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Commission des affaires étrangères

Mercredi 3 juillet 2013

Séance de 9 heures 45

Compte rendu n° 77

Présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Ramon Fernandez, directeur général du Trésor, sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale

Audition, ouverte à la presse, de M. Ramon Fernandez, directeur général du Trésor, sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale

La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous accueillons M. Ramon Fernandez, directeur général du Trésor, pour parler de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Étant donné la diversité des questions qu’un tel sujet soulève, je propose que notre débat soit centré sur les aspects internationaux et européens à propos desquels notre commission a constitué une mission d’information, dirigée par nos collègues Alain Bocquet et Nicolas Dupont-Aignan, qui doivent remettre leur rapport en septembre.

Il nous a semblé, il y a quelques jours, qu’une volonté de réaliser des progrès concrets s’était manifestée au G8 sur la question des paradis fiscaux ; je tiens d’ailleurs à saluer l’engagement du Président de la République dans ce dossier. Cependant, nous avons appris à nous méfier des effets d’annonce, car leur concrétisation est souvent des plus modestes. Depuis une vingtaine d’années, nous avons assisté à la création du Groupe d’action financière (GAFI) au sommet de l’Arche en 1989, à celle du Conseil de stabilité financière, à celle du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, et à de multiples proclamations du G8 et du G20, mais d’abondantes critiques sont émises à l’encontre de ces instances, concernant leur nombre – certains souhaiteraient les fusionner –, la longueur et l’illisibilité de leurs processus de décision et la place laissée dans leur fonctionnement à des pays considérés comme douteux, ce qui met en cause leur crédibilité.

Monsieur le directeur général, pensez-vous – puisque la volonté de progresser paraît réelle et que l’initiative provient de manière surprenante du Premier ministre britannique, M. David Cameron – que nous pouvons espérer l’instauration au plan international de dispositifs vraiment efficaces ? Que faut-il faire pour y parvenir ? Quels sont les enjeux qui s’attachent à la proposition du Premier ministre britannique ? La question des registres – qui permettraient d’identifier ceux qui se cachent derrière les sociétés-écrans et les fiducies – s’avère fondamentale : en effet, si nous continuons à tolérer l’existence des sociétés-écrans, tous les systèmes d’échange automatique d’informations pourront être contournés ; il faut protéger le secret des affaires, mais l’administration fiscale et les magistrats doivent avoir accès à tous les renseignements dont ils ont besoin. Où en sommes-nous sur ce sujet avec nos partenaires, mais également dans notre pays où l’on peut s’inquiéter de l’introduction dans notre droit de la catégorie juridique des sociétés-écrans ? Jusqu’où doit-on exiger la transparence des activités et des bénéfices des entreprises dans les différents États et territoires où elles sont implantées – sachant que, dans le cadre de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires, nous disposerons sur ce point d’une des législations les plus avancées ?

Avant de prétendre imposer la transparence fiscale dans le monde, il conviendrait de la réaliser en Europe, comme nous le rappellent légitimement beaucoup de pays non européens.

Monsieur le directeur général, à quelle échéance l’Union européenne disposera-t-elle d’un système complet et automatique d’échange d’informations fiscales, incluant l’Autriche et le Luxembourg, ainsi que tous les États et toutes les juridictions non membres mais liés à l’Union, comme la Suisse, le Liechtenstein et diverses dépendances de la couronne britannique ?

M. Ramon Fernandez, directeur général du Trésor. La direction générale des finances publiques (DGFiP) pilote l’action administrative dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, mais la direction générale du Trésor (DG Trésor) travaille en étroite collaboration avec elle sur ces sujets. Mon homologue de la DGFiP, M. Bruno Bézard, et moi-même avons d’ailleurs mis en place il y a quelques mois un groupe de coordination chargé de préparer les réunions internationales – du G20, du G8 et de l’Ecofin, notamment – où sont traitées les matières fiscales.

Notre action a connu une accélération ces dernières semaines ; elle s’inscrit dans un cadre général de combat contre les juridictions non coopératives (JNC) et s’articule autour de trois grands axes.

Le premier concerne l’identification des JNC – les pays qui présentent des défaillances et qui ne coopèrent pas au niveau international en matière de transparence fiscale, de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, et de supervision prudentielle –, tâche réalisée au sein du conseil de stabilité financière pour le volet prudentiel, du GAFI pour la partie blanchiment, de l’OCDE et surtout du Forum mondial pour la dimension fiscale. Cette identification – que les Anglo-Saxons appellent « name and shame » – vise à inscrire des États sur des listes afin que la pression médiatique permette quelques changements ; on notera toutefois que certains pays considèrent que cette approche est excessive et va à l’encontre de l’esprit de coopération.

Le deuxième pivot de notre politique repose sur la promotion d’une plus grande transparence des personnes morales et des « constructions juridiques » – terme pudique pour évoquer les trusts –, action essentielle pour les luttes contre le blanchiment et contre la fraude fiscale, qui sont étroitement liées.

Le dernier pilier vise à renforcer le cadre législatif et réglementaire – international comme national – afin de rendre la traque de l’évasion fiscale et du blanchiment plus efficace.

Tous ces thèmes comportent une forte dimension internationale, puisque l’action dans un seul pays est condamnée à l’impuissance. Lorsque les Etats opposés à toute évolution parviennent à bloquer les avancées dans les instances internationales en charge, le rôle d’impulsion du G20 est fondamental. Le G20 de Londres, en 2009, a lancé un mouvement qui, s’il n’a pas donné tous les résultats escomptés, a permis de fonder le concept de JNC autour des questions fiscales, prudentielles et de blanchiment ; depuis 2009, la France a obtenu qu’une référence à ce thème figure dans chaque communiqué du G20. Cela donne de la visibilité aux instances compétentes – OCDE, Forum mondial, GAFI et conseil de stabilité financière – et permet de réaliser quelques avancées. L’OCDE publia une première liste de paradis fiscaux en 2009, innovation importante, mais obtenue de haute lutte. Si aujourd’hui la liste est presque vide et sa portée limitée, elle a permis d’enclencher un premier mouvement, et d’inciter les Etats qui y figuraient à signer au minimum douze accords de coopération bilatérale pour en sortir.

L’élan de ces derniers mois résulte notamment d’Offshore Leaks et de la lutte contre les déficits publics qui rend insupportable le contournement de l’impôt. Nous avons pu constater ce tournant lors de l’Ecofin informel tenu à Dublin en avril, au cours duquel les ministres des finances français, britannique, allemand, italien, espagnol et polonais ont affirmé la nécessité de prendre des initiatives dans ce domaine. Cela a conduit, dès la semaine suivante lors de la réunion du G20 à Washington, à l’adoption de nouvelles résolutions : échange automatique d’informations – appelé à devenir le nouveau standard international – et nécessité de mettre à l’ordre du jour la question des trusts – mot qu’un communiqué du G20 employait pour la première fois. Ensuite, la réunion du G8 sous présidence britannique en juin a consolidé cette approche. Ainsi, en deux mois, l’initiative européenne fut endossée par le G20, puis par le G8. La prochaine réunion ministérielle du G20, prévue dans quinze jours à Moscou, préparera le prochain sommet du G20, programmé en septembre à Saint-Pétersbourg, et traitera de ces sujets sous quatre angles différents.

Le premier touche à l’échange automatique d’informations à des fins fiscales ; nous sommes en effet convaincus que la coopération internationale ne peut pas reposer exclusivement sur des demandes d’informations. Un échange automatique d’informations permettra d’obtenir beaucoup plus rapidement des identifications utiles ; cette notion ne faisait pas consensus, mais la réunion du G20 à Washington a opéré une rupture. Les États-Unis ont élaboré un standard – qui ne sera pas forcément repris au plan international – avec le Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA), loi sur la conformité fiscale des comptes étrangers, dont les Européens s’inspirent. Notre objectif vise à soutenir l’OCDE qui a été mandatée pour élaborer la référence internationale à laquelle se rallieraient l’ensemble des États membres et que pourrait reprendre le G20 à Saint-Pétersbourg.

La deuxième priorité est d’obtenir la transparence des personnes morales et des trusts. Depuis quelques années, les communiqués du G20 promeuvent une transparence des personnes morales conforme aux exigences du GAFI. Comme vous l’avez affirmé, madame la présidente, ces structures juridiques opaques constituent des vecteurs privilégiés pour le blanchiment des capitaux. Le communiqué du G20 d’avril a mentionné pour la première fois l’attention particulière qu’il convenait de porter aux trusts. Le G8 sous présidence britannique a endossé cette position, progrès significatif puisque le Royaume-Uni ne défendait pas cette position précédemment ; en outre, les États du G8 se sont engagés lors du sommet de Lough Erne à publier des plans d’action nationaux pour améliorer la transparence des sociétés et des autres constructions juridiques – y compris les trusts – au moment du G20 de Saint-Pétersbourg. Cette nouvelle orientation permettra d’identifier les bénéficiaires effectifs des personnes morales et des trusts.

Le troisième axe, concernant l’érosion des bases fiscales et la sous-imposition des profits, s’incarne dans l’initiative Base erosion and profit shifting (BEPS). Les textes internationaux ont cherché à éviter la double imposition des profits, ce qui a conduit certains d’entre eux à être doublement exonérés. Dans le contexte de consolidation des finances publiques, ce mode légal d’évasion fiscale s’avère de moins en moins toléré ; sous l’impulsion de la France, du Royaume-Uni et de l’Allemagne, l’OCDE élabore un plan d’action qui sera discuté par les ministres du G20 et par les gouverneurs de banques centrales les 19 et 20 juillet à Moscou, afin qu’il puisse être entériné par les chefs d’État et de gouvernement à Saint-Pétersbourg. L’une des priorités de cette mobilisation se concentrera sur l’économie numérique.

Enfin, le quatrième point a pour objet l’établissement d’une nouvelle liste de JNC en matière fiscale, réalisée en lien avec les travaux du Forum mondial. Nous avons obtenu cette année que le G20 fasse référence aux 14 juridictions non coopératives et que des travaux soient conduits en vue de disposer d’une évaluation globale – utilisant une échelle de quatre notes – du degré de coopération de l’ensemble des juridictions ; le Forum mondial a par ailleurs instauré une procédure d’examen non seulement de la conformité légale, mais également de la mise en œuvre des textes adoptés.

L’impulsion donnée, notamment par la France, au G20 et au G8 a permis de déclencher un nouveau mouvement. Il y a déjà eu des communiqués et des initiatives dans le passé, mais les initiatives actuelles sont indispensables pour que les droits internationaux et nationaux se mettent en conformité avec les objectifs politiques proclamés.

En Europe, cet agenda se décline avec un temps d’avance, comme l’a montré l’Ecofin informel de Dublin. Les pays de l’UE ont donc défendu une position unie au G20 de Washington, ce qui n’a pas toujours été le cas. La France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, le Royaume-Uni et la Pologne ont affirmé à la suite de la réunion de Dublin vouloir mettre en place un dispositif d’échange automatique d’informations au sein de l’Union européenne, qui soit similaire au FATCA américain. Les ministres des finances de ces pays ont également appelé à une révision de la directive 2003/48/CE sur la fiscalité des revenus de l’épargne, à l’ouverture de négociations avec les pays tiers et ont souhaité transmettre les travaux de l’Union européenne sur l’érosion des bases fiscales à l’OCDE et au G20. Des discussions sur la directive Épargne et sur la directive 2011/16/EU relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal se sont amorcées, même si l’engagement des États varie face au risque de voir des flux financiers quitter certaines places situées dans l’Union. Les États membres ont décidé, lors de l’Ecofin du 21 juin, de donner un mandat à la Commission européenne pour négocier la directive épargne avec les États tiers  et de réviser la directive Épargne avant la fin de l’année, sachant que certains Etats membres posent pour condition à la renégociation de cette directive la conclusion préalable des négociations sur le sujet avec les pays tiers. Beaucoup de travail reste à faire, mais l’orientation politique a été clairement affichée.

Les négociations sur le projet de quatrième directive anti-blanchiment ont débuté ; ce sujet est lié à celui de la fraude fiscale, puisque celle-ci est définie comme l’une des infractions sous-jacentes au blanchiment d’argent. M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances, et son homologue allemand, M. Wolfgang Schäuble, ont écrit à la Commission européenne en avril pour faire part de leurs attentes, qui impliqueraient un texte plus ambitieux dans ce domaine. Les deux ministres souhaitent que la Commission s’implique dans la mise en œuvre d’une politique européenne de lutte contre le blanchiment reposant sur une évaluation des risques auxquels le marché unique est exposé et sur l’application des dispositifs nationaux, et permettant de réaliser des progrès dans l’identification des structures juridiques opaques. Sur ce dernier point, l’un des moyens soulignés par la France serait que chaque État membre produise un registre faisant apparaître les personnes physiques bénéficiaires des sociétés. Enfin, les ministres pensent que l’Union européenne doit disposer d’une politique active de lutte contre les JNC, comprenant une liste des JNC européennes – établie sur des critères plus ambitieux que la liste internationale – et un répertoire de sanctions pouvant leur être appliquées.

En outre, nous souhaitons accroître la transparence et la responsabilité des entreprises européennes, et obliger les établissements financiers et les grands groupes à publier leurs lieux d’activité pour identifier d’éventuelles anomalies et pour comprendre les raisons incitant une entité à se localiser dans un endroit particulier. De ce point de vue, avec le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, vous êtes sur le point d’insérer dans le droit français, mesdames et messieurs les députés, des dispositions permettant des avancées comparables à celles obtenues par la France à l’échelon de l’Union européenne ; en effet, le projet de directive CRD IV sur les exigences de fonds propres se limitait d’abord aux seuls standards prudentiels internationaux ; son champ concerne désormais également la transparence, imposée aux activités des banques dans tous les territoires. Cette obligation de transparence devrait également être étendue par la future directive comptable à l’ensemble des grands groupes dans tous les secteurs.

Une commission mixte paritaire, prévue la semaine prochaine, permettra un accord sur le texte puis le vote du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, qui crée des obligations de transparence en matière de chiffre d’affaires, d’effectif, de résultat, de subventions publiques et d’impôt sur les sociétés (IS) pour les établissements bancaires, et qui met la France en pointe en la matière dans l’Union européenne. Le ministère va également publier prochainement la mise à jour annuelle de la liste française des paradis fiscaux, qui identifiera les États n’ayant pas souhaité négocier des accords de coopération bilatérale – huit pays sont à ce jour inscrits sur la base de ce critère –, et ceux ayant consenti à l’échange d’informations, mais qui ne respectent en pratique pas les engagements souscrits. En outre, le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, voté en première lecture par l’Assemblée nationale le 25 juin, prévoit pour 2016 l’introduction d’un nouveau critère correspondant à l’existence d’un accord d’échange automatique d’information avec la France, et l’utilisation concrète de cet accord. Nous avons promu cette démarche auprès d’établissements impliqués dans les échanges internationaux, comme l’Agence française de développement (AFD) qui, à notre demande, a renforcé depuis un an son système de lutte contre le blanchiment, la corruption, la fraude et les paradis fiscaux ; le conseil d’administration de l’AFD a adopté, à la fin de l’année dernière, un nouveau dispositif de sécurité financière qui utilise à la fois la liste internationale du Forum mondial et la liste française des paradis fiscaux. Une réflexion similaire est actuellement conduite avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et avec la Banque publique d’investissement (BPI).

Au total, nous devons maintenir notre mobilisation au plan international et dans l’Union européenne, qui nous permettent de conforter nos dispositions nationales – sachant que par ailleurs donner l’exemple peut avoir un effet d’entraînement. Depuis quelques mois, un mouvement s’est en tout cas enclenché pour que le fléau de la fraude et de l’évasion fiscales soit plus fortement combattu.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous vous remercions, monsieur le directeur général, pour cet exposé complet et précis qui nous fait espérer que des progrès concrets seront réalisés.

Il est vrai que le sommet du G20 à Londres a remis au goût du jour des listes identifiant les JNC ; cependant, ces trois listes – sur le blanchiment, sur l’évasion fiscale et sur l’évasion réglementaire – avaient déjà été élaborées à la fin des années 90, mais on s’est aperçu, à l’occasion de la faillite de Lehman Brothers, qu’elles avaient été vidées de leur substance et que les paradis fiscaux existaient toujours.

Je me souviens d’avoir refusé, à une époque où j’exerçais d’autres responsabilités, l’introduction en droit français des trusts et des fiducies, malgré des pressions importantes. Je persiste à me demander pourquoi il a été jugé utile de procéder à cette intégration, car je ne suis pas tout à fait convaincue que la protection contre les concurrents justifie leur existence. Ne faudrait-il pas supprimer ces structures de notre ordre juridique, même si l’effet d’une telle mesure prise isolément sera limité ?

M. Alain Bocquet. Monsieur le directeur général, vous avez souligné l’impasse qui consisterait à conduire des actions nationales ou européennes qui divergeraient des décisions prises au plan international. Comme les chœurs de l’Opéra, nous répétons « Marchons ! Marchons ! » et piétinons sans avancer. Pendant que nous exposons nos intentions généreuses, les recettes des administrations publiques accusent un déficit de 60 milliards d’euros à cause de l’évasion fiscale – sans compter les carrousels de TVA qui augmentent ce montant de 15 milliards d’euros. De quels moyens dispose le Trésor pour lutter contre cette triche, sachant que les multinationales, accompagnées par le secteur bancaire, délocalisent leurs profits et développent des systèmes légaux de contournement de l’impôt de plus en plus sophistiqués ? Quelles actions pouvez-vous conduire avec nos partenaires pour régler la question des prix de transfert ?

Les organisations mafieuses réussissent à contourner en six mois nos instructions et nos administrations, grâce à des sociétés-écrans – le scandale de la TVA carbone fut sur ce point édifiant. Quels instruments la France peut-elle mettre en œuvre, sachant que le Royaume-Uni a réduit le carrousel de TVA sur des téléphones portables de 21 milliards à 6 millions d’euros et que la Belgique a ramené son carrousel de TVA de 1,2 milliard à 2 millions d’euros ? Notre action est peut-être entravée par une mauvaise coopération entre les administrations, mais nous devons régler ces problèmes pour lutter contre l’évasion et la fraude fiscales.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Depuis six mois, Alain Bocquet et moi-même avons auditionné une centaine de personnes et nous sommes rendus dans plusieurs pays, dont la Suisse ; la plupart de nos interlocuteurs nous ont confirmé que l’on en avait fait davantage depuis 2009 qu’au cours des trente années précédentes. Il est donc juste de constater un progrès. Mais c’est qu’il s’agit d’une question de survie pour les États, et cela explique l’action vigoureuse des États-Unis et du Royaume-Uni. Cependant, nombre de magistrats et d’agents des services fiscaux affirment que les déclarations de principes ne se concrétisent pas dans les faits ; ainsi, la bulle de la fraude fiscale continue de croître, et la base fiscale ne cesse de s’éroder – les fraudes à la TVA, notamment en France, n’ont jamais atteint un tel niveau.

Mais la récente mobilisation ne résulte-t-elle pas du rapport de force instauré par les États-Unis et symbolisé par la loi FATCA, qui impose l’extraterritorialité et a incité les pays européens à évoluer ? Sans cela, l’échange automatique des données aurait-il été décidé ? Comment la France négocie-t-elle l’application de FATCA ? Acceptera-t-elle qu’il n’y ait pas de réciprocité entre les informations sur les citoyens américains que nos banques fourniront au fisc américain et les renseignements sur les ressortissants de notre pays que les banques américaines donneront au fisc français ?

Au sein de l’Union européenne, l’Irlande et les Pays-Bas ont mis en place un système sur lequel s’appuie l’industrie numérique ; or les pays européens ont donné plusieurs milliards d’euros pour sauver l’Irlande sans imposer le moindre changement de son système fiscal. Nous construisons ainsi une Union tragiquement déséquilibrée sur le plan fiscal – notamment sur l’imposition des entreprises –, tout en prétendant vouloir lutter contre les montages fiscaux ; dans les faits, nous n’avons aucune envie de nous attaquer à ces mécanismes et nous finançons même des pays qui pratiquent le dumping fiscal à grande échelle. Comment pouvons-nous changer cette situation ?

Alors que les fonctionnaires français font preuve d’un sens du service public exceptionnel, on s’aperçoit que ce sont les États-Unis, le Royaume-Uni et la Belgique qui mettent en place une organisation efficace pour lutter contre la fraude fiscale. Nous pâtissons d’un cloisonnement des services qui rend difficile la lutte contre les réseaux. Dans l’affaire UBS, les plaintes ont été enregistrées le 6 juin 2013 en France alors qu’elles datent de 2008 aux États-Unis ; UBS a pu installer en toute impunité un système de détournement d’argent en France pendant des années. L’exploitation de la liste de HSBC marque un progrès, mais la criminalité organisée a développé une fraude à la TVA, en liaison avec le Pakistan et Israël, qui prive la France de 10 milliards d’euros de recettes fiscales ; or la Belgique, l’Espagne et le Royaume-Uni ont éradiqué de telles malversations. Les services fiscaux souhaitent simplifier la vie des entreprises – ce qui est positif et doit être encouragé –, mais ils nous demandent d’élaborer des dispositifs qui ne favorisent pas la fraude et l’évasion fiscales. Comment la direction générale du Trésor intègre-t-elle les dangers du contournement de l’impôt dans les dispositifs, parfois complexes, qu’elle met en œuvre pour soutenir les entreprises ?

Mme Françoise Imbert. Monsieur le directeur général, nous recevons régulièrement dans nos permanences des représentants des syndicats des finances publiques qui évoquent depuis longtemps le problème de la fraude fiscale et en estiment le montant à 60 ou 80 milliards d’euros ; ils dénoncent le manque de moyens qui les empêche d’accomplir leurs missions et ils souhaitent retrouver une plus grande capacité d’action. Est-ce possible ? Les ressources de cette administration peuvent-elles augmenter ?

Ma circonscription se situe en Haute-Garonne, département limitrophe d’un paradis fiscal – l’Andorre : pourrait-on disposer de moyens accrus dans ce département ?

M. Michel Terrot. On évoque le chiffre approximatif de 300 à 400 ménages qui quitteraient le territoire chaque année pour des raisons fiscales. Il est étonnant de constater que l’on ne dispose pas de données précises sur ce sujet qui irrite nos concitoyens. Ne pourrait-on pas élaborer un instrument de mesure fiable, public et actualisé chaque année ?

M. Jacques Myard. Monsieur le directeur, ce que vous dites est bel et bon, mais la transposition de vos propos dans les faits s’avère des plus lacunaires. Jersey et Gibraltar appartiennent-ils à l’Union européenne ? Le Delaware fait-il partie des États-Unis ?

Une loi de 1980 avait permis d’opérer un transfert automatique de données au profit des États-Unis ; dans le même temps, un code de conduite à l’OCDE avait été élaboré parce que les Américains utilisaient les informations sur les comptes bancaires pour lancer des procès anti-trusts aux États-Unis. Quelles sont donc les garanties dont nous disposons en matière d’échange automatique d’informations ?

L’une des dispositions de la future directive sur le blanchiment d’argent portera sur le paiement des joueurs : aujourd’hui, on peut payer en liquide les gagnants jusqu’à 5 000 euros ; ce seuil sera abaissé à 3 000, puis à 1 000 euros. Le paiement par chèque n’est pas recyclé dans les jeux, ce qui crée un manque à gagner pour les recettes fiscales. Nous devons lutter contre le blanchiment, mais d’autres moyens existent.

M. Pierre Lellouche. Nous pouvons tous nous féliciter du mouvement que vous décrivez, monsieur le directeur, mais il bute sur l’inexistence de sanctions et sur l’attitude des grands émergents. Je ne perçois pas de monde vertueux si seuls l’UE et les États-Unis le sont.

Deux plaques tournantes du blanchiment sont membres de l’Union européenne : le Luxembourg et Chypre. Avant d’entrer au Gouvernement, M. Montebourg dénonçait les pratiques du Luxembourg et je regrette qu’il ait cessé de le faire ; nous sommes venus au secours de Chypre après la panique bancaire qu’elle a connue, cette crise monétaire résultant de la nature spéculative des dépôts placés à Chypre, qui proviennent notamment de grands pays d’Europe de l’Est. Tant que l’Union européenne n’aura pas combattu les pratiques douteuses développées par certains de ses membres, les avancées dans la lutte contre le blanchiment resteront illusoires.

On découvre au Sahel et au Mali que beaucoup d’argent provient de fondations islamiques installées dans des pays du Golfe. Les États affirment toujours que ce sont des entités privées qui financent la construction de mosquées et de madrasas à l’étranger, et qui soutiennent également des mouvements militaires que nous combattons. Le G8 a-t-il évalué les montants en jeu et place-t-il les pays concernés devant leurs responsabilités ? M. Gordon Brown a suggéré que cet argent soit placé dans un fonds qui financerait des investissements dans les pays du Sahel et en Afrique du Nord, où les besoins sont colossaux. Il s’agit de l’une des questions centrales des années à venir pour la sécurité internationale.

M. Philip Cordery. Il faut changer notre législation, car l’évasion et l’optimisation fiscales s’opèrent souvent dans le cadre de la loi.

Disposez-vous d’une estimation du montant de recettes fiscales que générerait l’échange automatique d’informations ? Où en est-on de l’harmonisation de l’assiette et du taux de l’impôt sur les sociétés ? Ne devrait-on pas tenter d’élaborer, au sein de l’Union européenne, un mécanisme permettant d’imposer la richesse là où elle est créée, plutôt que là où elle est déclarée ? Une telle évolution nous dispenserait notamment d’exit tax.

M. Jean-Claude Guibal. Les élus locaux qui reçoivent des informations sur des risques de blanchiment éprouvent bien des difficultés à joindre un interlocuteur de l’État qui ne soit pas la DGFiP ; or les procédures fiscales sont longues et débouchent rarement sur une action pénale. Cette situation fait perdre d’importantes opportunités de contrôle. Certaines entreprises mafieuses sont connues de l’État mais pas des collectivités locales, alors qu’elles se portent candidates à l’attribution de marchés publics et sont parfois retenues.

M. André Schneider. Monsieur le directeur général, pensez-vous disposer des moyens suffisants pour récupérer les 70 à 75 milliards d’euros de recettes fiscales qui échappent chaque année au fisc français ?

Mme Marie-Louise Fort. L’économie parallèle est importante en France et, si l’on réussissait à taxer certaines filières internationales, la situation budgétaire serait meilleure. Quelles actions sont envisagées dans ce domaine ?

M. Meyer Habib. Quelles positions défend la Chine – dont je n’ai pas encore entendu parler – sur ces sujets ?

Ne faudrait-il pas harmoniser l’imposition en Europe ?

Le Président de la République a affirmé, lors d’une réunion du conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), que tous les fonds provenant du Qatar seraient contrôlés par un organisme chargé ensuite de distribuer ces capitaux, mais pourquoi les plus-values immobilières réalisées en France par cet État ne sont-elles pas imposées ?

M. Ramon Fernandez. C’est la DGFiP – avec la direction de la législation fiscale (DLF) – qui est le chef de file en matière fiscale. La DG Trésor et la DGFiP collaborent étroitement ensemble – avec M. Bruno Bézard, nous avons installé un groupe de travail conjoint pour suivre les sujets fiscaux ayant une dimension internationale –, la DG Trésor défendant nos objectifs politiques dans les enceintes économiques internationales. Ma direction assiste en effet le ministre de l’économie et des finances au G20, au G8, à l’Ecofin, à l’Eurogroupe et au Conseil de stabilité financière. L’organisation administrative des autres pays est d’ailleurs comparable à la nôtre avec une filière fiscale représentée dans des groupes de travail à l’OCDE, et un Trésor qui négocie les communiqués des sommets internationaux et accompagne le ministre lors des entretiens avec ses homologues.

La Chine, au terme de nombreuses discussions au G20, a accepté la publication de la liste des JNC ; elle a ensuite annoncé qu’elle allait signer – probablement avant le sommet du G20 de Saint-Pétersbourg – la convention multilatérale de l’OCDE en matière fiscale. Chaque pays présidant le G20 peut inviter jusqu’à trois États non membres à participer aux discussions : la Russie a convié la Suisse, si bien que celle-ci a signé le communiqué d’avril sur l’échange automatique d’informations et la transparence des trusts. Notre stratégie est de faire endosser les démarches en matière de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales par les forums où les économies émergentes sont représentées ; elles sont peu présentes à l’OCDE alors que cette organisation élabore les standards fiscaux, mais le Forum mondial a justement été créé pour pallier cette lacune ; il comprend environ 110 membres qui participent à l’évaluation des textes et de leur application.

J’ignore où en est la négociation bilatérale entre les États-Unis et la France sur FATCA, qui est conduite par la DGFIP, mais la France a insisté au cours de cette négociation pour que des informations lui soient également transmises en retour par les Etats-Unis, et donc que l’accord ne soit pas asymétrique. Le principe en la matière repose sur l’échange automatique d’informations dans une relation d’égalité, et nous espérons que le modèle élaboré par l’OCDE sera adopté par l’ensemble des pays du G20 et de l’Union européenne.

La France poursuit l’objectif d’harmoniser la fiscalité au sein de l’Union et a notamment lancé des initiatives bilatérales avec l’Allemagne, mais chaque pays – dont la France – reste soucieux de sa souveraineté fiscale. Comme, en cette matière, les décisions se prennent à l’unanimité, les progrès sont lents, mais les discussions existent. Lorsque l’Union européenne a soutenu l’Irlande, la question de conditionner l’octroi de cette aide à l’augmentation du taux d’IS, fixé à 12,5 %, s’est posée. Cette faible imposition faisant l’objet d’un consensus général en Irlande et le gouvernement nous ayant affirmé qu’il était impossible d’envoyer ce signal aux entreprises après une telle crise et dans le contexte d’un programme d’ajustement très strict, l’Union n’a pas contraint l’Irlande à modifier le taux de son IS. En revanche, elle a exigé que le taux d’IS chypriote – alors établi à 10 % – soit aligné sur celui de l’Irlande lors de la négociation du plan de soutien à Chypre. Le Président de la République et le ministre de l’économie et des finances insistent régulièrement au Conseil européen et à l’Ecofin pour mettre ce sujet à l’ordre du jour. Pour la France, le rapprochement des régimes fiscaux doit faire partie de l’approfondissement et du renforcement de la zone euro, au même titre que l’union bancaire.

Les Britanniques ont engagé des discussions avec les dépendances de la couronne qui bénéficient d’une souveraineté en matière fiscale ; ils ont ainsi récemment signé des conventions avec beaucoup de ces territoires, ce qui était inimaginable il y a seulement quelques mois.

Le régime français des fiducies et des trusts nous permet d’ores et déjà de nous mettre au niveau de transparence recommandé par le G8 et le G20. Nous disposons d’un registre des fiducies, et nos services fiscaux identifient d’ores et déjà les bénéficiaires effectifs résidents fiscaux français des trusts situés à l’étranger ; nous souhaitons que ce mécanisme soit étendu aux autres pays.

Je comprends le scepticisme affiché à l’égard de la transposition dans des actes de l’ensemble des proclamations contenues dans les communiqués des réunions internationales. Depuis quelques années, nous avons néanmoins progressé grâce à l’impact du dispositif d’identification des territoires non coopératifs, car les États n’aiment pas être inscrits sur ces listes. Nous prenons en outre des dispositions fortes en droit interne et dans celui de l’Union européenne : identification des territoires et des lieux d’implantation des acteurs économiques, mise en place de l’échange automatique d’informations et régime FATCA – qui entrera en vigueur en 2015. Ce délai est nécessaire, car il faut mettre en place des instruments dans les administrations fiscales qui permettent d’utiliser ces dispositifs ; ainsi chaque fisc national doit développer un mécanisme avec l’ensemble des établissements financiers pour alimenter une base de données qui pourra être transférée aux administrations des pays partenaires. Ces systèmes d’information sont très lourds à déployer et ne fonctionneront qu’à partir de 2015.

D’ici là, certains pays ont décidé d’avancer : ainsi, l’initiative lancée par six États européens à Dublin en avril est désormais soutenue par dix-sept pays. Ceux-ci ont décidé d’instaurer un système pilote d’échange automatique d’informations entre eux, sans attendre l’aboutissement de la négociation sur l’application d’un régime similaire à l’échelle de toute l’Union européenne. Par ailleurs, une fois les accords bilatéraux FATCA signés avec les Etats-Unis, il ne pourra pas y avoir de blocage, même dans le cas où l’un des États membres refuserait d’amender la directive Épargne ; en effet, la directive sur la coopération administrative dans le domaine fiscal contient une clause de la nation la plus favorisée et tous les pays de l’Union européenne engagés dans un accord FATCA devront appliquer le même niveau de coopération aux autres États membres.

Le sujet est d’une grande complexité et touche à la souveraineté des États, ce qui explique les lenteurs. On enregistre néanmoins des progrès reposant sur des instruments juridiques, et pas seulement sur des communiqués. Le mouvement engagé me paraît irréversible en raison de la pression collective et de la nécessité d’alimenter les recettes publiques.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous vous remercions, monsieur le directeur général, pour vos propos passionnants et très précis.

Je trouve très encourageant que la coordination entre les administrations françaises s’améliore.

La séance est levée à onze heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 3 juillet 2013 à 9 h 45

Présents. - M. Avi Assouly, Mme Danielle Auroi, M. Jean-Paul Bacquet, M. Christian Bataille, M. Philippe Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Bocquet, M. Gérard Charasse, M. Guy-Michel Chauveau, M. Jean-Louis Christ, M. Philip Cordery, M. Édouard Courtial, M. Jacques Cresta, Mme Seybah Dagoma, M. Jean-Pierre Dufau, M. Nicolas Dupont-Aignan, Mme Marie-Louise Fort, M. Jean Glavany, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, Mme Thérèse Guilbert, Mme Chantal Guittet, M. Meyer Habib, Mme Françoise Imbert, M. Pierre-Yves Le Borgn', M. Jean-Marie Le Guen, M. Pierre Lellouche, M. Patrick Lemasle, M. François Loncle, M. Jean-Philippe Mallé, M. Jean-René Marsac, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. François Rochebloine, M. André Santini, M. François Scellier, M. André Schneider, M. Michel Terrot, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Pouria Amirshahi, Mme Pascale Boistard, M. Jean-Louis Destans, M. Michel Destot, M. Jean-Paul Dupré, M. Hervé Gaymard, M. Paul Giacobbi, M. Jean-Jacques Guillet, M. Pierre Lequiller, M. Lionnel Luca, M. Thierry Mariani, M. Jean-Luc Reitzer, Mme Odile Saugues, M. Guy Teissier, M. Michel Vauzelle