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ART. 2N°94

ASSEMBLÉE NATIONALE
2 février 2016

PROTECTION DE LA NATION - (N° 3381)

Commission
 
Gouvernement
 

Rejeté

AMENDEMENT N°94

présenté par

M. Lellouche, M. Guillet, M. Suguenot, M. Christ, M. Lazaro, M. Robinet, M. Decool et M. Menuel

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ARTICLE 2

Compléter l’alinéa 3 par la phrase suivante :

« Les personnes déchues de leur nationalité française pour crime ou délit en lien avec des activités terroristes commises sur le territoire français ou pour des atteintes graves à la sécurité de la Nation, ne peuvent se prévaloir de la procédure de requête individuelle prévue à l’article 34 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour faire obstacle à l’expulsion dont ils feront l’objet vers le pays dont ils sont les ressortissants. ».

EXPOSÉ SOMMAIRE

Le débat sur la déchéance de la nationalité mis à l’ordre du jour par le Président de la République lors de son intervention devant le congrès le 16 novembre 2015 a soigneusement évité jusqu’à présent un point pourtant essentiel : les modalités de sa mise en œuvre effective, c’est-à-dire l’expulsion du terroriste condamné et déchu de sa nationalité à l’issue de l’exécution de sa peine.

En effet, au regard d’une jurisprudence au demeurant choquante, de la Cour européenne des droits de l’homme ces dernières années, le terroriste condamné par des juridictions nationales d’un pays signataire de la Convention, et déchu de sa nationalité, peut faire obstacle à son expulsion vers le pays dans lequel il est le ressortissant, en se fondant sur la procédure dite des requêtes individuelles prévues à l’article 34 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Cet article 34 dispose que « la Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit ».

A l’occasion de plusieurs arrêts concernant la France, mais également le Royaume-Uni et la Belgique, la Cour a estimé que l’expulsion de terroristes condamnés dans ces différents pays pourrait mettre ceux-ci en danger dans leur pays d’origine, et que par conséquent, la décision d’expulser un terroriste déchu de sa nationalité viendrait contredire l’article 3 de la CEDH lequel prévoit que « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

Le rappel de ces décisions de jurisprudence n’est pas inutile pour éclaire la représentation nationale et nos concitoyens :

a) l’interdiction faite au Gouvernement français le 3 décembre 2009 d’expulser en Algérie Kamel Daoudi, ressortissant algérien né en 1974 et naturalisé français le 14 janvier 2001, interpellé le 25 septembre de la même année dans le cadre d’une opération de démantèlement d’un groupe radical islamiste affilié à Al-Qaida et soupçonné d’avoir préparé un attentat suicide contre l’Ambassade des États-Unis à Paris. Le 27 mai 2002, Daoudi fut déchu de sa nationalité française et le 15 mars 2005, condamné par le Tribunal de Grande Instance de Paris à neuf ans d’emprisonnement et à une interdiction définitive du territoire (peine ramenée à six ans par un arrêt de la Cour d’appel de Paris le 14 décembre 2005) ; ce qui n’empêcha pas le même Kamel Daoudi de demander l’asile politique en France en même temps que le relèvement de l’interdiction du territoire français… A sa levée d’écrou le 21 avril 2008, Daoudi saisissait la CEDH sur la base de son article 39 du règlement de la Cour (mesures provisoires). Par un raisonnement assez curieux, la Cour jugea que, « vu le degré de son implication dans les réseaux de la mouvance et l’islamisme radical, il était raisonnable de penser que du fait de l’intérêt qu’il pouvait représenter pour les services de sécurité algériens, M. Daoudi pouvait faire à son arrivée en Algérie l’objet de traitements inhumains et dégradants ». Autrement dit, plus le terroriste est dangereux, moins il peut être expulsé. C’est cette décision que la Cour confirma en décembre 2009, interdisant ainsi à la France d’expulser un terroriste pourtant condamné par la justice française et lui allouant même 4500 euros pour frais et dépens…

b) Dans une décision du 6 septembre 2011, la même Cour confirmait sa jurisprudence dans le cas de Djamel Beghal, considéré comme l’émir des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly, auteurs des tueries de Paris de janvier 2015. Ressortissant algérien né en 1965, Djamel Beghal, venu effectuer ses études en France en 1987, acquit la nationalité française le 16 novembre 1993 suite à son mariage avec une ressortissante française. Lui-même et sa famille s’installèrent en Angleterre puis en Afghanistan en novembre 2000, à la veille des attentats du 11 septembre... Arrêté à Dubaï en juillet 2001, puis extradé vers la France le 26 septembre 2001, Djamel Beghal était soupçonné d’avoir préparé un attentat contre l’Ambassade des États-Unis à Paris et condamné pour ces faits le 15 mars 2005 à dix ans d’emprisonnement. La Cour d’appel de Paris, saisie par Djamel Beghal, confirma cette décision le 14 décembre 2005 et y ajouta une peine de sûreté des deux tiers. Un an plus tard, le 23 décembre 2006, un décret ministériel de déchéance de la nationalité française fut pris à l’encontre de M. Beghal, décret confirmé par un arrêt du Conseil d’État du 26 septembre 2007. Dès le 19 septembre de la même année, un arrêté ministériel d’expulsion fut pris à l’encontre de M. Beghal. Entre temps, le même M. Beghal déposait une demande d’asile politique auprès de l’OFPRA, qui fut rejetée. Le 22 mai 2010, il fut à nouveau mis en examen par le Tribunal de Grande Instance de Paris dans le cadre d’une nouvelle procédure pénale pour des faits de direction et d’organisation en association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme. Dans son arrêt, la CEDH rappelle que « l’expulsion par un État contractant peut soulever un problème au regard de l’article 3 et donc engager la responsabilité de l’État en cause au titre de la Convention, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on l’expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 ». Toutefois, c’est sur le fondement de l’existence d’une nouvelle procédure pénale à l’encontre de M. Beghal que la Cour a conclu que cette procédure, ainsi que son maintien en détention, « font obstacle à son renvoi vers l’Algérie ». Dans l’intervalle, M. Beghal a coulé des jours heureux aux frais du contribuable dans un hôtel de Murat (Cantal) dans lequel il a pu recevoir à plusieurs reprises, comme en témoignent des photographies publiées dans la presse, les auteurs de la tuerie de Charlie Hebdo et de la superette Hyper Cacher de Vincennes en janvier 2015.

c) Dans une décision rendue le 17 janvier 2012, Othman (Abu Qatada) contre Royaume-Uni qui suscita de nombreuses protestations au Royaume-Uni et à la Chambre des Communes en particulier, la Cour de Strasbourg confirmait une nouvelle fois sa jurisprudence très protectrice des droits des terroristes. Il s’agissait cette fois d’un ressortissant jordanien (uniquement Jordanien et sans double nationalité britannique). Né en 1960 près de Bethléem, arrivé en septembre 1993 au Royaume-Uni après un passage au Pakistan, Abu Qatada fut admis au bénéfice du statut de réfugié qu’il avait demandé et autorisé à demeurer sur le sol britannique jusqu’au 30 juin 1998. Le 8 mai 1998, l’intéressé sollicita une autorisation de maintien à durée indéterminée sur le territoire britannique avant d’être arrêté le 23 octobre 2002 en vertu des dispositions de la loi antiterroriste de 2001. Entre temps, en avril 1999, le même Abu Qatada avait été déclaré coupable in abstentia en Jordanie pour son appartenance à une association de malfaiteurs visant à commettre des attentats à la bombe. Il était le douzième de treize accusés dans une affaire concernant des attentats à la bombe, commis en 1998 à Amman contre une école américaine et l’hôtel Jérusalem. Les auteurs de l’attentat, arrêtés en Jordanie, avaient désigné lors du procès Abu Qatada comme étant l’inspirateur de l’opération terroriste. Celui-ci se vit donc infliger par la justice jordanienne une peine de travaux forcés à perpétuité. A l’automne 2000, Abu Qatada fut à nouveau jugé in abstentia en Jordanie, cette fois dans l’affaire dite du « complot du millénaire » qui concernait une association de malfaiteurs visant à commettre des attentats à la bombe contre des cibles occidentales et israéliennes en Jordanie, lors des festivités du passage à l’an 2000. Ce projet d’attentat avait été déjoué, mais Abu Qatada était accusé d’avoir activement incité l’opération, comme en témoignent différents indices trouvés au domicile de l’un des co-accusés. A l’issue du procès, Abu Qatada fut condamné à peine de quinze années de travaux forcés. D’autres accusés furent soit acquittés, soit condamnés à mort. Le Gouvernement britannique souhaitant expulser Abu Qatada vers son pays d’origine, il fut décidé, afin de respecter l’article 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, de conclure un mémorandum d’entente avec le Gouvernement jordanien, afin de garantir qu’une fois rentré en Jordanie, Abu Qatada ne serait pas condamné à une peine de mort et pourrait disposer d’un procès équitable respectant les obligations de la Convention. Le 11 août 2005, au lendemain de la signature du mémorandum d’entente, le Ministre de l’intérieur britannique notifia à Abu Qatada son intention de l’expulser dans l’intérêt de la sécurité nationale britannique. C’est dans ces conditions qu’Abu Qatada saisit la cour de Strasbourg pour violation des articles 2, 3, 5 et 6 de la Convention. Abu Qatada faisait valoir entre autres « que sa notoriété était telle que les autorités jordaniennes s’intéressaient de près à son cas que s’il leur était remis, il serait ainsi rejugé pour des infractions dont il avait été déclaré coupable in abstentia, soumis à une détention provisoire extrêmement longue (en violation de l’article 5) et en cas de condamnation, à une peine d’emprisonnement très lourde ». Selon lui, il serait également soumis « au risque réel de subir des actes de torture destinés à lui extorquer des aveux » et sur le terrain de l’article 6, Abu Qatada alléguait que le nouveau procès dont il ferait l’objet en Jordanie serait manifestement inéquitable, puisque la Cour de sûreté de l’État jordanien pourrait admettre à titre de preuve des déclarations obtenues par des actes de torture pratiqués sur lui ou précédemment sur ses co-accusés. Malgré les décisions des juridictions britanniques de la SIAC (United Kingdom Special Immigration Appeals), puis la Chambre des Lords qui confirmaient en 2009 le droit du Royaume-Uni d’expulser Abu Qatada, la Cour de Strasbourg, se fondant sur l’article 6 de la Convention, jugea le 17 janvier 2012 que l’expulsion d’Abu Qatada emporterait violation de la Convention « en raison de risques réels que soient admis à son nouveau procès des éléments de preuve pratiqués par torture sur des tiers ». On retiendra que dans son raisonnement, la Cour a tenu à souligner que « depuis sa création, elle a toujours été pleinement consciente des difficultés que les États rencontrent pour protéger leurs populations contre la violence terroriste » et qu’elle convient que les « États doivent pouvoir, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, refouler les non nationaux qu’ils considèrent comme une menace pour la sécurité nationale »… Mais, au terme d’un très long arrêt de plus de soixante pages, après avoir longuement cité différentes ONG comme Amnesty International et Human Rights Watch, la Cour de Strasbourg, malgré la Convention anglo-jordanienne garantissant les droits des ressortissants jordaniens extradés, n’en concluait pas moins que la torture était couramment pratiquée en Jordanie, que cette pratique « est exceptionnellement diabolique tant par sa barbarie que par les faits corrupteurs qu’elle a sur la procédure pénale » et que dès lors, un citoyen jordanien condamné dans son pays pour terrorisme devait donc rester au Royaume-Uni.

d) La décision la plus récente, en date du 7 octobre 2014 (Trabelsi contre Belgique) concerne cette fois un terroriste de nationalité tunisienne, arrêté à Bruxelles en septembre 2001 en possession de faux passeports, d’armes automatiques, d’explosifs et d’un plan détaillé de l’Ambassade des États-Unis à Paris. Celui-ci fut condamné à une peine de dix ans d’emprisonnement le 30 septembre 2003 par les juridictions belges. Nizar Trabelsi fut également condamné pour avoir tenté de détruire par explosion une base militaire belge. Comme ses « collègues » franco-algériens Beghal et Daoudi, M. Trabelsi demanda l’asile politique à la Belgique avant même le terme de ses différentes condamnations qu’il arrêta de purger le 23 juin 2012. Entre temps, le 8 avril 2008, les autorités américaines avaient transmis aux autorités belges une demande d’extradition de M. Trabelsi pour des actions terroristes planifiées hors du territoire belge. La demande d’extradition fut attaquée par l’intéressé devant les tribunaux belges sur la base notamment de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, M. Trabelsi redoutant d’être condamné à perpétuité et de subir des faits de torture ou des traitements inhumains et dégradants aux États-Unis… Le 23 novembre 2011, sa requête fut rejetée par la Cour de Cassation belge. Le 6 décembre 2011, M. Trabelsi se tournait alors vers la Cour de Strasbourg, en vue de suspendre son extradition aux États-Unis et la Cour fit droit à sa demande au titre des mesures provisoires. À partir du 24 juin 2012, après avoir purgé les peines pour lesquelles il était condamné, M. Trabelsi fut détenu en vue de son extradition aux États-Unis, qui intervint le 3 octobre 2013 où il fut acheminé vers l’aéroport militaire de Melsbroek et remis à des agents du FBI. Il est actuellement incarcéré à la prison de Rappahannock à Stafford, VA. Au terme d’un très long arrêt, la CEDH condamne la Belgique pour avoir extradé illégalement le terroriste Trabelsi alors qu’en l’application de l’article 39 de son règlement, elle lui avait demandé de ne pas procéder à cette extradition pendant la durée de la procédure, reprochant à la Belgique d’avoir donc agi au mépris de la mesure provisoire prise par la Cour. Elle constate par ailleurs que la Belgique, par l’extradition de Trabelsi, a violé l’article 3 de la Convention ainsi que son article 34 et condamne la Belgique à verser à M. Trabelsi 90 000 euros dont 60 000 euros hors impôts pour dommage moral subi du fait de son extradition, et 30 000 pour frais et dépens.

De telles décisions sont à ce point consternantes qu’elles se passent de tout autre commentaire. Dans la situation extrêmement grave pour la sécurité de la France et de l’Europe dans laquelle nous nous trouvons désormais, le maintien d’une telle jurisprudence est tout simplement incompréhensible. Un tel maintien est également insupportable au regard des principes d’équilibre des pouvoirs qui sont les fondements mêmes de nos principes démocratiques. Les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme n’étant pas susceptibles de recours, il y a donc en germe dans ces décisions le risque d’un gouvernement des juges contraire aux principes qu’énonçait jadis Montesquieu « Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »

C’est ce qui avait conduit l’auteur du présent amendement, rejoint par de très nombreux députés de l’opposition, à déposer sur le bureau de notre Assemblée, le 12 février 2015 une proposition de résolution invitant le Gouvernement à renégocier les conditions de saisine et les compétences de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), sur des questions touchant notamment à la sécurité nationale et à la lutte contre le terrorisme.

Le Gouvernement avait alors rejeté cette proposition de résolution, comme il avait rejeté le même jour la proposition de loi de notre collègue Philippe Meunier visant à faire perdre la nationalité française à tout individu arrêté ou identifié portant les armes ou se rendant complice par la fourniture de moyens à des opérations armées contre les forces armées ou les forces de sécurité françaises, ou tout civil Français et à rétablir le crime d’indignité nationale pour les Français sans double nationalité

Dès lors que le Gouvernement, par la voie du Président de la République, semble avoir décidé de changer d’avis et qu’il est désormais favorable à la déchéance de la nationalité pour des crimes et délits liés au terrorisme, et qu’il veut même en faire mention dans la Constitution, il paraitrait incompréhensible qu’il ne veille pas avec le même soin à rendre exécutoire la peine qu’il veut ainsi conforter dans notre droit.

Afin d’éviter que la jurisprudence de la CEDH fasse obstacle à l’expulsion des terroristes condamnés et déchus de leur nationalité, il convient donc d’interdire à ces personnes de recourir à la procédure de requête individuelle, qui constitue en l’espèce un abus de droit choquant, tant au regard des souffrances subies par les victimes du terrorisme, que du premier devoir d’un État souverain qui est d’assurer la sécurité de ses citoyens.

Tel est donc l’objet de cet amendement.