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Commission des affaires étrangères

Mercredi 13 mars 2013

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 42

présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente

– Table ronde, ouverte à la presse, sur la situation des droits des femmes dans le monde, avec Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement, et Mme Olga Trostiansky, présidente de la Coordination française pour le lobby européen des femmes (CLEF)

– Informations relatives à la commission 17

Table ronde, ouverte à la presse, sur la situation des droits des femmes dans le monde, avec Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement, et Mme Olga Trostiansky, présidente de la Coordination française pour le lobby européen des femmes (CLEF)

La séance est ouverte à seize heures trente.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Mes chers collègues, nous avons le plaisir d’accueillir Mme Najat Vallaud Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement et Mme Olga Trotiansky, présidente de la coordination française pour le lobby européen des femmes (CLEF). Elles ont été rejointes par Mme Catherine Coutelle, présidente de la Délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, qui vient d’être chargée d’un groupe d’études « Genre et droits des femmes à international ». Je tiens également à saluer la présence de notre collègue Nicole Ameline, membre de notre commission, qui vient d’être élue à la présidence du Comité des Nations unies pour l’élimination des discriminations à l’égard des femmes. Cette élection consacre son engagement constant en faveur de la promotion de la protection des droits des femmes. C’est une fierté de la voir occuper cette fonction.

J’aurais souhaité que cette réunion ait lieu le 8 mars, date de la Journée de la femme. Le calendrier parlementaire ne l’a pas permis. Mais comme l’a remarqué Mme la ministre, il n’y a pas de raison de limiter à cette seule journée les évènements et les discussions qui tournent autour des questions relatives aux droits des femmes.

Madame la ministre, vous avez participé, il y a quelques jours, à la 57e session de la Commission de la condition de la femme, qui est un organe du Conseil économique et social des Nations unies. Une délégation de la CLEF y a également pris part. Cette commission se réunit tous les ans à New York pour évaluer les progrès réalisés en matière d’égalité hommes/femmes, identifier les principaux défis et élaborer des politiques concrètes. Cette année, le thème prioritaire était la prévention et l’élimination de toutes les formes de violence contre les femmes et les jeunes filles dans le monde.

Celle et ceux d’entre vous qui faisaient partie de la délégation que nous avons conduite à l’Assemblée générale des Nations unies en novembre dernier se souviennent que nous avons déjeuné avec Michelle Bachelet, laquelle est responsable de ces questions auprès du Secrétaire général des Nations unies.

Il est évidemment trop tôt pour dresser un premier bilan. Les travaux de la Commission doivent s’achever le 15 mars prochain. Mais sans doute, madame la ministre, pourrez-vous nous indiquer quelle position vous avez défendue à cette occasion, quelles sont vos attentes principales et quelles doivent être, selon vous, les priorités en matière de lutte contre les violences faites aux femmes. Au-delà de cette question, quels sont les vecteurs qui vous paraissent les plus prometteurs pour progresser dans la lutte contre les discriminations et renforcer le rôle des femmes dans les sociétés ?

Bien entendu, nous serons particulièrement intéressés par votre analyse de la situation des femmes dans le monde arabe et en Iran. Vous savez que nous avons créé, au sein de notre commission, plusieurs missions qui s’intéressent à cette région du monde et aux révolutions arabes. Une délégation de la commission s’est récemment rendue en Égypte et en Tunisie, et nous avons pu constater que le statut de la femme était là-bas un enjeu important des débats, y compris sur le plan constitutionnel. Des résultats positifs ont d’ailleurs été obtenus par les femmes – parlementaires ou de la société civile – qui se battent pour améliorer leur statut ou, au moins, pour éviter qu’il ne régresse.

C’est aussi un enjeu dans d’autres zones, notamment en Afrique subsaharienne, en lien avec la problématique du développement. De fait, l’autonomie économique des femmes, la scolarisation des filles, l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive ou la lutte contre la mortalité maternelle et infantile sont des sujets cruciaux, intimement liés aux questions de développement.

Les violences faites aux femmes concernent tous les pays, y compris le nôtre. Il y a plus d’une dizaine d’années, nous avions déjà mesuré l’ampleur du phénomène, lorsque Nicole Péry, alors secrétaire d’État aux droits des femmes, avait initié le premier rapport sur le sujet.

La France a participé à l’élaboration de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes et les violences domestiques, adoptée en 2011, dont elle fut l’un des premiers signataires.

Notre pays est particulièrement actif dans les enceintes internationales. Nous avons, notamment, soutenu la création d’ONU Femmes. Nous avons adopté une stratégie pour prendre en compte les politiques de genre dans les questions de développement, et cette stratégie vient de faire l’objet d’une évaluation, que vous pourrez sans doute, madame la ministre, nous présenter.

La France organisera à Paris le premier Forum mondial des femmes francophones, qui se tiendra dans quelques jours, et la Réunion ministérielle de l’Union pour la Méditerranée, qui se consacrera les 3 et 4 juillet prochains au renforcement du rôle des femmes dans la société. Là encore, quels sont les défis, vos attentes et vos priorités ?

Enfin, sur les zones en conflit, notre commission a recueilli des témoignages particulièrement émouvants de femmes élues – notamment au Nord du Mali.

Vous comprenez pourquoi il nous a semblé important que vous puissiez, madame la ministre, madame Trotiansky, vous adresser à nous cet après-midi. Merci encore de votre présence.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement. Merci, madame la présidente, de me donner l’occasion d’échanger avec vous sur la situation des femmes dans le monde, sujet dont l’actualité de ces derniers mois a rappelé toute la gravité, dans toutes les zones géographiques.

Lors des printemps arabes, les femmes ont été des actrices majeures de la mobilisation et se sont imposées comme des têtes de pont de la démocratie. Pourtant, dans bien des pays post révolutionnaires, se pose la question de la place qui leur est désormais réservée. En Tunisie, en Égypte et au Maroc, la question de l’égalité entre les femmes et les hommes est restée au cœur des débats sur les nouvelles constitutions.

Aux États-Unis, Barack Obama a tiré un large avantage, lors de l’élection présidentielle, de son bilan en matière d’égalité salariale – à commencer par la loi « Lily Ledbetter », qui était la première loi promulguée pendant son mandat. De fait, la question des droits de femmes a été au cœur de son programme. Mais vous vous souvenez sans doute aussi des polémiques qui sont nées autour de l’IVG, et des propos malheureux tenus par les Républicains.

En Russie, le mouvement de soutien au groupe des « Pussy Riot » a incarné la résistance d’une partie de la société russe au contrôle de la liberté d’expression. Il est intéressant de constater que, là encore, la résistance passe par des femmes.

Dans les zones de conflit, notamment en République démocratique du Congo, les violences sexuelles faites aux femmes sont devenues une véritable arme de guerre, et une arme de destruction quasi massive des populations.

Plus récemment, en Inde, le viol collectif d’une étudiante ayant entraîné sa mort a déclenché un vaste mouvement populaire de dénonciation des violences faites aux femmes appelant les pouvoirs publics et la société à un changement profond des mentalités.

Loin d’être isolés ou anecdotiques, ces évènements mettent en lumière l’enjeu qu’il y a aujourd’hui à affirmer sur la scène internationale l’émergence d’une diplomatie active des droits des femmes. Il s’agit de porter et de défendre trois objectifs majeurs : les droits éducatifs et politiques des petites filles et des femmes ; la protection contre les violences qu’on observe partout sur la planète ; les droits sexuels et reproductifs, par lesquels ont entend la libre disposition du corps et le droit d’accès à des services de santé sexuelle et reproductive.

Ces trois objectifs, que nous avons présentés avec Laurent Fabius lors du Comité interministériel des droits des femmes, le 30 novembre dernier, ont fait l’objet d’un ensemble d’initiatives dans un cadre à la fois bilatéral et multilatéral.

Dans le cadre bilatéral, nous travaillons avec ma collègue Hélène Conway-Mouret, en charge des Français de l’étranger, afin de renforcer les interventions de nos services consulaires pour rendre plus effectif le droit à l’asile des jeunes femmes victimes de mariages forcés. Nous travaillons également à consolider les liens entre les sociétés civiles sur les questions de protection des femmes victimes de violences ; une convention franco-marocaine est en préparation.

Dans le domaine du développement, nous avons élaboré avec Pascal Canfin un ensemble d’outils permettant de mieux prendre en compte les questions de genre dans notre politique française d’aide au développement, conformément aux recommandations du rapport « Genre et développement » remis par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) et le Haut Conseil à l’égalité. Le Président de la République a eu l’occasion, dans son récent discours aux Assises du développement, de tracer un cap : parce que les femmes sont des actrices au cœur du développement, la politique française d’aide au développement doit intensifier les actions en faveur de l’égalité et de l’autonomie des femmes. Cela passera, notamment, par une augmentation des moyens financiers consacrés aux projets spécifiques de soutien aux droits des femmes, et à la lutte contre les violences et les discriminations liées au genre dans les pays concernés. Pour que l’aide au développement touche les femmes, nous avons décidé que désormais, la question du genre serait systématiquement intégrée dans les études d’impact de notre aide au développement.

Passons du niveau bilatéral au niveau européen, où il y a beaucoup à faire. Pendant longtemps, l’Europe a été le fer de lance en matière de droits des femmes, notamment parce qu’elle a porté la question de l’égalité salariale. Mais depuis quelques années, plusieurs dossiers attestent de ses difficultés à réinvestir ce champ.

Le projet de refonte de la directive « congé maternité » est actuellement dans l’impasse. Nous cherchons à relancer la négociation sur ce texte dans une approche élargie abordant la question de la conciliation entre vie privée et vie professionnelle, afin de relever le niveau d’exigence au niveau européen.

Nous soutenons le projet de directive de la commissaire Reding sur la présence des femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises européennes.

Dans ce même esprit, nous avons proposé à nos partenaires européens, lors du dernier Conseil EPSCO (Emploi, politique sociale, santé et consommateurs) qui s’est réuni le 6 février dernier, les éléments d’un pilier « égalité » de la nouvelle gouvernance économique de l’Union européenne autour de quelques données clés : l’évolution du taux d’emploi des femmes ; les inégalités de rémunération ; les inégalités de genre dans le système des retraites et le respect des objectifs de Barcelone s’agissant des capacités d’accueil de la petite enfance.

Dans le cadre multilatéral, ensuite, il s’agit d’être extrêmement vigilant contre les risques de recul des grands textes internationaux. Les menaces sont réelles.

Si le corpus international sur les droits des femmes a progressé de manière substantielle dans les années quatre-vingt-dix, notamment dans le cadre des textes fondateurs adoptés à l’issue de la Conférence internationale du Caire pour la population et le développement, en 1994, puis de la Conférence internationale de Pékin, en 1995, et des textes de suivi de ces exercices, en 1999 et 2000, aujourd’hui, le langage agréé, qui paraissait être une avancée définitive, en particulier en matière de droits sexuels et reproductifs, est en passe de disparaître. Une coalition de pays conservateurs s’active à faire reculer le socle fondamental des droits des femmes. Et pour ce qui est de l’état des forces, tous s’accordent à dire qu’il est bien plus défavorable aujourd’hui qu’il y a vingt ans. Il faut absolument tailler en pièces l’idée que le progrès serait linéaire et que la situation s’améliorerait forcément avec le temps : la réalité est tout autre.

Ces difficultés sont à nouveau apparues à l’occasion de la 57e réunion de la Commission de la condition de la femme de l’ONU à laquelle nous avons participé les 4 et 5 mars derniers, et dont le thème prioritaire était, cette année, la prévention et l’élimination de toutes les formes de violences faites aux femmes. La 56e commission n’avait pas abouti à des conclusions concertées. Il était d’autant plus important, pour la délégation française, d’y parvenir, notamment sur un sujet qui lui tenait à cœur et qu’elle a tenu à défendre : les droits sexuels et reproductifs, sur lesquels il me semble nécessaire de faire le point.

À l’époque de la Conférence du Caire, quatre grands objectifs de développement avaient été fixés : l’accès à l’éducation des filles, la réduction des taux de mortalité maternelle et infantile, la prévention du sida et des MST et l’accès universel aux soins de santé reproductive, y compris la planification familiale. C’est ainsi qu’en 1994, fut introduite l’idée que les femmes devaient pouvoir accès à des soins de santé reproductive. En 1995, un plan d’action, adopté en 1995 à la Conférence de Pékin, précisera que « les droits des femmes incluent le droit d’avoir le contrôle et de décider librement et de manière responsable des questions relatives à leur sexualité. »

Comme vous pouvez le constater, en 1994-1995, on était déjà allé assez loin. Mais alors qu’il semblerait logique de faire un pas supplémentaire et de reconnaître le droit à la fois à la sexualité et le droit reproductif comme un élément essentiel de l’autonomisation, un certain nombre de pays s’obstinent à le refuser.

Au contact de tous les acteurs mobilisés par les droits des femmes réunis à New York pour la 57e Commission, nous nous sommes rendu compte que les violences faites aux femmes ne sont pas des faits isolées, mais demeurent une donnée mondiale. Elles constituent la violation des droits de l’homme la plus répandue sur la planète. Chez les femmes entre 15 et 44 ans, ces violences causent plus de décès et de handicaps que le cancer, le paludisme, les accidents de la circulation et les guerres réunies. Aujourd’hui, on estime à 650 000 le nombre des femmes qui, chaque année, à travers le monde, font l’objet d’un trafic. Dans 80 % des cas, il s’agit d’une traite pour exploitation sexuelle. Enfin, environ 100 à 140 millions de filles et de femmes dans le monde ont subi des mutilations génitales.

Face à cette donne, une réponde mondiale est indispensable. En effet, et c’est tout le sens du message que nous avons porté à l’ONU, ce n’est pas parce que les phénomènes de domination masculine sont universels qu’ils doivent être considérés comme une fatalité. Les droits de l’homme, et les droits des femmes qui en font partie intégrante, sont universels eux aussi. Aucune forme de relativisme culturel ne saurait servir d’excuse pour ne pas le reconnaître.

Pour porter ce message, la France a, en raison de son combat de longue date pour les droits universels, une légitimité particulière pour mettre en œuvre efficacement une véritable diplomatie des droits des femmes – comme cela a été décidé au Comité interministériel aux droits des femmes, le 30 novembre dernier. Mais la France ne pourra porter cette diplomatie internationale que si elle est elle-même exemplaire. Nous y travaillons activement, au niveau national et international. Par exemple, nous avons décidé de tout faire pour lever les réserves de la France à la Convention des Nations Unies de 1979 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (ou Convention CEDAW), à laquelle 185 États sont parties, et d’inciter les autres États à faire de même.

En outre, nous procédons actuellement à l’évaluation de notre plan national d’action pour la mise en œuvre des résolutions « Femmes, Paix et Sécurité » du Conseil de sécurité afin de renforcer la participation des femmes aux processus de paix et la protection des femmes dans les conflits. Nous avons eu le plaisir de rencontrer un certain nombre d’acteurs d’ONG très engagés sur le terrain dans un certain nombre de pays que la France connaît bien par ailleurs, et de constater qu’ils s’étaient totalement saisis de cette résolution « Femmes, Paix et Sécurité » pour pousser leurs gouvernements à défendre les femmes dans les conflits. Il faut que la France soit aux côtés de ces militants et de ces ONG pour promouvoir le rôle des femmes dans la gestion des situations post-conflit – plus particulièrement au Mali.

Enfin, nous avons entamé le processus de ratification de la Convention d’Istanbul, convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique. Pour pouvoir la ratifier, nous avions besoin de transposer un certain nombre de dispositions et d’aller plus loin dans notre législation relative à la lutte contre les violences. Pour ce faire, nous avons d’ores et déjà déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale un projet de loi sur plusieurs dossiers identifiés comme prioritaires.

Pour lutter contre les mariages forcés, le projet de loi introduit un nouveau délit dans le code pénal, constitué par le fait de tromper quelqu’un pour l’emmener à l’étranger et lui faire subir un mariage forcé.

Pour lutter contre l’excision et les mutilations génitales sexuelles, le projet de loi crée un nouveau délit constitué par le fait d’inciter quelqu’un à subir une mutilation sexuelle. Je remarque à ce propos que la France a été pionnière dans ce combat, dès les années quatre-vingt et que certains grands procès, qui ont abouti à de lourdes sanctions, ont eu une vertu pédagogique pour les familles. Il faut que nous poursuivions ce combat à l’échelle internationale. L’Assemblée générale des Nations unies s’est prononcée en décembre dernier en faveur de l’abolition de l’excision, ce qui est encourageant.

Pour lutter contre la traite des êtres humains, qui fait par ailleurs l’objet de la transposition de la directive communautaire de 2011, le projet de loi propose de renforcer le dispositif grâce à une amélioration de la définition de l’infraction. En 2009, trois condamnations seulement ont été prononcées en France pour des faits de traite, ce qui ne correspond pas à l’ampleur du problème.

Mais porter une diplomatie des droits des femmes, c’est aussi être moteur dans le domaine et susciter de rendez-vous importants. Mme la présidente en a évoqué deux.

Le 20 mars prochain, nous réunirons à Paris le premier Forum des femmes francophones, avec la conviction que la francophonie est un espace de valeurs partagées et de construction en commun d’une vision des droits humains. Ce forum, qui réunira 500 femmes de tous les pays de la francophonie, doit pouvoir nous aider à faire avancer les droits des femmes dans cet espace et au-delà.

Les 3 et 4 juillet prochains, toujours à Paris, nous organiserons une réunion ministérielle de l’Union pour la Méditerranée (UPM), qui sera spécifiquement consacrée au renforcement du rôle des femmes dans la société, avec les 43 pays de la zone euro-méditerranéenne. C’est clairement une façon de se saisir de la question de l’avenir des femmes qui se sont mobilisées dans les révolutions des pays arabes mais qui ont disparu des processus de transition politique. Là encore, nous espérons pouvoir avancer concrètement.

Nous souhaitons que ces évènements soient des jalons pour préparer, à plus ou moins long terme, d’autres échéances importantes : tout d’abord, en 2014, le 20e anniversaire de la Conférence internationale sur la population et le développement ; nous verrons alors si nous sommes capables ou pas – c’est la question que nous nous posions avec Michelle Bachelet – d’aller plus loin, ou au moins de préserver l’existant, compte tenu des menaces ; ensuite, en 2015, les travaux d’actualisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement durable de l’humanité (OMD), dont plusieurs concernent la question de l’égalité entre les sexes.

Toutes ces échéances nous permettront de porter haut notre vision des droits de la personne humaine, et de faire des droits des femmes un marqueur de notre diplomatie et un élément de notre influence. La France est attendue sur ce sujet.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je vous remercie pour ce panorama, sinon exhaustif, du moins très précis dans des domaines qui nous intéressent particulièrement ici, et je vous félicite pour l’action que vous avez menée.

Mme Olga Trotiansky, présidente de la Coordination française pour le Lobby Européen des Femmes. Madame la présidente de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, nous sommes très heureux, à la Coordination française pour le Lobby européen des Femmes (CLEF), de participer à cette table ronde.

Nous avons eu l’impression, ces dernières années, qu’on avait tendance à oublier la question spécifique des droits des femmes dans les relations internationales. Mais cette initiative est la preuve de l’intérêt que portent nos représentants et nos représentantes à cet enjeu qui est essentiel pour nous. Comme l’a dit Mme la ministre, il est du devoir de la France, terre des droits humains, de porter partout dans le monde cette parole et cette action.

C’est un honneur pour nous d’être entendus en même temps que la ministre des droits des femmes, dont je tiens à saluer l’engagement pour la défense et la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes, en France et dans le monde – engagement que nous avons pu apprécier il y a quelques jours à New York, lors de la Commission du droit des femmes de l’ONU.

La CLEF est l’une des coordinations d’associations de défense des droits des femmes en France. Elle regroupe 80 associations, qui sont implantées sur tout le territoire. Au travers de ces associations membres, la CLEF est présente sur l’ensemble des sujets traitant des droits des femmes : emploi, conciliation vie familiale/vie professionnelle, parité dans la vie politique, économique, sociale, luttes contre les violences faites aux femmes, contre les extrémismes religieux et les systèmes prostitutionnels. Ce sont ces mêmes sujets que nous abordons avec Catherine Coutelle, présidente de la Délégation aux Droits des Femmes de l’Assemblée nationale.

La CLEF est membre du LEF : le Lobby Européen des Femmes qui, à travers ses 27 coordinations nationales et des associations européennes, représente plus de 2 500 associations en Europe. Le LEF est présent dans l’ensemble des États membres de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe. La CLEF est très attachée à ce que sa voix soit entendue au niveau européen, et nous faisons remonter les revendications des associations françaises, particulièrement sur des sujets qui font débat en Europe comme la prostitution, les droits reproductifs ou la laïcité.

En retour, nous construisons avec le LEF des campagnes d’information et de sensibilisation à l’échelle européenne. Je vous incite à découvrir, si vous ne le connaissez pas encore, notre film de sensibilisation sur le sujet de la prostitution, qui a été repris dans le cadre de la campagne du LEF : « Ensemble pour une Europe libérée de la prostitution ». Nous avons également produit des films contre le développement de la prostitution en marge des grands évènements sportifs internationaux et participé à de nombreux échanges au niveau européen pour débattre d’expériences aussi opposées que celle des Pays-Bas ou de la Suède. Nous nous réjouissons enfin que Mme la ministre se soit prononcée pour l’abolition de la prostitution.

Il est important pour nous de relayer certaines des prises de position du LEF sur les discriminations. Je voudrais citer l’exemple de celles que subissent les femmes roms. Pour nous, la question n’est pas qu’européenne et nous souhaitons que l’on y réfléchisse au niveau international : ces femmes subissent des discriminations dans l’accès à l’éducation, à l’emploi, à la santé et au logement.

Au niveau international, la CLEF dispose d’une reconnaissance officielle, notamment au travers de son statut consultatif auprès du Conseil économique et social de l’ONU et sa participation, depuis de nombreuses années, à la Commission du statut des femmes de New York, comme au Conseil des droits humains, à Genève.

Au sein de la Commission du statut des femmes, nous avons organisé un atelier sur le viol, notamment dans les pays en guerre. Nous avons également, à cette occasion, poursuivi le travail de sensibilisation sur l’accès à un état civil pour toutes les femmes dans le monde. Je tiens à signaler que le cadre onusien est très utile pour nous, car il permet d’aborder des questions de portée internationale, sur lesquelles les commissions de la CLEF travaillent au quotidien.

Cela m’amène à vous donner quelques exemples de nos principaux axes de réflexion et d’expression au niveau international.

D’abord, la promotion de la laïcité et la lutte contre les extrémismes religieux, qui sont à la racine de tant de violences contre les femmes : les associations de femmes du monde entier, notamment dans les pays en voie de développement, nous permettent de porter le message. En effet, elles doivent sans cesse affronter les discours dominants faisant référence à la tradition religieuse, au relativisme culturel pour justifier un certain nombre de pratiques qui placent, de fait, les femmes dans une situation inférieure aux hommes. C’est d’ailleurs au nom du respect des traditions que la précédente réunion de la Commission du statut des femmes, en 2012, s’est soldée par un échec.

Ensuite, la lutte contre la prostitution et la traite des femmes : comme vous l’avez dit, madame la ministre, la France doit accentuer ses efforts dans la lutte contre les réseaux internationaux qui se développent de plus en plus sur internet.

Le thème de la lutte contre les violences faites aux femmes était au cœur de la réunion de l’ONU Femmes. Grâce à l’initiative conjointe de l’Organisation internationale de la francophonie, un plan d’action devrait contraindre davantage certains États qui sont peu actifs en ce domaine. Reste que les associations membres de la CLEF s’inquiètent fortement des exactions qui ont lieu au quotidien contre les femmes des printemps arabes, et des attaques qui sont menées contre des droits qui semblaient acquis. Récemment, en Tunisie, un député a osé assimiler l’excision à une opération esthétique ! La vigilance s’impose donc.

La protection des femmes et des fillettes, particulièrement dans les zones de conflit, en application de la résolution 1325 du Conseil de sécurité votée en l’an 2000 : le Mali en est un contre-exemple.

La représentation et la place des femmes dans le domaine sportif : il est très important de porter ce sujet au sein des instances internationales comme le CIO et dans les délégations nationales lors des grands évènements sportifs comme les jeux Olympiques, en nous appuyant sur le cadre que constitue la Charte olympique. On entend, par exemple, que le fait de porter le voile fait partie de la tradition et que le fait de porter la kippa fait partie de la religion. Or la Charte olympique écarte tout signe politique et religieux.

Vous avez évoqué les Objectifs du Millénaire pour le Développement durable de l’humanité. Nous souhaitons promouvoir le troisième objectif, à savoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. Tout le monde s’accorde à dire que c’est à la fois un objectif en soi et une condition de la réussite de l’ensemble des autres Objectifs du Millénaire pour le Développement. Un rapport de l’ONU sur le droit à l’alimentation montre que lorsque la mère maîtrise le budget de la famille, les chances de survie des enfants augmentent de 20 %, et que l’accès à l’instruction des femmes explique pour la moitié la réduction de la faim dans les pays en voie de développement.

Pour la CLEF, il est indispensable que la voix de la France porte dans le monde des exigences très fortes en matière de réduction des inégalités entre les femmes et les hommes – en trouvant peut-être des alliés parmi les pays émergents comme le Brésil – et qu’elle pose des conditions très claires à l’octroi d’aide au développement dans le cadre de sa politique de coopération. Bien évidemment, cela suppose que les financements de la France soient à la hauteur de nos ambitions. En 2009-2010, ses budgets ont eu tendance à baisser. En tant qu’association, nous serons très attentifs à ce que la tendance s’inverse dans les prochaines années.

Les actions de terrain conduites au niveau des ambassades sont importantes. Mais l’engagement des négociateurs et négociatrices dans les instances internationales est tout aussi important. Nous ne devons pas baisser pas la garde et nous devons veiller à l’application des conventions.

Il faut avancer sur la Convention CEDOW. La CLEF propose que le rapport de la France soit étudié et partagé au sein des deux assemblées, Assemblée nationale et Sénat. De notre côté, nous travaillons à la présentation d’un rapport alternatif au rapport du Gouvernement français, qui sera remis au Comité de suivi de l’ONU.

En tant que Français ambassadeurs des droits humains dans le monde, nous devons faire preuve d’exemplarité et progresser en matière de parité de la représentation diplomatique. Il n’y a en effet que 11 % de femmes ambassadrices.

Madame la présidente, nous avons tout à fait conscience, en tant qu’association, que certaines de nos revendications ne sont pas « diplomatiquement correctes », et que la représentation officielle de la France ne peut pas s’en saisir de manière frontale. Pour autant, pour faire avancer l’égalité entre les femmes et les hommes dans le monde, pouvoirs publics et associations doivent parler et agir de concert et en complémentarité, en utilisant tous les leviers que sont les différentes chartes et conventions internationales.

Madame la ministre, l’été dernier, vous avez tenu un discours sans équivoque aux ambassadeurs. Nous espérons que votre appel à construire une véritable diplomatie des droits des femmes sera suivi d’effet. La commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale pourrait sûrement jouer utilement un rôle d’impulsion en la matière.

Soyez assurés, mesdames et messieurs les députés, que nos associations seront très attentives à la concrétisation des engagements gouvernementaux que vous nous avez présentés. Nous-mêmes, en tant que CLEF, en tant qu’association, nous adopterons une position vigilante, tout en vous soutenant sur l’ensemble de ces sujets.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Hier, M. Laurent Fabius, devant notre commission, nous a précisé que son objectif était de nommer 40 % – voire plus de 40 % – de femmes ambassadeurs. Il faut dire que le score du Quai d’Orsay, s’agissant des femmes en situation de responsabilité, est particulièrement lamentable : lors de la dernière Conférence des ambassadeurs, sur les soixante intervenants, il n’y avait pas une seule femme !

De mon côté, je vous affirme que tous les responsables des missions d’information que nous avons lancées – hommes ou femmes – ont à cœur de traiter la question des femmes.

Mme Nicole Ameline. Je me réjouis de l’émergence d’une diplomatie des droits des femmes sur la scène internationale. Celle-ci est absolument indissociable de la position de la France dans le monde et de son influence. Je suis également très heureuse que la question des réserves sur les conventions internationales – dont la Convention CEDAW – soit à l’ordre du jour. Nous devons en effet être exemplaires. Je ferai deux observations.

Premièrement, il est important qu’il y ait une articulation entre votre ministère, le ministère des affaires étrangères et celui du budget sur ces questions de développement, tant dans la formulation des politiques que dans leur financement. Avez-vous créé une sorte de « task force » à cette fin ?

Deuxièmement, il serait utile que notre commission travaille sur le thème « développement et droits de l’homme ». Les questions des transitions politiques, de la place des femmes dans les conflits et des violences faites aux femmes imposent aujourd’hui une démarche beaucoup plus volontariste et affirmée.

À titre personnel, je dirai que la convention CEDAW est un cadre d’action, une feuille de route qui, par une approche holistique de ces différentes questions, pourrait constituer une référence utile.

La France aurait intérêt à rendre plus visible l’introduction des droits des femmes dans sa politique, tout en s’appuyant sur nos amis britanniques avec lesquels nous pourrions mener des actions très rapprochées.

Je me permets également d’appeler votre attention sur l’après 2015. Nous avons une démarche d’influence à conduire pour que les droits des femmes soient l’approche la plus symbolique, la plus forte en termes politiques. J’en ai parlé au Secrétaire général des Nations unies. Je crois qu’il est ouvert à cette idée.

Enfin, vous avez parlé d’exemplarité. Il faut en effet renforcer les financements. Cela dit, je serais favorable au redéploiement de certains financements sur l’aide au développement. Cela me semble indispensable. Car il n’y a pas de diplomatie d’influence sans visibilité forte de la France, que ce soit au niveau multilatéral ou européen.

M. Pouria Amirshahi. Madame la ministre, vous avez parlé de la place des femmes dans le règlement des conflits. En raison de la responsabilité qui est la nôtre, nous pourrions, en discutant avec nos amis Maliens, faire en sorte que la place des femmes dans le règlement de la crise – règlement politique, règlement de la paix, de la concorde nationale – soit posée de manière centrale, non seulement en termes de réparation, mais aussi en termes de responsabilité politique. Il serait bon que la France se manifeste et se fasse entendre à ce propos.

Tout comme Élisabeth Guigou, vous avez évoqué la place des femmes dans le cadre des révolutions du printemps arabe. Je pense qu’il faut éviter d’adopter une position qui serait récupérée, de l’autre côté de la Méditerranée, par tous ceux qui, dès qu’ils entendent un responsable politique français mettre le doigt sur le sujet, ont tendance à nous accuser de faire de l’instrumentalisation. Cela ne signifie pas qu’il faut se taire, mais qu’il faut faire plus, et notamment, soutenir les mouvements des femmes arabes.

Je vous ai informée, ainsi que la présidente de la commission des affaires étrangères, sur un mouvement qui s’appelle « le soulèvement des femmes dans le monde arabe ». Il faudrait que ces femmes, qui sont des militantes actives de la société civile et dont le mot d’ordre est « nous ne voulons pas être les oubliées du printemps arabe », soient accompagnées et reconnues. Nous pourrions contribuer à rendre ce mouvement plus visible, ce qui serait une excellente chose.

M. Michel Destot. Madame la présidente, je voudrais revenir sur trois points.

D’abord, s’agissant du mariage forcé, pourriez-vous nous donner un calendrier prévisionnel ? Notamment, quand pourra-t-on légiférer sur le délit sanctionnant le fait de tromper quelqu’un pour l’amener à l’étranger et l’y contraindre à un mariage forcé ?

Ensuite, j’ai cru comprendre qu’il existait un groupe de travail interministériel sur les procédures d’alerte. Mais quelles procédures de prévention pourraient être mises en place dans le milieu scolaire ? Il me semblerait très important de pouvoir évoquer cette question.

S’agissant de la situation des femmes au Mali, la question se pose un peu différemment, dans la mesure où nous sommes tenus par nos engagements internationaux vis-à-vis de ce pays. Ne pourrions-nous pas lancer des actions concrètes, contraignantes, au moment de la reconstruction du pays ?

Enfin, vous avez annoncé l’organisation d’un certain nombre d’évènements de grande ampleur dans les prochains mois – Forum des femmes francophones et réunion ministérielle de l’Union pour la Méditerranée – pour préparer de façon ambitieuse les Objectifs du Millénaire pour le développement à partir de 2015. Ne pourrait-on pas, à travers l’outil principal dont nous disposons et qui est l’Agence française du développement, mettre à l’ordre du jour d’un prochain conseil d’administration cette question centrale des femmes dans le développement ? Nous vous inviterions à venir y exposer les directives de votre ministère en ce domaine.

M. Jean-Philippe Mallé. Comme vous l’avez rappelé, madame la présidente, nous sommes allés, il y a quelques semaines, avec Jean Glavany, Jacques Myard et Marie-Louise Faure, en mission en Égypte et en Tunisie. Nous avons été impressionnés par le niveau élevé des agressions commises contre les femmes. Les organisations internationales de défense des droits des femmes ont-elles conscience de ce phénomène ? Comment la communauté internationale  peut-elle réagir ?

M. Axel Poniatowski. Madame la ministre, vous organisez fin mars le Forum des femmes francophones. J’aimerais connaître l’ordre du jour. Je suppose qu’il y aura des représentantes des pays subsahariens. Est-ce que le problème terrifiant du contrôle de la natalité sera abordé ? C’est en effet un problème majeur dans le monde.

Madame Trotiansky, pourriez-vous préciser votre propos sur les femmes et le sport ? Vous nous avez par ailleurs indiqué que les violences faites aux femmes se sont accrues à la suite du printemps arabe. Considérez-vous qu’aujourd’hui, dans ces pays (Tunisie, Libye, Égypte) les femmes se trouvent dans des situations d’insécurité plus graves que pendant les dictatures ?

M. Avi Assouly. Je rejoins Axel Poniatowski : les problèmes liés à la contraception et au contrôle de la natalité se posent avec acuité, surtout en Afrique. Et en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne, les mariages forcés constituent un autre problème. Mais je tiens à insister sur le fait qu’en France aussi, les femmes sont victimes de violences conjugales. Nous n’avons pas su stopper ce phénomène, et des drames se produisent tous les jours. Quant au viol, il constitue une violence récurrente, notamment en Égypte. J’ai même entendu, dans un reportage, qu’au Koweït, on n’avait pu rien faire parce que le cheik avait payé ce qu’il fallait !

Je terminerai sur cette demande : pourriez-vous m’inviter au Forum ? Je serais très intéressé.

Mme Catherine Coutelle. Madame la présidente, je vous remercie de m’avoir invitée. Je suis là à un double titre : au titre de la Délégation aux droits des femmes et au titre d’un groupe d’études que le Bureau de l’Assemblée vient d’accepter, qui sera intitulé : « Genre et droits des femmes à l’international. »

Mes chers collègues, je pense que nous avons tout intérêt à peser sur les grands rendez-vous internationaux. Nous devons être nombreux à travailler de manière transversale. On l’a vu à New York la semaine dernière. Quand une délégation française est présente, emmenée par une ministre aux droits des femmes, avec des parlementaires et des associations, la voix de la France porte davantage.

Je vous enverrai des informations sur ce nouveau groupe d’études Il serait intéressant que nous nous organisions, que nous nous regroupions, que nous soyons tenus au courant des grands rendez-vous et que nous puissions accompagner, en tant que parlementaires, la diplomatie sur l’égalité des femmes. Il faut que nous fassions entendre notre voix.

Mme la ministre. Je vous remercie, mesdames et messieurs les parlementaires, pour vos questions et pour votre contribution à cette réflexion. Encore une fois, madame la présidente, la participation de votre commission sera la bienvenue. Nous vous associerons volontiers à l’ensemble des évènements que nous organisons. Quant à la demande d’invitation qui vient de nous être faite, nous y répondrons.

Madame Ameline, vous avez insisté sur la nécessité d’une articulation entre mon ministère, celui des affaires étrangères et celui du budget. Sachez que nous travaillons déjà en très étroite concertation et que nos liens sont permanents. Ainsi, les Assises du développement qui ont été clôturées il y a une semaine par le Président de la République ont été préparées à la fois par le Quai d’Orsay, le ministère en charge du développement et mon propre ministère – qui se sont notamment penchés sur le fait que la question de genre devait se poser de façon systématique dans chacun des chantiers qui ont été identifiés à l’occasion de ces assises.

Sur les financements de l’aide au développement, le Président a eu l’occasion de rappeler que malgré une situation budgétaire pour le moins tendue, nous maintiendrions le niveau de notre aide, et que, dès que la situation s’améliorerait, nous l’augmenterions. Dans son même discours, que je vous invite à étudier de près si vous ne l’avez pas encore fait, il a rappelé que les femmes sont une priorité dans le développement. On avait rarement entendu porter ce sujet avec une telle force.

Au-delà de l’aide au développement en tant que telle, que pouvons-nous faire dans le domaine de la santé reproductive, dans les pays où il y a des lacunes ?

Vous avez eu raison de faire allusion aux Britanniques. C’est précisément d’eux que nous nous sommes rapprochés ces derniers mois. Avec mon homologue britannique, Lynne Featherstone, nous avons signé la semaine dernière une tribune dans Le Monde. Nous avons décidé de mettre en commun nos forces, puisque les Britanniques se sont saisi à bras-le-corps de cette question. Ils ont, notamment, lancé le programme « Making it happen » – qui a fait l’objet d’une actualité récente – qui permet de financer dans les pays en développement la formation de personnel médical dans le domaine de la santé reproductive.

De notre côté, nous menons un certain nombre d’actions, qui ne sont pas forcément connues – et qui mériteraient donc d’être davantage valorisées : financement de programmes d’accès à la santé sexuelle, ou encore de programmes de lutte contre les violences faites aux femmes en Afrique subsaharienne et en Haïti, etc. Généralement, nous menons ces actions en coopération avec ONU Femmes. Mais peut-être souhaiteriez-vous en avoir la liste ? Cela vous permettrait d’y voir plus clair.

Faut-il revoir les financements, les rééquilibrer, les redéployer ? C’est une vraie question. Je ne vais pas vous répondre aujourd’hui que nous allons ponctionner tel fond pour alimenter tel autre. Mais je vois bien de quoi vous voulez parler.

Monsieur Amirshahi, vous vous êtes interrogé sur la place des femmes, notamment dans le règlement des conflits, et sur les responsabilités politiques qui peuvent leur être accordées une fois la paix revenue. C’est en effet une question majeure et notre pays a un rôle à jouer en la matière.

La France défend, partout où cela est possible, la résolution du Conseil de sécurité « Femmes, paix et sécurité ». Elle a soutenu l’idée qu’il fallait se préoccuper des droits de l’Homme au Mali. D’où le déploiement d’observateurs des droits de l’Homme, dans le cadre de la résolution 2085. Elle a toujours insisté pour qu’une partie de la formation qui sera dispensée aux forces armées maliennes par la Mission de l’Union européenne porte sur la protection des populations, et donc sur les droits des femmes.

Nous en parlions encore à New York la semaine dernière, dans le cadre de la résolution autorisant le déploiement d’une force de maintien de la paix au Mali, que nous essayons de faire adopter en ce moment au Conseil de sécurité de l’ONU : l’idée est que certains des observateurs des droits de l’Homme se consacrent plus spécifiquement à la situation des femmes, qui sont souvent victimes d’exactions.

Monsieur Amirshahi, vous considérez qu’il faut contribuer à la « visibilité médiatique » des combattantes de la liberté. Je suis d’accord avec vous. Mais cela vaut aussi bien pour le Gouvernement que pour les parlementaires. Lorsque vous vous rendez dans un pays où la situation est tendue, où l’on sait que des violations régulières sont commises à l’encontre des femmes, profitez-en pour aller rendre visite à une ONG. C’est le moyen de mettre celle-ci en avant, de la faire connaître des médias et de lui donner une certaine légitimité. C’est aussi un moyen d’action. Nous en avons parlé au cours de la soirée que nous avons passée à New York avec les représentants d’une quinzaine d’ONG de pays post révolutionnaires en grande difficulté.

Cela m’amène à m’arrêter plus particulièrement sur l’Égypte, où la situation des femmes est emblématique. Après avoir été les porte-drapeaux des révolutions, les militantes subissent quasiment quotidiennement des violences sexuelles effrayantes. Elles sont ensuite considérées par les pouvoirs publics comme des prostituées, ce qui permet d’éviter d’engager des procédures judiciaires. Ce qui se passe est extrêmement inquiétant. Et je ne vous parle pas du retour massif de l’excision dans ce pays.

Quoi qu’il en soit, mettre en lumière le combat des ONG peut être une bonne façon de faire progresser les choses.

J’ai évoqué la réunion de l’UPM qui aura lieu les 3 et 4 juillet prochains. Sachez que nous sommes encore en train d’en définir le format exact. Nous cherchons à y associer les sociétés civiles, même si cela ne signifie pas qu’elles y seront physiquement présentes. Voilà pourquoi nous créons une plate forme numérique, qui leur permettra de témoigner. Ce sera le moyen de porter les bons messages aux pouvoirs publics présents dans cette réunion. En revanche, le Forum des femmes francophones est clairement un forum de la société civile, où sont invitées des femmes d’ONG des pays francophones.

M. Destot m’a demandé ce que nous faisions contre les mariages forcés et quand il serait possible de légiférer sur le sujet. À mon avis, très vite et sans doute au mois d’avril, puisqu’un projet a été déposé il y a quinze jours sur le Bureau de l’Assemblée nationale.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je poserai la question à la conférence des présidents.

Mme la ministre. Ce projet de loi « portant diverses dispositions  d’adaptation dans le domaine de la justice … » n’attire pas l’attention, mais il comprend des dispositions majeures de transposition de la Convention d’Istanbul et de la Directive européenne sur la traite.

Pour lutter contre les mariages forcés, monsieur Destot, nous nous inspirons beaucoup d’une institution britannique, la Forced Marriage Unit (FMU) qui fonctionne remarquablement, en cohérence avec le Foreign Office, les services de l’éducation nationale, ceux des droits des femmes, etc.. En effet, il faut mener des campagnes d’information, notamment dans les établissements scolaires, former les personnels de l’éducation nationale et ceux qui s’occupent du droit d’asile à reconnaître ce type de situation. Depuis 2006, une femme peut demander le droit d’asile en France sur le motif qu’elle est menacée d’un mariage forcé. Cela suppose un réseau consulaire extrêmement réactif.

J’ai enfin été interrogée sur les violences conjugales. En ce domaine aussi, nous devons être exemplaires. Nous avons adopté un plan d’action en novembre dernier, comme l’a rappelé le Président de la République. Ce plan s’articule autour de trois « p » : prévention, protection et punition.

Pour améliorer la prévention, il faut communiquer davantage sur la réalité des violences conjugales, qui ne doivent plus être taboues. Aujourd’hui, à peine une femme sur dix victimes de violences conjugales ou sexuelles porte plainte.

Jusqu’à présent, on avait beaucoup de mal à distinguer, dans les statistiques de police et de justice, les faits qui relevaient de la violence conjugale, car ils n’étaient pas identifiés comme tels. Bientôt, grâce à l’action conjointe du ministère de l’intérieur et de la justice, le problème ne se posera plus.

Nous allons relancer l’enquête VIRAGE – enquête nationale sur les violences subies et les rapports de genre – dont la dernière version date de 2000. Dès que les résultats seront connus, ils seront rendus publics.

Nous sommes en train de préparer, avec Vincent Peillon, une circulaire sur l’éducation à la sexualité dans les collèges et les lycées, qui sortira dans quelques semaines.

Nous devons par ailleurs faire en sorte que lorsqu’une femme tire la sonnette d’alarme, elle bénéficie d’une écoute attentive et d’un accompagnement, ce que notre société ne lui garantit pas toujours. Certes, il existe une plate-forme téléphonique d’accueil des femmes victimes de violences – le 3919. Mais aussi étrange que cela puisse paraître, elle ne fonctionne pas 24 heures sur 24. Malgré les contraintes budgétaires, nous allons renforcer les moyens du 3919 et faire en sorte que ce soit le cas.

L’amélioration de l’accueil et de l’accompagnement des femmes victimes de violences passe par les commissariats et les gendarmeries. Nous allons y généraliser la présence d’assistants sociaux – jusqu’à présent, il ne s’agissait que d’expérimentations. Elle passe également par la formation des professionnels – de police et de gendarmerie, mais aussi de la santé.

Elle passe enfin par la généralisation, sur tout le territoire, du dispositif de téléphone portable « grand danger » car il a fait ses preuves là où il a été expérimenté. Un tel dispositif est particulièrement adapté au cas des femmes qui sont menacées de récidive de la part de l’auteur des coups. Il a évité la mort à plusieurs d’entre elles. Lorsque l’on appuie sur une touche, la police arrive sur les lieux en moins de dix minutes.

Cela dit, les femmes hésitent à tirer la sonnette d’alarme, car elles craignent de se retrouver dans la rue avec leurs enfants. Voilà pourquoi il est indispensable de leur offrir des hébergements d’urgence. Le 25 novembre dernier, le Président de la République a pris l’engagement suivant : sur les 5 000 hébergements d’urgence que nous créerons pendant ce quinquennat, un tiers sera réservé aux femmes victimes de violences – ce qui reviendra à doubler l’existant.

Après la prévention et la protection, il faut se préoccuper de la punition. En effet, s’il n’y a pas de sanction ou si celle-ci n’est pas à la hauteur, se développe un sentiment d’impunité, contre lequel il faut lutter. Pour autant, il ne faut pas négliger le suivi – notamment psychologique – des auteurs de violences, si l’on veut éviter la récidive. J’y suis particulièrement attachée.

Voilà ce que nous faisons. Mais c’est aussi parce que nous le faisons que nous sommes à même de ratifier la Convention d’Istanbul, qui était assez ambitieuse en la matière.

Parmi les victimes de violences, il y a des femmes étrangères. Or certaines conventions bilatérales passées entre la France et des pays comme, par exemple, l’Algérie, font que le droit personnel de ces femmes relève toujours de leur pays d’origine et non pas de la France où elles vivent. Et dans certains de ces pays, le consentement n’est pas expressément requis pour célébrer un mariage. La France peut donc être amenée à reconnaître un mariage célébré à l’étranger, alors que l’épouse vit dans notre pays et devrait plutôt se voir appliquer le droit français. C’est la raison pour laquelle, dans le projet de loi relatif aux droits des femmes que je présenterai au mois de mai prochain, nous examinerons cette question du droit personnel applicable aux femmes étrangères installées en France. Nous voudrions que la dérogation actuellement prévue pour toutes les questions d’ordre public soit étendue aux questions relatives à l’égalité hommes/femmes et au droit des femmes, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Mme Olga Trotiansky. Tout ce qui est fait en France pour promouvoir la culture de l’égalité entre les hommes et les femmes nous aide à travailler dans le cadre européen et international. Et puisque l’on a évoqué ces sujets, le lien que l’on fait entre sexisme, stéréotypes, inégalités et violences est fondamental.

Il existe, au sein de la CLEF, une « Commission Femmes et Sports ». Il nous a semblé très important d’aborder les sujets liés à la parité dans l’ensemble des instances sportives, comme à la prostitution qui se développe en marge d’un certain nombre de grands évènements sportifs dans le monde. À l’occasion des jeux Olympiques de Londres, en 2012, nous avons défendu la neutralité politique et religieuse et condamné certains pays qui permettaient à des participantes de porter le voile. Nous avons fait un certain nombre de propositions. Par exemple, que le président du CIO remette personnellement la médaille d’or à la marathonienne, comme il le fait pour le marathonien.

Vous parliez de l’avant et de l’après dictature. Les associations avec lesquelles nous travaillons nous ont dit, en effet, qu’elles étaient en difficulté. Nous les soutenons et nous essayons de faire en sorte que certaines dispositions ne voient pas le jour. Nous sommes tout particulièrement vigilants à l’égard d’un projet d’article constitutionnel qui consacre la « complémentarité » et non l’« égalité » des hommes et des femmes.

En conclusion, madame la présidente, le travail que nous menons avec les associations au niveau international doit viser aussi bien à soutenir les femmes en difficulté ou les femmes victimes de violences qu’à permettre aux femmes de prendre une place active dans la résolution des conflits.

Mme Catherine Coutelle. Il faut que la France fasse passer un message clair : dans l’olympisme, on ne peut pas tolérer de manifestations religieuses – d’ailleurs présentées comme des manifestations culturelles. On ne peut pas accepter la participation de femmes voilées ou vêtues d’un maillot de bain qui descend jusqu’aux pieds – ce qu’on ne demande pas aux garçons.

Par ailleurs, comme l’a dit Mme Trotiansky, les grandes manifestations sportives sont parfois associées à des lieux de prostitutions. Il faut savoir que l’Europe a favorisé le passage des prostituées lors de la Coupe du monde de football en Ukraine. Nous devons donc faire preuve de vigilance dans de nombreux domaines !

Enfin, mes chers collègues, je vous invite à rejoindre le groupe d’études que nous allons mettre en place.

Mme la ministre. De la même façon, femmes ou hommes, vous êtes tous les bienvenus au ministère du droit des femmes !

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Madame la ministre, madame la présidente, soyez assurées que la question des femmes est et sera traitée dans toutes nos missions. Et dès que le projet de loi dont nous avons parlé sera passé en conseil des ministres, nous ferons en sorte de l’examiner aussi vite que possible, avant qu’il vienne en séance publique.

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Informations relatives à la commission

Au cours de sa réunion du 13 mars 2013, la commission des affaires étrangères a nommé :

- M. Pouria Amirshahi, rapporteur du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à la violation des embargos et autres mesures restrictives (n° 732) ;

La séance est levée à dix-neuf heures.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 13 mars 2013 à 16 h 30

Présents. - Mme Nicole Ameline, M. Pouria Amirshahi, M. Avi Assouly, M. Philippe Baumel, M. Michel Destot, M. Jean Glavany, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, Mme Chantal Guittet, M. Laurent Kalinowski, M. François Loncle, M. Jean-Philippe Mallé, M. Patrice Martin-Lalande, M. Axel Poniatowski, M. Boinali Said, M. Michel Terrot

Excusés. - Mme Danielle Auroi, M. Jean-Paul Bacquet, M. Alain Bocquet, M. Jean-Claude Buisine, M. Édouard Courtial, M. Jacques Cresta, M. Jean-Paul Dupré, M. Paul Giacobbi, Mme Thérèse Guilbert, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Françoise Imbert, M. Lionnel Luca, M. Thierry Mariani, M. Jean-René Marsac, M. René Rouquet, M. André Santini, M. François Scellier

Assistaient également à la réunion. - Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Catherine Coutelle, Mme Pascale Crozon, Mme Françoise Dubois, M. Jean-Pierre Fougerat, M. Gwendal Rouillard