNIEL dans son rôle dans le cadre du projet de loi de finances pour 2009.

Sur la flexibilité des instruments de gestion, il n’y a rien d’idéologique, il faut simplement que ces instruments s’adaptent aux évolutions du marché : s’ils sont trop rigides, ils ne servent à rien.

Mme Annick Le Loch, les cours sont instables. L’objectif de la résolution est précisément d’inciter l’Union européenne à lutter contre les fluctuations trop importantes. Il y a aussi une réflexion à mener sur les DPU (droits à paiement unique) et sur le fait que les aides restent stables en période de hausse des cours. Le développement de l’assurance contre les aléas climatiques, voire les aléas économiques, peut également apporter un élément de réponse.

M. Jean Dionis du Séjour, vous vous inquiétez de la diminution du nombre de producteurs de votre département, qui, proportionnellement, correspond à la diminution du nombre d’agriculteurs au niveau national. L’instauration des quotas impliquait la restructuration des exploitations laitières, qui était nécessaire. Et on reste encore dans une moyenne de production laitière plutôt faible, de l’ordre de 230 000 litres par exploitation. Le drame serait en revanche que cette production ne soit plus concentrée que dans quelques régions.

Vous reprochez à la résolution sa timidité sur les compensations. Mais de nombreuses avancées ont déjà été faites dans le cadre de l’article 68, sur les régions de montagne et les régions défavorisées. C’est pourquoi la résolution n’aborde pas cette question.

M. Daniel Fasquelle, vous avez raison d’évoquer l’autosuffisance alimentaire, qui doit rester un souci permanent, de même que les excès de la dérégulation.

M. Michel Lejeune, pouvons-nous admettre formellement la fin des quotas ? Avec le traité de Lisbonne, cette question relèvera désormais du domaine de la co-décision au niveau communautaire et tout peut peut-être encore évoluer d’ici 2015. Sur vos autres sujets de préoccupations, le Gouvernement a pris des mesures d’urgence pour venir en aide aux producteurs endettés et de nombreux dispositifs existent pour soutenir les productions herbagères, comme la PHAE (prime herbagère agro-environnementale).

M. Serge Poignant, vos remarques étaient très pertinentes.

M. Jean-Charles Taugourdeau a évoqué le rôle de la grande distribution, et la perspective de la suppression des quotas. Certes ces quotas n’ont pas toujours existé, et les producteurs ont pu vivre sans cet instrument de régulation. Pour autant il convient de leur substituer un instrument intelligent, comme la contractualisation : si une entreprise contractualise la quantité susceptible d’être vendue, cela constitue en effet une forme de quota privé. Ainsi pour la plus grosse AOC de France, celle du comté, qui représente une production annuelle de cinquante mille tonnes, les « plaques vertes » constituent une sorte de quota.

A M. Gabriel Biancheri, qui déplorait un excès de spécialisation, je souhaiterais dire que de mon point de vue, la responsabilité n’appartient pas qu’aux agriculteurs. Le législateur doit également intervenir en donnant des leviers d’action. Avec le PMPOA, nous avons favorisé des bâtiments agricoles nécessitant de forts investissements, alors que depuis quinze ans, le Royaume-Uni privilégiait les bâtiments faciles à reconvertir. Nous avons contribué à figer les secteurs et favoriser les monoproductions, et nous devons donc veiller à accompagner les changements ou la diversification de la production.

M. Jean-Pierre Nicolas a évoqué le dossier franco-français qui sera traité dans le cadre de la loi de modernisation agricole. La difficulté à laquelle nous serons confrontés consistera pour nous à aller le plus loin possible dans le respect de la réglementation européenne. Le ministre aura de ce point de vue une tâche délicate de négociation à mener pour assouplir un certain nombre de règles européennes afin que le législateur puisse en établir d’autres au niveau national.

M. François Brottes. Je regrette les propos du rapporteur sur mon analyse du dossier. Celui-ci n’a en revanche pas relevé dans mon propos, l’absence de mention des distributeurs dans le texte qui nous est présenté.

M. le président Patrick Ollier. C’est parce que vous l’avez évoqué que j’ai proposé un amendement à notre rapporteur, qui a donné son avis sur ce point.

M. François Brottes. Je regrette encore une fois que les distributeurs ne soient pas évoqués à l’alinéa 11 de cette proposition de résolution contrairement, d’ailleurs, à ce qu’ont l’air de croire plusieurs collègues de la majorité. L’absence de concurrence au niveau des centrales d’achat pose problème, y compris au regard des règles européennes. On ne peut se contenter d’évoquer une contractualisation entre producteurs et transformateurs, ce n’est pas sérieux ! Sous cette réserve, nous serions favorables à cette proposition de résolution, et nous prendrions ainsi toutes nos responsabilités si son adoption à l’unanimité était susceptible de rouvrir les discussions sur la régulation du secteur laitier.

M. Michel Raison, rapporteur. Je souhaite évidemment que cette proposition de résolution soit adoptée à l’unanimité, notamment parce que cela constituerait un signal positif à l’égard de nos agriculteurs. Je n’étais pas favorable à la proposition d’amendement de notre Président, que M. Brottes me demande de reconsidérer, parce que, comme le montre le rapport de notre collègue sénateur Jean Bizet sur le prix du lait dans l’Union européenne, la tendance à accuser la grande distribution ne résiste pas à l’analyse : son attitude n’est pas la cause de la crise laitière. Il est vrai cependant qu’une très forte pression est exercée sur les producteurs de lait, et au-delà d’eux, sur l’ensemble des producteurs. Pour obtenir l’unanimité de notre commission, j’accepte donc l’amendement du Président Ollier visant à mentionner les distributeurs dans la proposition de résolution.

M. Jean-Charles Taugourdeau. J’appuie également cette initiative. Et je rappellerais que lorsque l’on vise les distributeurs, il ne s’agit pas seulement de la grande distribution, mais au-delà des transformateurs, il y a aussi la logistique, le transport. C’est toute la chaîne qu’il faut considérer.

La Commission a ensuite adopté, à l’unanimité, la proposition de résolution ainsi modifiée.

*

* *

En conséquence, la commission des affaires économiques vous demande d’adopter la proposition de résolution, dont le texte suit :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique


L’Assemblée nationale,


Vu l’article 88-4 de la Constitution,


Vu le règlement (CE) no 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (règlement « OCM-unique »),


Vu les règlements du Conseil relatifs au bilan de santé de la politique agricole commune du 20 novembre 2008,


Vu la décision du 5 octobre 2009 de la Commission européenne de nommer un groupe d’experts chargés de faire des propositions sur l’avenir du secteur laitier,


Considérant que le secteur laitier est un des piliers de l’agriculture européenne et française dont il constitue un élément fondamental tant sur le plan économique que sur le plan de l’équilibre des territoires ;


Considérant que depuis les réformes successives de l’organisation commune de marché du lait, ce secteur est particulièrement exposé aux fluctuations des cours comme l’a montré le retournement brutal de tendance au deuxième semestre 2008 ;


Considérant que l’instabilité des revenus des producteurs et l’absence de visibilité sur les prix ne permettent pas de garantir la pérennité de la filière ;


Considérant que le développement d’un secteur laitier efficace ne peut se faire sans régulation et que la perspective de la fin des quotas laitiers en 2015 rend indispensable la mise en
œuvre d’un système rénové de gestion de l’offre, comme cela a déjà été clairement exprimé dans le cadre de la résolution sur le bilan de santé de la politique agricole commune adoptée par l’Assemblée nationale le 14 octobre 2008 ;


1. Estime impératif de faire évoluer les instruments de gestion actuels vers une plus grande flexibilité et de créer de nouveaux instruments efficaces et assurant la transparence des marchés ;


2. Demande une modification du droit de la concurrence européen qui permette une régulation visant notamment à organiser des relations plus équilibrées entre producteurs, transformateurs et distributeurs, autour d’un contrat portant sur les prix et les volumes dans la plus grande transparence ;


3. Appelle à une vigilance particulière sur la mise en
œuvre de la décision de la Commission de hausse annuelle des quotas laitiers jusqu’en 2015, qui devrait être adaptée en fonction des tendances constatées des marchés ;


4. Souhaite que soient adoptées des mesures confortant les équilibres du secteur laitier, améliorant sa productivité et valorisant ses produits (actions de promotion, étiquetage et mention d’origine).

ANNEXE

COMMUNIQUÉ DE PRESSE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE
DU 5 OCTOBRE 2009

——fpfp——

IP/09/1420

Bruxelles, le 5 octobre 2009

Lait : un groupe à haut niveau va se pencher sur l'avenir à long terme du secteur laitier

Mariann Fischer Boel, membre de la Commission responsable de l'agriculture et du développement rural, a annoncé aujourd'hui aux ministres de l'agriculture qu'un groupe d'experts à haut niveau se mettrait en place la semaine prochaine pour étudier les arrangements envisageables à moyen et long termes dans le secteur laitier étant donné l'expiration des quotas laitiers au 1er avril 2015. À l'occasion d'un déjeuner de travail, la commissaire a expliqué aux ministres que le groupe d'experts sur le lait allait étudier l'opportunité de mettre en place de nouveaux arrangements susceptibles d'améliorer encore la stabilité du marché et des revenus des producteurs, de réduire la volatilité des prix et de renforcer la transparence du marché. Mme Fischer Boel a également informé les ministres de la dernière série de propositions à laquelle travaille la Commission pour soutenir le marché laitier et a fait le point sur la situation de ce dernier, constatant une remontée des prix des produits laitiers.

Mme Fischer Boel a déclaré à ce propos : « Je note avec satisfaction que les mesures que nous avons déjà prises semblent avoir un réel impact positif sur les prix des produits laitiers. Mais nous devons aussi voir plus loin. C'est pourquoi j'ai proposé le mois dernier la création d'un groupe à haut niveau pour envisager l'avenir à long terme. Ce groupe entamera ses travaux le 13 octobre et les experts auront ainsi l'occasion d'examiner toutes les questions qui vont se poser au secteur laitier à l'avenir. Nous devons nous efforcer de réduire la volatilité du marché, de renforcer la transparence et de réfléchir à la manière dont les agriculteurs pourraient améliorer leur organisation. Dans l'intervalle, nous poursuivons nos travaux pour tenter de résoudre les problèmes à court terme auxquels sont confrontés les producteurs de lait européens. Dans les prochains jours, nous autoriserons les États membres à leur verser des aides nationales pouvant atteindre 15 000 €, et j'espère que dans deux semaines le Conseil approuvera officiellement notre proposition d'extension du système de filet de sécurité. »

Groupe à haut niveau

Le groupe à haut niveau sur le lait sera présidé par M. Jean-Luc Demarty, directeur général de la direction générale de l'agriculture et du développement rural de la Commission, et sera composé de représentants des États membres. La Commission a l'intention de demander à des experts et aux différentes parties prenantes d'assister le groupe à haut niveau dans ses travaux, selon qu'il conviendra. Le groupe se réunira en règle générale une fois par mois et remettra un rapport régulièrement. Il est chargé d'examiner les questions suivantes, dont la liste n'est pas nécessairement exhaustive :

Relations contractuelles entre les producteurs de lait et les laiteries en vue de mieux équilibrer l'offre et la demande sur le marché

Mesures possibles pour renforcer le pouvoir de négociation des producteurs de lait

Adéquation des instruments de marché existants

Transparence et information des consommateurs, questions de qualité, de santé et d'étiquetage

Innovation et recherche dans la perspective d'une amélioration de la compétitivité du secteur

Création éventuelle d'un marché à terme dans le secteur laitier

M me Fischer Boel a aussi exposé en détail aux ministres la dernière série de mesures à effet immédiat présentée au Parlement européen le 17 septembre dernier pour soutenir le secteur laitier. Il est proposé qu'à l'instar d'autres secteurs agricoles, le secteur laitier soit protégé par une clause applicable en cas de perturbation du marché, afin de lui permettre de réagir plus rapidement à l'avenir en pareilles circonstances. Les modifications apportées aux régimes de rachat des quotas par les États membres permettront de faire en sorte qu'un quota racheté qui est conservé dans la réserve nationale ne soit plus pris en compte dans le quota national lorsqu’il s’agit de déterminer si un prélèvement supplémentaire est dû. Dans le cas où le prélèvement supplémentaire se révèle nécessaire, la partie correspondant au quota racheté pourra être utilisée par les États membres à des fins de restructuration du secteur. La Commission devrait adopter dans les prochains jours les propositions législatives requises pour mettre ces idées en pratique.

Évolution récente du marché laitier

Les données les plus récentes indiquent une remontée des prix, non seulement de l'ensemble des produits laitiers, mais aussi du lait cru à la production. Le prix moyen du lait en juillet/août a été estimé à 25-26 cents/litre et selon de récentes informations provenant des grands transformateurs européens, une nouvelle augmentation de 1 à 2 cents aurait été enregistrée en septembre/octobre pour le prix à la livraison. Les prix spot du lait ont augmenté plus sensiblement encore depuis juin. Les prix des produits pouvant faire l'objet d'une intervention (beurre et lait écrémé en poudre) ont augmenté de 7 à 9 % en trois mois et se situent à présent bien au-dessus du niveau d'intervention.

Mesures prises antérieurement

La Commission prévoit d'affecter cette année jusqu'à 600 millions € à des mesures de soutien du marché. Le Conseil se prononcera le 19 octobre prochain sur la proposition de la Commission visant à prolonger la période d'intervention. Cette année, 70 % des paiements directs pourront être versés six semaines plus tôt que d'habitude (à partir du 16 octobre). Au titre de la réforme de la PAC de 2003, les paiements directs versés aux producteurs laitiers ont été majorés de 5 milliards € par an afin de compenser la diminution des prix d'intervention. Dans le cadre du bilan de santé et du plan pour la relance économique, 4,2 milliards € ont été débloqués pour répondre aux « nouveaux défis », notamment celui de la restructuration du secteur laitier. Ces fonds viennent s'ajouter à ceux déjà disponibles au titre de la politique de développement rural. La Commission a également renforcé le programme de distribution de lait dans les écoles en élargissant la gamme des produits et la classe d'âge des enfants bénéficiaires. Elle a également entamé un nouveau cycle de mesures de promotion pour les produits laitiers. La Commission prépare actuellement un rapport qui s'intéresse à la chaîne d'approvisionnement du secteur laitier et dont l'objectif est de renforcer la transparence et de déceler d'éventuels problèmes de concurrence. Ce rapport sera publié avant la fin de l'année et sera examiné par le groupe à haut niveau.

© Assemblée nationale

1 () Compte-rendu de la commission élargie du jeudi 29 octobre 2009 sur le projet de loi de finances pour 2010 (mission Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales).

2 () Les eurodéputés ont largement contribué sous la précédente mandature à infléchir la position de la Commission européenne dans le cadre du bilan de santé de la PAC.

3 () Il n’en va pas de même pour le lait destiné à la fabrication de fromages où aucun acteur ne domine le marché.

4 () Avis 09-A-48 du 2 octobre 2009 relatif au fonctionnement du secteur laitier. Depuis l’adoption de la loi de modernisation de l’économie, l’article L. 461-5 du code de commerce permet aux commissions du Parlement compétentes en matière de concurrence d’entendre le Président de l’Autorité de la concurrence et de consulter celle-ci sur tout question entrant dans son champ de compétence.

5 () Rapport n° 481, annexe au procès verbal de la séance du 23 juin 2009.

6 () Or, l’adjudication est un mécanisme inverse de l’intervention, qui a avant tout pour objet de garantir un prix plancher et non de ramener les prix à un plancher.

7 () A l’exception de la Chine où le scandale du lait maternisé contaminé à la mélamine amplifie la désaffection générale des consommateurs pour les produits laitiers.

8 () Rapport d’information n° 73 enregistré à la Présidence du Sénat le 30 octobre 2009.

9 () Le prix le moins élevé est payé en avril, qui est le mois où l’offre est la plus foisonnante et où les coûts de production sont les plus bas en raison de l’abondance de l’herbe au printemps.

10 () FNPL (fédération nationale des producteurs de lait), FNCL (fédération nationale des coopératives laitières) et FNIL (fédération nationale des industries laitières).

11 () L’AOC Comté définit une zone de production qui correspond approximativement au massif du Jura, une région qui s'étend sur le Jura, le Doubs (deux départements de la région Franche-Comté) et l'Ain (département de la région Rhône-Alpes).

12 () Rapport d’information n° 1000 de M. Michel Raison déposé, en application de l’article 145 du Règlement, par la Commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, sur le bilan de santé de la Politique agricole commune (25 juin 2008).

13 () Déclaration commune du 2 juillet 2009 appelant la Commission à renoncer à la hausse programmée des quotas laitiers en 2009 et à initier une réflexion sur une nouvelle régulation du marché laitier.

14 () Le « G20 laitier » est constitué depuis le 12 octobre dernier de 21 Etats membres : la France, l’Allemagne, l’Espagne, l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, l’Estonie, la Finlande, la Hongrie, l’Irlande, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, le Portugal, la Roumanie, la République tchèque, la Slovaquie, la Slovénie, l’Italie, la Pologne et la Grèce. N’en font pas partie Chypre, Malte, le Danemark, les Pays-Bas, la Suède et le Royaume uni.