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N
° 258

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 octobre 2012

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2013 (n° 235),

TOME VIII

JUSTICE

JUSTICE ADMINISTRATIVE ET JUDICIAIRE

PAR M. Jean-Yves LE BOUILLONNEC,

Député.

Voir le numéro : 251 (annexe 32).

En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, les réponses aux questionnaires budgétaires devaient parvenir au rapporteur pour avis au plus tard le 10 octobre 2012 pour le présent projet de loi de finances.

À cette date, la totalité des réponses relatives à la justice administrative a été transmise par le Conseil d’État, de même que l’intégralité des réponses relatives à la justice judiciaire a été transmise par la Chancellerie.

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

PREMIÈRE PARTIE : L’ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE LA JUSTICE ADMINISTRATIVE ET JUDICIAIRE POUR 2013 8

I. L’ÉVOLUTION DES CRÉDITS DU PROGRAMME « CONSEIL D’ÉTAT ET AUTRES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES » 8

II. L’ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE LA JUSTICE JUDICIAIRE 10

A. Le programme « Justice judiciaire » 11

1. L’évolution des crédits du programme 11

2. Un effort exceptionnel pour les frais de justice 13

3. L’évolution des effectifs 14

B. Le programme « Conseil supérieur de la magistrature » 17

C. Le programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice » 18

DEUXIÈME PARTIE : DEUX ASPECTS DE LA JUSTICE DU QUOTIDIEN 20

I. JUSTICE ADMINISTRATIVE : LE CONTENTIEUX DU DROIT AU LOGEMENT OPPOSABLE DEVANT LES TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS 20

A. La procédure prévue par la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale 20

B. Le contentieux traité par les juridictions administratives 21

1. Un contentieux qui connaît une progression rapide dans toutes ses composantes 21

2. Un contentieux concentré géographiquement 23

II. JUSTICE JUDICIAIRE : LA SITUATION CRITIQUE DES JURIDICTIONS D’INSTANCE 24

A. Le quadruple défi auquel sont confrontés les tribunaux d’instance 24

1. La réduction d’un tiers du nombre de tribunaux d’instance depuis la réforme de la carte judiciaire 24

2. Le réexamen systématique des dossiers de tutelle en application de la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs 26

3. Le transfert de la compétence en matière de surendettement au 1er janvier 2012 27

4. Le transfert du « petit contentieux civil » du fait de la suppression des juridictions de proximité, prévu au 1er janvier 2013 28

B. Des juridictions d’instance au bord de l’asphyxie 30

1. L’allongement des délais moyens de traitement des procédures 31

2. Les délais de révision des mesures de protection des majeurs ne seront pas tenus 31

C. Des propositions pour améliorer cette situation 32

1. Envisager le report du délai de révision des mesures de protection 32

2. Réfléchir aux moyens d’alléger la tâche des magistrats et des greffes 32

3. Aller vers une meilleure gestion des personnels affectés à l’instance 33

EXAMEN EN COMMISSION 35

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS 63

DÉPLACEMENT DU RAPPORTEUR POUR AVIS 65

Mesdames, messieurs,

Dans le contexte d’un effort budgétaire particulièrement soutenu au service du redressement de nos finances publiques, alors que les dépenses de l’État sont globalement stabilisées en valeur – hors service de la dette et pensions –, le budget de la Justice, qui constitue un des quatre ministères prioritaires déterminés par le président de la République, voit ses crédits progresser de 4,3 % en un an ; les effectifs augmentent parallèlement de 480 emplois sur l’ensemble de la mission.

Dans le cadre du budget triennal 2013–2015 (1), les crédits de la Justice continueront de bénéficier d’un soutien tout particulier de l’État, les crédits de paiement de la mission, hors contribution directe de l’État au compte d’affectation spécial « Pensions », devant passer de 6,023 milliards d’euros dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2012 à 6,202 milliards dans le présent projet de loi de finances, 6,301 pour 2014 et 6,320 pour 2015. Si la progression des crédits ralentira au cours des deux prochains exercices, l’augmentation des effectifs se poursuivra au même rythme. La Justice est et demeurera au cours de la législature une grande priorité de l’action gouvernementale, ce dont se réjouit votre rapporteur pour avis, pleinement conscient de l’ampleur du retard à combler et de la situation souvent difficile dans laquelle sont plongées les juridictions.

Votre rapporteur pour avis salue les choix faits par la garde des Sceaux dans le cadre du présent budget : la priorité donnée à la protection judiciaire de la jeunesse, délaissée par la précédente majorité, l’abandon progressif de la dispendieuse technique du partenariat public–privé en matière immobilière, les recrutements coordonnés de magistrats et fonctionnaires qui permettront d’apporter un afflux cohérent de personnels dès 2015, la forte augmentation de l’enveloppe allouée aux frais de justice.

Sur ce dernier point, il apparaît néanmoins que les 15 % de crédits supplémentaires ne permettront pas de résoudre les difficultés de trésorerie – parfois alarmantes – de certains tribunaux : le tribunal de grande instance de Paris est en cessation de paiements des mémoires qui lui sont présentés depuis le mois de septembre 2012, soit deux mois plus tôt que l’année précédente...

Votre rapporteur pour avis regrette par ailleurs qu’une solution n’ait pu être trouvée dès ce premier exercice budgétaire afin de supprimer la contribution pour l’aide juridique de 35 euros instituée par la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011. Cette contribution étant destinée à compléter les crédits budgétaires alloués au règlement des missions d’aide juridictionnelle des avocats, sa suppression suppose que d’autres sources de financement soient trouvées. Il devient pourtant urgent de la supprimer, tant elle pèse injustement sur les justiciables aux revenus modestes, néanmoins non éligibles à l’aide juridictionnelle – aide qui leur permettrait de ne pas avoir à acquitter le droit de timbre. Comment justifier qu’un salarié licencié doive s’acquitter de cette contribution lorsqu’il saisit le conseil des prud’hommes afin de se voir remettre son dernier bulletin de paie ou son attestation d’emploi lui permettant de se présenter à Pôle emploi ? Sans parler des effets pervers de la taxe qui pousse davantage de justiciables à solliciter l’aide juridictionnelle – in fine bien plus coûteuse à l’État – afin d’être dispensés du versement de la contribution. Votre rapporteur pour avis souhaite la suppression au plus vite de cette contribution qui porte préjudice à l’accès à la justice de proximité des plus démunis, devant le juge judiciaire, comme devant le juge administratif.

Le présent avis porte sur les programmes « Justice judiciaire », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » de la mission « Justice », ainsi que sur le programme « Conseil d’État et autres juridictions administratives » de la mission « Conseil et contrôle de l’État ». Après une brève analyse de ces crédits, qui ne se veut pas redondante avec celle qu’effectuent les rapporteurs spéciaux de la commission des Finances, le présent avis étudie plus particulièrement deux aspects de la justice du quotidien :

—  l’évolution du contentieux du droit au logement opposable devant le juge administratif aux termes de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable (DALO) ;

—  et la situation des juridictions d’instance face aux nombreux défis auxquels elles ont dû et doivent encore faire face : refonte de la carte judiciaire, suppression à venir des juridictions de proximité, transfert du contentieux du surendettement, révision systématique des mesures de protection judiciaire des majeurs…

À cette fin, votre rapporteur pour avis a procédé à de nombreuses auditions (2) et s’est rendu au tribunal d’instance de Nogent–sur–Marne dans le Val–de–Marne afin de prendre la mesure des difficultés auxquelles peut être confrontée une juridiction d’instance.

Votre rapporteur pour avis a entendu les inquiétudes fortes exprimées par les professionnels du droit et de la justice ; pour autant, il estime que l’action du Gouvernement ne saurait être jugée à l’aune de ses tout premiers mois d’action. Les difficultés de la Justice héritées des dix dernières années ne sauraient être compensées en un seul exercice budgétaire. Rappelons que la France est classée par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) au 37e rang sur 43 pour le budget public annuel total alloué au système judiciaire rapporté au produit intérieur brut par habitant…

Votre rapporteur pour avis sera très attentif, tout au long de la législature, aux moyens mis en œuvre pour améliorer effectivement les conditions dans lesquelles la justice est rendue dans notre pays, tant du point de vue des justiciables que de celui des personnels ou des auxiliaires de justice.

*

* *

PREMIÈRE PARTIE : L’ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE LA JUSTICE ADMINISTRATIVE ET JUDICIAIRE POUR 2013

I. L’ÉVOLUTION DES CRÉDITS DU PROGRAMME « CONSEIL D’ÉTAT ET AUTRES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES »

Le programme « Conseil d’État et autres juridictions administratives » de la mission « Conseil et contrôle de l’État » regroupe les moyens affectés au Conseil d’État, aux huit cours d’administratives d’appel, aux quarante–deux tribunaux administratifs et, depuis le 1er janvier 2009, à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) (3).

Le programme « Conseil d’État et autres juridictions administratives » est doté, dans le cadre du présent projet de loi de finances, de crédits en nette progression : avec 396,4 millions d’euros, les autorisations d’engagement augmentent de 15,2 % tandis que les crédits de paiement (369,2 millions d’euros) connaissent progression de 5,9 % sur un an.

ÉVOLUTION DES CRÉDITS DU PROGRAMME « CONSEIL D’ÉTAT ET AUTRES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES »

(en millions d’euros)

Actions

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

Ouvertes en 2012

Demandées pour 2013

Évolution

Ouverts en 2012

Demandés pour 2013

Évolution

Fonction juridictionnelle : Conseil d’État

24,3

25,3

+3,9 %

24,3

25,3

+3,9 %

Fonction juridictionnelle : Cours administratives d’appel

52,3

48,9

–6,5 %

52

48,9

–6,1 %

Fonction juridictionnelle : Tribunaux administratifs

155,3

143,9

–7,3 %

152,6

143,9

–5,7 %

Fonction consultative

10,4

10,7

+3,4 %

10,4

10,7

+3,4 %

Fonction études, expertise et services rendus aux administrations de l’État et des collectivités

14,9

15,9

+7 %

14,9

15,9

+7 %

Soutien

64,9

130,1

+100,5 %

69,4

102,9

+48,4 %

Cour nationale du droit d’asile

22,2

21,6

–2,9 %

25,2

21,6

–14,4 %

Total programme

344,2

396,4

+15,2 %

348,7

369,2

+5,9 %

Selon les éléments figurant dans le projet annuel de performances de la mission « Conseil et contrôle de l’État » pour 2013, la forte progression des crédits alloués à l’action « Soutien » correspond à un changement d’imputation des crédits hors titre 2 (frais de justice, dépenses informatiques, dépenses de fonctionnement, dépenses d’investissement immobilier), tandis que la progression importante des autorisations d’engagement s’explique pour l’essentiel par le renouvellement en 2013 du bail des locaux de la CNDA pour une durée de neuf ans, pour un montant estimé à 33 millions d’euros.

Le programme regroupe 3 713 emplois (soit une augmentation de 52 ETPT sur un an). La montée en puissance des contentieux liés au droit au logement opposable ou au revenu de solidarité active, la progression soutenue du contentieux des étrangers et l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité justifient la poursuite du recrutement.

Dans le cadre du projet de budget triennal 2013–2015 est inscrite la création de quarante emplois par an, dont dix–sept magistrats et vingt–trois agents de greffe. Ces créations d’emplois ont été accordées pour permettre aux juridictions administratives d’atteindre les objectifs fixés pour 2015 en termes de délai de jugement (neuf mois pour le Conseil d’État, dix mois pour les cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs), sous réserve que l’augmentation du contentieux soit limitée à 3 %.

Les juridictions administratives (hors CNDA) ont été saisies en 2011 de 225 868 affaires (9 963 pour le Conseil d’État, 28 521 pour les cours administratives d’appel et 187 384 pour les tribunaux administratifs) et ont rendu 232 840 décisions (10 827 pour le Conseil d’État, 29 866 pour les cours administratives d’appel et 192 147 pour les tribunaux administratifs).

Les délais moyens de jugement se sont réduits grâce à un effort très important des magistrats : l’objectif de ramener à un an les délais de jugement devant le Conseil d’État, les cours administratives d’appel et les tribunaux administratifs, fixé par la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, a été pour la première fois atteint en 2011.

Le délai prévisible moyen de jugement des affaires en stock en 2011 s’est élevé, selon les éléments figurant dans le projet annuel de performances de la mission « Conseil et contrôle de l’État » pour 2013, à :

—  10 mois et 27 jours devant les tribunaux administratifs (contre un an, 7 mois et 21 jours en 2002) ;

—  11 mois et 16 jours devant les cours administratives d’appel (contre deux ans, 10 mois et 18 jours en 2002) ;

—  et 8 mois et 12 jours devant le Conseil d’État.

Toutefois, M. Jean–Marc Sauvé, vice–président du Conseil d’État, responsable du programme, estime que ces avancées demeurent fragiles en raison de la montée en puissance attendue de certains contentieux : droit des étrangers, questions prioritaires de constitutionnalité, contentieux du revenu de solidarité active et contentieux du droit au logement opposable, notamment (4).

Il faut, en outre, noter que ces délais moyens cachent de fortes disparités : la proportion d’affaires en stock enregistrées depuis plus de deux ans était en 2011 de 7,2 % au Conseil d’État, 4,4 % devant les cours d’administratives d’appel et 13,8 % devant les tribunaux administratifs, les prévisions pour 2012 marquant un accroissement de cette proportion à tous les niveaux de juridictions.

Mme Fabienne Corneloup, présidente du Syndicat de la juridiction administrative, a d’ailleurs relevé, lors de son audition, que les efforts de productivité demandés aux magistrats administratifs avaient atteint leur limite, jugeant fragile l’équilibre atteint dans le traitement des contentieux. Elle a relevé la dégradation entre 2010 et 2011 de l’indicateur – qui ne mesure que très imparfaitement la qualité du jugement de première instance – du taux d’annulation des décisions juridictionnelles : le taux d’annulation par les cours administratives d’appel des jugements des tribunaux administratifs est passé de 17,1 à 18,1 %, le taux d’annulation par le Conseil d’État des arrêts des cours administratives d’appel de 18,2 à 20,2 % et le taux d’annulation par le Conseil d’État des jugements des tribunaux administratifs de 15,5 à 18,3 %. Il convient de veiller à ce que l’effort de productivité demandé aux magistrats ne se traduise pas par une dégradation de la qualité des décisions rendues. Les rédacteurs du projet annuel de performances reconnaissent d’ailleurs que « pour les tribunaux administratifs, la productivité semble atteindre un seuil qu’il sera difficile de dépasser en raison de la complexité croissante des dossiers et de la mise en œuvre de la question prioritaire de constitutionnalité ».

II. L’ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE LA JUSTICE JUDICIAIRE

La mission « Justice », dotée pour 2013 d’un budget de 7,7 milliards d’euros en crédits de paiement, se compose de six programmes, dont trois sont étudiés par le présent avis (5:

—  le programme « Justice judiciaire », dont les crédits augmentent de 3,6 % en crédits de paiement, les autorisations d’engagement, elles, reculant de 16,2 % ;

—  le programme « Conseil supérieur de la magistrature » dont les crédits connaissent une très forte progression : + 32,1 % en crédits de paiement et + 131,1 % en autorisations d’engagement ;

—  le programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice », dont les crédits progressent de 7,2 % en crédits de paiement et 5 % en autorisations d’engagement.

SYNTHÈSE DE L’ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE LA MISSION « JUSTICE »
FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT AVIS

(en millions d’euros)

 

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

Programme

LFI 2012

PLF 2013

LFI 2012

PLF 2013

Justice judiciaire

3 588

3 008

2 961

3 068

CSM

3,7

8,5

3,5

4,6

Conduite et pilotage de la politique de la justice

283

297

280

301

Total mission Justice

9 760

7 342

7 386

7 700

A. LE PROGRAMME « JUSTICE JUDICIAIRE »

1. L’évolution des crédits du programme

Le programme « Justice judiciaire » regroupe les crédits nécessaires au fonctionnement de la justice civile, pénale, commerciale et sociale. Il concerne les magistrats et les agents des services judiciaires – fonctionnaires et contractuels –, ainsi que les juges non professionnels bénévoles ou rémunérés à la vacation – juges consulaires, conseillers prud’hommes, assesseurs des tribunaux pour enfants, juges de proximité… –, assistants et agents de justice, déployés dans les juridictions judiciaires.

Au 1er janvier 2013, les juridictions de l’ordre judiciaire comprendront : la Cour de cassation, 36 cours d’appel et le tribunal supérieur d’appel de Saint-Pierre-et-Miquelon, 165 tribunaux de grande instance et tribunaux de première instance, 304 tribunaux d’instance, 3 tribunaux de police et 135 tribunaux de commerce, 9 tribunaux mixtes de commerce dans les départements et collectivités d’outre-mer et 216 conseils de prud’hommes et tribunaux du travail.

Avec une dotation de 3 068 millions d’euros en crédits de paiement, le programme « Justice judiciaire » est en progression de 3,6 % par rapport à 2012 comme le montre le tableau ci-après.

ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE PAIEMENT DU PROGRAMME
« JUSTICE JUDICIAIRE »

(en millions d’euros)

Actions du programme « Justice judiciaire »

LFI 2012

PLF 2013

Évolution

Traitement et jugement des contentieux civils

924,6

953

+ 3 %

Conduite de la politique pénale et jugement des affaires pénales

1 039,7

1 008

– 3 %

Cassation

59

58,5

- 0,8 %

Enregistrement des décisions judiciaires

13,6

14

+ 2,9 %

Soutien

811,5

921,6

+ 13,6 %

Formation

84,3

82,1

– 2,6 %

Support à l’accès au droit et à la justice

28

30,6

+ 9,3 %

Total

2 961

3 068

+3,6 %

Source : projet annuel de performances pour 2013

—  L’action « Traitement et jugement des contentieux civils », qui recouvre les moyens humains et budgétaires des juridictions civiles, commerciales et sociales, voit ses crédits progresser de 3 %, pour s’établir à 953 millions d’euros en autorisations d’engagement, comme en crédits de paiement. Cette action représente 31,7 % des crédits du programme.

—  Les crédits de l’action « Conduite de la politique pénale et jugement des affaires pénales » (moyens humains et budgétaires des juridictions pénales) sont réduits sur un an de 3  % s’établissant à 1,008 milliard d’euros ; ils représentent 33,5 % des crédits du programme. La réduction de crédits s’explique en partie par le transfert des crédits de la médecine légale sur l’action « Soutien ».

—  Les crédits de l’action « Cassation » évalués à 58,5 millions d’euros sont stables ; ils financent les rémunérations des magistrats, fonctionnaires et autres personnes affectées à la haute juridiction, ainsi que les frais de justice, les crédits de fonctionnement courant étant affectés à l’action « Soutien », conformément à la nouvelle architecture budgétaire issue de l’application Chorus.

—  Les crédits de l’action « Enregistrement des décisions judiciaires », qui recouvre l’ensemble des moyens humains permettant le fonctionnement du casier judiciaire national ainsi que ses frais de justice, connaissent une progression de 2,9 % qui fait suite à une réduction dans les mêmes proportions au cours de l’exercice précédent.

—  Les crédits de l’action « Soutien » représentent 28,6 % des crédits du programme et sont en forte progression sur un an : +13,6 %. L’action recouvre l’ensemble des moyens humains et de fonctionnement de la direction des services judiciaires, mais également les moyens ne pouvant être rattachés aux deux autres actions (contentieux civil et contentieux pénal) : c’est notamment sur cette action que sont imputés les crédits d’investissement pour la réalisation et l’entretien des bâtiments judiciaires.

Ces bons chiffres apparents ne doivent cependant pas faire oublier la réalité des moyens de fonctionnement des juridictions judiciaires, dont la situation s’est dégradée depuis plusieurs années : comme l’a rappelé lors de son audition Mme Virginie Valton, vice–présidente de l’Union syndicale des magistrats, nombre de juridictions doivent réduire les périodes de chauffage, faute de crédits pour remplir les cuves ; fonctionnaires et magistrats se voient refuser l’attribution de codes à jour, sans pour autant bénéficier systématiquement d’accès à des bases de données en ligne ; le papier manque parfois pour imprimer les jugements… Elle a en outre souligné l’importance cruciale de pérenniser les budgets alloués à la sécurité des juridictions, dans l’intérêt des personnels comme des justiciables.

—  Les crédits de paiement de l’action « Formation », qui recouvre l’ensemble des moyens humains et budgétaires permettant d’assurer la formation initiale et continue des magistrats et fonctionnaires des greffes, sont en baisse de 2,6 % en 2013 ; ils s’élèvent à un peu plus de 82 millions d’euros.

La subvention pour charges de service public accordée à l’École nationale de la magistrature s’élève, dans le cadre du projet de loi de finances initial, à 24,6 millions d’euros en crédits de paiement, soit une baisse de 5,2 % malgré une augmentation attendue de son niveau d’activité, de l’ordre de 30 % du fait de l’accroissement du nombre des auditeurs de la promotion 2013, auxquels s’ajoutent les stagiaires du concours complémentaire. L’effort demandé à l’école s’inscrit, selon les rédacteurs du projet annuel de performances, dans le cadre de la contribution des opérateurs à la maîtrise des finances publiques et supposera que l’ENM poursuive son effort de rationalisation de ses dépenses de fonctionnement.

Les crédits consacrés, d’une part à la formation dispensée à l’École nationale des greffes (ENG), et d’autre part à la formation régionalisée, sont évalués respectivement à 1,1 et 1,4 million d’euros. Le budget global de l’ENG (fonctionnement et formation) devrait augmenter de 18,6 %, lui permettant d’accueillir un nombre plus important de stagiaires en formation initiale (10 % d’augmentation).

2. Un effort exceptionnel pour les frais de justice

Les crédits alloués aux frais de justice sont fortement accrus dans le cadre du présent projet de loi de finances : passant de 415 à 477 millions d’euros, ils progressent de 15 %, afin, comme l’a indiqué la garde des Sceaux lors de son audition, de corriger l’image de « mauvais payeur » qu’a le ministère de la Justice. Ces crédits doivent permettre d’améliorer une situation très dégradée des juridictions dont les « reste à payer » ont augmenté de 58 % entre 2011 et 2012. D’un point de vue global, ce sont 305,9 millions d’euros de mémoires qui restent à payer dans les juridictions, les plus anciens datant de 2007.

Cette situation pose des problèmes particulièrement importants dans les juridictions : les experts qui ne sont plus payés depuis des mois refusent d’intervenir à la demande des magistrats ; les interprètes, travailleurs indépendants, sont placés dans une situation financière très délicate, de même que les enquêteurs sociaux, qui engagent des frais sans être rémunérés.

Il était donc absolument nécessaire d’inverser la tendance afin de retrouver à terme l’annualité des paiements des mémoires présentés aux juridictions ; toutefois, nombre de personnes entendues par votre rapporteur pour avis estiment que l’augmentation prévue des crédits restera insuffisante pour atteindre cet objectif dès 2013. Sans doute faudra–t–il, au-delà des augmentations de crédits qui devront se poursuivre dans les années à venir, réfléchir au périmètre des actes financés par les frais de justice : il en va ainsi des expertises psychiatriques rendues systématiques dans bon nombre de procédures alors qu’elles pourraient ne pas s’imposer dans certains cas, mais aussi du champ des infractions justifiant l’inscription au fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) ; votre rapporteur pour avis estime en outre nécessaire que le ministère de la Justice envisage la renégociation de certains tarifs pratiqués par les opérateurs de télécommunications.

Votre rapporteur pour avis a par ailleurs été sensible à la remarque faite par les représentants du syndicat FO Magistrats qui ont déploré l’absence de contrôle systématique sur la gestion des frais de justice dans les tribunaux de grande instance : il est ainsi arrivé que, des années après la clôture d’une instruction, le magistrat référent pour les frais de justice d’un parquet s’aperçoive que des chiens sont, sans que cela ne soit plus nécessaire à l’instruction, restés placés en fourrière pendant plusieurs années, la régie du tribunal s’acquittant chaque année des frais correspondants…

3. L’évolution des effectifs

Le programme « Justice judiciaire » comprend 31 455 équivalents temps plein travaillé (ETPT), soit une augmentation, compte tenu des corrections techniques liées à un ajustement des transferts entre programmes intervenus en 2012, de 278 ETPT sur un an (6).

Le tableau ci-après retrace l’évolution sur un an du nombre d’emplois en équivalent temps plein du programme par catégories d’emplois.

ÉVOLUTION DES PLAFONDS D’EMPLOIS EN ÉQUIVALENTS TEMPS PLEIN

 

Plafond LFI 2012

Plafond PLF 2013

Corrections techniques

Variation sur un an

Part dans l’effectif total de 2013

Magistrats de l’ordre judiciaire

8 927

9 051

– 20

+ 104

28,8 %

Personnels d’encadrement

2 811

2 887

 

+76

9,2 %

Personnel de greffe, d’insertion et éducatifs (catégorie B+)

8 484

8 746

– 20

+ 242

27,8 %

Personnels administratifs et techniques de catégorie B

387

423

 

+ 36

1,3 %

Personnels administratifs et techniques de catégorie C

10 528

10 348

 

– 180

32,9 %

Total

31 137

31 455

 

+ 278

100 %

Source : projet annuel de performances pour 2013

Le schéma d’emplois du programme prévoit la création de 150 emplois de magistrats (276 sorties pour 426 entrées, dont 197 primo–recrutements), 17 emplois de personnels d’encadrement (81 sorties pour 98 entrées), 85 personnels de catégorie B + (309 sorties pour 394 entrées) ; il prévoit la poursuite de la suppression de postes de personnels de catégorie C : 110 suppressions d’emplois (370 sorties pour 260 entrées).

Selon les éléments figurant dans le projet annuel de performances, les créations d’emplois permettront prioritairement de soutenir :

—  l’amélioration du fonctionnement des juridictions (17 greffiers en chef et 45 greffiers) ;

—  le renforcement des conditions de mise en œuvre de l’exécution des peines et de l’application des peines (80 magistrats et 15 greffiers) ;

—  le renforcement de la justice des mineurs (10 magistrats) ;

—  le renforcement des juridictions d’instance et la mise en œuvre de la réforme des tutelles (50 magistrats et 25 greffiers) ;

—  la mise en œuvre de la collégialité de l’instruction (10 magistrats).

Votre rapporteur pour avis se réjouit de ces créations de postes, même si syndicats de magistrats et de fonctionnaires ont tous regretté que ces créations ne soient pas à la hauteur des réductions intervenues au cours des exercices précédents, alors même que la charge de travail n’a cessé de s’accroître sous l’effet de réformes dont l’impact n’avait pas été anticipé : refonte de la carte judiciaire qui s’est traduite par des réductions d’effectifs (7), réforme de l’hospitalisation sans consentement (8) qui accroît considérablement la tâche des juges des libertés et de la détention, réforme de la garde à vue (9) qui pèse sur les parquets, réforme des tutelles (10) et transfert du surendettement (11) qui asphyxient bon nombre de juridictions d’instance, accroissement des tâches dévolues aux greffes.

Sur un plan indemnitaire, le présent projet de loi de finances consacre 4 millions d’euros pour le dernier volet de la revalorisation progressive du taux moyen de la prime modulable des magistrats exerçant leurs fonctions dans les juridictions du premier degré, ainsi que des magistrats de cours d’appel prévue par un décret et un arrêté du 29 juillet 2011 (12).

REVALORISATION DES TAUX MOYENS ET MAXIMUM DE LA PRIME MODULABLE ATTRIBUÉE À CERTAINS MAGISTRATS,
EN APPLICATION DE L’ARRÊTÉ DU 29 JUILLET 2011

 

À compter du 1er août 2011

À compter du 1er août 2012

À compter du 1er janvier 2013

Taux moyen de la prime modulable attribuée aux magistrats exerçant leurs fonctions en juridiction du premier et du second ressort

10,5 %

11,5 %

12 %

Taux maximal d’attribution individuelle de la prime modulable

16,5 %

17,5 %

18 %

Taux de la prime modulable attribuée aux premiers présidents des cours d’appel et aux procureurs généraux près lesdites cours, aux présidents des tribunaux supérieurs d’appel et aux procureurs de la République près lesdits tribunaux ainsi qu’au directeur de l’École nationale des greffes

10,5 %

11,5 %

12 %

Taux de référence de la prime modulable attribuée à l’inspecteur général des services judiciaires

10,5 %

11,5 %

12 %

Taux maximal de la prime modulable attribuée à l’inspecteur général des services judiciaires

21,5 %

22,5 %

23 %

Si votre rapporteur pour avis estime de bonne politique de respecter les engagements pris vis-à-vis d’une profession, il ne peut que regretter que les revalorisations indemnitaires aient oublié depuis des années les corps de fonctionnaires. Le régime indemnitaire des greffiers en chef et des greffiers n’a ainsi pas été revalorisé depuis 2003, contrairement aux fonctionnaires de catégorie B des autres ministères. Le régime indemnitaire des fonctionnaires de catégorie C n’a pas été revalorisé depuis 2006, alors même que nombre d’adjoints administratifs font fonction de greffiers dans les juridictions.

Le montant des primes perçues par les fonctionnaires est sans commune mesure avec celles des magistrats, accroissant un écart de rémunération d’autant plus difficile à vivre sur le terrain que, si les responsabilités des magistrats et des fonctionnaires ne sont pas de même nature, tous sont appelés à fournir un effort très important. Les personnels attendent un message fort de reconnaissance qui soit à la hauteur du rôle joué par eux dans le fonctionnement des juridictions. Leur sentiment d’injustice, voire de colère, a été pleinement relayé auprès de votre rapporteur pour avis par l’ensemble des organisations syndicales qu’il a entendues. La garde des Sceaux a indiqué lors de son audition par votre Commission qu’elle avait été tenue par la parole de l’État donnée aux magistrats et que l’enveloppe qui lui avait été allouée ne lui avait malheureusement pas permis de donner satisfaction dès cette année aux personnels des catégories B et C.

B. LE PROGRAMME « CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE »

Afin d’assurer au Conseil supérieur de la magistrature une pleine autonomie budgétaire, l’article 9 de la loi organique n° 2010-830 du 22 juillet 2010 relative à l’application de l’article 65 de la Constitution a prévu qu’un nouveau programme spécifiquement dédié aux crédits affectés au Conseil supérieur de la magistrature se substituerait à l’action correspondante du programme « Justice judiciaire ».

Pour 2013, le programme est doté en autorisations d’engagement de 8,46 millions d’euros et de 4,65 millions d’euros en crédits de paiement, soit respectivement une progression de + 131 % et + 32 % par rapport aux crédits votés en loi de finances initiale pour 2012, comme l’illustre le tableau ci–après :

ÉVOLUTION DES CRÉDITS DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE

(en millions d’euros)

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

Ouvertes en 2012

Demandées pour 2013

Évolution

Ouverts en 2012

Demandés pour 2013

Évolution

3,66

8,46

+ 131 %

3,52

4,65

+ 32 %

Votre rapporteur pour avis s’est interrogé sur l’importance de l’augmentation des crédits du programme, mais aussi sur l’écart entre autorisations d’engagement et crédits de paiement.

Il ressort du projet annuel de performances pour 2013 que l’accroissement des crédits relève des dépenses de fonctionnement hors personnel, lié au futur déménagement du Conseil supérieur de la magistrature dans une partie des locaux laissés vacants par le futur déménagement du tribunal de grande instance de Paris dans le quartier des Batignolles ; l’option retenue a été celle de la passation d’un contrat de bail de cinq ans pour 3,87 millions d’euros en autorisations d’engagement et 770 000 en crédits de paiement inscrits au présent budget. Parallèlement ont été calculés, sur trois ans, les marchés afférant au fonctionnement de ces locaux (nettoyage, gardiennage, maintenance et contrôle réglementaire), ainsi que le coût du déménagement et de l’aménagement des locaux ; une enveloppe de 149 000 euros sera allouée au titre de l’achat de mobilier ; un marché informatique devrait en outre être passé, pour un montant de 117 000 euros en autorisations d’engagement et 50 000 euros en crédits de paiement.

C. LE PROGRAMME « CONDUITE ET PILOTAGE DE LA POLITIQUE DE LA JUSTICE »

Placé sous la responsabilité du Secrétaire général du ministère de la Justice, le programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice » a une double finalité : d’une part, il vient en appui des directions du ministère de la Justice, notamment dans les secteurs de l’action sociale, de l’informatique, de la statistique, des études et de la recherche, et, d’autre part, il regroupe les crédits nécessaires au fonctionnement des services centraux de la Chancellerie.

L’évolution des crédits de ce programme est retracée dans le tableau ci-dessous :

ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE  LA CONDUITE
ET DU PILOTAGE DE LA POLITIQUE DE LA JUSTICE

(en millions d’euros)

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

Ouvertes en 2012

Demandées pour 2013

Évolution

Ouverts en 2012

Demandés pour 2013

Évolution

283

297,2

+ 5 %

280,5

300,6

+ 7 %

—  Les crédits de l’action « Gestion de l’administration centrale », qui regroupe les moyens nécessaires à l’activité des services d’administration centrale placés sous l’autorité du Secrétaire général du ministère, ainsi que le budget de fonctionnement du Casier judiciaire national, progressent de 4 %, pour atteindre 104,2 millions d’euros en crédits de paiement.

—  Les crédits de « l’action sociale ministérielle » sont en hausse de 3,4 % sur un an, passant de 35,1 à 36,2 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement. En 2013, l’ensemble des moyens consacrés à l’action sociale – hors dépenses de personnel – s’établira encore cette année à 22,4 millions d’euros. La dotation du titre 2 correspond à des prestations versées directement aux agents et consacrées aux enfants handicapés et aux séjours d’enfants. Les dépenses de fonctionnement correspondent à des prestations essentiellement assurées par des organismes tiers : il s’agit notamment de la protection sociale complémentaire, de la médecine de prévention, du logement social ou des activités socioculturelles et sportives.

—  Le budget de « l’action informatique ministérielle », qui constitue le support budgétaire des crédits de la sous-direction de l’informatique et des télécommunications, devrait atteindre 120,8 millions d’euros en autorisations d’engagement et 116,9 millions d’euros en crédits de paiement, soit une hausse respectivement de 2,6 % et 16,2 %. Ce budget représente plus de 40 % des crédits du programme.

DEUXIÈME PARTIE : DEUX ASPECTS DE LA JUSTICE DU QUOTIDIEN

I. JUSTICE ADMINISTRATIVE : LE CONTENTIEUX DU DROIT AU LOGEMENT OPPOSABLE DEVANT LES TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS

A. LA PROCÉDURE PRÉVUE PAR LA LOI DU 5 MARS 2007 INSTITUANT LE DROIT AU LOGEMENT OPPOSABLE ET PORTANT DIVERSES MESURES EN FAVEUR DE LA COHÉSION SOCIALE

En application de larticle L. 441-2-3 du code de la construction et de lhabitation issu de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, toute personne qui a effectué une demande d’hébergement ou de logement équivalent (logement-foyer, logement de transition, résidence hôtelière à vocation sociale) et qui n’a pas reçu de réponse adaptée à sa demande, tenant compte de ses besoins et capacités, peut saisir une commission de médiation dans son département, puis, dans certains cas, exercer un recours devant le tribunal administratif au titre du droit au logement opposable.

Le recours devant une commission de médiation est ouvert à toute personne qui n’a pas pu obtenir l’accueil qu’elle a demandé, même si elle est déjà hébergée, ce qui est notamment le cas d’une personne déjà hébergée dans un centre d’hébergement d’urgence qui a demandé, sans l’obtenir, une place dans une résidence sociale ou un logement de transition.

Pour pouvoir saisir une commission de médiation, le demandeur doit remplir deux conditions :

—  être de nationalité française ou, dans le cas d’un étranger, disposer d’un droit ou d’un titre de séjour en cours de validité

—  et ne pas être en mesure d’accéder par ses propres moyens à un hébergement décent ou de s’y maintenir.

La commission de médiation émet un avis sur le caractère prioritaire ou non de la demande en tenant compte des besoins et capacités du demandeur selon une liste de critères comprenant la taille et la composition du foyer, l’état de santé et les aptitudes physiques ou handicaps des personnes qui vivront dans ce foyer, la localisation des lieux de travail ou d’activité, la disponibilité des moyens de transport ou la proximité des équipements et services nécessaires à leurs besoins.

La commission de médiation doit rendre sa décision dans un délai de six semaines à compter de la date de l’accusé de réception du dossier et la notifie au demandeur en précisant les motifs d’attribution ou de refus. Elle lui indique qu’en cas de refus d’une proposition d’hébergement ou de logement équivalent adaptée à ses besoins et capacités, il pourra perdre le bénéfice de la décision le reconnaissant prioritaire et devant être logé en urgence.

Lorsqu’elle considère que le demandeur est prioritaire et qu’un hébergement ou logement équivalent doit lui être attribué en urgence, elle transmet au préfet la demande mentionnant les caractéristiques que doit avoir l’hébergement.

À compter de la décision de la commission de médiation, le préfet dispose d’un délai de six semaines pour proposer une place dans une structure d’hébergement ou un logement équivalent adaptée aux besoins et capacités du demandeur. Passé ce délai, le demandeur qui n’a pas reçu de proposition d’hébergement ou de logement équivalent adaptée peut exercer un recours devant le tribunal administratif.

Le demandeur doit exercer ce recours dans un délai maximum de quatre mois à compter de la fin du délai laissé au préfet pour faire ses propositions d’hébergement. Pour être recevable, le recours doit être accompagné de la décision de la commission de médiation reconnaissant le demandeur comme étant prioritaire et devant être hébergé en urgence. Pour présenter ce recours, le demandeur peut, comme devant la commission de médiation, se faire assister par un travailleur social ou par une association agréée.

Le tribunal administratif dispose alors d’un délai de deux mois à compter de sa saisine pour se prononcer. Il peut ordonner au ministère chargé du logement d’héberger le demandeur dès lors qu’il constate qu’il a été désigné par une commission de médiation comme étant prioritaire et devant être hébergé en urgence et qu’il n’a pas obtenu d’hébergement tenant compte de ses besoins et capacités. Cette injonction peut être assortie d’une astreinte dont le montant est déterminé en fonction du coût moyen de l’hébergement considéré comme adapté aux besoins du demandeur par la commission de médiation. Cette astreinte n’est pas versée au demandeur mais au fonds d’aménagement urbain, destiné à financer le logement social.

B. LE CONTENTIEUX TRAITÉ PAR LES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES

1. Un contentieux qui connaît une progression rapide dans toutes ses composantes

Le contentieux du droit au logement opposable a connu une montée en charge rapide et continue de progresser. En 2011, le contentieux du droit au logement opposable a progressé de 12,8 % devant les tribunaux administratifs, soit trois fois plus rapidement que la progression générale du contentieux devant ces juridictions (les tribunaux administratifs ont enregistré 182 916 affaires nouvelles en données nettes soit une augmentation, par rapport à 2010, de 4,3 %).

MONTÉE EN CHARGE DU CONTENTIEUX DU LOGEMENT OPPOSABLE DEVANT LES TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS

Période concernée

Nombre de requêtes enregistrées
(hors demandes de liquidation)

Évolution sur un an

1er décembre 2008 –31 décembre 2009

5 228

 

2010

7 479

+ 43 %

2011

8 458

+ 13 %

Total

21 165

 

Source : Conseil d’État

Le contentieux du logement opposable devant les juridictions administratives ne se limite pas à la procédure mise en place par l’article L. 441-2-3 du code de la construction et de lhabitation issu de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007. D’une part, en amont de ce contentieux spécifique, les décisions des commissions de médiation sont susceptibles de faire grief et peuvent donc faire l’objet d’un recours de droit commun devant le tribunal administratif. Ce recours est dirigé contre les décisions de refus de reconnaître le caractère prioritaire et urgent de la demande ou contre les décisions réorientant une demande de logement vers une demande d’hébergement. Il doit être exercé dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de la commission et peut être assorti d’un référé ;

D’autre part, en aval de la procédure spécifique, le demandeur déclaré prioritaire et qui n’a pas obtenu satisfaction peut engager un recours en responsabilité contre l’État dans le cadre d’une action indemnitaire. L’indemnité éventuellement accordée est directement touchée par le requérant.

L’ensemble de ces voies de recours a induit une activité contentieuse abondante ; pour 2012, le chiffre de 9 000 requêtes pourrait être dépassé, ce qui représente l’activité annuelle d’un grand tribunal administratif.

Parmi les différentes catégories de recours, le contentieux dit spécifique a progressé de 61 % en trois ans, passant d’environ 3 600 recours en 2009 à 5 630 recours en 2011. Sur les neuf premiers mois de l’année 2012, 4 217 recours ont été enregistrés. À ces recours fondés sur l’article L. 441–2–3 du code de la construction et de l’habitation s’ajoutent les demandes de liquidation présentées par les requérants au profit desquels une injonction assortie d’astreinte a été décidée : au nombre de 3 073 en 2010, puis 4 204 en 2011 et 3 635 sur les trois premiers trimestres de 2012, elles représentent une charge de travail importante pour les greffes, les dossiers n’étant clos que lorsque l’État a honoré son obligation de fourniture d’un logement.

Le nombre de recours contre les décisions défavorables des commissions départementales a connu une évolution similaire, avec une croissance de 60 % en trois ans, passant d’environ 1 500 recours en 2009 à 2 550 recours en 2011 et 2 113 sur les neuf premiers mois de 2012.

Le contentieux indemnitaire, nettement moins développé, affiche néanmoins une progression constante : quasiment inexistant au cours des deux premières années, il s’est traduit par 258 recours en 2011, après 123 demandes en 2010. Cette tendance inflationniste se confirme de janvier à septembre de l’année en cours avec déjà 394 recours enregistrés.

2. Un contentieux concentré géographiquement

La concentration géographique des recours juridictionnels semble recouper celle des recours amiables, les condamnations intervenant le plus souvent dans les territoires qui connaissent les plus grandes difficultés de relogement : Île-de-France et, dans une moindre mesure, façade méditerranéenne et Nord de la France.

Depuis 2008, le territoire francilien concentre à lui seul 85 % du total des recours. Le tribunal administratif de Paris enregistre 44 % de ces affaires (soit 9 368) ; le tribunal administratif de Cergy–Pontoise 14 % ; le tribunal administratif de Melun 11 %, celui de Montreuil 10 % et celui de Versailles 6 %.

Hormis les tribunaux administratifs de Marseille, Nice, Montpellier, Toulon, Lille et Amiens, tous les autres tribunaux administratifs hexagonaux ont enregistré moins de deux cents affaires ; en outre-mer, le contentieux est relativement important à Cayenne (près de trois cents affaires enregistrées entre fin 2008 et fin 2011).

Si le contentieux du droit au logement opposable demeure encore marginal tant en appel qu’en cassation, il représente une charge de travail importante pour les juridictions de première instance : 15 % des affaires enregistrées à Paris et près de 5 % en moyenne au niveau national (hors liquidation). La charge est particulièrement lourde pour les greffes qui doivent faire face à de multiples mesures d’instruction (notamment les demandes de régularisation) mais aussi, tout au long de la procédure, à de nombreuses sollicitations de la part des requérants eux-mêmes.

Les représentantes des deux syndicats des juridictions administratives entendues par votre rapporteur pour avis ont, l’une et l’autre, souligné le caractère inédit de la tâche confiée au juge administratif dans le cadre de ce contentieux : le juge n’est pas appelé à trancher un litige, mais se borne à constater l’existence d’une obligation de l’État envers un justiciable. Elles ont fait part du sentiment d’impuissance des magistrats qui ne peuvent dans cette procédure que constater la pénurie de logements.

Il est très délicat pour un magistrat d’expliquer le fonctionnement du dispositif DALO à des requérants maîtrisant parfois assez mal notre langue : l’État qui ne répond pas à leur demande légitime de logement est certes condamné au versement d’une astreinte, mais celle–ci est destinée à abonder un fonds et non à indemniser leur préjudice. La perception qu’ils en retirent de la justice est désastreuse puisque la procédure aboutit à un déni du droit, paradoxe ultime pour un droit censément « opposable ».

Votre rapporteur pour avis estime que le dispositif de la loi DALO devra être revu : procédant d’une logique curieuse, ses rédacteurs ont estimé que d’une obligation juridique pesant sur l’État pourrait découler un accroissement des capacités de production de logement. Si cette loi a sans doute accentué la pression pesant sur les collectivités publiques, elle n’a pu à elle seule résoudre les difficultés et porte en elle le risque du développement du contentieux indemnitaire, grevant un peu plus encore des finances publiques dont l’état ne le permet pas. Mieux vaudrait allouer ces crédits à la construction de logements.

II. JUSTICE JUDICIAIRE : LA SITUATION CRITIQUE DES JURIDICTIONS D’INSTANCE

A. LE QUADRUPLE DÉFI AUQUEL SONT CONFRONTÉS LES TRIBUNAUX D’INSTANCE

De multiples réformes décidées au cours des années récentes ont eu ou auront pour effet d’alourdir la charge de travail des magistrats comme des greffes d’instance, qu’il s’agisse de la réforme de la carte judiciaire, qui a induit d’importants retards dans le traitement des contentieux, du transfert de certains contentieux (surendettement, contentieux civil en deçà de 4 000 euros) ou de la réforme de la protection juridique des majeurs.

1. La réduction d’un tiers du nombre de tribunaux d’instance depuis la réforme de la carte judiciaire

La réforme de la carte judiciaire, opérée par le précédent gouvernement au travers des deux décrets du 15 février 2008 (13) et achevée au 1er janvier 2011, a entraîné la suppression de 178 tribunaux d’instance (et la création de sept nouveaux tribunaux), soit une réduction d’un tiers du nombre total des tribunaux d’instance.

À la veille de la réforme, la carte judiciaire française comptait 476 tribunaux d’instance ; leur répartition sur le territoire ne correspondait plus aux réalités démographiques, économiques et sociales ; l’écart démographique entre le ressort du plus petit tribunal d’instance (Barcelonnette) et du plus grand (Bordeaux) était de 1 à 69 ; sur les 476 tribunaux, huit n’avaient pas de juge d’instance, 169 autres n’en avaient qu’un à temps partiel, celui–ci partageant son service entre l’instance et le tribunal de grande instance.

Si cette situation n’était pas satisfaisante, la méthode retenue pour y remédier a été plus que curieuse : comme le relèvent nos collègues sénateurs Nicole Borvo Cohen–Seat et Yves Détraigne dans leur rapport d’information sur la réforme de la carte judiciaire (14), la refonte de la répartition des implantations a précédé une réflexion sur la répartition des contentieux, alors que l’inverse eut été plus judicieux. Le critère lié à un niveau minimal d’activité a largement prévalu sur les autres liés aux territoires et à leur aménagement, ce qui a favorisé la concentration au détriment de la proximité, alors même que les contentieux de l’instance – qu’il s’agisse des tutelles ou du surendettement – touchent des publics particulièrement fragiles.

Quel a été l’impact de la refonte de la carte judiciaire sur le fonctionnement de la justice d’instance ?

Comme le reconnaît le projet annuel de performance 2013, « les tribunaux d’instance récupérant l’activité de deux qui ont fermé ont eu à subir une période d’adaptation et de réorganisation qui a objectivement grevé l’efficience des personnels ». La transition a été complexe dans les juridictions absorbantes et il s’en est suivi une grande désorganisation des services : transfert physique des archives, opérations informatiques complexes et fastidieuses pour les greffes pour transmettre les procédures en cours de la juridiction supprimée vers la juridiction de rattachement dont l’application informatique était différente ; effort important pour apurer les contentieux en cours dans les juridictions appelées à fermer, comme l’a d’ailleurs noté le rapport sénatorial précité : « dans la plupart des cas, grâce aux efforts fournis, c’est une juridiction assainie qui a été absorbée par la juridiction d’accueil. Mais parfois, la juridiction d’accueil a été en butte à de réelles difficultés pour absorber une juridiction supprimée déjà largement dépeuplée, ce qui a dégradé ses performances » (15).

La réforme s’est soldée, en outre, par une réduction globale des effectifs de magistrats comme de fonctionnaires affectés à l’instance, les juridictions absorbantes ne retrouvant pas les effectifs d’origine des juridictions supprimées. Selon les chiffres du rapport sénatorial précité, les tribunaux d’instance ont été les plus lourdement touchés par les réductions d’effectifs perdant en moyenne 7,3 % de postes de magistrats et 9,1 % de postes de fonctionnaires. Au terme de la réforme de la carte judiciaire, on comptait ainsi 42 magistrats et 253 fonctionnaires de moins dans l’ensemble des tribunaux d’instance.

La rationalisation des moyens était censée favoriser une plus grande spécialisation des magistrats dans certains contentieux ; cette logique a pu se révéler efficace dans certains tribunaux. Ainsi, le tribunal de Lens, qui a absorbé ceux de Carvin et Liévin, a spécialisé deux juges d’instance pour le contentieux des tutelles, permettant une unification des méthodes dans le traitement du contentieux. La situation est tout autre à Bordeaux, où le tribunal, déjà soumis à une activité importante  – il avait même le plus fort taux d’activité de France – a absorbé trois des quatre tribunaux d’instance supprimés du département de la Gironde, augmentant encore sa charge de plus de 10 %, sans transfert correspondant des personnels de greffe, ce qui a dégradé sa capacité à diminuer le stock des dossiers en attente.

À ce bouleversement organisationnel se sont en outre ajoutés des transferts et alourdissements de contentieux.

2. Le réexamen systématique des dossiers de tutelle en application de la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs

La loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, entrée en vigueur le 1er janvier 2009, a rénové le droit de la protection des majeurs vulnérables qui était devenu inadapté à l’augmentation du nombre des personnes concernées, notamment en raison de l’allongement de la durée de la vie ; cette loi impose notamment au magistrat qui décide d’une mesure de protection d’un majeur d’en fixer la durée, celle-ci ne pouvant excéder cinq ans. Cette disposition s’appliquant aux mesures prononcées avant l’entrée en vigueur de la loi, les juges d’instance doivent réexaminer, dans un délai de cinq ans, la totalité des mesures de protection qu’ils ont prononcées préalablement, pour en fixer un nouveau terme et, le cas échéant, les aménager en fonction des nouvelles règles applicables.

Dispositifs judiciaires de protection des majeurs : quelques définitions

—  Tutelle et curatelle :

« Toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique (…) » (article 425 du code civil).

« La personne, qui sans être hors d’état d’agir elle-même, a besoin (…) d’être assistée ou contrôlée d’une manière continue dans les actes importants de la vie civile peut être placée en curatelle. La curatelle n’est prononcée que s’il est établi que la sauvegarde de justice ne peut assurer une protection suffisante. La personne qui (…) doit être représentée d’une manière continue dans les actes de la vie civile, peut être placée en tutelle. La tutelle n’est prononcée que s’il est établi que ni la sauvegarde de justice, ni la curatelle ne peuvent assurer une protection suffisante » (article 440 du code civil).

—  Mandat de protection future :

« Toute personne majeure ou mineure émancipée ne faisant pas l’objet d’une mesure de tutelle peut charger une ou plusieurs personnes, par un même mandat, de la représenter pour le cas où, pour l’une des causes prévues à l’article 425 [du code civil] elle ne pourrait plus pourvoir seule à ses intérêts (…) » (article 477 du code civil).

—  Mesure d’accompagnement judiciaire :

« Lorsque les mesures mises en œuvre en application des articles L. 271-1 à L. 271-5 du code de l’action sociale et des familles au profit d’une personne majeure n’ont pas permis une gestion satisfaisante par celle-ci de ses prestations sociales et que sa santé ou sa sécurité en est compromise, le juge des tutelles peut ordonner une mesure d’accompagnement judiciaire destinée à rétablir l’autonomie de l’intéressé dans la gestion de ses ressources (…) » (article 495 du code civil).

Cette révision des mesures de tutelle et de curatelle aurait dû être achevée au plus tard le 7 mars 2012. Toutefois, l’ampleur de la tâche pour les juridictions a conduit le législateur à reporter – par la loi n° 2009–526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures – la date limite au 1er janvier 2014, permettant ainsi un étalement dans le temps de la charge de travail, tant pour les magistrats que pour les fonctionnaires.

Il est ainsi fait obligation aux tribunaux d’instance d’avoir, d’ici un an, achevé la révision des 731 671 mesures de protection qui étaient en cours dans les cabinets des juges des tutelles au 1er janvier 2009.

La révision d’un dossier consiste a minima, comme l’a indiqué Mme Émilie Pecqueur, présidente de l’Association nationale des juges d’instance, à entendre la personne protégée (ce qui peut exiger du juge qu’il se déplace dans une maison de retraite ou un hôpital psychiatrique possiblement assez éloigné du siège du tribunal) et à entendre la personne chargée de la mesure de protection. Il revient en outre au greffier en chef de procéder à la vérification des comptes de tutelle, ainsi qu’au contrôle des émoluments des mandataires judiciaires à la protection des majeurs.

Le nombre des dossiers de protection juridique des majeurs a tendance à s’accroître : si, en 2009, le nombre de demandes d’ouverture de mesures de protection avait diminué de près de 20 %, ce nombre est reparti à la hausse depuis 2010 (+ 9,5 % en 2011). En 2011, plus de 764 000 mesures de protection étaient en cours.

Aux dossiers de protection des majeurs s’ajoutent en outre les dossiers de tutelles des mineurs : en effet, si la loi n° 2009–526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures a en théorie transféré au 1er janvier 2010 la compétence des dossiers de tutelle des mineurs des juges d’instance vers les juges aux affaires familiales, deux circulaires du 4 août 2009 et du 22 juin 2010 ont invité les présidents de tribunaux de grande instance à maintenir, par délégation, la compétence des tribunaux d’instance et de leur greffe.

3. Le transfert de la compétence en matière de surendettement au 1er janvier 2012

Le transfert, au 1er septembre 2012, vers les tribunaux d’instance du contentieux du surendettement – traité depuis 1995 par les juges de l’exécution au tribunal de grande instance – a été prévu par la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010 relative à l’exécution des décisions de justice, aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires, ainsi que par le décret d’application du 23 août 2011 relatif à la spécialisation de certains tribunaux d’instance (16). Ce transfert a induit une nouvelle charge de travail pour les tribunaux d’instance qui n’exerçaient pas déjà cette compétence par délégation du tribunal de grande instance, soit environ un tiers d’entre eux. Selon Mme Émilie Pecqueur, présidente de l’Association nationale des juges d’instance, les effets de la déjudiciarisation d’une partie de la procédure, qui devait permettre une réduction de la charge de ce contentieux, ont été compensés par une augmentation du nombre de dossiers déposés et une augmentation du nombre de recours formés contre les décisions de la commission de surendettement des particuliers.

Mme Nathalie Barthelemy, secrétaire de l’Association des greffiers en chef des tribunaux d’instance et de police, a souligné auprès de votre rapporteur pour avis la difficulté particulière dans laquelle sont placés les tribunaux d’instance devenus pôles en matière de surendettement pour l’ensemble d’un département ; ce fut le cas notamment du tribunal d’instance de Villejuif, qui doit désormais traiter quelque 3 000 dossiers chaque année, sans moyens humains supplémentaires. À Bobigny de la même manière, le transfert du contentieux s’est effectué sans transferts correspondants des effectifs ; les dossiers de surendettement arrivent de la Banque de France par caisses entières, sans que magistrats et fonctionnaires, pourtant particulièrement impliqués, ne parviennent à réduire le stock d’affaires en attente, comme l’a déploré lors de son audition M. Bernard Kajjaj, juge directeur du tribunal.

Votre rapporteur pour avis est d’autant plus inquiet de cette situation qu’en matière de surendettement, peut–être plus que dans d’autres contentieux, l’allongement des délais de jugements peut avoir des conséquences dramatiques pour le justiciable. Ainsi, le délai d’un an de suspension des voies d’exécution est souvent dépassé lorsque le juge prend une décision sur le recours, alors même que ce délai avait justement été prévu pour éviter que ne s’aggrave la situation d’endettement des débiteurs.

4. Le transfert du « petit contentieux civil » du fait de la suppression des juridictions de proximité, prévu au 1er janvier 2013

La suppression des juridictions de proximité figure dans la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles, reprenant une des recommandations du rapport de la commission présidée par le recteur Serge Guinchard du 30 juin 2008 (17) : la commission avait, notamment, préconisé de simplifier l’organisation judiciaire de première instance en intégrant les juridictions de proximité dans les tribunaux d’instance, tout en rattachant les juges de proximité aux tribunaux de grande instance. Dans son rapport, la commission estimait que : « la répartition de principe des compétences civiles entre le tribunal de grande instance, le tribunal d’instance et, depuis peu, le juge de proximité, fondée sur les critères de la collégialité ou du juge unique, ainsi que sur la nature des contentieux et la représentation obligatoire ou non par avocat, a perdu de sa pertinence », la commission d’ajouter que « le pointillisme, pour ne pas dire l’impressionnisme, des compétences a remplacé le bel ordonnancement des initiateurs de la réforme de 1958 ».

Les juridictions de proximité avaient été créées par la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice. Nouvel ordre de juridiction, elles ont permis d’intégrer certaines personnes issues de la société civile – nécessairement juristes – dans le fonctionnement de la justice du quotidien. Elles ont cependant également rendu l’organisation judiciaire plus confuse et moins lisible, comme l’a estimé la commission sur la répartition des contentieux, constatant que « l’institution d’un nouvel ordre de juridiction a considérablement compliqué l’organisation judiciaire en matière civile et conduit à des situations que plusieurs auteurs ont pu qualifier d’ubuesques ou de kafkaïennes, notamment lorsqu’en l’absence de juge de proximité les fonctions de ce dernier sont exercées par le juge d’instance ». En effet, en cas d’absence ou d’empêchement d’un juge de proximité, ou quand le nombre de juges de proximité se révèle insuffisant, les fonctions de ce juge sont exercées par un juge du tribunal d’instance, désigné à cette fin par ordonnance du président du tribunal de grande instance. En outre, le juge d’instance exerce de plein droit les fonctions de juge de proximité lorsqu’aucun juge de proximité n’est affecté au sein de la juridiction de proximité.

La suppression des juridictions de proximité a pour conséquence de transférer vers les tribunaux d’instance la compétence pour connaître des actions personnelles ou mobilières d’une valeur maximale de 4 000 euros, ainsi que les demandes indéterminées ayant pour origine l’exécution d’une obligation dont le montant n’excède pas 4 000 euros ; dès lors, en application du nouvel article L. 223-1 du code de l’organisation judiciaire « le tribunal d’instance connaît, de manière exclusive, en matière civile et commerciale, de toute action patrimoniale jusqu’à la valeur de 10 000 euros. Il connaît aussi, dans les mêmes conditions, des demandes indéterminées qui ont pour origine l’exécution d’une obligation dont le montant n’excède pas 10 000 euros. »

Les juges de proximité conserveront en revanche une compétence pour statuer sur requête en injonction de payer, sauf sur opposition (la loi a ainsi étendu leurs compétences en la matière, jusqu’ici réservées aux injonctions de payer impliquant des montants inférieurs à 4 000 euros).

Ce transfert devrait être opéré en deux temps : au 1er janvier 2013, la juridiction d’instance devient compétente pour toutes les affaires nouvelles, le transfert du stock des affaires restant en cours étant prévu au 1er août 2013.

ACTIVITÉ CIVILE DES JURIDICTIONS DE PROXIMITÉ

 

2008

2009

2010

2011

Données provisoires

Affaires au fond

 

Affaires nouvelles

109 624

104 335

102 908

89 762

Affaires terminées

108 555

105 350

99 291

94 880

Durée moyenne (en mois)

5

5

5

6

Actes de greffes

 

Injonctions de payer

231 165

222 453

218 929

217 050

Tentatives préalables de conciliation

750

553

475

811

Source : ministère de la Justice – exploitation statistique du répertoire général civil

La suppression des compétences des juges de proximité en matière de contentieux civil va entraîner le transfert de l’ordre de 90 000 à 100 000 affaires civiles nouvelles chaque année vers les tribunaux d’instance. Or les effectifs de ces tribunaux ne sont pas adaptés à cette nouvelle charge. Selon les estimations de la présidente de l’Association nationale des juges d’instance, l’effectif nécessaire pour absorber la totalité du contentieux est évalué à 109 ETPT de magistrats, chiffre devant être légèrement minoré compte tenu du fait que certains tribunaux d’instance exercent déjà tout ou partie du contentieux dévolu à la juridiction de proximité. Une étude d’impact réalisée par les services de la Chancellerie évalue, quant à elle, la charge supplémentaire des juges d’instance entre 47 et 59 ETPT.

En tout état de cause, des créations de postes seront nécessaires, ne serait-ce que pour compenser la suppression de la juridiction de proximité, d’autant plus que des contentieux d’instance connaissent par ailleurs une forte progression.

Lors de son audition par votre Commission sur les crédits de la Justice pour 2013, la garde des Sceaux a annoncé que la fermeture des juridictions de proximité devrait être différée afin de permettre aux tribunaux d’instance de mieux anticiper la charge de travail supplémentaire induite pour eux.

B. DES JURIDICTIONS D’INSTANCE AU BORD DE L’ASPHYXIE

Pour M. Bernard Kajjaj, juge directeur du tribunal d’instance de Bobigny, l’instance est « une juridiction en voie d’être sinistrée ». On ne lui accorde en effet que des moyens humains insuffisants pour faire face à la misère sociale qui s’exprime dans le contentieux soumis aux juges d’instance (contentieux de l’expulsion, contentieux du crédit à la consommation, saisies sur rémunération, tutelles). Votre rapporteur pour avis veut voir des raisons d’espérer dans le présent budget, qui prévoit la création de cinquante postes de juges d’instance, soit une augmentation de 5,8 %, même s’il a pleinement conscience que cette évolution demeure insuffisante.

1. L’allongement des délais moyens de traitement des procédures

Le contentieux soumis aux juges d’instance est un « contentieux de la précarité » pour reprendre les termes employés par Mme Borvo Cohen–Seat et M. Yves Détraigne dans leur rapport d’information précité. Alors qu’il impose une réponse rapide, les délais moyens de traitement des procédures connaissent un accroissement depuis 2010.

Le délai moyen de traitement des procédures devant le juge d’instance était en 2010 de 5,3 mois entre la date de saisine et la date de la décision dessaisissant la juridiction ; il est passé à 5,8 mois en 2011;  le nombre de tribunaux d’instance ayant un délai de traitement supérieur à sept mois est passé en un an de 9 % (soit vingt–sept tribunaux) à 13 % (soit quarante tribunaux).

Mme Émilie Pecqueur, présidente de l’Association nationale des juges d’instance a indiqué lors de son audition que certains juges d’instance accusaient encore un retard de plus de deux ans dans le traitement des dossiers de surendettement, ce qui est très préjudiciable aux justiciables et accroît encore davantage la charge de travail par la multiplication des modifications de situations intervenues entre-temps qui remettent en cause les plans proposés par la commission de traitement du surendettement des particuliers.

Pour le Syndicat de la magistrature, il faut y voir la conséquence de la réforme de la carte judiciaire qui a entraîné une « dégradation globale du service public de la justice civile ».

2. Les délais de révision des mesures de protection des majeurs ne seront pas tenus

En matière de mesures de protection, l’embolie est proche ; l’État ne s’est pas donné les moyens d’une ambition pourtant très louable dans son principe. Fin 2010, seulement 143 662 mesures avaient été révisées, soit environ 20 % du stock à réviser.

Selon les éléments d’information transmis à votre rapporteur pour avis, dans la plupart des tribunaux d’instance, moins de 50 % des mesures de protection ont été révisées ; les tribunaux les plus en difficultés ont à ce jour révisé moins de 6% des affaires en stock ; quelques tribunaux seulement seront à jour des révisions dans le délai légal, au détriment d’autres services qui accusent un retard très important (surendettement notamment).

Ces éléments rejoignent le constat fait par la Cour des comptes qui, dans une communication à la commission des Finances du Sénat sur la réforme de la protection juridique des majeurs en novembre 2011 estimait que seule la moitié des mesures de protection de majeurs avaient pu donner lieu à révision au bout de trois ans d’application de la loi et qu’un nouveau report du délai devait être envisagé.

Il n’est pas concevable de laisser des milliers de mesures devenir caduques, au détriment des personnes protégées, sans compter le risque de mise en cause de la responsabilité de l’État pour le dysfonctionnement du service de la justice.

C. DES PROPOSITIONS POUR AMÉLIORER CETTE SITUATION

1. Envisager le report du délai de révision des mesures de protection

Le problème majeur qui doit être traité en priorité est celui de la révision des mesures : la conséquence immédiate du non–respect de la révision étant la caducité de la mesure, nombre de majeurs protégés pourraient du jour au lendemain perdre le bénéfice de leur protection, ce qui entraînerait un risque élevé de mise en cause de la responsabilité de l’État. Il pourrait donc être envisagé de repousser à nouveau la date limite fixée pour la révision des mesures. La date pourrait être déterminée en fonction de l’évaluation de l’avancement des mesures de renouvellement.

Pour autant, un nouvel allongement du délai de révision ne permettrait pas de résoudre pleinement les difficultés actuelles, dans la mesure où au stock vont s’ajouter, par un effet « boule de neige », les mesures ouvertes depuis 2009 qu’il faudra également réviser. C’est pourquoi il faut sans doute aussi réfléchir à la possibilité d’ouvrir des mesures pour une durée supérieure à cinq ans : il apparaît que dans le cas de jeunes majeurs gravement handicapés, de naissance ou à la suite d’un accident, l’obligation de renouveler la mesure est souvent très mal vécue par les familles et n’apporte pas de réelle plus–value. La Cour des comptes, dans sa communication précitée, préconisait d’ailleurs de « mesurer les inconvénients qui résultent de la limitation systématique à cinq ans de la durée des mesures, en particulier pour les personnes souffrant d’une altération de leur capacité mentale, non susceptible de connaître une amélioration ».

2. Réfléchir aux moyens d’alléger la tâche des magistrats et des greffes

Votre rapporteur pour avis estime qu’une réflexion pourrait être engagée permettant d’alléger la tâche incombant aux magistrats et aux greffiers en chefs en matière de contrôle des comptes de tutelles.

Il pourrait notamment être envisagé de soutenir financièrement les services d’aide aux curateurs et tuteurs familiaux. Dans bien des cas en effet, la solution familiale apparaît la meilleure en matière de protection des majeurs ; la loi du 5 mars 2007 en réaffirme d’ailleurs la prééminence. On assiste pourtant au déclin de la prise en charge par des tuteurs familiaux, certaines familles hésitant devant l’ampleur de la tâche, effrayées notamment par l’obligation de tenir des comptes de gestion. Ces familles pourraient être aidées, notamment pour la tenue de ces comptes, par des services dédiés, dont l’intervention faciliterait en outre le contrôle exercé a posteriori par les greffes et les magistrats d’instance.

Par ailleurs, il apparaît que les juges des tutelles n’ont pas toujours connaissance de l’existence d’un mandat de protection future, acte par lequel la personne, jouissant alors de la totalité de ses capacités intellectuelles, a désigné un mandataire et les limites des pouvoirs de ce dernier. Sans doute faudrait–il étudier la question de la mise en place d’un fichier centralisé des mandats de protection future, auxquels les juges de tutelles pourraient avoir accès.

3. Aller vers une meilleure gestion des personnels affectés à l’instance

Votre rapporteur pour avis a été sensible aux remarques qui lui ont été faites relativement à la gestion des personnels affectés à l’instance et croit nécessaire de compenser l’afflux important de contentieux par le comblement des vacances de postes et une stabilisation des effectifs affectés à l’instance.

Le tribunal d’instance de Nogent–sur–Marne, visité par votre rapporteur pour avis, a un effectif théorique de quatre magistrats et quatorze fonctionnaires ; sur ces effectifs sont aujourd’hui pourvus les quatre postes de magistrats (même si pendant de longs mois, du fait d’un congé maternité non remplacé et d’un poste non pourvu, l’effectif réel n’a été que de deux magistrats), mais il manque cinq fonctionnaires (trois postes n’étant pas pourvus et deux congés de longue maladie n’étant pas remplacés). Mme Patricia Vandenbroucke, greffière en chef du tribunal, a souligné la difficulté à gérer une aussi petite équipe, tâche pour laquelle elle ne bénéficie d’aucune marge de manœuvre. Le cas de ce tribunal d’instance n’est pas isolé ; le sous-effectif chronique de ces juridictions pèse sur des personnels qui, ne voyant aucune amélioration se profiler, risquent se décourager, d’autant que le contentieux, lui, ne cesse de croître.

Les contentieux traités par l’instance nécessitent une bonne connaissance du territoire et de la population du ressort ; dans le contentieux des tutelles, il est important pour le juge de bien connaître les tuteurs professionnels (associations tutélaires et gérants privés) et les établissements à même de répondre aux besoins spécifiques des personnes placées sous protection (par exemple, et ce n’est nullement anecdotique, de savoir dans quelle maison de retraite les animaux de compagnie sont acceptés).

S’agissant des magistrats, il est nécessaire d’obtenir des chefs de juridiction l’engagement à une diminution de la demande de participation des juges affectés à l’instance au service général des tribunaux de grande instance, d’autant que les juges de proximité exerceront désormais la majeure partie de leurs fonctions comme assesseurs au tribunal de grande instance. Or l’Association nationale des juges d’instance souligne que les magistrats d’instance ont été régulièrement utilisés comme « variable d’ajustement » des besoins en personnel des tribunaux de grande instance, notamment pour faire face à l’augmentation du contentieux pénal.

Il convient en outre de veiller à rendre exceptionnelle la pratique consistant, par le jeu des délégations vers d’autres juridictions (tribunaux de grande instance ou conseils des prud’hommes), à mettre à mal la pérennité de l’autonomie des greffes d’instance ; il apparaît au contraire crucial de pérenniser les équipes affectées aux greffes d’instance, par le recours aux greffiers en chef placés si nécessaire.

Le recours massif par les chefs de juridictions à des vacataires employés pour de très courtes périodes – des contrats ne dépassant pas trois mois permettant d’éviter le paiement de certaines indemnités au moment de la rupture du contrat –trouve vite ses limites dans la mesure où les greffes des tribunaux d’instance assurent un suivi des mesures au long cours ; la multiplication des intervenants dans un même dossier désorganise le travail des magistrats et des greffiers ; elle oblige aussi les magistrats à corriger les erreurs matérielles se glissant dans certaines ordonnances et jugements rédigés par le greffe. Au total, cette solution apparaît contre–productive et coûteuse in fine, sans compter les problèmes liés à la confidentialité des dossiers confiés à des vacataires n’ayant pas prêté serment.

Mme Sonia Saingrain, présidente de l’Association des greffiers en chef des tribunaux d’instance et de police a souligné les différences de gestion existant entre les différentes cours d’appel ; lorsque priorité a été donnée au traitement des dossiers de tutelles et que le tribunal d’instance a bénéficié d’un emploi de greffier placé supplémentaire, le stock des affaires à réviser a pu décroître sensiblement, mais tel n’est pas le cas partout.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 18 octobre 2012, la Commission procède à l’audition de Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice, garde des Sceaux, sur les crédits de la mission « Justice », puis examine les crédits de cette mission.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Mes chers collègues, nous accueillons ce matin avec un grand plaisir Mme la garde des Sceaux, qui va nous présenter son budget pour 2013 dont nous sommes impatients de connaître la teneur. En effet, il y a déjà bien longtemps que, dans cette maison, nous sommes nombreux à nous plaindre à l’unisson du peu de crédits alloués à la Justice. Si j’en crois le Conseil de l’Europe, nous sommes la Cendrillon du continent puisque, sur les trente-huit pays pris en compte, la France se situe au dix-huitième rang. Quant à la dépense exprimée en proportion du PIB par habitant, notre pays est classé par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) au trente-septième rang sur quarante-trois États. C’est dire si le défi est immense pour améliorer l’efficacité de notre système !

Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice, garde des Sceaux. Merci d’être si nombreux ce matin. Le président Urvoas vient d’évoquer le classement européen établi par la CEPEJ, sans doute pour créer un peu d’ambiance !

S’agissant de la présentation de mon budget, j’ai bien conscience de ne pas m’adresser ce matin à une assemblée de comptables mais à une commission d’élus responsables, parfaitement rompus à ces questions et j’ai donc choisi de vous exposer mes priorités politiques et leur traduction budgétaire, tout en étant prête à répondre à toutes vos questions.

Le budget de la Justice est prioritaire, pluriannuel et politique. Il est prioritaire dans la mesure où il traduit l’engagement du président de la République de faire de l’Éducation nationale, de la Sécurité et de la Justice les trois priorités de son quinquennat. Cela se traduit pour la Justice par une progression des crédits de 4,3 % qui lui permet d’atteindre 7,7 milliards. Cet effort est à apprécier au regard de la stabilité du budget global de l’État.

La priorité donnée à la Justice s’exprime aussi dans l’effort en matière d’effectifs avec la création de 500 postes dès 2013. Il s’agit d’une augmentation appréciable, conforme à l’engagement du président de la République de créer un millier d’emplois par an au cours du quinquennat au profit des ministères de l’Intérieur et de la Justice. Réserver la moitié de ces postes à la Justice trace une orientation claire, particulièrement remarquable dans le contexte actuel de stabilisation des effectifs de la fonction publique – laquelle tranche déjà avec les nombreuses suppressions de postes découlant, au cours de la précédente législature, de la révision générale des politiques publiques.

En vue de renforcer nos capacités d’anticipation, le budget de la Justice se décline sur trois exercices. Cela procure une certaine souplesse, car les efforts accomplis la première année peuvent être modulés par la suite afin de satisfaire plusieurs engagements. La progression budgétaire pour les trois exercices à venir peut sembler relativement modérée – plus 4,3 % en 2013, plus 1,6 % en 2014 et plus 0,3 % en 2015 – mais elle restera toujours positive. Il est légitime que la Justice prenne sa part dans l’effort de redressement des finances publiques. S’agissant des emplois, l’effort sera par contre continu : 500 postes créés chaque année, soit 1 500 dans la période triennale de référence.

Ce budget est politique dans la mesure où il va servir des priorités clairement définies. J’ai du reste déjà eu l’occasion de les exposer en plusieurs circonstances : devant votre Commission au tout début de la législature, devant le groupe de travail sur les zones de sécurité prioritaires, lors de l’installation du comité d’organisation de la conférence de consensus – à laquelle plusieurs d’entre vous ont participé –, devant le Sénat à l’occasion d’un débat sur la carte judiciaire, devant les magistrats de la famille et devant l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation (INAVEM).

Conformément aux engagements du président de la République, la première priorité de la mission « Justice » pour 2013, c’est la jeunesse. L’année qui vient sera celle de la jeunesse, et des efforts tout particuliers seront accomplis en faveur de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Alors que la PJJ a perdu 600 postes au cours des cinq dernières années, nous allons en créer 205, d’éducateurs et de psychologues, afin de réduire à cinq jours, à compter de 2014, le délai de prise en charge suivant une décision judiciaire et ce, conformément à la loi. En partenariat avec l’Éducation nationale, ces éducateurs et psychologues seront aussi présents dans les classes relais au titre de la prévention. La rapidité de la réponse apportée vise à permettre au jeune de bien mesurer la portée de ses actes.

Je m’attacherai aussi à diversifier les solutions offertes aux juges : familles d’accueil, foyers « classiques » et centres éducatifs fermés (CEF). Quatre centres ont été créés en 2012 par la transformation d’anciens foyers. Il était prévu de faire évoluer dix-huit foyers en CEF, mais je n’ai pas souhaité donner suite à l’ensemble du projet car je considère que la création de tels centres ne doit pas se faire au détriment des autres solutions mises à la disposition des magistrats. En 2013, quatre autres CEF verront cependant le jour, dont trois par création pure et un – à Marseille – par la transformation d’un foyer.

Le moment venu, je vous rendrai compte des conclusions de la mission d’inspection des services judiciaires que j’ai diligentée au sujet des CEF. Sur les quarante-deux centres existants, trente-trois sont gérés par des associations habilitées. Le service associatif habilité est fragilisé depuis plusieurs années par une créance de 35 millions d’euros, que je vais alléger par l’injection de 10 millions dès 2013. Cela donnera du souffle à la trésorerie des associations, qui pourront ainsi mieux assurer les missions de service public qui leur sont confiées.

Compte tenu de la priorité donnée à la jeunesse, le budget de la PJJ va donc augmenter de 2,4 % alors que les autres crédits de fonctionnement enregistrent une baisse globale de 7 %.

Une autre priorité consiste à améliorer la justice civile, laquelle représente 70 % de l’action de la justice, même si la justice pénale fait infiniment plus de bruit. Nous avons d’ores et déjà travaillé à la redéfinition des périmètres de contentieux, en vue d’optimiser l’efficacité globale du système et de raccourcir les délais de réponse. La réforme de la carte judiciaire ayant entraîné la suppression de plus d’un tiers des tribunaux d’instance, des adaptations des modes de fonctionnement locaux sont souvent nécessaires.

Les crédits consacrés à l’informatisation doublent, ce qui va permettre de redéployer des postes, de rendre plus fluides certaines procédures et d’exempter les personnels de certaines tâches par trop fastidieuses.

La loi prévoyait la suppression des juridictions de proximité à compter de 2014 mais il ne me semble pas souhaitable de maintenir cette échéance. Compte tenu notamment de la réforme de la carte judiciaire, la surcharge de travail qui en découlerait pour les tribunaux d’instance serait difficilement supportable et les délais de réponse aux demandes des justiciables en pâtiraient. La mise en extinction des juridictions de proximité sera donc différée, de manière à permettre aux tribunaux d’instance de mieux anticiper l’augmentation de leur charge de travail.

La justice civile bénéficiera du recrutement de 142 magistrats, auxquels s’ajouteront les redéploiements rendus possibles par l’informatisation.

J’en viens aux frais de justice, essentiels dans la mesure où ce sont eux qui permettent aux magistrats d’accomplir leur mission, en recourant à des experts, à des tests ADN, à des psychiatres, etc. Tout ce qui est indispensable à la manifestation de la vérité doit pouvoir être financé et c’est pourquoi les frais de justice augmenteront de 15 %. Souvent alertés sur ce point dans vos circonscriptions, vous savez que les frais de justice représentent un énorme problème. Au cours des dernières semaines, j’ai dû obtenir des compléments budgétaires et des dégels de crédits pour éviter que certaines juridictions ne se retrouvent en cessation de paiement. C’est aussi à cause des frais de justice que le ministère a acquis sa réputation de très mauvais payeur et il est donc urgent de redorer son image. L’augmentation de 15 % correspond à 62 millions d’euros, ce qui fait passer l’enveloppe de 415 à 477 millions.

Conformément à la lettre de cadrage du Premier ministre, les frais de fonctionnement vont baisser de 7 %. Cette mauvaise nouvelle doit cependant être nuancée car, au cours des dernières années, les budgets de fonctionnement avaient été ponctionnés à hauteur de 15 millions d’euros pour couvrir les besoins de frais de justice et de 6 millions au titre de la réforme de la carte judiciaire. En 2013, nous n’aurons pas à prélever ces 21 millions et la baisse de 7 % sera donc compensée, d’autant que nous allons faire des efforts en matière de commande publique et d’organisation.

L’aide juridictionnelle progresse aussi, puisqu’elle passe de 232 à 271 millions d’euros, soit une augmentation de 16 %.

Parmi mes priorités figure la réflexion sur le sens de la peine, grâce notamment à l’installation du comité d’organisation de la conférence de consensus de prévention de la récidive. Au plan budgétaire, cela se traduira par 120 recrutements, dont 70 juges de l’application des peines (JAP), une dizaine de parquetiers et une quarantaine de greffiers. 63 recrutements sont également prévus dans les services d’insertion et de probation, dont le travail en amont est indispensable à celui des JAP.

Les placements extérieurs seront étendus, sous la forme notamment du placement sous surveillance électronique (PSE). L’objectif est de doubler le nombre de PSE au cours du quinquennat, de manière à passer de 8 000 à 16 000. On constate un certain tassement des travaux d’intérêt général (TIG) mais cela reste très variable d’une région à l’autre et j’entends bien remobiliser les collectivités territoriales à ce sujet. Enfin, nous créons 220 places dans les quartiers de semi-liberté.

Telles sont nos principales orientations en matière de prévention de la récidive et d’accompagnement des personnes détenues.

S’agissant de l’aide aux victimes, je vous ai indiqué tout à l’heure que l’aide juridictionnelle augmentait. Parallèlement, le nombre de bureaux d’aide aux victimes, présents dans une cinquantaine de tribunaux de grande instance, sera progressivement étendu à la totalité d’entre eux. Plusieurs parlementaires de tous les groupes, dont le président Urvoas et Mme Nieson, ont déjà travaillé sur des propositions de loi en faveur de l’aide aux victimes et je pense donc que nous aurons l’occasion d’y revenir.

Parallèlement au recrutement de nouveaux agents, des efforts sont nécessaires en matière de revalorisation salariale et d’amélioration du régime indemnitaire des personnels en place. Il convient de respecter la parole de l’État envers les magistrats puisque nous allons entrer dans la troisième et dernière année de revalorisation prévue par décret. Cet engagement sera tenu. S’agissant de l’administration pénitentiaire, les actions engagées seront poursuivies en 2013, cependant que la PJJ bénéficiera d’un effort beaucoup plus modeste.

Au-delà de 2013, j’entends remédier au fait que les personnels de catégorie C n’ont bénéficié d’aucune revalorisation depuis une dizaine d’années. Je n’ai malheureusement pas été en mesure de faire un effort dès cette année, hors le maintien du budget de l’aide sociale (à hauteur de 24 millions d’euros), dont les catégories les plus modestes sont les premières à bénéficier. En 2015, je me pencherai sur la situation des greffiers, en notant toutefois que s’ils n’ont pas bénéficié d’une forte revalorisation salariale au cours des dernières années, leurs conditions de travail ont été améliorées par des recrutements.

Le présent quinquennat sera un quinquennat de construction. S’agissant de l’immobilier judiciaire, une vingtaine de villes sera concernée : onze chantiers sont déjà plus ou moins engagés et il y aura neuf mises en construction. Trois partenariats publics-privés (PPP) étaient prévus, à Caen, Lille et Perpignan. Celui de Caen sera maintenu, car il correspond à une réelle urgence, celui de Perpignan sera reconsidéré au cours des dix-huit prochains mois – je renonce au PPP défavorable à l’État et je dispose des moyens budgétaires pour 2014-2015 – et celui de Lille – où se pose un problème de terrain – n’est pas assez mûr pour être traité en 2013.

Le budget de l’immobilier pénitentiaire augmente de 7,8 %. Les opérations de rénovation les plus emblématiques concerneront La Santé, les Baumettes et Fleury-Mérogis. Quant au budget d’entretien courant du patrimoine, il passe de 55 à 66 millions d’euros, soit une augmentation de 20 %.

La vétusté de certains établissements est criante et insupportable. Au titre d’un programme de substitution, plusieurs constructions vont permettre de remplacer des structures extrêmement vétustes par des constructions neuves. Parallèlement, seront poursuivis des programmes de restauration et de réorientation, en vue notamment de privilégier les modules à taille humaine. Les personnels ont appelé notre attention sur les difficultés particulières que pose la gestion des gros établissements, de 600 à 800 places, et je suis résolue à en tenir le plus grand compte.

Telles sont, brièvement présentées, les grandes orientations de notre politique et leur traduction budgétaire. Bien entendu, je me tiens à votre disposition pour répondre à toutes vos questions.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur pour avis pour les crédits de la « Justice administrative et judiciaire ». Au cours de la série d’auditions que j’ai conduites dans le cadre de la préparation de mon rapport, je n’ai pas rencontré un seul interlocuteur qui ne se réjouisse de la priorité donnée à la Justice. Dès lors, qu’il s’agisse de la conduite de votre politique ou de la traduction budgétaire des priorités que vous avez rappelées, vous pouvez, madame la ministre, compter sur le soutien de la majorité.

Au regard de la situation actuelle, je n’hésite pas à dire que nous sommes au bord du sinistre dans nombre de juridictions. Il y a, dans les personnels des greffes, chez les acteurs de la Justice, beaucoup d’attente pour essayer de réparer les choses et j’avoue que je ne mesurais pas l’ampleur de leur désarroi.

Sur la suggestion de notre président, j’ai concentré mon analyse sur un thème bien précis : la justice d’instance.

Permettez-moi d’aborder en premier lieu des questions générales.

Constatant la situation de quasi-cessation de paiement de certaines juridictions, vous faites progresser les frais de justice de 15 %. Avez-vous bien conscience que cela sera totalement insuffisant pour rétablir le processus normal de gestion annuelle de ces prestations ? Qu’est-il prévu pour les prochaines années ? Il semble que le contrôle de l’utilisation de ces fonds soit souvent défaillant et que les régies des tribunaux ne soient pas toujours en mesure de vérifier le bien-fondé de certaines dépenses. Comment peut-on peser davantage dans les négociations avec les grands opérateurs, notamment de télécommunications ?

La contribution de 35 euros est souvent perçue comme un moyen de réduire l’accès à la justice des familles modestes et certaines juridictions enregistrent une baisse de leurs saisines. Certains la considèrent aussi comme une absurdité dans la mesure où elle crée un report sur l’aide juridictionnelle, finalement plus coûteuse pour la collectivité.

Ma troisième question porte sur la collégialité de l’instruction, censée intervenir dès 2014. Nous confirmez-vous cette date ?

S’agissant du fonctionnement, je ne puis concevoir que l’on reste englué dans le « purisme de la mouise ». Pas de chauffage dans certaines juridictions ! Une qualité de papier tellement insuffisante qu’elle « fusille » les imprimantes et empêche la reprographie ! Il faut se battre sur ces différents fronts car l’on ne peut se résoudre à laisser les personnels supporter de telles conditions de travail.

Les personnels non magistrats nous font part d’une certaine amertume. Vous avez clairement indiqué que vous assumiez les engagements triennaux traduits par décret qui conduisent à une dernière année de revalorisation des indemnités des magistrats. Certains considèrent que cela est injuste et que l’on aurait dû faire un effort immédiat en faveur des catégories C, ainsi que des greffiers. Cela entretient l’idée que notre Justice donne toujours la priorité aux plus éminents de ses serviteurs, qui sont les magistrats. Or il y a aussi de très grands serviteurs parmi les greffiers et les assistants administratifs. Sans compter les vacataires recrutés pour trois mois, qui quittent les juridictions une fois achevée leur période de formation car l’on ne veut pas assumer les responsabilités liées à leur précarité.

Les crédits alloués à l’École nationale de la magistrature (ENM) diminuent de 5,2 % : sera-ce compatible avec le besoin de magistrats que nul ne conteste ?

Si, au départ, les juges d’instance ont été hostiles à l’arrivée des juges de proximité, ceux-ci ont acquis une véritable légitimité et les « faire remonter » dans les tribunaux de grande instance en tant qu’assesseurs des juridictions correctionnelles collégiales serait la pire des solutions.

La réforme de la carte judiciaire a créé des difficultés d’accès aux juges d’instance et d’organisation des effectifs. Un tsunami va déferler sur nos juridictions avec la question des majeurs protégés. À compter de janvier 2014, tous les dossiers en stock devront avoir fait l’objet d’une révision et cela semble totalement impossible. Comment allons-nous faire alors que la vague des mesures de protection des majeurs postérieures à la loi va également arriver ? Au tribunal de Nogent-sur-Marne, où je me suis rendu, les personnels concernés travaillent à flux tendus, sans parvenir à résorber le stock.

Le retour du contentieux du surendettement devant les juges d’instance pose également problème et plusieurs juridictions sont aujourd’hui complètement bloquées.

Il y a enfin un problème d’affectation des personnels d’instance, magistrats et greffiers. Le recours trop massif aux vacataires est catastrophique car il entraîne une déperdition des compétences et déstabilise les effectifs.

Madame la garde des Sceaux, vous avez du pain sur la planche et une œuvre colossale à mener à bien. Les choix pertinents opérés dans votre projet de budget traduisent une volonté politique. Ne décevons pas l’incroyable attente de ceux qui servent la justice au quotidien.

Mme la garde des Sceaux. Oui, monsieur le rapporteur, certaines juridictions sont en état de sinistre ; j’y ai été confrontée et j’en suis profondément contrariée. Je connais la situation et j’ai sollicité les chefs de cour pour qu’ils fassent remonter les besoins. La direction des services judiciaires n’a pas chômé au cours des dernières semaines et nous avons trouvé quelques solutions. Toutefois, nous ne règlerons pas tout en un seul exercice. Et je ne me contenterai pas de répondre aux besoins matériels, car j’ai aussi le souci d’améliorer l’ensemble de l’environnement de travail. Il est plus insupportable encore d’être confronté à des conditions de travail compliquées si le rôle du juge a été embrouillé ou si les effectifs sont insuffisants. Cela forme un ensemble et il est urgent de créer des conditions de travail plus acceptables pour nos personnels.

S’agissant des frais de justice, vous trouvez l’augmentation de 15 % insuffisante, mais permettez-moi de vous dire que cela n’est pas négligeable non plus. Quant à la question de la maîtrise des frais de justice, je ne sais pas si quelqu’un dans cette salle a une réponse. Doit-on affecter un budget en début d’exercice et considérer que, quoi qu’il arrive, il faut s’en tenir là ou faut-il tenir compte des circonstances particulières qui peuvent jouer sur la mission des magistrats ? Vous avez cependant raison de dire que certains progrès sont possibles, comme dans le domaine de la téléphonie et des télécommunications où nous engageons une renégociation avec les principaux opérateurs. Il existe un projet bien avancé de plateforme téléphonique auquel nous ne renonçons pas et l’effort sera continu.

Pour que puisse s’exercer un véritable contrôle des frais de justice, il faut aussi que l’État soit bon payeur. Sinon, les magistrats sont parfois conduits à commander les frais de justice dans des conditions qui ne sont pas optimales. Des affaires douloureuses rappellent d’ailleurs que les difficultés liées à la négociation des frais de justice ont parfois été à l’origine de graves erreurs judiciaires.

Vous avez rappelé les échéances fixées dans la loi au sujet de la collégialité de l’instruction. Il est prévu de recruter dix juges d’instruction, ce qui me semble correspondre aux besoins. En effet, au cours des dernières années, il y a eu bien plus d’enquêtes préliminaires maintenues au Parquet que d’informations judiciaires portées par les juges d’instruction. Il ne semble donc pas que nous soyons confrontés à une situation d’engorgement au stade de l’instruction.

Le président de la République et le Premier ministre ont rappelé que le juge d’instruction ne serait pas supprimé et qu’on allait lui donner les moyens de travailler et améliorer ses méthodes. L’échéance de la collégialité sera respectée, mais les magistrats eux-mêmes considèrent qu’elle doit être aménagée. Il semble que l’instauration d’une collégialité systématique sur tout dossier n’emporte la préférence de personne ; en revanche, la collégialité à certains moments de la procédure, sur certains types d’affaires, sur certains dossiers plutôt que sur chaque acte recueille un a priori plus favorable.

Comme vous, j’ai été taraudée par la réflexion sur la revalorisation du régime indemnitaire des magistrats et j’ai harcelé les membres de mon cabinet pendant trois nuits pour qu’ils échafaudent toutes sortes de simulation. Ayant reçu les organisations syndicales et présidé un comité technique ministériel, je trouve insupportable qu’il ne soit pas possible de faire un geste en faveur des catégories C. Malheureusement, je ne disposais que de 4 millions d’euros. Si l’engagement à l’endroit des magistrats n’avait été que verbal, j’aurais pris sur moi de les consulter pour leur demander s’ils acceptaient de renoncer à cette dernière tranche de revalorisation de 0,5 % pour me permettre de faire un effort pour les catégories C. Mais il se trouve qu’il y a un décret et que je me sens tenue par la parole de l’État.

S’agissant des échéances fixées dans la loi sur les tutelles, nous sommes parfaitement conscients du risque d’engorgement. Nous recherchons des solutions et des aménagements mais il s’agit à l’évidence d’un véritable casse-tête dont la résolution ne saurait être différée.

Enfin, en ce qui concerne le contentieux du surendettement, il est impératif d’améliorer les délais en résorbant les stocks, mais il y a aussi un volet qualitatif à prendre en compte car 83 % des dettes sont des dettes bancaires. Je sais que vont intervenir des réformes sur le crédit revolving mais il est urgent de desserrer l’étau qui étrangle certaines familles modestes.

M. Sébastien Huyghe, rapporteur pour avis pour les crédits de l’« Administration pénitentiaire ». Le premier budget d’une législature constitue un acte politique important puisqu’il permet au Gouvernement de donner une traduction budgétaire aux priorités qu’il affiche. À cette aune, le budget de la justice pour 2013 – tout particulièrement celui de l’administration pénitentiaire – apparaît comme extrêmement décevant car il y a entre les paroles et les actes budgétaires un écart immense. En effet, l’affirmation du caractère prétendument prioritaire du budget de la justice ne trouve aucune traduction budgétaire.

Le budget de l’administration pénitentiaire est, pour 2013, en hausse de 6 % pour les crédits de paiement, mais en baisse – ou plutôt, devrais-je dire, en chute libre ! – de 38,5 % pour les autorisations d’engagement. Le plafond d’autorisation d’emplois est en hausse de 189 ETPT, soit une progression de 0,5 %.

Ces chiffres démontrent s’il en était besoin que l’ambition du nouveau Gouvernement se limite à achever l’exécution du programme immobilier « 13 200 » lancé par la précédente majorité, en abandonnant l’essentiel du programme « Nouveau programme immobilier pénitentiaire » et l’intégralité du programme inscrit dans la loi du 27 mars 2012 de programmation pour l’exécution des peines. L’objectif est de porter la capacité d’accueil du parc pénitentiaire à 63 500 places en 2018, alors que 67 300 personnes sont aujourd’hui incarcérées, soit 4 000 de plus que le nombre de places prévues par le nouveau Gouvernement. On est donc bien loin de l’ambition que s’était donnée la précédente majorité d’adapter le parc pénitentiaire aux besoins réels du pays en matière d’exécution des peines, avec une capacité portée à 80 000 places.

La hausse des crédits de paiement et la légère augmentation du nombre d’emplois ne correspondent en réalité qu’aux crédits et aux emplois nécessaires pour l’armement des nouveaux établissements dont la construction a été lancée par la précédente majorité. Comment le Gouvernement justifie-t-il ce virage ? Il affiche sa volonté de réduire les incarcérations et de développer les aménagements de peine. Mais, à y regarder de près, ni la volonté de réduire le nombre d’incarcérations ni celle de développer les aménagements de peine ne se traduisent en actes concrets.

S’agissant de la volonté de réduire le nombre d’incarcérations, si la poursuite de cet objectif à tout prix – y compris celui de la sécurité de nos concitoyens – est en lui-même très discutable, la baisse du nombre de détenus que le Gouvernement appelle de ses vœux n’est rendue crédible par aucune évolution qu’il aurait engagée.

Mme la garde des Sceaux nous dira certainement qu’elle a, par sa circulaire de politique pénale, demandé aux magistrats du parquet de tenir « le plus grand compte » de la situation individuelle de chaque prévenu. Au passage, j’observe que cette demande paraît pour le moins surprenante par le message de défiance qu’elle adresse aux magistrats du parquet : Mme la garde des Sceaux doute-t-elle du fait que les magistrats tenaient déjà « le plus grand compte » de la situation de chaque prévenu ? Au-delà, il n’est pas inutile de rappeler que les juridictions sont souveraines dans leurs décisions et qu’elles ont toujours la possibilité d’écarter le prononcé de peines plancher. Lorsqu’une décision d’incarcération est prise, c’est donc que la juridiction estime n’avoir pas pu faire autrement, et je vois mal ce qui pourrait amener demain à une autre décision en l’absence de l’abrogation ou d’une modification de la loi sur les peines plancher.

Alors, Mme la garde des Sceaux nous dira sans doute aussi qu’elle réfléchit à la création d’une nouvelle peine de « probation ». Fort bien, mais beaucoup d’inconnues entourent la création de cette nouvelle modalité : quel sera son champ d’application ? Sera-t-elle applicable aux récidivistes ? Dans la pratique judiciaire, ne risque-t-elle pas de « mordre » sur la population qui bénéficie aujourd’hui d’un sursis avec mise à l’épreuve ou d’un TIG, plutôt que sur la catégorie de celle qui est incarcérée ? Enfin, quel sera le calendrier de discussion et de mise en œuvre ? Face à toutes ces interrogations, invoquer la possible création de nouvelles peines pour anticiper une baisse de la population carcérale à court terme semble pour le moins hasardeux.

Par ailleurs, le Gouvernement justifie la remise en cause des programmes immobiliers décidés par la précédente majorité par des critiques adressées aux modes de financement qui avaient été retenus – autorisations temporaires d’occupation-locations avec option d’achat (AOT-LOA) ou partenariats public-privé (PPP). Or il convient de rappeler que la Cour des comptes n’a pas mis en cause le principe même de ces modes de financement, pas davantage que la qualité des prestations des partenaires privés, mais qu’elle s’est contentée de formuler des observations tendant à mieux évaluer les coûts des différents modes de construction et de gestion. En effet, le soi-disant surcoût du PPP n’est absolument pas vérifié – ni du reste vérifiable – via les seules données dont dispose actuellement le ministère de la Justice, sachant que le coût des loyers inclut non seulement la construction et les services à la personne, mais aussi la maintenance des établissements pendant trente ans, maintenance que l’État a souvent eu du mal à assurer pour les établissements qu’il a construits en gestion publique, comme j’ai eu l’occasion de le vérifier au cours de mes visites de différents établissements.

Surtout, si le Gouvernement ne souhaite pas utiliser des modes de financement recourant au secteur privé, rien ne lui interdit de mener une politique immobilière de conception et de gestion publiques. Au vrai, votre critique des modes de financement est un prétexte pour justifier votre refus d’étendre la capacité d’accueil du parc pénitentiaire et ce, pour des raisons totalement dogmatiques.

Quant à la volonté du Gouvernement de développer les aménagements de peine, j’y suis naturellement favorable pour toutes les personnes pour lesquelles un tel aménagement semble possible, soit celles qui manifestent une réelle volonté de s’engager dans la voie de la réinsertion. Je rappelle qu’aucune autre majorité que celle ayant dirigé notre pays au cours des dix dernières années n’a fait autant pour développer les aménagements de peine, tant sur le plan des outils juridiques que sur celui des moyens. N’oublions pas que les effectifs des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) sont passés de 2 260 ETPT en 2002 à 4 080 ETPT en 2011, soit une augmentation de 80 %.

Dans la mesure où le Gouvernement délaisse le milieu fermé, je pensais qu’un réel effort serait fait en faveur du milieu ouvert, en cohérence avec l’objectif de développement des aménagements de peine. Las, quelles ne furent pas ma déception et mon inquiétude en découvrant que le Gouvernement ne prévoyait que 63 nouveaux ETPT pour l’insertion et la lutte contre la récidive !

Au final, le budget pour 2013 de l’administration pénitentiaire, c’est un milieu fermé abandonné et un milieu ouvert absolument pas renforcé, avec, au bout de la chaîne, la sécurité des Français, hélas sacrifiée.

J’en viens aux questions que je souhaite poser à Mme la ministre.

Madame la garde des Sceaux, dans le projet annuel de performances pour la mission « Justice », vous affirmez vouloir « centrer la politique pénitentiaire sur la réinsertion, en lançant un programme immobilier pénitentiaire de construction et de réhabilitation qui réponde aux situations de vétusté ». Pourtant, vous avez remis en cause 22 des 36 décisions de fermeture de prisons qui avaient été annoncées sous la précédente législature parallèlement à la création de nouveaux établissements. Ces 22 établissements que vous avez renoncé à fermer présentent un âge moyen de 146 ans et un taux d’occupation de 125 %. Croyez-vous répondre valablement aux situations de vétusté et de sur-occupation en maintenant en service des établissements surpeuplés datant du XIXe siècle ? Dans mon avis, figurera un tableau édifiant sur la situation de ces prisons.

Parmi les 36 établissements dont la précédente majorité avait considéré qu’ils ne pouvaient demeurer en service dans leur état actuel, tant pour des raisons de dignité des conditions de détention qu’au titre de la qualité de l’exécution des peines, figure la maison centrale de Poissy, que j’ai visitée pour préparer l’examen de ce budget. En remettant en cause la décision de fermeture, vous avez plongé les personnels dans une situation de doute extrêmement pénible à vivre. Certes, la fermeture décidée par la précédente majorité les aurait contraints à changer d’affectation, ce qui n’est pas forcément agréable mais ressortit aux contraintes inhérentes au statut d’agent public. Votre indécision est pire encore, puisqu’en maintenant ces personnels dans l’incertitude, vous les empêchez de se projeter dans l’avenir. Combien de temps comptez-vous encore repousser une décision de fermeture ou de réhabilitation, laquelle s’impose d’évidence ?

Dernière question, vous affirmez vouloir donner plus de moyens aux services d’insertion et de probation. Or, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, ce budget ne prévoit que 63 nouveaux ETPT au profit de l’insertion. Certes, il convient dans cette période de crise d’être mesuré dans la création d’emplois publics, mais cette augmentation très modérée contraste avec un autre secteur que votre Gouvernement présente également comme prioritaire, celui de l’éducation, où sont créés 11 000 postes d’enseignants. Si le nombre d’enseignants recrutés est démesurément élevé, celui des personnels d’insertion et de probation est ridiculement bas. Comment expliquez-vous un tel écart entre des missions présentées toutes deux comme prioritaires par le Gouvernement ?

Madame la ministre, j’attends de vraies réponses de votre part, pas de la démagogie ni des considérations politiciennes.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Chacun aura compris que Mme la ministre n’est adepte ni de la démagogie ni des réponses superficielles, comme elle l’a montré lors de précédentes auditions. Il me semble que la liberté de ton qu’on peut observer dans cette Commission tranche avec ce qui peut se passer ailleurs.

Mme la garde des Sceaux. Les procès que vous me faites, monsieur le rapporteur pour avis, manquent de crédibilité. Mais l’interpellation directe est une marque de courtoisie et de courage.

Selon vous, l’affirmation du caractère prioritaire de la justice ne trouverait pas de traduction budgétaire. Je vous renvoie à mon exposé liminaire. Vous relevez que les crédits de paiement augmentent, mais que les autorisations d’engagement diminuent. Gonfler les autorisations de paiement était une pratique de l’ancien Gouvernement ! Mon prédécesseur, M. Mercier, avait ainsi prévu 1,8 milliard d’euros d’autorisations d’engagement en 2012 sans aucun crédit de paiement correspondant. Nous avons une pratique différente : nous augmentons les crédits de paiement, c’est-à-dire la dépense effective de l’État ; nous ne nous contentons pas d’afficher des autorisations d’engagement dénuées de toute portée pratique.

Vous me reprochez d’avoir abandonné le nouveau programme immobilier (NPI). On n’abandonne pas ce qui n’a qu’une existence virtuelle ! Le NPI a été inscrit dans la loi de programmation de mars 2012 sans que le moindre euro ait été budgété pour le mettre en œuvre.

La volonté du Gouvernement de réduire le nombre d’incarcérations et de développer les aménagements de peine ne se traduirait par aucun acte concret. Je vous renvoie, là encore, à ce que j’ai dit sur les juges de l’application des peines et les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Vous estimez que 63 ETPT pour les SPIP ne sont pas suffisants. Nous avons pourtant stabilisé et même augmenté ce nombre, ce qui tranche singulièrement avec la révision générale des politiques publiques (RGPP).

Vous semblez vous étonner que, dans ma circulaire de politique pénale du 19 septembre 2012, j’aie donné instruction aux parquets généraux d’aménager les peines – et votre étonnement est dans la ligne de certaines déclarations publiques de certains orateurs de l’UMP. J’ai en effet demandé que le recours à l’incarcération soit strictement limité aux cas prévus par la loi pénitentiaire de 2009. Dois-je en déduire, monsieur le rapporteur pour avis, que vous contestez le contenu de cette loi ?

Un sénateur UMP a reconnu que la majorité précédente avait fait preuve de schizophrénie en multipliant, d’un côté, les lois sécuritaires et les procédures qui aboutissent à l’incarcération et – j’ajoute – à l’engorgement des juridictions, et en adoptant, de l’autre, cette loi pénitentiaire, qui contient de bonnes dispositions. Nous allons d’ailleurs en publier les décrets d’application manquants.

Vous me donnez des leçons en rappelant que les décisions des magistrats sont souveraines. On ne peut pourtant pas me reprocher de méconnaître ce principe. J’espère que vos collègues qui m’accusent d’être laxiste, de rendre des jugements insuffisamment sévères, de vider les prisons et d’être responsable de l’acte de tel ou tel auteur d’infraction, tiendront compte de votre rappel !

S’agissant de la nouvelle peine de probation, dont la création serait, selon vous, entourée de nombreuses inconnues, je rappelle qu’un comité d’organisation a été mis en place et qu’une conférence de consensus se tiendra en février 2013.

Toujours selon vous, la Cour des comptes n’aurait pas remis en cause le principe des partenariats public privé (PPP). Elle estime pourtant qu’ils consistent à faire appel à des opérateurs privés qui empruntent à des taux beaucoup plus élevés que l’État et qu’ils reviennent donc à reporter dans le temps une dépense publique tout en la multipliant par trois. Certains contrats de PPP signés en février ou en avril 2012 vont donner lieu à des investissements que l’État va payer cinq fois trop cher. Il faudra l’expliquer aux générations futures.

Enfin, vous prétendez que nous mettons en danger la sécurité des Français. Tel est, en réalité, le résultat des politiques que vous avez menées ces dernières années. La multiplication des procédures conduisant à l’incarcération, notamment pour les courtes peines ; la surpopulation carcérale qui en découle ; l’insuffisance des effectifs – personnels d’insertion et de probation, juges d’application des peines, psychologues – chargés d’accompagner les détenus dans leur projet de réinsertion ; la proportion accrue – 80 % aujourd’hui – de sorties « sèches », sans accompagnement, sont autant de facteurs qui favorisent la récidive. Différentes études le montrent. Le procès sur la sécurité des Français, c’est nous qui sommes fondés à vous le faire.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur pour avis pour les crédits de la « Protection judiciaire de la jeunesse ». Après plusieurs années pendant lesquelles la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) a payé un lourd tribut à la RGPP, le projet de loi de finances pour 2013 inverse la tendance et redonne espoir aux acteurs de la PJJ. C’est ce qui ressort des auditions et des visites de terrain que nous avons effectuées.

Entre 2008 et 2011, les crédits de la PJJ n’avaient cessé de diminuer. En 2012, ils avaient légèrement augmenté, mais seulement pour permettre la transformation de vingt foyers traditionnels en centres éducatifs fermés (CEF), l’ensemble des autres services – en particulier ceux qui sont responsables de la prise en charge en milieu ouvert – étant à nouveau sommés par l’ancienne majorité de faire toujours plus avec toujours moins de moyens.

Sur cette même période, la PJJ a perdu 600 emplois. Une partie des suppressions a pu être absorbée par la réorganisation administrative – les fonctions » supports » –, mais l’autre a affecté son cœur de métier : la prise en charge des mineurs délinquants.

Le président de la République et le Gouvernement ont décidé de faire de la jeunesse et de la justice deux axes prioritaires de leur action, conformément aux engagements pris par M. François Hollande pendant la campagne présidentielle. La PJJ se trouvant à l’intersection de ces deux priorités, ses crédits augmenteront très logiquement en 2013 de 1 % en autorisations d’engagement et de 2,4 % en crédits de paiement. Le plafond d’autorisations d’emplois augmentera de 75 ETPT, soit 205 emplois en année pleine, ce qui représente un effort important pour une administration de taille relativement modeste, dont le budget s’établit à 800 millions d’euros.

J’approuve donc pleinement les crédits de la PJJ pour 2013. Dans cette période budgétaire difficile où les moyens doivent nécessairement être concentrés sur un certain nombre de secteurs prioritaires, je salue l’effort consenti en sa faveur.

Mes questions concernent la diversité des modes de placement des mineurs délinquants, thème que j’ai choisi de traiter cette année dans le cadre de mon avis budgétaire.

Au cours des dernières années, l’ancienne majorité a focalisé l’attention sur les mineurs faisant l’objet d’un placement – qui ne représentent, rappelons-le, que 5 % des mineurs pris en charge par la PJJ – et tenté de faire croire à nos concitoyens qu’il existait une recette miracle pour traiter leur cas : les CEF.

Certes, le CEF est une solution désormais acceptée par la plus grande partie de la communauté éducative et judiciaire et par la majorité des élus de droite comme de gauche. Certaines conditions doivent néanmoins être remplies : chaque centre doit être doté d’un projet éducatif cohérent, être pourvu d’une direction et d’une équipe éducative soudées et expérimentées et faire l’objet – j’y insiste – d’un contrôle effectif.

Pour autant, le CEF ne sera jamais la solution miracle, qui pourrait être utilisée indistinctement pour tous les mineurs : il n’est que l’une des solutions possibles au sein de la palette des différents modes de placement dont doivent disposer magistrats et éducateurs pour répondre aux situations des mineurs.

La précédente majorité avait étendu la possibilité de placement en CEF aux mineurs de 13 à 16 ans non récidivistes. Pour permettre cette évolution, elle avait prévu de transformer vingt foyers d’hébergement traditionnel en CEF. Elle avait ainsi soulevé une question intéressante, celle du nombre de places nécessaires dans chaque type de structure et de l’équilibre entre elles, mais en lui apportant une mauvaise réponse, celle du « tout CEF » au détriment des autres modes de placement.

En effet, les professionnels de la justice des mineurs sont traditionnellement très attachés, avec raison, au fait de disposer d’une large palette de solutions éducatives, afin de pouvoir adapter au mieux la réponse pénale à la situation particulière de chaque mineur. L’éventail des différents modes de placement va en effet de la famille d’accueil au CEF, en passant par l’hébergement individualisé, l’hébergement collectif traditionnel, le centre éducatif renforcé ou le placement dans un centre de l’Établissement public d’insertion de la défense (EPIDE).

Or, chacun de ces modes de placement a sa spécificité, son utilité et son public. Chacun doit bénéficier d’un nombre de places et de financements à la hauteur des besoins. Dès lors, privilégier un mode de placement au détriment d’un autre – comme la précédente majorité aurait voulu le faire avec les CEF – serait une erreur, qui porterait préjudice à la recherche de la bonne réponse éducative.

Ma première question porte sur les familles d’accueil. Ce mode de placement est particulièrement intéressant pour les mineurs ayant des difficultés à vivre au sein d’un collectif ou qui souffrent de carences affectives. Cependant, le statut des familles d’accueil de la PJJ n’est pas assez attractif, dans la mesure où elles ne sont indemnisées qu’à hauteur de 31 euros par jour, alors que celles qui travaillent pour les départements bénéficient d’un statut salarié. En conséquence, la PJJ ne disposait en 2011 que d’un vivier de 350 familles d’accueil.

Il est sans doute difficile, dans le contexte budgétaire actuel, d’envisager une évolution significative du statut des familles d’accueil de la PJJ. Néanmoins, quelles mesures comptez-vous prendre, madame la garde des Sceaux, pour rendre ce statut plus attractif et étendre le vivier de familles disponibles ?

Ma deuxième question concerne l’hébergement diversifié. Au cours des dernières années, la PJJ a accumulé à l’égard du secteur associatif habilité une dette importante, qui révèle toute l’absurdité de l’étranglement budgétaire subi par la PJJ et dont le présent projet de budget prévoit heureusement de commencer le remboursement. Cette dette a plongé dans de grandes difficultés financières de nombreuses associations œuvrant dans le champ de l’hébergement diversifié. Je pense en particulier aux petites associations qui ont créé des lieux de vie et rendent de réels services sur un territoire donné. Certaines associations ont même dû cesser leurs activités, faute de paiement par l’État. En privilégiant certains modes de placement, on a en sacrifié d’autres qui avaient fait leurs preuves ; nous en avons tous été témoins dans nos circonscriptions. Quelles mesures entendez-vous prendre au cours de cette législature pour revitaliser le secteur de l’hébergement diversifié ?

Mes deux dernières questions portent sur les CEF.

Vous avez demandé, madame la garde des Sceaux, une inspection sur les besoins de places en CEF et sur les modalités d’une éventuelle extension du parc. J’estime pour ma part, au terme des échanges que j’ai eus dans le cadre de la préparation du présent avis budgétaire, que le nombre de places en CEF est globalement satisfaisant – 7 nouveaux CEF devant ouvrir en 2012 et 2013 – et que les éventuelles difficultés tiennent moins au nombre de places qu’à la répartition géographique des CEF.

En outre, je le rappelle, la loi du 10 août 2011 a étendu la possibilité de placement en CEF aux mineurs de 13 à 16 ans non récidivistes. Cette évolution a éloigné les CEF de leur vocation initiale, à savoir la prise en charge renforcée de mineurs ancrés dans la délinquance pour lesquels d’autres solutions ont déjà été tentées. Elle peut également avoir des conséquences lourdes : un mineur dont le premier placement a lieu en CEF risque désormais, en cas de nouvelle infraction – mais aussi d’écart de conduite au sein du CEF qui peut être lié à la difficulté à supporter ce mode de placement contraignant –, d’être directement incarcéré, ce qui peut s’avérer très préjudiciable dans son parcours. Envisagez-vous, madame la garde des Sceaux, d’abroger cette disposition ?

Enfin, pour réaliser des économies et financer l’extension du parc des CEF, la précédente majorité avait prévu d’abaisser de 27 à 24 le nombre d’ETPT prévu par le cahier des charges des CEF. Or, leur efficacité réside précisément dans le fort taux d’encadrement des jeunes et l’abaissement à 24 ETPT pose de sérieux problèmes pratiques : dépassement des volumes légaux d’heures supplémentaires, fatigue excessive des équipes, difficulté à dégager du temps pour la formation continue, pourtant essentielle. Au lieu d’envisager une extension importante du nombre de CEF, ne serait-il pas préférable de rechercher une solution de compromis sur le nombre d’ETPT, afin de réaliser des économies qui ne fragilisent pas le fonctionnement de ces centres ?

Mme la garde des Sceaux. Je vous remercie, monsieur le rapporteur pour avis, de cet exposé précis et lucide. Je partage votre analyse de la situation de la jeunesse en difficulté.

Je rappelle que les départements sont également compétents en matière de protection de l’enfance en danger et d’accompagnement de la primo-délinquance. Nous devons donc articuler notre action avec la leur, lorsque nous mettons des outils à la disposition des magistrats.

Je suis très attachée à la diversité des modes de placement, qui correspond d’ailleurs à une demande unanime des magistrats. Elle relève du bon sens : la réponse doit être adaptée à la situation du jeune – son parcours, sa personnalité, les circonstances de son acte, le processus postérieur à l’infraction.

En outre, il est essentiel que la prise en charge intervienne très rapidement, car les réitérations – l’observation le montre – se produisent généralement peu de temps après le premier acte commis. La sanction délivre un premier message au jeune. La prise en charge peut permettre, elle, d’interrompre le parcours de délinquance. Le recrutement d’éducateurs et de psychologues supplémentaires que nous avons décidé doit permettre d’en réduire les délais.

Vous avez raison, monsieur le rapporteur pour avis, de rappeler que les CEF – qui ont fait l’objet d’une sorte de fixation – n’accueillent que 5 % des jeunes pris en charge par la PJJ. Je ferai part à la représentation nationale du rapport d’inspection sur les CEF. J’invite les députés de la majorité et de l’opposition qui le souhaitent à participer à un groupe de travail pour en exploiter au mieux les conclusions. Nous verrons alors si l’abrogation de l’extension décidée en 2011 se justifie ou non. Il n’en reste pas moins que l’implantation des CEF sur le territoire demeure déséquilibrée. C’est d’ailleurs le constat qui m’a amené à demander une inspection.

Les familles d’accueil constituent en effet une réponse très intéressante pour une catégorie de jeunes dits « immatures », selon l’appréciation portée par les psychologues. Ce mode de placement concerne pas moins de 600 mineurs. Les résultats en sont très encourageants : 80 % ne commettent pas de récidive. Il est donc important de maintenir cette offre. L’objectif est de passer de 399 familles d’accueil en 2012 à 450 en 2013.

Vous avez soulevé avec raison, monsieur le rapporteur pour avis, la question de l’indemnisation de ces familles, qui sont bénévoles. Nous allons faire passer l’indemnité de 31 à 36 euros la journée dès 2013, afin de l’aligner sur le salaire versé par les services d’aide sociale à l’enfance. De plus, une mission d’inspection a été chargée d’évaluer la possibilité de leur attribuer un statut, étant entendu que nous devons contenir les coûts qui découleraient d’une telle décision.

Mme Nathalie Nieson, rapporteure pour avis pour les crédits de l’« Accès au droit et à la justice et l’aide aux victimes ». Le ministère de la Justice a consacré des crédits supplémentaires à l’expérimentation prévue par la loi de répartition des contentieux en matière de médiation. Quels sont les tribunaux de grande instance concernés ?

Les associations d’aide aux victimes souffrent d’un manque de moyens – les crédits ont diminué depuis deux ans – et d’un manque de visibilité sur leur avenir. Elles souhaiteraient que les engagements de l’État soient pluriannuels.

Dans votre circulaire de politique pénale du 19 septembre 2012, vous envisagez, madame la garde des Sceaux, de financer des permanences des associations à partir du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), alors que ce dernier a plutôt été utilisé, ces dernières années, pour développer la vidéosurveillance. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette réorientation ?

Par ailleurs, je vais présenter un amendement proposant l’instauration d’une « contribution pour l’aide aux victimes » : il serait demandé à toute personne déclarée coupable d’une infraction de verser une contribution additionnelle de 1 % à l’amende pénale, dont le produit serait affecté au financement des services d’aide aux victimes. Cette idée est soutenue par l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation (INAVEM), qui fédère une grande majorité des associations. Ce dispositif répondrait à une logique de justice réparatrice, qui responsabilise les auteurs d’infractions en les associant aux conséquences de leurs actes pour autrui. Il s’inspire de l’exemple du fonds spécial d’aide aux victimes de la criminalité (FAVAC), créé au Québec en 1988. Plusieurs propositions de loi ont déjà été déposées en ce sens, en particulier par Mme Martine Carrillon-Couvreur et l’ensemble des membres du groupe SRC le 24 janvier 2012. Quelle est votre appréciation sur l’idée d’instaurer une telle contribution ?

Enfin, vous avez annoncé que vous alliez étendre le réseau des bureaux d’aide aux victimes (BAV) à l’ensemble du territoire. Malheureusement, la subvention annuelle de 20 000 euros attribuée à chaque BAV ne semble pas suffire pour payer un juriste à temps complet et assurer une véritable permanence dans ces bureaux. Prévoyez-vous de moduler les enveloppes en fonction du niveau d’activité des tribunaux de grande instance ? Quelle coordination envisagez-vous entre le dispositif des BAV et celui des maisons de justice et du droit (MJD), qui apparaissent à mes yeux très complémentaires ? Pouvez-vous nous rassurer sur le financement des MJD ?

D’une manière générale, la Cour des comptes a relevé, dans son rapport public pour 2012, la « faiblesse du pilotage du réseau associatif » par le ministère de la Justice et les juridictions. Une réflexion est-elle en cours pour y remédier ?

Mme la garde des Sceaux. La loi de 2011 a retenu les tribunaux de grande instance d’Arras, Bordeaux, Niort, Paris et Saint-Pierre – à La Réunion – pour l’expérimentation de la médiation dans les contentieux familiaux. À ce stade, l’expérimentation est financée dans les tribunaux de grande instance d’Arras et de Bordeaux.

Je suis consciente que 60 % des associations d’aide aux victimes, connaissent, selon l’INAVEM, de grandes difficultés financières. Cependant, nous ne pouvons pas conclure avec elles d’engagements pluriannuels, compte tenu des règles de la comptabilité publique. Pour autant, nous avons fait un effort budgétaire et le travail que nous conduisons avec elles leur donne de la visibilité. De plus, je m’engage à améliorer le pilotage du réseau associatif par le ministère de la Justice. Le ministère et les associations en tireront mutuellement avantage, en termes budgétaires pour le premier, en termes de professionnalisme pour les secondes.

S’agissant des BAV, je confirme que nous allons en installer dans tous les tribunaux de grande instance dans un délai d’un an, ce qui correspond à un triplement de leur nombre. Ce sera un vrai progrès pour les victimes. La dotation de 20 000 euros permet de financer une permanence à mi-temps, ce qui nous paraît correspondre aux besoins. Nous verrons ensuite si une montée en charge est nécessaire dans certains tribunaux de grande instance.

Dans ma circulaire de politique pénale, j’ai demandé aux parquets généraux et aux parquets de veiller à accueillir correctement les victimes, à les informer des audiences, en particulier en cas de comparutions immédiates, à les orienter vers la commission d’indemnisation des victimes d’infractions, à leur fournir toutes les informations qui les aident à surmonter le moment de détresse qui suit de près les faits et marque le début du processus judiciaire.

Je rappelle que les collectivités territoriales interviennent également dans le financement des associations d’aide aux victimes et des actions menées en faveur de ces dernières. Au cours des années récentes, elles se sont désengagées, à la suite de l’État. Je m’en suis entretenu avec M. Claudy Lebreton, président de l’Association des départements de France, et avec une délégation du Conseil national des villes. Nous devons nous concerter avec les collectivités pour examiner l’ensemble des problèmes et procéder à une réorganisation, de sorte que chacun s’implique à nouveau dans le financement de l’aide aux victimes. Il nous faudra notamment apporter des réponses à leurs interrogations sur le périmètre de leur action, les zones d’intervention, le mode de recrutement des permanents.

Pour ce qui est de la contribution pour l’aide aux victimes, la réflexion mérite d’être approfondie. Les premières séances de travail que j’ai organisées sur le sujet ont permis de faire ressortir des interrogations, dont certaines de principe, et d’identifier quelques risques. Le dispositif doit avoir un sens, en particulier pour les victimes. L’instauration de la contribution ne doit pas servir de prétexte à un désengagement des financeurs publics. Il conviendra de déterminer précisément le parcours de la recette en identifiant notamment une structure intermédiaire, le produit de l’amende ne pouvant être versée directement aux associations. Il faudra anticiper la réaction des assurances et des mutuelles, qui ne manqueront pas de s’inviter dans le débat. Le Sénat vient de nommer deux rapporteurs – un de la majorité, un de l’opposition – sur l’aide aux victimes. Nous pourrons aborder à nouveau ce sujet en séance publique.

Quant au FIPD, il a été piloté ces dernières années par le ministère de l’Intérieur et, dans les territoires, par les préfets. Ses crédits ont financé à 75 % le développement de la vidéosurveillance. Il doit désormais redevenir un instrument interministériel. J’ai alerté mon collègue ministre de l’intérieur sur ce point dès le mois de juin. Des réunions interministérielles se tiennent en ce moment. La dotation du FIPD est passée de 50 à 46 millions d’euros, mais il est en effet envisageable d’en consacrer une partie à l’aide aux victimes.

Mme Cécile Untermaier.  À la justice pénale traditionnelle répressive, reposant sur la sanction de l’agresseur, peut s’ajouter une justice réparatrice, qui se concentre sur la réparation de l’acte par le dialogue entre la victime et l’auteur. Il n’est pas question, naturellement, de nier l’agression ou l’acte délictueux : cette démarche est organisée par le juge en marge du procès pénal.

Ce concept, largement mis en œuvre en Afrique du Sud après l’apartheid, mais également au Canada, fait son chemin en France. Une expérimentation a été lancée en matière civile avec le développement de la médiation. Que pensez-vous de cette démarche en matière pénale ? Envisagez-vous des actions dans ce domaine en 2013 ?

M. Philippe Goujon. Souffrez, madame la garde des Sceaux, qu’un membre de l’opposition s’exprime en usant – et non en abusant – de son droit d’opposition sans déclencher votre colère et votre indignation.

En matière pénale, votre ligne directrice est à l’évidence de défaire tout ce qu’ont fait vos prédécesseurs. À cet égard, votre circulaire pénale du 19 septembre dernier fera date. J’y vois la confirmation de ce que vous nous avez dit lors de votre première audition : la sécurité n’est pas la mission de votre ministère.

Sous un certain angle, toutefois, ce budget s’inscrit dans la continuité de ceux de vos prédécesseurs puisque jamais les crédits de la justice n’ont autant augmenté que ces dix dernières années, où cet effort, conjugué à d’autres, s’est traduit pas une baisse de la délinquance sans précédent.

Comme l’a montré Sébastien Huyghe, la politique pénitentiaire n’est pas, loin s’en faut, votre priorité, étant donné que vous ne considérez plus la prison comme la sanction de référence. La construction des places prévues se poursuit, certes, mais les 20 000 places supplémentaires que nous proposions ne seront pas réalisées. Les détenus en pâtiront les premiers puisque nombre d’établissements vétustes ne seront pas abandonnés.

Par ailleurs, votre politique repose sur le principe qu’il y a trop de condamnés à des peines de prison. Nous considérons pour notre part que l’on ne peut abandonner ainsi, par simple idéologie, la détention.

Bien que la décision de la sanction appartienne aux seuls juges, vous vous prononcez par exemple contre les courtes peines. Vous savez pourtant que 82 000 peines de prison ferme restent inexécutées en France, ce qui nous amène à considérer que notre pays ne souffre pas d’un excès d’emprisonnement mais d’un manque de places de prison. Il faudrait porter le parc carcéral à 80 000 places, tout en privilégiant la construction de structures allégées, moins coûteuses, pour les détenus qui ne nécessitent pas un niveau maximal de sécurité, et tout en permettant les peines alternatives à la prison – qui du reste n’ont jamais été prononcées en aussi grand nombre qu’aujourd’hui. Peut-on inférer de l’insuffisance du budget consacré à la construction que vous êtes favorable au numerus clausus en matière de peines de prison ?

Par ailleurs, comment améliorer la lutte contre l’islamisme radical dans les établissements pénitentiaires ? Vous comptez augmenter le nombre des imams, ce qui est une bonne chose, mais cela ne peut être la seule mesure. Bien que des dispositions aient déjà été prises par le passé, il reste certainement à faire !

En matière d’exécution des peines, la loi d’orientation et de programmation pour la justice de 2002 visait à développer la capacité de sanction – objectif que nous partageons tous, quelle que soit la sanction infligée – par la création de bureaux d’exécution des peines, dont les premiers ont été mis en œuvre il y a quelques années. Quand atteindra-t-on la généralisation de ces structures, si tout au moins vous en avez l’intention ?

Pourriez-vous également nous apporter des précisions sur les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA). Le taux d’occupation de celle de Lyon dépasse les 80 %. Deux autres unités sont en service et il est prévu d’en ouvrir neuf d’ici à 2014, dont une de 440 lits à Villejuif. Quel est l’état d’avancement de ce programme. Quand l’UHSA de Villejuif verra-t-elle le jour ? La capacité de 440 lits sera-t-elle respectée ?

Où en est-on dans le transfert des escortes de prisonniers à l’administration pénitentiaire ?

Quel est le calendrier des travaux prévus à la prison de la Santé ? Quelle sera la date de livraison ? Confirmez-vous qu’un établissement d’environ 350 places en région parisienne permettra de reconstituer la capacité initiale de 1 300 places de l’établissement, sachant que les places rénovées ne seront plus que 1 000 ?

Prévoit-on de créer un nouveau centre éducatif fermé en région parisienne ?

Enfin, vous n’avez pas parlé du nouveau tribunal de grande instance de Paris. Vous êtes, je crois, hostile aux partenariats public-privé. Quel est dès lors l’avenir de ce projet ?

M. Georges Fenech. L’organisation de nos travaux ne nous laisse pas le temps de poser toutes nos questions et je le regrette. Je me contenterai, madame la garde des Sceaux, de vous soumettre des réflexions d’ordre général.

Si l’on peut saluer la hausse de 4,3 % du budget pour 2013, il ne faut pas s’en satisfaire : la justice reste déshéritée. Un retard considérable a été pris pendant des dizaines d’années. Malgré les rattrapages budgétaires des précédentes mandatures, nous sommes, pour reprendre l’expression du président Urvoas, « la Cendrillon de l’Europe », au trente-septième rang pour ce qui est du ratio des crédits de la justice rapportés au PIB par habitant. Il n’y a pas lieu de donner dans l’autosatisfaction. Après les photocopieurs mentionnés par M. Le Bouillonnec, je pourrais citer les fientes de pigeons qui s’abattent à travers les toitures de certaines cours d’assises ! Bref, même s’il est épargné par la rigueur qui atteint d’autres ministères, ce budget est loin de répondre à toutes les attentes du monde judiciaire et de nos concitoyens.

Il s’agit somme toute d’un projet traditionnel – en dépit de différences d’appréciation en matière de lutte contre l’insécurité, de parc pénitentiaire, etc. – où l’on ne perçoit pas le souffle qui pourrait provoquer l’indispensable « choc de modernité ». La redéfinition des périmètres de contentieux, que vous avez rapidement évoquée, me semble être la clé de l’avenir de notre Justice. Je parlerais plus volontiers de recentrage des missions du juge : il est grand temps d’aborder de façon sereine la place et le rôle du juge dans notre société, de redéfinir et de recentrer ses missions, d’inventer des moyens différents de règlement du contentieux, et de réserver l’intervention du juge aux cas où il est le dernier recours.

Il faut en même temps donner au juge de vrais moyens de rendre la justice. À cet égard, je me réjouis de la création d’un corps d’assistants de justice dont la mission serait d’apporter aux magistrats une aide à la décision. Imagine-t-on un parlementaire travailler sans assistants ? Imagine-t-on la commission des Lois fonctionner sans administrateurs ? Les magistrats des chambres régionales des comptes disposent de tels assistants, mais pas les autres. La rationalisation du travail du juge et du parquetier ainsi permise leur permettrait de rendre la justice dans de meilleures conditions.

Une remarque au sujet du bracelet électronique. En juin 2012, on dénombre seulement 51 PSEM – placements sous bracelet électronique mobile – en France, alors qu’il y en a des dizaines de milliers en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Pourquoi un tel retard, alors que nous avions voté ce dispositif de façon assez consensuelle ?

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je précise que la discussion de ce matin ne solde pas nos échanges sur les crédits de la Justice. À mes yeux, l’essentiel du travail parlementaire se fait en Commission. C’est pourquoi je ne veux pas limiter le temps de parole comme cela se fait parfois dans d’autres commissions. Je compte sur une certaine autodiscipline et j’espère que nous trouverons le rythme adéquat pour éviter des frustrations qui, en fin de compte, ne font que des perdants. Précisons toutefois que la discussion des crédits de la Justice en séance publique est prévue pour les 30 et 31 octobre. Les groupes et les parlementaires pourront s’y exprimer.

M. Dominique Raimbourg. J’ai trois motifs de satisfaction et trois sujets d’inquiétude.

Premier motif de satisfaction : la réflexion sur le sens de la peine, qui se traduit par la création de la conférence de consensus et qui limitera le recours à l’emprisonnement. Le recentrement de la peine de prison est une des réponses à la délinquance, sachant que ces réponses doivent être immédiates. La généralisation des bureaux d’exécution des peines constitue également un signe encourageant à cet égard. La limitation du parc pénitentiaire à 63 500 places en 2015 nous placera dans la moyenne européenne et mettra fin à la fuite en avant du « tout carcéral ».

Deuxième motif de satisfaction : l’attention que vous portez, madame la garde des Sceaux, à la justice civile, qui est la justice du quotidien.

Troisième motif de satisfaction : dans cet ensemble de mesures, la place des victimes est sauvegardée, avec notamment la réorientation du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD).

J’en viens aux sujets d’inquiétude. Nous héritons d’une situation difficile. La politique néfaste menée pendant dix ans en est la cause, mais pas seulement. La sous-administration et la sous-dotation de la Justice sont anciennes. Il en résulte trois urgences.

D’abord, la surpopulation pénale, mesurée à 132 % dans les maisons d’arrêt. La conférence de consensus doit aboutir au plus vite à des solutions où la prison ne sera plus l’élément central.

Ensuite, la résorption des délais de traitement des dossiers. Votre rapport nous apprend qu’il s’écoule un peu plus de 12 mois entre la commission d’une infraction et son jugement par le tribunal correctionnel, et 16,3 mois entre la commission d’une infraction par un mineur et la décision rendue par la justice des mineurs. Nous devons donc simplifier le plus possible la tâche des tribunaux. En particulier, je crois nécessaire de revenir sur la création des tribunaux correctionnels pour mineurs, qui n’aura été qu’un effet d’annonce : sur les 33 000 mineurs poursuivis, seuls 630 sont concernés et la procédure qui leur est appliquée complique la tâche des tribunaux pour enfants. Il faut aussi revenir sur les peines plancher, qui ne sont prononcées que dans 10 000 cas sur les 600 000 dossiers jugés chaque année par les tribunaux correctionnels mais qui compliquent et ralentissent les procédures.

Enfin, la frustration des personnels. Jean-Yves Le Bouillonnec a souligné à juste titre que les agents de l’administration et les greffiers attendent une reconnaissance, alors que la gestion par les primes engendre des rivalités d’un corps à l’autre. Les personnels judiciaires reprochent aux pénitentiaires d’être mieux payés, tandis que les pénitentiaires font valoir leurs sujétions particulières. On gagnerait en sérénité en mettant à plat le système et en consentant un effort budgétaire important en direction de ces catégories.

Mme la garde des Sceaux. Le dispositif que vous évoquez, madame Untermaier, est d’autant plus intéressant que son initiative revient à l’INAVEM, la fédération nationale des associations d’aide aux victimes. Les expériences menées à Poissy et à Meaux sont en cours d’évaluation. Notre appréciation est sans doute moins précise qu’en Afrique du Sud et au Canada, où l’on a du recul et où le projet relève d’une politique publique. Mais j’en retiens le principe : poser la réalité du dommage et amener les auteurs à prendre conscience de la gravité des actes qu’ils ont commis, de manière à instaurer une relation différente avec les personnes qui en ont été les victimes. La Fédération protestante est particulièrement mobilisée en la matière. Il nous faudra mesurer de façon plus rigoureuse et plus systématique l’impact de ces expériences. Quoi qu’il en soit, je suis très sensible à ces sujets et à la générosité des associations d’aide aux victimes.

Lorsque je parlais d’« orateurs de l’UMP », monsieur Goujon, c’est précisément parce que je me refuse à globaliser. Mais le fait est que, depuis le mois de mai, on profère à mon égard des inexactitudes, des contrevérités, des mensonges, des horreurs, et que l’on me fait des procès d’intention. Ces propos ne sont pas tenus en conclave mais sur les médias, et par des personnes qui ont l’étiquette UMP. Je préfère que l’on m’adresse des critiques en face – comme l’a fait M. Huyghe – pour pouvoir y répondre en face !

M. Sébastien Huyghe, rapporteur pour avis. C’était le cas, et mon intervention était très respectueuse.

Mme la garde des Sceaux. Je vous en donne volontiers acte. Vous n’êtes nullement en cause. Je dis les choses avec franchise et j’entends que vous les disiez avec la même franchise. Mais, lors de ma précédente audition, un de vos collègues a repris une calomnie qui circulait sur moi, parfois sur papier à en-tête de l’UMP !

M. Goujon estime que ma ligne directrice est de défaire ce que l’ancienne majorité a fait, tandis que, pour M. Fenech, je ne fais rien d’original, me contentant de poursuivre ce qui était déjà en place. Il vous faudra trouver un peu de cohérence entre vous, messieurs les députés, car je n’ai pas l’intention de devenir schizophrène ! Je choisis un chemin, je l’identifie, je le décline et je l’assume, ainsi que tous les désaccords auxquels il peut donner lieu. J’assume mes choix parce c’est ma responsabilité. Je doute que vous puissiez tenir tout le quinquennat en m’accusant de toujours défaire. Cela n’a du reste pas grande importance, sauf si vous illustrez cette assertion de façon précise. Je ne défais pas pour vous déplaire mais parce vous avez pris des mesures qui, de l’avis quasi unanime des magistrats, apportent des complications dans le fonctionnement des juridictions. Ce sont les chefs de cour eux-mêmes qui affirment que les tribunaux correctionnels pour mineurs engorgent leurs juridictions et provoquent des retards considérables dans les calendriers d’audiencement. En l’espèce, je répare plus que je ne défais !

Au reste, lorsque l’on dénonce la lenteur de la Justice, peut-être veut-on être désagréable envers la garde des Sceaux mais en réalité on met en cause les magistrats ! La Justice est lente parce qu’elle doit prendre son temps, mais elle est ralentie par des mesures malheureuses qu’il est de notre responsabilité de rectifier.

La sécurité ne serait pas pour moi la mission de la Justice, dites-vous. Par cette formulation, vous continuez le procès en irresponsabilité, en laxisme et en mise en cause de la sécurité des Français que l’on me fait. Je vous donne rendez-vous à la fin du quinquennat. Vous verrez que nos chiffres seront tout autres et que nous aurons amélioré la sécurité des Français !

Ce que je disais lors de la dernière audition, c’est que le ministère de l’Intérieur a la responsabilité de l’ordre public et que le ministère de la Justice prend sa part dans la sécurité des Français par la prévention de la récidive. Je le maintiens. La Justice est une mission régalienne et constitutionnelle. Ce n’est pas moi qui en définis le contenu ! Quant à la responsabilité qui nous incombe s’agissant de la sécurité des Français, nous la prenons pleinement. J’ai défini la prévention de la récidive comme une priorité : non une priorité de principe ou de pétition, mais une priorité d’action qui se traduit par des choix de recrutement, par la conférence de consensus et par toute une série de mesures.

Vous évoquez aussi la hausse continue et spectaculaire du budget de la Justice ces dix dernières années. Mais le résultat est que l’emprise de la pénitentiaire est passée de 30 à 40 % tandis que la protection judiciaire de la jeunesse perdait 600 emplois...

Et que signifie la « chute spectaculaire de la délinquance » dont vous vous prévalez ? Tout dépend de ce que l’on entend par « délinquance » ! Tout récemment, j’ai entendu M. Estrosi expliquer que les violences faites aux personnes avaient augmenté de façon spectaculaire.

M. Philippe Goujon. C’est la seule exception. Et la hausse a été beaucoup moins forte que sous le gouvernement Jospin.

Mme la garde des Sceaux. Pas du tout. L’amélioration était très nette avant que votre sensibilité n’arrive au pouvoir en 2002.

Nous avons déjà débattu du nombre de places de prison supplémentaires. Je ne me suis pas prononcée contre les courtes peines ou contre la détention. Mon rôle n’est pas celui d’un avocat. En tant que ministre de la Justice, je rappelle que le code de procédure pénale prévoit des aménagements de peine et que la loi pénitentiaire de 2009, adoptée par la précédente majorité, non seulement les prévoit mais, de plus, incite à les privilégier et porte à deux ans le quantum de peine d’emprisonnement susceptible de faire l’objet d’un aménagement. Alors cessez d’affirmer que je suis contre les courtes peines ! Ce n’est ni moi qui juge ni moi qui défends !

Je précise également que je ne me suis jamais prononcée sur le numerus clausus.

L’islamisme radical est à prendre très au sérieux. Il faut néanmoins se garder de le surestimer dans les établissements pénitentiaires, car on risque alors de le sous-estimer dans les autres endroits où il prospère. Dans l’affaire de l’attentat à Sarcelles, qui a donné lieu à des interpellations à Strasbourg et à Cannes notamment, seules deux des huit personnes interpellées avaient eu un parcours judiciaire et pénitentiaire. Il s’agissait, dans tous les cas, de conversions récentes et de radicalisation très rapide. Nous ne ménagerons pas nos efforts pour combattre ce phénomène dans les établissements, mais cela ne dispense pas les pouvoirs publics de l’identifier et de le contrer partout ailleurs.

Par ailleurs, ce budget permettra d’augmenter le nombre de vacations d’imams. Nous couvrirons une trentaine d’établissements supplémentaires en 2013 et le même nombre en 2014. Le ministère dispose également d’un bureau de renseignement pénitentiaire qui permet de repérer les imams autoproclamés et les leaders qui, souvent, prennent en charge matériellement des détenus indigents non seulement dans l’établissement mais aussi à leur sortie de prison. Ce bureau a été renforcé récemment par le recrutement d’officiers. Les surveillants, pour leur part, bénéficient de formations à l’École nationale de la magistrature. Vous le savez, nous sommes intraitables : dès qu’un détenu faisant du prosélytisme est identifié, il est transféré dans un autre établissement – et ainsi de suite s’il recommence – de manière à casser son action.

Il existe 80 bureaux d’exécution des peines à l’heure actuelle et nous allons en créer une quarantaine.

Par ailleurs, 704 places sont prévues en UHSA. Un premier programme sera financé par le ministère de la Santé et remboursé par le ministère de la Justice. En 2014-2015, 440 places seront créées.

La question du transfert des escortes avait été mal évaluée. Elle fait l’objet d’une nouvelle évaluation qui sera portée à votre connaissance en janvier 2013.

Il n’y a pas de projet de nouveau CEF en région parisienne pour l’instant.

Le rapport consacré au tribunal de grande instance de Paris m’a été remis récemment et je vous informerai de son contenu. L’opération est très coûteuse. Le contrat signé en février 2012 ne prévoit pas de clause de négociation, ce qui complique les choses. Le projet représente environ 600 millions d’euros, mais, en 2043, il aura coûté 2,7 milliards d’euros, avec un loyer annuel moyen de 90 millions d’euros. Il faut savoir que les opérateurs privés empruntent au taux élevé de 11 %. Si le projet est maintenu, l’État aura donc remboursé 2,7 milliards d’euros. Parmi les options possibles, il y a soit la poursuite du projet en l’état, soit l’étude des marges éventuelles de négociation dans le partenariat public-privé, soit l’abandon. Rien n’est tranché et je tiens à votre disposition toutes les informations nécessaires.

Il est exact, monsieur Fenech, que la justice est déshéritée. Vous citez à cet égard les chiffres de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ). Si je voulais être perfide, j’invoquerais votre bilan. Mais mon sens des responsabilités me l’interdit. Il nous faut avant tout bien identifier les faiblesses et les défauts de notre justice de façon à les corriger. Je ne saurais me réjouir du constat de l’insuffisance du nombre de magistrats et de greffiers et de la faiblesse des dotations. L’important est de prendre la mesure du travail à accomplir et de s’atteler à trouver rapidement les bonnes réponses.

En outre, j’ai le sentiment que l’opposition au sein de la commission des Lois, même si elle cherche le défaut de la cuirasse pour m’atteindre, a malgré tout le profond souci que nous réussissions au service de notre justice. J’accepte la dose de mauvaise foi inhérente à l’exercice de l’opposition – tant qu’elle reste à un niveau acceptable ! –, mais je crois que nous partageons ce souci. Comme vous, je suis très préoccupée de la situation de certaines juridictions : pas de chauffage, moquettes élimées, installations électriques défectueuses, peintures écaillées... L’environnement est pénible, c’est une raison de plus pour être attentive aux conditions de travail.

Vous avez parfaitement raison d’estimer que l’essentiel est la mission du juge. À telle enseigne que j’ai chargé l’Institut des hautes études sur la justice de mener une réflexion sur ce thème précis. Les magistrats eux-mêmes en sont demandeurs. Et le législateur doit lui aussi réfléchir aux éléments qui encombrent ou perturbent le juge dans l’accomplissement de sa mission.

Sur le plan de l’organisation du travail, vous soulignez très justement l’importance des équipes d’assistants et d’assistants spécialisés, qui apportent aux juges une collaboration directe. À Marseille, par exemple, j’ai pris des dispositions pour placer auprès des magistrats des assistants et des assistants spécialisés. Ces derniers, je le précise, sont spécialisés dans différents métiers. Selon le type de contentieux que le magistrat doit traiter, il peut faire appel à un médecin, à un ingénieur, etc.

Vous n’ignorez pas que le PSEM en est encore au stade expérimental, monsieur Fenech.

M. Georges Fenech. Depuis 2008, quand même !

Mme la garde des Sceaux. Et vous n’en ignorez pas non plus le coût.

M. Georges Fenech. Il est très faible.

Mme la garde des Sceaux. Non, c’est le coût du PSE qui est faible – environ 20 euros par jour. En raison de la géolocalisation, le PSEM revient à 100 euros.

M. Georges Fenech. Aux États-Unis, le PSEM coûte 15 dollars par jour depuis longtemps.

Mme la garde des Sceaux. Nous monterons en puissance et réduirons les coûts au fur et à mesure des décisions de justice en ce sens. Je ne peux néanmoins vous promettre que je rédigerai une circulaire pour demander la multiplication des prononcés de PSEM !

M. Georges Fenech. C’est pourtant un très bon outil de peine alternative, qui évite la désocialisation et qui permet un contrôle permanent.

Mme la garde des Sceaux. Il revient aux juges d’en décider !

Je prends acte de vos motifs de satisfaction, monsieur Raimbourg.

La moyenne de la surpopulation carcérale est en effet de 132 %, sachant que dans certains établissements, à La Roche-sur-Yon par exemple, le taux s’élève à 240 % et qu’il atteint même 328 % outre-mer.

Dans les maisons d’arrêt, la cohabitation entre des prévenus passibles de courtes peines et des grands bandits en détention provisoire est lourde de dangers.

En ce qui concerne le traitement des dossiers, mieux vaut, je le répète, ne pas accumuler les dispositifs qui provoquent des retards. La circulaire de politique pénale demande aux parquets de travailler à la résorption des stocks et à la réduction des délais d’audiencement. Cet objectif s’accompagne d’un accroissement des moyens, notamment en termes de recrutement et d’informatisation. Même si certaines procédures comme la comparution immédiate – qui implique, à l’instar des tribunaux correctionnels, une formation collective – engendrent des encombrements, les mesures prises devraient permettre de résorber les stocks et de réduire les délais.

Je vous remercie enfin, monsieur Raimbourg, d’avoir eu le courage d’évoquer les difficultés provoquées par les peines plancher et par le tribunal correctionnel pour mineurs.

Je suis reconnaissante à tous les commissaires de leurs questions, de leurs interventions et de la grande qualité de leurs rapports. Ils me permettent d’affiner considérablement mon analyse et d’améliorer ainsi les décisions que je suis amenée à prendre pour la justice.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Merci, madame la garde des Sceaux. D’autres collègues souhaitaient poser des questions. Ils devraient avoir priorité pour le faire dans l’hémicycle.

Après le départ de la ministre, la Commission examine les crédits de la mission « Justice ».

Conformément aux conclusions de M. Jean-Yves Le Bouillonnec pour la « Justice administrative et judiciaire », de M. Jean-Michel Clément pour la « Protection judiciaire de la jeunesse » et de Mme Nathalie Nieson pour l’« Accès au droit et à la justice et l’aide aux victimes », mais contrairement à l’avis de M. Sébastien Huyghe pour l’« Administration pénitentiaire », elle donne un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Justice » pour 2013.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS

■ Justice administrative

• Conseil d’État

—  M. François SÉNERS, secrétaire général

—  M. Jean-Noël BRUSCHINI, directeur de la prospective et des finances

• Syndicat de la juridiction administrative (SJA)

—  Mme Fabienne CORNELOUP, présidente

—  M. Gil CORNEVAUX, premier conseiller, affecté au tribunal administratif de Versailles

• Union syndicale des magistrats administratifs (USMA)

—  Mme Véronique HERMANN, secrétaire générale

■ Justice judiciaire

• Union syndicale des magistrats (USM)

—  Mme Virginie VALTON, vice-présidente

—  M. Richard SAMAS-SANTAFE, secrétaire national

• Syndicat de la magistrature

—  Mme Odile BARRAL, secrétaire nationale

—  M. Éric BOCCIARELLI, secrétaire national

• Syndicat FO Magistrats

—  M. Emmanuel POINAS, secrétaire général, vice-président du tribunal de grande instance de Marseille

—  M. Tony SKURTIS, juge à Créteil

—  M. Bernard KAJJAJ, juge directeur du tribunal d’instance de Bobigny

• Association nationale des juges d’instance (ANJI)

—  Mme Émilie PECQUEUR, présidente

• Syndicat Interco Justice CFDT

—  M. Michel BESSEAU, élu au comité technique ministériel

—  Mme Mireille-Aline WEBER, élue au comité technique ministériel

—  Mme Myriam MADOURI, élue à la commission administrative paritaire

• UNSA Services judiciaires

—  M. Philippe GILABERT, secrétaire général

—  M. Patrick COCULET, trésorier général

• Syndicat CGT des chancelleries et des services judiciaires

—  Mme Martine MOTARD, secrétaire générale-adjointe

• Syndicat des greffiers de France (SDGF)

—  Mme Isabelle BESNIER-HOUBEN, secrétaire générale, greffière au Conseil des prud’hommes de Caen

—  Mme Sophie GRIMAULT, greffière au tribunal de grande instance de Limoges

• Syndicat C-Justice

—  Mme Lydie QUIRIÉ, secrétaire générale

• Association des greffiers en chef des tribunaux d’instance et de police

—  Mme Sonia SAINGRAIN, présidente

—  Mme Nathalie BARTHELEMY, secrétaire

• Conseil national des barreaux – Ordre des avocats de Paris – Conférence des Bâtonniers

—  Mme Hélène POIVEY-LECLERCQ, ancien membre du Conseil national des barreaux

• Conseil supérieur du notariat

—  M. Olivier PAVY, directeur des affaires économiques

• Chambre nationale des huissiers de justice

—  M. Jean-Daniel LACHKAR, président

—  M. Patrick SANNINO, vice-président

Le rapporteur pour avis a également reçu une contribution écrite du Syndicat national Justice FO – Personnels Administratifs

DÉPLACEMENT DU RAPPORTEUR POUR AVIS

Déplacement au tribunal d’instance de Nogent–sur–Marne, au cours duquel le rapporteur pour avis a été reçu par :

—  Mme Sophie AZRIA, vice–présidente chargée du service du tribunal d’instance ;

—  Mme Patricia VANDENBROUCKE, greffière en chef.

© Assemblée nationale

1 () Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 (n° 246), enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 4 octobre 2012.

2 () La liste des personnes entendues figure en annexe au présent avis.

3 () Les crédits de la CNDA sont principalement étudiés au sein de l’avis budgétaire « Asile » présenté M. Éric Ciotti.

4 () Voir projet annuel de performances pour 2013.

5 () Les crédits des programmes « Administration pénitentiaire », « Protection judiciaire de la jeunesse » et « Accès au droit et à la justice » font l’objet d’autres avis de votre commission des Lois, dont les rapporteurs sont respectivement M. Sébastien Huyghe, M. Jean–Michel Clément et Mme Nathalie Nieson.

6 () Il en comprenait 31 137 en 2012, 31 018 en 2011, 29 653 en 2010, 29 295 en 2009 et 29 349 en 2008.

7 () Selon le rapport d’information des sénateurs Nicole Borvo Cohen–Seat et Yves Détraigne,  La réforme de la carte judiciaire : une occasion manquée, de juillet 2012, les juridictions touchées par la réforme de la carte judiciaire ont connu une réduction d’effectifs de 6,9 % pour les magistrats et 9,1 % pour les fonctionnaires.

8 () Loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.

9 () Loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue.

10 () Loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs.

11 () Loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010 relative à l’exécution des décisions de justice, aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires et décret d’application du 23 août 2011 relatif à la spécialisation de certains tribunaux d’instance.

12 () Décret n° 2011-913 du 29 juillet 2011 modifiant le décret n° 2003-1284 du 26 décembre 2003 relatif au régime indemnitaire de certains magistrats de l’ordre judiciaire et arrêté du 29 juillet 2011 modifiant l’arrêté du 3 mars 2010 pris en application du décret n° 2003-1284 du 26 décembre 2003 relatif au régime indemnitaire de certains magistrats de l’ordre judiciaire.

13 () Décret n° 2008-145 du 15 février 2008 modifiant le siège et le ressort des tribunaux d’instance, des juridictions de proximité et des tribunaux de grande instance et décret n° 2008-146 du 15 février 2008 modifiant le siège et le ressort des tribunaux de commerce.

14 () La réforme de la carte judiciaire : une occasion manquée, rapport de Mme Borvo Cohen–Seat et M. Yves Détraigne n° 662 (2001–2012) du 11 juillet 2012.

15 () Rapport précité, p. 65.

16 () Décret n° 2011–981 du 23 août 2011 relatif à la spécialisation de tribunaux d’instance dans le ressort de certains tribunaux de grande instance pour connaître des mesures de traitement des situations de surendettement des particuliers et des procédures de rétablissement personnel.

17 () L’ambition raisonnée d’une justice apaisée, rapport de la Commission sur la répartition des contentieux présidée par Serge Guinchard, remis au garde des Sceaux le 30 juin 2008.