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N
° 2579

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 juin 2010.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI n° 2321, autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Commonwealth des Bahamas relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale,

par M. Jean-Paul LECOQ

Député

___

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

INTRODUCTION 5

I – UN ARCHIPEL DU COMMONWEALTH RÉPUTÉ POUR SON ACTIVITÉ FINANCIÈRE 7

A – UNE ÉCONOMIE FRAGILISÉE 7

B – UNE ATTRACTIVITÉ FINANCIÈRE REMARQUABLE 8

a) Une activité financière intense 8

b) Une fiscalité quasi inexistante 9

II – UN ACCORD D’ÉCHANGE DE RENSEIGNEMENT FISCAL SUSPENDU À SA MISE EN œUVRE EFFECTIVE 11

A – UN ACCORD CLASSIQUE ET MODESTE … 11

B - … QUI DOIT FAIRE LA PREUVE DE SON EFFICACITÉ 14

CONCLUSION 17

EXAMEN EN COMMISSION 19

_____

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 21

Mesdames, Messieurs,

L’accord entre la France et le Commonwealth des Bahamas relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale s’inscrit dans la liste des nombreux accords de cette nature que la France a signés récemment pour traduire son engagement contre l’évasion fiscale.

Comme le rappelle notre collègue M. Jacques Remiller dans son récent rapport sur l’accord avec le Liechtenstein (1), ces accords font suite aux maigres efforts déployés par le G20 pour tirer quelques leçons de la crise financière mondiale notamment en luttant contre les paradis fiscaux.

Si votre rapporteur loue les généreuses intentions affichées, il s’interroge néanmoins sur l’effectivité de leur application et sur l’insuffisance des moyens qui y seront consacrés.

Autrefois paradis fiscal et touristique, les Bahamas ne figurent ainsi plus aujourd’hui sur la liste grise des juridictions non coopératives publiée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (2)grâce à la signature de plus de douze accords en matière de renseignements fiscaux requis.

Votre rapporteur considère que l’efficacité des listes de l’OCDE et les critères qui président à leur établissement peuvent être mis en doute. On peut regretter le cadeau ainsi offert aux anciens paradis fiscaux qui se voient parer d’une vertu nouvelle alors qu’ils n’ont apporté à ce jour aucune garantie quant à la sincérité de leurs engagements.

Certes, la conclusion de ces accords constitue un premier pas, très modeste au demeurant, en faveur de la transparence fiscale. Après avoir rappelé l’attractivité financière exceptionnelle des Bahamas, votre rapporteur présentera les grandes lignes de l’accord en soulignant la nécessité d’une vigilance accrue du Parlement comme de l’administration fiscale française quant à sa mise en oeuvre.

I – UN ARCHIPEL DU COMMONWEALTH RÉPUTÉ POUR SON ACTIVITÉ FINANCIÈRE

Situé à l’Est de la Floride et au Nord du reste des Antilles ainsi que de Cuba, le Commonwealth des Bahamas est un archipel corallien composé de près de 700 îles – dont 30 seulement sont habitées – et 2400 îlots, qui s’étire sur 1200 km. La population, estimée à 333 800 personnes, vit aux trois quarts sur les îles de New Providence et de Grand Bahama.

Le 12 octobre 1492, l’île bahaméenne de San Salvador (aussi nommée Watling’s Island) est la première terre du Nouveau Monde que Christophe Colomb aperçoit. Le nom Bahamas proviendrait d’une remarque de ce dernier décrivant les îles comme « baja mar », signifiant « mer basse ». Mettant fin à la colonisation britannique, l’indépendance des Bahamas est proclamée le 10 juillet 1973.

Si l’économie bahaméenne est réputée pour son attractivité financière et fiscale, elle demeure fragile notamment en raison de sa dépendance à l’égard des Etats-Unis.

A – Une économie fragilisée

Ce sont les colons britanniques qui introduisirent d’abord l’économie de la canne à sucre. Pendant le XVIIeme et début XVIIIeme siècle, la piraterie devient l’activité principale des îles en raison de leur proximité des couloirs maritimes, activité qui prend fin à l’arrivée du premier gouverneur britannique des îles, Woodes Rogers, en 1718.

Les Bahamas connaissent alors diverses périodes de prospérité : pendant la guerre civile nord-américaine (fourniture en armes et matériel médical), pendant la Prohibition (fournisseur de rhum) ou encore entre 1900 et 1939 grâce à l’exportation d’éponges naturelles. Après avoir servi de base militaire aux Américains pendant la seconde guerre mondiale, les Bahamas redeviennent une économie florissante grâce au tourisme ainsi qu’aux activités financières offshore.

Les Bahamas sont aujourd’hui le plus riche des paradis fiscaux de la région, avec un PNB par habitant de 18 400 dollars, contre 16 000 dans les Antilles néerlandaises, 11 500 à la Barbade, 10 900 à Saint-Christophe-et-Niévès, entre 5 et 6 000 à la Grenade, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-les-Grenadines, etc.

L’économie des Bahamas repose principalement sur le tourisme, les investissements étrangers et les activités financières offshore. En 2007, le secteur financier et l’intermédiation immobilière ont contribué au PIB pour environ 22 %, la construction pour 15%, l’hôtellerie et la restauration pour 12 %.

Selon le FMI, le PNB a baissé de 1,7 % en 2008 et de 3,9 % en 2009. Alors que le nombre de touristes diminue et que l’immobilier recule, le chômage s’accroît, en particulier dans l’hôtellerie et la restauration, et a atteint fin 2009 le taux de 14,2 %.

Le dollar bahaméen est indexé sur le dollar américain et l’économie est très dépendante de celle des Etats-Unis. Le commerce extérieur, déjà très déficitaire, avec des importations (3,2 milliards de dollars) plus de trois fois supérieures aux exportations (956 millions), s’est contracté. Les emprunts pour financer les dépenses contracycliques ont sensiblement accru le poids de la dette publique, qui se situerait maintenant aux alentours de 50 % du PNB. Standard and Poor’s a, fin décembre 2009, abaissé la notation des Bahamas. L’évolution en 2010 dépendra pour beaucoup de la vigueur de la reprise de l’économie américaine.

B – Une attractivité financière remarquable

L’économie bahaméenne est dominée par les activités des banques offshore et la domiciliation des International business companies (3). Elle se distingue également par une fiscalité presque inexistante.

a) Une activité financière intense

Les Bahamas partagent avec les îles Vierges britanniques l’accueil des International Business Companies (IBC). On estime qu’il y en a environ 160 000, dont 44 000 seraient actives contre 250 000 aux îles Vierges britanniques. Dans la plupart des autres paradis fiscaux de la région, ce sont entre 2 000 et 12 000 IBC qui sont enregistrées. Le coût de l’enregistrement de ce type de société dans ce pays s’établit à environ 3 000 euros par an, soit un tarif élevé comparé aux îles Vierges britanniques (1350 dollars), aux Bermudes (1680 dollars) ou encore au Panama (1000 dollars), si l’on en croit les sociétés qui proposent leurs services par Internet pour créer des entreprises dans les paradis fiscaux.

Une autre spécificité des Bahamas est la présence d’un grand nombre de banques offshore, 136 au 30 juin 2008. Les propriétaires de compagnies offshore préfèrent passer par les filiales offshore de grandes banques internationales, qui inspirent beaucoup plus confiance que des banques à couverture plus limitée. En dehors de Panama (72 banques spécialisées dans le offshore) et de la Barbade (57 banques), la plupart des autres paradis fiscaux de la région ne compte que quelques banques chacun. 

b) Une fiscalité quasi inexistante

Il n’existe aucun impôt sur le revenu, sur les bénéfices, sur le patrimoine ou sur le chiffre d’affaires. Seuls les droits de mutation à titre onéreux sont prélevés lors de la cession de biens immobiliers, tant pour les personnes physiques que pour les personnes morales.

Les recettes de l’Etat proviennent donc à plus de 50% des droits de douane. Cependant, l’accord de partenariat économique avec l’Union européenne prévoit une baisse de ceux-ci. Mais les importations en provenance d’Europe ne représentaient que 9% des importations des Bahamas en 2008.

Le retrait de BNP Paribas 

La banque BNP Paribas était présente depuis longtemps aux Bahamas, mais aussi au Panama (depuis 60 ans) et aux îles Caïmans. La décision de retrait de ces 3 pays ou territoires a été annoncée par le biais d’un entretien du directeur général du groupe BNP Paribas publié par le Figaro le 25 septembre 2009, second jour du sommet du G20 de Pittsburgh. Le directeur de la BNP Bahamas a informé le ministre des fnances de la décision de son groupe lors d’un entretien le 23 septembre, tandis que son collègue de la BNP à Panama en informait l’Autorité des marchés financiers le 24 septembre.

L’annonce du retrait de la BNP Paribas a mis en difficulté les intérêts français aux Bahamas (où ils sont limités) et au Panama (où ils sont importants). Dans le premier de ces pays, l’autre banque française, la Société générale, a pris l’initiative de faire savoir qu’elle était bien décidée à rester.

En avril 2010, la presse a fait état de la reprise des filiales de la BNP Paribas aux Bahamas, au Panama et aux îles Caïmans par la Scotia Bank du Canada.

La décision de retrait de la BNP Paribas a indiscutablement contribué à convaincre les autorités bahaméennes d’accélérer la négociation des accords d’échange de renseignements en matière fiscale, conscientes de l’urgence à remplir leurs engagements pris en 2002 à l’égard de l’OCDE et qui étaient restés lettre morte jusqu’au G20 de Londres en avril 2009.

II – UN ACCORD D’ÉCHANGE DE RENSEIGNEMENT FISCAL SUSPENDU À SA MISE EN œUVRE EFFECTIVE

Les Bahamas figuraient sur la « liste grise » de l’OCDE jusqu’en février 2010. Ayant signé les 12 accords d’échange de renseignements fiscaux requis, l’archipel figure donc désormais sur la « liste blanche » des juridictions ayant mis en oeuvre les normes internationales. Le 30 mars 2010, les Bahamas avaient en effet signé des accords d’échange de renseignements avec 19 autres Etats :

Etats- Unis : 25 janvier 2002, entrée en vigueur le 31 décembre 2003 ; Monaco : 18 septembre 2009 ; Saint-Marin : 24 septembre 2009 ; Royaume-Uni : 29 octobre 2009 ; Nouvelle-Zélande : 18 novembre 2009 ; Chine : 1er décembre 2009 ; Argentine : 3 décembre 2009 ; Pays-Bas : 4 décembre 2009 ; Belgique : 7 décembre 2009 ; Mexique : 23 février 2010 ; Pays nordiques : 10 mars 2010 ; Espagne : 11 mars 2010 ; Australie : 30 mars 2010.

La France a pour sa part signé l’accord le 7 décembre 2009. Celui-ci vise, selon l’étude d’impact à « à mettre en place un cadre juridique général et auparavant inexistant, de façon à permettre un échange effectif de renseignements, conformément aux standards internationaux en la matière ».

S’il est vrai que cet accord comble une lacune puisqu’il n’existait aucun accord en la matière entre les deux pays, son application effective devra être suivie avec attention par l’administration fiscale et le Parlement. En effet, en matière de transparence fiscale, les bonnes intentions restent souvent lettre morte face à la créativité des acteurs financiers pour les contourner. En outre, rien ne permet d’affirmer que les Bahamas respecteront la lettre et encore moins l’esprit de l’accord puisqu’ils ne l’ont pas ratifié à ce jour.

A – Un accord classique et modeste …

Cet accord, largement inspiré du modèle d’accord sur l’échange de renseignements en matière fiscale élaboré par l’OCDE en 2002, comporte néanmoins quelques améliorations par rapport à ce dernier.

L’article 1er précise le champ d’application de l’accord qui porte sur l’échange de renseignements « vraisemblablement pertinents » pour l’application et l’exécution de la législation interne. Cette notion vise à assurer un échange de renseignements en matière fiscale qui soit le plus large possible tout en évitant que les parties à l’accord ne formulent des requêtes extrêmement vagues ou ne demandent des renseignements dont il est peu probable qu’ils soient pertinents par rapport à l’objet de ces accords. Toutefois, afin de ne pas restreindre excessivement l’échange de renseignements, les standards de l’OCDE précisent que cette notion doit être interprétée assez largement et que, le cas échéant, la pertinence des renseignements peut n’être évaluée qu’après réception des renseignements.

L’article 2 délimite la compétence des autorités requises sans considération de la qualité de résident, de citoyen ou de ressortissant de la personne qui est l’objet de la demande de renseignements.

L’article 3 détermine les impôts concernés par l’accord sans les énumérer : allant ainsi plus loin que le modèle OCDE, il vise l’ensemble des impôts existants prévus par les dispositions législatives et réglementaires des parties, ainsi que les impôts de même nature établis après la date de signature de l’accord qui s’ajouteraient aux impôts actuels ou les remplaceraient.

L’article 4 définit les principaux termes de l’accord alors que l’article 10 mentionne les langues utilisées pour la mise en œuvre de l’accord.

L’article 5 constitue le cœur de l’accord puisqu’il fixe la procédure applicable à l’échange de renseignements.

La partie requise doit fournir les informations demandées, y compris si cela impose qu’elle prenne des « mesures adéquates de collecte des renseignements ». La partie requérante peut demander que les informations lui soient fournies sous forme de dépositions de témoins et de copies certifiées conformes, si le droit de la partie requise le permet.

L’article précise les renseignements que les parties sont en droit de demander : renseignements détenus par les banques, les autres institutions financières et toute autre personne agissant en qualité de mandataire et de fiduciaire, mais aussi certaines informations sur les différents types de bénéficiaires de structures plus ou moins complexes (sociétés, sociétés de personnes, fondations, fiducies…). Cependant, aucun accord n’oblige « les Parties à obtenir ou fournir des renseignements en matière de propriété concernant des sociétés cotées ou des fonds de placements collectifs publics, sauf si ces renseignements peuvent être obtenus sans soulever des difficultés disproportionnées ».

L’article détermine également la forme de la demande en dressant la liste des renseignements que la partie requérante doit fournir à l’appui de sa demande. Dans l’énumération des éléments devant figurer dans toute demande de renseignements, la partie requérante doit notamment justifier de la pertinence de sa demande et attester qu’elle a utilisé pour obtenir ces renseignements « tous les moyens disponibles sur son propre territoire, hormis ceux susceptibles de soulever des difficultés disproportionnées ».

L’autorité requise a 60 jours pour aviser l’autorité requérante d’une éventuelle lacune de la demande ; elle dispose ensuite de 90 jours pour fournir les éléments demandés ; une fois ce délai passé, elle doit, le cas échéant, indiquer à la partie requérante les raisons pour lesquelles elle n’est pas en mesure de répondre à sa demande.

L’article 6 traite des enquêtes ou contrôles fiscaux que des représentants des autorités de la partie requérante peuvent être autorisés à effectuer sur le territoire de la partie requise.

L’article 7 détaille les modalités de l’éventuel rejet d’une demande de renseignement, notamment pour des motifs d’ordre public, ou pour respecter le « legal privilege » (4) ou un secret commercial, industriel ou professionnel ou encore un procédé commercial.

Une demande peut aussi être refusée si les principes de symétrie et de non-discrimination ne sont pas respectés ou si la demande n’est pas soumise conformément à l’accord (notamment si elle ne respecte pas les prescriptions prévues par l’article 5).

L’article 8 précise les obligations de confidentialité attachées à la demande de renseignements et à l’utilisation des renseignements fournis.

Conformément à l’article 9 relatif à la prise en charge des frais, les coûts ordinaires (frais d’administration ordinaires et frais généraux) sont pris en charge par la partie requise tandis que le remboursement à la partie requise des frais extraordinaires par la partie requérante ne constitue qu’une faculté. Cette dernière règle constitue une avancée par rapport au modèle OCDE.

L’article 11 fait figure d’article clé de l’accord puisque c’est celui qui prescrit l’obligation pour les parties d’adapter leur législation interne afin de rendre effectif l’échange d’information. Trois conditions sont posées : l’information doit être disponible et l’administration de la partie requise doit y avoir accès et être en mesure de la transmettre.

L’article 12 prévoit une procédure amiable comme mode prioritaire de règlement des différends.

L’article 13 mentionne deux dates d’entrée en vigueur de l’accord. En matière fiscale pénale, il s’agit de la date de notification de l’accomplissement de la procédure de ratification, tandis qu’en matière non pénale, cette même date n’est qu’un butoir à partir duquel l’accord devient applicable aux exercices fiscaux ultérieurs.

Enfin, l’article 14 précise la forme et l’effet d’une éventuelle dénonciation de l’accord. En particulier, la confidentialité visée à l’article 8 demeure applicable même dans ce cas.

B - … qui doit faire la preuve de son efficacité

Le Président Axel Poniatowski a rappelé lors de l’examen du rapport précité de M. Remiller que ces accords ne constituaient qu’une « première étape dans la lutte contre la fraude fiscale ».

Cependant, cette première étape indispensable doit être franchie avec succès et mérite donc que certains doutes soient levés.

Le premier d’entre eux porte sur l’incapacité de l’administration fiscale à fournir des chiffres à votre rapporteur sur les avoirs français aux Bahamas ainsi qu’une évaluation de la fraude fiscale.

Sur le premier point, au regard des déclarations de revenus qui sont adressées chaque année, l’administration estime à une trentaine le nombre de foyers fiscaux résidents aux Bahamas et qui déclarent des revenus imposables en France ou des avoirs qui y sont détenus.

Votre rapporteur doit se contenter sur le second point de l’estimation particulièrement large formulée naguère par un organisme associé à la Cour des comptes et indiquée dans l’étude d’impact : « Le Conseil des prélèvements obligatoires estimait, dans son rapport de 2007, le montant de la fraude fiscale et sociale annuelle entre 29 et 40 milliards d’euros. »

L’inquiétude principale porte sur la mise en œuvre effective de cet accord.

Dans le cadre de la revue par les pairs qui a commencé à être mise en œuvre par le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements en matière fiscale (5) en mars dernier, la législation interne des Bahamas sera examinée au cours du second semestre 2010 et la mise en œuvre effective de l’échange d’informations au cours du second semestre 2012. Pour l’ensemble des pays concernés, cette revue devrait s’achever au second semestre 2014. Comme le précise le rapport précité de notre collègue Jacques Remiller, la France a été choisie pour présider le comité des pairs chargé d’évaluer la mise en conformité du droit et des pratiques des territoires non coopératifs avec leurs engagements internationaux. Le premier représentant de la France à ce poste est M. François d’Aubert, que la commission des Affaires étrangères a entendu le 24 mars dernier.

L’examen de la revue des pairs pourrait mettre en évidence les lacunes éventuelles des réformes réglementaires bahaméennes. On peut cependant regretter qu’un délai aussi important soit laissé aux autorités pour adapter la législation au risque de favoriser une lecture très personnelle des obligations imposées par l’accord.

Sans s’appesantir sur les mesures adoptées par la France pour lutter contre l’évasion fiscale (6), votre rapporteur a interrogé le Gouvernement sur les moyens dont dispose la France en cas de défaut de coopération des Bahamas.

En réponse, il lui a été indiqué que la France, constatant l’absence d’effectivité de l’échange de renseignements, pourrait ajouter les Bahamas à sa propre liste d’États et de territoires non coopératifs en application de la loi de finances rectificative pour 2009. Elle pourrait aller jusqu’à dénoncer les accords si ceux-ci ne pouvaient pas être mis en œuvre.

Le pari de la transparence fiscale qui sous-tend cet accord repose donc sur la pression conjuguée de la revue des pairs et du Gouvernement français. Le Parlement devra veiller à ce que la France n’hésite pas à l’exercer si nécessaire.

CONCLUSION

Malgré la bonne volonté affichée par le Gouvernement français et dans une moindre mesure par le G20, les paradis fiscaux semblent encore promis à un avenir radieux. On ne peut que constater la disproportion entre la modestie des mesures prises et l’ampleur de l’évasion fiscale.

Votre rapporteur estime que l’accord avec les Bahamas, comme avec d’autres Etats, autrefois qualifiés de paradis fiscaux, ne suffira pas à décourager les comportements frauduleux en matière fiscale et financière. C’est pourquoi il est défavorable à l’adoption de ce projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission examine le présent projet de loi au cours de sa réunion du mardi 8 juin 2010.

Après l’exposé du Rapporteur, un débat a lieu.

M. Rudy Salles. Je tiens à souligner que, comme ceux que nous avons examinés précédemment, cet accord constitue un petit pas dans la bonne direction. Je reconnais néanmoins que la disparition de la liste noire et la réduction de la liste grise ne suffisent pas à nous rassurer totalement sur la fin des paradis fiscaux. J’insiste sur la nécessité d’assurer le suivi de la mise en œuvre de ces accords dans le cadre d’un rapport d’information.

M. Axel Poniatowski, président. J’ai déjà donné mon accord pour que la commission élabore, dans un an, un rapport qui fasse le point sur l’effectivité des mesures de mise en œuvre de l’ensemble de ces accords en matière de renseignements fiscaux.

En dépit de l’avis défavorable du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (no 2321).

*

* *

La Commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi dans le texte figurant en annexe du présent rapport.

ANNEXE :

TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Commonwealth des Bahamas relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale (ensemble une annexe), signé à Nassau le 1er décembre 2009 et à Paris le 7 décembre 2009, et dont le texte est annexé à la présente loi.

NB : Le texte de l’accord figure en annexe au projet de loi (n° 2321).

© Assemblée nationale

1 () Rapport n° 2552 fait au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi n° 2330 autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Liechtenstein relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale, déposé le 26 mai 2010.

2 () La liste dite « grise » regroupe les juridictions qui, bien que s’étant engagées à mettre en œuvre les standards internationaux, n’avaient pas encore signé au moins 12 accords permettant l’échange de renseignements fiscaux. Depuis le 2 avril, vingt cinq juridictions, dont les Bahamas, sont passées de la liste grise à la liste blanche.

3 () Société offshore formée en vertu des lois de la juridiction comme société exempte d’impôt mais qui n’est pas autorisée à s’engager dans des affaires dans la juridiction de constitution.

4 () Cette notion s’entend, d’une façon générale, comme le droit qui protège la confidentialité des communications entre un client et son avocat ou conseiller juridique lorsqu’elles sont émises dans le but de prodiguer ou d’obtenir des conseils juridiques ou dans le cadre d’un contentieux.

5 () Le Forum mondial réunit les membres de l’OCDE et plus de soixante d’Etats et de territoires, dont la plupart des membres du G20 non membres de l’OCDE et l’essentiel des juridictions qui ont été, au moins à un moment donné, jugées non coopératives. Avec les évolutions intervenues depuis la fin de l’année 2008, le Forum mondial a été profondément remanié et son champ élargi en septembre 2009. Il a aujourd’hui la charge de mener la revue par les pairs de l’ensemble de ses membres ainsi que celle des juridictions qui présentent un risque en terme de transparence fiscale.

6 () Cf. rapport précité de M. Jacques Remiller.