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Commission des affaires étrangères

Mardi 15 janvier 2014

Séance de 9 heures 45

Compte rendu n° 33

Présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente

– Audition de M. Jean-Louis Vielajus, président de Coordination Sud, et de M. Serge Michaïlof, chercheur associé à l'IRIS, sur le projet de loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale (ouverte à la presse)

Audition de M. Jean-Louis Vielajus, président de Coordination Sud, et de M. Serge Michaïlof, chercheur associé à l'IRIS, sur le projet de loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale.

La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.

Mme la présidente Élisabeth Guigou.  Je donne immédiatement la parole à notre collègue Pierre Lellouche qui me la demande pour un point d’ordre.

M. Pierre Lellouche. Le 26 décembre dernier, j’ai formulé la demande auprès du Président de l'Assemblée nationale que nous puissions nous rendre en Centrafrique afin d’apprécier la situation sur le terrain avant que le Parlement ne soit appelé, début avril, à se prononcer sur la prolongation de l’opération Sangaris. Après avoir été refusée la semaine dernière par la Conférence des présidents, cette demande aurait finalement été acceptée hier, sous une forme légèrement différente. Où en est-on exactement, madame la présidente ? Il nous paraîtrait souhaitable de faire le plus vite possible le point sur place, compte tenu de la situation politique actuelle dans le pays.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Cette question a en effet été de nouveau abordée hier en Conférence des présidents. L’idée d’une mission de la présidence de l‘Assemblée en Centrafrique n’a pas été retenue, les deux commissions des affaires étrangères et de la défense travaillant déjà largement sur le sujet, par différents biais. J’ai indiqué que j’étais personnellement favorable à ce qu’une délégation de nos deux commissions se rende sur place le plus rapidement possible, dès que sa sécurité pourra y être assurée. L’évolution des événements autorise peut-être quelques espoirs à cet égard. Le ministère de la défense estime toutefois que les conditions de sécurité ne sont pas encore réunies, la situation autour de l’aéroport de Bangui notamment, près duquel sont réfugiées quelque cent mille personnes, demeurant très incertaine. Il a donc été décidé, et accepté par tous, qu’une délégation restreinte – le président Christian Jacob a évoqué le nombre de quatre députés, ce qui paraît sage, vu les difficultés sur le terrain – se rendra en Centrafrique, une fois donné le feu vert du ministère de la défense. La présidente de la commission de la défense et moi-même allons suivre cela de très près. La délégation pourrait étendre sa visite aux pays voisins comme le Tchad ou le Niger. Une délégation de la commission de la défense s’était d’ailleurs rendue au Tchad avant Noël.

M. Pierre Lellouche.  Je me réjouis que la sagesse l’ait emporté. Le groupe UMP était prêt à envoyer lui-même des députés sur place, si l’Assemblée l’avait refusé. Ce déplacement sur le terrain est en effet indispensable pour éclairer l’Assemblée avant le vote d’avril.

Mme la présidente Élisabeth Guigou.  Nous en venons à l’ordre du jour de cette réunion. Nous recevons Jean-Louis Vielajus, président de Coordination Sud, et Serge Michaïlof, chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques. Je les remercie d’avoir accepté cette invitation pour échanger avec nous sur l’important projet de loi d’orientation et de programmation relatif à la politique de développement et de solidarité internationale, que notre commission examinera prochainement et pour lequel elle a nommé rapporteur notre collègue Jean-Pierre Dufau. C’est la première fois que notre pays se dote d’un outil législatif en matière d’aide au développement. Le Gouvernement concrétise là un engagement pris par le Président de la République durant la campagne électorale.

C’est l’aboutissement du chantier de rénovation de la politique d’aide au développement de notre pays, engagé avec les Assises du développement et de la solidarité internationale, clôturées en mars dernier, et qui s’est poursuivi avec la réunion en juillet du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), lequel n’avait pas été réuni depuis plus de quatre ans.

Ce projet de loi trace les lignes directrices de la politique d’aide au développement de notre pays pour les prochaines années, en cohérence avec les orientations définies au niveau international pour la période postérieure à 2015, échéance des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Il définit les priorités sectorielles et géographiques de cette politique, mais aussi sa méthode. L’aide apportée par notre pays doit contribuer à la réponse internationale au défi du développement dans ses diverses composantes.

Transparence, coordination et souci d’efficacité, tels sont les principes cardinaux qu’il pose pour notre politique d’aide au développement. Les organisations non gouvernementales (ONG) attendent depuis longtemps un tel texte. Quelle analyse en faites-vous, monsieur Vielajus ? Sur quels points conviendrait-il, selon vous, de l’amender ? Monsieur Michaïlof, vous qui avez toujours porté un regard critique sur la politique de la France en ce domaine, qu’en pensez-vous ? Remédie-t-il aux insuffisances que vous dénoncez depuis longtemps ?

M. Jean-Louis Vielajus, président de Coordination Sud. Coordination Sud est une plate-forme regroupant les quelque 140 ONG françaises, grandes et petites, connues ou moins connues, œuvrant dans le domaine du développement et de l’aide humanitaire. C’est un interlocuteur reconnu des ministères concernés et du Parlement, notamment lors de l’élaboration du projet de loi de finances.

Elle est aujourd’hui mobilisée sur le projet de loi d’orientation et de programmation soumis à votre examen. Plusieurs rapports parlementaires parus ces dernières années ont, de manière récurrente, pointé le défaut de stratégie de la coopération française et l’insuffisance de son contrôle. La Cour des comptes elle-même a remis un rapport sur le sujet. La revue par les pairs de l’OCDE a elle aussi permis de relever des insuffisances, notamment l’absence de stratégie. Enfin, le cabinet Ernst & Young, procédant à l’évaluation de douze années de politique de coopération et de développement, a formulé plusieurs recommandations. Tous ces travaux ont contribué à la préparation du présent projet de loi.

En 2012, Coordination sud avait demandé aux différents candidats à l’élection présidentielle de s’engager sur une future loi d’orientation et de programmation, ainsi que sur la mise en place d’un espace formel de dialogue entre le Gouvernement, le Parlement et la société civile sur la politique de développement. Le projet de loi que nous demandions est en passe d’être examiné et un décret du 11 décembre 2013 a institué le conseil national du développement et de la solidarité internationale, qui sera l’espace de dialogue que nous sollicitions. Nous nous en félicitons.

C’est un saut qualitatif majeur dans la politique d’aide au développement de notre pays. Comme son intitulé même l’indique, ce projet de loi se situe à l’échelle plus large des enjeux de la solidarité internationale. C’est une avancée importante au regard de l’échéance de 2015, à laquelle doivent être revus les Objectifs du millénaire pour le développement. Un nouveau paradigme de la solidarité internationale se mettra alors vraisemblablement en place, avec une connexion entre les deux objectifs de développement durable et de lutte contre la pauvreté. Ce projet de loi d’orientation anticipe et prépare l’échéance de 2015, assignant dans son titre premier comme objectifs à notre politique de développement la lutte contre la pauvreté et les inégalités, le développement durable, la promotion d’une économie inclusive.

Parmi les orientations générales proposées, figure également la promotion de la démocratie, de l’État de droit, de l’égalité hommes-femmes, de la responsabilité sociale et environnementale, et des droits humains. Autant de valeurs au fondement d’une solidarité internationale.

Ce projet de loi pose plusieurs grands principes : transparence – que le Parlement réclamait depuis longtemps –, cohérence des différentes politiques et différenciation des partenariats, dont il était déjà question dans le document-cadre global de coopération élaboré en 2010.

Les ONG considèrent que ce projet de loi va dans le bon sens et forment le souhait qu’il soit voté très largement. Malgré la crise, une grande majorité de nos concitoyens souhaite qu’il y ait une politique de coopération et qu’on continue de mobiliser des ressources au profit du développement et de la solidarité internationale. Il faut d’ailleurs s’en féliciter. Le replis sur soi de notre pays et de ses citoyens serait en effet la pire des choses.

J’en viens à des observations plus particulières sur le projet de loi, qui pourraient faire l’objet d’amendements.

L’action humanitaire d’urgence ainsi que l’aide à apporter aux pays en crise ou en sortie de crise ne sont que peu évoquées dans le texte, alors que les pays concernés sont nombreux. L’aide humanitaire d’urgence est traitée directement par le centre de crise du ministère des affaires étrangères, en-dehors du champ d’intervention du ministre délégué chargé du développement, ce qui constitue un handicap. Ce projet de loi d’orientation devrait prévoir le continuum nécessaire entre l’humanitaire, la sortie de crise et le développement, et garantir la cohérence de l’action dans ces différents champs.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Quels éléments vous amènent à dire que ce continuum n’existe pas ? Je n’avais pas cette impression.

M. Jean-Louis Vielajus. Le continuum urgence/réhabilitation/développement n’est en tout cas que très brièvement abordé dans le rapport annexé. Le budget du centre de crise du ministère des affaires étrangères pour l’action humanitaire n’est au départ que de 8 millions d’euros. Au moment où la direction générale ECHO (European Commission Humanitarian Office) de la Commission européenne envisage de réduire de 50% les ressources qu’elle alloue à l’action humanitaire, il risque donc bel et bien d’y avoir un problème de financement européen et français de ces actions.

La cohérence des différentes politiques publiques françaises et européennes au regard de la politique de développement est érigée en deuxième principe. Elle n’est pas toujours garantie aujourd’hui. Ainsi dans les pays les plus pauvres, notre politique de développement cherche-t-elle à soutenir l’agriculture familiale, qui crée de l’emploi dans les campagnes tout en permettant de nourrir la population des villes. C’est essentiel alors que 840 millions de personnes souffrent encore de la faim dans le monde. Mais cet objectif est contradictoire avec la politique, aussi bien française qu’européenne, en matière d’agrocarburants qui conduit à accaparer des terres agricoles pour les cultures d’oléo-protéagineux, ce qui réduit d’autant les surfaces disponibles pour l’agriculture familiale. Comment surmonter cette contradiction ? Se contente-t-on d’affirmer l’exigence d’une plus grande cohérence entre la politique de développement et les autres politiques ou lance-t-on un plan d’action énergique pour la garantir ?

L’article 5 dispose que « la politique de développement et de solidarité internationale prend en compte l’exigence de responsabilité sociale et environnementale. » Des multinationales, mais aussi des PME, contribuent de manière très positive au développement de tout un tissu de petites et moyennes entreprises locales en Afrique et ailleurs. Hélas, leur comportement n’est pas toujours exemplaire, comme on l’a encore vu récemment au Bangladesh. Aujourd’hui, les multinationales n’endossent aucune responsabilité pour les agissements de leurs filiales dans les pays du Sud. Des normes internationales existent pourtant en matière de responsabilité sociale et environnementale, à l’élaboration desquelles la France a d’ailleurs travaillé. Il ne s’agit pas d’entraver l’action des entreprises, seulement de faire en sorte qu’elles se comportent de manière responsable dans leurs activités internationales. Notre pays soutient certaines entreprises à l’international, au travers notamment des aides accordées par l’Agence française de développement (AFD). Ce soutien ne pourrait-il pas être conditionné à une responsabilité sociale et environnementale exemplaire de la part de ces entreprises ? Le projet de loi pourrait aller plus loin sur ce point.

Par ailleurs, il retient une approche globale des migrations, qui nous semble trop proche des accords de gestion concertée des flux migratoires, en ce qu’elle continue de faire un lien étroit entre gestion des flux migratoires et aide au développement. Ce point devrait être revu.

Tous les rapports ont dénoncé la complexité du pilotage de l’aide au développement française. Or, le projet de loi n’évoque aucune piste pour le simplifier. Il existe certes le CICID, mais lorsqu’il a été réuni en 2013, il ne l’avait pas été depuis 2009. Des engagements plus forts pourraient être pris pour clarifier ce pilotage.

En conclusion, toutes les ONG sont mobilisées, prêtes à dialoguer avec vous et à proposer des amendements sur les différents points que je viens d’évoquer, ainsi que sur la nécessité de mieux associer la société civile et les populations locales aux projets de développement soutenus par la France. Nous restons à votre disposition.

M. Serge Michaïlof, professeur à Sciences-Po, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Ce projet de loi marque plusieurs avancées importantes.

Il est en effet fondamental de mettre l’accent sur la cohérence des politiques. Un seul exemple : en 2001, les filières du coton en Afrique, qui y font vivre quelque vingt millions de personnes, étaient mises en difficulté par les subventions accordées par l’Union européenne à la production de coton en Grèce et en Espagne, lesquelles contribuaient à la dépression des cours sur les marchés internationaux.

Le principe de la différenciation des partenariats est important également. Beaucoup s’interrogent par exemple sur les interventions de l’AFD en Inde ou en Chine : elle n’y fait pas de l’aide au développement mais travaille, en lien avec des experts indiens et chinois, sur des problèmes globaux nous concernant tous, comme le réchauffement climatique.

La création d’un Conseil national du développement et de la solidarité internationale est une autre excellente initiative. Ce nouvel organisme comblera le manque qui avait résulté de la disparition du Haut conseil de la coopération internationale (HCCI).

Il est important également que soient abordées dans le projet de loi les questions de transparence et de redevabilité, sachant que la complexité du dispositif institutionnel français rend difficile la transparence et un suivi totalement satisfaisant.

Enfin, la problématique des financements innovants y est bien exposée. On rappelle notamment le rôle pilote joué par la France.

Mais à côté de ces avancées, le projet de loi et le rapport annexé font l’impasse sur de nombreux problèmes, pourtant connus de tous.

Le premier est que, paradoxalement, notre aide bilatérale oublie les pays les plus pauvres. Le CICID de juillet dernier a établi une liste de 16 pays dits prioritaires. Il y aurait à dire sur cette liste : y figure par exemple le Ghana, pays qui n’est plus vraiment pauvre et se développe même très vite, mais non la Côte-d’Ivoire, pourtant tout juste en sortie de crise ! Et nul n’ignore qu’outre ces 16 pays, il faudrait aider aussi Haïti, les Territoires palestiniens, l’Afghanistan, le Laos, le Cambodge…

Dans les pays de cette liste, à l’exception du Ghana, du Sénégal et, de manière marginale, du Burkina Faso et du Bénin, pour intervenir de manière significative, il faudrait accorder non pas des prêts, mais des dons. En effet, nous pouvons prêter aux entreprises du secteur privé, mais celui-ci y est encore naissant. Nous pouvons garantir des prêts, mais c’est difficile. Nous pouvons monter des opérations en non souverain, mais c’est extrêmement risqué dans ces pays. Dans ces conditions, le principal outil reste le don. Or, l’enveloppe des dons est, depuis des années, plafonnée à environ 200 millions d’euros par an, soit guère plus d’une dizaine de millions d’euros par pays. Avec 10 millions d’euros, on ne peut monter que de petits projets et cela ne permet pas de peser sur l’aide multilatérale ou communautaire, dont le montant peut représenter entre 8% et 12% du PIB de ces pays. Comment dans ces conditions pourrions-nous compter ?

Or, l’aide internationale va se détourner des pays à revenus intermédiaires et à croissance rapide, pour se focaliser sur les pays fragiles, en sortie de crise ou très pauvres, où elle représente déjà 70% des flux financiers extérieurs et 40% des ressources budgétaires. Notre politique d’allocation des ressources et de choix des instruments est à revoir de fond en comble. Si les prêts de l’AFD, aujourd’hui l’instrument privilégié, sont adaptés aux pays à revenus intermédiaires, ce sont des dons qui sont nécessaires dans les pays les plus pauvres.

J’ai été agacé de lire dans le rapport annexé que 65% des 10 milliards d’euros que représente au total notre aide publique au développement allaient à l’aide bilatérale. Ce n’est pas faux, mais ces 65% recouvrent des éléments aussi disparates que les coûts administratifs, les frais d’écolage des élèves étrangers –cela explique que la Chine soit l’un des grands bénéficiaires de l’aide française ! –, des subventions en accompagnement des concours du FMI – en quoi les interventions du FMI ont-elles besoin d’être accompagnées par notre aide ? –, des annulations de dette, des prêts de l’AFD... Ces prêts présentent certes l’intérêt, pour un coût minime, de démultiplier l’aide au développement. En moyenne, un euro de bonification rapporte douze euros bruts.

Pour analyser la répartition de notre aide bilatérale et multilatérale, il faut partir non pas du montant total de notre aide publique au développement, qui agrège des éléments hétérogènes, mais de notre effort budgétaire net. Dans la loi de finances pour 2014, il s’élève à un peu moins de 3 milliards d’euros, dont 1,7 milliard, soit 57%, pour l’aide communautaire et multilatérale. Dans le 1,3 milliard qui reste pour l’aide bilatérale, figurent, je l’ai dit, les annulations de dettes et autres éléments que j’ai énumérés plus haut. Ne restent au final pour les dons que les 200 millions d’euros que j’évoquais tout à l’heure, et une quarantaine de millions pour le Fonds de solidarité prioritaire (FSP). Notre aide bilatérale n’atteint pas la masse critique qui nous permettrait de piloter l’aide multilatérale. Voilà longtemps que les Britanniques ont compris comment il fallait procéder, en focalisant leur aide bilatérale là où existent des enjeux géopolitiques ou commerciaux essentiels pour eux.

Plusieurs rapports parlementaires ont pointé la nécessité de rééquilibrer notre aide au développement du multilatéral vers le bilatéral. Aucune de leurs recommandations n’a, hélas, été suivie. Quand les ressources se font plus rares et qu’en dépit des difficultés budgétaires, il faut tenir les engagements pluriannuels pris en matière d’aide multilatérale, il est certes difficile de dégager des moyens pour l’aide bilatérale. Mais ce projet de loi d’orientation devrait montrer le cap et fixer pour objectif d’au moins doubler sur les cinq années à venir le montant de l’aide bilatérale, notamment l’enveloppe des dons. C’est possible, à condition d’opérer des choix nets.

Ainsi versons-nous 360 millions d’euros au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Soit, mais c’est là davantage que le total de l’aide que nous allouons à l’ensemble des pays dits prioritaires. Pourtant, chacun sait que la gestion de ce fonds mondial laisse à désirer et que les sommes dont il dispose sont sous-utilisées. Il aurait été plus efficace, y compris pour lutter contre le sida, de n’y verser que 160 millions d’euros et d’abonder de 200 millions les ressources budgétaires de l’AFD pour mettre en œuvre des programmes visant au renforcement des systèmes de santé, depuis les grands hôpitaux jusqu’aux postes de santé locaux.

Lorsque nous allouons 50 millions d’euros au Mali, nous devrions parallèlement nous fixer pour objectif de piloter les 500 millions ou le milliard de dollars de l’aide internationale au profit de ce pays. C’est ainsi que notre action pourrait servir concrètement de levier.

Deux excellents rapports parlementaires ont alerté, à juste titre, sur la situation dans les pays du Sahel. Pourquoi ne pas assumer de se focaliser sur eux ? Il faut regretter que la liste des objectifs énoncés dans le projet de loi reprenne tout de même bien des banalités. Ne perdons jamais de vue que l’aide publique au développement a à voir avec la géopolitique. C’est pour des raisons géopolitiques que les États-Unis ont aidé la Grèce et la Turquie après la Seconde guerre mondiale, et ont lancé le plan Marshall en Europe. Les pays de la rive Sud de la Méditerranée et du Sahel, qui font partie de notre environnement proche, sont en proie à de profonds bouleversements, qui d’ailleurs inquiètent nos concitoyens. Au Mali et en Centrafrique, nous sommes intervenus militairement, mais n’est-ce pas là tout ce que nous pouvions faire, ne disposant pas des ressources nécessaires pour assurer le suivi qu’il faudrait ?

Notre politique de développement et de solidarité internationale doit répondre à nos préoccupations géopolitiques. Les ressources que nous y consacrons doivent lui permettre d’appuyer notre politique étrangère, en particulier pour aider à la stabilisation des pays du Maghreb et du Sahel. Au Maghreb, l’AFD, qui est pourtant le seul instrument d’aide, ne pourra bientôt plus intervenir, vu qu’elle y a atteint son plafond de risques – à moins qu’il ne soit décidé d’augmenter ses fonds propres. Pour ce qui est du Sahel, il faut être conscient que le Mali n’est que la partie émergée de l’iceberg…

Mme la présidente Elisabeth Guigou. Je donne maintenant la parole à ceux de nos collègues qui souhaitent vous interroger, en commençant par le futur rapporteur du projet de loi.

M. Jean-Pierre Dufau. Messieurs, j’ai écouté avec beaucoup d’intérêt vos exposés, toujours pertinents, parfois décapants.

Ce projet de loi d’orientation et de programmation doit être l’occasion de mettre notre politique d’aide au développement en perspective et de tracer des pistes pour l’avenir, alors que lorsque nous en débattions chaque année au moment de l’examen du budget, nous n’analysions bien souvent que les moyens budgétaires annuels.

Nous savons d’où nous partons. Vous nous proposez où aller. Nul n’ignore toutefois le contexte qui s’impose à nous. Vous nous soumettrez des propositions d’amendements – lesquels pourront porter aussi bien sur le rapport annexé que sur les articles du projet. Nous les examinerons avec attention.

Vos analyses ne diffèrent pas de celles régulièrement faites lors des débats budgétaires. Si on s’interroge autant sur la répartition entre aide multilatérale et aide bilatérale, c’est aussi que les crédits ne sont pas illimités ! Vous avez soulevé les bonnes questions. Reste à voir les réponses que nous pourrons progressivement y apporter, en distinguant d’ailleurs ce qui doit être fait dans les pays pauvres ou très pauvres pour atteindre les Objectifs du millénaire, et dans les pays à revenus intermédiaires qui sont, eux, déjà engagés sur la voie du développement. On ne peut envisager de développement dans un pays que si la guerre n’y sévit pas et qu’une sécurité et une stabilité minimales y sont assurées. Dans les pays où nous avons été obligés d’intervenir sur le plan militaire, ces problèmes de sécurité doivent être réglés d’urgence, avant de songer à des politiques de développement.

Comme il faut faire des choix, on peut être tenté, comme vous l’avez fait, monsieur Michaïlof, de juger trop élevée notre contribution au Fonds mondial de lutte contre le sida, par rapport à ce qui pourrait être fait d’une autre manière dans le même champ. Peut-être votre appréciation différerait-elle si nous entendions les responsables de ce Fonds. Est-on certain que les progrès, incontestables, réalisés dans la lutte contre la pandémie, sont irréversibles ?

Je vous rejoins totalement sur l’article 5 du projet de loi qui pose l’exigence d’une responsabilité sociale et environnementale de la part des entreprises.

Je suis convaincu que ce projet de loi permettra de rendre notre politique de développement et de solidarité internationale plus transparente, plus cohérente, ainsi que d’en clarifier et simplifier les circuits, comme vous le réclamez, à juste titre, depuis longtemps. Je me félicite qu’il comporte le principe d’évaluations régulières et prévoie la possibilité pour le Parlement de se saisir de toutes ces questions. Toutes ces avancées sur la méthode sont capitales.

Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes. Dans la mesure où, avec mes collègues Dominique Potier et Philippe Noguès, j’ai déposé une proposition de loi relative à la responsabilité sociale et environnementale des multinationales pour leurs filiales et leurs sous-traitants, je ne peux que me féliciter de l’article 5 du projet de loi. Pour moi, les tragédies, de Lampedusa comme du Bengladesh, sont le résultat d’une certaine politique vis-à-vis des pays du Sud. Ne serait-il pas bienvenu de faire référence dans le projet de loi aux règles fixées par l’OCDE en matière de responsabilité sociale et environnementale ?

Onze États-membres de l’Union européenne sont résolus à instituer une taxe sur les transactions financières, dont le produit devait initialement servir en totalité à financer l’aide au développement. Mais l’objectif est aujourd’hui contesté. Que faudrait-il faire pour convaincre les autres pays de l’Union ? L’Europe ne peut avoir pour destin de devenir une forteresse assiégée parce que des pays du Sud souffrent. On ne peut pas vider de sa substance l’agriculture de certains de ces pays afin de fabriquer des agrocarburants, au demeurant dangereux pour l’environnement, et en même temps empêcher leurs habitants de vouloir vivre et travailler normalement.

M. Paul Giacobbi. Ce projet de loi n’échappe pas au défaut d’énoncer aussi des banalités, avez-vous dit, monsieur Michaïlof. Il est en effet très incantatoire, seul son article 9 étant normatif.

Pour ce qui est de la responsabilité juridique des filiales locales des multinationales, toute une réflexion a été menée en Inde depuis la catastrophe de Bhopal. Une loi fédérale y a été prise, très coercitive à l’encontre des entreprises internationales établissant une activité dans le pays – une simple fourniture de matières premières suffit à fonder une responsabilité illimitée. La France rencontre d’ailleurs des difficultés à ce titre pour la construction de deux centrales nucléaires à Jaitapur. Un arsenal juridique existe donc déjà.

Alors que la participation de l’AFD au financement du métro de Bangalore pourrait être contestée comme ne relevant pas de l’aide au développement, dans un contexte où l’argent est rare et cher, elle est déterminante. Elle joue un rôle effectif direct, notamment dans une stratégie de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Je partage totalement vos propos, messieurs, sur l’aide multilatérale. Cependant, vous dites qu’il n’est pas possible de se désengager des institutions multilatérales. Or, certains pays, à commencer par les Etats-Unis, le font bien, avec pertes et fracas d’ailleurs, et sans d’ailleurs perdre de leur influence. L’une des raisons pour lesquelles on a le droit moral de s’en retirer est que l’on y est en général volé comme au coin d’un bois, d’innombrables rapports d’audit l’attestent.

M. Thierry Mariani. Je pourrais reprendre à mon compte la quasi-totalité des propos de l’orateur précédent.

Je vous remercie, messieurs, d’avoir rappelé qu’on pouvait faire de l’humanitaire tout en ayant le souci des intérêts de la France. À force d’avoir fait de l’humanitaire pour l’humanitaire, on en est arrivé à oublier que le contribuable français était en droit d’exiger un retour minimal sur investissement.

85% de notre aide va à l’Afrique subsaharienne, qui en a bien besoin. L’actuel Gouvernement, il faut s’en féliciter, a manifesté un regain d’intérêt pour le Cambodge, le Laos et le Vietnam. En témoignent les visites qu’y ont faites successivement le Président de la République et le Premier ministre. Mais paradoxalement l’aide ne suit pas dans la péninsule indochinoise. Et là aussi, l’action de notre pays est peu à peu noyée dans des opérations internationales, comme me l’ont dit les responsables de l’AFD sur le terrain.

Monsieur Vielajus, il vous choque qu’un lien soit fait entre gestion des flux migratoires et aide au développement. Je pense au contraire important de le rappeler car la responsabilité est mutuelle et lorsque la France accorde une aide à des pays, elle est en droit d’exiger d’eux un minimum de responsabilité.

Enfin, au risque d’être politiquement incorrect, je pense que les 360 millions d’euros alloués au Fonds mondial de lutte contre le sida auraient pu être redéployés.

M. Jean-Luc Bleunven. L’agriculture familiale est très certainement le meilleur support de développement local dans les pays du Sud. Elle a hélas une mauvaise image, ce qui rend difficile de la promouvoir, d’autant qu’on se heurte à une contradiction. Comment la soutenir et dans le même temps vouloir développer les grandes cultures d’exportation dans ces pays ?

M. Michel Terrot. Je me délecte lorsque j’écoute M. Michaïlof. Nous l’avions déjà entendu lors d’auditions antérieures nous tenir les mêmes propos sur la part respective de l’aide bilatérale et multilatérale. Toutes ces idées ont été reprises dans d’innombrables rapports, sans que jamais il en soit tenu compte pour fixer un cap politique. Je suis choqué de ne trouver ni dans le projet de loi ni dans le rapport annexé, ne serait-ce que le début d’un commencement de réflexion sur les moyens pour la France de retrouver une politique d’influence. Le temps serait pourtant venu d’infléchir notre politique d’aide au développement en ce sens, notamment sur le continent africain, à l’heure où la Chine et les États-Unis y sont déjà très fortement présents, et où le Brésil y prend pied.

Je suis stupéfait en lisant page 50 que « depuis 2012, la France met en œuvre une taxe sur les transactions financières à titre national, dont une part significative est allouée à des actions de développement, consacrées aux grandes pandémies et à la santé, mais aussi à la protection de l’environnement et à la lutte contre le changement climatique. » J’avais cru comprendre après l’élection de François Hollande que, comme promis initialement, ces financements innovants abonderaient l’aide bilatérale. Or, aujourd’hui, 90% de leur produit, sinon davantage, sont versés au budget de l’État et pas du tout affectés à la politique de développement. C’est un hold-up, en totale contradiction avec les déclarations de principe sur les Objectifs du millénaire pour le développement. Cette solution présentait pourtant l’avantage de pouvoir être mise en place rapidement et aurait pu permettre à notre pays de renouer avec une politique d’influence.

M. Jean-René Marsac. Si on peut regretter la faible portée normative de ce projet de loi, il faut se féliciter qu’il permette aujourd’hui un débat que nous n’avions jamais eu auparavant au Parlement. Il doit être l’occasion de clarifier les objectifs de notre politique de développement et de solidarité internationale et de revoir les messages que nous adressons à nos concitoyens. Que visons-nous dans le nouvel équilibre du monde que nous appelons de nos vœux et dans les nouvelles relations que nous cherchons à instaurer avec les pays pauvres ou en crise ? Il faut donner à notre action un sens politique, compréhensible par nos concitoyens, et ne surtout pas nous cantonner à un débat entre spécialistes.

Une liste de 16 pays dits prioritaires a été arrêtée. Soit, mais ce n’est pas cela qui nous donne les moyens de répondre à leurs préoccupations. Et hélas, notre pays n’est pas au rendez-vous de ce point de vue.

Dans plusieurs pays d’Afrique, se fait jour une demande de partenariat économique nouveau, notamment de soutien à l’émergence d’activités économiques locales. Cela peut être en contradiction avec la politique conduite au niveau européen mais aussi dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Il faudrait préciser la position de la France au sein de cette instance. La question se pose également de savoir si l’AFD doit ou non s’investir plus fortement dans le soutien aux initiatives économiques privées et à la création d’entreprises, notamment par des jeunes – dont tout doit être fait pour élever le niveau de formation. Si on s’engageait dans cette voie, nos interventions auraient une tonalité différente. Les ONG envisagent-elles de faire évoluer leurs pratiques et leurs modalités d’intervention à l’avenir ?

Il faut se réjouir que le projet de loi pose l’exigence de responsabilité sociale et environnementale. Mais ce n’est là qu’une déclaration d’intention. Reste à en prévoir les mécanismes, qui seront compliqués et probablement coûteux à instaurer. J’ai pour l’instant du mal à voir comment cela pourra se mettre en œuvre de façon crédible sur le plan pratique.

M. Jacques Myard. Vous avez répondu, monsieur Michaïlof, du moins en partie, à la question que je m’apprêtais à vous poser sur la répartition entre aide bilatérale et multilatérale. Je ne reviens pas sur la question des zones géographiques d’intervention en relation avec nos intérêts géostratégiques. J’y insiste en revanche car cela n’est jamais souligné nulle part : aucun pays ne peut escompter de développement économique tant que sa croissance démographique est supérieure à 2%.

« Les droits de l’homme, nous sommes tous pour », comme le disait Max Gallo, mais ce n’est pas l’alpha et l’oméga. Il faut assurément en parler, mais trop les mettre en avant peut irriter certains pays et nuire à des coopérations nécessaires.

Vous souhaiteriez, monsieur Vielajus, qu’il n’y ait plus de lien direct entre gestion des flux migratoires et aide au développement. Pensant tout le contraire, je suis donc stupéfait de votre proposition.

Était-il indispensable que le projet de loi dispose dans son article 7 que « dans les institutions multilatérales dont elle est partie prenante, la France défend les priorités, objectifs et principes de sa politique de développement et de solidarité internationale. » Cela ne va-t-il pas de soi ?

Quant à l’article 10, il me paraît méconnaître la séparation des pouvoirs. Il n’appartient pas à la loi de dire que le Parlement peut demander des évaluations. Le Parlement exerce librement son pouvoir de contrôle. N’en finira-t-on donc jamais avec les lois bavardes ?

M. Guy-Michel Chauveau. Je ne reviens pas sur ce qui a été dit concernant l’aide bilatérale et multilatérale. Nous partageons tous le même avis.

L’ensemble des acteurs locaux de Sud – ONG, élus, institutionnels… – regrettent souvent que leurs priorités n’aient pas été assez prises en compte lors de la préparation des documents cadres de partenariat (DCP). Serait-il possible de mieux les associer ?

Les pays en sortie de crise posent un problème spécifique. S’agissant de l’Afrique, cela va bien au-delà de la seule action humanitaire.

Mme Nicole Ameline. Sans doute n’est-il pas mauvais, monsieur Myard, de rappeler que nos principes en matière d’aide au développement doivent être réaffirmés de façon cohérente dans toutes les institutions internationales.

M. Jacques Myard.  Ce n’est pas à la loi de le dire !

Mme Nicole Ameline. Il n’est pas inutile de rappeler par exemple que le discours que nous tenons à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) doit être cohérent avec celui que nous tenons à l’Organisation internationale du travail (OIT).

Je vous remercie, messieurs, d’avoir évoqué l’aide multilatérale en termes de pilotage, de visibilité et de redéploiement. Il serait vain et même contre-productif d’opposer aide bilatérale et aide multilatérale, à un moment où notre autorité politique est liée aux deux. Dans le rapport que nous avions remis sur le sujet avec mon collègue Jean-Paul Bacquet, nous avions suggéré de revoir l’architecture institutionnelle française pour la gestion de l’aide publique au développement. Aucun changement n’a été apporté à ce jour, et les problèmes demeurent.

Il semble que pour l’après-2015, on reparte sur une logique liant droit et développement. Je suis, pour ma part, convaincue, qu’il n’est pas de développement possible sans bonne gouvernance ni investissement sur le capital humain. Est-ce aussi votre avis ?

Chacun peut comprendre que la politique d’aide publique au développement doit faire l’objet d’une évaluation et que les pays bénéficiaires aient à rendre des comptes. Pensez-vous que l’on pourrait être plus exigeant sur ce point – qui intéresse directement les droits de l’homme ?

Enfin, comment pourrait-on mieux associer la société civile dans les pays que nous aidons ?

M. Jean-Paul Dupré. De grands pays émergents comme la Chine s’interrogent moins que nous s’agissant de l’accaparement des terres agricoles et des ressources minières sur le continent africain. La cohérence que nous recherchons entre la politique conduite au niveau national et celle conduite au niveau européen n’interviendra-t-elle pas trop tard ?

M. Hervé Gaymard. Coordination Sud, dont vous êtes le président, monsieur Vielajus, réalise un excellent travail. Je tiens à vous remercier pour la très grande qualité des documents qu’elle produit et qui constituent de précieux outils d’aide à la décision.

Je partage très largement ce qui a été dit jusqu’à présent, notamment par M. Michaïlof. Je souhaiterais aborder la question monétaire. Depuis la dévaluation du franc CFA en 1994, le sujet de la zone franc est en débat. Des discussions auraient eu lieu, notamment avec les pays anglophones d’Afrique de l’Ouest, pour voir s’il ne serait pas possible de créer une zone monétaire commune plus large. Qu’en pensez-vous ? La question des zones monétaires vous semble-t-elle un sujet important pour le développement de l’Afrique dans les dix prochaines années ?

M. Noël Mamère. On trouve dans les exposés liminaires de M. Vielajus et M. Michaïlof tout le terreau des amendements que nous pourrions déposer pour améliorer ce projet de loi, en effet plus incantatoire que normatif.

La principale inquiétude porte sur notre aide bilatérale, notamment notre aide aux pays les plus pauvres. Tant que cela, qui est le cœur de notre politique d’aide au développement, n’aura pas été révisé, rien ne changera vraiment et tout ce que nous pourrons faire ne jouera jamais qu’à la marge.

Que pensez-vous, monsieur Michaïlof, du mode de financement innovant du développement que pourrait constituer la taxe sur les transactions financières ? L’Union européenne a, hélas, reculé sur ce sujet, et on peut légitimement être inquiet.

L’accaparement des terres est un problème grave. La fabrication de nos smartphones, soyons en conscients, est au cœur des stratégies géopolitiques puisqu’elle fait appel à des terres rares, qu’on ne trouve que dans certains pays et devenues, avec d’autres ressources minières, extrêmement précieuses. Il suffit de voir la bataille qui se livre aujourd’hui autour d’elles.

Évoquant l’exigence de responsabilité sociale et environnementale, notre collègue Paul Giacobbi a cité le cas de l’Inde. Mais ce n’est pas de l’Inde dont a parlé M. Vielajus. Il visait la responsabilité des entreprises qui exploitent de façon éhontée les populations les plus pauvres du monde. Au Bangladesh, des entreprises comme Zara ou H&M n’ont toujours pas endossé la responsabilité sociale qui est la leur.

Pour le reste, la France devrait commencer par se regarder elle-même et changer ses pratiques. La renégociation du contrat entre Areva et le gouvernement nigérien pour l’exploitation de l’uranium, qui est en cours, pourrait en donner l’occasion. Alors que le Niger est le pays le plus pauvre du monde à l’indice du développement humain, de 1971 à 2010, ne lui sont revenus que 13% des revenus issus de l’exploitation de l’uranium. Une ampoule sur trois en France contient de l’uranium extrait au Niger tandis que 90% des Nigériens ne disposent pas de l’électricité !

Mme Marie-Louise Fort. Je remercie M. Michaïlof d’avoir souligné la qualité des nombreux rapports parlementaires sur le thème de l’aide au développement. Il y a peu, je demandais quel était le poids de la diplomatie parlementaire, qui pourrait s’adjoindre utilement à la diplomatie nationale.

Alors que les ONG sont assez coûteuses en fonctionnement – c’est autant d’argent qui n’est pas redistribué –, les partenariats conclus directement entre de petites communes françaises et de petites communes africaines, en matière agricole par exemple, sont très efficaces. N’est-ce pas les petits ruisseaux qui font les grandes rivières ? Une maison familiale rurale de ma commune a conclu un partenariat de ce type, fondé sur le savoir-faire et les relations humaines : avec peu de moyens, les résultats obtenus ont été excellents. Ne devrait-on pas mettre davantage en avant ces partenariats, à même d’assurer à notre pays un rayonnement, certes moins prestigieux qu’une visite de chef d’État et de Premier ministre, mais très intéressant néanmoins ?

M. Jean-Paul Bacquet. En écoutant M. Michaïlof, nous avons eu la preuve, si nous en doutions, que le rapport de la mission d’information dont j’étais le président et notre collègue Nicole Ameline la rapporteure, et consacré à l’équilibre entre multilatéralisme et bilatéralisme, avait bien été lu. Comme j’ai coutume de le dire, avec l’aide multilatérale, on sait ce qu’on paie, avec l’aide bilatérale, on sait ce qu’on fait !

Les prêts n’étant accordés qu’aux pays solvables, les pays les plus pauvres n’y ont pas accès et sont donc, à défaut de dons, condamnés à rester dans la pauvreté.

Les zones prioritaires d’intervention sont très mal définies. Sur quels critères d’ailleurs le sont-elles ?

La traçabilité des crédits, chère à Coordination Sud, est en effet un point-clé. Or, aujourd’hui, c’est toujours l’opacité qui prévaut.

Si je n’avais qu’une proposition à faire, je suggérerais, comme nous l’avions déjà proposé dans le rapport d’information précité, que les intérêts retirés des prêts que nous accordons soient intégralement reversés au profit de l’aide bilatérale, et non à Bercy comme aujourd’hui. Je déposerai un amendement à ce sujet.

L’aide au développement, ce n’est pas de la charité. Ce sont des choix politiques, et ceux-ci doivent être guidés par deux idées principales : le temps de la repentance est révolu et notre pays doit retrouver une réelle volonté d’influence.

M. Jean-Louis Vielajus. Dans le montant total de notre aide au développement, les dons n’occupent qu’une part très faible. Dans chacun des pays concernés, ils ne représentent pas davantage que le financement d’un gros projet par une ONG.

S’agissant de la taxe sur les transactions financières, nous avions beaucoup misé sur la France pour faire avancer le projet au niveau européen. Il est pour l’instant au point mort. Et en France, seul un faible pourcentage du produit de la taxe va à l’aide au développement, contrairement à ce qui avait été promis initialement.

S’agissant du lien entre accords de gestion concertée des flux migratoires et aide au développement, je rappellerai seulement que le Mali avait finalement refusé de signer un tel accord avec la France. Cela a été source de blocages dommageables. J’aimerais que les associations de migrants, qui ont beaucoup travaillé sur le sujet, puissent vous rencontrer et vous exposer leur position sur ce sujet. On comprend que certains soient tentés de lier flux migratoires et aide au développement. Mais cela peut-il se résumer à des chiffres et le pilotage doit-il être assuré comme auparavant par le ministère de l’intérieur ?

L’un d’entre vous a abordé la question du soutien des initiatives économiques et de la place des jeunes. Le rapport annexé pourrait, à côté de l’éducation et de la formation, traiter de l’insertion professionnelle des jeunes et de l’appui à la création de réseaux de micro-entreprises ou petites entreprises dans les pays que nous aidons, notamment en Afrique. Les ONG travaillent depuis longtemps sur ce sujet et ont lancé dans beaucoup de pays des programmes innovants d’insertion économique des jeunes.

Pour la période postérieure à 2015, il me paraitrait intéressant d’ouvrir le chantier de la protection sociale universelle. Cela permettrait de dépasser repentance et charité.

Les ONG ont le souci permanent de mieux associer la société civile des pays du Sud dans lesquels elles interviennent. Leur but ne se limite pas à construire des puits, des routes ou des écoles. C’est de renforcer la société civile des pays, ce qui passe certes par la réalisation de tels équipements, et d’y faciliter le dialogue politique entre la population et les gouvernants afin que les politiques publiques soient davantage tournées vers la lutte contre la pauvreté et les inégalités.

Dans le temps limité qui m’est imparti, je ne pourrai pas répondre à toutes les questions. Je vous remercie de l’intérêt que vous portez tous au sujet. Nous devrions pouvoir avancer ensemble sur de nombreux points. Soyez en tout cas assurés que les ONG sont mobilisées et tout à fait prêtes à dialoguer avec vous sur ce projet de loi d’orientation.

M. Serge Michaïlof. Le lien entre droit et développement, et plus largement entre sécurité et développement, est trop souvent occulté, alors qu’il est fondamental. En effet, dans les pays déstructurés par des conflits, à la sortie de crise, la première des choses que demande la population, avant même de pouvoir se nourrir, est que justice soit rendue et que sa sécurité soit assurée. Si en Afghanistan la situation a aussi mal tourné, c’est que personne n’y a sérieusement traité les problèmes de sécurité et de droit. Ceux-ci devraient figurer en tête des priorités pour la période post-2015.

Je pense que les Objectifs du millénaire et les grands programmes sociaux dans les pays très pauvres devraient être financés par la taxe sur les transactions financières. C’est le seul moyen de sécuriser sur le très long terme les financements nécessaires. Lorsqu’on a défini les Objectifs du millénaire, on a cru qu’il suffirait d’éduquer les populations et d’améliorer leur santé pour que le développement suive. Or, dans certains pays, cette dynamique ne s’est pas enclenchée. Il faudra continuer d’y financer à long terme non pas des investissements, mais des charges récurrentes, de surcroît appelées à s’accroître du fait de la croissance démographique. Pour que l’aide ne soit pas soumise aux aléas budgétaires, il n’y a pas d’autre moyen que d’y affecter l’essentiel du produit des financements innovants.

Je n’oppose pas bilatéralisme et multilatéralisme. Je dis simplement que si on souhaite utiliser intelligemment l’aide multilatérale, il faut pouvoir s’appuyer sur une aide bilatérale suffisante. À défaut, nous en serons réduits à « bricoler » dans notre coin des choses inutiles. De même, prêts et dons ne sont pas exclusifs. Les premiers sont adaptés pour aider par exemple au financement d’infrastructures comme le métro de Bangalore ou Hanoï. D’autres pays ont besoin de dons. Il faudrait donc, parallèlement au développement des prêts, augmenter très fortement l’enveloppe des dons.

Je ne crois pas du tout à une union monétaire ouest-africaine. L’intégration du Nigéria dans la zone franc, outre qu’elle serait ingérable, serait contre-productive. Le problème de la zone franc reste pendant. Sans qu’il y ait urgence à le régler, il devra à terme être posé. Que la politique monétaire soit définie à Francfort et non dans les pays concernés conduit notamment à une surévaluation. Dans le temps très limité qui m’est imparti, je ne peux traiter plus en détail de ce sujet complexe.

La croissance démographique est une donnée essentielle, qui pèse sur le développement, on ne le dit pas assez. Lors de son indépendance, le Niger comptait trois millions d’habitants. Lorsque j’y travaillais pour le compte de l’AFD, la population était passée à huit millions. On y compte aujourd’hui 16 millions d’habitants, et sur la base des projections actuelles, ils devraient être de 55 à 58 millions en 2050 – et même 200 millions en 2 100 ! Or, ce n’est tout simplement pas possible : le pays ne possède pas les ressources agricoles nécessaires et on ne voit pas sur quoi y fonder le développement d’industries ou de services. C’est bien pourquoi je disais tout à l’heure que le Mali n’était que la partie émergée de l’iceberg. Les pays du Sahel sont dans une impasse démographique, surtout dans un contexte de stagnation agricole. Et loin du Sahel, les mêmes problèmes se retrouvent en Afghanistan.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je vous remercie, messieurs, de votre effort de synthèse dans vos réponses. Nous poursuivrons le dialogue avec vous et vous reverrons régulièrement pour échanger sur ces sujets qui nous passionnent et sur lesquels vous nourrissez toujours notre réflexion.

La séance est levée à onze heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 15 janvier 2014 à 9 h 45

Présents. - Mme Nicole Ameline, M. Pouria Amirshahi, M. François Asensi, M. Avi Assouly, Mme Danielle Auroi, M. Jean-Paul Bacquet, M. Christian Bataille, M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Bocquet, M. Gwenegan Bui, M. Jean-Claude Buisine, M. Gérard Charasse, M. Guy-Michel Chauveau, M. Jean-Louis Christ, M. Philippe Cochet, M. Philip Cordery, Mme Seybah Dagoma, M. Jean-Louis Destans, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Jean-Paul Dupré, M. François Fillon, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, M. Paul Giacobbi, Mme Estelle Grelier, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Chantal Guittet, Mme Françoise Imbert, M. Serge Janquin, M. Pierre-Yves Le Borgn', M. Jean-Marie Le Guen, M. Pierre Lellouche, M. Patrick Lemasle, M. Pierre Lequiller, M. Jean-Philippe Mallé, M. Noël Mamère, Mme Marion Maréchal-Le Pen, M. Thierry Mariani, M. Jean-René Marsac, M. Alain Marsaud, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Didier Quentin, M. François Rochebloine, M. René Rouquet, M. Boinali Said, Mme Odile Saugues, M. François Scellier, M. Guy Teissier, M. Michel Terrot

Excusés. - M. Édouard Courtial, M. Jean Glavany, Mme Thérèse Guilbert, M. Lionnel Luca, M. Jean-Luc Reitzer, M. André Schneider, M. Michel Vauzelle

Assistait également à la réunion. - M. Michel Zumkeller