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Amendements  sur le projet ou la proposition

N° 2648

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 juin 2010.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (n° 2520), interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public,

PAR M. Jean-Paul GARRAUD,

Député.

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Principaux apports de la Commission 5

INTRODUCTION 7

I.– UNE LOI MÛREMENT RÉFLÉCHIE 9

1. La dissimulation permanente du visage dans l’espace public : une problématique apparue récemment 9

2. Un débat d’une année portant sur les valeurs fondamentales de la République 10

3. Une conclusion unanime 12

II.– UNE LOI JURIDIQUEMENT SOLIDE 13

1. Un projet de loi critiqué pour ses risques d’inconstitutionnalité et d’inconventionnalité 13

2. Un fondement constitutionnel clair : l’ordre public 15

3. Des risques conventionnels limités 19

III.– UNE LOI PLEINEMENT APPLICABLE 22

1. Une interdiction dans l’ensemble de l’espace public sera plus simple à faire appliquer qu’une interdiction partielle 22

2. L’adhésion à la loi doit être renforcée par l’information et par la médiation 23

3. Les moyens juridiques de faire appliquer la loi existent déjà 24

AUDITION DE MME MICHÈLE ALLIOT-MARIE, MINISTRE D’ÉTAT, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTÉS 27

EXAMEN DES ARTICLES 43

Article 1er : Interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public 43

Article 2 : Définition de la notion d’espace public et des exceptions à l’interdiction 50

Article 3 : Sanction de la violation de l’interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public 57

Article 4 : (Sect. 1 ter [nouvelle], art. 225-4-10 [nouveau] du code pénal) : Création d’un délit d’instigation à dissimuler son visage 64

Article 5 : Entrée en vigueur des articles 1er à 3 70

Article 6 : Application de la loi sur le territoire de la République 71

Article 7 : Rapport au Parlement sur l’application de la loi 71

TABLEAU COMPARATIF 75

ANNEXE AU TABLEAU COMPARATIF 77

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION 79

ANNEXE : APPLICATION DE L’ARTICLE 86, ALINÉA 8, DU RÈGLEMENT 83

PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR 85

Principaux apports de la Commission

—  À l’initiative de votre rapporteur, la commission a précisé la liste des exceptions à l’interdiction mentionnées à l’article 2, notamment en remplaçant l’expression « raisons médicales » par celle de « raisons de santé » et en introduisant les « pratiques sportives ».

—  À l’article 4, les sanctions pour le délit de dissimulation forcée du visage ont été accrues, sur proposition de M. Jean Glavany et des commissaires membres du groupe SRC. Elles ont également été doublées lorsque la victime est mineure, à l’initiative de votre rapporteur.

—  Le contenu du rapport d’application de la loi, prévu par l’article 7, a été précisé grâce à un amendement de votre rapporteur, afin qu’il soit l’occasion de dresser un bilan complet de la mise en application de ses dispositions.

MESDAMES, MESSIEURS,

Notre assemblée s’est déjà prononcée à deux reprises sur la pratique du port du voile intégral. En lui consacrant une mission d’information, elle a permis d’élaborer un diagnostic partagé ; en votant à l’unanimité une résolution, elle l’a solennellement condamnée comme contraire aux valeurs de la République. Il s’agit aujourd’hui de traduire ce constat et cette prise de position dans le droit.

Pour ce faire, le projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public va au-delà de cette problématique spécifique puisqu’il vise toutes les formes de dissimulation du visage.

Il est communément admis, dans notre société, que l’on ne peut pas dissimuler de manière permanente son visage dans l’espace public. Le visage est le porteur de l’identité et donc de l’unicité de la personne. C’est par lui que peut naître le dialogue. Le dissimuler c’est donc s’exclure du pacte social qui rend possible la vie en commun. Cette conception n’est pas nouvelle. Elle demeurait auparavant implicite et, n’étant jamais transgressée, personne ne songeait à l’expliciter. Cependant, maintenant que le fait de dissimuler de manière permanente son visage dans l’espace public se répand, il est temps de traduire cette règle dans notre droit, afin de protéger les fondements du vivre-ensemble et de l’ordre public immatériel ou sociétal, entendu comme un socle minimal d’exigences réciproques et de garanties essentielles de la vie en société. Cet ordre public garantit l’équilibre subtil qui existe entre nos valeurs fondamentales que sont la liberté, l’égalité, la fraternité et la dignité de la personne humaine.

Ainsi que le prouve le vote unanime de la résolution, chacun s’accorde sur ces principes, qui ne peuvent que motiver une interdiction générale. Toutefois, certains redoutent qu’une interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public n’entraîne des effets indésirables.

Le premier est le risque de stigmatisation des personnes qui adoptent cette pratique et de l’islam de manière générale, la plupart d’entre elles se réclamant de cette religion.

Il faut s’opposer de la manière la plus ferme qui soit à cette idée. Si le projet de loi est issu d’une réflexion entamée par la représentation nationale au sujet de la pratique du port du voile intégral, aucun vêtement ni aucune religion ne sont mentionnés dans le projet de loi, qui porte sur l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public. La pratique du port du voile intégral n’a été qu’un révélateur confirmant la place éminemment centrale du visage dans la vie sociale.

De surcroît, à chaque étape de leur réflexion, les pouvoirs publics ont eu le souci de consulter les institutions représentatives des musulmans de France qui, unanimement, ont estimé que le port du voile intégral ne résulte d’aucune prescription religieuse. Tel a été le cas du Président de la République, du Premier ministre et du Garde des Sceaux ainsi que de la mission d’information. Ils ont rappelé, à chaque occasion, qu’il ne saurait être question d’assimiler la population de confession musulmane vivant en France avec le port du voile intégral, qui est un phénomène marginal, et ont condamné les discriminations dont sont victimes nos compatriotes musulmans alors même qu’ils vivent, très majoritairement, leur culte dans le plus entier respect des principes et lois de la République.

Le second risque tient au fait qu’une interdiction pourrait contraindre certaines personnes qui ne souhaitent pas renoncer à cette pratique à demeurer à leur domicile, compliquant encore la situation dans laquelle elles se trouvent. Face à cet argument, il faut garder à l’esprit que la loi a d’abord pour mission d’aider les personnes les plus vulnérables de nos sociétés.

Si certains souhaitent, par décision consciente fruit d’une volonté librement consentie, continuer à dissimuler de manière permanente leur visage dans l’espace public, ils devront effectivement rester à leur domicile, de même que les personnes qui désireraient se déplacer totalement nues dans les lieux publics ne peuvent le faire. La loi restreindra, à la marge, leur liberté vestimentaire, au nom du vivre-ensemble.

Mais il faut également prendre en considération toutes les personnes auxquelles la dissimulation du visage est imposée, par la contrainte familiale, par la pression de leur environnement, par l’endoctrinement qu’elles et leurs proches ont subi. Pour elles, la loi sera un véritable point d’appui, un vecteur de libération, un moyen d’émancipation. Elles pourront arguer du droit, ou tout simplement en bénéficier sans rien dire, et recouvrer ainsi, grâce à la loi, une liberté qui était auparavant aliénée.

Le projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public n’est pas un projet partisan et ne doit pas être débattu comme tel. Il est le fruit d’une réflexion collective, qui est née à l’Assemblée nationale voici un an et qui n’a pas cessé depuis. Après le rappel des différents apports qui ont progressivement enrichi le débat public devra être apportée une réponse aux deux critiques qui lui sont le plus fréquemment adressées, pour montrer, d’une part, que la future loi sera conforme à la Constitution et aux engagements internationaux de la France et, d’autre part, qu’elle pourra être pleinement appliquée.

I.– UNE LOI MÛREMENT RÉFLÉCHIE

Plus d’une année s’est écoulée depuis que la Conférence des Présidents de l’Assemblée nationale a décidé de créer une mission d’information portant sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national. Depuis, le débat n’a jamais cessé. De nombreuses personnalités et institutions se sont exprimées à ce sujet, créant les conditions d’un vaste débat républicain, dont la conclusion, sur le plan des principes, a été le vote à l’unanimité d’une résolution le 11 mai 2010. Le projet de loi qui a été déposé par le Gouvernement est donc le fruit de cette réflexion collective.

1. La dissimulation permanente du visage dans l’espace public : une problématique apparue récemment

C’est au début des années 2000 que la dissimulation permanente du visage est apparue dans le débat public à propos de ce que l’on a, dans un premier temps, qualifié de burqa. Initialement identifiée au régime taliban, la pratique du port du voile intégral (1) s’est progressivement développée dans la plupart des pays occidentaux, au point de devenir, au début de l’année 2009, un sujet important du débat politique français justifiant une prise de position publique du Président de la République lors de son intervention devant le Congrès, à Versailles, le 22 juin 2009.

De fait, l’étude menée par le ministère de l’Intérieur à la fin de l’année 2009 a permis de quantifier cette pratique (2), montrant sa forte croissance : alors que le port du voile intégral était inexistant en France au début des années 2000, il y aurait actuellement en France 1 900 femmes portant le voile intégral.

De surcroît, cette étude montre que le port du voile intégral, s’il touche l’ensemble des régions de métropole, se concentre dans quelques régions : l’Île-de-France, qui regroupe la moitié des cas recensés en France, Rhône-Alpes (160 cas) et Provence-Alpes-Côte-d’Azur (une centaine de cas). Par ailleurs, sur les 1 900 femmes portant le voile intégral, 270 vivent à la Réunion et 20 à Mayotte.

L’étude a également permis de dresser un portrait sociologique des personnes qui portent le voile intégral. Il s’agit en très grande majorité, de femmes jeunes, dans la mesure où la moitié d’entre elles a moins de 30 ans et 90 % a moins de 40 ans. Par ailleurs, 1 % d’entre elles sont des mineures, certaines ayant moins de 10 ans. Elles sont pour les deux tiers de nationalité française et un quart des femmes intégralement voilées seraient des converties à l’islam, nées dans une famille de culture, de tradition, ou de religion non musulmane.

Le caractère quantitativement marginal et sociologiquement ciblé du port du voile intégral conduit certains à considérer que le législateur n’aurait pas lieu de s’en préoccuper. Cette idée ne doit pas nous conduire à renoncer. Outre que la pratique va croissant et qu’il est plus aisé de l’endiguer sans attendre qu’elle se soit généralisée, la négation du vivre-ensemble qu’elle emporte justifie à soi seule et indépendamment du nombre que le législateur s’en saisisse.

Par ailleurs, le voile intégral n’est pas la seule tenue permettant de dissimuler son visage dans l’espace public et, parce que la dissimulation du visage doit être prohibée, le projet de loi concerne l’ensemble des tenues ayant cet objet. Il faut noter, à cet égard, que le fait de dissimuler son visage constitue d’ores et déjà une circonstance aggravante de certaines infractions pénales (3) et une contravention de cinquième classe, lorsque la dissimulation a lieu aux abords de manifestations, dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public (4).

C’est néanmoins face au constat du développement de la pratique du port du voile intégral dans l’espace public qu’un débat a été engagé, au début de l’année 2009, pour ne plus cesser depuis.

2. Un débat d’une année portant sur les valeurs fondamentales de la République

Le véritable point de départ de la réflexion engagée sur la dissimulation du visage dans l’espace public a eu lieu lors de la création d’une mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national par la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale, le 23 juin 2009, à l’initiative de M. André Gerin, qui la présida, et dont le rapporteur était M. Éric Raoult.

La mission a dressé un véritable état des lieux de cette pratique, auditionnant 211 personnes durant plus de quatre-vingts heures, sollicitant toutes les formations politiques, procédant à quatre déplacements et faisant le point sur la situation des autres pays confrontés à cette pratique, avec l’aide des ambassades françaises à l’étranger. Son rapport constitue l’unique document de référence disponible sur cette pratique (5). Établissant un diagnostic partagé, il a été au fondement des démarches ultérieures, que ce soit la consultation du Conseil d’État, le vote d’une résolution ou, à présent, l’élaboration et la discussion d’un projet de loi.

À l’occasion des travaux de la mission l’ensemble des problématiques a été abordé, tant par des acteurs de terrain directement confrontés à cette pratique, que par des universitaires ou des juristes, qui ont avancé les grandes interprétations que l’on pouvait faire de ce phénomène et les réponses qu’il serait possible de lui apporter.

Il est d’emblée apparu que la pratique du port du voile intégral et, plus largement, le fait de dissimuler de manière permanente son visage dans l’espace public, engendrerait un débat sur les fondements mêmes de notre République. Il s’agissait de réfléchir à la compatibilité d’un phénomène nouveau et en progression avec les valeurs fondamentales de notre République que rappelle sa devise : Liberté, Égalité, Fraternité.

La mission d’information a dégagé, dans son rapport rendu public le 26 janvier 2010, quatre préconisations principales : l’adoption d’une résolution condamnant la pratique du port du voile intégral comme contraire aux valeurs républicaines, l’engagement d’une réflexion d’ensemble sur les discriminations, le renforcement des actions dans le domaine éducatif et le vote d’une loi protégeant les femmes victimes de contrainte et confortant les agents publics confrontés à cette pratique. Elle a, en revanche, noté l’absence de consensus sur une loi d’interdiction générale et absolue.

Prenant acte de ces propositions, le Premier ministre a décidé, par une lettre du 29 janvier 2010, de demander au Conseil d’État d’étudier les solutions juridiques permettant de parvenir à une interdiction du port du voile intégral qui soit la plus large et la plus effective possible. La haute juridiction, saisie en sa qualité de conseil du Gouvernement, a alors créé un groupe de travail rassemblant des membres de toutes les sous-sections du Conseil d’État.

L’étude du Conseil d’État (6), adoptée le 25 mars 2010, conclut qu’il existerait des risques constitutionnels et conventionnels en cas d’adoption d’une loi d’interdiction générale de la dissimulation du visage dans l’espace public, quel qu’en soit le fondement juridique. Il propose donc des interdictions limitées à certains espaces, définis par arrêté préfectoral ou municipal, dans lesquels des circonstances particulières font craindre des atteintes à l’ordre public et notamment à la sécurité publique et à certaines circonstances, lorsque des vérifications relatives à l’identité ou à l’âge sont nécessaires. Il préconise, par ailleurs la création d’un délit spécifique d’instigation à dissimuler son visage.

Il convient de rappeler qu’il incombait au Conseil d’État de rendre un avis en l’état du droit existant. Cela ne signifie pas pour autant, on le verra, que toute interdiction d’ensemble soit impossible.

À travers ces divers apports au débat, dont la presse s’est largement fait l’écho, a progressivement émergé l’idée selon laquelle la dissimulation permanente du visage dans l’espace public constituait l’antithèse des valeurs républicaines et qu’il était nécessaire d’empêcher ces pratiques, voire de les interdire, le plus généralement possible. C’est fort de ce constat partagé qu’une unanimité a pu être trouvée sur les bancs de l’Assemblée nationale pour une action déterminée en ce sens.

3. Une conclusion unanime

Le rapport de la mission d’information se voulait une contribution au débat politique, ainsi qu’en témoigne sa conclusion appelant de ses vœux « un large accord républicain » (7).

Cette préconisation a été concrétisée par le vote, le 11 mai 2010, d’une résolution sur l'attachement au respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte (8). Prenant appui sur les textes les plus fondamentaux de notre ordre juridique, cette résolution réaffirme l’attachement de la représentation nationale aux valeurs de dignité, de liberté, d’égalité et de fraternité et condamne la pratique du port du voile intégral comme contraire aux valeurs de la République.

Les conditions dans lesquelles cette résolution a été votée traduisent bien la condamnation unanime que suscitent la pratique du port du voile intégral, et, plus généralement, le fait de dissimuler de manière permanente son visage dans l’espace public. Elle a, en effet, été adoptée à l’unanimité des suffrages exprimés.

Le même consensus existe pour ce qui est du recours à la loi dans le but d’endiguer ce phénomène. Il est en effet apparu lors des travaux de la mission d’information (9) que la loi était le vecteur normatif idoine pour interdire la dissimulation du visage, que cette interdiction soit générale ou limitée à certains lieux. Le Conseil d’État, dans son étude (10), a adopté la même analyse en se fondant sur l’article 34 de la Constitution qui attribue compétence au législateur pour fixer les règles concernant « les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ».

De fait, tant le groupe Union pour un Mouvement Populaire (UMP) que le groupe Socialiste, radical et divers gauche (SRC) de l’Assemblée nationale ont déposé une proposition de loi portant sur la dissimulation du visage (11). Si les interdictions prévues par ces deux textes ne sont pas identiques quant à leur champ d’application, il n’en demeure pas moins qu’elles attestent de la volonté de ces deux groupes politiques de recourir à la loi afin de lutter contre la pratique de la dissimulation permanente du visage.

La principale différence entre ces deux propositions de loi tient à l’appréciation divergente de la marge de manœuvre dont dispose le législateur pour interdire cette pratique, fondant, pour les uns, la possibilité d’une interdiction dans l’ensemble de l’espace public et, pour les autres, la nécessité de la limiter aux services publics et à d’autres lieux en fonction des risques d’atteinte à l’ordre public. Le présent projet de loi a pris parti pour la première option.

II.– UNE LOI JURIDIQUEMENT SOLIDE

La plupart des critiques concernant le projet de loi se sont concentrées sur la contrariété supposée de l’interdiction générale, telle qu’elle est posée aux articles 1er à 3 du projet de loi, avec la Constitution et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CEDH). Pourtant, il apparaît qu’il puisse disposer de fondements juridiques solides au regard de l’une comme de l’autre.

1. Un projet de loi critiqué pour ses risques d’inconstitutionnalité et d’inconventionnalité

Dès le travail de la mission d’information parlementaire, le débat avait été engagé quant à la possibilité, pour le législateur, d’adopter une loi d’interdiction générale proscrivant la dissimulation du visage de l’espace public. De nombreux juristes avaient été invités à donner leur avis sur la question. Pour sa part, la mission était restée prudente, estimant que fonder une éventuelle loi sur la notion d’ordre public était « la piste la moins risquée » (12). Le Conseil d’État, dans son étude, a également souligné la « fragilité juridique » et les risques encourus si une telle législation devait être adoptée (13), tout en donnant des pistes sérieuses pour passer outre ces risques.

De fait, la question de la constitutionnalité du projet de loi et celle de sa conventionalité doivent être débattues pour deux raisons.

—  Le projet de loi porterait atteinte à des droits et libertés garantis par la Constitution et par la CEDH

Ainsi que l’ont relevé tant la mission d’information que le Conseil d’État, une interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public porterait potentiellement atteinte à la liberté de manifester ses convictions, notamment religieuses, qui est garantie par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par l’article 9 de la Convention. Bien que le projet de loi ne vise pas à restreindre la liberté de manifester ses convictions, dans la mesure où il se borne à énoncer une interdiction générale de dissimulation du visage sur le fondement de la notion d’ordre public, le Conseil constitutionnel et la Cour européenne devraient être amenés à examiner cet argument dans la mesure où la violation de cette liberté sera très certainement invoquée par les requérants qui contesteront la loi.

L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. »

L’article 9 de la CEDH

« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.

« 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ».

La liberté personnelle pourrait également être invoquée, sur le fondement de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de même que le droit au respect de la vie privé, qui est protégé tant par l’article 2 de la Déclaration que par l’article 8 de la CEDH.

D’autres libertés pourraient également voir leur exercice restreint par l’adoption d’une telle interdiction. On peut citer, à ce titre, la liberté d’aller et de venir ou la liberté du commerce et de l’industrie.

Mais le fondement de l’interdiction ainsi que les exceptions prévues par le projet de loi garantissent un équilibre entre l’intérêt général et l’exercice des libertés en cause. Il est donc essentiel de démontrer qu’il ne leur est pas porté une atteinte excessive.

Il est donc essentiel de démontrer que le projet de loi ne porte pas une atteinte disproportionnée à ces libertés.

—  Le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme auront certainement à se prononcer à moyen terme

La démonstration de la conformité du projet de loi à la Constitution et de sa compatibilité avec la CEDH est d’autant plus nécessaire que le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme auront très certainement à se prononcer sur les dispositions de la loi si elle est adoptée en l’état.

En effet, la Cour peut être saisie par des requérants individuels après épuisement des voies de recours internes. Elle a ainsi eu à connaître de la conformité aux dispositions de la Convention de la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.

Parallèlement, et même en l’absence de saisine a priori, le Conseil constitutionnel aura certainement à se prononcer sur le contenu du projet de loi par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité, possibilité ouverte par l’article 61-1 de la Constitution introduit par la révision du 23 juillet 2008.

2. Un fondement constitutionnel clair : l’ordre public

Une interdiction générale de dissimuler son visage dans l’espace public ne peut reposer que sur un fondement juridique unique : la notion d’ordre public. En effet, le rapport de la mission d’information (14), l’étude du Conseil d’État (15) et les constitutionnalistes entendus par votre rapporteur ont pointé les risques qu’il y aurait à tenter de trouver un autre fondement à cette interdiction.

Ni le principe de laïcité, ni celui d’égalité entre les sexes ni celui de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ne peuvent constituer le fondement juridique d’une interdiction générale. En effet, le projet de loi n’envisage pas une interdiction du voile intégral en tant que tel mais une interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public. Or, outre qu’il n’est pas avéré que ces principes justifieraient l’interdiction du voile intégral, il est certain qu’ils ne peuvent fonder la prohibition de la dissimulation permanente du visage dans l’espace public qui est visée par le projet de loi.

Seul l’ordre public peut juridiquement fonder une telle interdiction.

L’ordre public comporte, dans sa conception classique, une dimension matérielle. Il regroupe alors trois composantes traditionnelles que sont la sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques (16). Selon l’analyse faite par le Conseil d’État, ces trois composantes ne sont pas, à elles seules, suffisantes pour justifier une interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public. Il faut toutefois rappeler que la dissimulation du visage est une pratique fréquemment employée pour faciliter diverses actions délictueuses sans que l’identité de leur auteur soit directement constatable. De surcroît, si le juge administratif exige que des circonstances locales particulières soient réunies afin de justifier des mesures de police prises sur le fondement de l’ordre public (et donc de la sécurité publique), tel n’est pas le cas du juge constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme, qui privilégient un contrôle de proportionnalité entre les droits et exigences en présence. L’ordre public matériel pourrait donc fournir un premier fondement à une interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public puisqu’il englobe la sécurité publique tant dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel (17) que dans celle de la Cour européenne des droits de l’homme (sur le fondement du paragraphe 2 de l’article 9 de la Convention, notamment).

L’ordre public a également une dimension immatérielle ou sociétale qui a été clairement mise en évidence par le Conseil d’État, dans son étude. La jurisprudence administrative a ainsi successivement inclus dans la notion d’ordre public, d’une part, la moralité publique (18) puis, d’autre part, la dignité de la personne humaine (19). Néanmoins, il estime que la mise en œuvre d’interdictions fondées sur la moralité publique requiert la présence de circonstances locales particulières et la protection de la dignité de la personne humaine est, au vu de la jurisprudence la plus récente, prioritairement conçue par les juges constitutionnel et conventionnel comme garantissant l’exercice de la liberté individuelle et du libre arbitre plutôt que comme y faisant obstacle (20).

Mais l’ordre public immatériel peut également être analysé, selon le Conseil d’État, comme « un socle minimal d’exigences réciproques et de garanties essentielles de la vie en société, qui […] sont à ce point fondamentales qu’elles conditionnent l’exercice des autres libertés, et qu’elles imposent d’écarter, si nécessaire, les effets de certains actes guidés par la volonté individuelle. Or, ces exigences fondamentales du contrat social implicites et permanentes, pourraient impliquer, dans notre République, que, dès lors que l’individu est dans un lieu public au sens large, c'est-à-dire dans lequel il est susceptible de croiser autrui de manière fortuite, il ne peut ni renier son appartenance à la société, ni se la voir déniée, en dissimulant son visage au regard d’autrui au point d’empêcher toute reconnaissance. » (21) Il serait alors un ordre public sociétal, et spécifiquement un ordre public sociétal et républicain. Cependant, le Conseil d’État note que cette conception de l’ordre public n’a jamais été théorisée en tant que telle par le Conseil constitutionnel ou par la Cour européenne des droits de l’homme et qu’elle ne jouit donc pas de la même solidité juridique que l’ordre public matériel.

Ceci ne signifie pas, pour autant, que l’ordre public immatériel ou sociétal n’ait jamais été utilisé par la jurisprudence et par la doctrine (22). On peut même estimer, comme l’a fait M. Guy Carcassonne au cours de son audition (23), qu’il s’agit de l’un des principes qui irrigue en profondeur notre tradition juridique. Ce socle minimal d’exigences réciproques pour la vie en société, que l’on ne saurait confondre avec un quelconque ordre moral, a pu s’incarner, depuis la Révolution française, dans différentes notions et sous différentes appellations, qui font encore partie, pour la plupart, de nos textes les plus fondamentaux :

—  en 1789, on appelait cet ensemble de règles communes la « Société », au sens de l’article 5 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui dispose que « La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. » Ce texte, de valeur constitutionnelle, pourrait fonder une interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public ;

—  en 1848, on lui a donné le nom de fraternité, notion qui figure aujourd’hui encore dans la devise républicaine énoncée à l’article 3 de la Constitution de 1958, ainsi que dans son préambule et son article 72-3 qui évoquent l’« idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité » qui unit la République et les populations d’outre-mer. Si cette notion n’a pas reçu de consécration juridique, notamment au niveau constitutionnel (24), on ne saurait estimer pour autant qu’elle est dépourvue de toute portée, dans la mesure où elle a rang constitutionnel ;

—  au début du XXe siècle, on a pu entendre un certain nombre de ces valeurs sous l’expression de moralité publique. Pierre-Henri Teitgen, dans sa thèse sur la police municipale, invoque l’existence d’une police de la moralité publique destinée à prévenir « les scandales publics, c'est-à-dire les atteintes publiques au minimum d’idées morales naturellement admises, à une époque donnée, par la moyenne des individus. » (25) Cette notion sert toujours de fondement à l’exercice de certaines polices administratives spéciales, ainsi que cela a été évoqué ;

—  plus récemment, on a pu appeler ce socle d’exigences fondamentales le « vivre-ensemble », qui s’incarne, au plan juridique, dans des notions telles que l’« intérêt général » ou l’« intérêt public ». C’est d’ailleurs le fondement qu’a employé le Conseil constitutionnel pour valider l’exclusion du bénéfice de la carte temporaire de séjour et de la carte de résident des étrangers qui vivent en état de polygamie, au nom d’un « objectif d’intérêt public » (26) ou d’un « objectif d’intérêt général » (27) et estimer que « les conditions d’une vie familiale normale sont celles qui prévalent en France, lesquelles excluent la polygamie. » (28) De manière analogue, il a mis en valeur « l’intérêt général tenant à la prohibition de l’inceste » (29).

Cette conception de l’ordre public immatériel ou sociétal comme socle d’exigences fondamentales est donc fortement ancrée dans notre tradition juridique et inscrite dans notre bloc de constitutionnalité. Il revient au législateur d’en définir les contours en établissant les limites des quelques règles sans lesquelles la vie sociale est impossible. C’est ainsi qu’a pu être établi le délit d’exhibition sexuelle (30), dont le Conseil d’État estime qu’il s’agit d’un « comportement qui est regardé comme agressant par nature les personnes qui y sont exposées » (31). Or, à qui revient-il de définir de tels comportements si ce n’est au législateur ?

En matière d’habillement dans l’espace public, on peut estimer, avec M. Guy Carcassonne que « les codes sociaux font qu’il y a des éléments de notre corps que l’on cache, d’autres que l’on montre. Peut-être dans mille ans exposera-t-on son sexe et dissimulera-t-on son visage, pour le moment, c’est l’inverse qui est unanimement admis. » (32) Le fait de dissimuler son visage est donc vécu, à l’instar de l’exhibition sexuelle, comme « manifestant une certaine violence symbolique », pour reprendre les termes du philosophe Abdenour Bidar (33). Toutes les personnes auditionnées par la mission se sont exprimées dans des termes voisins, jugeant que le fait de dissimuler de manière permanente son visage dans l’espace public témoignait, d’une part, d’un désir de se retirer de l’espace public et, d’autre part, d’une volonté de masquer son identité. On peut donc estimer que le fait de dissimuler son visage en public de manière permanente est manifestement contraire au socle minimal d’exigences réciproques nécessaires à la vie en commun c'est-à-dire à l’ordre public sociétal ou immatériel. Cette règle, auparavant implicite doit donc, au vu des violations de plus en plus importantes dont elle fait l’objet, être désormais explicitée par notre droit.

Il va de soi que la définition par le législateur de comportements incompatibles avec l’ordre public sociétal peut restreindre l’exercice de certains droits et libertés garantis par la Constitution. Il en va ainsi de la liberté d’aller et venir, qui est limitée par le délit d’exhibition sexuelle précédemment mentionné ou de la liberté du mariage, reconnue par le Conseil constitutionnel (34), qui ne justifie pas la polygamie ou l’inceste.

En l’occurrence, il n’apparaît pas qu’une interdiction de la dissimulation du visage porte une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir, d’autant que des exceptions sont prévues par l’article 2. Pour ce qui est des limites apportées à la liberté d’exprimer ses convictions religieuses, le législateur détient une habilitation expresse de l’article 10 de la Déclaration de 1789 puisque « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi ». Il est donc fondé, au nom du socle d’exigences réciproques à la vie en commun que l’on nomme ordre public, à limiter la liberté de manifester ses opinions.

Fondée sur de tels principes, l’interdiction ne peut que valoir pour l’ensemble de l’espace public et pour l’ensemble du territoire de la République ainsi que le prévoit l’article 6 du projet de loi. On ne saurait en effet exiger des circonstances locales particulières lorsque ce sont les fondements du vivre-ensemble qui sont en cause. En revanche, il est nécessaire de concilier l’ordre public ainsi entendu avec des impératifs pratiques et de tenir compte des hypothèses dans lesquelles sont requises des tenues qui peuvent, sans que cela soit leur fonction première ou l’intention de ceux qui les portent, dissimuler leur visage. Tel est le sens des exceptions que connaît l’interdiction, sur le fondement de l’article 2 du projet de loi.

En conclusion, ainsi que l’a souligné Mme Anne Levade au cours de son audition, « la société démocratique emporte, par nature, des exigences. Parce que l’appartenance à la Cité suppose le lien avec ses semblables et, par voie de conséquence, un « vivre-ensemble » ou une forme de concitoyenneté, la société démocratique interdit que la liberté individuelle se confonde avec l’autonomie intégrale qui confinerait à la souveraineté de l’individu. Des concepts comme ceux d'intérêt général, d'intérêt national, de santé publique ou d'ordre public non matériel sont les contrepoids indispensables aux excès de la primauté absolue des droits individuels. Ils constituent autant de « soupapes de sécurité » sans lesquels l'État de droit ignorerait les enjeux collectifs et se replierait sur lui-même et sur l’individualité au point de mettre en péril son existence en tant que société. » (35)

3. Des risques conventionnels limités

Une future loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public pourrait faire l’objet d’une requête individuelle contre la France, devant la Cour européenne des droits de l’homme, pour violation de la liberté de pensée, de conscience et de religion garantie par l’article 9 de la Convention.

Cependant, ainsi que l’a jugé la Cour, le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion est dérogeable, dans la mesure où il « ne garantit pas toujours le droit de se comporter d’une manière dictée par la conviction » (36). Les fondements de nature à justifier des limitations de ce droit sont expressément énoncés au paragraphe 2 de l’article 9 qui énonce que « la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

Afin de contrôler la conventionnalité des restrictions apportées à cette liberté, la Cour vérifie que trois conditions sont remplies, ainsi qu’elle l’a fait, notamment, lors de l’affaire Leyla Sahin (37).

En premier lieu, elle vérifie que l’ingérence dans les droits garantis par l’article 9 est « prévue par la loi ». Cette condition est manifestement remplie pour l’interdiction posée par l’article 1er du projet de loi.

En deuxième lieu, elle examine la présence d’un « but légitime » justifiant cette ingérence. En l’occurrence, la protection de l’ordre public et celle des droits et libertés d’autrui peuvent constituer des buts légitimes au sens de la Convention, ainsi que la Cour l’a admis dans le cadre de l’affaire Leyla Sahin précitée.

En troisième lieu, la Cour apprécie si la restriction est « nécessaire dans une société démocratique ». À cet égard, plusieurs remarques doivent être faites :

—  la Cour, est attentive au respect du principe de subsidiarité, tient compte du contexte national et laisse aux États une marge d’appréciation quant aux dispositions à adopter. Elle n’a pas pour objectif d’uniformiser le droit existant dans les pays qui ont ratifié la Convention ;

—  elle procède à un contrôle plus souple lorsque la loi ne vise aucune croyance en particulier. L’arrêt Vergos contre Grèce prend ainsi en considération le fait que la loi en question soit « une loi prima facie neutre à l’égard de l’exercice de la liberté de culte » (38). Or, le projet de loi interdit la dissimulation du visage de manière générale et non le port d’une tenue que certains présentent comme la manifestation d’une conviction religieuse ;

—  elle prend également en considération les législations en vigueur dans les autres État parties à la Convention. Or, il faut noter à ce propos une évolution importante : de plus en plus d’États européens réfléchissent à une interdiction de la dissimulation du visage dans certains espaces. Ainsi la chambre des députés belge a-t-elle adopté en première lecture une proposition de loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public. Plusieurs villes de Catalogne et d’Italie ont fait de même. Le gouvernement espagnol songe à emprunter, lui aussi, la voie de l’interdiction. De surcroît, il n’est pas exclu que d’autres pays envisagent des interdictions similaires avant que la Cour n’ait à rendre un jugement quant à la conformité de la loi française au regard de la Convention.

Ces trois éléments confortant la position de la France, et compte tenu de l’importance de l’atteinte à l’ordre public immatériel et sociétal tel que défini ci-dessus, il est donc probable que la Cour ne jugerait pas disproportionnée l’atteinte portée par la loi aux droits garantis par l’article 9 de la Convention.

À cet égard, il serait erroné de comparer la situation qui serait celle de la France en cas d’adoption du projet de loi avec celle qui a récemment été l’objet de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Arslan et autres contre Turquie (39). En effet, dans cette affaire, la Cour a eu à connaître de l’arrestation et de la mise en détention provisoire d’un groupe de personnes qui portaient une tenue caractéristique, « composée d’un turban, d’un « salvar » (saroual) et d’une tunique, tous de couleur noire, et étaient munis d’un bâton, cette tenue rappelant selon eux celle des principaux prophètes, notamment le prophète Mohammed. » (40)

Or, pour justifier cette arrestation, la Turquie s’est fondée, devant la Cour, sur le principe de laïcité. Cette dernière a jugé qu’il ne pouvait trouver à s’appliquer en l’espèce dans la mesure où étaient concernés de simples particuliers et non des fonctionnaires. De surcroît, ces tenues étant portées dans « des lieux publics ouverts à tous comme les voies ou places publiques » (41), les restrictions que la Cour admet en ce qui concerne les établissements publics ne trouvaient pas à s’appliquer. Enfin, la Cour a estimé que le simple fait de se trouver sur la voie publique vêtu d’une tenue spécifique ne constituait pas et ne risquait pas de « constituer une menace pour l’ordre public ou une pression sur autrui » (42).

Un raisonnement hâtif pourrait laisser penser que cet arrêt empêche, au regard de la CEDH, toute interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public, et annoncerait une condamnation de la France dans l’hypothèse où une loi d’interdiction serait contestée devant la Cour par des personnes qui ne pourraient plus revêtir de voile intégral.

Un raisonnement plus circonstancié conduit à considérer que la situation serait totalement différente de celle de l’arrêt Arslan. D’une part, le projet de loi n’envisage pas d’interdire telle ou telle tenue particulière qui n’était, en l’espèce, pas en cause dans l’arrêt Arslan. D’autre part, le fondement de l’interdiction réside dans l’ordre public sociétal ou immatériel et non dans le principe de laïcité qui a été, d’emblée, écarté. Là est la différence fondamentale entre le projet de loi que nous devons examiner et la situation dont la Cour a eu à connaître, démontrant que le raisonnement développé dans cet arrêt ne serait pas transposable à un contentieux qui naîtrait à la suite de l’adoption du présent projet de loi.

III.– UNE LOI PLEINEMENT APPLICABLE

Outre la question de la constitutionnalité et de la conventionalité d’une interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public, l’autre critique qui a fréquemment été adressée au projet de loi est celle de son inapplicabilité : quand bien même une telle loi serait votée et passerait l’épreuve du contrôle de constitutionnalité et de conventionalité, celle-ci serait destinée à demeurer une pétition de principe. Tous les outils nécessaires sont pourtant à la disposition des pouvoirs publics pour faire appliquer cette interdiction.

1. Une interdiction dans l’ensemble de l’espace public sera plus simple à faire appliquer qu’une interdiction partielle

Contrairement à l’idée reçue qui veut qu’une interdiction partielle de la dissimulation du visage soit plus simple à faire appliquer qu’une interdiction valable dans l’ensemble de l’espace public, dans la mesure où le nombre de lieux à contrôler est moins important, il apparaît, en fait, que tel n’est pas le cas, pour trois raisons principales.

En premier lieu, il résulterait d’une interdiction limitée à certains lieux et à certaines circonstances, à l’image de celle que propose le Conseil d’État dans son étude (43), une forme de pointillisme pénal. À l’image des affiches qui doivent être apposées pour délimiter les zones soumises à la vidéosurveillance, il faudrait également signaler celles où la dissimulation du visage est interdite. De surcroît, ce régime juridique serait peu lisible, dans la mesure où il n’apparaîtrait pas toujours clairement pourquoi la dissimulation du visage est interdite ou autorisée dans tel ou tel lieu.

En deuxième lieu, les maires sont fortement favorables à l’édiction d’une règle unique, valable sur l’ensemble du territoire national. Une interdiction géographiquement limitée à certains lieux dont la définition serait laissée au préfet et au maire serait susceptible de faire peser un risque de stigmatisation sur certains quartiers, ainsi que l’ont souligné les représentants de l’association Ville et banlieue de France lors de leur audition par la mission d’information (44). Enfin, comment les forces de l’ordre pourront-elles faire une interdiction dont les contours varient d’une commune à l’autre ? À ce titre, l’exemple de la Belgique est éclairant : alors que certaines interdictions locales sont déjà en vigueur, une interdiction générale est cependant envisagée, témoignant du caractère insuffisant des possibilités laissées aux autorités locales pour interdire la dissimulation du visage de manière satisfaisante (45).

En dernier lieu, le fait de n’édicter qu’une interdiction circonscrite à certains lieux et à certaines circonstances fait peser, en dernier ressort, la responsabilité de l’application de la loi sur les simples citoyens et les agents publics de première ligne. En effet, rappelons-le, le choix d’une interdiction circonscrite conduirait, a contrario, à autoriser et légaliser la dissimulation permanente du visage dans l’espace public. Dès lors, s’il est autorisé de dissimuler de manière permanente son visage dans l’espace public, le dévoilement devra se faire à l’entrée des services publics et autres lieux où l’interdiction prévaudra. De fait, il reviendra donc aux personnes qui travaillent dans ces espaces de demander à ce que la dissimulation du visage cesse.

Une interdiction générale est donc préférable, y compris du point de vue de l’applicabilité de la future loi. Il faut d’ailleurs rappeler que, si l’interdiction est effectivement fondée sur l’ordre public immatériel ou sociétal tel que défini ci-dessus, l’interdiction ne peut être que générale, étant donné le caractère fondamental des principes auxquels la dissimulation du visage porte atteinte.

2. L’adhésion à la loi doit être renforcée par l’information et par la médiation

Les principaux moyens pour rendre l’interdiction effective seront l’information et la médiation, ainsi que l’ont souligné tant le rapport de la mission d’information (46) que l’étude d’impact du projet de loi (47).

Face à la pratique de la dissimulation permanente du visage dans l’espace public, la médiation constitue la première réponse, afin de faire prendre conscience aux personnes qui adoptent ce comportement qu’il est en contradiction avec les valeurs les plus essentielles de la République. Les associations, les élus locaux et les institutions religieuses qui mènent ce travail pourront désormais s’appuyer sur la résolution parlementaire qui les explicite.

Ces acteurs locaux disposeront de six mois pour faire régresser cette pratique avant que l’interdiction n’entre en vigueur. En effet, l’article 5 du projet de loi diffère de six mois cette entrée en vigueur, afin de permettre ce travail d’information, de persuasion et de dialogue avec les personnes qui seront concernées par l’interdiction.

Dans le même temps, le ministère de l’Intérieur, d’une part, et le ministère de la Justice, d’autre part, informeront leurs services des nouvelles dispositions en vigueur par voie de circulaire. Les modalités de leur mise en œuvre seront alors définies, afin de faciliter l’entrée en vigueur de l’interdiction. Devrait, pas exemple, être préconisé, pour ce qui concerne les forces de l’ordre, de faire preuve de tact lors du constat de l’infraction et, pour ce qui est de la politique pénale, de privilégier les alternatives aux poursuites afin d’engager un dialogue avec les contrevenants.

La sanction prévue par l’article 3 du projet de loi en cas de violation de l’interdiction est elle-même pédagogique pour deux raisons. D’une part, l’obligation d’effectuer un stage de citoyenneté peut être prononcée en plus ou à la place de la peine d’amende. Ce stage a pour objet de « rappeler les valeurs républicaines de tolérance et de respect de la dignité humaine sur lesquelles est fondée la société » (48). D’autre part, le ministère public disposera de toute la gamme des alternatives aux poursuites pour adapter la sanction au contexte de l’infraction. En effet, il n’est pas prévu que l’amende soit forfaitaire, afin d’éviter les sanctions automatiques. Dans tous les cas, un dialogue devra donc s’engager entre le parquet et le contrevenant.

3. Les moyens juridiques de faire appliquer la loi existent déjà

L’interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public prévue par les trois premiers articles du projet de loi pourrait tout à fait être appliquée en l’état du droit.

Les auditions de spécialistes du droit pénal ont démontré que la procédure pénale existante était adaptée à la sanction de cette nouvelle interdiction. En effet, sur le fondement des articles 78-2 et suivants du code de procédure pénal, les officiers et agents de police judiciaire qui constateront l’infraction pourront procéder à un contrôle d’identité du contrevenant. Si celle-ci refuse de s’y prêter, elle sera conduite dans un local de police où le procureur pourra demander à ce qu’elle soit identifiée au moyen de la prise de photographies. Le refus de cette dernière est constitutif du délit prévu à l’article 78-5 du code de procédure pénale, justifiant un placement en garde à vue. Dès lors, des mesures de contrainte pourront être exercées vis-à-vis du contrevenant, la tenue qui dissimule le visage lui étant retirée lors de la fouille de sécurité qui ouvre la garde à vue.

En cas de réitération de l’infraction, il pourra être procédé à un nouveau procès-verbal, les éventuelles peines d’amende qui seraient prononcées pour ces diverses infractions étant cumulables.

Pour une meilleure application de ces dispositions, la garde des Sceaux a indiqué, au cours de son audition (49), que les forces de l’ordre recevraient une formation spécifique destinée à leur rappeler l’ensemble des règles applicables en matière de dissimulation du visage dans l’espace public et des procédures à employer pour mettre fin à l’infraction.

En ce qui concerne le prononcé de la sanction, l’infraction prévue à l’article 3 du projet de loi étant une contravention, celle-ci relèvera de la juridiction de proximité. L’exposé des motifs du projet de loi semble indiquer que la réponse pénale qui devrait être privilégiée par les parquets est celle de la composition pénale, dans laquelle la sanction peut faire l’objet d’un commun accord entre le ministère public et le contrevenant (50).

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* *

AUDITION DE MME MICHÈLE ALLIOT-MARIE, MINISTRE D’ÉTAT, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTÉS

Au cours de sa première séance du mercredi 16 juin 2010, la Commission procède à l’audition ouverte à la presse de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur le projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public (n° 2520).

M. le président Jean-Luc Warsmann. Nous arrivons, avec ce projet de loi, au terme d’une année de débats. C’est en effet en juin 2009 qu’a été créée la mission d’information parlementaire sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national. Son rapport, publié en janvier 2010, a servi de fondement à l’étude juridique que le Premier ministre a demandée au Conseil d’État ainsi qu’à la résolution parlementaire qui a été adoptée à l’unanimité le 11 mai dernier.

Avant de vous donner la parole, madame la ministre d’État, je souhaite vous remercier. Je vous ai, en effet, écrit pour vous demander des précisions complémentaires sur l’étude d’impact qui accompagnait le projet de loi, s’agissant du droit européen en vigueur et de la teneur des consultations qui avaient été menées. Vous me les avez adressées avec une célérité irréprochable ; je les ai aussitôt communiquées au rapporteur.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés. En adoptant le 11 mai à l'unanimité la résolution sur l'attachement au respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte, l’Assemblée nationale a exprimé, toutes tendances confondues, la vigilance de la représentation nationale et sa fidélité aux valeurs qui fondent notre pacte républicain. Le projet de loi en tire les conséquences en interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public.

La volonté de vivre ensemble, qui est la base du pacte républicain, dépend en effet de notre capacité à nous rassembler autour de valeurs communes, parmi lesquelles figurent la dignité, l’égalité et la liberté. Elle exige le refus du repli sur soi et du rejet de l'autre qui caractérisent les communautarismes. Elle suppose l'acceptation du regard de l'autre et la capacité de communiquer directement et à visage découvert.

J’ai entendu s’exprimer des craintes liées notamment à la liberté religieuse. Mais, comme le montre l’intitulé même du texte, il ne s’agit pas d’une question de religion : terre de laïcité, la France assure le respect de toutes les religions et garantit à chacun le libre exercice du culte de son choix. Il s’agit d’un problème de vivre ensemble au sein de la République.

Le projet de loi a été élaboré après une large concertation avec les représentants des partis politiques, les autorités religieuses et les écoles de pensée. Il s'applique à toutes les formes de dissimulation du visage dans les lieux publics, à l’exception de celles qui relèvent de certaines coutumes ou obligations, par exemple de nature médicale.

L’importance des valeurs que nous défendons exclut toute hésitation et toute demi-mesure. Le principe est donc celui d'une interdiction générale de la dissimulation du visage dans l'espace public. Mais parce que nous voulons aussi obtenir l’adhésion à des valeurs, cette interdiction est assortie de mesures pédagogiques et dissuasives.

Nul ne peut porter dans l’espace public une tenue destinée à dissimuler son visage. Le fondement juridique de cette interdiction est un fondement constitutionnel : il s’agit de l’atteinte à l’ordre public social.

La notion d'ordre public inclut traditionnellement une composante matérielle – la sécurité, la tranquillité et la salubrité. Mais elle comporte aussi une composante immatérielle ou sociale, qui n'est pas moins importante. Celle-ci est explicite dans la jurisprudence du Conseil d'État, plus implicite dans celle du Conseil constitutionnel.

L'ordre public social exprime les valeurs fondamentales du vivre ensemble. Il recouvre ainsi la prohibition de l'inceste, de la polygamie ou l'interdiction des mères porteuses. Dans ces trois exemples, l’ordre public matériel n’est pas en jeu.

Négation de soi-même, la dissimulation du visage est une atteinte à la dignité humaine ; négation d’autrui, elle est contraire aux principes fondamentaux de la République, notamment au principe d’égalité. Comme nous avons malheureusement pu le constater, elle peut entraîner des réactions de peur, de rejet, voire d'agressivité. Elle est ainsi contraire à l’ordre public social, et potentiellement à l’ordre public général.

Cette atteinte justifie une interdiction générale et absolue. Toute mesure de police concernant une atteinte à la sécurité doit être strictement limitée et proportionnée au trouble ; mais une mesure visant une atteinte à l'ordre public social peut être de portée générale et absolue.

Certains auraient souhaité limiter l’interdiction de la dissimulation du visage aux services publics ; nous avons considéré pour notre part qu’elle devait s’étendre à l’ensemble du domaine public.

Contrairement à ce qui a pu être dit, le Conseil d'État n'a pas estimé qu'il n'existait pas de fondement juridique pour une interdiction générale. Il a simplement relevé que le Conseil constitutionnel, contrairement au Conseil d’État lui-même, n'avait pas à ce jour reconnu explicitement la notion d'ordre public immatériel.

Une interdiction limitée à certains lieux affecterait la portée et la lisibilité de notre message : comment affirmer que le voile intégral ne respecte ni la liberté, ni l’égalité, ni la dignité si nous limitons l'interdiction aux services publics ? Elle remettrait en cause la crédibilité de notre action : comment convaincre les Français que la liberté, l'égalité et le respect de la dignité des femmes commencent dans la gare et s'arrêtent à sa sortie ? En outre, elle entraînerait des difficultés pratiques. Comment savoir ce qui relève du service public et ce qui n’en relève pas ? Faudra-t-il vérifier le statut d’une banque, d’un moyen de transport ? J’ajoute qu’il est beaucoup plus facile de faire respecter, éventuellement par les forces de l’ordre, une interdiction générale. Comment un conducteur de bus en Seine-Saint-Denis, à onze heures du soir, pourrait-il faire respecter l’interdiction du port du voile intégral dans son véhicule ? C’est impossible. En revanche, si l’interdiction est générale, les policiers seront susceptibles d’intervenir toute la journée et sur l’ensemble du territoire. C’est davantage leur rôle que celui du conducteur de bus… Ne faisons pas une loi qui ne sera pas appliquée !

J’en viens aux sanctions, qui doivent garantir l'effectivité du principe.

À cet égard, le texte repose sur un équilibre entre pédagogie et fermeté. Le but est moins de sanctionner que d’obtenir le respect spontané de la règle. Il faut convaincre les femmes de renoncer d'elles-mêmes à porter le voile intégral, et convaincre ceux qui les y obligent d'accepter les règles de la vie en commun qui sont celles de notre République.

La fermeté s’exprime dans les sanctions prévues. Une distinction est faite selon que l'infraction est commise sous la contrainte ou par un choix volontaire. Le fait de contraindre une personne à dissimuler son visage, qui est une atteinte à la dignité de la personne, sera puni d'une peine d'emprisonnement d'un an et d'une amende pouvant atteindre 15 000 euros. En revanche la méconnaissance de l'interdiction prévue par la loi est constitutive d'une contravention de deuxième classe, sanctionnée par une amende d'un montant maximum de 150 euros.

Parallèlement, le projet de loi privilégie la pédagogie. Tout d’abord, nous prévoyons que le texte entrera en vigueur à l’issue d’un délai qui permettra à divers intervenants d’entreprendre des démarches d’explication. La volonté de pédagogie s’exprime également dans les sanctions retenues : un stage de citoyenneté pourra être substitué ou prescrit en complément à la peine d'amende de 150 euros. Cette peine complémentaire est prévue pour la méconnaissance volontaire de l'interdiction, mais je ne verrais pas d'inconvénient à ce qu’elle soit étendue aux cas de dissimulation forcée du visage, à condition qu'elle ne puisse intervenir qu'à titre complémentaire.

À l'heure où la mondialisation brouille certains repères, il nous revient de veiller à la protection des valeurs et des principes qui fondent notre pacte social.

M. Jean-Paul Garraud, rapporteur. Avant de vous présenter le rapport plus en détail mercredi prochain 23 juin, je formulerai quelques observations générales.

Nous avons déjà beaucoup travaillé sur ce sujet. Il y a eu la proposition de résolution de notre collègue du groupe communiste André Gerin le 9 juin 2009, cosignée par 58 députés de tous bords – je figurais au nombre des signataires ; le travail de la mission d’information parlementaire – à laquelle j’appartenais également ; les propositions de loi de l’UMP et du groupe socialiste, l’étude du Conseil d’État, rendue le 25 mars 2010, et enfin la résolution parlementaire votée à l’unanimité des suffrages exprimés le 11 mai. C’est tout ce travail que le texte reprend en 7 articles.

Je l’ai tenu pour acquis, et je me suis attaché à me déterminer sur deux soucis majeurs : la conformité du projet à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l’homme d’une part, l’effectivité et la portée de l’interdiction d’autre part.

S’agissant du premier point, Mme la ministre d’État a rappelé que la notion d’ordre public a évolué. À l’ordre public matériel – sécurité, tranquillité et salubrité publiques – vient s’ajouter un ordre public immatériel ou sociétal. Certains ont cru pouvoir déduire du rapport du Conseil d’État du 25 mars dernier qu’il n’était pas d’accord avec ce projet de loi mais le président de section qui en était responsable et que j’ai auditionné m’a apporté un éclairage fort intéressant sur le contexte d’élaboration de ce rapport. Il s’agit d’une étude qui devait présenter l’état du droit. Or, le Conseil d’État, à la page 26 de ce rapport, définit l’ordre public immatériel comme « le socle minimal d’exigences réciproques et de garanties essentielles de la vie en société qui sont à ce point fondamentales qu’elles conditionnent l’exercice des autres libertés et qu’elles imposent d’écarter, si nécessaire, les effets de certains actes guidés par la volonté individuelle ». Cette définition est une consécration de la notion.

Au demeurant, les différences d’appréciation entre nous sont très limitées. Tous les groupes politiques ont demandé l’interdiction du voile intégral et condamné cette pratique.

L’ordre public immatériel se rapproche de certaines normes de vie ou de la civilité. Il possède une certaine identité constitutionnelle, tout comme les valeurs ou la devise de la République. Le dernier terme de cette devise, la fraternité, a lui aussi évolué quant à sa définition.

L’ordre public sociétal a été plusieurs fois consacré, notamment par le code pénal s’agissant de l’exhibition sexuelle, de l’atteinte au respect dû aux morts ou encore des outrages aux symboles nationaux, ou par le Code général des collectivités territoriales en ce qui concerne le bon ordre. Son identité constitutionnelle trouve sa source dans l’article 1er de la Constitution, qui fait référence à l’indivisibilité de la République ou à l’unicité du peuple français. Dans sa décision du 15 juin 1999, le Conseil constitutionnel a estimé que ces principes s’opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, qu’il soit défini par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance. Contrairement à certains, je suis donc persuadé de la pertinence et de la force des arguments juridiques en faveur d’une interdiction générale. J’ai particulièrement apprécié l’analyse de Mme Levade, professeur de droit public que nous avons auditionnée, qui écrit que « la société démocratique interdit que la liberté individuelle se confonde avec l’autonomie intégrale qui confinerait à la souveraineté de l’individu. Des concepts comme ceux d’intérêt général, d’intérêt national, de santé publique ou d’ordre public non matériel sont les contrepoids indispensables aux excès de la primauté absolue des droits individuels. Ils constituent autant de soupapes de sécurité sans lesquelles l’État de droit ignorerait les enjeux politiques et se replierait sur lui-même et sur l’individualité au point de mettre en péril son existence en tant que société. » Nous sommes là au cœur du sujet. Avec ce texte, nous entendons condamner certaines évolutions ; nous avons tous les fondements juridiques pour y parvenir.

J’en viens à l’effectivité de l’interdiction, sur laquelle nous avons des divergences d’appréciation. Je partage pour ma part l’avis de Mme la ministre d’État : si ce comportement est indigne comme nous l’avons dit en votant solennellement une résolution, pourquoi nous contenter de demi-mesures ? Pourquoi faire reposer la responsabilité de l’application de la loi sur de simples citoyens – je pense au chauffeur de bus ? Une interdiction ciblée aurait même des effets pervers : nécessité d’affichages dans certains lieux, peut-être même certains commerces, pointillisme juridique hors de propos avec notre condamnation unanime de cette pratique.

Certains estiment qu’une interdiction générale sera difficilement applicable. Je rappelle que la peine encourue par la personne qui se dissimule le visage est une amende de 150 euros maximum. Je vous détaillerai ultérieurement la procédure pénale, mais il y a des moyens, dans le cadre de la constatation de l’infraction, d’arriver à la verbalisation. La police aura les moyens d’effectuer un contrôle d’identité – car un problème majeur lorsque le visage est dissimulé est évidemment d’identifier le contrevenant. Il faut des moyens d’identification, qui sont ceux de l’article 78-2 du code de procédure pénale. Rappelons que le refus de se soumettre à un contrôle d’identité est un délit. Dans ce domaine aussi, il y a une procédure que je détaillerai.

Mme la ministre d’État a évoqué un autre point important sur lequel nous sommes tous d’accord, la répression de l’instigateur. Contrairement à la mesure de sanction appliquée à celles qui portent le voile intégral – contravention – qui n’entrera en vigueur que six mois après la promulgation de la loi pour des raisons pédagogiques, le délit de contrainte sera immédiatement sanctionné. Je proposerai une première amélioration du texte, consistant à permettre au juge de condamner l’auteur d’un tel délit à un stage de citoyenneté. Cette peine fait partie de celles qui peuvent être prononcées en lieu et place de l’amende ou en complément à la peine principale pour la personne qui dissimule son visage. N’oublions pas, d’ailleurs, qu’il existe des alternatives au passage devant le juge – composition pénale, médiation. Mais je souhaite que l’on puisse aller au-delà de l’amende ou de la peine de prison pour l’instigateur en ordonnant aussi un stage de citoyenneté.

Je souhaiterais par ailleurs un renforcement de la peine encourue par l’instigateur lorsque la victime portant le voile est mineure.

Il serait également utile de préciser davantage les exceptions à l’interdiction générale, notamment en y introduisant – aux côtés des raisons médicales qui figurent déjà dans le texte – la pratique sportive. Je pense par exemple à l’escrime.

Enfin, je souhaite que le rapport qui sera établi suite à la promulgation de la loi comporte un bilan de sa mise en œuvre.

Mme Marietta Karamanli. Je vous remercie, madame la ministre d’État, pour les explications que vous avez apportées. Néanmoins, permettez-moi de vous poser plusieurs questions.

La première concerne la notion d’espace public. Englobe-t-elle tous les lieux ouverts au public ? Qu’en est-il des espaces de communication audiovisuelle ? Pourra-t-on interdire le port du voile à des personnes qui participent à une émission de télévision publique ? On peut d’autant plus se poser la question qu’un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 14 mars 2006 a reconnu l’espace public d’Internet.

S’agissant des sanctions, le Conseil d’État estime dans son étude que l’amende ne constitue pas, à titre principal, une réponse adaptée. Il écarte la piste du stage de citoyenneté, mais suggère une autre possibilité : l’injonction de médiation sociale. Pourquoi le projet ne retient-il pas cette solution ?

Se pose enfin la question de l’éducation. Quelles mesures envisagez-vous pour amener les femmes à abandonner le port du voile intégral ?

M. Jean Glavany. Il est temps de clore ce débat sur lequel nous nous sommes souvent opposés.

Il y a un consensus sur le fait qu’il n’y a aucune indulgence à avoir pour des pratiques qui ne sont pas des pratiques religieuses, mais bien des pratiques intégristes et extrémistes. En revanche, nous sommes pour notre part très réticents, voire opposés à une interdiction générale.

S’agissant de l’applicabilité, madame la ministre d’État, vous avez pris l’exemple d’un conducteur de bus dans un quartier difficile. Croyez-vous vraiment qu’il sera plus facile au policier de faire respecter l’interdiction dans la cité, 100 mètres plus loin ? Dans tous les cas, l’application sera très difficile. Ce n’est donc pas l’argument principal.

Le point essentiel est qu’en faisant le choix d’une interdiction générale, vous prenez un double risque juridique, par rapport à la Constitution et par rapport à la Convention européenne des droits de l’homme, qui est aussi le risque de faire un formidable cadeau aux extrémistes. Ce risque-là, nous ne voulons pas le prendre.

Par ailleurs, je poserai quatre questions.

La première porte sur les fondements juridiques. Vous dites que le principal d’entre eux est l’ordre public, mais le texte ne l’évoque pas ! J’ai bien compris que vous faisiez le pari que le Conseil constitutionnel adopterait la conception qu’a le Conseil d’État de l’ordre public social, mais pourquoi ne pas faire référence à l’ordre public tout court ? À l’inverse, vous dites que la dignité est plus fragile juridiquement – et j’en suis d’accord – mais vous l’évoquez dans l’article 4…

Ma deuxième question porte sur le risque constitutionnel. En matière de libertés, en effet, toute la tradition de notre droit veut que l’autorisation soit la règle, et l’interdiction l’exception. Dès lors, l’interdiction générale n’est-elle pas problématique ?

Troisième question : le risque de non-conformité à la Convention européenne des droits de l’homme. Dans l’arrêt Arslan, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Turquie pour une interdiction générale de ce type ; et c’est précisément pour cette raison que le maire de Barcelone, qui l’avait envisagé dans un premier temps, ne prend pas le risque d’une interdiction générale.

Ma dernière question est d’un autre ordre. Les femmes qui portent le voile intégral sont d’abord des victimes, que ce soit d’une idéologie ou d’une personne. L’amende ne devrait-elle pas être infligée seulement après un stage de citoyenneté ou une médiation sociale, en cas de récidive ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Nous avions quelques réserves sur la manière dont le débat s’était engagé. Le Gouvernement a essayé de l’équilibrer en le recentrant sur le principe de dignité humaine et les valeurs de la République. Nous nous en félicitons.

Le fait que l’interdiction concerne tous les lieux publics est logique : on ne peut en effet, comme cela a été dit, opérer une distinction entre des lieux où le port du voile intégral serait une atteinte à la dignité et des lieux où il ne le serait pas.

J’ai entendu les arguments qui ont été échangés sur le problème de la constitutionnalité. Pour ma part, je considère que l’ordre public sociétal existe, et que si le Conseil constitutionnel décidait qu’il doit être ignoré, le constituant que nous sommes aurait le pouvoir de trancher la question. Le problème serait évidemment plus compliqué avec la CEDH.

J’ai la conviction que le stage de citoyenneté peut être utile. En revanche, je vois mal comment identifier les récidivistes, puisque les contraventions ne donnent pas lieu à la constitution de fichiers.

La contrainte a été peu évoquée dans le débat politique. Il est heureux que le texte le fasse, car c’est un point essentiel. Pour l’avoir vu de près, je puis vous certifier que c’est parfois une réelle contrainte qui s’exerce sur les jeunes filles. Renforcer la peine encourue par l’instigateur lorsque la victime est mineure, comme le propose le rapporteur, n’est donc pas inutile.

L’application de la loi sera à l’évidence difficile. Le ministre de l’intérieur doit donc se saisir rapidement de cette question afin d’adapter la formation des fonctionnaires. Ce n’est pas la même chose de verbaliser une femme parce qu’elle porte le voile intégral ou de verbaliser un jeune qui conduit sans casque. Le comportement du policier sera donc essentiel dans cette affaire. De même, puisque les services publics sont concernés, les agents de l’État et des collectivités territoriales devront être préparés. On ne pourra en effet se permettre de disparités dans leurs réactions : ce serait immanquablement vécu comme une succession de discriminations.

La contravention de deuxième classe de 150 euros est légitime. Cela me donne l’occasion de vous poser, en tant que maire, une question incidente. Enfreindre un arrêté du maire est puni d’une amende de 30 euros. Il ne me semble cependant pas normal de punir de la même manière le fait d’uriner dans la rue et celui de mettre la sécurité des autres en danger…

M. Jean-Jacques Urvoas. Le texte n’est pas clair quant à ses fondements juridiques. Vous évoquez tantôt l’ordre public, tantôt la dignité. Vous nous parlez aujourd’hui de l’ordre public social qui, nous dites-vous, exprime les valeurs fondamentales du vivre ensemble. Or le texte ne parle pas de valeurs, mais d’exigences. Il conviendrait donc de mieux préciser ce qui, pour vous, fonde juridiquement une interdiction absolue qui, je le rappelle, n’est pas dans notre tradition.

Par ailleurs, dans une optique de sécurisation du droit, ne serait-il pas opportun que le Premier ministre saisisse lui-même le Conseil constitutionnel, sans attendre l’éventuel examen d’une question prioritaire de constitutionnalité, afin de vérifier, si la loi est votée, sa conformité à la Constitution ?

Mme Sylvia Pinel. Je m’interroge moi aussi sur le fondement juridique d’une interdiction générale. Vous faites référence au respect du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Le Conseil constitutionnel a érigé la sauvegarde de cette dignité en principe de valeur constitutionnelle. Ce principe a également été consacré par la Cour européenne des droits de l’Homme. En même temps, vous nous parlez d’une exigence d’ordre public. Quel est donc le véritable fondement juridique de l’interdiction ?

Par ailleurs, la discussion du texte doit donner lieu à une réflexion sur la lutte contre les discriminations et la refonte d’une réelle égalité des chances entre hommes et femmes.

L’article 2 fait référence à des tenues prescrites par une loi ou un règlement. Dans un souci de lisibilité, pourquoi ne pas faire expressément référence à des dérogations fondées sur des impératifs de sécurité, professionnels ou de santé ?

L’article 3 prévoit d’appliquer « avec discernement et souplesse » l’interdiction nouvelle posée par la loi. Que faut-il entendre par là ? Quelles garanties avons-nous que l’on évitera de stigmatiser l’ensemble de la population musulmane ?

Beaucoup de femmes qui portent le voile intégral sont placées dans un état de dépendance financière par leur situation sociale et économique. Dès lors, une contravention de première classe ne serait-elle pas plus adaptée ?

L’article 5 prévoit de différer l’entrée en vigueur du texte de six mois. Il y a là une contradiction. Si le fondement juridique de l’interdiction est l’ordre public et que celui-ci est vraiment menacé, pourquoi en différer l’application ?

M. Didier Quentin. Le stage de citoyenneté prévu à l’article 3 est un premier pas vers une meilleure intégration de ces femmes qui sont avant tout des victimes. Je rappelle qu’il peut compléter ou remplacer l’amende. Quel sera son contenu ? Et si c’est un véritable outil pédagogique, pourquoi ne pas le systématiser à l’ensemble des femmes verbalisées ?

En ce qui concerne l’applicabilité, avez-vous prévu avec le ministre de l’intérieur une formation pour les policiers qui auront à faire face à ces situations complexes ?

L’article 5 prévoit que les articles 1er à 3 du texte seront applicables six mois après sa promulgation, et l’article 4 dès son entrée en vigueur. Qu’est-ce qui justifie une telle différence ? Une campagne d’information ou de sensibilisation sur le caractère non religieux de l’interdiction sera-t-elle mise en œuvre, en lien par exemple avec le Conseil français du culte musulman ?

M. Philippe Goujon. Faire le choix d’une interdiction partielle, ce serait transiger avec les principes républicains. Une interdiction générale me paraît être la seule solution possible. Certains disent qu’alors, ces femmes ne sortiront plus de chez elles ; mais que veut dire sortir de chez soi dans une prison de tissu qui empêche toute communication avec l’extérieur ? Et si l’on s’oriente vers une interdiction seulement partielle, alors pourquoi ne pas autoriser, par exemple, les horaires réservés dans les piscines ? Même si le nombre de femmes concernées n’est pas très élevé, il s’agit d’un problème de principe – d’autant plus que le fait de sortir dans cette tenue peut relever de la provocation.

Je ne reviens pas sur l’atteinte à la dignité de la femme et à l’égalité entre les sexes. S’agissant de l’ordre public, nous mettons tout en œuvre pour lutter contre l’insécurité : dans la loi du 2 mars 2010, nous avions adopté, parmi les dispositions renforçant la lutte contre les bandes violentes, un article visant les personnes cagoulées ; ce qui est proposé aujourd’hui est complémentaire. D’ailleurs, si l’on se place sur un plan religieux – bien que ce texte ne repose pas sur cette base –, on peut constater que le pèlerinage de La Mecque, par exemple, s’effectue le visage découvert, de même que la prière : cela n’entrave pas la pratique religieuse.

Serait-il possible d’approfondir la définition de la dissimulation du visage ?

Quant au stage de citoyenneté, quels sont les personnels qui l’assureront ? En quoi consistera-t-il exactement ?

Enfin, pour la bonne application de ce texte, il est essentiel que les consignes données aux effectifs de police et aux autres personnels concernés soient très précises.

M. Charles de La Verpillière. Je suis favorable à l’interdiction générale : dans ce domaine, c’est tout ou rien, puisque ce sont des principes qui sont en cause.

Trois problèmes se posent.

Le plus difficile est celui de l’effectivité et de l’applicabilité. Il serait en effet extrêmement grave que cette loi soit bafouée : il faut donc absolument anticiper les difficultés qui peuvent être rencontrées, à certaines heures et dans certains endroits.

Le deuxième est celui de la conformité à la Convention européenne des droits de l’homme.

Concernant le troisième, celui de la constitutionnalité, je suis moins inquiet que certains collègues. L’avis réservé du Conseil d’État s’explique parfaitement : le Conseil d’État prend position au vu de la jurisprudence – la sienne et celle du Conseil constitutionnel –, mais celle-ci s’élabore à partir de cas ; par conséquent, elle ne peut pas anticiper – puisque les arrêts de principe sont interdits en droit français. Il me semble donc qu’il ne faut pas avoir trop de craintes ; il y a dans notre bloc de constitutionnalité des principes sur lesquels peut s’appuyer cette interdiction générale et absolue : la dignité humaine, la fraternité, et aussi la confiance. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen s’inspire en effet largement des écrits des philosophes des Lumières, parmi lesquels le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau : pour vivre ensemble en société, il faut pouvoir se faire confiance, ce qui implique de pouvoir s’identifier et d’agir à visage découvert.

La suggestion faite par notre collègue Urvoas d’une saisine du Conseil constitutionnel par le Premier ministre me paraît bonne. Il ne faudrait pas rester dans l’incertitude jusqu’à ce qu’une question prioritaire de constitutionnalité soit posée et tranchée.

M. Abdoulatifou Aly. La question de la dissimulation du visage a révélé que nombre de nos concitoyens connaissent très mal les valeurs fondamentales de la République et, aussi, connaissent très mal l’Islam, y compris ceux qui se revendiquent musulmans. Ne serait-il pas opportun que l’Éducation nationale dispense un enseignement à tous sur ces sujets ? Je constate que chez moi à Mayotte, ou à la Réunion, le problème qui nous occupe ne se pose pas !

Quant aux sanctions, est-ce la vraie solution ? Je ne suis pas sûr qu’une sanction, quelle qu’elle soit, soit suffisamment dissuasive. Pour l’avenir, il faut surtout que tout le monde comprenne que l’on n’a pas besoin de cette dissimulation du visage ; mais pour le comprendre, il faut avoir réalisé que ce n’est pas une question religieuse. La France est connue dans le monde entier comme un pays de liberté ; or ce texte restreint la liberté : cela me choque.

J’appelle donc l’attention sur le fait que la loi que nous préparons ne va pas dans le sens de la liberté ; c’est au contraire une loi liberticide, dont il faut considérer les implications non seulement pour le présent, mais aussi pour l’avenir. Il faut peut-être interdire, mais pas de manière absolue. Cela étant, je ne sais pas comment y parvenir.

Mme George Pau-Langevin. Cela fait assez longtemps que nous parlons du voile intégral, sujet qui n’est pas prioritaire dans la vie quotidienne de nos concitoyens. Nous sommes tous d’accord pour souhaiter que cette pratique disparaisse dans notre pays, où elle est relativement nouvelle, mais nous divergeons sur les moyens.

L’intervention de notre collègue de Mayotte me fait réagir à ce qui figure dans l’étude d’impact. Pour m’être rendue souvent tant à la Réunion qu’à Mayotte, il me paraît clair que ce ne sont pas les endroits où l’on voit le plus de femmes en voile intégral. Il faudrait donc éviter de diffuser parmi nos concitoyens des assertions qui relèvent surtout de préjugés.

Le meilleur moyen de faire avancer la situation n’est pas, selon nous, d’arrêter les femmes qui portent un voile intégral et de leur infliger une amende – et donc, par là-même, de favoriser la multiplication d’incidents. Il serait beaucoup plus efficace de dire que notre pays n’accepte pas cette tenue et qu’en conséquence, il sera impossible à toute personne qui la porte de s’adresser à quelqu’un pour bénéficier d’un service public ou d’une prestation ou pour conclure un contrat.

Madame la ministre d’État, le conducteur de bus dont vous parliez est, de façon bien plus générale, très démuni pour faire face à ce qui peut se passer – par exemple la montée dans son véhicule d’une bande de jeunes bien éméchés… La solution serait de lui apporter le renfort d’une ou deux personnes.

Quant aux policiers, je constate, y compris dans ma circonscription, qu’ils ont souvent tendance à ne pas trop remarquer, le soir, des personnes qui sont susceptibles de se livrer à certains trafics illicites. Je les imagine donc mal arrêter les femmes en voile intégral qui passent.

Enfin, il est bien de dire que l’on veut défendre les femmes et les aider à s’émanciper ; mais je ne vois pas dans ce projet ce qui est destiné à les épauler. Si on inflige une amende au mari, la situation de la femme va peut-être empirer. Et beaucoup d’associations qui regroupent des femmes issues de l’immigration ou qui travaillent dans ce milieu voient leurs moyens diminuer…

M. Guy Geoffroy. Pour ma part, je n’ai pas le sentiment que nous débattions d’une question mineure. J’ai toujours pensé que, pour reprendre une formule utilisée par le Président de la République, la burqa n’était pas bienvenue dans notre pays.

On a beaucoup parlé de valeurs, de dignité, mais je n’ai pas encore entendu le mot « respect ». Il me paraît avoir sa place dans notre débat. Le respect de la dignité de la personne humaine me paraît être l’un des fondements essentiels de notre démarche.

De quoi s’agit-il, en réalité ? D’une violence de plus, caractérisée et gravissime, à l’encontre des femmes. Aux violences de genre « traditionnelles » s’ajoute une violence de genre nouvelle, l’instigation au port du voile intégral.

La principale question qui se pose à nous est celle de l’effectivité de la mise en œuvre des dispositions que nous allons voter. Je faisais partie de ceux qui s’interrogeaient sur notre capacité à rendre effective l’application d’une loi de portée générale dans l’ensemble de l’espace public. Le temps consacré à la réflexion, l’élaboration de la résolution que nous avons votée puis les explications très claires de Mme la ministre d’État tout à l’heure m’ont conduit à modifier mon point de vue. Je suis aujourd’hui convaincu que l’effectivité suppose non pas de séparer les espaces, mais au contraire de considérer l’espace public dans son ensemble.

Si l’on parle d’espace public, c’est sans doute parce qu’il y a des lieux d’expression de la société dans son ensemble, des lieux du « vivre ensemble », que l’on appelle « publics » parce que l’expression des droits liés à la vie privée ne peut y être absolue. C’est la raison pour laquelle je suis persuadé qu’il n’y a de risque ni au regard de la Convention européenne des droits de l’homme, ni au regard de la Constitution. Cela étant, il me paraîtrait à moi aussi opportun que le Premier ministre demande au Conseil constitutionnel de trancher immédiatement, sans attendre qu’il soit saisi par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité.

S’agissant du stage de citoyenneté, il est important de savoir en quoi il consistera, qui va le décider et l’organiser et quel sera le rôle de la puissance publique locale. Incontestablement, les maires et les moyens qui sont à leur disposition vont être très sollicités. Nos polices municipales vont avoir un rôle considérable, s’agissant de matière contraventionnelle ; il est fort probable que la police nationale leur laisse le soin de gérer ces questions. Nous avons donc besoin de précisions sur la manière dont tout cela va s’organiser.

Enfin, comment ferons-nous pour lutter contre la réitération de ces pratiques ? Nous devons faire en sorte que ne s’organise pas, sur le terrain, un jeu très pervers de chat et de souris.

Mme Sandrine Mazetier. Je voudrais rappeler que ce texte porte sur l’interdiction de la dissimulation du visage, et non sur le port du voile intégral. Il s’applique donc, conformément aux principes républicains, à tous les individus. Je regrette qu’il y ait si souvent des amalgames.

Je ne reviens pas sur ce qui a été dit par mes collègues du groupe SRC sur le fait que, madame la garde des Sceaux, vous avez mis en avant dans votre présentation l’ordre public social, alors que ce n’est pas ce qui est développé par le texte lui-même. Je m’étonne que vous vouliez faire émerger une jurisprudence sur un ordre public caractérisé. Nous savons ce qu’est l’ordre public, mais nous savons beaucoup moins ce qu’est l’ordre public social ou sociétal, notion qui va ouvrir des boulevards ! Je ne suis d’ailleurs pas sûre que ce soit au Conseil constitutionnel de la cerner.

Je m’étonne aussi que le rapporteur ait cité Mme Anne Levade car il me semble qu’elle nous avait justement alertés sur les risques constitutionnels et conventionnels et sur le fait qu’une interdiction générale et absolue était extrêmement rare et devait être justifiée par un danger majeur. Or on constate ici un problème de proportionnalité : s’il y avait remise en cause majeure de notre vivre ensemble et des fondements de notre société, il serait étrange de ne prévoir que des peines contraventionnelles…

S’agissant du vivre ensemble, je voudrais par ailleurs vous demander, madame la ministre d’État, monsieur le rapporteur, ce que vous pensez de l’initiative prise ces derniers jours, avant d’être interdite par la préfecture de police, d’organiser dans l’espace public un apéritif au saucisson et au vin.

M. Guy Geoffroy. Quel est le rapport ?

Mme Sandrine Mazetier. Cette affaire montre bien qu’il n’y a pas besoin de voter des lois pour veiller à l’ordre public.

Mme la ministre d’État. Cela se fait sur le fondement des lois existantes.

Mme Sandrine Mazetier. Je suis surprise que l’identité de la principale organisatrice, Mme Sylvie François, ne soit pas révélée.

Enfin, j’aimerais que vous précisiez la définition de l’espace public figurant à l’article 2. Pouvez-vous nous confirmer que, si ce texte est adopté, il sera obligatoire d’être à visage découvert non seulement sur les voies publiques, mais dans tous les lieux ouverts au public, et donc, par exemple, dans une mosquée ou dans une église ?

M. Éric Diard. Il est bien que ce projet s’appuie sur la notion d’ordre public, et non sur celle de laïcité – ce qui reviendrait à considérer le voile comme un signe religieux – ni sur celle de dignité de la personne – concept incertain qui pourrait conduire certains à considérer, par exemple, que le fait pour une jeune fille de montrer son nombril est une atteinte à la dignité !

Le fait de dissimuler son visage peut être considéré, en revanche, comme une menace à l’ordre public. Il empêche en effet l’identification de la personne. En outre, le voile intégral peut permettre aussi la dissimulation d’armes.

Mme la ministre d’État. Comme le rapporteur l’a rappelé, les conclusions formulées par le Conseil d’État en mars dernier ne font nullement obstacle à ce projet de loi, l’ordre public social étant une réalité dans sa jurisprudence comme dans celle du Conseil constitutionnel, où il est évoqué sous les vocables d’intérêt général ou d’intérêt national.

Quant à l’idée de renforcer la sanction dans le cas où la victime est mineure, elle me paraît pouvoir donner lieu à un amendement. Nous avons en effet toujours souhaité protéger les personnes en situation de faiblesse.

S’agissant de la liste des exceptions, certes je souhaite que la loi soit compréhensible par tous, mais on sait bien que toute énumération emporte le risque d’un oubli. Sans doute faudra-t-il marier les deux approches, peut-être en faisant référence à des circonstances – médicales, sportives…– et en les illustrant par des exemples.

Je ne suis pas contre le principe d’un bilan, à condition de fixer des critères permettant de procéder à des comparaisons.

Madame Karamanli, le texte vise l’espace public au sens large, mais il ne concerne pas les moyens de communication audiovisuelle et Internet.

Vous avez également parlé d’injonction de médiation sociale. Ce que nous voulons faire relève bien de la médiation sociale, notamment le stage de citoyenneté. Nous verrons s’il faut utiliser ce vocable, mais il ne faut pas oublier le sens précis qu’il peut avoir. Quoi qu’il en soit, les décisions relèveront du juge.

Que M. Glavany soit rassuré. L’arrêt Ahmet Arslan du 23 février 2010 concernait le port d’un turban et le fait que la Turquie, en l’espèce, avait considéré que le port d’un signe religieux menaçait la sécurité publique. La CEDH ne s’est nullement prononcée sur un fondement qui pourrait s’appliquer aux dispositions que nous proposons. En revanche, la dignité de la personne humaine justifie, pour la CEDH, que des limitations soient apportées aux pratiques qui y portent atteinte.

Le risque juridique est donc limité, tant au regard de la Convention européenne que dans notre ordre interne ; et choisir de ne rien faire serait un véritable cadeau aux extrémistes.

Oui, l’application de la loi sera difficile, j’en suis bien consciente. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous voulons user de pédagogie. Disant cela, je réponds aussi à M. Aly : le mieux serait que la pédagogie nous permette d’éliminer le problème avant d’avoir eu besoin d’appliquer des sanctions.

Les femmes sont, en effet, des victimes – de leurs maris ou des intégristes qui les persuadent. J’ai d’ailleurs lu à ce sujet un livre remarquable, intitulé La République ou la burqa, de Dounia Bouzar et Lylia Bouzar. C’est bien parce que nous pensons que les femmes sont d’abord des victimes que nous donnons la priorité au stage de citoyenneté.

Monsieur Lagarde, le stage de citoyenneté est en effet un outil pédagogique. Le problème de la récidive ne me paraît pas se poser, dès lors que les personnes seront en général sur leur lieu de vie, où elles sont donc connues.

Dans les services publics, une information des agents sera en effet nécessaire pour les aider à adopter le comportement adéquat.

La question de la hiérarchie des contraventions sort du cadre de notre débat, mais il serait en effet très intéressant, monsieur le président, de revoir la hiérarchie des peines dans l’ensemble de notre code pénal.

Monsieur Urvoas, notre droit ne fait pas de place aux interdictions générales lorsqu’il s’agit de l’ordre public matériel, lequel impose l’application d’une règle de proportionnalité aux risques encourus ; mais notre projet concerne l’ordre public social.

L’éventualité d’une saisine du Conseil constitutionnel par le Premier ministre mérite d’être examinée. L’avantage serait de stabiliser très vite la situation.

Madame Pinel, les différentes sortes de violences faites aux femmes ont déjà fait l’objet d’autres débats. Rien ne vous empêchera, lors du débat en séance publique, de replacer la discussion de ce texte dans un cadre plus général. Toutefois il ne vous faudra pas oublier le fait que ce projet n’a pas pour seul objet le port du voile intégral ; il est important de le répéter.

Oui, les forces de l’ordre, comme les agents des services publics, auront besoin d’une formation.

Si nous considérons que les sanctions doivent être différées, c’est parce que les femmes qui portent le voile intégral sont d’abord des victimes qui doivent être aidées.

Monsieur Quentin, le stage de citoyenneté a pour objet de rappeler à la personne les valeurs républicaines, les valeurs du vivre ensemble, fondées sur la confiance. Je vous renvoie à l’article 131-5-1 du code pénal. Nous proposerons des modules de formation adaptés.

Monsieur Aly, certes le port du voile intégral ne se pratique pas à Mayotte, mais il n’en va pas de même dans la zone géographique environnante. Je suis d’accord avec vous pour développer l’enseignement sur les valeurs de la République ; les cours d’éducation civique dès l’enseignement primaire devraient d’ailleurs normalement permettre de répondre à votre préoccupation. En revanche, je ne peux pas vous suivre quand vous affirmez que ce texte serait liberticide : c’est le contraire. Ou alors, il vous faut dire que la loi qui interdit de se promener tout nu dans la rue est liberticide !

Madame Pau-Langevin, le fait d’interdire tout contrat signifie interdire d’aller acheter du pain, de recevoir des prestations sociales ou de recevoir des soins… Les valeurs du vivre ensemble ne se restreignent pas au contrat. Le vivre ensemble, c’est l’échange, lequel repose sur la confiance ; et celle-ci suppose de montrer son visage. Tout le monde doit contribuer à aider les femmes à s’émanciper, en particulier les responsables du CFCM, les collectivités locales et les associations.

Monsieur Geoffroy, les modules de formation proposés dans le cadre des stages de citoyenneté seront validés par le procureur de la République.

Madame Mazetier, les lieux de culte font en effet partie des lieux ouverts au public, mais à l’intérieur de ces lieux de culte, l’application des règles relève des responsables religieux, qui sont seuls compétents pour faire appel aux forces de l’ordre.

Monsieur Diard, vous avez rappelé l’analyse juridique qui nous a conduits à nous appuyer sur l’ordre public, mais sans nous limiter à l’ordre public matériel, notre premier souci étant de réaffirmer les valeurs de la République et de notre vivre ensemble.

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EXAMEN DES ARTICLES

La Commission examine, sur le rapport de M. Jean-Paul Garraud, le projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public (n° 2520) au cours de sa réunion du mercredi 23 juin 2010.

Article 1er

Interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public

L’article 1er du projet de loi pose le principe de l’interdiction de porter, dans l’espace public, une tenue destinée à dissimuler son visage. Cette interdiction de principe, justifiée par les raisons précédemment exposées, est rendue nécessaire par le caractère parcellaire et complexe du droit en vigueur.

1. Un droit parcellaire et complexe

S’il n’existe pas, en l’état actuel du droit positif, d’interdiction générale de dissimuler son visage dans l’espace public, la dissimulation du visage n’est pas étrangère à notre droit. Outre le fait qu’elle est une circonstance aggravante de certaines infractions (51), la dissimulation du visage peut d’ores et déjà subir certaines restrictions, que ce soit de manière permanente ou de manière ponctuelle, à l’occasion d’une vérification d’identité. De surcroît, le port du voile intégral, de manière spécifique, est interdit dans certaines circonstances.

a. Les interdictions de dissimuler son visage

Il existe dans notre droit trois grands types de circonstances dans lesquelles la dissimulation du visage est interdite ou peut l’être.

Il s’agit, en premier lieu, du cas introduit à l’article R. 645-14 du code pénal par le décret n° 2009-724 du 19 juin 2009 relatif à la dissimulation du visage à l’occasion de manifestations sur la voie publique. Cet article punit en effet d’une contravention de cinquième classe « le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public. » Ainsi que le mentionne l’étude du Conseil d’État (52), ce décret fait l’objet d’un recours contentieux devant le juge administratif. Sa légalité n’est donc pas assurée.

En second lieu, il est loisible à l’employeur qui le désire d’interdire à ses employés de porter une tenue dissimulant leur visage sur le lieu de travail, dans la mesure où elle est incompatible avec les conditions de travail de l’employé. En effet, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que « la liberté de se vêtir à sa guise au temps et lieu du travail n’entre pas dans la catégorie des libertés fondamentales. » (53) Par conséquent, le juge a admis que l’employeur pouvait prescrire ou proscrire certaines tenues sur le lieu de travail, si cette contrainte vestimentaire est justifiée par les fonctions exercées ou par l’intérêt de l’entreprise (54). Ainsi, la Cour d’appel de Paris a-t-elle jugé qu’une vendeuse pouvait se voir interdire de porter un « foulard dissimulant totalement le cou et une partie du visage. » (55) On peut donc raisonnablement supposer que la dissimulation totale et permanente du visage sur le lieu de travail pourrait être interdite par l’employeur.

En troisième lieu, le Conseil d’État a estimé que les autorités détentrices du pouvoir de police administrative générale à l’échelon local, c'est-à-dire le maire et le préfet (56), pourraient interdire la dissimulation du visage dans certains lieux publics, sous le contrôle du juge administratif. Cette restriction ne serait légale que s’il existe un risque avéré pour la sécurité publique fondé sur des circonstances particulières et si l’interdiction est proportionnée au risque encouru (57).

Enfin, il faut mentionner deux délibérations de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) qui a jugé non discriminatoires, d’une part, la demande de conserver son visage découvert faite à une femme accompagnant son enfant dans l’enceinte d’un service hospitalier de pédiatrie et, d’autre part, la demande identique faite à une femme lors d’une formation linguistique obligatoire délivrée dans le cadre d’un contrat d’accueil et d’intégration (58). Cependant, à défaut de décision rendue par une juridiction, une telle interprétation peut être sujette à caution.

b. Les restrictions au port du voile intégral en tant que signe religieux

Le voile intégral, qui a pour objet et pour effet de dissimuler le visage de la personne qui le porte, peut également être interdit, dans certaines circonstances, au titre des règles relatives à la laïcité.

La question de savoir si le voile intégral constitue un signe religieux ne relève pas des pouvoirs publics, dont la mission, dans une République laïque, ne peut être de prendre position dans des controverses théologiques. Cependant, le port de signes religieux est réglementé dans certains contextes. Tel est le cas pour les agents publics, auxquels s’applique le principe de neutralité du service public, ainsi que pour les élèves des écoles, collèges et lycées publics pour lesquels « le port de signes ou tenues par lesquels [ils] manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. » (59)

Il importe donc de déterminer si, au sens juridique de cette notion, il faut considérer le voile intégral comme un signe religieux. Bien que le port du voile intégral ne semble pas revêtir le caractère d’une prescription religieuse, selon les avis recueillis par la mission d’information (60), il doit être considéré comme un signe religieux au sens du droit positif. Le Conseil d’État a ainsi jugé, dans une affaire portant sur une demande d’acquisition de la nationalité française par une femme revêtant le voile intégral, que cette dernière avait « adopté une pratique radicale de sa religion » (61). Il est donc incontestable que le port du voile intégral par un agent public ne saurait être toléré, au regard du principe de laïcité. De même, le port d’un voile intégral doit être considéré comme une manifestation ostensible d’une appartenance religieuse, au sens de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation. En effet, conformément à l’intention du législateur, qui a été transcrite dans une circulaire (62) et validée par la jurisprudence tant nationale qu’européenne (63), la notion de « signes religieux » recouvre aussi bien des signes qui manifestent objectivement une croyance religieuse que ceux qui la manifestent subjectivement, la Cour européenne des droits de l’homme estimant que relève du droit à la liberté de pensée, de conscience ou de religion énoncé à l’article 9 de la CEDH tout « acte motivé ou inspiré par une religion ou une conviction religieuse. » (64) Il est donc certain que le voile intégral serait considéré comme une tenue manifestant ostensiblement une appartenance religieuse (65).

c. Les obligations ponctuelles d’identification

Sans imposer de maintenir son visage découvert dans un lieu déterminé, certaines dispositions prévoient la possibilité d’exiger qu’il le soit ponctuellement, notamment aux fins de vérification de l’identité et de lutte contre la fraude.

De manière générale, les articles 78-1 et suivants du code de procédure pénale fixent le cadre légal des contrôles, vérifications et relevés d’identité. Le second alinéa de l’article 78-1 du code de procédure pénale prévoit ainsi que « toute personne se trouvant sur le territoire national doit accepter de se prêter à un contrôle d'identité effectué dans les conditions et par les autorités de police visées aux articles suivants. » Ces contrôles peuvent reposer sur deux fondements définis par l’article 78-2 du même code : la police judiciaire, si le contrôle a un lien avec une infraction déterminée, et la police administrative, « pour prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens. » Cependant, ces contrôles réalisés sur le fondement de la police administrative ne sauraient être généralisés, ainsi que l’a indiqué le Conseil constitutionnel, qui estime, dans sa décision du 5 août 1993 que « la pratique de contrôles d'identité généralisés et discrétionnaires serait incompatible avec le respect de la liberté individuelle » (66). Par conséquent, le Conseil souligne que « l'autorité concernée doit justifier, dans tous les cas, des circonstances particulières établissant le risque d'atteinte à l'ordre public qui a motivé le contrôle » (67). De fait, la jurisprudence exige que les circonstances présentent ou fassent craindre un trouble à l’ordre public matériel et notamment à la sécurité publique.

D’autre part, la preuve de l’identité doit être apportée dans de nombreuses circonstances, reposant sur des fondements juridiques variés.

La preuve de l’identité nécessite que la personne apparaisse, l’espace d’un court moment, à visage découvert afin que son identité puisse être vérifiée. Cette nécessité d’identification est souvent fondée sur l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude.

Dans son rapport, le Conseil d’État estime que la jurisprudence pourrait également admettre des demandes d’identification ponctuelle qui auraient pour objet de vérifier que les critères d’accès à un lieu ou à un service sont satisfaits, citant la vente de boissons alcoolisées ou l’entrée dans un cinéma, qui sont ou peuvent être conditionnées à l’âge du client (68).

QUELQUES SITUATIONS OÙ UNE IDENTIFICATION PONCTUELLE PEUT ÊTRE EXIGÉE

Délivrance de documents d’identité exigeant une photographie tête nue

Délivrance d’une carte d’identité

CE 27 juillet 2001, Fonds de défense des musulmans en justice

Délivrance d’un passeport

CE 2 juin 2003, Melle R.A. et CE 24 octobre 2003, Mme B.

Délivrance d’un permis de conduire

CE, 15 décembre 2006, Association United Sikhs et M. S. confirmé par la décision d’irrecevabilité CEDH, 13 novembre 2008, M. S.

Délivrance d’un diplôme

CEDH, 3 mai 1993, Karaduman c/ Turquie

Accomplissement de certaines démarches

Lors de la remise d’un enfant à la sortie d’une école

Note du 24 novembre 2008 du ministère de l’Éducation nationale prescrivant de ne pas remettre d’enfant à une femme qui n’accepterait pas de s’identifier.

À l’entrée d’un consulat

CE, 7 décembre 2005, El M., confirmé par la décision d’irrecevabilité CEDH, 4 mars 2008, El M. c/ France, validant le refus de délivrer un visa à une personne qui a refusé de retirer temporairement son voile islamique à l’entrée d’un consulat.

Lors du retrait d’un recommandé à La Poste

Article 3.2.5 des Conditions générales de vente prévoyant la possibilité de contrôler l’identité du destinataire.

Lors de l’accomplissement d’un vote

Circulaire du 20 décembre 2007 du ministère de l’Intérieur prescrivant de refuser le vote d’une personne voilée intégralement (69).

Lors d’une cérémonie de mariage

Réponse écrite à la question d’un parlementaire du 3 avril 2007 indiquant que l’officier d’état civil ne peut pas célébrer le mariage sans s’assurer du consentement des époux et donc sans voir leur visage (70).

Sources : Mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national et Conseil d’État.

Ainsi que le constatait le rapport de la mission d’information, les réponses apportées en cas de dissimulation du visage reposent sur des fondements textuels très divers, qui sont souvent peu sûrs juridiquement. En conséquence, les personnes qui se trouvent confrontées à ces situations ne sont pas toujours en mesure de connaître le droit applicable à leur activité ou à l’espace dans lequel elles se trouvent et de le faire respecter. L’article 1er du projet de loi substitue à cet imbroglio juridique une interdiction simple et claire de la dissimulation du visage dans l’espace public, fondée sur la notion d’ordre public.

2. Une interdiction claire de dissimuler son visage dans l’espace public

Ainsi que cela a été évoqué, le port, dans l’espace public, d’une tenue ayant pour seul objet de dissimuler le visage de manière permanente est susceptible de porter atteinte à l’ordre public matériel (notamment à la sécurité publique). Cette pratique est également contraire à l’ordre public immatériel et sociétal et au pacte social qui se traduit, notamment, par la notion française de fraternité, impliquant que chacun accepte de montrer son visage, et aux principes de dignité et d’égalité des sexes lorsque cette tenue est portée sous la contrainte de l’entourage, en raison du sexe de la victime.

Par conséquent, une unification et une simplification des règles juridiques existantes s’imposent. Le présent article énonce une interdiction de principe de porter, dans l’espace public, « une tenue destinée à dissimuler son visage ». Sa violation serait passible d’une contravention de deuxième classe, conformément à l’article 3 du projet de loi.

La caractérisation de cette infraction reposerait sur la réunion de trois éléments :

—  le premier réside dans le fait de se trouver dans l’espace public. Cette notion est définie par le I de l’article 2 du projet de loi ;

—  le second repose sur le port d’une tenue dissimulant le visage. À cet égard, plusieurs précisions doivent être apportées. Le terme de « tenue » doit être compris comme regroupant l’ensemble des vêtements portés par une personne. Il ne saurait donc être question de prendre en compte, au sens de cet article, le port de lunettes, le port de la barbe ou le maquillage appliqué sur le visage (71). De surcroît, la dissimulation du visage, si elle ne peut être définie de manière abstraite, doit être comprise comme le fait de rendre non reconnaissable le visage de la personne qui la porte. La circulaire relative au déroulement des opérations électorales lors des élections au suffrage universel direct retient comme critère de l’impossibilité d’identifier une personne le fait que la tenue de cette personne masque son nez et sa bouche (72). Pour l’application du présent article, on peut estimer que la tenue ne dissimule pas le visage si elle laisse apparaître à la fois les yeux, le nez et la bouche de la personne. En tout état de cause, il reviendra au juge de préciser ce critère afin de s’assurer que la tenue en cause permet bien la reconnaissance de la personne qui la porte ;

—  le dernier élément constitutif de cette interdiction est intentionnel. Il repose sur la volonté, par le port de cette tenue, de dissimuler son visage, en le dérobant aux regards d’autrui. Cet élément intentionnel se manifeste par l’expression « destiné à », qui exclut du champ de l’interdiction toutes les tenues qui ont pour effet de dissimuler visage mais qui n’y sont pas destinées. On peut penser, par exemple, au port d’un casque intégral qui a pour but non de dissimuler le visage mais de le protéger dans les cas où il est porté par le conducteur d’un deux-roues ; on ajoutera que le port du casque résultant d’une obligation réglementaire, il relève des exceptions prévues à l’article 2, paragraphe 2, du projet de loi. À l’inverse, un voile intégral est, par nature, destiné à dissimuler le visage.

La Commission examine l’amendement CL 1 de M. Jean Glavany.

M. Jean Glavany. Les arguments ayant déjà été exposés, je présenterai ensemble les amendements CL 1, CL 2 et CL 3.

Notre divergence d’appréciation n’est pas d’ordre idéologique : nous avons tous voté la résolution, nous sommes tous d’accord pour empêcher ce type de pratiques dans notre République ; mais la question concerne le choix des moyens. Sur ce point, nous avons une divergence politique : nous considérons que vous prenez un risque d’inconstitutionnalité d’une part, d’inconventionnalité d’autre part, qui est trop lourd. Une condamnation par le Conseil constitutionnel ou, plus probablement encore, par la Cour européenne des droits de l’homme serait un cadeau inestimable fait aux intégristes – que nous sommes censés combattre tous.

C’est pourquoi nous proposons de n’interdire la dissimulation du visage que dans les services publics et dans certains espaces publics, à charge pour les préfets d’établir une liste pouvant inclure tous les commerces ou lieux où l’identification est nécessaire. Ce faisant, contrairement à ce qui a pu être dit, nous n’établissons bien sûr aucune différence entre les banques publiques et les banques privées ! Ces amendements ont pour seul but de ne pas prendre le risque constitutionnel et conventionnel auquel le texte nous exposerait s’il était adopté dans sa rédaction actuelle.

M. le rapporteur. Avis défavorable.

Notre divergence d’appréciation porte, en premier lieu, sur la portée de l’interdiction. Il ne faut pas s’en tenir à des considérations de sécurité car c’est le vivre ensemble qui est en cause – d’où la nécessité d’une interdiction générale.

Il me semble, en second lieu, que c’est aux forces de l’ordre de faire respecter l’interdiction, plutôt qu’aux agents des mairies, des postes ou des transports en commun.

La solution que vous proposez risquerait d’entraîner un certain pointillisme juridique : comment bien délimiter les lieux où la dissimulation du visage serait interdite et les autres ? Il en résulterait des difficultés d’application, une insécurité juridique et des contentieux. Encore une fois, dès lors qu’il s’agit de défendre des valeurs, une interdiction générale s’impose.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Je voudrais saluer ce qu’a dit notre excellent rapporteur à propos de l’ordre public sociétal. Nous considérons que c’est une base juridique très forte, et nous la défendons.

M. Jean-Christophe Lagarde. Il est prévu que les dispositions des articles 1er à 3 n’entreront en vigueur qu’à l’expiration d’un délai de six mois. Il serait nécessaire que, de même, des directives générales soient données aux administrations et entreprises concernées, afin d’éviter aux personnels d’être confrontés à des difficultés. La ministre d’État évoquait, la semaine dernière, les réactions d’agressivité que le port du voile intégral suscite parfois. Faisons en sorte que ce texte, qui nous semble par ailleurs équilibré et nécessaire, ne suscite pas de nouveaux conflits.

La Commission rejette successivement les amendements CL 1 et CL 2.

Puis, elle adopte l’article 1er sans modification.

Article 2

Définition de la notion d’espace public et des exceptions à l’interdiction

L’article 2 du projet de loi précise la portée de l’interdiction posée à l’article 1er, en définissant la notion d’espace public (paragraphe I) et en circonscrivant les exceptions au principe de l’interdiction (paragraphe II).

1. La notion d’espace public

La notion d’espace public, qui détermine le champ d’application de l’interdiction, est précisément définie par le paragraphe I de cet article comme regroupant les voies publiques, les lieux ouverts au public et les lieux affectés à un service public. Afin de déterminer avec précision les lieux où cette interdiction serait applicable, il est nécessaire de définir quels sont les espaces que recouvrent ces trois notions.

a. Les voies publiques

Bien que la notion de voie publique soit employée dans de nombreuses législations, elle n’est pas définie en tant que telle. Ses acceptions peuvent d’ailleurs varier selon les contextes dans lesquels elle est utilisée. On peut en retenir deux acceptions principales.

Selon la première, les voies publiques sont définies comme les voies qui appartiennent au domaine public routier de l’État, des départements et des communes. Cependant, les notions de domaine public routier et de voies publiques ne sont pas superposables dans la mesure où certaines voies ne font pas partie du domaine public routier tout en n’étant pas privées (73).

Ainsi convient-il d’entendre la notion de voie publique au sens que lui a donné, pour l’application de l’article 682 du code civil, la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt récent (74), à savoir, « tout passage accessible, route ou chemin, ouvert au public ».

b. Les lieux ouverts au public

Les lieux ouverts au public ne sont pas définis dans l’étude d’impact. Celle-ci se borne à préciser les contours de la notion de « lieu qui accueille du public » qui recouvre les lieux « dont plusieurs personnes, étrangères les unes aux autres, ne peuvent revendiquer l’exclusivité de la fréquentation. » (75)

En fait, la notion de lieu ouvert au public n’est pas nouvelle. Elle est déjà présente dans un grand nombre de législations. L’occurrence la plus intéressante se trouve à l’article 10 la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité dans la mesure où elle a trait à la vidéosurveillance, domaine qui n’est pas sans rapport avec la dissimulation du visage, ainsi que l’a rappelé le Conseil d’État (76). Cet article autorise la vidéosurveillance dans des « lieux et établissements ouverts au public ».

Or, la jurisprudence judiciaire a défini la notion de lieu ouvert au public comme un « lieu accessible à tous, sans autorisation spéciale de quiconque, que l’accès en soit permanent et inconditionnel ou subordonné à certaines conditions. » (77) Ainsi, le caractère public ou privé d’un lieu n’a pas de conséquence sur le fait qu’il puisse être, ou non, ouvert au public. Un café, qui constitue une propriété privée, est un lieu ouvert au public, alors que tel n’est pas le cas des locaux d’une mairie qui ne sont pas destinés à recevoir les administrés.

Si l’on s’en tient à cette définition jurisprudentielle des lieux ouverts au public, l’interdiction s’appliquerait par exemple, ainsi que le prévoit l’étude d’impact, dans les parcs, les cafés, les transports collectifs et les commerces. Cette interdiction viserait également les lieux de culte, étant rappelé que, dans les lieux de culte, la police est d’abord assurée par ceux qui en assurent la gestion et que ce n’est qu’à leur demande que la force publique est susceptible d’intervenir. En revanche, elle ne concernerait pas les lieux dont l’accès est réservé à certaines personnes tels que les locaux d’une entreprise auxquels seul son personnel a accès, un immeuble, un local associatif ou un domicile… Ainsi, les zones accueillant du public d’un parc d’attraction doivent être considérées comme un lieu ouvert au public, en dépit de l’acquittement d’un droit d’entrée, dans la mesure où leur accès n’est pas restreint à certaines personnes, mais tel n’est pas le cas des zones auxquelles seul le personnel du parc a accès.

c. Les lieux affectés à un service public

La notion de lieux affectés à un service public n’est pas non plus nouvelle en droit positif. Elle a même été abondamment documentée par la jurisprudence administrative, dans la mesure où elle constitue l’un des critères de la domanialité publique depuis un arrêt du Conseil d’État de 1956 (78), que le code général de la propriété des personnes publiques a repris, dans son article L. 2111-1 (79).

Comme le souligne l’étude d’impact, sur le fondement de ce critère, l’interdiction serait valable dans les principaux services publics, qu’ils soient administratifs ou industriels et commerciaux, tels que « les mairies, les écoles, les hôpitaux » (80). Si l’on se fonde sur la jurisprudence administrative, elle le serait également dans un garage souterrain d’une gare ou d’un aéroport (81), dans les ports (82) ou dans les Palais de Justice (83), par exemple.

La catégorie des lieux affectés à un service public n’est donc pas incluse dans celle des lieux ouverts au public dans la mesure où certains lieux peuvent être affectés à un service public sans être ouverts au public. Tel est le cas, par exemple, des écoles ou des universités auxquelles l’accès n’est pas libre.

Il faut noter que, dans ces trois types de lieux, les pouvoirs de police administrative ont vocation à être plus étendus que dans les lieux strictement privés dans la mesure où, dans un cas, ils sont ouverts au public, et dans l’autre, ils sont régis par les exigences du service public, ce qui justifie les règles spécifiques que le projet de loi prévoit de leur appliquer.

2. Les exceptions au principe de l’interdiction

Il va de soi que l’interdiction générale de porter une tenue destinée à dissimuler le visage doit prendre en considération des circonstances justifiant, par exception, que le visage soit dissimulé.

Afin de circonscrire ces exceptions, deux attitudes étaient possibles. La première consistait à renvoyer soit au pouvoir réglementaire, soit au juge, le soin de les définir. Tel a été le choix effectué par le décret n° 2009-724 du 19 juin 2009 interdisant la dissimulation du visage dans les manifestations, qui ménage le cas où « la dissimulation du visage est justifiée par un motif légitime », renvoyant au juge le soin de définir cette notion. Mais ainsi que l’a indiqué M. Bertrand Mathieu (84), le Conseil constitutionnel pourrait considérer que, en procédant ainsi, le législateur n’a pas épuisé sa compétence, faisant peser sur la loi le risque d’une censure pour incompétence négative. Le choix a donc été fait de définir ces exceptions au niveau de la loi, ce qui semble être la solution la plus sûre juridiquement. Cependant, pour que les exceptions fixées par la loi ne soient pas trop précises, au risque d’oublier certaines circonstances qui rendent légitime la dissimulation du visage, le projet de loi se borne à des catégories d’exceptions formulées en termes génériques et qui pourront être précisées par le juge.

Ces exceptions sont au nombre de quatre. Avant de les passer en revue, il convient de remarquer que les personnes qui rentrent dans le champ de ces exceptions ne sont pas autorisées à se dissimuler le visage de la manière qu’elles souhaitent, mais uniquement avec une tenue adaptée à la teneur de l’exception. Pour prendre un exemple, si une personne, pour des raisons médicales, doit porter des bandages sur le visage, elle ne sera pas, pour autant, autorisée à dissimuler son visage dans l’espace public à l’aide d’un casque ou d’un voile intégral, ces derniers n’étant pas requis du fait de ces raisons de santé.

a. Les tenues prescrites par une loi ou par un règlement

Certaines dispositions législatives et réglementaires prescrivent le port d’une tenue destinée à dissimuler le visage. L’exemple le plus connu est certainement celui du port du casque par les conducteurs et les passagers de deux roues, qui est imposé par l’article R. 431-1 du code de la route : « En circulation, tout conducteur ou passager d'une motocyclette, d'un tricycle à moteur, d'un quadricycle à moteur ou d'un cyclomoteur doit être coiffé d'un casque de type homologué. Ce casque doit être attaché. »

D’autres tenues sont prescrites par une loi ou par un règlement dans le domaine professionnel et celui de la santé. Elles sont donc évoquées ci-dessous.

b. Les tenues autorisées pour protéger l’anonymat de l’intéressé

Dans certaines circonstances, la dissimulation du visage se justifie par la volonté de préserver l’anonymat de la personne.

Le cas qui est visé par cette exception est celui des témoins dans certains procès pénaux. Les articles 706-57 et suivants du code de procédure pénale prévoient ainsi que l’identité d’un témoin puisse ne pas apparaître dans le dossier de la procédure. Cependant, il peut également s’avérer nécessaire, pour sa protection, de l’autoriser à dissimuler son visage dans l’espace public en dépit d’une interdiction de principe.

La rédaction actuelle de cette exception est néanmoins trop vague. Elle ne précise pas par qui l’autorisation pourrait être donnée et en quelles circonstances. Il paraît donc souhaitable de joindre cette seconde exception à la première, dans la mesure où elle ne concerne qu’un seul type de situation et où elle est également susceptible de se rattacher à un fondement textuel.

c. Les tenues justifiées par des raisons médicales ou des motifs professionnels

La troisième catégorie d’exceptions regroupe les motifs d’ordre médical et professionnel.

Sous l’appellation de « raisons médicales », le projet de loi vise deux situations principales. La première concerne les personnes qui, pour préserver leur santé, seraient contraintes de porter une tenue dissimulant leur visage. Elle regroupe, par exemple, les masques respiratoires ou les bandages qui peuvent recouvrir l’ensemble du visage ainsi que les protections spécifiques recouvrant le visage de personnes qui ne peuvent pas l’exposer aux rayonnements solaires. La seconde ménage la possibilité de porter des protections sur le visage (notamment des masques) en cas de menace généralisée pour la santé publique. Elle concerne notamment la situation qui pourrait résulter de la mise en œuvre de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique dont le premier alinéa prévoit que « en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population. »

Cependant, ainsi que l’a souligné M. Guy Carcassonne (85), cette qualification semble être trop restrictive. En effet, en l’état actuel du projet de loi, toutes les tenues qui sont portées pour préserver la santé de la personne qui la porte ne seraient pas autorisées dans l’espace public si elles sont destinées à dissimuler le visage dans le but de le protéger. On peut notamment penser à certaines pratiques sportives, telles que l’escrime, pour laquelle le port d’une tenue dissimulant le visage est nécessaire. Afin d’exclure ces tenues du champ de l’interdiction, votre rapporteur suggère de s’inspirer de la formulation qu’avait retenue le Conseil d’État dans son avis, dans lequel il prévoyait une dérogation pour des raisons de « santé ou de sécurité personnelles » (86).

De nombreuses tenues dissimulant le visage sont justifiées par des motifs professionnels. Certaines d’entre elles le sont en vertu d’une loi ou d’un règlement et rentrent également, de ce fait, dans le cadre de la première exception. C’est le cas notamment pour les travaux de soudage, de rivetage et de sablage (87), de désamiantage (88) ou de dératisation et de désinsectisation des navires (89). On peut également ranger dans cette catégorie, ainsi que dans la précédente, les tenues que doivent porter les personnels de certains établissements où la santé doit être particulièrement protégée (90).

Néanmoins, les dispositions légales et réglementaires ne sont pas les seules à pouvoir prescrire le port d’une tenue dissimulant le visage. L’article L. 3121-3 du code du travail, qui porte sur le temps consacré à l’habillage et au déshabillage, précise que le port d’une tenue peut être imposé « par des dispositions légales, par des stipulations conventionnelles, le règlement intérieur ou le contrat de travail. » Elle peut également l’être sur instruction de l’employeur (91).

Enfin, cette catégorie d’exceptions engloberait les agents des forces de l’ordre qui doivent dissimuler leur visage pour des raisons professionnelles.

d. Les tenues qui s’inscrivent dans le cadre de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles

En dernier lieu, il est nécessaire de ménager l’hypothèse des fêtes et manifestations artistiques et traditionnelles. À cet égard, la notion de « manifestation conforme aux usages locaux » (92) qui figure dans le décret interdisant la dissimulation du visage à l’occasion de manifestations, se révèle insuffisante. Doivent en effet être prises en compte une pluralité de situations.

Au cours de certaines fêtes, il est de tradition de porter des tenues dissimulant le visage. On peut notamment penser aux fêtes de fin d’année, qui voient proliférer les pères Noël ou aux fêtes pour lesquelles il est de coutume de se déguiser, au besoin en masquant son visage, qu’elles soient d’ampleur nationale ou locale, l’exemple le plus célèbre étant celui du carnaval.

Le cas des manifestations artistiques est également à considérer, dans la mesure où des acteurs de cinéma, de cirque ou de théâtre, dont le masque est l’un des emblèmes, peuvent avoir besoin de dissimuler leur visage. Il faut noter que ces manifestations peuvent se tenir tant sur la voie publique que dans des lieux ouverts au public ou affectés à un service public.

En ce qui concerne les manifestations traditionnelles, devraient notamment entrer dans ce cadre les processions, par exemple religieuses, durant lesquelles certaines personnes sont susceptibles de porter des tenues destinées à dissimuler leur visage.

S’il s’avère difficile, à ce stade de la réflexion, d’envisager toutes les exceptions légitimes à l’interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public, on peut néanmoins noter que la totalité des exemples qui avaient été soulevés par la mission d’information sont pris en compte par le II de cet article (93). En tout état de cause, ainsi que l’a souligné Mme Anne Levade au cours de son audition (94), le rapport que le Gouvernement devrait remettre au Parlement en application de l’article 7 du projet de loi pourrait comprendre, en tant que de besoin, la liste des motifs justifiant une dérogation à l’interdiction qui n’entrent pas dans les cas actuellement prévus.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement CL 3 de M. Jean Glavany.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CL 8 du rapporteur.

Puis elle est saisie de l’amendement CL 9 du rapporteur.

M. le rapporteur. Il s’agit de fusionner les deux premières exceptions à l’interdiction de dissimulation du visage, le cas où une tenue « est autorisée pour protéger l’anonymat de l’intéressé » étant couvert par l’expression « est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires », que je vous propose de retenir.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL 10 du rapporteur.

M. le rapporteur. Je vous propose ici d’élargir le champ de la troisième exception, en substituant à l’expression « raisons médicales » l’expression « raisons de santé », qui avait été retenue par le Conseil d’État.

La Commission adopte l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL 11 du rapporteur.

M. le rapporteur. Il s’agit d’étendre les exceptions aux pratiques sportives, lorsqu’elles nécessitent une tenue masquant le visage – comme c’est le cas par exemple pour l’escrime.

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte ensuite l’article 2 modifié.

Article 3

Sanction de la violation de l’interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public

Le présent article fait de la violation de l’interdiction établie à l’article 1er une contravention de deuxième classe, punie d’une amende d’un montant maximal de 150 euros, à laquelle peut s’ajouter ou se substituer l’obligation d’effectuer un stage de citoyenneté. La sanction retenue satisfait une double condition : elle est adaptée à la nature de l’infraction et elle est applicable, garantissant l’effectivité de l’interdiction.

1. Une sanction adaptée

La sanction envisagée par le projet de loi est pleinement adaptée à la nature de l’infraction. Elle comporte, d’une part, un aspect répressif, à travers le paiement d’une amende, qui est dissuasif sans être disproportionné et, d’autre part, un versant pédagogique, avec l’obligation d’effectuer un stage de citoyenneté.

a. Une peine d’amende proportionnée à la nature de l’infraction

L’article 3 du projet de loi prévoit de punir la dissimulation du visage dans l’espace public par une contravention de deuxième classe. Son montant ne pourrait donc pas excéder 150 euros, en vertu du 2° de l’article 131-13 du code pénal, qui fixe le montant des cinq catégories de contraventions. Seules les contraventions de cinquième classe pouvant être punies plus sévèrement en cas de récidive, le montant de l’amende encouru serait identique qu’il s’agisse d’une première infraction ou d’une récidive.

Le fait de retenir une contravention de deuxième classe semble être proportionné à la gravité de l’infraction. En effet, il faut rappeler que le fait de dissimuler son visage peut déjà constituer une infraction. Le décret n° 2009-724 du 19 juin 2009 a en effet introduit un article R. 645-14 dans le code pénal qui punit « le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public. » Or, cette infraction constitue une contravention de cinquième classe. Dans la mesure où le fait de dissimuler son visage dans l’espace public quelles que soient les circonstances constitue un trouble moins grave à l’ordre public, la sanction ne peut qu’être inférieure.

Conformément à l’intention exprimée par le Gouvernement dans l’étude d’impact (95), l’amende ne devrait pas être forfaitaire, au sens des articles 529 et suivants du code de procédure pénale. Pour qu’elle le soit, il faudrait qu’elle figure dans la liste des contraventions des quatre premières classes dont la liste est fixée par décret en Conseil d’État au sens du premier alinéa de cet article. Ainsi, le ministère public et le juge de proximité auront l’opportunité d’adapter la sanction au contexte de l’infraction.

b. Le stage de citoyenneté, une sanction pédagogique

L’étude du Conseil d’État proposait de créer une sanction pédagogique spécifique, à savoir « l’injonction de médiation sociale », qui « obligerait le contrevenant à avoir un entretien avec un représentant d’un organisme de médiation agréé ou de participer aux actions de cet organisme pour une durée déterminée. » (96) Cependant, il paraît disproportionné de créer une nouvelle catégorie de sanctions pénales qui serait spécifique à cette infraction, d’autant plus que le stage de citoyenneté, tel qu’il existe à l’heure actuelle, semble répondre aux mêmes objectifs.

Le présent article prévoit que l’amende puisse s’accompagner ou être remplacée par l’obligation d’accomplir un stage de citoyenneté. Le fait d’accompagner, à titre de peine complémentaire, une peine contraventionnelle d’un stage de citoyenneté est en effet rendu possible par l’article 131-16, 8° du code pénal.

Ce stage a pour objet de « rappeler les valeurs républicaines de tolérance et de respect de la dignité humaine sur lesquelles est fondée la société » (97). Ses objectifs sont précisés par l’article R. 131-35 du même code : le stage a pour but de « faire prendre conscience [à la personne qui le suit] de sa responsabilité pénale et civile ainsi que des devoirs qu’implique la vie en société. »

Ce stage, qui peut aussi concerner des mineurs, est réalisé en groupe, à l’occasion de sessions collectives, sa durée ne pouvant pas excéder un mois, conformément à l’article R. 131-36 du code pénal. Il est généralement réalisé par des associations agréées par le ministère de la Justice, sous le contrôle du Procureur de la République ou du service pénitentiaire d’insertion et de probation. Son coût peut être mis à la charge du condamné et ne doit pas, en toute hypothèse, excéder 450 euros. Il ne peut pas être prononcé contre un prévenu qui le refuse.

L’étude d’impact précise que le contenu de ces stages serait adapté à la problématique spécifique de la dissimulation du visage dans l’espace public (98). Le stage de citoyenneté est donc un outil adapté à des actions pédagogiques visant à faire reculer la pratique de la dissimulation du visage dans l’espace public.

2. Une sanction applicable

Afin de garantir l’effectivité de la future loi sur l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public, il est indispensable de sécuriser le déroulement de la procédure pénale, depuis le constat de l’infraction jusqu’au prononcé d’une sanction. À ce titre, la procédure telle qu’elle peut être envisagée à ce stade comprendrait deux phases successives, la première étant policière et la seconde, judiciaire.

a. Du constat de l’infraction à sa cessation

Lorsqu’un officier ou un agent de police judiciaire constatera qu’une personne porte dans l’espace public une tenue destinée à dissimuler son visage, ils pourront procéder à un contrôle d’identité sur le fondement de l’article 78-2 du code de procédure pénale.

Le deuxième alinéa de cet article prévoit la possibilité d’inviter à justifier, par tout moyen, de son identité toute personne à l’égard de laquelle existent une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner « qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ». Or, l’article 3 du projet de loi fait de la dissimulation du visage dans l’espace public une contravention, fondant ainsi la possibilité de procéder à un contrôle d’identité. La personne contrôlée peut alors adopter deux attitudes.

Dans un premier cas, la personne peut accepter de montrer son visage pour prouver son identité. Dans ce cas, un procès-verbal de constat d’infraction est dressé, conformément à l’article 537 du code de procédure pénale (99). Une circulaire gouvernementale devrait indiquer les règles de bonne pratique à suivre afin de minimiser les risques de tension au moment du constat de l’infraction.

Au cas où la personne auteur de l’infraction dissimulerait à nouveau son visage postérieurement à l’établissement de ce procès-verbal, elle se rendrait coupable d’une nouvelle infraction, à nouveau constitutive d’une contravention. En effet, la dissimulation du visage dans l’espace public peut être analysée comme une infraction continue, qui prend fin lorsque la personne montre son visage. Le fait de dissimuler à nouveau son visage est donc constitutif d’une seconde infraction. Or, en vertu de l’article 132-7 du code pénal, « les peines d'amende pour contraventions se cumulent entre elles ». Ainsi, à chaque fois que l’infraction est constatée, elle peut donner lieu à poursuites.

Dans un second cas, la personne qui dissimule son visage peut refuser de montrer son visage et donc de prouver son identité. Au stade du contrôle d’identité, l’officier ou l’agent de police judiciaire ne peut pas enjoindre à la personne d’enlever la tenue en cause. La procédure de l’article 78-3 du code de procédure pénale peut alors être engagée, autorisant la retenue « sur place ou dans le local de police où [la personne] est conduit[e] aux fins de vérification d’identité. » La durée de cette retenue ne peut pas excéder quatre heures conformément au troisième alinéa de cet article.

En cas de refus persistant, le procureur de la République peut autoriser la prise (d’empreintes digitales ou) de photographies (100) dans la mesure où elles constitueraient alors « l’unique moyen d’établir l’identité de l’intéressé » sur le fondement du quatrième alinéa de cet article. Si la personne obtempère à la demande de vérification d’identité ou à la prise de photographies, elle ne se rend coupable que de la seule contravention prévue à l’article 3 du projet de loi.

En revanche, si la personne refuse la prise de photographies, elle se rend coupable du délit prévu à l’article 78-5 du même code, puni de trois mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende (101). La flagrance autorise le placement en garde à vue. La tenue dissimulant le visage devrait alors être ôtée, au besoin par la contrainte, au cours de la fouille de sécurité qui ouvre le placement en garde à vue. Elle pourrait être saisie, mise sous scellés et jointe à la procédure, car constituant une preuve du délit, et serait restituée à la fin de la procédure.

b. De la cessation de l’infraction au prononcé de la sanction

Une fois que le procès-verbal constatant l’infraction a pu être établi, s’ouvre la phase judiciaire.

Du fait de sa catégorie, la contravention prévue à l’article 3 relève de la juridiction de proximité, qui est compétente pour les contraventions des quatre premières classes, conformément au deuxième alinéa de l’article 521 du code de procédure pénale, sauf si cette contravention figure parmi les contraventions qu’un décret en Conseil d’État attribue au tribunal de police. Néanmoins, cette hypothèse ne semble pas être, à l’heure actuelle, celle du Gouvernement, dans la mesure où l’étude d’impact évoque la compétence de la juridiction de proximité (102).

Il reviendra donc au ministère public, maître de l’opportunité des poursuites, de décider de l’attitude à adopter face aux contrevenants, ce qui assure la souplesse de la réponse pénale. Sur le fondement de l’article 40-1 du code de procédure pénale, le ministère public pourra choisir d’engager des poursuites, de mettre en œuvre une procédure alternative aux poursuites ou de classer la procédure.

L’hypothèse qui semble être privilégiée par le Gouvernement est celle des alternatives aux poursuites que sont notamment le rappel des obligations résultant de la loi, l’obligation d’accomplir un stage de citoyenneté ou la composition pénale (103).

Le régime de la composition pénale est fixé par l’article 41-2 du code de procédure pénale et elle est rendue applicable aux contraventions par l’article 41-3 du même code. Elle repose sur un accord entre une personne, qui reconnaît sa culpabilité, et le ministère public, qui lui propose une sanction. Dans ce cadre, peuvent notamment figurer dans la composition pénale : le versement d’une amende (1° de cet article), le dessaisissement, au profit de l’État, de la chose qui a servi à commettre l’infraction (2°) ou l’accomplissement d’un stage de citoyenneté (13°). Cet accord doit être validé par le juge de proximité, qui peut auditionner, à cette fin, l’auteur des faits.

Si la personne n'accepte pas la composition pénale ou si, après avoir donné son accord, elle n'exécute pas intégralement les mesures décidées, le procureur de la République met en mouvement l'action publique, sauf élément nouveau. Dans ce cas, il appartient au juge de proximité de prononcer la sanction à appliquer.

La Commission examine l’amendement CL 4 de M. Jean Glavany. 

M. Jean Glavany. Les femmes portant un voile intégral sont des victimes, que ce soit d’une idéologie intégriste ou de leurs pères, de leurs frères ou d’imams qui les forcent à le porter. C’est pourquoi nous souhaitons que le non-respect de l’interdiction expose d’abord à une injonction de médiation sociale. Ce n’est que le refus de se plier à cette injonction ou la récidive qui seraient passibles d’une amende. C’est une question de principe : il faut développer les mesures de pédagogie à destination des femmes concernées.

M. le rapporteur. Nous sommes d’accord sur le fond : la dimension pédagogique est très importante. C’est bien la raison pour laquelle l’article 3 prévoit un stage de citoyenneté – qui correspond en fait à ce que vous appelez « médiation sociale ».

L’autorité judiciaire disposera d’une grande marge de manœuvre : il sera possible de citer la personne devant la juridiction de proximité, mais aussi de recourir à des mesures alternatives, par exemple de composition pénale. La sanction est donc loin d’être automatique. Quant à la « médiation sociale » que vous préconisez, elle n’existe pas actuellement en droit pénal – alors que le stage de citoyenneté, qui existe déjà, répond à votre objectif. Cette formule a d’ailleurs été considérée comme tout à fait adaptée par le président de la section des études et du rapport du Conseil d’État.

En conséquence, avis défavorable.

Mme Marietta Karamanli. Les propos de mon collègue Glavany n’ont peut-être pas été bien compris. Le stage de citoyenneté ne suffit pas ; nous proposons d’agir aussi plus en amont.

M. François Bayrou. Je voudrais plaider pour cet amendement. Il me semble raisonnable de prévoir que toute sanction doit être précédée d’une intervention « pédagogique », ou plus exactement d’une « médiation sociale ». Puisque nous cherchons un consensus sur ce texte, il serait judicieux que la Commission accepte cet amendement.

M. Jean Glavany.  Notre souhait est de supprimer la possibilité d’infliger directement une amende ; il nous paraît nécessaire de commencer par une injonction de médiation sociale.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’État, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés. Il me paraît clair que nos positions sont très proches. Il reste à trouver une formule qui convienne à tous.

L’entrée en vigueur de cet article, c’est-à-dire la possibilité d’ordonner l’accomplissement d’un stage, et en même temps, ou alternativement, de prononcer une amende, n’interviendra qu’à l’expiration d’un délai de six mois suivant la promulgation de la loi. Par voie de conséquence, il est évident que la médiation va avoir lieu, de façon assez systématique.

S’agissant du vocabulaire, il n’y a pas beaucoup de différence entre la médiation sociale et le stage de citoyenneté. Pour que tout le monde soit d’accord, je ne vois aucun inconvénient à ce que les deux expressions figurent dans la loi. Je serais prête à accepter un sous-amendement en ce sens.

Cela étant précisé, il me semble nécessaire de laisser aux juges un pouvoir d’appréciation. Ils ne seront pas obligés de prononcer une amende, mais pourront le faire au vu de leur appréciation des circonstances. Nous devons leur faire confiance.

Mme George Pau-Langevin. L’idée de commencer par une phase de médiation et de dialogue me paraît cohérente avec les dispositions figurant dans le projet de loi de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées ainsi que dans la proposition de loi relative à l’exécution des décisions de justice. Le fait que les dispositions n’entrent en vigueur qu’après un délai de six mois ne suffit pas : c’est dans chaque cas individuel qu’il faut dialoguer avant de sanctionner.

M. Jean-Christophe Lagarde. Je suis sensible à l’idée de laisser une grande marge d’appréciation aux juges, ne serait-ce qu’en raison des difficultés d’application du texte dans certains quartiers. Mais j’aimerais savoir quel sera le juge chargé de se prononcer. Puisqu’il s’agit de contraventions de deuxième classe, j’imagine qu’il s’agira du tribunal de police. Cependant la personne concernée n’ira-t-elle pas devant ce tribunal seulement en cas de contestation ?

M. le rapporteur. La méconnaissance de l’interdiction sera punie de l’amende prévue pour les contraventions de deuxième classe, lesquelles sont susceptibles d’être déférées au juge de proximité, compétent jusqu’à la quatrième classe de contraventions.

Comme dans tous les domaines, le Procureur de la République est maître de l’opportunité des poursuites. Il pourra citer l’auteur de l’infraction devant le juge de proximité ou bien recourir à des solutions alternatives, comme la composition pénale. Dans ce cadre, il pourra demander que soit effectué un stage de citoyenneté – lequel suppose l’accord du contrevenant. Une « médiation sociale » sera donc bel et bien possible avant toute comparution devant le juge de proximité.

Ce dernier aura, pour sa part, toute latitude pour apprécier la situation. L’amende maximale, s’agissant d’une contravention de deuxième classe, est de 150 euros, mais bien entendu il ne s’agit pas d’une amende forfaitaire : le juge pourra prononcer une amende d’un montant inférieur ou ne pas en prononcer du tout. Il pourra imposer un stage de citoyenneté sans l’assortir d’une amende. La procédure prévue répond donc à votre objectif de pédagogie et de médiation.

Enfin, c’est la procédure du contrôle d’identité, telle qu’elle est prévue par les articles 78-1 et suivants du code de procédure pénale, qui s’appliquera en cas de refus de retirer le voile. Il faudra, en effet, constater l’identité du contrevenant.

M. Jean-Christophe Lagarde. Me confirmez-vous que la procédure n’ira pas nécessairement jusqu’au juge de proximité ?

M. le rapporteur. Bien sûr.

M. Jean-Christophe Lagarde. Dans ce cas, le dispositif me paraît raisonnable. On peut en effet penser que c’est ce qui se passera la plupart du temps.

M. Guy Geoffroy, président. Pour clarifier ce débat avant le vote, je rappelle que le deuxième alinéa de l’article  3 est ainsi rédigé :  « L’obligation d’accomplir le stage de citoyenneté mentionné au 8° de l’article 131-16 du code pénal peut être prononcée en même temps ou à la place de la peine d’amende ». Cela signifie que le juge, dans le cadre de son pouvoir souverain d’appréciation, pourra prononcer une obligation de stage de citoyenneté, une amende, ou une amende et une obligation de stage. Nos collègues du groupe SRC proposent, pour leur part, de ne laisser aux juges que la possibilité d’imposer une médiation sociale, le non-respect de cette obligation étant passible d’une amende de 300 euros. Il n’y a donc pas une grande distance entre les positions des uns et des autres.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission examine ensuite l’amendement CL 5 de M. Jean Glavany.

M. Jean Glavany. Il s’agit d’un amendement de cohérence.

M. le rapporteur. Là encore, nous sommes d’accord sur le fond, mais ce que vous proposez est impossible : vous voulez que le stage de citoyenneté soit prononcé obligatoirement par le juge. Or nous ne pouvons pas enlever au juge son pouvoir d’appréciation. En outre, ce stage de citoyenneté doit recueillir l’accord du contrevenant : on ne peut pas le lui imposer.

M. Jean Glavany.  Vous caricaturez notre position !

La Commission rejette l’amendement.

Elle adopte ensuite l’article 3 modifié.

Article 4

(Sect. 1 ter [nouvelle], art. 225-4-10 [nouveau] du code pénal)


Création d’un délit d’instigation à dissimuler son visage

Le présent article crée un délit d’instigation à la dissimulation du visage, puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Il vise à porter assistance aux femmes qui sont contraintes de se dissimuler le visage, quel que soit le lieu où cette contrainte s’exerce, traduisant ainsi dans le droit le cinquième point de la résolution sur l'attachement au respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte qui préconisait que « tous les moyens utiles soient mis en œuvre pour assurer la protection effective des femmes qui subissent des violences ou des pressions, et notamment sont contraintes de porter un voile intégral. » (104)

1. Un délit nécessaire à la protection des victimes

La mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national a pointé le fait que certaines personnes pouvaient être contraintes de dissimuler leur visage (105). Certains cas évoqués devant elle concernaient même des enfants de moins de dix ans. Ces situations prennent principalement place dans le cadre familial, que la contrainte soit exercée au sein du couple ou par des parents sur leurs enfants. Or, à l’heure actuelle, ces situations sont mal cernées par le droit pénal.

a. Un droit pénal lacunaire

Le juge civil protège efficacement tant les mineurs que les personnes qui se voient imposer la dissimulation de leur visage par leur conjoint ou concubin (106). Pour ce qui concerne les mineurs, le juge civil peut agir, d’une part, dans le cadre du contentieux de la garde des enfants et, d’autre part, dans le domaine de l’assistance éducative.

Dans le domaine des violences exercées au sein du couple, le juge civil exerce également son rôle de protection des victimes, notamment en ce qui concerne le divorce. En effet, la mission d’information a établi qu’il prendrait très certainement appui sur la contrainte à la dissimulation du visage pour prononcer un divorce pour faute (107). De surcroît, l’instigation à la dissimulation du visage, si elle s’inscrit dans un contexte plus général de violences, pourra donner lieu à la délivrance d’une ordonnance de protection par le juge aux affaires familiales, telle qu’elle est envisagée par la proposition de loi renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes (108).

En revanche, le droit pénal en vigueur ne permettrait pas avec certitude de sanctionner les personnes qui contraignent autrui à la dissimulation du visage. Deux fondements pourraient certes être envisagés qui ne sont guère assurés :

—  la menace de commettre un crime ou un délit contre les personnes avec ordre de remplir une condition (art. 222-18 du code pénal) pourrait constituer un premier fondement. Cependant, ce délit étant général, il pourrait s’avérer d’autant plus difficile d’en apporter la preuve, dans la mesure où devrait être prouvées non seulement la contrainte à dissimuler son visage mais aussi la menace de commettre un crime ou un délit si cet ordre n’est pas exécuté ;

—  la violence n’ayant entraîné aucune incapacité de travail (art. 222-13 du code pénal dans le cas où la victime et l’auteur vivent ou ont vécu en couple). Conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation (109), qui a été reprise par le I de l’article 17 de la proposition de loi renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes (110), le délit de violence peut être constitué en dehors de tout contact matériel avec le corps de la victime, par tout acte ou tout comportement de nature à causer sur la personne de celle-ci une atteinte à son intégrité physique ou psychique caractérisée par un choc émotif ou une perturbation psychologique. Toutefois, ce cas de figure se réfère plutôt à une situation de violences unique qu’à une contrainte durable.

Cette même proposition de loi, dans le II de son article 17, prévoit la création d’un délit de « violences psychologiques ». Cependant, afin d’en apporter la preuve, il serait nécessaire, en l’état actuel du texte, d’attester d’une altération de la santé physique ou mentale de la victime, ce qui, dans le cas de la contrainte à dissimuler son visage, peut s’avérer difficile.

b. Un nouveau délit, protecteur des victimes

Il est donc nécessaire de créer un délit spécifique, qui porte directement sur la contrainte à la dissimulation du visage, afin de protéger les personnes qui en sont victimes. C’est pourquoi l’article 4 du projet de loi introduit ce nouveau délit dans la partie du code pénal qui est consacrée aux atteintes à la dignité de la personne. En effet, si la dissimulation volontaire du visage n’est pas forcément constitutive, au sens juridique, d’une atteinte à la dignité de la personne humaine, tel n’est pas le cas lorsque c’est par la contrainte qu’est imposée cette dissimulation. Tous les constitutionnalistes entendus par votre rapporteur ont tenu à souligner ce point.

Ce nouveau délit sera protecteur des personnes qui sont contraintes de se dissimuler le visage pour deux raisons.

La première tient au fait que ces personnes ne pourraient pas se voir sanctionner, sur le fondement de l’article 3 du projet de loi, si elles apportent la preuve qu’elles dissimulent leur visage, dans l’espace public, sous l’empire de la contrainte. Si elles parviennent à prouver qu’elles dissimulent leur visage sous la contrainte, elles matérialisent de ce fait la contrainte figurant à l’article 122-2 du code pénal, qui énonce que « n’est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l’empire d’une force ou d’une contrainte à laquelle elle n’a pas pu résister. » Ainsi, la personne qui apporterait la preuve de la contrainte au sens de l’article 4 du projet de loi se déferait, dans le même temps, de sa responsabilité pénale pour la violation de l’interdiction énoncée à l’article 1er.

La seconde repose sur les possibilités ouvertes aux magistrats par la création de ce délit. On peut en effet supposer que si la dissimulation du visage est imposée, celle-ci ne soit pas la seule forme de violence qui soit exercée à l’encontre de la victime, d’où la nécessité d’exercer une protection renforcée de cette dernière. Dès lors, dans l’hypothèse où les faits seraient commis sur la personne du conjoint, du concubin ou des enfants de l’un des membres du couple, il serait possible au procureur, dans le cadre d’alternatives aux poursuites, et au juge pénal, de prendre des mesures visant à renforcer la sécurité des victimes. Pourront alors être décidées l’éviction du domicile ou de la résidence du couple et l’obligation de s’abstenir d’y paraître ou encore celle de faire l’objet d’une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique (111).

2. Un délit proportionné à la gravité de la violation des droits de la victime

Au regard de l’isolement social que provoque le fait de contraindre quelqu’un à dissimuler son visage et des perturbations que cette situation peut engendrer pour la personne qui en est victime, une simple contravention serait une sanction trop faible. La création d’un délit spécifique est donc nécessaire.

Afin de présenter ce délit, tant l’étude d’impact que l’exposé des motifs du projet de loi évoquent la « contrainte à la dissimulation du visage » (112). De fait, le libellé de l’article 4 incrimine « le fait […] d’imposer à une personne […] de dissimuler son visage. » La contrainte est donc un élément constitutif du délit tel qu’il figure dans le projet de loi. Cependant, la section dans laquelle figurerait ce délit s’intitulerait « De l’instigation à dissimuler son visage », laissant entendre que la contrainte ne serait pas un élément nécessaire à la qualification du délit. Il est donc souhaitable de mettre en adéquation l’intitulé de la section et le contenu du délit en dénommant cette dernière « De la dissimulation forcée du visage. »

Le délit serait constitué par la réunion de trois éléments. Le premier d’entre eux réside dans le fait d’imposer à autrui de dissimuler son visage.

Le second repose sur le fait que la dissimulation doit être obtenue par l’un des cinq moyens énumérés dans le projet de loi, à savoir la menace, la violence, la contrainte, l’abus de pouvoir ou l’abus d’autorité. Tous les moyens de pression seront donc pris en compte par le juge qui devra se prononcer dans une affaire de ce type.

La menace, la violence ou la contrainte sont trois des manifestations traditionnelles du défaut de consentement. Y est habituellement adjointe la surprise, qui ne trouve pas à l’appliquer en l’occurrence. Ces trois notions sont notamment présentes dans les éléments constitutifs des agressions sexuelles, aux articles 222-22 et suivants du code pénal. La chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi eu l’occasion de préciser que la contrainte devait être appréciée en fonction de la capacité de résistance de la victime (113). On peut considérer, sur le fondement de la jurisprudence de cette chambre, que la contrainte est susceptible de s’exercer de deux façons : par le biais de l’exercice de pressions corporelles, c'est-à-dire par la violence, ou grâce à des pressions psychologiques, qui peuvent être assimilées à des menaces.

L’abus d’autorité et l’abus de pouvoir figurent au second alinéa de l’article 121-7 du code pénal qui définit la complicité par provocation. La jurisprudence a précisé que l’autorité en question pouvait résulter d’une autorité légale (telle que l’autorité parentale ou l’autorité de l’employeur sur ses employés) ou d’une autorité de fait. Ainsi en va-t-il d’une personne qui exerce un fort ascendant sur une autre (114).

Le troisième élément réside dans le fait que cette dissimulation doit être imposée sur le fondement du sexe de la victime. Tel n’était cependant pas la position du Conseil d’État, qui, dans son étude, dressait une liste plus large des motivations pour lesquelles le fait d’imposer à autrui de dissimuler son visage était constitutif d’un délit : étaient mentionnés le sexe, l’orientation sexuelle, l’âge, la situation de famille, l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, les convictions politiques, philosophiques ou religieuses, et l’apparence physique (115). De fait, les victimes de contrainte à la dissimulation du visage sont, à l’heure actuelle, des femmes. Il est donc nécessaire de mentionner la spécificité de ces violences de genre, en n’élargissant pas les éléments constitutifs du délit à des cas hypothétiques.

Ce délit serait puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Le Conseil d’État proposait de permettre au juge de condamner l’auteur de ce délit à une injonction de se soumettre à une médiation pénale (116). Cette hypothèse ayant été écartée pour les personnes dissimulant volontairement leur visage dans l’espace public, il ne saurait être question de créer une telle sanction spécifiquement pour les auteurs de ce délit.

Enfin, il est nécessaire de prendre en compte le fait, comme le suggérait le Conseil d’État (117) et comme le prévoit la proposition de loi déposée par M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues (118), que la gravité et les conséquences possibles de ce comportement sont accrues par le fait que la victime soit mineure. Dès lors, la sanction doit, elle aussi, en être augmentée.

La Commission est saisie de l’amendement CL 6 de M. Jean Glavany. 

M. Jean Glavany.  Nous proposons de sanctionner plus sévèrement ceux qui contraignent les femmes à dissimuler leur visage. Même s’il peut arriver que le port du voile intégral soit librement consenti, c’est en effet le cœur du problème.

M. le rapporteur. Il n’est pas question pour moi de caricature. Au contraire, comme je l’ai dit, je me réjouirais que nous parvenions à une position commune.

Encore une fois, nous sommes d’accord sur le fond : il faut réprimer plus sévèrement ceux qui contraignent des femmes à dissimuler leur visage. C’est pourquoi je défendrai tout à l’heure un amendement tendant à doubler les peines quand la victime est mineure.

Par ailleurs, votre amendement vise non seulement le fait d’imposer, mais aussi celui de « tenter d’imposer » la dissimulation du visage. Or si la contrainte est difficile à établir, la tentative de contrainte l’est bien davantage encore. Je préconise donc de ne pas en faire état.

Enfin, je suis tout à fait d’accord pour alourdir les peines en cas de récidive, comme vous le demandez ; mais l’article 132-10 du code pénal prévoit déjà un doublement de la peine pour ce motif.

Pour toutes ces raisons, je vous propose de vous rallier à mon amendement CL 13.

M. Jean-Christophe Lagarde. Le groupe Nouveau Centre soutient cet amendement car il vise le cœur du problème. Le port volontaire du voile intégral existe, mais je le crois marginal.

M. Jean Glavany.  Monsieur le rapporteur, nous ne vous avons pas attendu pour proposer d’alourdir les peines quand les victimes sont mineures – cela figure au deuxième alinéa de notre amendement. Mais nous proposons en outre, contrairement à vous, de les alourdir dans tous les cas de contrainte.

Mme George Pau-Langevin. Contrairement à l’amendement du rapporteur, le nôtre concerne en effet également les femmes majeures. Par ailleurs, je pense pour ma part que ce sont les tentatives de contrainte non suivies d’effets qui seront les plus faciles à réprimer – car les femmes qui se rebellent viendront témoigner.

M. Charles de La Verpillière. Je suis tenté d’approuver l’alourdissement des peines qui nous est proposé, mais la mention des tentatives de contrainte, qui seront difficiles à établir, me pose problème.

M. Jean Glavany.  Je rectifie l’amendement pour supprimer la référence aux tentatives de contrainte.

M. le rapporteur. Il faudrait également supprimer la référence à la récidive, pour la raison que j’ai indiquée. Pour le reste, je ne suis nullement hostile à l’alourdissement des peines.

M. Jean Glavany.  J’apporte donc une deuxième rectification, consistant à supprimer, dans le deuxième alinéa, les mots « en cas de récidive ou ».

La Commission adopte à l’unanimité l’amendement rectifié, rendant sans objet l’amendement CL 13 du rapporteur.

Elle examine ensuite l’amendement CL 12 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement tend à modifier l’intitulé de la section du code pénal dans laquelle figurera le délit dont nous parlons. Puisque celui-ci vise les cas où la dissimulation du visage est imposée sous la contrainte, je propose de remplacer les mots « De l’instigation à dissimuler son visage » par l’intitulé suivant : « De la dissimulation forcée du visage ».

La Commission adopte l’amendement.

La Commission adopte l’article 4 modifié.

Article 5

Entrée en vigueur des articles 1er à 3

L’article 5 du projet de loi repousse l’entrée en vigueur des articles 1er à 3 à six mois après la publication de la loi. En revanche, il est prévu que les autres articles du projet de loi, et notamment l’article 4 portant sur l’instigation à dissimuler son visage, soient d’application immédiate.

Cette entrée en vigueur différée a pour but d’ouvrir une phase de concertation et de médiation avec les personnes qui dissimulent leur visage dans l’espace public. Cette période devrait permettre à tous les acteurs impliqués dans cette problématique de mettre en œuvre les actions nécessaires pour expliquer les termes de la résolution parlementaire et de la loi et pour faire régresser cette pratique avant même son entrée en vigueur. Elle sera également l’occasion de faire connaître les nouvelles dispositions, notamment par voie de circulaire, à tous les agents publics qui seront chargés de les mettre en application.

Une telle démarche avait déjà été adoptée lors du vote de la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, dont l’article 3 prévoyait que « les dispositions de la présente loi entrent en vigueur à compter de la rentrée de l’année scolaire qui suit sa publication », ce qui a représenté un report de six mois. Cette période a été essentielle à la préparation de l’entrée en vigueur de la loi, ainsi que l’a souligné le rapport sur l’application de la loi du 15 mars 2004 (119).

Forte de cet enseignement, la mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national a jugé nécessaire de ménager une période transitoire au cas où une loi devrait être votée (120). Une solution identique était également prévue dans la proposition de loi déposée par M. Jean-François Copé (121).

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL 14 du rapporteur.

Elle adopte ensuite l’article 5 modifié.

Article 6

Application de la loi sur le territoire de la République

L’article 6 du projet de loi prévoit une application de la loi à l’ensemble du territoire de la République, tant en métropole qu’outre-mer. En effet, les principes qui la sous-tendent ne justifient pas que soient prises en compte des circonstances locales particulières.

Aucune difficulté juridique n’est soulevée par l’application de la loi outre-mer, ainsi que l’a souligné le Conseil d’État (122). En effet, elle s’appliquerait de plein droit aux départements et régions d’outre-mer en vertu du principe d’identité législative posé par l’article 73 de la Constitution.

L’article 6 rendrait également la loi applicable dans les collectivités d’outre-mer de l’article 74 de la Constitution, qui sont régies par le principe de spécialité législative. Cette extension est rendue possible par les textes régissant la répartition des compétences entre l’État et ces collectivités, qui accordent tous à l’État la compétence pour édicter de telles normes. En Polynésie française, l’État est ainsi compétent en matière de garantie des libertés publiques, de droit pénal, de sécurité et d’ordre publics (123;

En ce qui concerne la Nouvelle-Calédonie, l’État est également compétent en matière de garantie des libertés publiques, de maintien de l’ordre et de droit pénal (124). La loi s’y appliquerait donc dès sa promulgation, sous réserve des dispositions de l’article 5.

La Commission adopte l’article 6 sans modification.

Article 7

Rapport au Parlement sur l’application de la loi

L’article 7 du projet de loi prévoit la transmission au Parlement d’un rapport élaboré par le Gouvernement faisant le point sur l’application de la loi à l’issue d’un délai de 18 mois suivant sa promulgation.

Cette disposition est pleinement justifiée dans la mesure où peu d’études sont disponibles sur cette problématique spécifique. Afin d’apprécier l’application qui est faite de la loi, ainsi que les résistances éventuelles auxquelles elle pourrait se heurter, il est donc indispensable de procéder, à moyen terme, à cette évaluation.

D’ailleurs, une évaluation analogue avait été prévue par l’article 4 de la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. Introduit par voie d’amendement parlementaire, cet article disposait que « les dispositions de la présente loi font l’objet d’une évaluation un an après son entrée en vigueur. » Cette évaluation a donné lieu à la publication d’un rapport en juillet 2005, sous la direction de Mme Hanifa Chérifi (125), dressant un bilan tant quantitatif que qualitatif de l’application de la loi, mettant l’accent sur la situation de certaines académies « sensibles » et proposant des pistes d’amélioration.

L’évaluation prévue se caractérise par deux paramètres :

—  la date à laquelle elle est effectuée. Il est prévu qu’elle soit réalisée dix-huit mois après la promulgation de la loi, c'est-à-dire après un an de mise en œuvre de l’interdiction. Ce délai semble raisonnable pour permettre d’évaluer les difficultés rencontrées. À titre de comparaison, l’évaluation de la loi du 15 mars 2004 était également prévue un an après son entrée en vigueur ;

—  son contenu. Il est prévu que l’évaluation porte sur « les mesures d’accompagnement mises en œuvre par les pouvoirs publics ainsi que les difficultés rencontrées ». Il est également essentiel que l’évaluation dessine un bilan quantitatif du nombre d’infractions constatées tant pour la contravention prévue par l’article 3 que pour le délit présent à l’article 4. Par ailleurs, il est nécessaire que ce rapport dresse un état des lieux de la pratique du port du voile intégral dans l’espace public afin de pouvoir mesurer les effets de la loi. Par conséquent, votre rapporteur estime nécessaire, à l’image de ce qui avait été prévu dans la proposition de loi déposée par M. Jean-François Copé (126), d’introduire, dans le rapport qui serait demandé au Gouvernement, une partie sur l’application de la loi.

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL 15 du rapporteur.

Elle est saisie de l’amendement CL 16 du rapporteur.

M. le rapporteur. Il s’agit de compléter le bilan de la mise en œuvre de ce texte.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL 7 de M. Jean Glavany. 

M. Jean Glavany. Cet amendement tend à inciter le Gouvernement à profiter du délai de six mois séparant la promulgation de la loi de l’entrée en vigueur de ses articles 1er à 3 pour développer des moyens d’information et de pédagogie à destination des femmes concernées.

M. le rapporteur. Il me paraît satisfait par celui que nous venons d’adopter.

La Commission rejette l’amendement.

Elle adopte ensuite l’article 7 modifié.

Puis elle adopte l’ensemble du projet de loi modifié.

*

* *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter le projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public dans le texte figurant dans le document joint au présent rapport.

TABLEAU COMPARATIF

___

Texte en vigueur

___

Texte du projet de loi

___

Texte adopté par la Commission

___

 

Projet de loi interdisant la dissimulation du visage
dans l’espace public

Projet de loi interdisant la dissimulation du visage
dans l’espace public

 

Article 1er

Article 1er

 

Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage.

(Sans modification)

 

Article 2

Article 2

 

I. – Pour l’application de l’article 1er, l’espace public est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public.

I. – (Sans modification)

 

II. – L’interdiction édictée à l’article 1er ne s’applique pas si la tenue est prescrite par une loi ou un règlement, si elle est autorisée pour protéger l’anonymat de l’intéressé, si elle est justifiée par des raisons médicales ou des motifs professionnels, ou si elle s’inscrit dans le cadre de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles.

II. – L’interdiction prévue à …
… prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des raisons de santé ou …

… cadre de pratiques sportives, de …

(amendements CL8, CL9, CL10 et CL11)

 

Article 3

Article 3

 

La méconnaissance de l’interdiction édictée à l’article 1er est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe.

(Sans modification)

Code pénal

Art. 131-16. – Cf. annexe.

L’obligation d’accomplir le stage de citoyenneté mentionné au 8° de l’article 131-16 du code pénal peut être prononcée en même temps ou à la place de la peine d’amende.

 
 

Article 4

Article 4

 

Au chapitre V (« Des atteintes à la dignité de la personne ») du titre II du livre II du code pénal, il est créé une section 1 ter ainsi rédigée :

(Alinéa sans modification)

 

« Section 1 ter

(Alinéa sans modification)

 

« De l’instigation à dissimuler son visage

« De la dissimulation forcée du visage

(amendement CL12)

 

« Art. 225-4-10. – Le fait, par menace, violence ou contrainte, abus de pouvoir ou abus d’autorité, d’imposer à une personne, en raison de son sexe, de dissimuler son visage est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. »

« Art. 225-4-10. – Le fait pour toute personne d’imposer à une ou plusieurs autres personnes de dissimuler leur visage par menace, violence, contrainte ou abus d’autorité constitue un délit passible d’un an de prison et de 30 000 € d’amende.

   

« Les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 60 000 € d’amende lorsque les personnes soumises à la contrainte étaient mineures au moment des faits. »

(amendement CL6 rectifié)

 

Article 5

Article 5

 

Les dispositions des articles 1er à 3 entrent en vigueur à l’expiration d’un délai de six mois suivant la promulgation de la présente loi.



… mois à compter de la …

(amendement CL14)

 

Article 6

Article 6

 

La présente loi s’applique sur l’ensemble du territoire de la République.

(Sans modification)

 

Article 7

Article 7

 

Le Gouvernement remettra au Parlement un rapport sur l’application de la présente loi dix-huit mois après sa publication. Ce rapport présentera les mesures d’accompagnement mises en œuvre par les pouvoirs publics ainsi que les difficultés rencontrées.



… sa promulgation. Ce rapport dresse un bilan de la mise en
œuvre des dispositions de la présente loi, des mesures d’accompagnement élaborées par les pouvoirs publics et des difficultés …

(amendements CL15 et CL16)

ANNEXE AU TABLEAU COMPARATIF

Code pénal

Art. 131-16. – Le règlement qui réprime une contravention peut prévoir, lorsque le coupable est une personne physique, une ou plusieurs des peines complémentaires suivantes :

1° La suspension, pour une durée de trois ans au plus, du permis de conduire, cette suspension pouvant être limitée à la conduite en dehors de l’activité professionnelle sauf si le règlement exclut expressément cette limitation ;

2° L’interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de trois ans au plus, une arme soumise à autorisation ;

3° La confiscation d’une ou de plusieurs armes dont le condamné est propriétaire ou dont il a la libre disposition ;

4° Le retrait du permis de chasser, avec interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis pendant trois ans au plus ;

5° La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit ;

6° L’interdiction de conduire certains véhicules terrestres à moteur, y compris ceux pour la conduite desquels le permis de conduire n’est pas exigé, pour une durée de trois ans au plus ;

7° L’obligation d’accomplir, à ses frais, un stage de sensibilisation à la sécurité routière ;

8° L’obligation d’accomplir, le cas échéant à ses frais, un stage de citoyenneté ;

9° L’obligation d’accomplir, à ses frais, un stage de responsabilité parentale, selon les modalités fixées à l’article 131-35-1 ;

10° La confiscation de l’animal ayant été utilisé pour commettre l’infraction ou à l’encontre duquel l’infraction a été commise ;

11° L’interdiction, pour une durée de trois ans au plus, de détenir un animal.

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION

Amendement CL1 présenté par M. Jean Glavany et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 1er

Rédiger ainsi cet article :

« Toute personne doit maintenir son visage découvert dans le cadre des services publics, chaque fois que la délivrance des prestations est conditionnée à la reconnaissance de l’identité ou de l’âge des bénéficiaires.

« Un décret en Conseil d’État fixe la liste des lieux soumis à cette obligation permanente de découvrir son visage et détermine les cas dans lesquels des dérogations peuvent être prévues pour des raisons de santé ou de sécurité personnelle. »

Amendement CL2 présenté par M. Jean Glavany et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 1er

Substituer aux mots : « l’espace public », les mots : « certains espaces publics ».

Amendement CL3 présenté par M. Jean Glavany et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 2

Rédiger ainsi cet article :

« Il appartient au préfet de délimiter l’espace public visé par l’interdiction posée à l’article 1er compte tenu des risques particulier d’atteinte ou de trouble à l’ordre public.

« Cette interdiction s’applique également aux commerces particulièrement exposés à des risques pour la sécurité. La liste de ces commerces est établie par décret en Conseil d’État. »

Amendement CL4 présenté par M. Jean Glavany et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 3

Rédiger ainsi cet article :

« Le non respect de l’interdiction posée à l’article 1er de la présente loi expose les contrevenants à l’injonction de se soumettre à une médiation sociale.

« L’injonction de se soumettre à une médiation sociale consiste dans l’obligation de participer à des actions d’un organisme de médiation agréé dans un délai qui ne peut excéder six mois et selon les modalités fixées par la juridiction. Cette médiation vise notamment à informer les personnes concernées de l’étendue de leurs droits en France et des possibilités qui s’offrent à elle pour permettre leur émancipation.

« Les conditions d’agrément des organismes de médiation sont fixées par décret en Conseil d’État.

« Le refus de se plier à l’injonction prévue au précédent alinéa est puni d’une amende de 300 €. »

Amendement CL5 présenté par M. Jean Glavany et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 3

À l’alinéa 2, substituer au mot : « peut » le mot : « doit ».

Amendement CL6 présenté par M. Jean Glavany et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 4

Substituer à l’alinéa 4 les deux alinéas suivants :

« Le fait pour toute personne d’imposer ou de tenter d’imposer à une ou plusieurs autres personnes de dissimuler leur visage par menace, violence, contrainte ou abus d’autorité constitue un délit passible d’un an de prison et de 30 000 € d’amende.

« Les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 60 000 € d’amende en cas de récidive ou lorsque les personnes soumises à la contrainte étaient mineures au moment des faits. »

Amendement CL7 présenté par M. Jean Glavany et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche :

Article 7

Compléter cet article par la phrase suivante :

« Il présentera également les moyens d’information et pédagogiques mis en œuvre par les pouvoirs publics dans le délai précédant l’entrée en vigueur de la présente loi et les résultats obtenus. »

Amendement CL8 présenté par M. Jean-Paul Garraud, rapporteur :

Article 2

À l’alinéa 2, substituer au mot : « édictée », le mot : « prévue ».

Amendement CL9 présenté par M. Jean-Paul Garraud, rapporteur :

Article 2

À l’alinéa 2, substituer aux mots : « par une loi ou un règlement, si elle est autorisée pour protéger l’anonymat de l’intéressé », les mots : « ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires ».

Amendement CL10 présenté par M. Jean-Paul Garraud, rapporteur :

Article 2

À l’alinéa 2, substituer au mot : « médicales », les mots : « de santé ».

Amendement CL11 présenté par M. Jean-Paul Garraud, rapporteur :

Article 2

À l’alinéa 2, après les mots : « dans le cadre », insérer les mots : « de pratiques sportives, ».

Amendement CL12 présenté par M. Jean-Paul Garraud, rapporteur :

Article 4

Rédiger ainsi l’alinéa 3 : « De la dissimulation forcée du visage ».

Amendement CL13 présenté par M. Jean-Paul Garraud, rapporteur :

Article 4

Compléter cet article par l’alinéa suivant :

« Lorsque le fait est commis au préjudice d’un mineur, les peines prévues à l’alinéa précédent sont de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. »

Amendement CL14 présenté par M. Jean-Paul Garraud, rapporteur :

Article 5

Substituer au mot : « suivant », les mots : « à compter de ».

Amendement CL15 présenté par M. Jean-Paul Garraud, rapporteur :

Article 7

À la fin de la première phrase, substituer au mot : « publication », le mot : « promulgation ».

Amendement CL16 présenté par M. Jean-Paul Garraud, rapporteur :

Article 7

Rédiger ainsi la dernière phrase :

« Ce rapport dresse un bilan de la mise en œuvre des dispositions de la présente loi, des mesures d’accompagnement élaborées par les pouvoirs publics et des difficultés rencontrées. »

ANNEXE :
APPLICATION DE
l’article 86, alinéa 8,
du RÈglement

En application de l’article 86, alinéa 8, du Règlement de l’Assemblée nationale, dans sa rédaction issue de la résolution n° 292 du 27 mai 2009, les rapports faits sur un projet de loi déposé sur le bureau de l’Assemblée « comportent en annexe un document présentant les observations qui ont été recueillies sur les documents qui rendent compte de l’étude d’impact joints au projet de loi ».

À la date de l’examen du projet de loi par la Commission, deux contributions ont été reçues.

La première rejoint une préoccupation de votre rapporteur puisqu’elle suggérait d’étendre les exceptions à l’interdiction de dissimuler son visage aux pratiques sportives. Elle tend moins à formuler des observations sur les documents qui rendent compte de l’étude d’impact joints au projet de loi, qu’à se prononcer sur le contenu du projet de loi.

La seconde conteste les données mentionnées dans l’étude d’impact à propos du droit applicable en Allemagne. L’étude d’impact indique que « le voile intégral est interdit dans les écoles ». La contribution estime pour sa part que seuls les enseignants peuvent se voir interdire le port du voile intégral dans certains Länder. Les élèves, quant à eux, ne pourraient se voir opposer aucune interdiction.

PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR

Professeurs de droit

— M. Guy Carcassonne, professeur de droit public à l’université Paris X

— M. Bertrand Mathieu, professeur de droit public à l’université Paris I

— M. Denys de Béchillon, professeur de droit public à l’université de Pau

— Mme Anne Levade, professeur de droit public à l’université Paris XII

— M. Bernard Bouloc, professeur de droit pénal à l’université de Paris I

— M. Patrick Maistre du Chambon, professeur de droit pénal à l’université Pierre Mendès France (Grenoble II)

Conseil d’État

— M. Olivier Schrameck, président de la section du rapport et des études

Cour de Cassation

— M. Jacques Buisson, conseiller, professeur associé à l’université Lyon III, président de l’Association Française de Droit Pénal

© Assemblée nationale

1 () Les voiles intégraux portés aujourd’hui en France sont des niqabs, c'est-à-dire des voiles qui ne laissent voir que les yeux de la personne qui le porte. Selon le ministère de l’Intérieur, il n’y aurait pas à proprement parler de burqa en France. Ces dernières comportent une grille masquant les yeux. Pour une description des différentes sortes de voile intégral, voir le rapport de la mission d’information : Rapport n° 2232 fait au nom de la mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national, janvier 2010, Voile intégral : le refus de la République, p. 25-26.

2 () Ses résultats ont été rendus publics par le rapport de la mission d’information : ibid., première partie.

3 () Tel est le cas, d’une part, pour les dispositions pénales relatives à la chasse de l’article L. 428-5 du code de l’environnement et, d’autre part, de certaines infractions du code pénal, la circonstance aggravante de dissimulation du visage ayant été introduite par l’article 3 de la loi n° 2010-201 du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public.

4 () Décret n° 2009-724 du 19 juin 2009 relatif à la dissimulation du visage à l’occasion de manifestations sur la voie publique.

5 () Rapport n° 2232 fait au nom de la mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national, janvier 2010, Voile intégral : le refus de la République.

6 () Conseil d’État, Étude relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral, 25 mars 2010.

7 () Rapport n° 2232 fait au nom de la mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national, janvier 2010, Voile intégral : le refus de la République, p. 187-188.

8 () Résolution sur l'attachement au respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte, adoptée par l'Assemblée nationale le 11 mai 2010 , TA n° 459.

9 () Rapport n° 2232 fait au nom de la mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national, janvier 2010, Voile intégral : le refus de la République, p. 167-171.

10 () Conseil d’État, Étude relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral, 25 mars 2010, p. 41.

11 () Proposition de loi n° 2283 visant à interdire le port de tenues ou d’accessoires ayant pour effet de dissimuler le visage dans les lieux ouverts au public et sur la voie publique présentée par M. Jean-François Copé et plusieurs de ses collègues, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 février 2010 et Proposition de loi n° 2544 visant à fixer le champ des interdictions de dissimuler son visage liées aux exigences des services publics, à la prévention des atteintes à l’ordre public présentée par M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 mai 2010.

12 () Rapport n° 2232 fait au nom de la mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national, janvier 2010, Voile intégral : le refus de la République, p. 177.

13 () Conseil d’État, Étude relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral, 25 mars 2010.

14 () Rapport n° 2232 fait au nom de la mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national, janvier 2010, Voile intégral : le refus de la République, p. 173-177.

15 () Conseil d’État, Étude relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral, 25 mars 2010, p. 17-21.

16 () Ces trois composante sont mentionnées à l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales comme fondement des pouvoirs de police municipale.

17 () Les trois composantes de l’ordre public ont été consacrées par la jurisprudence constitutionnelle dans la décision CC, n° 2003-467 DC du 13 mars 2003, loi pour la sécurité intérieure, 13 mars 2003.

18 () Cette notion fonde notamment des pouvoirs de police spéciale. Voir, dans le domaine de la police du cinéma, CE sect., 18 décembre 1959, Société Les films Lutétia, n° 36385.

19 () Notamment depuis le célèbre arrêt relatif au « lancer de nain », CE, 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, n° 136727.

20 () Une analyse de la jurisprudence constitutionnelle et conventionnelle portant sur le principe de dignité est effectuée tant par le rapport de la mission d’information que dans l’étude du Conseil d’État.

21 () Conseil d’État, Étude relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral, 25 mars 2010, p. 26.

22 () Voir notamment la thèse de Mme Marie-Caroline Vincent-Legoux, L’ordre public. Étude de droit comparé interne, Paris, PUF, 2001, qui décrit l’ordre public comme étant « un ordre de limitation des libertés », « un ordre de protection des libertés » et « un ordre de fondation de valeurs ».

23 () Audition du 1er juin 2010.

24 () Sur cette question, voir notamment Michel Borgetto, La fraternité en droit public français, Paris, LGDJ, 1993.

25 () Pierre-Henri Teitgen, La police municipale. Étude de l'interprétation jurisprudentielle des articles 91, 94 et 97 de la loi du 5 avril 1884, Paris, Sirey, 1934.

26 () Décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, § 32.

27 () Décision n° 97-389 DC du 22 avril 1997, § 37.

28 () Ibid., § 77.

29 () Décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999, § 55.

30 () Aux termes de l’article 222-32 du code pénal, « l'exhibition sexuelle imposée à la vue d'autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende. »

31 () Conseil d’État, Étude relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral, 25 mars 2010, p. 25.

32 () Audition par la mission d’information du 25 novembre 2009.

33 () Audition par la mission d’information du 8 juillet 2009.

34 () Décision n° 2006-542 DC du 9 novembre 2006, § 4.

35 () Audition du 2 juin 2010.

36 () Voir, par exemple, CEDH, 2 octobre 2001, Pichon et Sajous contre France, n° 49853/99.

37 () CEDH, 10 novembre 2005, Leyla Sahin contre Turquie, n° 44774/98.

38 () CEDH, 24 septembre 2004, n° 65501/01, § 40.

39 () CEDH, 23 février 2010, M. Ahmet Arslan et autres contre Turquie, n° 41135/98.

40 () Ibid., § 7.

41 () Ibid., § 49.

42 () Ibid., § 50.

43 () Conseil d’État, Étude relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral, 25 mars 2010, p. 45-46.

44 () Audition du 29 septembre 2009.

45 () Pour une analyse plus complète des disparités géographiques que connaît la Belgique en matière d’interdiction de la dissimulation du visage, voir le rapport n° 2232 fait au nom de la mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national, janvier 2010, Voile intégral : le refus de la République, p. 169.

46 () Rapport n° 2232 fait au nom de la mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national, janvier 2010, Voile intégral : le refus de la République, p. 123-142.

47 () Étude d’impact, p. 12.

48 () Art. 131-5-1 du code pénal.

49 () Audition du 16 juin 2010.

50 () Étude d’impact, p. 19.

51 () C’est le cas, d’une part, pour les dispositions pénales relatives à la chasse de l’article L. 428-5 du code de l’environnement et, d’autre part, de certaines infractions du code pénal, la circonstance aggravante de dissimulation du visage ayant été introduite par l’article 3 de la loi n° 2010-201 du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public.

52 () Conseil d’État, Étude relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral, 25 mars 2010, p. 12.

53 () Soc, 28 mai 2003, n° 02-40273.

54 () Voir notamment Alain Pousson, « La liberté de se vêtir n’est pas une liberté fondamentale », Rec., 2004, p. 176.

55 () CA Paris, 16 mars 2001, n° 99/31302, cité par le Conseil d’État, Étude relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral, 25 mars 2010, p. 10.

56 () Sur le fondement, respectivement, des articles L. 2212-2 et L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales.

57 () Conseil d’État, Étude relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral, 25 mars 2010, p. 12.

58 () Respectivement délibération de la HALDE 2007-210 du 3 septembre 2007 et 2008-193 du 15 septembre 2008

59 () Art. L. 141-5-1 du code de l’éducation, issu de la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.

60 () Rapport n° 2232 fait au nom de la mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national, janvier 2010, Voile intégral : le refus de la République, p. 36-41.

61 () CE 27 juin 2008, Mme Faiza A, n° 286798.

62 () Circulaire du 18 mai 2004 relative à la mise en oeuvre de la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.

63 () Voir notamment CE 5 décembre 2007, n° 285394, 285395 et 285396 et CEDH 30 juin 2009, n° 43563/08, Aktas.

64 () CEDH, n° 44774/98, 10 novembre 2005, Leyla Sahin c/ Turquie, §78.

65 () Le rapport de l’Assemblée nationale sur le projet de loi de 2004 mentionne d’ailleurs expressément la burqa : cf. Rapport n° 1381 fait au nom de la commission des Lois par M. Pascal Clément, p. 29.

66 () Décision n° 93-323 DC du 5 août 1993, § 9.

67 () Ibid. Pour une analyse des raisons pour lesquelles une généralisation des contrôles d’identité en vue d’empêcher la dissimulation du visage dans l’espace public est impraticable, voir le rapport n° 2232 fait au nom de la mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national, janvier 2010, Voile intégral : le refus de la République, p. 162-163.

68 () Conseil d’État, Étude relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral, 25 mars 2010, p. 12.

69 () Circulaire du 20 décembre 2007 relative au déroulement des opérations électorales lors des élections au suffrage universel direct.

70 () Question n° 113749 dont la réponse a été publiée au Journal officiel le 3 avril 2007, p. 3410.

71 () Ces cas avaient été évoqués par le rapport n° 2232 fait au nom de la mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national, janvier 2010, Voile intégral : le refus de la République, p. 182.

72 () Circulaire du 20 décembre 2007 relative au déroulement des opérations électorales lors des élections au suffrage universel direct, p. 13.

73 () Tel est par exemple le cas des chemins ruraux dont le régime juridique est défini par les articles L. 161-1 et L. 161-2 du code de la voirie routière.

74 () Civ. 3, 13 mai 2009, n° 08-14640.

75 () Étude d’impact, p. 17.

76 () Conseil d’État, Étude relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral, 25 mars 2010, p. 33 et 34.

77 () TGI Paris, 23 octobre 1986, confirmé par CA Paris, 19 novembre 1986.

78 () CE 19 oct. 1956, Société « Le Béton ».

79 () « Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public. »

80 () Étude d’impact, p. 17. Pour le cas de l’hôtel de ville de Saint-Étienne, voir CE Sect. 17 mars 1967, Ranchon.

81 () CE Sect. 5 févr. 1965, Société lyonnaise des transports et TC, 17 nov. 1975, Gamba.

82 () CE 19 oct. 1956, Société « Le Béton ».

83 () CE 23 oct. 1968, Époux Brun.

84 () Audition du 1er juin 2010.

85 () Audition du 1er juin 2010.

86 () Conseil d’État, Étude relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral, 25 mars 2010, p. 45.

87 () Art. R. 4534-131 du code du travail : « Les travaux de soudage et de sablage ne peuvent être confiés qu’à des travailleurs compétents. Des moyens de protection individuelle, tels que des gants, des guêtres ou cuissards, des tabliers ou gilets de protection, des baudriers « supports de tas », des masques ou cagoules, des lunettes de sûreté, sont mis à la disposition de ces travailleurs et de leurs aides, afin de leur protéger contre les risques de brûlure ou de projection de matières. »

88 () Art. R. 4412-128 du code du travail : « Tout intervenant dans la zone de travail est équipé en permanence des équipements de protection individuelle suivants : […] 2° Appareil de protection respiratoire isolant à adduction d’air comprimé, avec masque complet, cagoule ou encore scaphandre» Voir également l’article R. 4412-133 du même code.

89 () Art. R. 3114-19 du code de la santé publique : « L’opérateur revêt un costume de toile, manipule les produits les mains revêtues de gants en caoutchouc et porte un masque. »

90 () Par exemple, dans le cas du personnel des pouponnières à caractère social, voir le dernier alinéa de l’article D. 312-150 du code de l’action sociale et des familles : « Le personnel se soumet à toutes les mesures prophylactiques qui pourront être prescrites par le médecin responsable de l'établissement. En particulier, le port du masque est exigé de tout membre du personnel toutes les fois que le médecin de la pouponnière le jugera utile. »

91 () Art. L. 4122-1 du code du travail : « Les instructions de l'employeur précisent, en particulier lorsque la nature des risques le justifie, les conditions d'utilisation des équipements de travail, des moyens de protection, des substances et préparations dangereuses. Elles sont adaptées à la nature des tâches à accomplir. »

92 () Art. R. 645-14 du code pénal.

93 () Cf. rapport n° 2232 fait au nom de la mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national, janvier 2010, Voile intégral : le refus de la République, p. 182-183.

94 () Audition du 2 juin 2010.

95 () Étude d’impact, p. 19.

96 () Conseil d’État, Étude relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral, 25 mars 2010, p. 40.

97 () Art. 131-5-1 du code pénal.

98 () Étude d’impact, p. 20.

99 () « Les contraventions sont prouvées soit par procès-verbaux ou rapports, soit par témoins à défaut de rapports et procès-verbaux, ou à leur appui.

Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les procès-verbaux ou rapports établis par les officiers et agents de police judiciaire et les agents de police judiciaire adjoints, ou les fonctionnaires ou agents chargés de certaines fonctions de police judiciaire auxquels la loi a attribué le pouvoir de constater les contraventions, font foi jusqu'à preuve contraire.

La preuve contraire ne peut être rapportée que par écrit ou par témoins. »

100 () Pour l’application de cette procédure, il est évident que la personne dont l’identité est contrôlée doit accepter de se faire photographier tête nue. Le fait d’accepter d’être photographié uniquement avec le visage dissimulé devrait être regardé comme un refus de la prise de photographies.

101 () « Seront punis de trois mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende ceux qui auront refusé de se prêter aux prises d'empreintes digitales ou de photographies autorisées par le procureur de la République ou le juge d'instruction, conformément aux dispositions de l'article 78-3. »

102 () Étude d’impact, p. 19.

103 () Ibid.

104 () Résolution sur l'attachement au respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte, adoptée par l'Assemblée nationale le 11 mai 2010 , TA n° 459.

105 () Rapport n° 2232 fait au nom de la mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national, janvier 2010, Voile intégral : le refus de la République, p. 50 à 52 et 95 à 107.

106 () Cf. ibid., p. 142-146.

107 () Pour une argumentation en ce sens, ibid., p.  145.

108 () Article 1er de la proposition de loi n° 2121 renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes, adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 25 février 2010.

109 () Crim. 2 septembre 2005, n° 04-87046

110 () Proposition de loi n° 2121 renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes, adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 25 février 2010.

111 () Pour une description des possibilités offertes au juge pénal dans ce cadre, voir le rapport n° 1799 de la mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, Violences faites aux femmes : mettre enfin un terme à l’inacceptable, juillet 2009, p. 94-105.

112 () Voir, par exemple, étude d’impact, p. 7.

113 () Crim. 8 juin 1994.

114 () Crim. 24 novembre 1953.

115 () Conseil d’État, Étude relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral, 25 mars 2010, p. 46.

116 () Ibid.

117 () Ibid.

118 () Article 4 de la proposition de loi n° 2544 visant à fixer le champ des interdictions de dissimuler son visage liée aux exigences des services publics, à la prévention des atteintes à l’ordre public déposée par M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues.

119 () Voir notamment le chapitre I du rapport sur l’application de la loi du 15 mars 2004 sur le port des signes religieux ostensibles dans les établissements d’enseignement public, juillet 2005.

120 () Rapport n° 2232 fait au nom de la mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national, janvier 2010, Voile intégral : le refus de la République, p. 129-131.

121 () Article 3 de la proposition de loi n° 2283 visant à interdire le port de tenues ou d’accessoires ayant pour effet de dissimuler le visage dans les lieux ouverts au public et sur la voie publique présentée par M. Jean-François Copé et plusieurs de ses collègues, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 février 2010.

122 () Conseil d’État, Étude relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral, 25 mars 2010, p. 41-2.

123 () Respectivement mentionnés au 2° et au 6° de l’article 14 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française.

124 () Respectivement mentionnés au 1° du I et au 3° et 5° du II de l’article 21 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

125 () Rapport sur l’application de la loi du 15 mars 2004 sur le port des signes religieux ostensibles dans les établissements d’enseignement public, juillet 2005.

126 () Article 4 de la proposition de loi n° 2283 visant à interdire le port de tenues ou d’accessoires ayant pour effet de dissimuler le visage dans les lieux ouverts au public et sur la voie publique présentée par M. Jean-François Copé et plusieurs de ses collègues, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 février 2010.