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Commission des affaires étrangères

Mardi 25 septembre 2012

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 10

co-présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente et de Mme Danielle Auroi, Présidente de la commission des affaires européennes

– Audition, ouverte à la presse, conjointe avec la commission des affaires européennes, de M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé des affaires européennes, sur le projet de loi autorisant la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire.

Audition, ouverte à la presse, conjointe avec la commission des affaires européennes, de M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé des affaires européennes, sur le projet de loi autorisant la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire

La séance est ouverte à dix-sept heures.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Monsieur le ministre, nous avons le plaisir de vous accueillir pour une deuxième audition conjointe avec la Commission des affaires européennes, consacrée exclusivement au projet de loi autorisant la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (TSCG). Vous nous exposerez, dans leurs grandes lignes, les dispositions de ce traité, le contexte dans lequel il s’inscrit et les raisons pour lesquelles il convient d’autoriser sa ratification.

D’entrée, je veux dire que, pour ma part, je voterai sans hésitation en faveur du projet de loi.

En premier lieu, je ne crois pas que, contrairement à ce que d’aucuns prétendent, le TSCG nous impose un corset de fer ; un examen attentif du texte, notamment de la notion de déficit structurel, montre que le dispositif est en réalité moins contraignant que les engagements que nous avons déjà pris.

Ensuite, la rédaction du texte laisse ouvertes de nombreuses options ; et le Gouvernement ayant fait le choix de transposer les dispositions par une loi organique, plutôt qu’en modifiant la Constitution, la souveraineté de notre Assemblée reste préservée.

Enfin, le traité, voulu par l’Allemagne afin de consolider la discipline budgétaire après plusieurs années durant lesquelles la France et d’autres États membres ne respectaient plus les règles de la monnaie unique fixées il y a vingt ans, résulte d’un compromis. Refuser de l’adopter ferait voler en éclat les contreparties obtenues par le Président de la République lors du dernier Conseil européen, les 28 et 29 juin : le pacte de croissance, la taxe sur les transactions financières, la supervision bancaire. Cela priverait aussi notre pays de la possibilité de recourir au Mécanisme européen de stabilité (MES) – non pour lui-même, mais pour recapitaliser ses banques en cas de répercussion d’une faillite sur l’ensemble des banques européennes, suivant un scénario du type « Lehman Brothers ».

Je précise que la Commission des affaires étrangères procédera à l’examen du projet de loi demain à 9 heures 30.

Mme la présidente Danielle Auroi. C’est un plaisir que de vous accueillir à nouveau, monsieur le ministre, même si le sujet du jour n’est guère simple, dans la mesure où il est l’héritage d’une période antérieure de la construction européenne. Il faudrait d’ailleurs réfléchir à la nouvelle étape – car c’est bien de cela qu’il est question au bout du compte.

À la suite de cette audition, nous examinerons le rapport de notre collègue Christophe Caresche, qui sera assorti d’une proposition de résolution. Je précise à ce sujet que c’est en tant que rapporteure du projet de loi pour la Commission des affaires étrangères que Mme Guigou a donné son point de vue. Pour ma part, je suis dans une position d’attente. Il me semble qu’examiner le traité isolément, sans prendre en considération le contexte général et l’objectif d’intégration solidaire, serait se satisfaire d’une vision étroite, franco-française, de la construction européenne. Notre commission souhaite donner un contenu nouveau à l’intégration européenne, avec plus de social, plus de développement écologique, plus de sens. C’est indispensable si l’on veut que l’Europe politique progresse, et ce texte ne peut être considéré indépendamment de tous ces aspects.

Notons d’ores et déjà des signaux positifs : la mise en place du MES, l’extension du rôle de la Banque centrale européenne (BCE), le projet d’union bancaire, les propositions du président Barroso, notamment sur l’Europe sociale, celles du président Van Rompuy.

Afin de faire avancer la réflexion sur le sujet, la Commission des affaires européennes a désigné deux rapporteurs, Razzy Hammadi et Pierre Lequiller, pour travailler dans la durée sur le pacte de croissance ; elle a chargé par ailleurs Christophe Caresche et Didier Quentin d’un rapport sur l’union bancaire ; enfin, elle m’a confié un rapport sur l’approfondissement de la démocratie européenne et l’implication renforcée des Parlements nationaux.

Si l’on se pose des questions sur ce traité, c’est que nombre de nos concitoyens vivent avec l’angoisse du quotidien, le chômage et le mal vivre, et qu’ils n’arrivent pas à se reconnaître dans l’Europe actuelle, qui ne les protège plus. Il importe de redonner du sens à l’Europe et de faire progresser la démocratie européenne. Pour cela, il faut que les parlements, qui sont les seuls représentants des citoyens, participent davantage à la direction de l’Union. À l’heure actuelle, on a trop souvent le réflexe de s’en remettre aux experts ; mais, aussi bons soient-ils, ceux-ci ne pourront jamais remplacer les représentants des citoyens. La réflexion sur l’économie ne doit pas rester le pré carré des exécutifs et des experts.

Notre commission, durant la précédente législature, fut très active dans ce domaine. Elle a permis des avancées, en particulier l’adoption de l’article 13 du traité, relatif à la conférence budgétaire. L’enjeu, au-delà du présent débat, est bien de contribuer à la construction de l’Europe des citoyens que nous appelons de nos vœux.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé des affaires européennes. Mesdames les présidentes, je vous remercie de me permettre de présenter dès aujourd’hui le « paquet européen » que le Gouvernement soumettra prochainement à la représentation nationale.

En effet, le débat que nous aurons dans quelques jours dans l’hémicycle ne portera pas exclusivement sur le TSCG, mais sur l’ensemble des orientations que le Gouvernement entend faire prévaloir en matière de politique européenne. Cela comprend le pacte de croissance adopté lors du Conseil européen des 28 et 29 juin derniers, le pacte de stabilité budgétaire inclus dans le traité, la taxe sur les transactions financières, la supervision bancaire et la poursuite de la réflexion sur la mise en place d’une union bancaire européenne, qui comprendrait également un dispositif de résolution des crises bancaires et un autre de garantie des dépôts. Je profiterai de cette audition pour apporter des informations aussi précises que possible sur la mise en œuvre des décisions prises lors du dernier Conseil européen et sur les dispositions prévues par le TSCG.

Commençons par le pacte de croissance. Il s’agit d’un plan de 120 milliards d’euros comprenant plusieurs enveloppes : 55 milliards d’euros de fonds structurels à répartir entre les États membres ; une recapitalisation de la Banque européenne d’investissement (BEI) à hauteur de 10 milliards d’euros, qui devrait permettre d’accorder pour 60 milliards d’euros de prêts visant à financer des projets structurants dans les territoires, notamment en matière de développement durable ; le lancement d’une phase pilote pour l’émission d’une première génération d’« obligations de projets ». Le plan permet également 120 milliards d’investissements privés complémentaires.

Le conseil d’administration de la BEI s’est réuni le 24 juillet pour prendre la décision de recapitalisation ; celle-ci doit être présentée aux gouverneurs avant la fin de l’année, de manière à permettre le déblocage en une seule tranche des 10 milliards d’euros afin que les 60 milliards de prêts puissent être accordés sans tarder. La France participera à cette recapitalisation à hauteur de 1,6 milliard d’euros, qui seront inscrits dans la prochaine loi de finances afin de témoigner de notre volonté d’aller vite.

Que devrions-nous obtenir en retour ? En moyenne, la France a bénéficié au cours des dernières années de 8 % des concours financiers de la BEI – contre 7 % pour le Royaume-Uni et 13 % pour l’Allemagne. Ce sont donc quelque 5 milliards d’euros qui devraient être rapidement mobilisés dans ce cadre. Ces financements bénéficieront à des projets actuellement en attente ou à de nouveaux projets, sur lesquels nous travaillons avec les départements ministériels concernés, le Commissariat général à l’investissement, la DATAR et les régions. À la demande du Premier ministre, j’ai entamé une tournée afin d’examiner région par région les projets éligibles ; je pense, par exemple, à l’achèvement des travaux du nouveau CHU d’Amiens, au projet de canal Seine-Nord-Europe ou aux opérations d’équipement numérique de la Haute-Savoie. Je vous incite à signaler les projets susceptibles de faire l’objet d’un financement ; les secrétaires généraux pour les affaires régionales ont déjà été sollicités par lettre du Premier ministre et ma tournée me permettra d’étudier les modalités de mise en œuvre.

S’agissant des obligations de projets, un règlement a été adopté dès le mois de juillet afin de permettre leur mise en place rapide. La Commission européenne a décidé d’apporter 230 millions d’euros en garantie pour la levée de 4,5 milliards ; sur cette enveloppe de 230 millions d’euros, 200 millions iront au secteur des transports, 10 millions au secteur de l’énergie et 20 millions aux technologies de l’information et de la communication.

Nous avons demandé aux secrétaires généraux pour les affaires régionales de dresser le bilan des fonds structurels inutilisés, donc disponibles. Une première enveloppe porterait sur quelque 2 milliards d’euros ; l’objectif est de les mobiliser le plus rapidement possible.

Le pacte de croissance n’est que la première étape d’un dispositif plus vaste, qui comprend notamment les perspectives financières de l’Union pour 2014-2020. Le Conseil affaires générales qui s’est tenu hier a permis d’engager la discussion avec nos partenaires. Notre objectif est de faire en sorte qu’on ne touche pas au volume des aides directes de la politique agricole commune et que la politique de cohésion soit menée avec lisibilité, c’est-à-dire que les régions qui ont connu une évolution de leur PIB comparable se voient allouer des crédits dans des conditions similaires. Nous souhaitons également que le budget de l’Union soit doté de ressources propres ; c’est pourquoi nous nous employons à obtenir les dernières signatures nécessaires pour mettre en place la taxe sur les transactions financières suivant la procédure de coopération renforcée.

Cette négociation sur les perspectives financières sera difficile, car nous souhaitons prolonger l’ambition de croissance portée par le traité ; il faudra approfondir la relation avec nos partenaires si l’on veut réorienter les budgets et les politiques de l’Union dans cette direction.

J’en viens à la remise en ordre du système bancaire. Le dernier Conseil européen a décidé la mise en œuvre de la supervision bancaire, première étape d’un dispositif qui comporte deux autres volets : la résolution au niveau européen des crises bancaires et la garantie des dépôts. L’objectif est que l’Union européenne dispose d’une véritable union bancaire, lui permettant de contrôler l’activité des banques afin que les errements du passé ne puissent plus se reproduire.

Le débat – difficile – porte sur le périmètre de ce contrôle. La France, qui a sur ce sujet la même position que la Commission, considère que la Banque centrale européenne doit être le superviseur et que sa surveillance ne doit pas s’exercer uniquement sur les banques systémiques, mais sur la totalité des plus de 6 000 banques de la zone euro. La Commission européenne est chargée d’élaborer les dispositions législatives, qui seront ensuite débattues dans le cadre du trilogue avant que soit arrêté définitivement le périmètre de la supervision. Je précise que si cette supervision peut être mise en œuvre dans le cadre des traités existants, les deux autres volets de l’union bancaire supposent un inventaire juridique préalable. Les travaux conduits par Herman Van Rompuy visent précisément à examiner ce qu’il serait possible de faire dans le cadre des traités existants et ce qu’il faudrait faire si l’on décidait de les modifier.

Troisième point, la solidarité financière et monétaire. Le dernier Conseil européen a précisé les modalités d’intervention du Fonds européen de stabilité financière (FESF) et du Mécanisme européen de stabilité : le FESF et le MES pourront intervenir sur le marché secondaire des dettes souveraines et le MES aura la possibilité de recapitaliser directement les banques ; cela évitera aux États membres d’avoir à faire appel aux marchés et de devoir répercuter sur les peuples les taux prohibitifs qu’on leur impose, ruinant ainsi leurs efforts de réduction des déficits. Il serait contradictoire de vouloir accélérer la sortie de l’Europe de la crise et éviter l’austérité aux peuples tout en refusant l’utilisation des mécanismes de mutualisation et en déclenchant une crise dont l’Europe n’a nul besoin ; je rappelle que, si nous nous sommes abstenus lors du vote sur la création du MES, c’est parce que nous étions opposés au lien établi dans le texte entre le MES et le traité de discipline budgétaire. Une autre disposition, très importante pour les banques espagnoles, prévoit l’abandon par le MES de la séniorité.

Pour que ce mécanisme de solidarité s’applique, le Conseil européen a décidé que la supervision bancaire devait être mise en œuvre préalablement. Nous souhaiterions donc que ce soit fait rapidement.

Prenant acte des décisions du Conseil européen, la BCE a précisé les conditions de son intervention. M. Draghi a déclaré que la BCE interviendra sur le marché de la dette publique pour acquérir des titres à maturité courte, sans limites, mais à condition que les pays bénéficiaires aient préalablement accepté le principe d’un programme. Il existe donc désormais un mécanisme permettant à la BCE d’intervenir aussi longtemps qu’elle le jugera nécessaire pour empêcher les spéculateurs de gagner. Grâce à cette simple déclaration, la spéculation est déjà très contingentée.

La BCE sort-elle de son rôle en intervenant de la sorte ? Je rappelle que le mandat de la BCE est double : il s’agit d’assurer la stabilité des prix et le sauvetage de la monnaie. Or, lorsqu’un pays est attaqué dans des proportions significatives, c’est la monnaie unique dans son intégrité qui s’en trouve fragilisée. La BCE intervient donc, non en vertu d’un quelconque accord de solidarité avec un pays, mais au titre de son mandat de défenseur de la monnaie unique.

Nous souhaitons aller plus loin encore. Pour cela, il convient de réaliser l’inventaire de ce qu’il est possible de faire dans le cadre des traités existants, car il est possible qu’une plus grande solidarité nécessite leur modification. Nous avons déclaré que nous étions prêts à faire un saut politique si celui-ci était justifié par une volonté de solidarité supplémentaire entre les États – ce que le Président de la République a appelé « l’intégration solidaire ». C’est pourquoi nous avons accepté de participer aux travaux du ministre allemand Guido Westerwelle et que nous allons présenter à Herman Van Rompuy une feuille de route, qui sera la contribution de notre pays à l’Union politique et monétaire.

J’en viens pour finir au traité lui-même. Dans le cadre que je viens de présenter, il ne représente plus l’horizon indépassable de la politique européenne. Nos prédécesseurs auraient souhaité qu’il fût inscrit dans la Constitution ; ils considéraient que la discipline budgétaire était la pierre angulaire de l’Union européenne. Cela ne correspond pas à notre approche.

Nous estimons que le traité n’a pas vocation à être inscrit dans la Constitution parce que l’ensemble des dispositions à caractère budgétaire auxquelles il fait référence sont déjà en vigueur et qu’il ne prévoit pas de transfert de souveraineté ; le Parlement continuera à exercer la plénitude de ses pouvoirs budgétaires. Nous considérons en outre que la politique budgétaire ne relève pas des textes qui régissent les rapports entre les pouvoirs publics, mais des prérogatives classiques du Parlement. Le Conseil constitutionnel nous a donné raison sur ce point : en conséquence, le débat est clos.

Les dispositions du traité et la discipline budgétaire ne doivent pas être les aspects prédominants de la politique de l’Union européenne. Notre conviction est que, si la discipline budgétaire est nécessaire – le budget que nous allons présenter témoigne d’ailleurs de notre volonté en la matière –, elle ne suffit pas ; il faut aussi accroître la solidarité, remettre en ordre la finance, impulser de la croissance.

Je voudrais maintenant préciser quelques points sur le contenu du traité.

Premièrement, celui-ci n’impose pas de passer de 3 % de déficit maastrichtien à 0,5 % de déficit structurel. Les règles de Maastricht demeurent : le déficit maastrichtien correspond au déficit des comptes publics, c’est-à-dire à la différence entre les dépenses et les recettes de l’État, alors que le déficit structurel tient compte également des dépenses mobilisées par les États en vue de faire face à des chocs conjoncturels. Cela signifie que l’objectif de déficit structurel permettra aux États contractants de mener des politiques budgétaires contracycliques. En revanche, le respect du principe de 0,5 % dans la durée garantira le maintien de l’objectif de 3 %.

Deuxièmement, il n’y aura pas d’effet cumulatif de la réduction des déficits et de la réduction de la dette. Le traité donne bien l’obligation aux États contractants de réduire de un vingtième par an la part de leur dette supérieure à 60 %, mais dans un délai de trois ans après la sortie d’une procédure de déficit excessif.

Troisièmement, le traité ne remet pas en cause les pouvoirs budgétaires du Parlement et ne prévoit pas de procédure disciplinaire nouvelle. Le mécanisme permettant à la Commission d’intervenir dans le budget des États résulte du « Six Pack », déjà entré en vigueur ; et, dans le cadre du semestre européen, le précédent gouvernement a présenté ses orientations budgétaires pluriannuelles à la Commission, qui a exprimé ses recommandations quelques semaines après la nomination du nouveau gouvernement.

Enfin, il est erroné de dire que le juge sera comptable des équilibres budgétaires des États ou qu’il s’agit de l’amorce d’un gouvernement des juges : le traité prévoit en effet une saisine de la Cour de justice de l’Union européenne, non pas si les États ne respectent pas les règles budgétaires, mais dans le cas où ils n’auraient pas transposé le contenu du traité en droit national.

On peut être pour ou contre ce traité. Pour ma part, je pense qu’il fallait, non pas en faire la pierre angulaire de l’Union européenne, mais l’inclure dans un ensemble plus large, en utilisant certaines de ses dispositions pour favoriser une lecture keynésienne si des chocs conjoncturels le justifient. D’ailleurs, certains pays ont demandé que l’article 3, paragraphe 3, prévoie que les États contractants puissent se délier des obligations du traité en cas de circonstances exceptionnelles.

Je souhaite que ce débat ait lieu et qu’il soit conduit avec la plus grande rigueur. Je suis donc à votre disposition pour répondre à vos questions le plus précisément possible, et sans esprit de polémique.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. La taxe sur les transactions financières doit être adoptée suivant la procédure de la coopération renforcée, ce qui suppose un accord entre au moins neuf pays. Où en est la procédure ? Combien de pays comptent y participer ? Le produit de la taxe sera-t-il affecté aux budgets nationaux ou au budget communautaire ? Dans ce dernier cas, viendra-t-elle en déduction du prélèvement sur le revenu national brut des États participants ou sera-t-elle reversée à un fonds commun destiné à financer des actions particulières ?

L’Allemagne ne souhaite pas que ses banques locales et ses caisses d’épargne soient contrôlées par la BCE, car elle craint l’engorgement de celle-ci et n’a guère envie de soumettre ses banques à une supervision européenne. Cela retarde l’adoption du mécanisme de supervision bancaire, qui lui-même conditionne, comme vous l’avez rappelé, l’accès au Mécanisme européen de stabilité et la recapitalisation directe des banques. Où en sont les discussions franco-allemandes sur le sujet ? Un calendrier a-t-il été arrêté ?

Le rapport Van Rompuy doit faire l’objet d’un échange de vues lors du Conseil européen d’octobre, afin que des propositions soient soumises au Conseil de décembre. Va-t-on vers une mutualisation des dettes publiques ? Le Gouvernement envisage-t-il de prendre des initiatives afin de relancer l’harmonisation fiscale et sociale, qui a été perdue de vue ces dernières années ?

M. Christophe Caresche, rapporteur pour avis de la Commission des affaires européennes. Il a manqué à la réponse européenne à la crise une dimension globale. Il faut dire que, dès l’origine, l’Union économique et monétaire présentait trois failles.

La première était l’absence de prêteur en dernier ressort. Beaucoup pensaient ici que la BCE devait jouer ce rôle, non seulement pour assurer la stabilité des prix, mais aussi pour intervenir en cas de menace sur un pays. Force est de constater que la solidarité européenne a bien progressé depuis quelques semaines – certes sous la menace de graves difficultés avec l’Italie et l’Espagne, mais aussi grâce à l’action du Président de la République –, avec la mise en place d’un mécanisme de stabilité destiné à soutenir les États et le secteur bancaire, et avec l’intervention de la BCE.

La deuxième était la divergence des politiques économiques nationales, avec, d’un côté, des politiques expansionnistes et, de l’autre, des politiques déflationnistes ; résultat, il n’y avait aucune coordination économique dans la zone euro. On note là aussi des avancées, avec la mise en place d’instruments économiques à l’échelon européen par l’intermédiaire du pacte de croissance et demain, je l’espère, d’un véritable budget européen.

La troisième était le manque de responsabilité et de discipline. Le pacte de stabilité a volé en éclats en 2003 lorsque la France et l’Allemagne ont décidé, d’un commun accord, de s’affranchir de ses règles. Depuis lors, jamais l’Europe n’a eu la capacité de faire respecter les règles qu’elle s’était données. Aujourd’hui, une réponse a été apportée ; il est évident qu’un climat de confiance est nécessaire si l’on veut pouvoir continuer à avancer ensemble. Le rétablissement de la crédibilité de l’Union économique et monétaire passe par le respect de la discipline budgétaire.

Sur ces trois points, des progrès significatifs ont été réalisés ; l’Europe est en train de mettre en œuvre la réponse globale qui lui faisait tant défaut.

C’est dans ce cadre qu’il faut apprécier l’engagement de la France en faveur de la ratification du traité. Comme cela a été rappelé, nombre des dispositions qu’il contient ont déjà été adoptées, notamment dans le cadre du « Six Pack ». Le traité ne fait que renforcer certaines décisions, notamment en introduisant la notion de déficit structurel, sans doute plus satisfaisante que celle de déficit maastrichtien. D’autre part, le traité ne sera pas inscrit dans la Constitution, le Gouvernement ayant choisi – comme nombre d’autres pays européens – la voie de la loi organique ; il sera donc transposé dans le respect de nos traditions juridiques et des droits du Parlement.

Pour toutes ces raisons, sa ratification nous permettra de recueillir les fruits des efforts accomplis ces derniers mois et de faire entendre la voix de la France avec plus de force que par le passé, de manière à poursuivre la réorientation de l’Europe.

Mme la présidente Danielle Auroi. Je m’associe, madame la présidente, à vos questions sur la procédure de coopération renforcée, en ce qui concerne la taxe sur les transactions financières.

Du fait du « Six Pack », on a l’impression que la Commission européenne a désormais un droit de regard sur les budgets des États membres – alors qu’il ne s’agit pour elle que de donner un avis. Comment accroître le rôle du Parlement européen et des parlements nationaux afin de rééquilibrer les choses ?

En juin, l’Italie avait adopté une position intéressante, complémentaire à celle de la France. Qu’en est-il aujourd’hui ? Le Conseil européen de la mi-octobre enverra-t-il des signaux favorables ?

M. Pierre Lequiller. La position de l’UMP est claire : nous avons voté en faveur du Fonds européen de stabilité financière et du Mécanisme européen de stabilité, et nous avons toujours été favorables à ce traité, d’abord parce que c’est le Président Sarkozy qui l’a négocié avec Angela Merkel et les vingt-trois autres pays signataires, ensuite parce qu’il nous semble bon pour l’Europe et pour la France.

Nous plaidons depuis longtemps pour les engagements de responsabilité prévus par le traité, qu’il s’agisse de la « règle d’or » d’un déficit structurel limité à 0,5 %, des mécanismes de correction automatique ou du renforcement des règles de discipline budgétaire fixées par le traité de Maastricht, avec l’accélération des procédures pour déficit excessif. Toutefois, nous aurions souhaité que la règle d’or soit inscrite dans la Constitution.

Nous nous félicitons des initiatives prises par la BCE ; je voudrais rendre hommage à M. Draghi, ainsi qu’à la Chancelière et à son ministre des finances, qui ont encouragé l’évolution de la BCE – contrairement au dogmatique président de la Bundesbank.

La supervision bancaire est une initiative importante, et j’espère qu’elle concernera l’ensemble des banques. Le désaccord entre la France et l’Allemagne porte-t-il uniquement sur les banques des Länder ?

Avec la mise en place du semestre européen et le « Six Pack », la concertation à l’intérieur de l’Europe a progressé, sans que cela aboutisse à des transferts de souveraineté ou à un gouvernement des juges.

Nous aurions néanmoins souhaité que l’on aille plus vite. La gauche a commencé par s’abstenir lors du vote sur la création du MES – une partie du PS ayant voté contre –, puis elle a annoncé qu’il fallait renégocier le traité, avant de s’y rallier. On comprend mieux les divisions actuelles !

Dès le mois de juillet, l’Allemagne avait proposé la création d’un poste de ministre des finances européen, l’élection du président de la Commission européenne au suffrage universel, la convocation d’une « convention européenne » et le transfert de nouvelles compétences à l’Europe. Quelles sont les réponses de la France à de si audacieuses suggestions ?

Qu’en est-il du projet de fusion entre EADS et BAE Systems ?

M. Charles de Courson. Le groupe UDI votera en faveur du traité. Nous avons été les premiers à défendre la « règle d’or » ; nous avons réussi à convaincre nos partenaires de l’UMP, puis une petite minorité de la gauche ; depuis, l’idée n’a cessé de gagner du terrain, et nous nous réjouissons d’entendre aujourd’hui les néo-convertis ! Cela démontre l’utilité de la construction européenne pour obtenir l’application de ce qui n’est rien d’autre qu’une règle de bonne gouvernance indispensable à la démocratie.

Seulement, monsieur le ministre, il faut dire la vérité. Un déficit structurel de 0,5 % correspond à un déficit public de 10 milliards d’euros, soit moins que le montant actuel des dépenses d’investissement de l’État. Pour l’UDI, la règle d’or doit consister à imposer l’équilibre du budget de fonctionnement.

D’autre part, vous avez éludé le contenu de l’article 4. Le traité fixe deux limites : le déficit structurel à moins de 0,5 % et la dette publique à moins de 60 % du PIB. Vous avez botté en touche en expliquant que l’obligation d’une réduction de la dette au rythme de un vingtième par an ne s’appliquait que lorsqu’on était sorti de la situation de déficit excessif. Certes, mais nous espérons que ce sera le cas dans un ou deux ans ; or l’application de l’article 4 à la situation française reviendrait à imposer un excédent structurel d’environ 1 %.

Vous avez raison : le traité ne prévoit nullement un gouvernement des juges. En revanche, il accorde au juge constitutionnel – et donc, dans le cas de la France, au Conseil constitutionnel – le pouvoir d’annuler une loi de finances qui ne serait pas conforme au traité. Il faudra alors voter une nouvelle loi de finances, voire une nouvelle loi de financement de la sécurité sociale !

De même, il faut dire la vérité sur les contreparties. En France, l’addition des trois volets du plan de croissance – on espère obtenir 4 milliards d’euros sur le premier, 5 milliards sur le deuxième et quelques centaines de millions sur les projects bonds – représentera tout au plus 9 milliards, étalés sur plusieurs années : ce n’est pas cela qui relancera la croissance !

Nous nous réjouissons du projet d’union bancaire ; nous avions d’ailleurs critiqué le rapport Larosière, extrêmement conservateur et timide. La position du Gouvernement est parfaitement fondée : il faut créer un système de supervision, sinon le mécanisme de soutien aux réseaux bancaires en difficulté ne pourra jamais être mis en place.

La taxe sur les transactions financières est ectoplasmique, admettez-le ! Vous avez doublé le taux de la taxe que nous avions créée, mais, tant que l’on n’aura pas rallié le Royaume-Uni et le Luxembourg – et cela n’arrivera jamais –, on ne pourra prendre que des mesures homéopathiques.

Enfin, nous nous réjouissons de l’instauration d’une solidarité financière par l’intermédiaire du MES et du FESF.

Bref, bienheureux les néo-convertis, mais qu’ils évitent de dire des choses erronées !

M. Alain Bocquet. Madame la présidente de la Commission des affaires étrangères, vous avez annoncé d’emblée que vous voterez en faveur du traité avec conviction et enthousiasme. Je tiens à dire que mes amis et moi, nous voterons contre avec conviction et détermination ! Fidèles à notre combat contre le traité de Maastricht, nous refusons de rester plus longtemps dans une matrice libérale d’où découle une construction européenne vouée à l’échec, et dont la crise actuelle met les risques en évidence. Plutôt que d’un corset, il faudrait parler d’une camisole, avec le renforcement de l’austérité et une soumission toujours plus forte à la domination des marchés financiers et des banquiers. La supervision bancaire paraît quelque peu mollassonne au regard du pouvoir de ceux-ci !

L’Europe ne date pas d’aujourd’hui. Quand on constate l’anarchie fiscale qui y règne, y compris entre les pays fondateurs – il suffit de suivre l’actualité et de voir ce qui se passe en Belgique, au Luxembourg ou à Jersey –, on se dit qu’il y a un problème ! Va-t-on attendre encore des décennies pour le résoudre ? Il en va de même en matière sociale, avec la mise en concurrence des salariés et des peuples et l’absence d’avenir industriel ; lorsque j’ai présidé la Commission d’enquête sur la situation de l’industrie ferroviaire, j’ai bien vu que l’Europe du rail n’existait pas, qu’il n’y avait aucune coopération industrielle dans ce domaine. On pourrait citer quantité d’autres exemples. Jamais les défis de l’harmonisation fiscale et sociale n’ont été pris en compte – et ce traité n’y répond pas davantage ; sa ligne directrice est l’austérité. Cette politique se traduit depuis trois ans par une baisse de moitié du nombre d’immatriculations de véhicules neufs en Grèce, et de 25 % en Espagne – c’est-à-dire par des fermetures d’entreprises et par du chômage.

Parlons du concret au lieu de rajouter, en conservant toujours la même matrice, une couche d’organisations technocratiques, qui ne changeront les choses qu’à la marge. Dans le cas contraire, nous irons droit dans le mur, avec la montée généralisée des nationalismes et du populisme !

Monsieur le ministre, vous aviez un temps fréquenté avec nous l’école buissonnière d’une autre construction européenne. Quelle peut être la position d’un gouvernement de gauche quand la quasi-totalité des syndicats français et le plus grand syndicat européen s’opposent à ce traité, ou quand Le Figaro – qui est pourtant un bon journal de classe – publie un sondage révélant que, s’ils étaient consultés aujourd’hui, 67 % des Français voteraient contre le traité de Maastricht ? Comment un gouvernement, qui est censé être l’émanation du peuple, peut-il aller contre la volonté de celui-ci ? Qui se trompe dans cette affaire : Mme Merkel ou les peuples ?

L’Europe représente 25 % du PIB mondial. Vous parlez d’un complément de croissance, mais celui-ci ne représente que 2 % du PIB. Soyons sérieux, monsieur le ministre : ce n’est pas la construction du nouveau CHU d’Amiens qui va relancer l’économie et l’industrie françaises !

Nous sommes aujourd’hui à un tournant, mais je crains que l’on ne prenne pas les choses par le bon bout.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Mon cher collègue, je n’ai pas dit que je voterais ce traité avec enthousiasme, j’ai dit que je le voterais avec conviction. Il permettra en effet d’accomplir des progrès, y compris dans des domaines où vous souhaitiez que l’on avance.

Mme Estelle Grelier. Monsieur le ministre, le groupe SRC apprécie votre disponibilité, votre ténacité et les arguments très pédagogiques que vous développez.

Nous avons compris que, si le TSCG n’est pas « un horizon indépassable », il est un préalable nécessaire pour envisager l’infléchissement des politiques de l’Union européenne. Il suffit de discuter avec des parlementaires allemands pour comprendre que Mme Merkel doit avoir bien du mal à les convaincre, fussent-ils ses amis politiques, de la nécessité de mener une politique profondément européenne. On devine en même temps la rudesse des négociations qu’a dû engager le gouvernement français pour obtenir un pacte de croissance qui, outre-Rhin, n’avait pas très bonne presse.

Nous aimerions cependant avoir des éclaircissements sur la position actuelle des Allemands en matière de supervision bancaire. Ils considèrent en effet qu’elle ne devrait concerner que les banques systémiques et qu’il faut en exclure les Volksbanken et les Sparkassen.

La priorité accordée par le précédent gouvernement à la politique de cohésion, au détriment de la politique agricole commune, est-elle toujours à l’ordre du jour ? Qu’en est-il des « restes à liquider » ? C’est le projet européen qui se décline, pour plusieurs années, dans ce cadre financier pluriannuel.

Une licence bancaire sera-t-elle accordée au MES ?

Les investissements d’avenir pourront-ils être retranchés du calcul du déficit ?

Quel est le calendrier des initiatives que le Gouvernement prendra en matière de réciprocité commerciale et de juste échange ?

Mme Merkel envisage de confier à la Cour de justice de l’Union européenne le soin de contrôler les budgets nationaux. Qu’en est-il exactement ?

Enfin, le parlementaire français que je suis jalouse les prérogatives du Bundestag en matière d’infléchissement des politiques gouvernementales. Dans les négociations engagées au niveau du Conseil européen, est-il envisagé de renforcer le contrôle des parlements sur les décisions de l’Union européenne ? Cela ne manquerait pas de rendre tous les députés, et tous les citoyens, plus sensibles aux thématiques européennes.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Madame la présidente, j’aimerais que vous demandiez aux services de l’Assemblée d’imprimer le traité en caractères plus gros, car, si j’en juge par ce qu’en ont dit mes collègues, je doute qu’ils aient été nombreux à le lire jusqu’au bout. Ils auraient compris, sinon, qu’il représente un pas supplémentaire dans l’abandon de souveraineté.

Mes chers collègues, je vous prie de relire attentivement la décision du Conseil constitutionnel que vous brandissez comme un étendard : vous verrez que des réserves y sont formulées et que le Conseil diffère de se prononcer sur les sanctions qui frapperaient la France en cas de non-respect du traité.

L’article 5 du traité ne vise pas simplement à établir une discipline, mais à réorienter et à imposer des politiques. Je vois en cela le signe d’une soumission, dans la droite ligne de Maastricht : vous allez au bout d’une logique qui a échoué. Ce faisant, vous dépossédez les représentants du peuple d’un pouvoir fondamental et vous le transmettez à une Commission non élue, à des États étrangers qui auront ainsi un droit de regard sur nos affaires et à une Cour de justice. Le plus grave, c’est que vous faites tout cela avec une apparente bonne conscience, en laissant entendre que vous vous pliez au réalisme, puisque tel est le nom qu’on donne souvent aux abandons.

Dans le même temps, vos choix économiques vont empêcher la France de respecter le traité. Le Président de la République n’a-t-il pas déjà annoncé qu’il n’y comptait pas lorsqu’il a déclaré tabler sur une croissance de 0,8 % en 2013 ? De récentes prévisions montrent en effet que la croissance sera inférieure à ce chiffre. L’Espagne et l’Italie s’enfoncent déjà dans une récession sans nom, digne de la politique menée par Laval en 1935, qui avait plongé la France dans une récession cumulative. Nous en verrons les conséquences en France même, avec 500 000 chômeurs supplémentaires dans un an, et vous expliquerez sans doute aux organismes internationaux, à la Commission de Bruxelles, à la Cour de justice ou à ce partenaire que vous vénérez – l’Allemagne –, que vous n’avez pas pu faire mieux. On nous infligera alors des procédures disciplinaires et vous vous demanderez alors pourquoi vous avez signé un tel traité.

Il s’agit bien, dans le fond comme dans la forme, d’un abandon total. Et ce renoncement sera inefficace, puisqu’il fera perdre toute crédibilité à la France. En vérité, en dépit de quelques exceptions, la politique que conduisent le parti socialiste ou l’UMP a mené au désastre industriel et social. Je vous renvoie au Discours pour la France de Philippe Séguin, qui décrivait précisément ce que nous vivons aujourd’hui. Vous avez été élus en promettant la croissance : les Français ne tarderont pas à voir qu’ils ont été leurrés et votre pacte de croissance paraîtra ridicule rapporté aux défis que doit affronter le continent. Vous savez très bien qu’il faut changer radicalement de politique. En ratifiant ce traité, la majorité et, ce qui est plus grave, la représentation nationale s’interdisent de le faire.

Le système ne tardera pas à exploser. L’Allemagne n’acceptera pas de payer éternellement : elle n’en a d’ailleurs pas les moyens. La Grèce est aujourd’hui en grève générale. L’Espagne s’enfonce dans la récession. Le Portugal connaît des troubles que la France connaîtra à son tour si elle persévère dans cette voie. Nous en sommes aux derniers soubresauts d’une politique que vous avez inaugurée, madame Guigou, il y a vingt ans. Il va falloir préparer la suivante.

M. Pierre Lellouche. Bernard Cazeneuve sait l’estime que m’inspirent ses qualités intellectuelles, ses qualités de bretteur et de pédagogue, mais je dois lui dire avec solennité que notre économie va mal, que la compétitivité de la France se dégrade de jour en jour et que le chômage ne cesse d’augmenter. On peut croire que la situation est due à la politique européenne et à ce qu’on appelle la « rigueur », ou considérer, au contraire, qu’elle s’est imposée parce que nous avons vécu à crédit et accumulé les déficits. C’est parce que certains pays s’étaient affranchis de la discipline budgétaire européenne, c’est parce que nous sommes tous en déficit excessif que, pour sauver la zone euro, nous avons dû nous doter de règles encadrant un peu plus les déficits publics. La rigueur n’est pas antinomique de la croissance. Au contraire, elle est la condition d’une politique de croissance.

Monsieur le ministre, vous êtes obligé de manger votre chapeau, après avoir promis aux Français une politique économique aux antipodes de la politique budgétaire dans laquelle vous allez vous engager en ratifiant ce traité. Le pays a besoin de clarté : dites-lui donc que le traité est conforme à l’intérêt national et que, pour maîtriser nos déficits, il nous faut mener une politique économique de relance, provoquer un choc de compétitivité. Après avoir combattu ce traité, vous le faites vôtre et invitez les députés de la majorité à le voter. Mais, dans le même temps, vous déclarez que ce n’est pas « un horizon indépassable », que vous allez continuer à dépenser, que vous ne voulez pas inscrire la « règle d’or » dans la Constitution. La vraie solution, dites-vous, c’est le plan de relance. Or il n’y a en pas !

J’ai occupé votre poste, je sais ce qu’est l’utilisation des fonds structurels, je connais la BEI et ses lourdeurs. Vous aurez de la chance si vous parvenez à dégager 7 ou 8 milliards de plus sur quelques années ! Comme vous, j’ai fait le tour des régions : non seulement elles sont parfois mal outillées pour tirer profit de la machinerie européenne, mais celle-ci fait en sorte qu’elles ne soient même pas éligibles aux fonds structurels, qui, jusqu’à présent, étaient réservés aux régions les plus pauvres.

Nous avons négocié ce traité en pensant qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’État d’en finir avec les dépenses excessives et qu’il fallait faire des économies. Si vous voulez être cohérent, annoncez donc vos économies ! Le vrai test de la ratification du traité, ce sera la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale. Si vous prévoyez des économies et une fiscalité susceptible de nous rendre des parts de compétitivité, alors nous serons dans un Standort Frankreich, parallèle au Standort Deutschland. Mais si l’économie allemande tournée vers l’exportation et la compétitivité, continue de faire face à l’économie française qui continue à emprunter, ce n’est pas seulement avec les Verts et les communistes que vous serez en contradiction, mais avec l’esprit du traité, qui exige davantage de discipline, d’investissements et de compétitivité.

En matière européenne, le parti socialiste a une histoire chaotique : à l’époque de François Mitterrand, il parlait d’une seule voix, mais il y a eu ensuite l’épisode de 2005, puis le MES. Je suis content qu’il nous rejoigne aujourd’hui, mais il n’a fait que la moitié du chemin. Encore un effort ! Optez pour une politique économique cohérente avec les engagements du traité ! Sinon, nous allons au-devant de graves difficultés.

Mme Marietta Karamanli. Plus qu’un traité, le véritable enjeu, pour l’Union européenne, c’est que le rapport de force entre les États membres débouche sur des politiques publiques. Ce serait une erreur que de s’en remettre pour tout à une série de dispositions : on en a tant vu, dans le passé, qui n’étaient pas respectées, alors que des créations utiles ne figuraient pas dans les traités.

Il ne s’agit pas d’opposer ceux qui seraient pour le traité et ceux qui seraient contre, mais de montrer qu’on peut être pro-européen et progressiste et ne pas croire que l’Europe ne peut être que récessive et inégalitaire.

Tout ce qui concerne le contrôle démocratique me semble très important. Certains collègues ont évoqué une perte de souveraineté. Il serait bon que les parlements nationaux puissent avoir communication des programmes de stabilité, de convergence, de réforme, et qu’ils en discutent. Il serait également utile qu’on leur communique les hypothèses de prévisions macro-économiques et budgétaires, qu’on les informe sur les méthodes de calcul ou sur les paramètres retenus. Il serait tout aussi souhaitable que la directive du Conseil sur les exigences applicables aux cadres budgétaires des États membres puisse trouver une traduction dans la loi organique. Enfin, les parlements nationaux devraient être en mesure de donner un avis sur l’évaluation des répercussions sociales des recommandations.

Dès lors que les instances de l’Union respectent le principe de subsidiarité, tous ces éléments nous permettront d’améliorer encore les dispositifs qui seront discutés à partir de la semaine prochaine. On ne comprendrait pas que le Parlement français soit moins exigeant pour lui-même que ne l’est le Parlement européen pour les parlements nationaux.

M. Michel Herbillon. Monsieur le ministre, je n’ai toujours pas compris les raisons cardinales, essentielles, qui vous ont conduits, vous et le parti socialiste, à opérer un virage à 180 degrés. Lors de la précédente législature, vous avez, en tant que député socialiste, voté contre un traité dont vous nous expliquez aujourd’hui, en tant que ministre, qu’il est formidable.

M. le ministre. Sous la précédente législature, nous n’avons été consultés sur aucun traité ! Je n’ai pas voté contre le Mécanisme européen de stabilité. Nous nous sommes abstenus, et j’ai expliqué pourquoi.

M. Michel Herbillon. Vos protestations cachent mal votre embarras, car il s’agit d’un sujet qui divise la majorité. Nous avons entendu M. Bocquet, mais il me semble que le groupe écologiste, qui fait pourtant partie de la majorité, n’a pas exprimé sa position.

Monsieur le ministre, la division de la majorité et du Gouvernement lui-même – puisque certains ministres ont déclaré être opposés au traité – me paraît extrêmement préjudiciable aux intérêts de l’Europe et de notre pays. Nos concitoyens l’ont d’ailleurs bien compris et le tour de passe-passe qui consiste à s’associer avec les pays du Sud pour tenter de contrecarrer l’alliance du couple franco-allemand n’a échappé à personne. Hier, vous étiez opposé au traité négocié par le Président Sarkozy et par la Chancelière Merkel ; aujourd’hui, vous êtes favorable au traité de Mme Angela Merkel et de M. François Hollande. Mais personne n’est dupe et chacun a remarqué votre embarras.

Quelle réponse apportez-vous aux propositions de la Chancelière sur les évolutions institutionnelles de l’Europe ?

Quel est votre sentiment sur l’implication du Parlement et, notamment, de l’Assemblée nationale dans les différentes étapes de la nouvelle gouvernance européenne ?

M. Jacques Myard. On ne peut nier que ce traité s’accompagne d’un transfert de souveraineté et organise la dégénérescence du système démocratique. Ainsi, la technocratie bruxelloise illustre ce que, il y a vingt-cinq siècles, Platon écrivait à propos de la dégénérescence des régimes politiques.

Vous confondez les conséquences et les causes. Les conséquences, ce sont les déficits budgétaires actuels, nés d’une nécessité néokeynésienne de faire de la relance, face à une monnaie qui a ruiné la compétitivité de la plupart des États, à l’exception de l’Allemagne. Le matraquage fiscal que vous nous annoncez pour l’an prochain est le résultat de ce traité et de la mise en œuvre de cette austérité permanente qui nous conduit à la récession.

Toute monnaie unique fondée sur des économies divergentes aboutit obligatoirement à « l’union de transfert », ce qu’ignore ce traité. Les besoins de l’Espagne, de l’Italie, du Portugal, de l’Irlande, dépassent toutes les capacités possibles. Les Allemands ont fait leurs comptes : pour sauver le système, il faudrait transférer entre 8 et 12 % du PIB allemand. Ce traité couronnera l’échec d’une utopie : la monnaie unique.

La majorité va donc autoriser sa ratification. Mais à quel moment déposerez-vous l’instrument de ratification ? Après que le Conseil constitutionnel aura jugé que la loi organique est conforme à la Constitution, ou avant ? Dans le second cas, que ferez-vous si le Conseil constitutionnel considère qu’elle n’est pas conforme ? On le voit, le piège se referme. Je voterai donc contre ce traité.

M. Christophe Léonard. Les Ardennes, mon département, présente un taux de chômage de 12 % au premier trimestre 2012, alors qu’il est de 9,6 % au niveau national. Le taux de pauvreté, à 18,6 %, y a progressé de 1,2 % les deux dernières années – c’est la progression la plus forte en France métropolitaine. Il s’agit du département le plus industrialisé de France – 17 points au-dessus de la moyenne nationale –, ce qui n’est pas sans conséquence puisque, sur les dix dernières années, il a perdu 7 700 emplois dans le secteur marchand non agricole, dont 6 500 dans l’industrie – la moitié dans le secteur automobile, en raison d’une forte présence de la sous-traitance automobile. Conséquence de tout cela, on constate chaque année une chute démographique de 0,24 %.

Pour les Ardennes, l’Europe est une réalité à la fois géographique et économique : le département, frontalier de la Belgique, est en effet au cœur de feu l’Europe des douze ; il présente une balance commerciale excédentaire de 800 millions d’euros, alors même qu’un certain nombre de ses unités industrielles se délocalisent, notamment en Europe de l’Est.

En quoi, monsieur le ministre, le TSCG et le pacte de croissance apportent-ils une réponse à la hauteur de l’enjeu que je viens de décrire, sachant que le Gouvernement a récupéré un « bateau ivre » – pour citer un illustre poète de mon département, Arthur Rimbaud –, avec 1 million de chômeurs en plus sur les cinq dernières années, 75 milliards de déficit commercial, 600 milliards de dettes sur cinq ans et une croissance à zéro ?

D’autre part, le TSCG est peut-être une étape nécessaire d’un point de vue monétaire et budgétaire, mais saura-t-il répondre à la nécessité d’harmonisation fiscale, sociale, environnementale, de juste échange ?

Enfin, je voudrais vous interroger sur la volonté du Gouvernement et de la France d’aller plus loin, d’ouvrir de nouvelles perspectives. Lors de la campagne présidentielle, François Hollande a indiqué qu’il fallait réorienter l’Europe. Chacun sait que nous discutons à vingt-sept et que cette réorientation ne pouvait pas se faire en quinze jours, d’un claquement de doigts. Mais, si ce traité est une étape nécessaire, quelles seront les étapes suivantes ?

Mme Annick Girardin. Les radicaux de gauche sont très favorables à la construction d’une Europe fédérale, mais pensent qu’il faut expliquer à nos concitoyens qu’elle n’est pas synonyme d’austérité. Aussi devons-nous sortir du débat entre les partisans et les opposants du traité, car le traité, lui, est bel et bien synonyme d’austérité. Certes, il nous faut réduire nos déficits. Mais, au moment où la France et l’Europe connaissent le chômage et la paupérisation, nos concitoyens ne peuvent qu’être frappés de voir que les réponses ne sont pas à la hauteur des enjeux. Ils nous parlent de l’ultralibéralisme, des accords de libre-échange économique qui causent le plus grand tort à certaines filières françaises et qui risquent de paralyser l’économie des outre-mers. Nous devons leur tenir un discours d’espoir et il serait bon d’accompagner le traité d’une déclaration interprétative.

Ne pourrait-on aller plus loin que la taxe sur les transactions financières ? Le vrai problème des banques, c’est peut-être qu’on les laisse encore agir pour leur propre compte. Ne pourrait-on exiger qu’elles n’agissent que dans l’intérêt d’un client et à sa demande ?

Mme la présidente Danielle Auroi. On a fait remarquer qu’aucun orateur ne s’était exprimé au nom du groupe écologiste : ceux qui appartiennent à nos deux commissions sont retenus dans d’autres réunions. Je vais donc m’autoriser, dans cette circonstance particulière, à m’exprimer à présent au nom de mon groupe.

Les écologistes sont, depuis toujours, des Européens convaincus. Aujourd’hui, le groupe est majoritairement opposé au traité, mais il laisse à ses membres la liberté de se prononcer différemment : quant à moi, à titre personnel, je pense m’abstenir.

Les citoyens éprouvent une véritable angoisse face aux injustices sociales dont beaucoup voient la source en Europe. Avec les fameux pourcentages qu’il impose, le traité est à cet égard un exemple frappant. La Confédération européenne des syndicats qui, jusqu’ici, avait toujours été plutôt bien disposée à l’égard du processus, s’est d’ailleurs prononcée contre.

Toutefois, il faut souligner que le traité s’inscrit dans une démarche d’ensemble, qu’il n’est qu’un élément parmi d’autres : cela explique la position de ceux qui comptent s’abstenir.

Je note cependant que tous les groupes politiques ont leurs contradictions : nous venons d’ailleurs d’en avoir un exemple.

M. Pierre Lellouche. Madame la présidente, n’y a-t-il pas là un problème de procédure ? Cela mérite un rappel au règlement !

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Vous n’êtes pas en séance publique, mon cher collègue !

M. Pierre Lellouche. Il est très surprenant que la présidente d’une commission exprime une position personnelle et au nom de son groupe en appelant à l’abstention, alors même qu’elle est membre d’une majorité qui vote différemment. C’est la première fois que je vois cela en cinq mandats parlementaires !

Mme la présidente Danielle Auroi. Sans doute avez-vous mal entendu, mon cher collègue. J’ai rappelé d’abord la position de mon groupe, puis ma position personnelle.

M. le ministre. Alain Bocquet a fait état d’une hostilité qui se manifesterait dans l’opinion publique à l’égard du traité : les sondages témoigneraient d’une condamnation rétrospective de Maastricht et l’euroscepticisme justifierait que l’on ratifie le présent traité par référendum. Je désapprouve cette approche. La question du référendum a été au cœur de la campagne présidentielle : l’un des candidats en lice souhaitait organiser des référendums sur tous les sujets – sur l’indemnisation des chômeurs, sur le droit des étrangers –, sous prétexte que, d’après les sondages, les Français voulaient qu’on les consulte par ce biais. Mais si, en 1981, nous avions organisé un référendum sur l’abolition de la peine de mort, je doute du résultat que nous aurions obtenu. Faudrait-il donc toujours que, lorsque l’opinion publique s’empare d’un sujet, le Parlement se dessaisisse de sa souveraineté pour restituer la parole au peuple, dans une forme de démocratie directe, immédiate, pulsionnelle, compulsive ? Ce serait se lancer sur une pente fatale à la démocratie, au droit social, à la solidarité.

M. Alain Bocquet. Et la souveraineté nationale ?

M. le ministre. Sieyès a écrit des choses magnifiques sur la souveraineté nationale. Elle « appartient au peuple qui l’exerce par le biais de ses représentants ».

M. Nicolas Dupont-Aignan. « Et par la voie du référendum » !

M. Pierre Lellouche. C’est l’article 3 de la Constitution !

M. le ministre. Je ne suis pas opposé à l’organisation de référendums sur des sujets qui touchent à l’essentiel, c’est-à-dire à l’organisation des pouvoirs publics, aux valeurs fondamentales de la République, dès lors que ces questions ont valeur constitutionnelle. Il existe en effet deux moyens de modifier la Constitution, le recours au référendum ou la réunion du Congrès. Mais, en dehors de ce cadre particulier, l’appel systématique au référendum sur tous les sujets n’est pas souhaitable. Nous avons condamné ensemble cette stratégie, qui fut celle de Nicolas Sarkozy lors de la campagne électorale. Le référendum sur les référendums a eu lieu : c’était l’élection présidentielle. Pour ma part, je reste fidèle à ce que nous avions dit, vous et moi, monsieur Bocquet, à ce propos.

Plusieurs orateurs ont considéré que j’avais changé d’avis : en 2005, j’ai appelé à voter « non » lors du référendum sur le traité établissant une constitution pour l’Europe ; puis j’ai été opposé au pacte budgétaire, avant de le défendre aujourd’hui. Il est vrai que j’ai été défavorable au TCE en 2005, parce que je ne voulais pas que l’Europe s’engage sur une pente libérale : or le texte qui nous était proposé n’avait pas prévu de garde-fous dans l’organisation institutionnelle. Nous avons d’ailleurs vu ce qui s’est produit par la suite.

Aujourd’hui, l’Europe que nous souhaitons construire n’est pas la vôtre, monsieur Herbillon. Nous pensons qu’elle doit avoir un bon budget, que ce budget doit avoir un bon niveau de dépenses, que ces dépenses entraîneront la croissance. À l’époque où M. Lellouche était ministre, la proposition budgétaire du gouvernement français était alignée sur celle des Britanniques. C’était la démarche « top-down » : on commence par couper tous les budgets puis on réfléchit à l’organisation du « better spending ». Mais, dans « better spending », il y a « spending ». Avec vous, il n’y avait même plus de « spending », car vous aviez décidé de couper 200 milliards d’euros dans les budgets européens. Vous étiez totalement opposés à ce que le budget de l’Union européenne soit doté de ressources propres. Vous avez fait adopter la taxe sur les transactions financières en catimini à la fin de la législature, en expliquant qu’il fallait être socialiste pour imaginer qu’on pourrait l’imposer à l’Union. Nous avons mis la question à l’ordre du jour du Conseil européen et au moins neuf États – notamment l’Allemagne, la Belgique, le Portugal, la Slovénie, la Slovaquie, la Grèce, l’Italie, l’Espagne, l’Estonie et la Finlande – ont déjà indiqué qu’ils pourraient être intéressés par cette mesure dans le cadre d’une coopération renforcée.

Lorsque nous préconisions que la Banque centrale intervienne autrement sur le marché, qu’il y ait davantage de solidarité, que le FESF et le MES s’engagent sur la voie de la licence bancaire, que ces fonds puisse intervenir en recapitalisation directe des banques, vous répliquiez que c’étaient bien là des propos de socialistes, que nous proposions tout ce dont les Allemands ne voudraient jamais. Aujourd’hui, vous expliquez encore que la meilleure attitude, pour la France, c’est de devancer les désirs allemands sans jamais exprimer les siens.

M. Pierre Lellouche. On va bientôt nous traiter de mauvais Français !

M. le ministre. M. Herbillon et M. Lequiller me demandent quelle est la position de la France sur les propositions de Mme Merkel. Puis-je me permettre de leur retourner la question et leur demander de m’exposer ces fameuses propositions ?

M. Pierre Lequiller. Mme Merkel propose la création d’un ministère des finances européen, l’élection du président de la Commission européenne au suffrage universel, le transfert de nouveaux domaines au niveau européen et la réunion d’une future convention.

M. le ministre. C’est exactement la réponse que j’attendais. L’Europe que nous voulons faire avec les Allemands n’est absolument pas celle que vous proposez.

M. Michel Herbillon. Monsieur le ministre, souffrez que la représentation nationale interroge un membre du Gouvernement chargé des affaires européennes sur ce que lui inspirent des propositions qui n’émanent pas de l’UMP, mais de Mme Merkel !

M. le ministre. Monsieur Herbillon, j’ai été longuement mis en cause : on a dit que nous avions changé d’avis, que nous nous alignions sur vos positions. Je suis en train de vous démontrer le contraire. La France doit avoir une relation extrêmement approfondie avec l’Allemagne et le couple franco-allemand doit être préservé, mais cela ne doit pas empêcher notre pays de faire des propositions un peu différentes de celles qui viennent d’être rappelées, qui avaient l’accord de M. Sarkozy et qui ne nous conviennent pas.

L’Europe, vous l’avez dit, monsieur Lellouche, est confrontée à une crise d’une extrême gravité : lorsque vous avez quitté vos fonctions ministérielles en mai dernier, le déficit du commerce extérieur s’élevait à 75 milliards d’euros, la dette avait augmenté de 600 milliards depuis le début du quinquennat et le déficit public s’était considérablement accru. C’est à nous de répondre aux urgences de la crise économique, mais ce n’est pas en faisant une convention que nous y parviendrons, ce n’est pas en rédigeant un nouveau traité, ce n’est pas en élisant le président de la Commission européenne au suffrage universel. Répondre aux urgences de la crise, c’est essayer de définir, au sein de l’Europe, des politiques industrielles qui permettront d’attirer les investissements de l’innovation, des transferts de technologies. C’est faire en sorte que le juste échange soit possible. Pensez que, en pleine crise de l’industrie automobile, un accord de libre-échange a été signé avec la Corée, qui entraîne une augmentation du nombre de véhicules coréens vendus en France et en Europe !

M. Pierre Lellouche. Ce sont des voitures fabriquées en Europe !

M. le ministre. Ne peut-on réfléchir à une clause de sauvegarde ? L’Europe n’a pas à être une maison dont toutes les portes et toutes les fenêtres sont ouvertes au grand vent de la globalisation.

Mais le combat de l’Union européenne pour la croissance ne doit pas seulement passer par le juste échange et la politique industrielle. À l’heure où la finance est déstabilisée, ne faut-il pas aller au bout de l’union bancaire, mettre en place un système de garantie des dépôts et de résolution des crises bancaires ? Ne faut-il pas aussi aller au bout de la mutualisation des dettes ? Ne faut-il pas faire en sorte que le MES dispose de la licence bancaire et que la BCE puisse mieux soutenir la monnaie ? Tout ce qui peut être fait pour atteindre ces objectifs dans le cadre des traités actuels doit être tenté.

Et si, pour aller plus loin dans la solidarité, il faut progresser dans l’intégration politique, nous le ferons. À Varsovie, lundi dernier, s’est tenue une réunion, présidée par Guido Westerwelle où nous avons évoqué, avec l’Allemagne, la possibilité de renforcer le processus d’union politique : il n’est pas question d’organiser un fédéralisme technique, mais de mettre les institutions au service d’un projet politique. Si nous présentons ce paquet de propositions et d’orientations devant le Parlement, c’est parce que nous sommes résolus à faire en sorte que la politique de l’Union de demain ne corresponde plus à celle que vous avez voulu mettre en œuvre, mais à celle que je souhaitais en 2005.

Plusieurs orateurs m’ont interrogé sur la supervision bancaire. Le sujet, évoqué lors du Conseil européen des 28 et 29 juin, est une priorité. La Commission européenne a été chargée d’élaborer un dispositif législatif, qui devrait être mis en œuvre avant la fin de l’année. Les États membres doivent parvenir à un compromis, car les Allemands ne souhaitent pas que les banques populaires et les caisses d’épargne entrent dans le champ de la supervision, qui ne doit, d’après eux, concerner que les banques systémiques. Plusieurs pistes de consensus sont possibles. Ainsi, toutes les banques pourraient être supervisées : les banques systémiques le seraient par la Banque centrale européenne et les autres le seraient dans le cadre de conventions entre la Banque centrale européenne et les banques centrales ou les superviseurs des États, ce qui permettrait d’avoir une supervision globale mais partagée. On peut également envisager d’échelonner le calendrier de mise en œuvre de la supervision bancaire : les banques systémiques seraient ainsi contrôlées avant les autres banques.

Outre la supervision, l’union bancaire suppose la garantie des dépôts et la résolution des crises bancaires. Parce qu’ils appellent un processus de mutualisation, ces deux éléments pourraient justifier à un moment une évolution des traités existants. Nous sommes prêts à l’envisager, dans le cadre d’une réflexion institutionnelle. Nous pourrions prévoir des processus de gouvernance de l’union économique et monétaire plus intégrés. Il ne s’agit pas d’opposer la vision allemande et la vision française : il existe une possibilité de convergence. Toutefois, nous demandons que tout processus de renforcement de l’union politique soit adossé à des progrès de la solidarité autour de logiques très opérationnelles.

M. Jacques Myard. Ce n’est pas demain la veille !

M. le ministre. Je pense au contraire que la crise oblige les gouvernements à agir plus vite. Les discussions que nous avons entamées sur ces questions avec les Allemands et les autres États membres nous laissent penser que des pistes existent pour une nouvelle étape d’intégration.

Estelle Grelier, Christophe Léonard et d’autres parlementaires m’ont interrogé sur le budget européen. J’ai rappelé que nous n’étions plus dans la perspective de coupes budgétaires qui était celle du précédent gouvernement. Les négociations sur le cadre financier nous conduisent à des échanges avec les parlementaires européens : l’évolution de la position de la France est plutôt bien perçue par différents pays de l’Union européenne, y compris l’Allemagne, qui exprime la volonté de travailler avec nous pour que les perspectives financières prolongent l’ambition de croissance.

Nous avons réaffirmé notre volonté absolue de maintenir les crédits de la politique agricole commune en acceptant un principe de verdissement compatible avec les contraintes auxquelles l’agriculture se trouve confrontée en raison de la crise. Il s’agit d’éviter que ce verdissement, tout à fait souhaitable, n’entraîne des effets d’encoche ou de décrochage.

Nous avons par ailleurs souhaité que la convergence des aides directes, réclamée par plusieurs pays de l’Union européenne, soit possible dans la progressivité, et qu’on trouve un bon équilibre entre le premier pilier et le second pilier de la politique agricole commune.

En ce qui concerne la politique de cohésion, nous souhaitons que les régions intermédiaires puissent être défendues, de manière que les fonds structurels soient maintenus dans les régions pour servir d’investissements structurants. Dans un contexte budgétaire contraint, cette politique doit pouvoir s’imposer, car certains pays, qui, par suite de la mobilisation des fonds de cohésion, ont connu des évolutions de PIB très importantes, doivent voir l’évolution de leur dotation en fonds de cohésion lissée dans le temps, afin de garantir l’égalité de traitement des régions.

Charles de Courson m’a interrogé sur le déficit structurel et l’endettement. Les engagements budgétaires que nous avons pris doivent permettre d’atteindre l’objectif de 3 % de déficit des comptes publics en 2013, pour arriver à 0 % en 2017. Si nous y parvenons, nous aurons un solde primaire nul, c’est-à-dire que le solde courant hors dépenses de remboursement des intérêts de la dette sera positif. Nous aurons donc mécaniquement une réduction de la dette.

Par ailleurs, je le répète, il n’y a pas d’effet cumulatif de la réduction de la dette et de la réduction du déficit. La réduction de la dette intervient, pour un État présentant un ratio d’endettement supérieur à 60 %, à un rythme de un vingtième par an, trois ans après la sortie de la période de déficit excessif. Dans la mesure où nous ne risquons pas de subir cette règle avant 2017, vos craintes, monsieur de Courson, ne sont pas fondées.

Nicolas Dupont-Aignan, fidèle à son approche très pessimiste et souverainiste, considère que le vrai problème, c’est l’euro. Nous avons là une divergence de fond.

M. Nicolas Dupont-Aignan. L’histoire tranchera !

M. le ministre. Les Français eux-mêmes sentent bien que, dès lors que des dispositions sont prises pour garantir le sauvetage de la monnaie, celle-ci représente plutôt une chance pour l’Europe : alors même qu’ils sont 72 % à douter de Maastricht, ils sont à 75 % favorables à l’euro.

M. Jacques Myard. Ils n’ont pas encore tout à fait compris comment ça marchait !

M. le ministre. Monsieur Myard, je voudrais être sûr, moi, d’avoir bien compris votre question sur le Conseil constitutionnel.

M. Jacques Myard. Une fois la ratification autorisée, à quel moment déposerez-vous l’instrument de ratification ? Nous allons voter une loi organique qui passera ipso facto au contrôle de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel pourrait considérer qu’elle est contraire à la Constitution.

M. le ministre. La décision du Conseil constitutionnel contient déjà suffisamment d’éléments pour que nous soyons éclairés sur le regard qu’il portera sur la totalité du dispositif que nous lui présenterons. Certes, le droit n’est pas une science exacte et tout est toujours possible : il y a des avocats pour le droit et il y a des avocats pour le tordu. (Rires.) Mais la loi organique a été présentée au Conseil d’État et nous avons pris un ensemble de précautions juridiques.

Quant à la question de l’ordre de présentation, c’est au Président de la République d’en décider.

M. Charles de Courson. Vous n’avez pas répondu, monsieur le ministre, à ma question concernant le contrôle par le Conseil constitutionnel du respect des actes budgétaires au regard du traité et de la loi organique. Vous avez laissé entendre qu’il n’y en avait pas. Le rapport Caresche l’évoque pourtant.

M. le ministre. Ce n’est pas ce que j’ai dit. J’ai dit que la Cour de justice de l’Union européenne n’avait pas la possibilité de procéder a posteriori à une correction d’un déséquilibre budgétaire qui ne serait pas conforme à la trajectoire, que sa seule intervention portait sur la non-transposition en droit national des clauses du traité.

M. Charles de Courson. Ce n’est pas ce que disent le Conseil constitutionnel et le rapport Caresche. Notre collègue Caresche considère avec raison que le contrôle de la sincérité sera élargi à la trajectoire.

M. le ministre. Vous pourrez en débattre lors de la discussion de la loi organique. Je ne suis pas un ordinateur et je peux commettre des erreurs d’interprétation. Mais ce que je comprends, c’est que le juge constitutionnel procéderait à l’examen de la sincérité du budget présenté, mais ne serait en aucun cas juge de la différence qu’il y a entre la trajectoire à laquelle on s’est engagé devant la Commission européenne et la réalité du budget qui a été effectivement exécuté.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Monsieur le ministre, puis-je me permettre de vous conseiller de relire la décision du Conseil constitutionnel ? Vous y trouverez une phrase qui est une sorte de rappel.

M. le ministre. J’ai relu cette décision avec un grand intérêt lorsque nous avons préparé les textes de ratification et la loi organique. Nous nous en sommes inspirés pour circonscrire leur périmètre et éviter les angoisses que Jacques Myard nous promet. Mais je m’engage à transmettre dès demain aux deux présidentes des éléments précis sur ce point. Nous verrons bien qui dit vrai.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Merci, monsieur le ministre, pour votre disponibilité.

La séance est levée à dix-neuf heures vingt.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 25 septembre 2012 à 17 heures

Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Christian Bataille, M. Philippe Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Bocquet, M. Gwenegan Bui, M. Jean-Claude Buisine, M. Gérard Charasse, M. Guy-Michel Chauveau, M. Jean-Louis Christ, M. Jacques Cresta, Mme Seybah Dagoma, M. Jean-Louis Destans, M. Jean-Pierre Dufau, M. William Dumas, M. Nicolas Dupont-Aignan, Mme Marie-Louise Fort, M. Jean Glavany, Mme Estelle Grelier, Mme Élisabeth Guigou, Mme Chantal Guittet, Mme Françoise Imbert, M. Pierre Lellouche, M. Patrick Lemasle, M. Pierre Lequiller, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, M. Jean-René Marsac, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. François Rochebloine, M. René Rouquet, M. Boinali Said, Mme Odile Saugues, M. André Schneider, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Pouria Amirshahi, M. Avi Assouly, M. Philip Cordery, M. Jean-Claude Guibal, Mme Thérèse Guilbert, M. Jean-Jacques Guillet, M. Serge Janquin, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jean-Claude Mignon, M. Guy Teissier

Assistaient également à la réunion. - M. Charles de Courson, Mme Marietta Karamanli, M. Michel Zumkeller