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No 3939

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 novembre 2011.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES(1)
SUR LA PROPOSITION DE RESOLUTION EUROPEENNE (no 3867)
de Mesdames et Messieurs Jean-Pierre BRARD, Jean-Claude SANDRIER, Roland MUZEAU, Marc DOLEZ, André CHASSAIGNE, Marie-Hélène AMIABLE, François ASENSI, Martine BILLARD, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Marie-George BUFFET, Jean-Jacques CANDELIER, Jacques DESALLANGRE, Jacqueline FRAYSSE, André GERIN, Pierre GOSNAT, Jean-Paul LECOQ, Daniel PAUL
et Michel VAXÈS
,


sur
la mise en place d’un Fonds européen de développement social, solidaire et écologique,

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Jean-Pierre BRARD,

Député

——

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Michel Herbillon, Jérôme Lambert, Didier Quentin, Gérard Voisin vice-présidents ; M. Jacques Desallangre, Mme Marietta Karamanli, MM. Francis Vercamer secrétaires ; M. Alfred Almont, Mme Monique Boulestin, MM. Pierre Bourguignon, Yves Bur, Patrice Calméjane, Christophe Caresche, Philippe Cochet, Jean-Yves Cousin, Bernard Deflesselles, Lucien Degauchy, Michel Diefenbacher, Jean Dionis du Séjour, Marc Dolez, Daniel Fasquelle, Pierre Forgues, Mme Marie-Louise Fort, MM. Jean-Claude Fruteau, Jean Gaubert, Hervé Gaymard, Guy Geoffroy, Mmes Annick Girardin, Anne Grommerch, Pascale Gruny, Elisabeth Guigou, Danièle Hoffman-Rispal, MM. Régis Juanico, Robert Lecou, Michel Lefait, Lionnel Luca, Philippe Armand Martin, Jean-Claude Mignon, Pierre-Alain Muet, Jacques Myard, Michel Piron, Mmes Chantal Robin-Rodrigo, Valérie Rosso-Debord, Odile Saugues, MM. André Schneider, Philippe Tourtelier.

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

I. POUR UNE PRISE DE PARTICIPATION ACTIVE DES ETATS MEMBRES DE L’UNION EUROPÉENNE AU CAPITAL DES BANQUES EUROPÉENNES D’IMPORTANCE SYSTÉMIQUE 9

II. POUR UNE TAXE EXCEPTIONNELLE SUR LE PATRIMOINE DES MILLIONNAIRES 11

III. POUR DES MESURES FORTES DE LUTTE CONTRE LA SPÉCULATION FINANCIERE ET DE MORALISATION DU SECTEUR FINANCIER 13

A. INSTAURER UNE TAXE SUR LES TRANSACTIONS FINANCIÈRES AU CHAMP D’APPLICATION LE PLUS LARGE POSSIBLE 14

B. INTERDIRE LES VENTES À DÉCOUVERT 15

C. INTERDIRE LES CONTRATS D’ASSURANCE CONTRE LE RISQUE DE DÉFAUT (CDS), ET FERMER LES MARCHÉS DE GRÉ À GRÉ QUI ÉCHAPPENT À TOUTE SURVEILLANCE 16

D. INTERDIRE LE TRADING À HAUTE FRÉQUENCE 17

E. INTERDIRE AUX AGENCES DE NOTATION DE NOTER LES DETTES SOUVERAINES DES ETATS MEMBRES DE L’UNION EUROPÉENNE. 18

IV. POUR LA CREATION D’UN FONDS EUROPEEN DE DEVELOPPEMENT SOCIAL, SOLIDAIRE ET ECOLOGIQUE 21

TRAVAUX DE LA COMMISSION 23

ANNEXE : PROPOSITION DE RESOLUTION 27

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Depuis le début de 2010, le climat économique est dominé par l’inquiétude des investisseurs sur la capacité des grands pays industrialisés à rembourser leurs dettes publiques. Une inquiétude qui sert d’aiguillon à des mouvements spéculatifs de grande ampleur, lesquels déstabilisent la zone euro et exercent une pression croissante sur les économies de nombreux pays : la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne et l’Italie.

La crise actuelle de la dette publique ne s’explique pas uniquement par les suites de la crise des subprimes. Elle s’inscrit dans la continuité d’une évolution engagée dans les années 1970 avec l’obligation faite aux États d’emprunter sur les marchés financiers à des taux parfois supérieurs à leur propre taux de croissance. Elle est également la résultante de la baisse continue des recettes fiscales aggravée dans des proportions considérables par les politiques libérales conduites depuis plus d’une décennie.

Plus profondément, la crise économique devrait amener à redonner la priorité qu’elle mérite à la question économique et sociale fondamentale qu’est le partage de la valeur ajoutée.

La nouvelle répartition des richesses au détriment de la rémunération du travail est une tendance lourde. Il n’est besoin que de rappeler le renversement indécent du partage de la croissance depuis les années 1970, où l’on voit les salaires stagner aux Etats-Unis alors que les gains de productivité maintiennent un bon rythme de 2 ou 3 % par an, intégralement capté par les profits. Certes, le phénomène a été moins extrême en Europe, mais la distribution des gains de productivité a été faite nettement en faveur de la rémunération du capital plutôt que de celle du travail.

La crise est à la fois la conséquence de l’emprise croissante des marchés financiers et de la politique de coordination par la concurrence qui fut le fil conducteur de la mise en oeuvre de la Stratégie de Lisbonne. Un mode de gouvernance qui, conjugué à la politique étroitement monétariste de la Banque centrale européenne, a incité les gouvernements nationaux des États membres à privilégier les stratégies non coopératives, notamment la désinflation compétitive, et la concurrence fiscale et sociale.

Cette coordination non coopérative a été le principal levier de la compétitivité allemande. Par l’effet combiné d’une faible inflation et du transfert d’une partie des coûts fiscaux des entreprises vers les ménages, avec l’instauration en 2007 d’une TVA sociale, l’Allemagne a acquis en quelques années un énorme avantage compétitif sur l’ensemble des pays de la zone euro, qui s’est traduit par l’explosion de ses excédents commerciaux.

L’Allemagne n’en éprouve pas moins aujourd’hui de graves difficultés. Certaines tiennent à des facteurs historiques ou culturels, comme l’effondrement démographique, d’autres renseignent utilement sur les impasses où conduisent les politiques économiques fondées exclusivement sur l’offre. L’Allemagne est ainsi le pays qui a créé le moins d’emplois depuis vingt ans. Il est aussi celui où la hausse des inégalités de revenus a été la plus élevée d’Europe ces dernières années, à l’exception de la Bulgarie et de la Roumanie. Celui encore où la part des salaires dans la valeur ajoutée a le plus baissé, où le pourcentage de chômeurs indemnisés a le plus fortement chuté, tout comme la part des investissements dans le produit intérieur brut. Un pays où le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté atteint 17 % contre 13 % en France. Un emploi sur trois n’y est ni à temps plein ni à durée indéterminée ; un emploi sur dix est un « job » à moins de 400 euros par mois. Le pourcentage des emplois à bas salaires a augmenté de six points et 2,5 millions de personnes travaillent aujourd’hui, en l’absence de salaire minimum, pour moins de cinq euros de l’heure...

En faisant entièrement reposer sa croissance économique sur la balance extérieure au détriment de la demande intérieure, l’Allemagne est devenue étroitement dépendante de ses excédents commerciaux et de la demande intérieure de ses voisins européens, avec lesquels elle réalise en effet 75 % de son excédent.

Nous mesurons ici le risque qu’il y aurait pour la France et pour l’ensemble des pays de l’Union européenne à prendre exemple sur l’Allemagne en puisant au répertoire des recettes néo-libérales pour lesquelles elle est mise en avant. Nous prendrions le risque de déclencher une crise majeure dans la zone euro par l’addition de politiques récessives sur la demande intérieure.

C’est pourtant la voie privilégiée par la Commission européenne et le tandem franco-allemand. Une voie qui encourage la fuite en avant dans le
moins-disant fiscal et social, pourtant à l’origine de l’accroissement de la dette publique et de l’explosion des inégalités au sein de l’Union européenne. La situation économique et budgétaire de la France en offre une parfaite illustration.

La logique de concurrence fiscale et sociale dans laquelle se sont engagés les gouvernements français depuis plus d’une décennie a tendu à faire peu à peu de la France un petit paradis fiscal pour les grandes entreprises et les ménages les plus riches.

Depuis 2002 et plus encore depuis 2007, la multiplication des mesures en faveur des entreprises et des titulaires des plus hauts revenus s’est traduite par plusieurs dizaines de milliards d’euros de nouvelles dépenses fiscales, demeurées pour la plupart sans effets tangibles sur la croissance et l’emploi.

Ces mesures ont consacré une dégressivité de l’impôt profondément injuste : si le taux d’imposition sur les sociétés est ainsi proche de 30 % pour les PME de moins de 10 salariés, il tombe à 20 % pour les entreprises de plus de 500 salariés, à 13 % pour les entreprises de plus de 2 000 salariés et enfin à 8 % pour les entreprises du CAC 40. Même constat concernant les personnes physiques : le taux effectif d’imposition des plus hauts revenus est aujourd’hui fort éloigné du taux marginal de l’impôt sur le revenu, actuellement fixé à 41 %. Il est de 25 % pour les 1 000 plus hauts revenus et tombe à moins de 17 % pour les dix plus hauts revenus.

Ces cadeaux fiscaux ont eu une incidence considérable sur le déficit et l’aggravation de la dette publique. Sans eux, la France aurait connu un excédent budgétaire dans les trois années qui ont précédé la crise et les déficits auraient été probablement inférieurs à 3,5 % en 2009 au lieu de 7,5 %. Le fait est que la dette publique aura doublé en dix ans de gouvernement libéral, passant de moins de 900 milliards en 2002 à plus de 1 800 milliards d’euros en 2012 et que cette aggravation est pour une large part la conséquence du manque de recettes, combiné à la dégradation de l’emploi sous l’effet de politiques qui ont affaibli l’assiette des prélèvements sociaux.

L’ampleur des déficits et de la dette publique qui résulte autant de choix politiques que de facteurs liés à la crise, sert aujourd’hui de prétexte, en France comme dans tous les pays de l’Union européenne, à de nouvelles restrictions budgétaires et à de dangereuses mesures d’austérité.

La création du Fonds de sauvetage européen, qui aurait pu marquer un tournant dans l’histoire de la construction européenne en ébranlant les dogmes inscrits dans les traités de Lisbonne et de Maastricht, aura finalement été l’instrument de promotion d’une gouvernance économique de l’Union toujours plus autoritaire et intransigeante et poussant subrepticement au fédéralisme.

Au principe de coordination par la concurrence et son cortège de désastres sociaux succède à présent un centralisme technocratique rigoureux qui se traduit par une aggravation de la discipline budgétaire commune fixée par le pacte de stabilité. Non seulement cette politique ne nous prémunit pas contre de nouvelles attaques des marchés financiers, mais elle renforce leur tutelle au prix de l’abandon de toutes les grandes avancées sociales du siècle précédent et du dessaisissement démocratique des citoyens et des peuples, comme l’interdiction faite aux Grecs de se prononcer par référendum.

Le « Pacte de stabilité et de croissance », qui avait été présenté comme indispensable à la cohésion de la zone euro, devait ouvrir une période de croissance soutenue accompagnée de la création de millions d’emplois. Il s’est avéré brider les investissements et les salaires, maintenir un chômage de masse, accroître les inégalités au sein de la zone euro tant entre pays qu’entre citoyens, freiner la croissance de notre continent au bénéfice exclusif des détenteurs du capital et autres investisseurs.

Il est aujourd’hui hors de question que les États et les peuples continuent de faire les frais d’une construction européenne fondée sur la mise en concurrence des salariés, le recul des droits sociaux et l’assèchement programmé des finances publiques et des comptes sociaux.

C’est une toute autre logique qui doit désormais guider la politique économique et monétaire de l’Union européenne : l’instauration de convergences sociales, l’harmonisation fiscale, un budget européen soutenant les filières industrielles, les investissements d’avenir, une solidarité et un rééquilibrage entre régions riches et pauvres, un pacte de croissance fondé sur la relance de la consommation intérieure en Europe et des protections ciblées pour contrecarrer les délocalisations et le dumping social ou environnemental.

C’est le sens des propositions formulées en commun par les député-e-s communistes républicains et du parti de gauche et leurs collègues du parti de La Gauche allemande.

La présente proposition de résolution relève d’une démarche novatrice, puisque c’est la première fois que les députés français de la composante CRCPG du groupe GDR et les députés allemands du groupe Die Linke élaborent et présentent devant leurs Parlements respectifs un texte commun. Le dialogue franco-allemand prend ici toute sa dimension parlementaire – étant entendu que l’axe franco-allemand, s’il a une importance cruciale en termes d’initiatives et d’impulsions, ne se conçoit qu’ouvert à tous les autres pays européens qui souhaitent le rejoindre.

I. POUR UNE PRISE DE PARTICIPATION ACTIVE DES ETATS MEMBRES DE L’UNION EUROPÉENNE AU CAPITAL DES BANQUES EUROPÉENNES D’IMPORTANCE SYSTÉMIQUE

Il est indispensable que les futures opérations de recapitalisation des banques européennes systémiques s’accompagnent de prises de participation majoritaire et active des États au capital de ces banques afin de réorienter leur activité vers leur coeur de métier, c’est-à-dire le financement de l’économie.

Pour tenter de lever enfin les doutes quant à la capacité des banques à surmonter le choc de la crise actuelle, il est désormais acquis que les banques européennes, en particulier celles qui sont exposées aux risques des dettes souveraines grecques, portugaises, irlandaises et italiennes, vont devoir renforcer leurs fonds propres de manière significative. Selon les conclusions du Conseil européen du 26 octobre 2011, il faut « renforcer la qualité et la quantité des capitaux détenus par les banques pour faire face aux chocs et (…) faire la preuve de ce renforcement d’une manière fiable ».

Les diverses estimations chiffrées sèment une certaine confusion – faut-il un montant total de 200 milliards d’euros comme le préconise le FMI ? Ou « seulement » de 108 milliards d’euros, chiffre sur lequel travaillent les gouvernements européens sur la base des évaluations de l’Autorité bancaire européenne ? Ou bien davantage ? – mais il s’agit en tout état de cause d’accélérer un mouvement de recapitalisation qui était de toute façon lancé, dans la perspective de l’entrée en vigueur du dispositif de « Bâle 3 » sur les nouvelles règles prudentielles applicables aux établissements financiers.

Comment les banques vont-elles procéder, dans une période de méfiance généralisée et donc de difficulté considérable pour se refinancer en faisant appel aux marchés ?

Les principales banques françaises et allemandes ont immédiatement affirmé qu’elles procèderaient à ce renforcement par elles-mêmes, sans avoir besoin de faire appel aux contribuables ni au FESF, en réduisant leur activité – ce qu’elles ont déjà commencé à faire. Dans ces conditions, il existe une menace considérable, insuffisamment dénoncée par les dirigeants européens, pour le financement de l’économie réelle, via un rationnement du crédit aux entreprises et aux ménages.

De plus, on constate que les exigences de « Bâle 3 » servent de prétexte aux banques, en France, pour tenter de capter l’épargne protégée, comme le montre le conflit qui les a opposées à la Caisse des dépôts et qui a pour enjeu les fonds du livret A – et le détournement auquel elles procèdent d’une part considérable de ces fonds en ne respectant pas l’obligation qu’elles ont d’en consacrer la majeure partie au financement de prêts pour les PME.

Les conclusions du Conseil européen posent que les banques « devraient être soumises à des contraintes en ce qui concerne le versement de dividendes et le paiement de primes jusqu’à ce que l’objectif soit atteint ». Cette exigence est nécessaire, certes, mais insuffisante : les Etats doivent s’opposer à la démarche actuelle de recapitalisation choisie par les banques, en prenant des participations dans leur capital.

Les Etats doivent être en mesure d’influer de manière déterminante sur les choix et les activités des banques. Il s’agit bien entendu, contrairement à ce qui a été fait jusqu’à présent, notamment en France, d’entrer au capital des banques systémiques avec un ou plusieurs sièges au conseil d’administration et les droits de vote afférents. La participation doit être suffisamment conséquente pour garantir à l’Etat un pouvoir de blocage. Il ne s’agit pas de prendre le contrôle des quelque 8 300 banques européennes, mais de cibler la politique d’actionnaire de l’Etat sur les banques d’ampleur systémique.

L’Etat doit, dans les banques comme d’ailleurs dans l’ensemble des entreprises dont il détient des parts, mener une politique d’actionnaire actif. Sait-on assez que l’Etat français est dans le capital de toutes les entreprises du CAC 40, de Renault à GDF Suez ? Comment peut-on mesurer l’importance potentiellement très positive de cette situation, alors que l’Etat se contente d’une gestion de portefeuille, au lieu d’afficher une vraie stratégie de participation active à la vie et aux choix de ces entreprises ?

II. POUR UNE TAXE EXCEPTIONNELLE SUR LE PATRIMOINE DES MILLIONNAIRES

Depuis quinze ans, plusieurs pays européens, dont l'Autriche, le Danemark, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Finlande, le Luxembourg et la Suède, ont renoncé à l'impôt de solidarité sur la fortune ou à son équivalent. Certains d’entre eux ont instauré, en contrepartie, une taxe supplémentaire sur les revenus du capital.

La multiplication de ces mesures visant à protéger les contribuables les plus fortunés s’inscrit dans une stratégie dictée par les enjeux de la concurrence fiscale. Une concurrence dont l’OFCE soulignait à juste titre, dans son rapport sur l’état de l’Union européenne publié en 2002, qu’elle « se traduit par un transfert de charge fiscale sur les bases moins mobiles, c’est à dire notamment les salariés, les chômeurs, les retraités... »

Afin que la nécessaire coordination des stratégies fiscales des États membres ne se fasse pas au détriment de l'objectif de réduction des inégalités fiscales et sociales, et pour permettre aux Etats de retrouver des marges de manœuvre significatives, les auteurs de la proposition de résolution demandent l’instauration d’une taxe exceptionnelle sur le patrimoine des personnes physiques dont le stock de patrimoine excède un million d’euros, y compris la résidence principale.

Cette taxe perçue au taux de 5 % s’appliquerait dans les 27 pays de l’Union européenne. L’intégralité des ces ressources fiscales serait affectée au budget général des États membres. Le patrimoine des millionnaires européens représentait 7 688 milliards d’euros en 2010, une telle taxe assurerait donc pour la seule zone euro une recette de plusieurs centaines de milliards d’euros propre à permettre aux États membres de réduire significativement leur déficit.

III. POUR DES MESURES FORTES DE LUTTE CONTRE LA SPÉCULATION FINANCIERE ET DE MORALISATION DU SECTEUR FINANCIER

Les échanges financiers ayant proliféré de manière exponentielle depuis une vingtaine d’années, une gamme toujours plus étendue de produits financiers a été créée. Les produits sont devenus de plus en plus sophistiqués, et leurs échanges, de plus en plus opaques, créant un « terrain de jeu » en expansion constante pour la spéculation financière la plus féroce. On a vu se développer des instruments et des comportements extrêmement dangereux, comme la titrisation des crédits « subprime » qui a servi de catalyseur au déclenchement de la crise.

Les estimations relatives aux montants globaux des transactions financières rapportées aux dimensions de l’économie réelle varient beaucoup selon

les sources. Toutefois, nul ne conteste qu’il existe un gigantesque décalage, et qui ne fait que croître, entre la sphère financière et la sphère réelle.

On citera à titre d’exemple les travaux de M. François Morin, ancien membre du Conseil général de la Banque de France et du Conseil d’analyse économique, qui se basent sur une estimation, pour 2005, de 44 385 milliards de dollars (44,4 « tera-dollars ») pour l’économie réelle et de plus de deux millions de milliards de dollars au total pour la sphère financière (51 000 milliards pour l’ensemble des marchés boursiers, 566 000 milliards de dollars pour l’ensemble des marchés des changes, et pas moins de 1,4 million de milliards de dollars pour les marchés de produits dérivés). L’activité de la sphère financière serait donc près de cinquante fois supérieure à l’activité de l’économie réelle(2).

La nouvelle crise financière qui a commencé aux Etats-Unis avant de s’étendre à l’Europe et au reste du monde a révélé l’ampleur démesurée des activités financières incontrôlées et leur impact potentiel sur l’économie réelle. Comme l’a souligné M. Joseph Stiglitz, en novembre 2008, « l’Amérique a exporté ses prêts toxiques dans le monde entier. Elle a exporté sa philosophie de marchés déréglementés. Elle a exporté sa culture de l’irresponsabilité des dirigeants d’entreprise et de leurs stock-options qui ont contribué à la débâcle »(3).

La période de finance « facile » a engendré une tentation constante pour les investisseurs de prendre davantage de risques et d’avoir plus largement recours à l’endettement. Il en est résulté, notamment, une expansion de l’innovation financière, et il est très largement admis aujourd’hui que certaines innovations financières ont à leur tour facilité la prise de risque. La diffusion des risques, en particulier par la titrisation et les produits financiers « dérivés », a conduit à les négliger, à les oublier, puis à les dissimuler.

Face à une sphère financière au volume aberrant, et dont un trop grand nombre d’acteurs semblent totalement indifférents aux conséquences de leurs actes sur la vie quotidienne des individus et des entreprises, les Etats ont affiché un objectif : faire qu’à l’avenir aucun acteur, aucun produit, aucun marché n’échappe à la régulation, selon les termes des conclusions du G20 de Washington du 15 novembre 2008.

Les mesures annoncées, notamment en Europe, sont insuffisantes – en admettant même qu’elles puissent être mises en œuvre rapidement. Les Etats doivent résolument « reprendre la main » et ont les moyens de freiner et de moraliser l’hypertrophie des marchés financiers.

Nous appelons la France et l’Allemagne à adopter conjointement une série de propositions allant dans ce sens, en étant parfaitement conscients que l’application de telles mesures uniquement sur leurs territoires n’aura qu’une efficacité très limitée mais lancera, d’une part, un message clair de fermeté aux acteurs des marchés, et d’autre part, une impulsion décisive pour l’adoption des mêmes mesures à l’échelle européenne, et par la suite – on peut l’espérer – globale. Le Président de la République lui-même, lors de sa conférence de presse du 3 novembre dernier pendant le sommet du G20 de Cannes, a soutenu l’idée selon laquelle un « groupe de pays leaders » peut et doit donner l’impulsion pour entraîner ensuite ses partenaires.

Ces mesures doivent inclure : la création d’une taxe sur les transactions financières au champ d’application le plus large possible, l’interdiction des ventes à découvert, l’interdiction des CDS et la fermeture des marchés qui échappent à toute surveillance, et l’interdiction pour les agences de notation de noter les dettes souveraines.

A. Instaurer une taxe sur les transactions financières au champ d’application le plus large possible

L’idée d’une taxe sur les transactions financières a, fort logiquement, resurgi après la crise financière de 2007-2008. Il est temps de mettre fin à la situation absurde de produits financiers beaucoup moins taxés que les autres produits, grâce à leur exonération de la TVA.

Une taxe dont l’assiette inclurait l’ensemble des opérations financières, permettrait de freiner quelque peu, en créant un « frottement », la multiplication des opérations spéculatives tandis que l’investissement de long terme serait très peu affecté. Elle introduirait un élément de « moralisation » du comportement des opérateurs, et elle permettrait un suivi plus précis et donc un certain degré de transparence sur les opérations financières – à condition qu’au moins l’un des acteurs ait un rattachement au territoire de l’un des Etats appliquant la taxe. Le Président de la République a qualifié la création de cette taxe d’« obligation morale, politique et économique »(4).

La proposition, en cours de négociation, présentée le 28 septembre dernier par la Commission européenne – en réponse à une demande de la France et de l’Allemagne - est à saluer en ce qu’elle prévoit deux taux différents selon les catégories de produits financiers, un taux de droit commun de 0,1 % et un taux de 0,01 % sur les dérivés. Toutefois, le taux réduit de 0,01 % qu’elle envisage apparaît trop peu dissuasif et devrait être porté à 0,05 %. De même, le champ d’application doit être le plus large possible, pour limiter au maximum les possibilités de « contournement », et donc plus vaste que celui que propose la Commission européenne.

On sait que les partenaires anglo-saxons de la France et de l’Allemagne ont une nouvelle fois, lors du Sommet du G20 à Cannes, fait savoir leur opposition de principe à une taxation des transactions financières. Ceci ne doit en aucun cas justifier un abandon de ce projet. Un groupe de pays doit aller de l’avant de manière résolue, et ce groupe doit commencer par réunir la France et l’Allemagne.

Nous proposons donc l’instauration d’une taxe sur les transactions financières qui s’appliquerait conjointement en Allemagne et en France dès 2012 sur tous les instruments financiers, à des taux d’imposition très faibles de 0,1 % pour les actions et les obligations et 0,05 % pour toutes les autres transactions, y compris les opérations sur devises. Le critère retenu serait, à l’instar de la proposition formulée par la Commission européenne, celui de la résidence fiscale et non du lieu où les opérations sont réalisées. Le produit de cette taxe pourrait être affecté pour moitié au budget général de l’Union européenne et pour l’autre moitié venir abonder les politiques de coopération avec les pays en voie de développement dans le cadre des programmes de lutte contre la pauvreté.

B. Interdire les ventes à découvert

La vente à découvert d’une valeur mobilière consiste, pour une personne physique ou morale, à vendre une valeur qu’elle ne possède pas, pour tirer profit de sa baisse. Pour réaliser cette transaction, le vendeur doit d’abord emprunter la valeur en question. La vente à découvert concerne habituellement des actions, mais peut aussi être réalisée avec d’autres instruments financiers. Il existe deux types de ventes à découvert : la vente à découvert couverte, pour laquelle le vendeur a déjà emprunté la valeur mobilière qu’il vend ou a pris des dispositions pour pouvoir l’emprunter, et la vente à découvert non couverte (ou « à nu »), au moment de laquelle le vendeur n’a pas emprunté la valeur mobilière ni pris de dispositions pour pouvoir l’emprunter.

La vente à découvert est une pratique dont les effets néfastes sont avérés. Elle est porteuse de différents risques. Par exemple, dans des conditions de marché difficiles, il existe un risque que la vente à découvert entraîne les prix dans une spirale à la baisse excessive. Les autorités de régulation ne sont pas en mesure de surveiller les implications de ces opérations sur les marchés, ni de contrôler qu’elles ne sont pas utilisées aux fins de stratégies abusives. A l’heure actuelle, un régulateur national peut décider d’interdire la vente à découvert d’une valeur, mais seulement de manière temporaire et seulement sur son marché réglementé – les titres de la même entreprise négociés en dehors des Bourses traditionnelles, sur les plateformes alternatives ou de gré à gré, échappent à ces mesures.

Des mesures nationales d’interdiction de ventes à découvert ont été prises « en ordre dispersé » en Europe et aux Etats-Unis depuis septembre 2008, notamment, unilatéralement, en Allemagne. En août dernier, en France, l’Autorité des marchés financiers a décidé en urgence d’interdire les ventes à découvert sur 10 valeurs financières françaises. Certes, on assiste désormais à une meilleure coordination de ces mesures nationales d’interdiction ; par exemple, le 25 août dernier ont été prises des décisions concertées de prolongation de telles interdictions par l’AMF et ses homologues belge (FSMA), espagnole (CNMV) et italienne (CONSOB), en coordination avec l’Autorité européenne des marchés financiers.

Pour autant, ces mesures temporaires et ciblées, pas plus que l’encadrement réglementaire en cours de négociation au niveau de l’Union européenne, ne résolvent pas le problème fondamental posé par les ventes à découvert. Il est illusoire de tenter, comme le fond les législateurs européens, de distinguer les « mauvaises » ventes à découvert des « bonnes ». Et chercher simplement à imposer la transparence de ces transactions est insuffisant.

Les ventes à découvert doivent être interdites, car elles permettent de spéculer sur la vente d’un titre dont on ne dispose pas. Le principe d’une telle interdiction doit être posé catégoriquement par la France et par l’Allemagne, et généralisée à l’ensemble des pays de l’Union.

C. Interdire les contrats d’assurance contre le risque de défaut (CDS), et fermer les marchés de gré à gré qui échappent à toute surveillance

Un contrat d’échange sur risque de crédit (credit default swap – CDS) est un instrument financier qui fournit une sorte d’assurance contre le risque de défaillance d’une obligation émise par une entreprise ou un Etat. En échange d’une prime annuelle, l’acheteur du CDS est protégé par le vendeur de ce contrat contre le risque de défaillance de l’entité de référence (indiquée dans le contrat). En cas de défaillance de cette entité, le vendeur de la protection indemnise l’acheteur du coût encouru.

Les CDS sur dette souveraine, instruments privilégiés de la spéculation sur les dettes publiques, n’ont, malgré leurs conséquences désastreuses, pas été proscrits. En 2010 plusieurs Etats membres de l’Union européenne, dont l’Allemagne et la Grèce, ont adopté au niveau national des mesures restrictives, mais aucun pays ne les a totalement interdits.

Comme en matière de ventes à découvert, la réglementation sur les CDS est fragmentée et largement inefficace. Ils doivent être rigoureusement interdits et avec eux l’ensemble des transactions « OTC » (« over the counter » : de gré à gré). Parmi les transactions de gré à gré, dont certaines peuvent être justifiées, celles qui échappent à toute surveillance doivent être interdites.

Les marchés de gré à gré ont connu en Europe un développement considérable grâce à l’entrée en vigueur de la directive de 2004 sur les marchés d’instruments financiers (« directive MIF »). Les auteurs de la proposition de résolution rappellent qu’ils avaient vivement critiqué cette directive dès le stade de son élaboration, et accueillent favorablement l’ouverture du chantier de sa révision. Les conséquences de ce texte sont très fortement et quasi-unanimement critiquées. Elle n’a pas apporté, contrairement à ce qui était prévu, de véritables réductions des coûts, et elle a provoqué la multiplication de plateformes de transaction opaques et par là même dangereuses.

D. Interdire le trading à haute fréquence

Les auteurs de la proposition de résolution préconisent également, pour des motifs analogues, l’interdiction du « trading » haute fréquence (« high frequency trading », HFT).

En raison d’une influence toujours plus importante sur la structure même des marchés, le trading algorithmique est actuellement au centre d’interrogations quant à son utilité et aux risques qu’il représente pour la stabilité financière. Le trading algorithmique est devenu un phénomène majeur, représentant environ 35 % du volume des échanges financiers en Europe (avec une forte croissance annuelle) et déjà près de 66 % aux États-Unis (5). Pourtant, comme le précise l’Autorité des marchés financiers, le trading algorithmique « n’obéit pas à une définition claire. Il implique essentiellement la forte utilisation de l’outil informatique pour automatiser les tâches de prise de décision d’investissement et/ou d’exécution, dans un but de vitesse ou d’optimisation »(6). Quant au trading à haute fréquence, notion proche, il désigne « les stratégies pour lesquelles la vitesse d’exécution est fondamentale » (alors que le trading algorithmique désigne plus généralement l’utilisation de l’outil informatique).

Comme l’a souligné la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les mécanismes de spéculation fin 2010, « le recours à des algorithmes est pratiqué tant au stade de la décision d’investissement qu’au stade des modalités d’exécution d’un ordre, une fois la décision d’investissement prise. Ainsi, l’outil informatique peut, d’une part, se substituer à l’intervention humaine dans la prise de décision, en tant que stratégie de gestion, et, d’autre part, permettre l’amélioration de la vitesse d’exécution des ordres (au millième de seconde près). Avec le développement de la passation automatique des ordres et l’augmentation notable de leur vitesse d’exécution via des algorithmes – jusqu’à 33 000 opérations par seconde, soit près de 2 millions par minute –, des risques nouveaux apparaissent et d’autres, déjà existants, tels que la manipulation des carnets d’ordres, peuvent désormais prendre un caractère quasi industriel. »

Comme l’ensemble du trading algorithmique, le trading à haute fréquence rend le marché illisible pour le régulateur, mais également pour les investisseurs eux-mêmes. Il favorise l’opacité des marchés et est porteur de risques systémiques.

A défaut de pouvoir interdire totalement l’utilisation des algorithmes et de l’informatique dans la sphère financière, et plutôt que de tenter laborieusement d’encadrer ces pratiques au fur et à mesure des progrès rapides de l’innovation, il convient d’interdire purement et simplement le trading à haute fréquence.

E. Interdire aux agences de notation de noter les dettes souveraines des Etats membres de l’Union européenne.

Le rapporteur estime enfin que les agences de notation ont eu une responsabilité majeure dans le déroulement de la crise des dettes souveraines en Europe. Trois économistes du FMI qui ont étudié l’influence des dégradations de notes souveraines européennes entre 2006 et 2010 ont conclu que ces dégradations ont eu des retombées significatives au plan économique sur les pays de la zone euro, et que les changements de notation encouragent l’instabilité financière(7). Le placement des agences de notation sous la supervision de l’Agence européenne des marchés financiers (AEMF) par le règlement de mai 2011(8) est insuffisant. Le constat s’impose de la nécessité d’aller plus loin et, considérant leur logique purement spéculative, de leur interdire de noter les dettes souveraines.

La Commission européenne a présenté le 15 novembre un troisième texte pour encadrer les agences de notation, après les règlements de 2009 et 2011, texte qui envisage notamment d’obliger les agences de suspendre leur notation des Etats sous programmes d’assistance financière. Si cette proposition va dans le bon sens, elle n’est pas suffisante : c’est le concept même de notation des dettes souveraines par des agences qu’il faut remettre en cause.

Il ne s’agit pas d’empêcher les investisseurs d’évaluer le risque que présente l’investissement qu’ils se proposent de réaliser en achetant des titres de dette publique : tout investisseur doit, bien sûr, pouvoir faire des choix éclairés, sur la base d’informations complètes et fiables, avant de prendre sa décision d’investir. Mais la capacité de nuisance des trois grandes agences de notation de dimension mondiale ne doit plus pouvoir affecter les Etats.

Leurs méthodes de notation défaillantes ont alimenté les soupçons de conflits d’intérêts, et la mise en cause de leur responsabilité est extrêmement difficile(9).

IV. POUR LA CREATION D’UN FONDS EUROPEEN DE DEVELOPPEMENT SOCIAL, SOLIDAIRE ET ECOLOGIQUE

La présente proposition de résolution ne doit pas être perçue comme uniquement « défensive », ou « punitive ». Il paraît essentiel de formuler une proposition positive et innovante, celle d’un Fonds européen susceptible de diriger des moyens financiers conséquents vers la réalisation de grands projets d’investissement porteurs de croissance et donc d’espoir dans l’Union européenne.

Conjointement avec les parlementaires allemands du groupe Die Linke, les auteurs de la proposition de résolution appellent à la création d’un « Fonds européen de développement social, solidaire et écologique » dont l’objectif serait de contribuer à éviter la spéculation sur les dettes des États en permettant à ces derniers de ne plus dépendre pour leur financement des marchés financiers.

Des titres publics pour le développement social, émis par ce Fonds, seraient achetés par la Banque centrale européenne et les banques centrales des États membres. Cette création monétaire allouée via le Fonds permettrait de répartir des masses volumineuses de financement à des taux d’intérêt nuls ou très bas, entre les pays membres de l’euro, en fonction de leurs besoins propres et, expressément, pour le développement des services publics nationaux et de leur coopération européenne. Le Fonds financerait également des projets publics de création et de sécurisation des emplois, de développement de la formation et de la recherche, de protection de l’environnement.

Afin de ne pas alimenter une spirale inflationniste, le Fonds européen de développement social, solidaire et écologique devra également s’appuyer sur une mobilisation de l’épargne populaire à l’échelle européenne.

Il convient de préciser que le Fonds européen de développement social, solidaire et écologique aurait le statut de banque, afin d’avoir accès aux financements de la Banque centrale européenne. Il se financerait d’une part auprès de la BCE, et d’autre part auprès des organismes nationaux qui collectent l’épargne populaire, comme par exemple la Banque postale en France. Ainsi, il n’aurait pas besoin de se financer par appel aux marchés financiers.

Ce Fonds présentera le double avantage de contribuer au financement des Etats sans tomber sous le coup de l’article 123 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui interdit un financement direct des Etats par la BCE, et d’être un véritable instrument de gouvernance économique en canalisant des financements importants au service de grands projets d’intérêt général.

Le rapporteur fait observer que l’objectif de mobilisation de l’épargne populaire mis en avant est en cohérence avec la proposition de loi no 3825 qu’il a présentée avec M. Daniel Paul et plusieurs de leurs collègues du groupe GDR, portant création d’un livret d’épargne dédié au financement des infrastructures de transport(10).

Il note également que la démarche tendant à créer un Fonds de financement pour des investissements de long terme à l’échelle européenne, est également celle qu’a adoptée la Caisse des dépôts, conjointement avec ses homologues de plusieurs pays européens (Allemagne, Italie, Espagne et Pologne) et la Banque européenne d’investissement, en créant le fonds « Marguerite »(11). Compte tenu de la nature des ressources dont dispose la Caisse des dépôts française, il paraît pertinent d’envisager l’allocation d’une partie de l’épargne populaire des Français à des projets porteurs d’avenir et à forte dimension sociale et environnementale.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le mardi 15 novembre 2011, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d’information.

L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

« M. Michel Lefait. Cette proposition de résolution rencontre bien sûr mon approbation pour l’essentiel. Je sollicite toutefois du rapporteur deux petits éclaircissements. En premier lieu, quelles sont les raisons qui vous poussent à envisager une différence du taux de la taxe sur les transactions financières selon qu’elle porte sur les actions et obligations ou sur les autres transactions ? En second lieu, comment désigner les banques « exposées à un risque de défaut de la Grèce, de l’Irlande ou Portugal », selon les termes de la résolution, qui auraient vocation à faire l’objet d’une prise de participation préventive des Etats membres, sans donner un mauvais signal sur notre détermination à ne jamais matérialiser ce risque, et donc sans risquer de nourrir un peu plus la spéculation ?

M. Michel Diefenbacher. Je rends hommage à la cohérence, je dirais presque idéologique, du travail de notre rapporteur. Mais pour aussitôt regretter que ce raisonnement soit à ce point hors du temps. Nous sommes dans un monde ouvert, dans laquelle la concurrence existe entre les entreprises et entre les pays. Nous ne pouvons nous en abstraire par la simple opération de la pensée. Or, dans ce monde, l’élément décisif est la confiance. La confiance de nos créanciers est nécessaire lorsque nous continuons, qu’on le veille ou non, à devoir emprunter pour financer notre modèle de vie auquel nous sommes tant attachés. Dans ce contexte, nous ne pouvons malheureusement pas approuver une proposition de résolution dont la rédaction me semble destinée à empêcher que nous puissions y souscrire.

Mme Pascale Gruny. Pourquoi créer un nouveau fonds européen, un fonds de plus, lorsque les objets du fonds social européen et du FEDER sont déjà d’encourager le développement social et le développement durable en Europe ? Par ailleurs, je note avec satisfaction que notre rapporteur rejoint le Président de la République et la majorité présidentielle dans son combat déterminé, et ancien, pour l’instauration de la taxe sur les transactions financières.

Le rapporteur. Certes, vous parlez beaucoup de cette taxe, mais comme le disait un illustre prédécesseur de Jaurès et Luxemburg, la preuve du pudding, c’est qu’on le mange… Cessons de parler de la taxe sur les transactions financières et créons-la ! En réponse à M. Michel Lefait, nous avons choisi de différencier le taux de la taxe lorsqu’elle porte sur les obligations et actions, activités tout de même moins contestables dans leur principe que l’immense masse des activités financières, telles celles portant sur les devises, dont la nocivité sur l’économie réelle est amplement démontrée. Nous suivons en cela le projet européen, en nous contentant de lui donner une réalité tangible en augmentant les taux proposés. A cet égard, je rappelle que nous sommes ouverts à des amendements, pour que nous trouvions tous ensemble un chemin susceptible de concrétiser au plus vite cette taxe indispensable. Mais cela implique que chacun fasse un pas vers l’autre. Vous signaliez, M. Michel Diefenbacher, notre cohérence idéologique, qu’un examen attentif de toutes nos propositions depuis de nombreuses années, bien avant que la crise des subprimes n’en révèle l’évidence, démontre sans ambiguïté. Eh bien en retour je veux bien reconnaître la vôtre, qui n’a pas vacillé, et c’est là le problème puisqu’elle nous a conduits tout droit dans le mur.

Sur la deuxième question de M. Michel Lefait, je précise que la vulnérabilité des banques n’est guère difficile à identifier. C’est d’ailleurs l’un des paradoxes de cette crise. Les membres du Bureau de la commission des finances ont reçu récemment MM. Baudouin Prot et Frédéric Oudéa, directeurs généraux de la BNP et de la Société Générale, qui nous ont dit que les banques françaises, pourtant mieux dotées en capital, étaient plus vulnérables aux convulsions des marchés que leurs homologues par exemple anglaises… pour la simple raison que, dans les secondes, la présence de l’Etat dans le capital, juste contrepartie à l’aide décisive apportée par les Etats dans la crise de l’automne 2008, dissuadait précisément la spéculation en décourageant des marchés peu désireux de partager leur table avec cet actionnaire encombrant ! Comme je leur suggérais alors, que ne demandent-ils pas à être rapidement nationalisés pour être protégés à leur tour… Dans un même esprit, on oublie trop souvent la détermination sans faille de l’Allemagne de protéger des marchés ses Landesbanken. Et pour que l’Etat assume son rôle protecteur, nul besoin d’une participation majoritaire.

De manière générale, la situation, extrêmement grave, appelle des débats à la hauteur des enjeux, et aussi une vraie capacité d’écoute et de rapprochement des positions. Je sais que l’UMP s’interroge sur ce fameux modèle allemand dont le Gouvernement nous rebat les oreilles et qui, regardé de près, que ce soit dans les statistiques comparées que fournit par exemple notre ambassade où, sur le terrain, dans les queues des soupes populaires de Berlin qui s’allongent inexorablement depuis cette prétendue « cure de compétitivité » des années 2000, n’a rien d’exemplaire, ou sur ce « monde ouvert » qui n’est en fait ouvert qu’à la force débridée d’une concurrence déchaînée et destructrice. Je sais que certains d’entre vous prennent conscience du renversement indécent du partage de la croissance depuis les années 1970, où l’on voit des salaires stagner aux Etats-Unis lorsque la productivité maintient un bon rythme de 2 ou 3 % par an intégralement capté par les profits. L’Europe n’en est pas là, fort heureusement, mais elle n’en est pas loin. Avancer impose d’accepter ces doutes et ces débats, et d’engager de vrais dialogues, allant jusqu’à interroger les fondements d’une logique productiviste, et étroitement nationaliste, dont une récente exposition parisienne consacrée au film « Métropolis » montre avec éclat l’inanité.

Je renouvelle mon ouverture aux amendements éventuels que pourraient suggérer les remarques de Mme Pascale Gruny, pour déplorer toutefois que ni le FSE, ni le FEDER ne bénéficient de la transparence, et surtout de la force de frappe nécessaire pour faire face aux défis de la crise.

Le Président Pierre Lequiller. En dépit de son exposé comme à l’accoutumée talentueux et engagé, notre rapporteur ne sera guère surpris que la majorité ne puisse souscrire à sa proposition de résolution.

Puis la Commission a rejeté la proposition de résolution dont le texte figure ci-après.

ANNEXE :
PROPOSITION DE RESOLUTION EUROPEENNE

PROPOSITION DE RESOLUTION EUROPEENNE RELATIVE A LA MISE EN PLACE D’UN FONDS EUROPEEN DE DEVELOPPEMENT SOCIAL, SOLIDAIRE ET ECOLOGIQUE

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu l’article 151-5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le projet de programme de stabilité européen transmis par le gouvernement français à la Commission européenne,

Vu la résolution du Parlement européen du 8 mars 2011 sur les financements innovants à l’échelon mondial et à l’échelon européen,

Vu la proposition de règlement modifiant le règlement (CE) no 1467/97 du Conseil visant à accélérer et à clarifier la mise en oeuvre de la procédure concernant les déficits excessifs,

Vu la proposition de directive du Conseil sur les exigences applicables aux cadres budgétaires des Etats membres COM (2010) 523,

Vu la proposition de règlement sur la mise en oeuvre efficace de la surveillance budgétaire dans la zone euro COM (2010) 524,

Vu la proposition de règlement établissant des mesures d’exécution en vue de remédier aux déséquilibres macroéconomiques excessifs dans la zone euro COM (2010) 525,

Vu la proposition de règlement modifiant le règlement CE no 1466/97 relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que la surveillance et la coordination des politiques économiques COM (2010) 526,

Vu la proposition de règlement sur la prévention et la correction des déséquilibres macro-économiques COM (2010) 527,

Recommande au gouvernement d’engager, conjointement avec le gouvernement allemand, au plus tard lors du prochain Conseil européen, des négociations avec nos partenaires européens visant à :

- L’instauration d’un Fonds européen de développement social, solidaire et écologique afin de financer des projets publics de création et de sécurisation des emplois, de développement de la formation et de la recherche, de protection de l’environnement ;

- La prise de participation majoritaire des États membres au capital des banques européennes exposées à un risque de défaut de la Grèce, de l’Irlande ou du Portugal, afin de réorienter l’activité de ces établissements vers leur coeur de métier, c’est à dire le financement de l’économie ;

- L’instauration d’une taxe sur les transactions financières sur tous les instruments financiers à des taux d’imposition très faibles de 0,1 % pour les actions et obligations et 0,05 % pour toutes les autres transactions, y compris les opérations sur devises ;

- L’instauration d’une taxe exceptionnelle sur le patrimoine de personnes physiques dont le stock de patrimoine excède un million d’euros. Une taxe serait perçue au taux de 5 % dans les 27 pays de l’Union européenne ;

- L’interdiction des ventes à découvert, qui permettent de spéculer sur la vente d’un titre dont on ne dispose pas, des CDS (credit default swaps), instruments privilégiés de la spéculation sur les dettes publiques et du « trading » haute fréquence ;

- La fermeture des marchés de gré à gré qui échappent à toute surveillance et ont pourtant été encouragés par la directive sur les marchés d’instruments financiers et l’interdiction pour les agences de notation de noter les dettes souveraines.

© Assemblée nationale

1 () La composition de cette Commission figure au verso de la présente page.

2 () Source : François Morin, Le nouveau mur de l’argent ; essai sur la finance globalisée, 2006.

3 () Les Echos, 10 novembre 2008.

4 () Lors de sa conférence de presse commune avec la chancelière Angela Merkel, le 23 octobre 2011.

5 () Rosenblatt Securities, 30 septembre 2009, “An in-depth look at High frequency trading”, cité par le rapport précité de la commission d’enquête.

6 () J. Leprun, A. Oseredczuk. « Le trading algorithmique, Enjeux pour la surveillance des marchés de l’AMF», note de la Direction des Enquêtes et de la surveillance des Marché de l’AMF. 17 novembre 2009.

7 () Rabah Arezki, Bertrand Candelon et Amadou Sy, “Sovereign Rating News and Financial Markets Spillovers : Evidence from the European Debt Crisis”, avril 2011.

8 () Règlement (UE) no 513/2011 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2011 modifiant le règlement (CE) no 1060/2009 sur les agences de notation de crédit

9 () Voir notamment le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies (no 3034, 14 décembre 2010).

10 () MM. Daniel Paul, Jean-Pierre Brard et plusieurs de leurs collègues du groupe GDR proposent la création d’un nouveau livret d’épargne défiscalisé, sur le modèle du livret A, offrant un produit d’épargne sécurisé, dont les fonds seraient disponibles pour des prêts à très long terme, afin de financer des projets d’infrastructures de transport, notamment de développement des modes de transport alternatifs à la route ou d’amélioration de l’accessibilité des territoires.

11 () Ce Fonds, créé en 2009 pour une durée de vingt ans, a pour objet de permettre le financement de grands investissements d’infrastructures dans les domaines de l’énergie, des transports et de la lutte contre le changement climatique. La Caisse des dépôts a consacré à son lancement 600 millions d’euros, chacun de ses cinq partenaires apportant également cette somme.