Accueil > Documents parlementaires > Les rapports législatifs
Version PDF
Retour vers le dossier législatif

N° 2447

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 avril 2010.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LA PROPOSITION DE LOI, ADOPTÉE PAR LE SÉNAT, visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections,

PAR Mme Colette LE MOAL,

Députée.

——

Voir les numéros :

Sénat : 215 (2007-2008), 482, 483 et T.A. 101 (2008-2009).

Assemblée nationale : 1786.

INTRODUCTION 5

I.- À L’ORIGINE DE LA PROPOSITION DE LOI : LA TÊTE MAORIE DU MUSÉE DE ROUEN 7

A. L’INVALIDATION D’UNE DÉLIBÉRATION DE LA VILLE DE ROUEN A CONDUIT LE SÉNAT À SE SAISIR DE CETTE QUESTION 9

B. PLUS LARGEMENT, LA PROPOSITION DE LOI POSE LA QUESTION SENSIBLE DU TRAITEMENT DES « RESTES HUMAINS » DANS LES MUSÉES 11

II.- UNE PROPOSITION DE LOI COMPLÉTÉE PAR LES SÉNATEURS 17

A. L’ARTICLE 1ER DE LA PROPOSITION DE LOI : LA RESTITUTION DES TÊTES MAORIES À LA NOUVELLE-ZÉLANDE 17

B. UNE PROPOSITION DE LOI ÉLARGIE À LA GESTION DES COLLECTIONS DES MUSÉES (ARTICLES 2 À 4) 18

TRAVAUX DE LA COMMISSION 21

I.- DISCUSSION GÉNÉRALE 21

II.- EXAMEN DES ARTICLES 25

Article 1er : Restitution des têtes maories 25

Article 2 : Commission scientifique nationale des collections 29

Article 3 : Coordination 37

Article 4 : Rapport au Parlement 38

TABLEAU COMPARATIF 39

ANNEXES 41

ANNEXE 1 : LISTE DES RESTITUTIONS FAITES AU MUSÉE NATIONAL TE PAPA DE NOUVELLE-ZÉLANDE 41

ANNEXE 2 : L’ALIÉNATION DES COLLECTIONS PUBLIQUES 43

ANNEXE 3 : QU’EST-CE QUE LE RETOUR OU LA RESTITUTION DES BIENS CULTURELS ? 47

INTRODUCTION

La présente proposition de loi vise à restituer à la Nouvelle-Zélande les têtes maories détenues par la France et relative à la gestion des collections. Elle a été déposée au Sénat par Mme Catherine Morin-Desailly le 22 février 2008, puis examinée par les sénateurs et adoptée à l’unanimité le 29 juin dernier.

Ce n’est pas la première fois que le Parlement se saisit de ce sujet si sensible de la restitution de « restes humains » considérés comme biens culturels ou scientifiques. En 2002 déjà, la loi n° 2002-323 du 6 mars 2002 autorisait la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, dite la « Vénus hottentote », à l’Afrique du Sud ((1).

Cette restitution correspond à une forte attente du peuple maori, dont on rappellera qu’il s’agit d’un peuple autochtone installé en Nouvelle-Zélande à partir du XIIIe siècle après Jésus-Christ et initialement originaire de Polynésie. Le premier contact avec les Européens a lieu en 1642 et donne lieu à des affrontements sanglants. À partir de 1769, James Cook établit des relations plus pacifiques. C’est en 1840 que la Nouvelle-Zélande devient une colonie britannique, par le traité de Waitangi. Ce traité prévoit que les colons s’engagent à protéger le mode de vie des Maoris et à respecter l’intégrité de leur droit de propriété sur leurs terres. Durant les années suivantes, de nombreux conflits éclatent entre colons et maoris, qui se soldent en 1872 par un écrasement de la rébellion maorie, la confiscation de leurs terres et le déclin rapide de la population. Entre 1840 et 1896, elle aurait chuté de plus de moitié pour s’établir à 42 000. Actuellement, la population maorie est d’environ 600 000 personnes, auxquelles s’ajoute une diaspora de 73 000 personnes, vivant surtout en Australie.

Depuis 1980, le tribunal de Waitangi, créé par le gouvernement néo-zélandais, est chargé d’examiner les revendications des Maoris sur les terres qui leur ont été confisquées. Par ailleurs, le gouvernement a relayé leur demande de voir revenir ces éléments d’identité que constituent les têtes conservées par des musées ou des particuliers à l’étranger.

De nombreux pays ont déjà répondu favorablement à l’appel de la Nouvelle-Zélande en restituant les têtes en leur possession. Ainsi, entre autres, la Suisse, la Grande-Bretagne, le Danemark, les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Argentine ou l’Australie ont restitué plus de 320 restes humains maoris sur les quelque 500 dispersés dans le monde (2).

Comme le rappelait M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture, lors de son intervention au Sénat, « on construit une culture sur le respect et l’échange. Cela semble une évidence, mais il n’est peut-être pas inutile de rappeler. On construit une culture sur une véritable pratique de la mémoire et sur le respect d’un certain nombre de procédures et de lois ».

La rapporteure estime regrettable que la France, pays des droits de l’homme, fasse aujourd’hui exception, moins en raison d’une opposition de fond que pour des questions de forme liées au statut juridique de ce qui est aujourd’hui encore d’abord considéré comme un bien culturel avant d’être traité comme un reste humain. Or « la culture ne peut se passer de la transparence, de la vérité et doit répondre à une éthique irréprochable » (3).

C’est pourquoi il faut se féliciter que la proposition de loi adoptée par le Sénat lève l’obstacle juridique empêchant la restitution des têtes maories, objet de l’article 1er de la proposition de loi, et traite la question plus générale du déclassement des biens culturels appartenant aux collections publiques, qui fait l’objet des trois articles suivants issus d’amendements du sénateur Richert, rapporteur de la proposition de loi.

I.- À L’ORIGINE DE LA PROPOSITION DE LOI :
LA TÊTE MAORIE DU MUSÉE DE ROUEN

Comme le rappelait Mme Catherine Morin-Desailly au Sénat, les Maoris de haut rang ont toujours été tatoués selon des motifs rappelant leur tribu. Dans la tradition maorie, la tête est considérée comme la partie sacrée du corps et le tatouage comme une véritable signature sociale et religieuse. « Le peuple maori avait ainsi coutume de conserver les têtes tatouées des guerriers morts au combat, et de les exposer dans un endroit consacré à leur mémoire, où chacun pouvait les vénérer jusqu’au moment où ils estimaient que l’âme du défunt était partie. Les têtes étaient alors inhumées près du village » (4).

Gravure d’un ancien chef maori

Photographie du New Zealand
Tourist Department

Dans Les enfants du capitaine Grant, roman de Jules Verne paru en 1868 dans la série des Voyages Extraordinaires, au-delà des propos très datés sur les « indigènes cannibales » de Nouvelle-Zélande, l’auteur expose de manière détaillée certaines coutumes maories et explique l’importance de la conservation des restes humains dans la tradition maorie, « la possession de ces restes [étant] regardée, dans la religion maorie, comme indispensable aux destinées de la vie future ».

L’origine des tatouages maoris

C’était un chef maori, et de haut rang. On le voyait au tatouage fin et serré qui zébrait son corps et son visage. Des ailes de son nez aquilin partaient deux spirales noires qui, cerclant ses yeux jaunes, se rejoignaient sur son front et se perdaient dans sa magnifique chevelure. Sa bouche aux dents éclatantes et son menton disparaissaient sous de régulières bigarrures, dont les élégantes volutes se contournaient jusqu’à sa robuste poitrine. Le tatouage, le « moko » des Néo-Zélandais, est une haute marque de distinction. Celui-là seul est digne de ces paraphes honorifiques qui a figuré vaillamment dans quelques combats. Les esclaves, les gens du bas peuple, ne peuvent y prétendre. Les chefs célèbres se reconnaissent au fini, à la précision et à la nature du dessin qui reproduit souvent sur leurs corps des images d’animaux. Quelques-uns subissent jusqu’à cinq fois l’opération fort douloureuse du moko.

Plus on est illustre, plus on est " illustré " dans ce pays de la Nouvelle-Zélande. Dumont D’Urville a donné de curieux détails sur cette coutume. Il a justement fait observer que le moko tenait lieu de ces armoiries dont certaines familles sont si vaines en Europe. Mais il remarque une différence entre ces deux signes de distinction : c’est que les armoiries des Européens n’attestent souvent que le mérite individuel de celui qui, le premier, a su les obtenir, sans rien prouver quant au mérite de ses enfants ; tandis que les armoiries individuelles des Néo-Zélandais témoignent d’une manière authentique que, pour avoir le droit de les porter, ils ont dû faire preuve d’un courage personnel extraordinaire.

D’ailleurs, le tatouage des Maoris, indépendamment de la considération dont il jouit, possède une incontestable utilité. Il donne au système cutané un surcroît d’épaisseur, qui permet à la peau de résister aux intempéries des saisons et aux incessantes piqûres des moustiques.

Extrait de Jules Verne, Les enfants du Capitaine Grant, chapitre X – Gallica

À partir de la colonisation de la Nouvelle-Zélande au XVIIIe siècle, l’engouement pour ces têtes fut tel en Europe qu’elles firent l’objet d’un commerce particulièrement macabre.

La technique de naturalisation des têtes maories

Ces têtes avaient appartenu aux chefs ennemis tombés dans les combats, dont les corps servirent de nourriture aux vainqueurs. Le géographe les reconnut pour telles, à leurs orbites caves et privés d’yeux. En effet, l’œil des chefs est dévoré ; la tête, préparée à la manière indigène, vidée de sa cervelle et dénudée de tout épiderme, le nez maintenu par de petites planchettes, les narines bourrées de phormium, la bouche et les paupières cousues, est mise au four et soumise à une fumigation de trente heures. Ainsi disposée, elle se conserve indéfiniment sans
altération ni ride, et forme des trophées de victoire. Souvent les Maoris conservent la tête de leurs propres chefs ; mais, dans ce cas, l’
œil reste dans son orbite et regarde. Les Néo-Zélandais montrent ces restes avec orgueil ; ils les offrent à l’admiration des jeunes guerriers, et leur payent un tribut de vénération par des cérémonies solennelles.

Extrait de Jules Verne, Les enfants du Capitaine Grant, chapitre XI – Gallica

Les têtes étaient alors particulièrement recherchées pour figurer dans les cabinets de curiosités européens et américains. Afin de satisfaire la « demande », devenue beaucoup plus importante que l’offre, des esclaves furent même capturés, tatoués puis mis à mort.

Il fallut attendre 1831 pour qu’une loi britannique interdise le commerce de ces têtes vers l’Australie, alors plaque tournante du trafic, mais des restes humains avaient déjà essaimé en Europe et aux États-Unis. C’est ainsi que certaines de ces têtes sont entrées dans les collections publiques françaises par dons ou legs et se sont donc retrouvées dans les musées. Ce fut le cas de la tête maorie du muséum d’histoire naturelle de Rouen, donnée à la ville par un certain M. Drouet en 1875 et retrouvée en 2007 dans les réserves du muséum lors de sa fermeture pour rénovation.

Tête maorie de Rouen

Photographie du Muséum municipal
d’histoire naturelle de Rouen

A. L’INVALIDATION D’UNE DÉLIBÉRATION DE LA VILLE DE ROUEN A CONDUIT LE SÉNAT À SE SAISIR DE CETTE QUESTION

C’est dans ce contexte historique que, par une délibération en date du 19 octobre 2007, la ville de Rouen décidait de restituer à la Nouvelle-Zélande une tête maorie entrée par donation dans les collections du muséum. Cette tête avait depuis longtemps été retirée de l’exposition au public, pour respecter un souhait des autorités néo-zélandaises, et le musée la conservait dans ses réserves. Selon les informations communiquées par le ministère de la culture, les têtes maories détenues dans les musées de France ne sont plus exposées. Pour mémoire, les vestiges de la dépouille de Saartjie Baartman n’étaient, eux non plus, plus présentés au public par le Muséum national d’histoire naturelle depuis 1974. En revanche, c’est la présentation d’un moulage de cette dépouille, lors d’une exposition temporaire en 1994, qui avait lancé la polémique.

Par cette décision, la ville de Rouen souhaitait répondre à des demandes répétées du gouvernement néo-zélandais en faveur du retour des restes humains maoris dispersés dans le monde et être ainsi la première ville de France à faire ce geste.

Au motif du non-respect de la procédure de déclassement, nécessaire pour la sortie du domaine public d’un bien inscrit sur l’inventaire d’un musée de France, le ministère de la culture saisit le tribunal administratif, qui annula le 27 décembre 2007 la décision de la municipalité de Rouen de restituer la tête maorie. La Cour administrative d’appel de Douai confirma le 24 juillet 2008 que la ville de Rouen n’était pas « fondée à soutenir qu’elle pouvait autoriser la restitution de ce bien sans respecter la procédure de déclassement prévue par l’article L. 451-5 du code du patrimoine »(5).

Les jugements se sont appuyés sur deux principaux fondements juridiques :

– le premier a trait au non-respect de la procédure de déclassement préalable prévue par le code du patrimoine alors que le muséum d’histoire naturelle de Rouen avait obtenu le label « Musée de France » par un arrêté du 17 septembre 2003.

Le musée était donc soumis au contrôle scientifique et technique de l’État et régi par les dispositions issues de la loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France. Or, selon les termes du premier alinéa de l’article L. 451-5 du code du patrimoine, « les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables ». Dans ce cadre, le deuxième alinéa de ce même article dispose qu’une décision de déclassement ne peut être prise qu’après avis conforme de la commission scientifique nationale des collections des musées de France (CSNCMF).

Pour autant, la rapporteure tient à rappeler que, selon les termes de l’article L. 451-7 du même code, « les biens incorporés dans les collections publiques par dons et legs » – ce qui est le cas de la tête maorie de Rouen – « ne peuvent être déclassés ». Rappelons que cet article trouve son origine dans le souhait de rassurer les donateurs sur la pérennité de leurs dons et legs, la garantie de l’inaliénabilité étant souvent à l’origine du geste qu’ils consentent vis-à-vis des institutions patrimoniales publiques.

N’existe-t-il donc pas dans le cas précis de la tête maorie de Rouen une difficulté juridique particulière ? Selon le ministère de la culture, sollicité par la rapporteure, la mise en œuvre de la procédure de déclassement de l’article L. 451-5 aurait effectivement buté sur l’obstacle des restrictions prévues à l’article L. 451-7. C’est donc pour dépasser cette contradiction que le passage par une loi spécifique s’avérait d’autant plus nécessaire.

– le second motif retenu par les jugements concerne le caractère inopérant, en l’espèce, des dispositions de l’article 16-1 du code civil relatif à la non patrimonialité du corps humain, sur lesquelles la ville de Rouen avait fondé sa décision, le juge considérant que cet article ne s’applique pas à des « vestiges humains » appartenant à des collections publiques et régis, à ce titre, par le code du patrimoine.

Cette situation a conduit Mme Catherine Morin-Desailly, sénatrice de Seine-Maritime, alors adjointe à la culture du maire de Rouen, à déposer une proposition de loi en février 2008. La proposition de loi a reçu l’assentiment de 57 cosignataires et élargi la problématique en visant l’ensemble des têtes maories conservées dans les musées de France.

B. PLUS LARGEMENT, LA PROPOSITION DE LOI POSE LA QUESTION SENSIBLE DU TRAITEMENT DES « RESTES HUMAINS » DANS LES MUSÉES

La question qui se pose aujourd’hui peut sembler simple, mais elle recouvre des débats juridiques, philosophiques, anthropologiques et scientifiques loin d’être tranchés : peut-on, doit-on considérer ces restes humains comme des biens artistiques, culturels ou scientifiques, leur importance justifiant un maintien dans nos collections, ou sont-ils avant tout des éléments du corps humain ? Les Néo-Zélandais portent sur ces têtes une appréciation très différente de la nôtre puisqu’ils considèrent qu’il s’agit des restes de leurs ancêtres et non d’objets d’art ou de collection.

Cette problématique n’est pas nouvelle et recouvre celle, plus large et très complexe, des restitutions de biens culturels aux pays d’origine. Au XIXème siècle, déjà, certaines voix s’élevaient pour dénoncer les « pillages » des Occidentaux dans les pays peuplés de ce que l’on considérait à l’époque comme des « sauvages » et le non-respect de l’intégrité et des traditions de ces peuples. Ainsi, Chateaubriant, dans Mémoires d’outre tombe, explique qu’« en ce qui regarde les morts, il est aisé de trouver les motifs de l’attachement du sauvage à de saintes reliques. Les nations civilisées ont, pour conserver les souvenirs de leur patrie, les mnémoniques des lettres et des arts (…) Rien de tout cela aux peuples de la solitude : leur nom n’est point écrit sur les arbres (…) Les tribus du Nouveau-Monde n’ont donc qu’un seul monument : la tombe. Enlevez à des sauvages les os de leurs pères vous leur enlevez leur histoire, leurs lois, et jusqu’à leurs dieux ; vous ravissez à ces hommes, parmi les générations futures, la preuve de leur existence comme celle de leur néant ».

De même, Victor Hugo, dans sa Lettre au capitaine Butler (6), stigmatise clairement le saccage du palais d’Été par le corps expéditionnaire franco-anglais lors de la seconde guerre de l’opium en octobre 1860 : « il y avait, dans un coin du monde, une merveille du monde : cette merveille s’appelait le palais d’Été (…) comme une silhouette de la civilisation d’Asie sur l’horizon de la civilisation d’Europe. (…) Un jour, deux bandits sont entrés dans le palais d’Été. L’un a pillé, l’autre a incendié. La victoire peut être une voleuse, à ce qu’il parait.(…) L’un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l’autre a empli ses coffres ; et l’on est revenu en Europe, bras dessus, bras dessous, en riant. Telle est l’histoire des deux bandits. Nous, Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous les Chinois sont les barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie. (…) J’espère qu’un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, rendra ce butin à la Chine spoliée ».

Ainsi, comme le rappelait M. Michael Brown, professeur d’anthropologie au Williams College (États-Unis) lors d’un symposium international organisé au musée du Quai Branly en février 2008 sur la question de la conservation et de l’exposition des restes humains dans les musées, « depuis le tout début, les musées européens, et maintenant les musées du monde entier, ont eu à négocier entre certaines sortes d’activités et certaines sortes de croyances ». Rappelons que le concept de « musée » est une création des Lumières. « L’idée d’un lieu public mettant une collection d’objets à disposition du public est une idée fondamentale des lumières » afin que « l’humanité entière soit en mesure de réfléchir sur l’humanité entière », selon les termes employés par exemple dans les statuts fondateurs du British Museum en 1753 et afin que l’on puisse « vraiment considérer l’ensemble de l’humanité et voir ce qu’elle partage ». Par ailleurs, selon M. Brown, le musée se construit au XVIIIe siècle comme « lieu de recherche de la vérité, sans aucun égard pour les interdits ou les inhibitions de la foi », la poursuite de la vérité ne devant pas connaître de limites. « Sans limites de ce qu’il est possible d’acquérir, de ce sur quoi il est possible d’enquêter, de ce qui peut être demandé. Il est important de rappeler à quel point cela a pu être choquant pour la plus grande partie du public, que l’enquête sur un ensemble de questions sur la nature humaine, l’histoire, puisse être aussi profondément offensante pour les structures de la foi de l’époque. Le fait que nous sachions maintenant que l’histoire humaine n’a pas débuté au moment indiqué par l’Ancien Testament est largement dû au travail réalisé dans les musées, aux travaux menés au mépris des enseignements et du pouvoir de l’Église. Ces travaux étaient le plus souvent choquants » et allaient déjà « à l’encontre de la sensibilité d’une grande partie de la population ».

Aujourd’hui, alors que le contexte international évolue rapidement, la France se doit d’être exemplaire, tout en préservant la mission universelle de ses musées. L’équilibre sera sans doute délicat à trouver mais la réflexion est indispensable. En effet, la reconnaissance juridique et politique des droits des populations autochtones et la prise de conscience de l’importance du respect de leur culture sont en marche depuis près de trente ans (7) et de plus en plus d’institutions muséales sont confrontées à des demandes de restitution de biens culturels – et notamment de restes humains ou d’objets sacrés – considérés par ces populations comme faisant partie intégrante de leur patrimoine culturel et identitaire.

Ce mouvement s’est reflété dans les Déclarations des Nations Unies sur les droits des populations autochtones. La dernière a été adoptée par l’Assemblée générale le 13 septembre 2007. Rappelons que la France a émis des réserves et que plusieurs pays ne l’ont pas adoptée, notamment les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Cette déclaration rappelle la nécessité d’accorder « réparation » aux atteintes portées à leur patrimoine culturel et religieux et reconnaît un « droit au rapatriement de leurs restes humains ». Elle engage par ailleurs les États « à permettre l’accès aux objets de culte et aux restes humains en leur possession et/ou leur rapatriement, par le biais de mécanismes justes, transparents et efficaces mis au point en concertation avec les peuples autochtones concernés ».

Parallèlement, en 2005, la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles a posé le principe selon lequel « la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles impliquent la reconnaissance de l’égale dignité et du respect de toutes les cultures, y compris celles des personnes appartenant aux minorités et celles des peuples autochtones ».

Enfin, s’agissant de ce que cet organisme appelle le traitement et l’exposition d’objets « sensibles » – restes humains et objets sacrés –, l’article 6-3 du code de déontologie de l’ICOM ((8) pose le principe du respect des vœux des communautés d’origine : il s’agit de « répondre avec diligence, respect et sensibilité aux demandes de retrait, par la communauté d’origine, de restes humains ou d’objets à portée rituelle exposés au public ». Dans ce cadre, « les musées doivent être disposés à engager le dialogue en vue du retour de biens culturels vers un pays ou un peuple d’origine ». Par ailleurs, l’article précise que, « si une nation ou une communauté d’origine demande la restitution d’un objet ou spécimen qui s’avère avoir été exporté ou transféré en violation des principes des conventions internationales et nationales, et qu’il s’avère faire partie du patrimoine culturel ou naturel de ce pays ou de cette communauté, le musée concerné doit, s’il en a la possibilité légale, prendre rapidement les mesures nécessaires pour favoriser son retour ».

Ainsi, comme l’indique le rapporteur du Sénat, « la proposition de loi (…) renvoie (…) à des questions éthiques, morales, liées à la dignité de l’homme et au respect dû aux croyances et cultures des autres peuples ». Mme Christine Albanel, alors ministre de la culture, qui avait pourtant saisi le juge administratif de la décision de Rouen, l’a très bien compris puisqu’elle a chargé dès février 2008 M. Stéphane Martin, président du musée du Quai Branly, d’organiser un symposium international sur la question de la conservation et de l’exposition des restes humains dans les musées, « afin de permettre l’échange des points de vue scientifique et éthique sur [cette] question complexe ». La rapporteure estime que les professionnels des musées doivent effectivement se saisir des questions posées par la conservation et l’exposition des restes humains dans les musées, et notamment s’interroger sur les points suivants : « dans quelle mesure les objets impliquant des restes humains sont-ils des personnes ou des sujets ? De quel régime de propriété relèvent-ils ? Comment arbitrer les intérêts contradictoires qui s’expriment à leur propos ? » (9). La ministre avait très clairement exposé les difficultés de l’exercice dans son allocution introductive.

Extraits de l’allocution introductive de Mme Christine Albanel,
ministre de la culture, lors du symposium du Quai Branly
sur la conservation et l’exposition des restes humains

Quels statuts juridiques et éthiques pour les restes d’un individu qui est identifié – c’était par exemple le cas de Saartjie Baartman –, pour des restes ayant fait l’objet préalablement à leur collecte d’un traitement rituel, comme les crânes surmodelés d’Océanie, ou encore les têtes réduites Jivaro ? Pour des restes incorporés dans des objets divers, tels que des crânes tambours tibétains, ou encore des flûtes en os de fémur ? Et enfin pour les collections des musées d’histoire naturelle et de médecine? Autant de cas, comme on le voit, très différents. Et puis ce statut n’est-il pas lié à l’âge de ces restes ? Il est bien évident que nous ne traitons pas de la même façon, et que nous ne ressentons pas de la même manière des fragments d’hominidés de la préhistoire et des restes humains beaucoup plus contemporains. Ces demandes de restitution soulèvent également des interrogations en termes de droit international. La responsabilité des professionnels des musées est questionnée avec force depuis plusieurs décennies dans toutes les régions du monde, comme en témoignent les rédactions successives du code de déontologie de l’ICOM depuis 1986. Comment régler des problèmes de propriété culturelle impliquant des pays différents, des communautés d’origines très diverses dotées chacun d’appareils législatifs hétérogènes ? Enfin, peut-on concilier – c’est une grande question – cette démarche de restitution avec les principes constitutifs de nos musées (…) ? La fonction d’un musée ne se limite pas à la présentation de ses collections publiques, il a aussi pour mission d’étudier, de conserver pour les générations futures des objets qui témoignent de la diversité des manières de vivre et de penser le monde. Les collections publiques expriment notre histoire et les relations que nous avons entretenues depuis des siècles avec d’autres peuples. Il appartient au muséographe, au commissaire d’exposition, au directeur d’institution de les faire parler au mieux. La force actuelle des mouvements de patrimonialisation identitaire ne saurait, pour compréhensible et légitime qu’elle soit, évidemment, mettre en péril la vocation universaliste de nos musées.

Lors de ce symposium, Didier Sicard, président d’honneur du comité consultatif national d’éthique, soulignait de manière très pertinente les contradictions de notre société et de notre droit en la matière, rappelant que « science et culture ou connaissance et croyance s’affrontent de façon plus vive qu’il y a trente ou quarante ans. Quel est le statut de ce corps entier ou morcelé qui a suscité une très grande indifférence durant la plus grande partie du XXe siècle et qui surgit au début du XXIe avec une violence qui doit nous interroger ? (…) Le droit rappelle que le corps humain est inviolable. L’article 16-1 du code civil dit qu’il est non violable et qu’il ne peut y avoir marchandisation du corps. Peut-être la France est-elle un des rares pays à avoir insisté sur la non-marchandisation, nous sommes peut-être le seul pays au monde à avoir inscrit la non-marchandisation du sang comme un élément constitutionnel de notre imaginaire républicain. Le corps est la personne. Mais je trouve que ces lois sont porteuses d’ambiguïté, même si elles ont été reprises par les lois de bioéthique de 1994 et de 2004. Un corps inviolable certes, mais la loi dite Caillavet de 1976 a montré que l’État pouvait prélever sur une personne décédée tous les organes qu’elle souhaitait à des fins scientifiques ou à des fins de greffe d’organe avec un consentement présumé de la personne. (…) Le paradoxe, c’est que (…) sur le plan ethnologique les collections de restes humains sont beaucoup plus rares au XXIe siècle qu’au XXe, et c’est à mesure que leur rareté s’impose que surgit un questionnement à leur sujet ».

Ainsi, même si, dans sa décision de juillet 2008, le juge administratif a souligné le caractère inopérant des dispositions de l’article 16-1 du code civil vis-à-vis des biens faisant partie des collections publiques et ayant, à ce titre, une valeur scientifique, patrimoniale ou culturelle, la question reste posée : ni le code du patrimoine, ni le code civil ne tranchent clairement la problématique. Par ailleurs, la jurisprudence semble encore mal établie.

L’article 16-1 du code civil, issu de la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, dite loi « bioéthique », prévoit que « le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial ». Dans le cas de la tête maorie de Rouen, le juge a considéré que l’article 16-1 avait pour finalité d’éviter l’utilisation des restes humains à des fins mercantiles, alors que leur intégration dans une collection muséologique a une vocation scientifique. Dès lors, cette disposition n’a « ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à un régime de domanialité publique sur un reste humain » en application des dispositions du code du patrimoine : celles-ci, « qui rendent inaliénables les biens d’une personne publique constituant une collection des musées de France, placent ces biens sous un régime de protection particulière distinct du droit patrimonial énoncé à l’article 16-1 du code civil ».

Pour autant, dans une décision ultérieure, datant du 21 avril dernier, d’autres juges, judiciaires, ont annulé l’exposition « Our Body » organisée à Paris, qui présentait des cadavres et des pièces anatomiques d’origine chinoise à des fins scientifiques et pédagogiques, selon ses organisateurs, au motif notamment que la finalité scientifique de l’exposition était contestable et que « la commercialisation des corps par leur exposition porte une atteinte manifeste au respect qui leur est dû ». La Cour d’appel de Paris a confirmé ce jugement, ajoutant qu’il existait par ailleurs un doute sérieux quant à l’existence d’un consentement préalable à leur exposition.

Pour rendre sa décision, elle s’est donc basée sur les articles 16-1 et 16-1-1 du code civil. L’article 16-1-1 du code civil est issu de la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire et dispose que « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort » et que « les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence ».

Cet exemple permet de prendre la mesure de l’évolution de la société et du droit sur cette question des restes humains.

II.- UNE PROPOSITION DE LOI COMPLÉTÉE PAR LES SÉNATEURS

Composée initialement d’un unique article, la proposition de loi a été complétée par trois nouveaux articles au Sénat, afin de répondre plus largement à la problématique du déclassement et d’éviter autant que possible dans le futur d’avoir à examiner de nouvelles propositions de loi « de circonstance ».

A. L’ARTICLE 1ER DE LA PROPOSITION DE LOI : LA RESTITUTION DES TÊTES MAORIES À LA NOUVELLE-ZÉLANDE

Comme souligné précédemment, l’intervention d’une loi avait déjà été rendue nécessaire pour permettre de régler le retour de « Saartjie Baartman », dite « la Vénus hottentote » vers l’Afrique du Sud(10). Mais il s’agissait alors d’une personne clairement identifiée et non d’un type de restes humains, en l’occurrence ici de têtes « naturalisées ».

L’article 1er de la proposition de loi dispose qu’à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, l’ensemble des têtes maories conservées par des musées de France cessent de faire partie de leurs collections pour être remises à la Nouvelle-Zélande. L’objectif de cette rédaction est clairement de laisser les modalités de restitution à l’appréciation des propriétaires des biens concernés – État ou collectivités locales. Les têtes ensuite restituées seront confiées par convention en dépôt au Musée national Te Papa de Nouvelle-Zélande jusqu’à identification de récipiendaire final de l’élément et mise en œuvre du transfert de propriété. Rappelons que les têtes ne seront pas exposées en Nouvelle-Zélande, mais bien enterrées selon les coutumes maories.

Cérémonie de restitution au Musée national Te Papa

Copyright : Musée Te Papa, Wellington NZ

Copyright : Musée Te Papa, Wellington NZ

L’article 1er de la proposition de loi semble donc relativement cohérent avec la position française s’agissant des restitutions de restes humains, énoncée notamment par le ministre des affaires étrangères dans un courrier à son homologue australien au sujet des restes aborigènes en 2006. Selon cette position, la France est prête à étudier, au cas par cas, les demandes de restitution de restes humains possédant une identité établie et ayant une relation parentale confirmée. La rapporteure estime qu’il ne s’agit clairement pas, à l’occasion de cette proposition de loi, de créer un précédent – plus complexe que celui de la « Vénus hottentote » en ce que la proposition de loi propose de restituer non pas un élément unique, mais une catégorie de biens des collections publiques. Dans le cas contraire, cela ferait peser un risque sur de nombreuses collections publiques.

Pour autant, la rapporteure le répète : elle est persuadée qu’une réflexion d’ensemble sur le statut de ces restes dans les musées est indispensable afin que la France puisse faire figure d’exemple, et non de « dernier de la classe », sur ce sujet sensible. Les musées conforteront ainsi la légitimité de leurs collections.

B. UNE PROPOSITION DE LOI ÉLARGIE À LA GESTION DES COLLECTIONS DES MUSÉES (ARTICLES 2 À 4)

La rapporteure partage le point de vue du rapporteur du Sénat, M. Philippe Richert, qui estime que la commission scientifique nationale des collections des musées de France (CSNCMF), créée par la loi relative aux musées de France de 2002, ne joue pas son rôle en matière de déclassement puisqu’elle n’a rendu à ce jour aucun avis (11). Or, selon les termes de l’article L. 451-5 du code du patrimoine, « les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables. Toute décision de déclassement d’un de ces biens ne peut être prise qu’après avis conforme » de cette commission. Seul ce déclassement permet le transfert de propriété de ces biens culturels, fondamental pour la gestion dynamique des collections, et, le cas échéant, leur restitution aux pays qui pourraient légitimement en faire la demande.

Le rapporteur du Sénat a donc souhaité que l’examen de la proposition de loi devienne l’occasion de faire avancer la question du rôle de cette commission dans la procédure de déclassement. Il s’agit ici, selon ses termes, de « ″ réactiver ″, tout en l’encadrant de fortes précautions, la procédure de déclassement de biens appartenant aux collections », l’idée étant de « redimensionner la commission scientifique nationale compétente en la matière, en élargissant sa composition et en lui fixant une « feuille de route » plus précise », sans que cela ait pour effet de mettre à mal l’intégrité des collections publiques françaises ou de « vider » les réserves des musées, constitutives de notre patrimoine national.

Dans cet esprit, trois articles additionnels ont été ajoutés à la proposition de loi pour créer une nouvelle commission de déclassement, à la composition et aux missions élargies. Ainsi, selon les termes de l’article 2 de la proposition de loi, la nouvelle « commission scientifique nationale des collections » remplacera la CSNCMF dans ses missions de déclassement. Elle devra notamment formuler des recommandations en matière de déclassement des biens appartenant aux collections publiques, donner – comme c’est actuellement le rôle de la CSNCMF – un avis sur les décisions de déclassement de biens appartenant aux collections des musées de France, mais également ceux du Fonds national d’art contemporain (FNAC). Elle aura aussi pour mission de conseiller les personnes publiques ou les personnes privées gestionnaires de fonds régionaux d’art contemporain (FRAC), dans l’exercice de leurs compétences en matière de déclassement ou de cession de biens culturels appartenant à leurs collections.

La composition de la commission est par ailleurs élargie à des personnalités qualifiées, aux représentants des collectivités territoriales, mais également aux parlementaires, alors que la CSNCMF comportait très majoritairement des scientifiques et des conservateurs, dont la liste est fixée par l’article 22 du décret n° n°2002-628 du 25 avril 2002 pris pour l’application de la loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France.

L’article 3 est de coordination.

L’article 4 précise que la commission devra remettre, un an après la publication de la loi, un rapport au Parlement établissant sa doctrine en matière de déclassement et de cession des biens appartenant aux collections.

Lors de son intervention devant les sénateurs, le ministre de la culture et de la communication a salué le caractère très opportun de cette initiative, dans la droite ligne du rapport Rigaud pour la modernisation de la gestion des collections.

La rapporteure estime qu’il faudra veiller à ce que la nouvelle commission puisse travailler dans un contexte dépassionné à l’élaboration de cette doctrine relative au déclassement. Le sujet reste en effet sensible et son traitement ne doit pas conduire à affaiblir le régime de la domanialité publique et de l’inaliénabilité des collections. La procédure de déclassement doit être fondée sur une démarche scientifique rigoureuse et mise en œuvre selon une procédure très encadrée. En ce sens, la rapporteure estime que la proposition de loi transmise par le Sénat apporte toutes les garanties.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.- DISCUSSION GÉNÉRALE

La Commission examine la présente proposition de loi au cours de sa séance du mercredi 7 avril 2010.

Mme Marianne Dubois. Je remercie la rapporteure pour la qualité de sa présentation.

Cette proposition de loi traite à la fois du cas particulier des têtes maories et d’une question plus générale : l’élargissement de la possibilité de déclassement de biens culturels appartenant aux collections publiques.

L’article 1er vise à permettre la restitution à leur pays d’origine des têtes maories qui font actuellement partie des collections publiques des musées de France. Il constitue une réponse aux difficultés juridiques qui ont surgi quand – ce qui n’avait pas de précédent en France – la ville de Rouen a décidé de remettre aux autorités néo-zélandaises une tête humaine tatouée et momifiée, conservée en dépôt depuis 1875 dans les collections du muséum municipal d’histoire naturelle. Invoquant le non-respect de la procédure de déclassement, le ministère de la culture a saisi le tribunal administratif, lequel a annulé la décision de la municipalité. La cour administrative d’appel de Douai a confirmé en juillet 2008 que la ville de Rouen n’était pas fondée à autoriser la restitution de ce bien sans respecter la procédure de déclassement.

Par ailleurs, la proposition de loi tire les conséquences de l’inaction de la commission scientifique nationale des collections des musées de France, chargée par la loi de 2002 de rendre des avis sur les décisions de déclassement. Les trois articles ajoutés visent à créer une nouvelle « commission scientifique nationale des collections », à la composition élargie et aux attributions plus étendues, et dotée d’une « feuille de route » plus précise.

Le texte a été voté à l’unanimité au Sénat, après avis favorable du Gouvernement.

Cette demande de restitution est portée par la Nouvelle-Zélande dans une démarche exemplaire de respect et de délicatesse. Peu d’arguments valables peuvent être opposés à une restitution que soutient la communauté scientifique dans sa grande majorité. Notre pays s’honorerait en y répondant favorablement.

La proposition de loi n’a nullement pour finalité de mettre à mal l’intégrité de nos collections publiques et de vider nos musées. Au contraire, notre politique en matière de musées aurait plus à perdre qu’à gagner si elle esquivait plus longtemps une réflexion indispensable et de nature à consolider, au bout du compte, la légitimité de nos collections et du principe d’inaliénabilité.

La commission scientifique nationale des collections se voit attribuer un rôle concret, minutieusement encadré par la loi. Elle devra notamment établir une forme de doctrine en matière de déclassement ou de cession.

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera ce texte en l’état.

Mme Valérie Fourneyron. Les députés socialistes se réjouissent de l’examen de cette proposition de loi, et moi tout particulièrement, en tant que maire de Rouen. J’étais d’ailleurs intervenue auprès du président de l’Assemblée pour que cette discussion ne tarde pas. En effet, si la décision de 2007 a été prise par l’équipe municipale précédente, celle de faire appel l’a été par l’équipe actuelle : il y a eu, en l’espèce, continuité, madame la rapporteure, et vous auriez pu le souligner. Cependant, nous sommes reconnaissants au groupe Nouveau Centre d’avoir inscrit cette proposition dans sa « niche » et nous vous remercions de votre travail.

La France n’a que trop tardé à traiter ce dossier pudiquement dit des « objets sensibles ». Certes, le débat a été ouvert en 2002, lorsqu’il s’est agi de restituer la dépouille de Saartjie Baartman, la « Vénus hottentote », mais l’on s’est alors borné à régler ce cas. C’est donc la ville de Rouen qui a relancé le mouvement par son initiative et je tiens à ce propos à rendre hommage au conservateur de notre muséum d’histoire naturelle, Sébastien Minchin, qui a su convaincre les deux équipes municipales de l’importance de ce dossier.

Je ne reviendrai pas sur la bataille juridique que nous avons menée – et perdue par deux fois, parce que nous n’avions pas sollicité l’avis de la commission scientifique. Nous nous félicitons d’autant plus du changement d’attitude du ministère de la culture, qui avait probablement été soumis auparavant à la pression de la part de certains lobbies.

Sur le sujet, la France se situe parmi les plus mauvais élèves de tous les pays concernés : la Suisse, la Grande-Bretagne, le Danemark, les Pays-Bas et d’autres ont déjà restitué plus de trois cents têtes maories. Or, et mon collègue sénateur de Polynésie avec qui je m’en suis entretenue insiste aussi en ce sens, il est clair qu’il faut permettre au peuple maori de rendre aux restes de ces combattants les honneurs que ses traditions exigent. On ne saurait en tout cas assimiler ces « objets » à d’autres types de collections.

Madame la rapporteure, on fait souvent état d’une douzaine de têtes conservées dans les collections de nos musées, mais le ministère de la culture a-t-il procédé à un recensement précis ?

D’autre part, vous rappelez que l’article L. 451-7 du code du patrimoine, aux termes duquel « les biens incorporés dans les collections publiques par dons et legs ne peuvent être déclassés », pose une difficulté juridique dans ces affaires de restitution. Pouvez-vous nous garantir que la proposition de loi lève cet obstacle ?

L’actualité le montre avec la restitution à l’Égypte, par les États-Unis, d’un sarcophage de pharaon : le débat est maintenant largement ouvert sur la nécessité de rendre aux pays d’origine des biens qui n’auraient jamais dû cesser de leur appartenir. Les articles ajoutés au Sénat à l’initiative du rapporteur Richert sont donc pleinement justifiés : il faut que la République s’organise pour répondre à ces demandes de restitution.

M. Marcel Rogemont. Ces demandes, qui ne sont pas nouvelles, vont en effet se multiplier et elles sont légitimes, même si la réponse à y donner n’est pas simple – pensons par exemple au cas des frises du Parthénon. Tous les pays ont autant que nous droit à une activité muséographique et l’effort que fait l’Afrique pour se doter de musées ne peut rester sans effet sur l’intégrité de nos collections, dont une partie a été « importée » de ce continent. La loi de 2002 traitait en partie la difficulté dans la mesure où elle créait une commission scientifique chargée de donner un avis conforme sur les décisions de déclassement, et il est donc dommage que cette commission ne se soit jamais saisie de cette question des têtes.

Cela étant, je m’interroge sur la composition de la nouvelle commission. Que sa compétence soit étendue aux FRAC ne me gêne pas, mais, comment justifier que des représentants des collectivités et les parlementaires qui doivent en faire partie puissent faire entendre leur avis alors qu’ils participent également à la gestion des associations privées responsables de certains de ces fonds ? J’aurais préféré que cette commission « scientifique » ne soit composée que de scientifiques. Cela étant, cela ne m’empêchera pas de voter, comme Mme Fourneyron, cette proposition de loi.

Mme Marie-Hélène Amiable. Nous soutiendrons ce texte. Il n’est pas normal que ces têtes soient considérées comme des biens culturels avant que de l’être pour ce qu’elles sont : des restes humains, et il importe donc d’effacer cette autre séquelle de la période coloniale. Nous devons pleinement reconnaître les droits des peuples autochtones et leur accorder réparation, comme nous y invitent depuis une quarantaine d’années, mais plus spécialement depuis septembre 2007, les Nations Unies. Dans son code de déontologie, le Conseil international des musées (ICOM) insiste d’ailleurs, également, sur la nécessité de « répondre avec diligence, respect et sensibilité » aux demandes de retrait et de restitution, présentées par la communauté d’origine, « de restes humains ou d’objets à portée rituelle exposés au public » – position reprise par le ministre des affaires étrangères français dès 2006.

La présente demande est présentée par un gouvernement démocratiquement élu et par un peuple vivant, dont les traditions perdurent. Elle se justifie pleinement au regard du principe de dignité humaine et porte sur des restes dont l’intérêt scientifique est loin d’être démontré. Toutes les conditions sont donc réunies pour effectuer cette restitution.

Cela étant, je fais mienne l’interrogation de Mme Fourneyron sur la difficulté que pose l’article L. 451-7 du code du patrimoine et, comme M. Rogemont, je me demande si des élus ont bien leur place au sein de la nouvelle commission scientifique. Enfin, attachés au principe de l’inaliénabilité des biens constituant les collections publiques, nous nous montrerons vigilants quant aux orientations que donnera cette commission en matière de déclassement, et nous lirons donc attentivement son rapport.

Mme la rapporteure. Je vous remercie de votre soutien, mesdames Dubois et Fourneyron. Le conservateur du muséum d’histoire naturelle de Rouen m’a fourni plusieurs documents utiles pour la rédaction de ce rapport, mais je n’ai malheureusement pu l’auditionner comme je l’aurais souhaité, faute de temps. Il est indéniable que la France a pris du retard dans sa réflexion sur cette question des restes humains. Pour ce qui est du nombre de têtes susceptibles d’être concernées, le ministère de la culture nous a transmis ce matin un inventaire qui l’établit à seize.

La proposition de loi résout la difficulté juridique dont vous vous inquiétez – et dont je me suis d’ailleurs moi-même initialement inquiétée – : elle autorise, par dérogation, le déclassement de ces têtes léguées ou données aux musées.

Monsieur Rogemont, l’équilibre était difficile à trouver entre la mission universelle de nos musées et la préservation de nos collections, d’une part, et la satisfaction de demandes légitimes des pays d’origine de ces biens, d’autre part. Ces demandes sont traitées au cas par cas, mais la profession s’honorerait effectivement de réfléchir sérieusement à la question. D’où l’intérêt du rapport prévu à l’article 4.

La commission sera très majoritairement composée de scientifiques : elle ne comportera que deux parlementaires et trois représentants des collectivités sur vingt et un membres.

M. Marcel Rogemont. Elle sera saisie par des musées, c’est-à-dire par l’État ou par des collectivités territoriales, ou bien par des associations gérant les FRAC, qui le feront nécessairement après avoir pris l’avis des collectivités concernées : je trouve dommage que celles-ci se retrouvent juges et parties.

Mme la rapporteure. Cela ne répondra sans doute que partiellement à votre interrogation, mais les projets de déclassement sont toujours présentés par les professionnels du musée demandeur, et non les élus. D’autre part, vous savez bien que les politiques tiennent à être informés de beaucoup de choses…

Je vous remercie également de votre soutien, madame Amiable. Nous allons nous efforcer de rattraper notre retard. Les biens légués ou donnés ne peuvent effectivement pas être déclassés, mais, je le répète, la proposition autorise à déroger à cette règle.

II.- EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Restitution des têtes maories

L’article 1er de la proposition de loi vise à permettre la restitution des têtes maories actuellement détenues en France à la Nouvelle Zélande.

Rappelons qu’il existe un précédent puisqu’en 2002, le Parlement s’était penché sur le cas de Saartjie Baartman, dite la « Vénus hottentote », femme originaire d’Afrique du Sud dont le corps fut exhibé, puis conservé dans les réserves du Muséum national d’histoire naturelle. La loi n° 2002-323 du 6 mars 2002 relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud, composée d’un unique article, disposait qu’à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi, « les restes de la dépouille mortelle de la personne connue sous le nom de Saartjie Baartman cessent de faire partie des collections de l’établissement public du Muséum national d’histoire naturelle ». L’autorité administrative disposait ensuite de deux mois pour les remettre à la République d’Afrique du Sud. Il faut rappeler qu’en matière de collections nationales, l’État est le seul et unique propriétaire et que les musées nationaux ont « la garde » des collections qui leur sont confiées. En 2002, c’est comme « autorité administrative » compétente que le ministère de la recherche, ministère de tutelle du Muséum, avait ainsi agi en lien avec ce dernier, établissement muséal affectataire de la dépouille.

Pour autoriser cette restitution, le législateur avait estimé en 2002 que plusieurs conditions cumulatives devaient être remplies, conditions qui sont également remplies dans le cas des têtes maories. La rapporteure tient ici à les rappeler pour mémoire :

– la demande de retour doit constituer une position constante et émaner d’un gouvernement démocratiquement élu, ce qui est le cas du gouvernement néo-zélandais, qui a mandaté le Musée national Te Papa pour piloter un programme de rapatriement des restes humains maoris ;

– la demande doit être portée par un peuple vivant, dont les traditions perdurent, ce qui est clairement le cas des Maoris ;

– la restitution doit être justifiée tant au regard du principe de dignité humaine que dans la perspective du respect des cultures et croyances des autres peuples. C’est bien le cas de ces têtes puisqu’il s’agit de restes humains collectés dans des conditions douteuses, et non de biens culturels ordinaires. Par ailleurs, il ne s’agit pas pour la Nouvelle-Zélande d’exposer ces têtes, mais de permettre aux Maoris d’offrir à leurs ancêtres une sépulture digne, conforme à leurs rites ;

– enfin, l’intérêt scientifique des biens culturels n’est pas démontré. Ces têtes sont en effet entrées dans les collections des musées en tant qu’objets de curiosité mais n’ont pas fait l’objet de recherches scientifiques. Si l’on considère malgré tout qu’il s’agit d’un témoignage historique et culturel intéressant, les méthodes actuelles de numérisation permettront d’en conserver la mémoire.

Dans sa rédaction initiale, l’article 1er dispose qu’à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi, les têtes maories conservées au sein des musées bénéficiant du label « musées de France » cessent de faire partie de leurs collections.

Le label « Musée de France »

Il a été créé par la loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France précitée, loi qui se substitue à l’ordonnance n°45-1546 du 13 juillet 1945 portant organisation provisoire des musées des beaux-arts. Les « musées de France » ont pour mission de conserver des collections reconnues d’intérêt public dans le cadre d’une mission de service public ou du moins d’utilité publique. Cette loi réaffirme les missions patrimoniales des musées mais dispose également qu’ils doivent remplir des missions d’éducation et de diffusion culturelles et inscrire leur politique tarifaire dans le cadre d’une politique culturelle(12). Ce label permet l’harmonisation du statut des musées reconnus par l’État, quelle que soit leur tutelle administrative, et définit un corpus minimum de règles communes afin de garantir la protection des collections, l’accessibilité au public, etc. et de mettre un terme aux disparités précédemment constatées entre musées de droit public et de droit privé.

L’article L. 441-1 du code du patrimoine dispose que « l’appellation « musée de France » peut être accordée aux musées appartenant à l’État, à une autre personne morale de droit public ou à une personne morale de droit privé à but non lucratif ». Peuvent donc recevoir ce label les musées nationaux, les musées de l’État dont le statut est établi par décret, les anciens musées classés, ainsi que ceux qui sont reconnus comme « musées de France » par le ministre de la culture après avis du Haut Conseil des musées de France. Lorsqu’il dispose du label, le musée signe une convention avec l’État, qui lui apporte conseil et expertise. En contrepartie, il est soumis au contrôle scientifique et technique de l’État.

Il existait plus de 1 100 Musées de France sur le territoire en 2008.

Selon les informations fournies par le ministère de la culture, seize têtes ont déjà été repérées en France :

– sept au musée du Quai Branly, issues des collections du Musée de l’Homme ;

– deux têtes appartiennent à des musées dépendant de collectivités territoriales : une se trouve au Musée de la Vieille Charité à Marseille((13), une au Musée des Beaux-Arts de Dunkerque ;

– quatre se trouvent dans des muséums dépendant de collectivités territoriales : une au Muséum de Lille((14), une au Muséum de Lyon ((15), une au Muséum de Nantes et une au Muséum de Rouen ;

– une tête appartient aux collections du musée de la Marine du ministère de la Défense et a été déposée au muséum de la Rochelle ;

– deux têtes se trouvent au musée de médecine de l’université de Montpellier. Ce musée n’est pas un musée de France. Selon le ministère de la culture, « le statut des collections universitaires mérite[ra] d’être éclairci pour traiter le cas » de ces têtes.

Dans sa rédaction issue du Sénat, suite à l’adoption d’un amendement du rapporteur, l’article 1er prévoit la remise des têtes à la Nouvelle-Zélande. Il s’agit par cet ajout d’éviter qu’un musée ne se sépare d’une de ces têtes, sans la rendre pour autant à la Nouvelle-Zélande. La précision est également utile en ce qu’elle rappelle qu’il ne s’agit pas d’une revendication d’ayants droit directs mais que cette remise intervient dans un cadre de relations entre États souverains. À défaut, l’article 1er aurait posé un principe général de restitution qui aurait été à l’encontre de la politique française en la matière, qui prévoit une étude au cas par cas des demandes de restitution.

La rédaction retenue ménage par ailleurs les compétences des différents intervenants puisqu’elle se borne à prévoir la radiation de ces têtes des inventaires des collections des musées de France, sans entraîner de transfert de propriété. En effet, pour qu’une personne publique puisse disposer d’un bien, celui-ci doit passer de son domaine public à son domaine privé. Le déclassement n’est ainsi pas synonyme d’aliénation. Il permet simplement de faire passer un bien du domaine public vers le domaine privé. Ensuite, l’autorité administrative décide ou non d’en disposer.

L’expression « cessent de faire partie » vise donc d’une manière volontairement large la sortie des têtes maories des collections des musées de France. La décision d’aliéner – c’est-à-dire de transférer la propriété – du bien en question restera l’apanage des instances délibérantes de chaque collectivité de tutelle propriétaire des collections « – dont le musée n’est que l’affectataire et le « gardien » – selon les règles de droit commun de la domanialité publique ». La décision d’aliéner sera prise « par arrêté s’il s’agit de l’État et par délibération de l’assemblée délibérante pour les collectivités territoriales »(16). En effet, une disposition qui ferait directement sortir de la propriété des collectivités locales un élément de leur domaine public ou lierait leur décision de l’aliéner ne paraît pas compatible avec les principes constitutionnels.

Par ailleurs, selon le ministère de la culture, l’utilisation du terme « remise » est préférable à celui de « restitution » « dont la connotation symbolique forte risque de créer des amalgames avec d’autres situations de revendications de biens appartenant aux collections publiques françaises ».

Les dispositions prévues dérogent donc au droit commun de la gestion des collections des musées, gestion régie par la loi du 4 janvier 2002 précitée, aujourd’hui codifiée dans le code du patrimoine. L’article 11 de la loi de 2002, codifié aux articles L. 451-3 à L. 451-10 du code du patrimoine, prévoit en effet clairement que les collections des musées de France sont imprescriptibles et inaliénables, du fait de leur appartenance au domaine public. De ce fait, selon les termes de l’article L. 451-5 du même code, toute décision de déclassement d’un de ces biens ne peut être prise qu’après avis conforme d’une commission scientifique. Dans le cas contraire, l’article L. 451-4 du code précité prévoit que la cession est nulle.

Lors des débats, tant en commission qu’en séance, M. Richard Tuheiava, sénateur de la Polynésie Française, souhaitait fixer un délai de remise de ces têtes à la Nouvelle-Zélande afin d’éviter toute mesure dilatoire et, de ce fait, vider la proposition de loi de sa substance. Le rapporteur de la commission de la culture a estimé préférable de s’en tenir à la rédaction de la proposition de loi validée en commission, les autorités néo-zélandaises elles-mêmes n’étant pas favorables à l’inscription d’un tel délai dans la loi.

En effet, selon le rapporteur du Sénat, « les cérémonies qui précédent l’accueil des ancêtres, qui pourront avoir lieu dans un ou plusieurs musées, et le rapatriement des têtes prendront peut-être plus de temps que prévu. [L’ambassadeur de Nouvelle-Zélande en France] préférerait qu’aucune date butoir ne soit fixée afin que les procédures puissent se dérouler dans des conditions sereines et respectueuses de la façon dont les tribus souhaitent réintégrer leurs ancêtres dans leur mémoire et leur existence » (17).

Le ministère de la culture, interrogé par la rapporteure, a confirmé que, lors d’une réunion au Quai d’Orsay en décembre 2009, Mme Sarah Dennis, ambassadeur de Nouvelle-Zélande en France, a attiré l’attention des autorités françaises sur le délai indispensable à la préparation de la réception des têtes maories. Elle demandait à la France de prévoir un temps assez long dans le calendrier entre l’adoption de la loi et le rapatriement effectif des têtes. Pour autant, le gouvernement néo-zélandais souhaiterait que tout soit mis en œuvre pour une remise avant la tenue de la Coupe du monde de rugby à XV, qui se tiendra en Nouvelle-Zélande du 9 septembre au 23 octobre 2011.

*

La commission adopte l’article 1er sans modification.

Article 2

Commission scientifique nationale des collections

Il s’agit ici de rénover la composition et les missions de la commission scientifique prévue par le deuxième alinéa de l’article L. 451-5 du code du patrimoine.

En l’état actuel du droit, le deuxième alinéa de l’article L. 451-5 du code du patrimoine dispose que toute décision de déclassement d’un bien appartenant aux collections des musées de France « ne peut être prise qu’après avis conforme d’une commission scientifique dont la composition et les modalités de fonctionnement sont fixées par décret », le premier alinéa de ce même article instituant le principe de l’inaliénabilité des collections publiques.

Comme le souligne le rapporteur Richert, à l’origine de cette disposition relative au déclassement en 2002, il s’agit d’éviter la sanctuarisation des collections des musées qui « relève d’une conception très conservatrice qui ne tient compte ni de la diversification des collections ni de l’évolution de la conception de musée et se heurte à plusieurs limites : d’abord, un tel principe est peu adapté aux institutions à vocation scientifique ou technique, dont les collections doivent tenir compte des progrès de la connaissance ; en outre, l’évolution des missions des musées exige des conservateurs une gestion plus dynamique de leurs collections ; enfin, ce principe impose aux collectivités territoriales une contrainte de gestion très forte sur leurs musées » (18).Pour autant, le recours à une instance scientifique devait permettre d’éviter des déclassements injustifiés et apporter les garanties nécessaires à la préservation des collections.

L’inaliénabilité des collections publiques (19)

En France, le premier alinéa de l’article L. 415-5 du code du patrimoine, issu de la loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France, dispose que « les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables ». La cession de tels biens suppose donc, comme pour tous les autres éléments du domaine public, une décision préalable de déclassement, prise par l’autorité compétente.

Le code du patrimoine assortit en outre le statut des collections des musées de France d’une protection supplémentaire par rapport aux autres éléments du domaine public. En effet, en vertu du second alinéa l’article L. 415-5 précité, « toute décision de déclassement d’un de ces biens ne peut être prise qu’après avis conforme d’une commission scientifique dont la composition et les modalités de fonctionnement sont fixées par décret ».

À cet effet, le décret n° 2002-628 du 25 avril 2002 institue, dans son article 16, une commission scientifique nationale des collections des musées de France, principalement composée de scientifiques éminents, chargée d’émettre son avis sur les demandes de déclassement.

Le cadre juridique actuel offre donc aux collections publiques un régime dont le caractère est particulièrement protecteur. À l’étranger, les solutions retenues sont diverses puisque, par exemple, l’État espagnol peut aliéner les œuvres de ses collections au profit d’autres collectivités publiques et qu’en Allemagne et au Royaume-Uni, la loi prévoit une protection particulière des collections publiques mais sans poser pour autant le principe de leur inaliénabilité (20).

C’est pourquoi la ministre de la culture et de la communication avait confié à Jacques Rigaud le soin de conduire une mission de concertation, de réflexion et de proposition sur ce sujet.

M. Rigaud a remis son rapport le 6 février 2008 (21). Le rapport conforte le caractère inaliénable des collections publiques, soulignant la difficulté d’apprécier celles des œuvres qui mériteraient d’être remises en circulation au lieu d’être conservées dans les collections publiques, compte tenu du caractère contingent de ce type de jugement, largement tributaire de l’état de la recherche historique et du goût dominant à un moment donné.

Pour autant, le rapport préconise une réforme de la commission scientifique nationale des collections des musées de France qui serait ainsi mieux à même de développer une doctrine sur la question du déclassement.

Par ailleurs, le précédent du déclassement de la Vénus hottentote avait conduit la représentation nationale à prendre conscience des enjeux et des questions juridiques et éthiques posées par la présence de tels restes humains dans les collections.

La « commission scientifique nationale des collections des musées de France » a été créée par les articles 16 et suivants du décret n° 2002-628 du 25 avril 2002 pris pour l’application de la loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France et constituée en 2003. Selon les termes de l’article 16 de ce décret, elle devait émettre des avis tant sur certains projets d’acquisition et de restauration dans des cas précisément listés par le décret que sur les demandes de déclassement en application du deuxième alinéa de l’article L. 451-5 du code du patrimoine.

L’article 23 du décret prévoit que chaque projet est présenté par un professionnel du musée demandeur, après avoir été adressé par celui-ci « au grand département compétent ». Ces « grands départements » sont ceux mentionnés à l’article 2 du décret n° 45-2075 du 31 août 1945 portant application de l’ordonnance relative à l’organisation provisoire des musées des Beaux-arts modifié par un décret du 21 août 2008. Il s’agit des antiquités nationales, des antiquités grecques et romaines, des antiquités égyptiennes, des antiquités orientales, des peintures, des sculptures, des objets d’art, de Versailles, des arts asiatiques (musée Guimet), d’Orsay, des arts et civilisations d’Afrique, Asie, Océanie et Amériques (musée du Quai Branly), du XXe siècle, des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, des arts de l’Islam.

Selon les termes de l’article 22 du même décret, la commission est aujourd’hui présidée par le directeur général des patrimoines et comprend vingt-quatre membres de droit (les présidents du musée du Louvre et du musée d’Orsay, les directeurs des musées de Versailles, Guimet, Picasso, Branly, Saint-Germain, les conservateurs chargés des grands départements du Louvre, les directeurs ou responsables des collections du musée national d’art moderne, du Muséum national d’histoire naturelle, du Conservatoire national des arts et métiers, de la Bibliothèque nationale de France, du centre de recherche et de restauration des musées de France, les inspections, etc.), six professionnels (conservateurs et universitaires) choisis par le directeur général des patrimoines et quatre personnalités désignées par le ministre de la culture en raison de leur compétence scientifique, dont trois sur la proposition respective des ministres de la recherche, de la défense et de la jeunesse et des sports.

La commission ne peut statuer qu’en formation plénière s’agissant des déclassements et à la majorité, « tout à fait inhabituelle », selon les termes du rapport Rigaud, des trois quarts des membres qui la composent, en application de l’article 23 du décret.

Mais, alors que la commission s’est régulièrement réunie pour rendre des avis sur des projets d’acquisition et de restauration, elle n’a jamais eu à statuer sur des demandes de déclassement et n’a donc pu développer aucune doctrine claire sur cette question. Ce droit du déclassement est donc resté « virtuel », comme le souligne là encore le rapport Rigaud : « d’une compétence scientifique garantie, et représentative de l’ensemble des collections publiques au-delà des seules collections artistiques, cette commission répondait bien à l’attente exprimée par le législateur. [Mais elle n’a] jamais eu à statuer sur un problème de déclassement. (…) Ainsi, nous sommes en présence d’une loi qui, tout en affirmant le principe de l’inaliénabilité des collections publiques des musées, a prévu la possibilité de céder des œuvres, selon une procédure « très encadrée ». Force est cependant de constater que, depuis son institution il y a plus de quatre ans, cette procédure n’a fait l’objet d’aucun début d’application. Il faut donc en conclure : ou bien qu’elle était sans objet et donc parfaitement inutile ; ou bien que le ministère de la culture, la direction des musées de France, les responsables des grands musées nationaux et l’ensemble de la communauté scientifique des musées ont considéré qu’elle était inapplicable, voire dangereuse. Il aurait été plus digne que cette communauté prenne ses risques et le dise ouvertement. Ainsi, le « droit du déclassement » des œuvres appartenant aux collections publiques, expressément voulu par le législateur en 2002, est jusqu’à nouvel ordre un droit virtuel » (22).

S’interrogeant sur « l’inertie manifeste de l’institution muséale », M. Rigaud est très sévère avec les professionnels et l’administration, regrettant que le ministère de la culture, la direction des musées de France – aujourd’hui intégrée à la direction générale des patrimoines – et les grands musées nationaux n’aient tenu pratiquement aucun compte de la volonté du législateur sur « un problème important ayant fait l’objet d’études approfondies de la part de parlementaires, avec, en fin de débat, l’accord explicite du gouvernement ».

Comme M. Rigaud, la rapporteure estime qu’il aurait été « convenable » que quelques grands musées « se soient posés, spontanément ou à la demande expresse de la direction des musées de France, le problème du déclassement, fût-ce à titre expérimental, et ne serait-ce que pour démontrer qu’il était dangereux, inopérant ou sans intérêt. Que l’exercice ait été ou non probant, on serait assurément plus avancé qu’aujourd’hui, où, faute de la moindre initiative de la part des responsables des musées, le problème se trouve relancé d’une manière officielle qui oblige à la fois le ministère et ses services et le corps des conservateurs à prendre enfin leurs responsabilités ».

Les professionnels ne s’étant pas saisis du sujet, c’est l’objet du présent article, ainsi que de l’article 4 de la présente proposition de loi, qui visent à redimensionner la commission tout en lui fixant un délai pour développer ses orientations en matière de cession et de déclassement des biens appartenant aux collections.

Rappelons que M. Rigaud posait quelques conditions à la réforme de cette commission dans son rapport :

– la commission devra continuer à opérer au cas par cas « et non pas, comme le suggérait le rapport Jouyet-Lévy (23), par un classement général et définitif des œuvres, les unes inaliénables, toutes les autres pouvant être louées ou vendues » ;

– l’initiative de la proposition de déclassement devra toujours venir des responsables scientifiques de la collection en cause ;

– la seule commission compétente doit rester la commission scientifique nationale, à l’exclusion des commissions régionales, « afin de maintenir une unité de doctrine sur l’ensemble du territoire » ;

– le principe selon lequel les biens incorporés dans les collections publiques par dons et legs ne peuvent être déclassés doit être maintenu. Il doit continuer à en être de même, pour les collections ne relevant pas de l’État, s’agissant des biens acquis avec l’aide de l’État.

L’article 2 de la présente proposition de loi ne remet en cause aucun de ces principes, se bornant à diversifier la composition de la commission de déclassement, tout en élargissant ses missions. Sont ainsi créés deux nouveaux articles au sein d’un nouveau chapitre 5 intitulé « Commission scientifique nationale des collections ». Ce chapitre s’insère à la fin du Titre Ier relatif à la protection des biens culturels au sein du Livre Ier du code du patrimoine. Il s’agit ici de tenir compte de l’élargissement du champ d’intervention de la commission.

L’article L. 115-1 liste précisément les missions de la commission et l’article L. 115-2 précise sa composition.

• Les missions de la commission scientifique nationale des collections

L’alinéa 4 du présent article définit le périmètre d’action de la nouvelle commission en disposant qu’elle devra conseiller, d’une part, les personnes publiques et, d’autre part, les personnes privées gestionnaires de fonds régionaux d’art contemporain (FRAC), dans l’exercice de leurs compétences en matière de déclassement ou de cession de biens culturels appartenant à leurs collections, « à l’exception des archives et des fonds de conservation des bibliothèques ». Cette exception affichée s’agissant des archives et des bibliothèques se justifie par leurs réglementations spécifiques et leurs pratiques fondées sur le tri et la sélection s’agissant des archives et sur la pratique dite du « désherbage » pour les bibliothèques (24).

Rappelons que les FRAC ont été créés en 1982 pour la constitution de collections d’art contemporain en région et sont aujourd’hui au nombre de vingt-trois.

Les fonds régionaux d’art contemporain

Les « FRAC » ne sont pas des musées et leurs collections ne sont pas des « collections publiques » au sens de la loi de 2002. On est là en présence d’« OVNI » juridiques. Dans un pays où tout ou presque commence par des lois et des décrets, on chercherait en vain dans notre arsenal juridique surabondant un « statut » des FRAC, qui sont un rare exemple de création purement empirique.

Les Fonds sont des associations de la loi de 1901 et donc des organismes de droit privé à but non lucratif, mais qui assument une mission de service public. Ils tirent l’essentiel de leurs modestes ressources de subventions versées, en principe à parité, par l’État et par les régions. Constitués à partir de 1982 à l’initiative de Jack Lang, alors ministre de la culture, pour diversifier le soutien public à la création dans le domaine des arts visuels en y associant les régions, alors naissantes, ils avaient pour tâche d’acquérir dans chaque région un ensemble d’œuvres d’art vivant destinées à circuler et à être ainsi offertes au regard des publics les plus divers par des voies qui se voulaient novatrices et dans des lieux non classiques.

Source : Rapport Rigaud, février 2008.

Ce sont très majoritairement des structures de droit privé, de type associatif. Seuls quatre FRAC sont « portés » par des organismes de droit public :

– la Réunion dispose d’un FRAC constitué en établissement public de coopération culturelle (EPCC) ;

– le FRAC de Midi-Pyrénées est allié à un musée d’art contemporain. Il réunit la Région Midi –Pyrénées et la Ville de Toulouse au sein d’un syndicat mixte ;

– la Région Franche-Comté et, depuis 1998, la Corse, gèrent leur FRAC en régie.

Hormis ces quatre cas de gestion publique – qui pourraient se développer à l’avenir avec la transformation de certains FRAC en EPCC –, les FRAC ne sont, dans leur très grande majorité, pas concernés par le principe d’inaliénabilité car ils sont principalement constitués sous forme d’associations à but non lucratif. Pour autant, les dispositions prévues par le présent alinéa permettront aux œuvres contemporaines acquises par les FRAC de bénéficier de la même qualité d’expertise et de protection que les œuvres plus anciennes également concernées par l’alinéa.

Les alinéas 5 à 9 déclinent ensuite plus précisément les modalités d’exercice des missions de la commission. Elle devra, en premier lieu (alinéa 6), et en amont des demandes de déclassements ou de cession, définir des recommandations en matière de déclassement des biens des musées de France, du Fonds national d’art contemporain ou du Centre national d’art plastique. Elle devra par ailleurs définir des recommandations en matière de cession des biens des FRAC. Enfin, elle pourra également être consultée, par les autorités compétentes pour procéder à de tels déclassements ou cessions, « sur toute question qui s’y rapporte ».

Elle devra, en deuxième lieu (alinéa 7), donner un avis conforme sur les décisions de déclassement des biens appartenant aux collections des musées de France, au Fonds national d’art contemporain (FNAC) ou au Centre national des arts plastiques (CNAP). S’agissant des collections des musées de France, la disposition ne fait que reprendre la procédure actuelle, prévue à l’article L. 451-5 du code du patrimoine, tout en la détaillant.

Le Fonds national d’art contemporain et le Centre national des arts plastiques

Le Centre national des arts plastiques, créé par un décret du 15 octobre 1982, est un établissement public de l’État qui a pour mission le soutien et la promotion de la création artistique dans ses différentes formes d’expression plastique, ainsi que l’enrichissement, la valorisation et la diffusion du patrimoine artistique contemporain de l’État. Son principal instrument d’action est le Fonds National d’art contemporain, (FNAC) héritier lointain d’un service né en 1791, nommé successivement « Bureau des Beaux-Arts » et « Bureau des travaux d’art ». Lorsqu’il prit en 1976 son actuelle dénomination, ses collections historiques, appelées « Dépôt de l’État », représentaient environ 55 000 œuvres, toutes acquises en leur temps

auprès d’artistes vivants. Depuis le début des années 80, sa collection s’est accrue de plus de 35 000 nouvelles œuvres d’art contemporain.

Source : Rapport Rigaud, février 2008

S’agissant du FNAC et du CNAP, rappelons qu’en l’état actuel du droit, aux termes de l’article L. 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques, les œuvres et objets d’art contemporain acquis par le Centre national des arts plastiques ainsi que les collections d’œuvres et objets d’art inscrites sur les inventaires du Fonds national d’art contemporain dont le centre reçoit la garde sont inaliénables.

En troisième lieu, reprenant là encore la procédure prévue à l’article L. 451-5 du code du patrimoine, la commission devra rendre un avis sur les décisions de déclassement de biens culturels appartenant aux autres collections qui relèvent du domaine public (alinéa 8). Ces « autres collections » recouvrent principalement les collections publiques du Mobilier national et de la Manufacture nationale de Sèvres, les objets mobiliers classés au titre de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques et les objets mobiliers présentant un intérêt historique ou artistique devenus ou demeurés propriété publique en application de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’État. Comme pour le CNAP et le FNAC, en l’état actuel du droit, aux termes de l’article L. 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques, ces collections sont inaliénables.

La proposition de loi distingue donc très clairement les collections des musées de France, du CNAP et du FNAC, pour lesquelles la commission devra rendre un avis conforme, des autres collections, pour lesquelles un avis simple sera suffisant. En effet, pour ces dernières, la démarche scientifique de constitution des collections est moins encadrée et un avis conforme ne se justifierait pas.

En quatrième lieu, la commission pourra être saisie par les personnes privées gestionnaires de fonds régionaux d’art contemporain (FRAC), lorsque les collections n’appartiennent pas au domaine public, sur les décisions de cession portant sur les biens qui les constituent (alinéa 9).

Rappelons que les FRAC associatifs sont en théorie régis par le droit privé et pourraient donc céder les biens constituant leurs collections, même si ce cas de figure ne s’est, à ce jour, jamais présenté. Malgré tout, leur mission d’intérêt général est confortée par leur financement quasi-exclusivement public par l’État et les régions. Par ailleurs, selon les informations communiquées par le ministère de la culture, les statuts de ces FRAC associatifs comportent tous une stipulation par laquelle les associés s’engagent contractuellement à ne pas céder une œuvre ou un objet d’art de leur collection.

C’est bien pourquoi, toujours selon le ministère, « il n’y aurait que des avantages à leur apporter l’opportunité de la sécurité juridique et de la compétence scientifique d’une commission de très haut niveau, comme c’est le cas pour les œuvres et objets des collections publiques muséales et ce, dans le respect de la volonté des collectivités territoriales, partenaires très actifs dans ces FRAC, en cas de désir de cession d’une ou plusieurs œuvres ».

• La composition de la commission scientifique nationale des collections

Le nouvel article L. 115-2 du code du patrimoine encadre la composition de la commission scientifique nationale des collections, auparavant uniquement régie par l’article 22 du décret n° 2002-628 du 25 avril 2002 précité.

L’alinéa 10 précise que la commission devra comprendre :

– un député et un sénateur ;

– des représentants de l’État et des collectivités territoriales, puisqu’ils sont propriétaires des biens des collections ;

– des professionnels de la conservation ;

– des personnalités qualifiées.

Il s’agit ici d’élargir la composition de la commission au-delà des seuls conservateurs et scientifiques déjà présents, pour intégrer d’autres disciplines scientifiques ou artistiques, comme des historiens de l’art, des anthropologues, des ethnologues, des philosophes, les questions de déclassement pouvant « renvoyer à des sujets éminemment sensibles et à des questions éthiques, comme tel est le cas en matière de restes humains notamment », selon les termes du rapporteur du Sénat.

Selon les informations communiquées par le ministère de la culture, dès l’adoption de la proposition de loi par le Sénat en juin 2009, la direction des musées de France a réfléchi à un projet de décret d’application, afin notamment de préciser la composition de la commission. Sous réserve de nouvelles évolutions, ce projet établi pendant l’été 2009 prévoit que la commission comprendrait un collège permanent et trois collèges spécialisés :

– le collège permanent, compétent pour la mission de recommandation prévue au du nouvel article L. 115-1 (alinéa 4 du présent article), devrait être composé de vingt-et-un membres :

1°) trois membres de droit, représentants de l’État (le directeur chargé des musées de France ; le directeur chargé du patrimoine ; le directeur chargé des arts plastiques) ;

2°) un député et un sénateur nommés par leur assemblée respective ;

3°) trois représentants des collectivités territoriales (un maire désigné par le président de l’association des maires de France ; un président de conseil général désigné par le président de l’assemblée des départements de France ; un président de conseil régional désigné par le président de l’association des régions de France) ;

4°) quatre personnalités qualifiées nommées en raison de leurs compétences scientifiques par arrêté du ministre chargé de la culture ;

5°) neuf représentants des trois collèges spécialisés désignés par tiers par les membres de chacun d’eux en leur sein.

Le ministre chargé de la culture devrait ensuite nommer le président de la commission parmi les personnalités qualifiées et le vice-président parmi les représentants des collectivités territoriales.

– les trois collèges spécialisés seront composés chacun de neuf membres, choisis parmi les professionnels et nommés par arrêté du ministre de la culture : e collège compétent pour les biens des collections publiques des musées de France, dont les membres seront nommés parmi les membres de la commission scientifique nationale des collections des musées de France, le collège pour les biens des autres collections publiques, notamment les monuments historiques et l’archéologie, et le collège pour les biens des collections publiques inscrits sur l’inventaire du Fonds national d’art contemporain (FNAC) et pour les biens des collections des fonds régionaux d’art contemporain (FRAC).

Le collège permanent, augmenté des membres du collège spécialisé concerné non membres du collège permanent, formera la commission compétente pour le déclassement du bien pour lequel un avis est demandé.

Parallèlement, toujours selon les informations communiquées par le ministère de la culture, la commission scientifique nationale des collections des musées de France (CSNCMF) ne disparaîtra pas. Elle conservera ses missions en matière de projets d’acquisition, de restauration et d’expertise sur les collections des musées sollicitant le label « musée de France ». On lui retirera simplement sa compétence en matière de déclassement, compétence transférée à la nouvelle commission créée. Le décret n°2002-628 du 25 avril 2002 précité sera modifié en conséquence.

*

La commission adopte l’article 2 sans modification.

Article 3

Coordination

Par coordination avec les dispositions prévues à l’article 2, cet article modifie l’article L. 451-5 du code du patrimoine afin de remplacer la commission scientifique visée par cet article et dont la composition et les modalités de fonctionnement ont été définies par le décret du 25 avril 2002 précité par la nouvelle « commission scientifique nationale des collections », instituée par l’article 2 de la proposition de loi.

*

La commission adopte l’article 3 sans modification.

Article 4

Rapport au Parlement

Cet article, issu comme les deux précédents, d’un amendement du rapporteur de la commission de la culture, M. Richert, prévoit que la commission scientifique nationale des collections créée par l’article 2 de la proposition de loi rende rapidement compte au Parlement de son action.

Elle devra lui remettre, un an après la publication de la présente loi, un rapport « sur ses orientations en matière de déclassement des biens appartenant aux collections publiques ». Il s’agit, comme indiqué précédemment, que la nécessaire réflexion sur ce sujet, qui aurait dû s’engager après le vote des lois de 2002 relatives aux musées de France et visant à restituer la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, soit effectivement mise en œuvre. Il est important que le Parlement puisse bénéficier d’un suivi afin de vérifier quelles suites concrètes cette commission entend donner à la volonté maintes fois exprimée par le législateur de voir les professionnels se pencher sur cette délicate question. La rapporteure partage le point de vue des sénateurs et estime que « ces orientations devront concerner, en particulier, la question spécifique des restes humains ».

*

La commission adopte l’article 4 sans modification.

Elle adopte enfin l’ensemble de la proposition de loi sans modification.

*

En conséquence, la Commission des affaires culturelles et de l’éducation demande à l’Assemblée nationale d’adopter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document joint au présent rapport.

TABLEAU COMPARATIF

___

Dispositions en vigueur

___

Texte adopté

par le Sénat

___

Propositions de la

Commission

___

 

Proposition de loi visant à autoriser

la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande

et relative à la gestion des collections

Proposition de loi visant à autoriser

la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande

et relative à la gestion des collections

 

Article 1er

Article 1er

 

À compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, les têtes maories conservées par des musées de France cessent de faire partie de leurs collections pour être remises à la Nouvelle-Zélande.

Sans modification

 

Article 2

Article 2

Code du patrimoine

Le titre Ier du livre Ier du code du patrimoine est complété par un chapitre V ainsi rédigé :

Sans modification

 

« Chapitre V

 
 

« Commission scientifique

nationale des collections

 
 

« Art. L. 115-1. – La commission scientifique nationale des collections a pour mission de conseiller les personnes publiques ou les personnes privées gestionnaires de fonds régionaux d’art contemporain, dans l’exercice de leurs compétences en matière de déclassement ou de cession de biens culturels appartenant à leurs collections, à l’exception des archives et des fonds de conservation des bibliothèques.

 
 

« À cet effet, la commission :

 
 

« 1° Définit des recommandations en matière de déclassement des biens appartenant aux collections visées aux 2° et 3°, et de cession des biens visés au 4° ; elle peut également être consultée, par les autorités compétentes pour procéder à de tels déclassements ou cessions, sur toute question qui s’y rapporte ;

 
 

« 2° Donne son avis conforme sur les décisions de déclassement de biens appartenant aux collections des musées de France et d’œuvres ou objets inscrits sur l’inventaire du Fonds national d’art contemporain et confiés à la garde du Centre national des arts plastiques ;

 
 

« 3° Donne son avis sur les décisions de déclassement de biens culturels appartenant aux autres collections qui relèvent du domaine public ;

 
 

« 4° Peut être saisie pour avis par les personnes privées gestionnaires de fonds régionaux d’art contemporain, lorsque les collections n’appartiennent pas au domaine public, sur les décisions de cession portant sur les biens qui les constituent.

 
 

« Art. L. 115-2. – La commission scientifique nationale des collections comprend un député et un sénateur nommés par leur assemblée respective, des représentants de l’État et des collectivités territoriales, des professionnels de la conservation des biens concernés et des personnalités qualifiées.

 
 

« Un décret en Conseil d’État précise sa composition et fixe ses modalités de fonctionnement. »

 
 

Article 3

Article 3

Livre IV

Musées

Titre V

collections des Musées de France

Chapitre Ier

Statut des collections

Section 2

Affectation et propriété des collections

Sous-section 2

Collections publiques

 

Sans modification

Art. L. 451–5 : Les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables.

   

Toute décision de déclassement d'un de ces biens ne peut être prise qu'après avis conforme d'une commission scientifique dont la composition et les modalités de fonctionnement sont fixées par décret.

Au second alinéa de l’article L. 451-5 du code du patrimoine, les mots : « d’une commission scientifique dont la composition et les modalités de fonctionnement sont fixées par décret » sont remplacés par les mots : « de la commission scientifique nationale des collections mentionnée à l’article L. 115-1 ».

 
 

Article 4

Article 4

 

La commission scientifique nationale des collections mentionnée à l’article L. 115-1 du code du patrimoine remet au Parlement un rapport sur ses orientations en matière de déclassement ou de cession des biens appartenant aux collections, dans un délai d’un an suivant la publication de la présente loi.

Sans modification

ANNEXES

ANNEXE 1 :

LISTE DES RESTITUTIONS FAITES AU MUSÉE NATIONAL
TE PAPA
DE NOUVELLE-ZÉLANDE

Source : Rapport n° 482 (2008-2009) de M. Philippe Richert, fait au nom de la commission des affaires culturelles du Sénat, déposé le 23 juin 2009.

Institution ayant fait une restitution

Pays

Date de restitution

University College de Londres

Angleterre

1987

Museum of Ethnology, Stockholm

Suède

1987

Museum national de Sydney

Australie

1989

Victoria Museum de Melbourne

Australie

1989

Victoria Museum de Melbourne

Australie

1990

Musée ethnographique de Genève

Suisse

Juin 1992

Museum für Volkerkunde de Bâle

Suisse

Juin 1992

Manchester Museum de Manchester

Angleterre

Mars 1994

New Zealand High Commission de Londres

Angleterre

Mars 1994

Royal Albert Memorial Art Gallery and Museum, Exeter

Angleterre

Novembre 1996

Lichfield Museum du Staffordshire

Angleterre

Novembre 1996

National Museum

Danemark

Décembre 1998

Queensland Museum, Brisbane

Australie

Mai 1998

Whitby Museum de Leeds

Angleterre

Juillet 1998

Université d’Edimbourg

Écosse

Juillet 1998

Université d’Edimbourg

Écosse

Novembre 1999

National Museum

Écosse

Novembre 1999

South Australian Museum, Adelaide

Australie

Avril 2000

National Museum of Australia, Sydney

Australie

Mars 2001

Musée ethnographique de Buenos-Aires

Argentine

Mai 2004

Bishop Muséum, Hawaï and National Burials Programme

États-Unis

Août 2004

Melbourne University, Victoria

Australie

Septembre 2005

Museum Victoria

Australie

Septembre 2005

State Coroner’s Office, Melbourne

Australie

Septembre 2005

Rijksmuseum voor Volkenkunde de Leiden

Pays-Bas

Novembre 2005

Kelvingrove Art Gallery and Museum de Glasgow

Écosse

Novembre 2005

Perth Art Gallery and Museum

Écosse

Novembre 2005

Suffolk Regiment Museum

Angleterre

Novembre 2005

Saffron Walden Museum

Angleterre

Novembre 2005

Museum de Leeds

Angleterre

Novembre 2005

Royal Albert Memorial Art Gallery and Museum, Exeter

Angleterre

Novembre 2005

Musée d’archéologie et d’anthropologie de l’Université de Cambridge

Angleterre

Novembre 2005

Uberseemuseum de Brême

Allemagne

Novembre 2006

Marischal Museum d’Aberdeen

Écosse

Février 2007

Tasmanian Museum and Art Gallery

Australie

Mai 2007

National Museums

Australie

Mai 2007

Australian National Wildlife Collection, CSIRO

Australie

Mai 2007

Institute of Anatomy

Australie

Mai 2007

Field Museum de Chicago

États-Unis

Septembre 2007

Bristol Museum

Angleterre

Novembre 2007

Barts and the London Queen Mary School of Medicine and Dentistry

Angleterre

Novembre 2007

Hancock Museum de Newcastle

Angleterre

Novembre 2007

National Museum de Liverpool

Angleterre

Novembre 2007

Museum de Swansea

Pays de Galles

Novembre 2007

Plymouth museum

Angleterre

Novembre 2007

Bexhill Museum, Sussex

Angleterre

Novembre 2007

University College de Londres

Angleterre

Novembre 2007

Royal College of Surgeons, London

Angleterre

Novembre 2007

Royal Ontario Museum

Canada

Juin 2008

Canada Museum of Civilisation

Canada

Juin 2008

University of British Columbia

Canada

Juin 2008

Oxford Museum of Natural history, Oxford

Angleterre

Novembre 2008

British Museum, London

Angleterre

Novembre 2008

Manchester Museum, Manchester

Angleterre

Novembre 2008

Cuming Museum, London

Angleterre

Novembre 2008

National Museums of Scotland Department of Zoology and Geology

Ecosse

Novembre 2008

Macleay Museum University of Sydney, New South Wales

Australie

Mars 2009

ANNEXE 2 :

L’ALIÉNATION DES COLLECTIONS PUBLIQUES

Source : étude de législation comparée n° 191 du Sénat, décembre 2008.

Le principe d’inaliénabilité du domaine public, qui existe depuis l’Ancien Régime, s’applique en particulier aux collections des musées publics et a été consacré par la loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France. Plusieurs articles de cette loi ont été codifiés, de sorte que ce principe figure désormais à l’article L. 451-5 du code du patrimoine : « Les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables. »

L’article L. 451-8 du même code précise toutefois qu’« une personne publique peut transférer, à titre gratuit, la propriété de tout ou partie de ses collections à une autre personne publique si cette dernière s’engage à maintenir l’affectation à un musée de France. »

La loi de 2002 sur les musées a également introduit la possibilité de procéder au déclassement d’un bien faisant partie des collections des musées de France, mais cette faculté est exclue pour les objets donnés, légués ou acquis avec l’aide financière de l’État.

Le déclassement est subordonné à l’avis de la Commission scientifique nationale des musées de France, dont la composition et le mode de fonctionnement ont été fixés par le décret n° 2002-628 du 25 avril 2002 pris pour l’application de la du 4 janvier 2002. Cette commission est composée de trente-cinq membres. Elle statue en séance plénière et à la majorité des trois quarts après avoir examiné la demande motivée de la personne morale propriétaire ainsi que l’avis motivé de la direction régionale des affaires culturelles et de la commission scientifique régionale des collections des musées de France (ou interrégionale le cas échéant). Pour l’instant, cette commission n’a pas eu à connaître de projet de déclassement. En effet, les professionnels du monde des musées sont opposés à la remise en cause du principe d’inaliénabilité des collections publiques.

En novembre 2006, le rapport sur l’économie de l’immatériel, remis par MM. Maurice Lévy et Jean-Pierre Jouyet au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, proposait d’autoriser la vente et la location de certaines œuvres des musées, mais selon des modalités très encadrées.

En mars 2007, s’inspirant de l’une des recommandations de ce rapport, une proposition de loi était déposée à l’Assemblée nationale par M. Jean-François Mancel, qui préconisait le classement des œuvres en deux catégories : les « trésors nationaux », inaliénables, et les œuvres « libres d’utilisation », susceptibles d’être louées ou vendues après l’accord d’une commission du patrimoine culturel prévue à cet effet par décret. L’auteur de cette proposition présentait la liberté de gestion comme la solution aux problèmes de financement rencontrés par les établissements culturels pour entretenir leurs réserves et acquérir de nouvelles œuvres.

Dans le cadre fixé par la lettre de mission adressée le 1er août 2007 par le président de la République et le Premier ministre au ministre de la culture, M. Jacques Rigaud a été chargé par ce dernier, au mois d’octobre suivant, de mener une réflexion sur la possibilité pour les opérateurs publics d’aliéner certaines œuvres de leurs collections. Dans son rapport, remis le 20 janvier 2008, M. Jacques Rigaud conclut en indiquant qu’il ne propose pas « d’étendre la portée de l’exception d’aliénabilité des collections publiques au-delà d’une mise en œuvre sincère et expérimentale du déclassement rendu possible par la loi de 2002 », le principe général d’inaliénabilité des collections publiques étant une conséquence de la nature de service public des musées.

Ces circonstances justifient l’analyse des règles applicables à l’étranger. Les pays suivants ont été retenus : l’Allemagne, le Danemark, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, ainsi que les États-Unis.

Pour chacun de ces pays, on a d’abord présenté les textes qui fondent le caractère inaliénable des collections publiques ou qui, au contraire, permettent les opérations de cession. Pour les pays qui entrent dans la seconde catégorie, la pratique est développée dans une seconde partie. L’analyse a été limitée aux dispositions régissant les biens meubles.

L’examen des dispositions étrangères révèle que :

– même lorsqu’il est explicitement reconnu par la loi, le principe d’inaliénabilité des collections publique n’est pas absolu ;

– dans les cas où les opérations de cession ne sont pas expressément interdites par la loi, elles sont encadrées et restent limitées.

1) Lorsqu’il est explicitement reconnu par la loi, le principe d’inaliénabilité des collections publiques n’est pas absolu

Le principe d’inaliénabilité des collections publiques est énoncé par les textes espagnols et italiens. Il s’applique aussi à certains musées nationaux anglais.

Les législations les plus restrictives, celles qui régissent les collections publiques espagnoles et italiennes, admettent quelques assouplissements à la règle de l’inaliénabilité, en particulier pour autoriser les cessions entre l’État et les collectivités territoriales.

Au Royaume-Uni, les différents musées nationaux ne sont pas tous régis par la même loi. La Wallace Collection, issue d’une collection privée, est intangible. Le principe d’inaliénabilité s’applique essentiellement aux collections de la National Gallery. Les autres musées nationaux, même s’ils ne sont pas astreints au principe d’inaliénabilité, ne peuvent céder leurs œuvres que dans des cas précis, prévus par la loi (objets sans rapport avec les principales collections par exemple). Malgré ces restrictions, les transferts d’œuvres entre musées nationaux sont possibles (y compris pour la National Gallery) et peuvent s’effectuer sous forme de ventes, d’échanges ou de dons.

2) Lorsqu’elles ne sont pas expressément interdites par la loi, les opérations de cession sont encadrées et restent limitées

C’est le cas en Allemagne, au Danemark, aux Pays-Bas ainsi que pour la plupart des musées publics anglais. C’est également le cas aux États-Unis, où la plupart des grandes collections sont privées, mais gérées sans but lucratif, dans le seul intérêt du public.

Sans être astreints au respect du principe d’inaliénabilité, les musées s’engagent en effet à respecter divers textes (codes de déontologie, recommandations professionnelles, directives administratives, etc.) qui limitent les possibilités d’aliénation.

En règle générale, les cessions doivent concerner des œuvres qui constituent des doubles ou qui n’ont pas leur place dans la collection considérée. Elles doivent prendre la forme de dons ou d’échanges, plutôt que de ventes. De plus, si de telles opérations ont lieu, elles doivent se dérouler dans des conditions de transparence optimale, c’est-à-dire de préférence aux enchères, et leur produit doit servir avant tout à enrichir les collections.

Par ailleurs, les cessions doivent être réalisées conformément à une procédure rigoureuse et détaillée, qui encadre l’activité des gestionnaires des collections.

Le Danemark et les Pays-Bas sont les deux pays qui ont le plus formalisé la politique d’aliénation des musées publics : le premier par le biais des directives de l’Agence du patrimoine, qui est chargée d’appliquer la loi sur les musées, et le second par l’intermédiaire du code de l’Institut pour la protection du patrimoine culturel. Dans ces deux pays, les gestionnaires des musées sont invités à rationaliser leurs collections. C’est dans cette perspective, c’est-à-dire pour améliorer à la fois la qualité et la composition des collections, que des cessions sont envisageables. Ces opérations ne peuvent avoir lieu qu’à l’issue d’un travail de documentation approfondi. Il faut souligner que les directives de l’Agence danoise du patrimoine recommandent aux responsables des collections de n’y faire entrer que les pièces qui correspondent à leurs plans d’acquisition, afin de limiter les cessions ultérieures.

*

* *

Dans l’ensemble, les textes étrangers apparaissent donc moins stricts que les dispositions françaises. Cependant, les musées, même lorsqu’ils ne sont pas soumis au principe d’inaliénabilité, pratiquent, surtout en Europe, une politique de cession prudente.

ANNEXE 3 :

QU’EST-CE QUE LE RETOUR OU LA RESTITUTION DES BIENS CULTURELS ?

Source : UNESCO – Office de l’information du public.

« Le génie d’un peuple trouve une de ses incarnations les plus nobles dans le patrimoine que constitue, au fils des siècles, l’œuvre de ses architectes, de ses sculpteurs, de ses peintres, graveurs ou orfèvres – de tous les créateurs de formes qui ont su lui donner une expression tangible dans sa beauté multiple et son unicité.

…Or, de cet héritage où s’inscrit leur identité immémoriale, bien des peuples se sont vu ravir, à travers les péripéties de l’histoire, une part inestimable…

…Les peuples victimes de ce pillage parfois séculaire n’ont pas seulement été dépouillés de chefs-d’œuvre irremplaçables : ils ont été dépossédés d’une mémoire qui les aurait sans doute aidés à mieux se connaître eux-mêmes, certainement à se faire mieux comprendre des autres…

…Ces biens culturels qui sont partie de leur être, les hommes et les femmes de ces pays ont droit à les recouvrer…

…Aussi bien ces hommes et ces femmes démunis demandent-ils que leur soient restitués au moins les trésors d’art les plus représentatifs de leur culture, ceux auxquels ils attachent le plus d’importance, ceux dont l’absence leur est psychologiquement le plus intolérable…

Cette revendication est légitime… »

Extrait de l’« Appel du Directeur général de l’Unesco pour le retour à ceux qui l’ont créé d’un patrimoine culturel irremplaçable », 7 juin 1978.

A. Le pillage des biens culturels

1. Le « droit au butin »

Les textes historiques les plus anciens attestent que de tous temps les lois de la guerre incluaient le « droit au butin ». Que les conquérants pillent les biens culturels des peuples qu’ils avaient vaincus était inscrit dans les mœurs.

Par exemple, les rois de Babylone, d’Elam et d’Assyrie avaient fondé des musées pour receler leur butin de guerre. Les Romains ont enlevé des pays conquis d’innombrables trésors culturels pour ornementer leur capitale. Plus tard, les Huns d’Attila pilleront l’Europe occidentale au Vsiècle, les Mongols de Genghis Khan feront de même en Chine et en Asie centrale (XIIe siècle), tandis que les Croisés mettront Constantinople à sac.

C’est cependant depuis le début de l’ère coloniale que le « droit au butin » a engendré une spoliation quasi-systématique des biens culturels des pays soumis. Aucune autre époque que les cinq derniers siècles n’a vu les puissances dominantes amasser tant de trésors culturels.

En Amérique du Sud, au fur et à mesure que se consolidait l’emprise hispanique sur les grandes civilisations indiennes, celles-ci furent peu à peu amputées de leur héritage culturel par les Conquistadors. Temples, sépultures, palais, maisons, furent l’un après l’autre dépouillés de tout objet perçu comme ayant une valeur marchande. Qui ne connaît « l’or des Incas » ou « le trésor des Aztèques » ?

En Afrique et en Asie, la pénétration coloniale donna lieu au même mouvement de déperdition de patrimoine culturel autochtone au profit des collections occidentales.

Enfin, dans le bassin méditerranéen et le Proche-Orient, la campagne d’Orient de Bonaparte déclencha l’acheminement en France de nombreuses antiquités égyptiennes. Bientôt les trésors phéniciens, mésopotamiens, persans et grecs prendront le chemin des musées occidentaux par des voies souvent illicites. C’est à cette époque (1800) que Lord Elgin, ambassadeur britannique auprès de la Sublime Porte, met sur pied le transport des sculptures du Parthénon et de l’Érechtéion au British Museum de Londres.

2. Le tournant du Congrès de Vienne (1815)

La chute de Napoléon engendre chez les dirigeants de l’Europe une prise de conscience à l’égard de la restitution des biens culturels enlevés à la faveur d’une guerre. En effet, l’ampleur des spoliations d’objets d’art auxquelles se livrèrent les troupes de l’Empire français à travers l’Europe, notamment en Italie et en Belgique, incitera les vainqueurs de 1815, réunis au Congrès de Vienne, à imposer à la France l’une des premières restitutions de grande envergure.

Car, jusque-là, l’histoire était plutôt avare d’actes semblables. Citons pourtant l’action de Scipion l’Africain (235-183 avant J.-C.), dont Cicéron écrivait que « ayant pris Carthage au cours de la troisième guerre punique, et sachant que la Sicile avait été à plusieurs reprises et depuis de longues années exposée au pillage des Carthaginois, Scipion l’Africain fit rassembler tous les Siciliens et, leur ayant recommandé de faire une recherche exacte de tout ce dont ils avaient été spoliés, promit de faire rendre à chaque ville tout ce qui se trouvait lui appartenir ». Ce qui fut fait.

3. De 1815 à la première guerre mondiale

Les demandes de retour de biens culturels enlevés à la faveur d’une guerre – ou par l’effet d’autres relations d’inégalité ou de violence – vont désormais se généraliser dans les traités de paix entre belligérants, du moins sur la scène européenne.

En 1866, un traité oblige le grand-duché de Hesse à restituer une bibliothèque enlevée à la ville de Cologne en 1794.

Un article du traité de Vienne (1866) permet la restitution à la ville de Venise d’objets d’art et de science dont elle avait été dépouillée naguère par l’Autriche.

Après la première guerre mondiale, l’article 245 du traité de Versailles impose à l’Allemagne la restitution à la France d’œuvres d’art enlevées non seulement au cours de ce conflit, mais aussi lors de celui de 1870. Le traité de Saint-Germain (1919) oblige l’Autriche à rendre tous les biens culturels pris dans les territoires envahis, y compris lorsqu’ils avaient été enlevés en Italie à une date aussi reculée que 1718.

Il faut cependant noter que ces restitutions s’inscrivaient toujours dans le cadre d’un rapport de force fixé par les armes : les nouveaux vainqueurs imposent à ceux qu’ils ont vaincu les restitutions de biens culturels pris par ces derniers au moment où eux-mêmes triomphaient.

b. La prise de conscience

1. Sur les ruines de la seconde guerre mondiale

La guerre de 1939-1945 va profondément changer la problématique prévalant en la matière. Les destructions et les multiples déprédations frappant les biens culturels sur le théâtre des opérations militaires, notamment européen, le pillage auquel s’était livré le régime nazi inciteront les vainqueurs de 1945 à se pencher avec une acuité nouvelle sur ces questions.

Un premier pas : la Convention de La Haye (1954) L’idée de préserver les biens culturels des effets et des suites de la guerre avait été émise depuis fort longtemps. L’historien grec Polybe (202-120 avant J.-C.) demandait aux « conquérants à venir de ne pas dépouiller les villes qu’ils soumettent et à ne pas faire des malheurs des autres peuples l’ornement de leur patrie ». Certains conquérants dont Cyrus, Alexandre, Charlemagne, Louis XIII et Louis XIV se gardèrent soigneusement d’enlever aux vaincus leurs monuments. Mais cette idée ne commença à s’inscrire dans le droit international qu’avec la signature de la Convention de La Haye (1954), élaborée sous l’égide de l’Unesco.

Par celle-ci, « les États contractants s’engagent à respecter les biens culturels situés tant sur leur propre territoire que sur celui des autres États contractants, en s’interdisant l’utilisation de ces biens à des fins qui pourraient les exposer à une destruction ou à une détérioration en cas de conflit armé, et en s’abstenant de tout acte d’hostilité à leur égard ». En outre, au cours d’un conflit armé, les États contractants s’engagent à « interdire, à prévenir, et au besoin à faire cesser tout acte de vol, pillage ou détourne ment de biens culturels ». Pour la première fois « le droit au butin » en matière d’objet d’art, comme leur destruction ou détérioration volontaire devenaient illicites en cas de conflits armés. Aujourd’hui la quasi-totalité des États membres de l’ONU ont souscrit à cette convention.

Mais ce premier pas en appela rapidement d’autres. Car, d’une part, même en temps de paix, le trafic illicite des œuvres d’art continue à sévir. De l’autre, les conséquences du passé, et en particulier de la période coloniale, sont devenues de plus en plus insupportables pour nombre d’États du monde.

Retour ou restitution des biens culturels Le mouvement pour le « retour » ou la « restitution » des biens culturels au pays d’origine a surgi au début des années 70, impulsé surtout par les États nés de la décolonisation, particulièrement en Afrique. Il doit être perçu comme la suite logique des efforts entrepris pour assurer la préservation du patrimoine culturel de chaque peuple, tandis que l’importance attachée à cette préservation est indissociable de l’affirmation de la notion d’identité culturelle.

2. Identité culturelle, préservation du patrimoine, retour ou restitution

Quelques années après leur accession à l’indépendance, nombre d’États ont pris conscience que leur émancipation politique n’assurerait qu’une première étape de leur renaissance. Ils ont estimé que leur marche en avant se poursuivrait à la condition que s’épanouisse leur « identité culturelle ».

On peut la définir comme « richesse stimulante qui accroît les possibilités d’épanouissement de l’espèce humaine en incitant chaque peuple, chaque groupe, à se nourrir de son passé, à accueillir les apports extérieurs compatibles avec ses caractéristiques propres et à continuer ainsi le processus de sa propre création » (25).

Parallèlement, dans d’autres pays, l’importance de cette notion d’identité culturelle croissait au fur et à mesure que s’étiolaient les cultures de certains peuples et communautés, par exemple sous l’effet d’une intense centralisation des États, de la puissance acquise par les « industries culturelles » ou, plus largement, des évolutions propres aux sociétés développées.

La notion d’identité culturelle s’incarne dans le patrimoine culturel, qui englobe notamment les œuvres : monuments, édifices, objets, que celle-là a inspiré tout au long de l’histoire. L’épanouissement de la première est donc inconcevable si le second est détruit ou inaccessible là où il s’est constitué.

Dès lors, la préservation de ce patrimoine s’impose non seulement à chaque peuple mais aussi à toute la communauté internationale. Elle considère désormais que toute déprédation des biens culturels d’un pays porte atteinte au patrimoine culturel de l’humanité, puisque l’apport culturel d’un peuple contribue à la culture de tous les peuples.

Cette préservation exige d’abord que les créations du passé ne subissent plus les attaques des forces de la nature, qui aujourd’hui encore restent la principale source de destruction. Elle implique aussi que ce patrimoine ne puisse ni continuer à être amputé par des trafics illicites, ni surtout demeurer dispersé, hors de portée des peuples mêmes qui l’ont créé. Ceux-ci ne veulent plus rester « dépossédés d’une mémoire qui les aiderait sans doute à mieux se connaître eux-mêmes, certainement à mieux se faire comprendre des autres » (26). Ils demandent le « retour » ou la « restitution » de ces biens culturels qui symbolisent, à leurs yeux, la puissance créatrice de leur histoire.

3. Un difficile débat

Les arguments des pays demandant que leur soient retournés ou restitués non pas la totalité des biens culturels qui les ont quittés, mais ceux qui sont « les plus représentatifs de leur culture, ceux auxquels ils attachent le plus d’importance, ou dont l’absence leur est psychologiquement le plus intolérable » (27) reposent donc principalement sur leur ambition de poursuivre leur émancipation. Il s’y ajoute la volonté de tourner définitivement la page de l’époque coloniale, pendant laquelle nombre de ces biens ont été transférés hors de leurs frontières : n’est-ce pas le moment de démontrer, en ce domaine aussi, que les relations d’inégalité et de violence appartiennent au passé et ,en vertu de la nouvelle éthique qui doit présider aux relations internationales, qu’une attitude ouverte et généreuse s’impose aux pays détenteurs à l’égard du retour des biens culturels aux pays spoliés ?

Les premiers avancent quatre principaux arguments :

– L’argument juridique : dans la plupart des cas, les biens culturels actuellement en possession des pays détenteurs ont été acquis par des moyens parfaitement légaux au vu de la jurisprudence et des rapports géopolitiques de l’époque. Ainsi, dans ces pays, les musées – surtout nationaux – n’ont pas le droit d’aliéner les objets de leurs collections, les législations existantes ne les y autorisant guère.

Ajoutons ici un facteur d’ordre psychologique qui tend à bloquer les éventuels changements législatifs dans les pays détenteurs : dans certains cas, le retour des biens culturels à leur pays d’origine ne paraît-il pas pour l’État ou l’institution qui aujourd’hui les possèdent, comme la reconnaissance d’une détention illicite ?

– L’argument muséologique : vu l’état déplorable dans lequel se trouvent nombre de musées des pays demandeurs – manque d’infrastructures, notamment de moyens de préservation – et compte tenu du fait que le personnel qualifié y fait cruellement défaut, les objets culturels seraient mieux conservés dans les musées des pays détenteurs.

– L’argument universaliste : par suite de l’éloignement de la plupart des pays demandeurs des centres culturels mondiaux, leurs biens culturels sont mieux appréciés – et par un plus grand nombre de personnes – dans les grands musées des pays industrialisés.

– L’argument technique : le retour ou la restitution des biens culturels à leur pays d’origine seraient mieux assurés par des négociations directes et discrètes entre professionnels des musées.

La diversité des arguments des uns et des autres donne la mesure des obstacles de tous ordres : psychologiques, techniques, légaux, financiers, qui ont freiné une action coordonnée et concertée de la communauté internationale en la matière. Elle explique le nombre de comités, réunions d’experts, rapports, etc. la longueur des négociations nécessaires entre l’adoption d’une convention destinée à renforcer la lutte contre le trafic illicite des biens culturels (1970) et l’institution d’un comité intergouvernemental chargé de faciliter le retour ou la restitution de ces biens (1978).

Parallèlement, le Conseil international des musées (ICOM), la principale organisation non gouvernementale concernée par ces problèmes, décidait, dès 1976, d’apporter son concours à leur résolution.

4. La Convention du 14 novembre 1970

En dépit d’une législation adoptée par les autorités de presque tous les pays pour que les biens culturels demeurent à l’intérieur de leurs frontières, nombre d’États, en particulier dans le Tiers-Monde, ne peuvent faire respecter leurs propres lois.

Parmi les principaux facteurs de cette impuissance, citons l’absence ou l’insuffisance d’inventaires des biens culturels, le manque d’infrastructure et de personnel formé pour assurer la préservation de ceux-ci, le laxisme dont font parfois preuve les agents de l’État chargé d’empêcher ce trafic, et surtout les prix que des musées ou des collectionneurs publics et privés des pays industrialisés sont prêts à payer pour acquérir des objets culturels et notamment des objets d’art.

Mais l’évidente culpabilité de ce trafic illicite a facilité la création d’un instrument international destiné à juguler cette hémorragie qui appauvrit en le démembrant le patrimoine culturel de nombreux peuples.

La Conférence générale de l’Unesco adopte en effet le 14 novembre 1970 une Convention relative aux mesures à prendre « pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriétés illicites des biens culturels ». À cette fin, les États parties à la Convention « s’engagent à combattre ces pratiques par les moyens dont ils disposent, notamment en supprimant leurs causes, en arrêtant leur cours et en aidant à effectuer les réparations qui s’imposent ».

Mais seulement deux États membres appartenant à la principale région vers laquelle s’écoule ce trafic – l’Italie et le Canada –, et quarante-huit autres États ont adhéré à cette Convention au 1er mai 1982.

5. L’institution du Comité intergouvernemental

Les statuts du « Comité intergouvernemental pour la promotion du retour des biens culturels à leurs pays d’origine ou de leur restitution en cas d’appropriation illégale » furent adoptés en 1978 par la 20e session de la Conférence générale de l’Unesco.

D’emblée, on relève la distinction établie dans la dénomination du Comité, entre « retour » et « restitution ». Le second a évidemment une connotation délictueuse, donc inacceptable pour les actuels détenteurs de biens culturels acquis, dans le passé, par des moyens alors parfaitement légaux. Ce terme ne concerne plus que les biens culturels qui ont été récemment l’objet d’un trafic illicite. Pour les autres, le terme plus neutre de « retour » fut retenu.

Composé de représentants de vingt États membres de l’Unesco, le Comité intergouvernemental est avant tout un Comité de bons offices.

Il a pour objectif de promouvoir la coopération et les négociations d’ordre professionnel, notamment entre gens de musée – dans un cadre bilatéral, multilatéral ou régional. En bref, il tente de réconcilier des positions parfois opposées pour arriver à des résultats concrets.

En outre, il peut agir comme une instance d’arbitrage en cas de litige. Dès sa première session – tenue en mai 1980 – le Comité a d’emblée entrepris de préciser ses modalités d’action. Par exemple :

– La définition d’un bien culturel pouvant faire l’objet d’une restitution : celui-ci, notamment, doit être unique, c’est-à-dire particulièrement représentatif de l’identité culturelle, son absence ou son retrait constituant donc une amputation irréparable, un manque irremplaçable pour la culture dont il est l’émanation.

– La procédure pour obtenir le retour d’un bien culturel : afin de faciliter les négociations bilatérales, le Comité, en collaboration avec le Conseil international des musées, a établi un formulaire en deux volets destinés à recueillir des informations détaillées au sujet du bien revendiqué. Ce formulaire doit être rempli par le pays demandeur et le pays détenteur. Délai de réponse du pays détenteur : un an.

– Élaboration d’inventaires : le Comité s’emploie activement pour que tous les États, notamment dans les pays demandeurs, établissent des inventaires de leurs biens culturels, de ceux qui sont encore dans leur pays et de ceux qui se trouvent à l’étranger. Ceci permettrait peut-être d’harmoniser et d’éclairer les rapports parfois tendus entre pays demandeurs et détenteurs. Ces inventaires sont en tout état de cause utiles pour s’opposer au trafic illicite.

– Mesures pour freiner le trafic illicite : le Comité a fait des recommandations pour renforcer le contrôle à plusieurs niveaux : fouilles archéologiques, mesures de sécurité policière et douanière, pressions pour obtenir de tous les négociants en biens culturels la tenue de registres précis, peines accrues à rencontre des trafiquants.

En outre, le Comité tente de promouvoir la création de musées dans les pays demandeurs et a entrepris une campagne d’information, notamment auprès des mass-médias, pour porter le problème du retour ou de la restitution des biens culturels à l’attention de l’opinion publique internationale.

Enfin, la Conférence mondiale sur les politiques culturelles, organisées par l’Unesco à Mexico (1982), confirmait avec éclat le chemin parcouru depuis le début des années 1970. Adoptée par consensus, la « Déclaration de Mexico » stipule, entre autres : « Tout peuple a le droit et le devoir de défendre et de préserver son patrimoine culturel, puisque les sociétés trouvent leur identité dans les valeurs qui sont pour elles une source d’inspiration créatrice ».

Le patrimoine culturel a été souvent endommagé ou détruit par négligence ainsi que par les processus d’urbanisation, d’industrialisation et de pénétration technologique. Mais plus inacceptables encore sont les atteintes portées au patrimoine culturel par le colonialisme, les conflits armés, l’occupation étrangère et les valeurs imposées de l’extérieur. Toutes ces actions contribuent à rompre les liens unissant les peuples à leur passé et à effacer celui-ci de leur mémoire. Ce sont la préservation et l’appréciation de leur patrimoine culturel qui permettent aux peuples de dé fendre leur souveraineté et leur indépendance et, par-là même, d’affirmer et de promouvoir leur identité culturelle. La restitution à leur pays d’origine des œuvres qui leur ont été retirées de façon illicite est un principe fondamental des relations culturelles entre les peuples. À cette fin, les instruments, accords et résolutions internationaux existants pourraient être renforcés pour en accroître l’efficacité.

C. Rapatriement des biens culturels : un début

La reconnaissance par l’ensemble de la communauté internationale d’un certain nombre de nouveaux principes, l’instauration d’un climat plus favorable à leur mise en œuvre et les actions entreprises notamment par et sous l’égide de l’Unesco, commencent à porter leurs premiers fruits.

1. Rapatriements déjà accomplis

– En 1977, la Belgique a retourné au Zaïre quelques milliers d’objets culturels ; en outre, Bruxelles aide Kinshasa à organiser un réseau de musées à travers le pays.

– En 1977, des arrangements ont été conclus entre les Pays-Bas et l’Indonésie pour que de nombreux objets soient rendus à ce dernier pays. Il s’agit notamment de statues bouddhistes et hindouistes, ainsi que d’objets provenant d’anciennes collections royales, ayant un rapport direct avec des personnalités de premier plan, ou avec des événements essentiels de l’histoire indonésienne.

– En 1977, quatre institutions américaines, le Peabody Museum de Harvard University, Brooklyn Museum, Oakland Museum et Pennsylvania University ont rendu de nombreux objets culturels au Pérou et à Panama. Peabody Museum a notamment consenti un prêt à long terme au Musée de l’Homme panaméen d’objets permettant la reconstitution d’un tombeau précolombien et Pennsylvania University lui a rendu des céramiques provenant d’un site archéologique important.

– En 1978, la Papouasie-Nouvelle-Guinée a récupéré, grâce à l’action des musées de Sydney (Australie) et de Wellington (Nouvelle-Zélande), divers objets ethnographiques de grande valeur.

– En 1980, la France et l’Irak font un échange de prêts à long terme en vertu duquel des fragments de codes babyloniens contemporains du Code d’Hammurabi sont rendus au Musée de l’Irak à Bagdad.

– En 1981, un tribunal français ordonne la restitution d’une statue volée d’Amon Min – objet d’un trafic illicite – à l’Égypte.

– En 1981, aux termes d’un échange, des oiseaux sculptés détenus au Musée du Cap en Afrique du Sud sont rendus au Zimbabwe.

– En 1981, le Historic Places Trust de la Nouvelle-Zélande rend plus de mille objets culturels aux Îles Salomon.

– En 1981, le Vanuatu s’est vu restituer un grand tambour à fente cérémonial par l’Australian Museum Trust.

– En 1981, avec l’aide de l’Unesco, le Wellcome Institute à Londres rend au Musée de Sana’a (Yémen) une collection d’objets himyarites.

– En 1981, le Royaume-Uni rend au Kenya un crâne vieux de deux millions d’années, celui du Proconsul Africanus.

2. Demandes de retour et de restitution

– La Tanzanie vient de demander le retour d’œuvres d’art qui se trouvent aujourd’hui dans des collections en Angleterre et en RFA, notamment le trône royal du Karagoué, actuellement en Allemagne.

– Le Pérou demande la restitution de tableaux des XVII, XVIII et XIXe siècles qui ont été volés, sortis illégalement du pays et mis en vente aux enchères aux États-Unis.

– Le Ghana tente d’obtenir le retour de nombreux objets d’art et d’ordre ethnographique qui se trouvent en Angleterre et en RFA.

– L’Équateur demande la restitution de nombreux trésors précolombiens qui ont été sortis frauduleusement de ce pays et qui se trouvent en Italie.

– La Nouvelle-Zélande demande au Royaume-Uni que les bas-reliefs maoris exportés illicitement et mis en vente chez Sotheby’s soient restitués.

– Le Nigeria demande au Royaume-Uni le retour des masques du Bénin, trésors culturels inestimables.

– La Grèce vient de demander au Royaume-Uni le retour des frises du Parthénon enlevées par lord Elgin et qui se trouvent actuellement au British Museum.

© Assemblée nationale

(1 ) Voir le rapport n° 3563 déposé le 30 janvier 2002 par M. Jean Le Garrec au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale, XIe législature.

2 () Voir liste en annexe.

3 () Mme Catherine Morin-Desailly, compte-rendu de la séance publique du 29 juin 2009.

4 () Mme Catherine Morin-Desailly, compte-rendu de la séance publique du 29 juin 2009.

5 () CAA Douai, N° 08DA00405, publié au recueil Lebon, formation plénière, 24 juillet 2008, Ville de Rouen.

6 () Militaire anglais.

7 () Voir notamment l’appel du directeur général de l’UNESCO du 7 juin 1978.

Plus largement, pour un historique des problématiques de restitution, voir annexe 3 du rapport.

(8 ) L'ICOM est le Conseil international des musées. Son code de déontologie fixe des principes généraux sur lesquels la communauté muséale internationale s'est mise d'accord.

9 () Compte-rendu du symposium disponible à l’adresse suivante :

http://www.quaibranly.fr/fileadmin/user_upload/pdf/Version_Francaise_Symposium_Restes_Humains.pdf

10 () Loi n° 2002-323 du 6 mars 2002 relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud.

11 () Ce constat a d’ailleurs également été dressé par M. Jacques Rigaud dans son rapport à la ministre de la culture sur l’inaliénabilité (Réflexion sur la possibilité pour les opérateurs publics d’aliéner des œuvres de leurs collections, février 2008).

12 () Article L. 441-2 du code du patrimoine.

(13 ) Collection Gastaut, n°119 de l’ancienne collection Ratton.

(14 ) Fonds Mollet, offert à la ville en 1855.

(15 ) Dans une collection gérée par le département du Rhône dans le cadre du projet de Musée des Confluences.

16 () Rapport n° 482 de M. Philippe Richert au nom de la commission des affaires culturelles, 23 juin 2009, Sénat.

17 () Compte-rendu de la séance publique du 29 juin 2009.

18 () Rapport n° 482 de M. Philippe Richert au nom de la commission des affaires culturelles, 23 juin 2009, Sénat.

19 () Source : question écrite n° 17747 de M. Jacques Desallangre à la ministre de la culture et réponse du 11 novembre 2008.

20 () Voir en annexe la note de synthèse de l’étude de législation comparée n° 191 du Sénat, L’aliénation des collections publiques, 10 décembre 2008.

21 () Réflexion sur la possibilité pour les opérateurs publics d’aliéner des œuvres de leurs collections, ministère de la culture, février 2008.

22 () Réflexion sur la possibilité pour les opérateurs publics d’aliéner des œuvres de leurs collections, ministère de la culture, février 2008.

23 () L’économie de l’immatériel, rapport au ministère de l’économie, 2006.

24 () À , les collections de musées sont fondées sur les principes de l’unicum artistique ou du specimen scientifique.

25 () Extrait de la « Déclaration » adoptée par la Conférence mondiale sur les politiques culturelles – Mexico 1982.

26 () Appel du Directeur général de l’Unesco – 7 juin 1978.

27 () Idem.