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Commission des affaires étrangères

Mercredi 26 février 2014

Séance de 9 heures 45

Compte rendu n° 48

Présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente puis de M. Gwenegan Bui, membre de la commission

– Proposition de résolution européenne sur le juste échange au plan international (n° 1771), Mme Seybah Dagoma, rapporteure

– Examen, pour avis, du projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire (n° 1536), M. Jean-René Marsac, rapporteur

Proposition de résolution européenne sur le juste échange au plan international (n° 1771).

La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.

La Commission examine la proposition de résolution européenne sur le « juste échange » au plan international (n° 1771) présentée, au nom de la commission des affaires européennes, par Mme Seybah Dagoma et Mme Marie-Louise Fort.

Mme Seybah Dagoma, rapporteure. Définir les conditions et les contours de la mise en œuvre d’« un juste échange » comme principe de régulation du commerce international revêt aujourd'hui une importance majeure.

En effet, en Europe, et singulièrement dans notre pays, la mondialisation, fondée sur la doctrine du libre-échange, est fortement contestée. « Délocalisations », « accroissement des inégalités », « dérégulation financière », « concurrence déloyale » : tels sont les mots qui lui sont régulièrement associés. Sur notre continent, nos concitoyens perçoivent majoritairement l'Union européenne non plus comme un rempart contre une mondialisation non maîtrisée, mais, au mieux, comme un spectateur passif et inutile, et, au pire, comme le cheval de Troie d'un libéralisme international sans contrepoids, dont ils seraient au premier chef les victimes.

S’il est indiscutable que la crise qui sévit depuis 2008 a renforcé cette défiance, le basculement du monde est une réalité qui a précédé la tornade déclenchée par l'éclatement de la bulle immobilière américaine et l'effondrement de la banque Lehman Brothers. Depuis deux décennies, les contours de l'économie mondiale ont été transformés, et de nouveaux acteurs de premier plan sont progressivement apparus. La conséquence en a été la fin d'une forme d'hégémonie occidentale, et le déplacement du centre de gravité économique de la planète vers d'autres régions, en particulier vers la zone Asie-Pacifique.

Quelques chiffres suffisent à illustrer ce bouleversement. Les pays du Sud qui assuraient le tiers de la production mondiale en 1990 en produisent près de la moitié aujourd'hui. En 1950, la Chine, l'Inde et le Brésil ne représentaient que 10 % de la production économique mondiale, alors que les six puissances traditionnelles du Nord comptaient pour plus de la moitié.

Les échanges commerciaux, qui ont explosé depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, représentent désormais 30 % du PIB mondial. Il y a vingt ans, 60 % de ces échanges s'effectuaient entre les pays du Nord, 30 % étaient orientés du Nord vers le Sud et 10 % concernaient les pays du Sud entre eux ; aujourd'hui, ces proportions sont devenues équivalentes, soit un tiers du commerce mondial pour chacun des flux concernés.

À l’évidence, cette nouvelle donne internationale remet en cause les positions acquises. Elle s'est accompagnée de plusieurs transformations.

Une nouvelle division du travail a eu lieu, c'est-à-dire une nouvelle spécialisation des économies nationales dans des activités particulières. En effet, la division internationale du travail traditionnelle reflétait la domination et l'avance des pays occidentaux qui achetaient des produits primaires et exportaient des produits issus de leur industrie. Autrement dit, les pays pauvres étaient spécialisés dans les produits agricoles et les matières premières alors que les pays riches fabriquaient, pour la majorité d'entre eux, des produits manufacturés. Avec la libéralisation croissante du commerce international, les échanges intrabranches se développent et, désormais, les échanges croisés de produits différenciés se sont banalisés : un pays peut désormais exporter et importer le même type de produits. Les pays émergents exportent progressivement des produits manufacturés, et l'organisation des entreprises multinationales et le développement des échanges de services contribuent à ce changement.

La nouvelle donne internationale s'est également accompagnée d'une fragmentation des chaînes de valeur. La fragmentation géographique du processus de production consiste à décomposer la fabrication d'un produit dans différents lieux, puis à réunir les éléments épars pour l'assemblage final. Par cette pratique, les entreprises, le plus souvent multinationales, exploitent les avantages comparatifs propres à chaque pays au sein d'une stratégie élaborée à l'échelle mondiale, en ayant recours à des entreprises partenaires ou à des filiales. Cela a notamment eu pour conséquence d'augmenter la part des biens intermédiaires dans les importations mondiales de biens. Les biens et services sont désormais composés d'intrants provenant de divers pays, et une part importante des importations intermédiaires est utilisée pour produire des exportations. Selon les chiffres avancés par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), près de 30 % du total des échanges consistent en réexportations de biens intermédiaires, ce pourcentage ayant augmenté de dix points depuis le milieu des années quatre-vingt-dix.

Ce mode de fonctionnement des chaînes de production retire à peu près toute pertinence au vieux concept mercantiliste en vertu duquel les exportations sont un élément positif et les importations, un élément négatif. En réalité, les pays qui exportent le plus importent le plus, et ceux qui importent le plus tirent de leur participation au commerce international la plus grosse partie de la croissance de leur économie.

Il est en conséquence difficile d'envisager une augmentation du coût des importations par la voie exclusive d'une augmentation des droits de douane car celle-ci se répercuterait de facto sur le prix des exportations. S’agissant de l’Europe, deux tiers des importations sont constitués de matières premières et de composants nécessaires au processus de production européen. Le fait que la fragmentation internationale de la production ait progressé moins rapidement en France qu’en Allemagne explique en partie les écarts de performance constatés entre les deux pays. S'agissant de la France, on estime à 25 % l'utilisation d'intrants intermédiaires étrangers dans nos exportations. Au Japon, près de 40 % des importations intermédiaires totales de matériel de transport finissent en exportations. Le terme de Made in world décrit bien le phénomène.

Dans ces conditions, les mesures classiques des échanges internationaux ne reflètent pas les mouvements des biens et services qui circulent au sein de ces chaînes de production mondiales. Les balances commerciales bilatérales peuvent ainsi être assez différentes si elles sont calculées sur la base de la valeur ajoutée : pour l’année 2009, l'excédent commercial de la Chine avec les États-Unis régresserait de plus de 40 milliards de dollars, c'est-à-dire de 25 %.

Il convient toutefois de noter que cette approche par les valeurs ajoutées comporte des limites dans la mesure où elle ne prend pas en compte les paramètres qualitatifs tels que l'intensité en emplois des échanges, l'empreinte environnementale ou le degré d'élaboration des normes sociales.

Transformation encore plus évidente : la mondialisation et la libéralisation des échanges ont contribué à l'affaiblissement des États, au profit d'une puissance nouvelle conférée aux entreprises multinationales en mesure de jouer des avantages comparatifs qu'elles trouvent dans les différents pays du globe pour optimiser à la fois fiscalité, coûts de production, et efficacité commerciale. Bien souvent, elles ne sont pas mises face à leur responsabilité en matière sociale et environnementale.

Ce constat étant fait, les premières questions auxquelles nous devons répondre, sont des questions de principe sur les résultats et/ou les conséquences de cette libéralisation des échanges internationaux. Le libre-échange a-t-il bénéficié à l'ensemble de la population mondiale, ou existe-t-il des vainqueurs et des perdants ?

Il est indiscutable que la mondialisation a eu des effets positifs. Elle a permis à plusieurs centaines de millions d'individus dans le monde de sortir de la pauvreté et d'accéder à un niveau de vie plus élevé. C'est notamment le cas dans les pays émergents regroupés sous l'acronyme anglais BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud –, qui sont généralement considérés comme les grands gagnants de la mondialisation, moteurs de la croissance économique des années à venir. L’enrichissement global de ces pays ne doit toutefois pas occulter le fait que le libre-échange a également été un formidable facteur d'inégalités à l'intérieur même de ces ensembles. Le coefficient de Gini, indicateur synthétique des inégalités de salaires, de revenus et de niveaux de vie, qui varie entre 0,2 pour les pays les plus « égalitaires », et 0,6 pour ceux qui le sont moins, s’élevait, en 2010, à 0,61 en Chine et 0, 54 au Brésil !

D'autres catégories de pays en « pré-émergence » ont été établies telles que les CIVETS – Colombie, Indonésie, Vietnam, Égypte, Turquie et Afrique du Sud –, pays dont le taux de croissance annuel moyen est évalué à 5 % pour les vingt prochaines années, ou encore les BENIVM – Bangladesh, Éthiopie, Nigeria, Indonésie, Vietnam et Mexique – qui ne représentent pas une catégorie homogène. En Asie du Sud-Est et en Afrique de l'Est, plusieurs États apparaissent comme de nouveaux eldorados potentiels. Pourtant, les inégalités y sont également criantes, et le prix à payer pour le développement environnemental et économique est parfois prohibitif. Les délocalisations des activités les plus polluantes des entreprises des pays industrialisés dans ces pays contribuent à les transformer en « havres de pollution ». Nous nous souvenons tous de l'effondrement du Rana Plaza, en avril 2013, au Bangladesh, qui avait causé la mort de plus de 1 100 personnes travaillant dans de dramatiques conditions d'insécurité pour plusieurs grandes marques internationales.

Une dernière catégorie, au sein des pays en développement, est composée de ceux dont il est clair qu'ils sont encore aujourd'hui les laissés-pour-compte de la mondialisation. Ainsi, les quarante-neuf pays les moins avancés (PMA) réalisent à peine plus de 1 % du commerce mondial. Cette faible participation au commerce international est symboliquement illustrée par le fait qu’aucun de ces pays n’a jamais saisi l'Organe de règlement des différends de l’OMC faute d'expertise juridique, d'avocats et d'équipes techniques. S'ils ont accru, en moyenne de 7 à 8 %, le volume de leurs exportations au cours des dix dernières années, en valeur, celles-ci n’ont en revanche que peu augmenté, d’où une diminution sensible du taux de couverture des exportations par les importations et une très forte dépendance aux prix des produits de base, en particulier des denrées alimentaires. Proposé à ces pays par les organisations internationales, le modèle d'une croissance tirée par les exportations a abouti à un échec.

Dans les pays industrialisés, la mondialisation a permis aux consommateurs d’avoir davantage de choix ; elle est à l’origine d’un réel enrichissement. Elle a accompagné les Trente Glorieuses, au cours desquels l'Europe de l'après-guerre a rattrapé le niveau de vie des États-Unis. Pourtant, aujourd'hui, elle est perçue par de nombreux citoyens européens comme une menace pour les industries locales, avec des pertes d'emplois, et pour le modèle social. Son coût est jugé trop élevé dans un contexte de concurrence internationale exacerbée.

L'Europe a souvent été considérée comme « l'idiot de la mondialisation », selon l'expression de M. Hubert Védrine. Pour brutale qu'elle soit, cette assertion n'est pas, loin s'en faut, dénuée de fondement. Elle repose en effet sur deux constatations. Sous la houlette d'une Commission idéologiquement très attachée au libre-échange, il faut d’abord reconnaître que l’Union européenne se comporte comme le « bon élève » de l’OMC. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne ses marchés publics, ouverts à plus de 85 %, alors que ce taux n’atteint que 32 % aux États-Unis, 28 % au Japon et 16 % au Canada. C'est pourquoi nous vous avons présenté l’année dernière avec Mme Marie-Louise Fort une proposition de résolution européenne sur la création d’un instrument de réciprocité sur les marchés publics, pour laquelle plaide également l’alinéa 38 du texte qui vous est soumis aujourd’hui. Ensuite, il faut bien reconnaître que les États, y compris les membres de l'Union, se livrent entre eux à une concurrence souvent déloyale, fondée notamment sur des pratiques de dumping social et fiscal, parfaitement illustrées par l’actualité récente relative aux travailleurs détachés.

Il s'agit là du véritable effet pervers de la doctrine libre-échangiste : faute de règles claires, et d'instance qui soit en capacité de les faire respecter, la mondialisation a engendré des pratiques contraires à la mise en œuvre du multilatéralisme régulé que la création du GATT puis de l'OMC devait promouvoir. Cette institution suscite de nombreuses interrogations sur sa capacité à imposer le multilatéralisme. En la matière, la Conférence de Bali n'a sauvé que les apparences.

Les pratiques défavorables au multilatéralisme sont de plusieurs ordres. Elles consistent tout d'abord à adopter une politique protectionniste à rebours des préceptes de l'OMC qui visent à « garantir une concurrence ouverte, loyale et exempte de distorsions ». Dans mon rapport, j’analyse sous cet angle les cas de l’Inde, du Brésil et de la Chine.

Elles se traduisent également par des manquements aux engagements pris dans le cadre de l'OMC. Concrètement, alors que les barrières tarifaires sont historiquement basses et ne concernent que quelques secteurs sensibles, comme l'agriculture, de nombreux pays mettent en œuvre des dispositifs non tarifaires entravant le commerce.

Enfin, elles se manifestent par un dumping monétaire destiné à améliorer la compétitivité-prix, en contradiction avec l'article XV du GATT, repris par l'OMC, qui dispose que les pays doivent « s'abstenir de toute mesure de change qui irait à l'encontre des dispositions du commerce international ». Force est de constater que l'OMC n'a aucune compétence régulatrice en la matière, et qu’elle est tenue de renvoyer à l'avis du FMI toute question relative aux régimes de changes, aux réserves et à la balance des paiements. Or, si les statuts du FMI interdisent de manipuler les taux de change pour obtenir des avantages comparatifs, la réalité est bien décevante. Selon une note publiée le mois dernier par le Conseil d’analyse économique : « Un taux de change est considéré comme “manipulé” si le pays a mis en œuvre des interventions ou des contrôles de change destinées à maintenir durablement une sous-évaluation du change par rapport à son niveau fondamental, et si l'objectif de cette sous-évaluation est de stimuler les exportations. Ces deux conditions sont très restrictives, d'autant qu'il est recommandé d'accorder à l'État membre le bénéfice du doute. En outre, le FMI n’a pas sur ce sujet de pouvoir de sanction. Finalement, aucun pays n'a jamais été sanctionné pour manipulation de son taux de change […] » Il est manifeste que le dispositif en place n’est pas efficace.

À l’évidence, il apparaît donc que le libre-échange, voulu comme un vecteur de développement international partagé, a trouvé ses limites et n'a pas permis de créer à l'échelle du monde les conditions d'échanges justes fondés sur la réciprocité, l'équité et le respect de normes sociales et environnementales. Pourtant, il n'est nullement dans mon intention de défendre l'idée d'une « démondialisation ». Nous savons que le commerce constitue un des vecteurs de croissance pour le monde d'aujourd'hui et de demain.

Quelques chiffres, tableaux et graphiques permettent de rappeler des données fondamentales en la matière.

En 2013, environ 60 % des échanges commerciaux de la France s’effectuent à l’intérieur de l’Union européenne alors que, selon l’OCDE, 90 % de la croissance attendue d’ici à 2020 devrait être le fait de pays extérieurs à l’Union.

En 2030, la Chine, l’Inde et le continent africain disposeront chacun d’une population de 1,5 milliard d’êtres humains alors que l’Union européenne ne comptera que 520 millions d’habitants. Cette donnée est essentielle sachant que les ressources humaines seront l’un des principaux déterminants du succès économique.

En 2030, 175 millions de Chinois auront entre 15 et 24 ans. Les Indiens de cette tranche d’âge seront 250 millions, et les Africains, 300 millions, alors que l’Union européenne ne comptera à la même date que 80 millions de jeunes. On peut craindre que de nombreuses entreprises délocalisent vers des bassins d’emplois où des millions de jeunes accepteront de travailler à bas coûts.

À l’horizon 2050, il apparaît que l’Afrique, l’Inde et la Chine représenteront 50 % du stock de capital humain mondial, qui tient compte du nombre moyen d’années d’études des plus de quinze ans.

À terme, 70 % de la classe moyenne mondiale se trouvera dans la zone Asie-Pacifique où de fortes opportunités seront donc à saisir.

Au regard de ces perspectives d’avenir, une régulation du commerce international doit être mise en œuvre dans l’intérêt de tous. Il revient à l’Europe d’aider à la mise en place d'un commerce loyal, équitable, respectueux des normes internationales, en un mot, conforme aux exigences d'un « juste échange ».

Il convient de s'arrêter quelques instants sur la définition même de ce concept. Évaluer ce qui est juste ou injuste dans les rapports commerciaux n'est pas aisé. D'aucuns considèrent que, dans les affaires, ce qui est juste est ce sur quoi les parties prenantes se sont mises d'accord ; le contrat constitue pour eux une référence. Le juste échange a assurément une connotation morale et même philosophique, renvoyant à la théorie de Saint Thomas d'Aquin de l'égalité dans l'échange selon laquelle personne ne doit en tirer profit au détriment d’un autre. Cette vision idéale est souvent éloignée de la vision empirique du marché, lieu des rapports de forces, et des comportements égoïstes et intéressés.

Le juste échange s'appuie sur trois principes majeurs. Tout d'abord, la notion de juste échange implique que chacun prenne la part qui lui revient dans l'effort commun et suppose l'émergence d'un accord sur des « règles du jeu universelles ». Cette conception s'appuie notamment sur la notion de biens publics mondiaux, au nombre desquels figurent la préservation de l'environnement, un système monétaire stable, la protection de la biodiversité ou des conditions de travail décentes. Il est nécessaire de concilier cette conception avec le principe des « responsabilités communes mais différenciées », fondé sur l'idée qu'il serait inéquitable de soumettre les pays en développement aux mêmes obligations que les pays développés.

Ensuite, le juste échange suppose la loyauté dans les échanges et le respect des règles internationales, principalement celles de l’OMC qui compte en son sein la quasi-totalité des nations, y compris la Chine depuis 2001, et la Russie depuis 2011. La notion de justice rejoint alors celles de réciprocité dans l'échange et d'équité dans les concessions mutuelles. Trop souvent, l'Europe et les grands émergents ne combattent pas à armes égales. Les gouvernements de ces pays protègent leur marché intérieur, imposent des taux de contenu local et des transferts de technologie et constituent des oligopoles compétitifs de firmes publiques auxquels sont consacrées des capacités d'investissement considérables. Il est temps de rééquilibrer les choses ! C’est la raison pour laquelle la proposition de résolution européenne invite la Commission européenne à se montrer moins tatillonne en matière de politique d’investissement ou de concurrence afin de ne pas faire obstacle à la création en Europe de champion d’envergure internationale.

Enfin, l'Europe doit s'affirmer comme la figure de proue d'un multilatéralisme rénové, qui permettrait de rééquilibrer les bénéfices des échanges internationaux au profit des nations jusqu'alors restées à l'écart de la mondialisation. À l’évidence, cela suppose que les États membres de l'Union parviennent à mettre de côté leurs intérêts individuels, et s'engagent à ne plus adopter de stratégie gagnants-perdants et à parler d'une même voix sur la scène internationale.

La tâche n’est pas aisée. Il faudra surmonter les divergences d'appréciations entre les partisans d’un renforcement de la régulation, d’un côté, et, de l’autre, les ayatollahs du libre-échange, que leurs motivations soient idéologiques ou qu’ils aient peur de représailles. Pour ces derniers, le juste échange, expression que l'on doit à Henri Weber, n'est rien d'autre qu'une tentative française d'un néo-protectionnisme.

À ce clivage idéologique se superposent les déséquilibres entre des pays du Nord, dotés d'un appareil productif efficace, et qui fondent notamment leur prospérité sur les exportations, et des pays du Sud, en prise à de nombreuses difficultés structurelles.

La partie est loin d'être gagnée d'avance. Je rappelle que selon le rapport remis en janvier 2012 par M. Yvon Jacob, ambassadeur de l’industrie, et M. Serge Guillon, contrôleur général économique et financier, l'écart de coût horaire moyen de la main d'œuvre en euros varie de un à quinze entre la Bulgarie et la Suède. La part de l'industrie dans la valeur ajoutée s'étale de 8 % au Luxembourg à plus de 25 % en Slovaquie et en République tchèque. Pour l'emploi, cette part va de 10 % à Chypre à plus de 27 % en République tchèque. De plus, une récente étude de l'INSEE montre que les destinations privilégiées des délocalisations des entreprises françaises se situent à hauteur de 55 % dans l’Union européenne.

L’Europe a toutefois d’indéniables atouts. Elle reste aujourd'hui la première zone d'exportations et d'importations, et le premier destinataire des investissements mondiaux. Le nombre et le pouvoir d'achat de ses consommateurs, ainsi que la capacité de production et d'innovation qu'elle conserve lui assure la masse critique qui peut lui permettre de jouer un rôle moteur dans les transformations du commerce international.

À l'heure où l’europhobie succède à l'euroscepticisme, la promotion déterminée du « juste échange » est indispensable. Elle constitue la condition d'une croissance mondiale moins destructrice de ressources et moins créatrice d'inégalités. Pour l'Europe même, et pour chacun de ses membres, elle conditionne le maintien d’une influence économique et commerciale dans le monde de demain. Elle envoie un signe fort pour que l'Europe joue enfin son rôle de protection des citoyens.

Mme Marie-Louise Fort. La proposition de résolution européenne soumise à l’examen de notre commission est issue des travaux effectués au sein de la commission des affaires européennes qui s’est prononcée à l'unanimité. La réflexion de Mme Seybah Dagoma a été nourrie par les auditions que nous avons menées ensemble.

Le juste échange est une idée généreuse, qui repose même sur un présupposé moral hélas parfois bien éloigné de la dureté des relations commerciales. Défendre le juste échange est sans doute nécessaire afin de tempérer les arguments des défenseurs d'un libre-échange à tous crins. Toutefois, au cours de nos auditions, nous avons souvent reçu un accueil poli mêlé d'incompréhension ou de scepticisme sur la teneur même des termes « juste échange ». Ce fut notamment le cas à Bruxelles, à Genève, ou à Washington.

Le juste échange tel qu'il a été défini dans la proposition de résolution européenne me convient très bien. Il doit en effet être bâti sur des notions de réciprocité, de respect des engagements et des règles du commerce international, notamment définies au sein de l’Organisation mondiale du commerce, sur la rénovation du multilatéralisme, l'intégration dans les règles du commerce de la protection des droits humains et environnementaux, la mise en place de responsabilité des sociétés multinationales qui ont largement profité de la mondialisation, et sur la coopération internationale afin de réduire les risques de guerre monétaire.

Me convient également l’idée que l'économie européenne doit rester une économie ouverte afin de tirer parti des échanges internationaux et du potentiel de croissance des économies émergentes, pour autant que celles-ci diminuent leurs dispositifs protectionnistes.

Madame la rapporteure, croyez-vous que la France seule puisse porter le juste échange et l'imposer à ses partenaires européens et, au-delà, au reste du monde ?

Certes, la France n’a pas fait cavalier seul concernant l’instrument de réciprocité sur les marchés publics qui aurait dû s'imposer comme une évidence – elle a reçu le soutien d’autres États. Elle a néanmoins de grandes difficultés à faire admettre ses vues par l'Allemagne. Or ce dispositif n'a de chance d'être adopté que si l'Allemagne accepte de passer outre ses réticences naturelles et sa peur de représailles de la part de la Chine.

Ne devrions-nous pas nous attaquer en priorité aux causes mêmes de nos faiblesses afin que personne ne puisse nous accuser de nous protéger derrière le juste échange ?

Croyez-vous à l'avenir du multilatéralisme, au moment où le Président de la République a appelé à « aller vite » sur le projet d'accord transatlantique qui marque la prédominance des accords bilatéraux de libre-échange alors que le cycle de négociations multilatérales de Doha se trouve dans une impasse prolongée ?

M. Jean-Paul Dupré. Disposons-nous véritablement des moyens d’agir pour que certains États s’engagent à améliorer la condition de millions d’hommes et de femmes aujourd’hui en situation d’esclavage, et pour que ces promesses soient suivies d’effets ?

M. Jacques Myard. Madame Dagoma, puis-je me permettre de vous dire que la proposition de résolution européenne que vous défendez me semble un brin utopiste ?

Les intérêts des États de l’Union européenne divergent dans tous les domaines, y compris en matière de relations commerciales internationales. Le libre-échange s’est imposé mais, faute d’intérêt commun, la notion de réciprocité est évacuée par la direction générale de la concurrence de la Commission européenne. Nous sommes concurrents sur le plan international.

Sur les questions monétaires, vous citez les statuts du FMI. De fait, sur ce point, ils sont totalement obsolètes. Il y a bien longtemps que nous vivons sous un régime de changes flottants. Je rappelle aussi que nous avons laissé la Chine entrer dans l’OMC alors qu’elle dispose d’une monnaie administrée.

En matière d’arbitrage, votre proposition est à mon avis contraire aux engagements internationaux de la France, notamment à la convention de Washington du 18 mars 1965 dite « CIRDI » (Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements) qui permet d’avoir recours à cette méthode de règlement des différends en cas de contentieux entre un État et un investisseur.

Vous souhaitez que l’Union européenne passe des accords internationaux en matière de garantie et de promotion des investissements…

Mme la rapporteure. Ce n’est pas une innovation !

M. Jacques Myard. Il reste que le régime de propriété relève des États. Si la subsidiarité doit s’appliquer, c’est bien en ce domaine. Votre solution en la matière n’est donc pas la bonne.

À l’instar d’Élisabeth Ier s’adressant à Sir Francis Drake, je veux bien saluer « les chercheurs d’aventures », mais je me refuse à considérer que vos propositions pourraient relever du droit positif.

M. Gwenegan Bui. Alors que l’Assemblée a adopté cette semaine une proposition de loi dans la lignée de la directive européenne sur le détachement des travailleurs afin d’éviter que les travailleurs européens soient mis en concurrence entre eux, remercions notre collègue, Mme Seybah Dagoma, d’engager l’opération Restore Hope pour que l’Union européenne regagne les cœurs de nos concitoyens !

La concurrence fiscale, sociale et monétaire devant laquelle nous restons impuissants fait des ravages dans nos économies. Elle alimente le désamour des peuples pour l’Europe devenue le cheval de Troie du libre-échange sur lequel il semblait jusqu’alors impossible de seulement s’interroger. Je suis heureux de constater qu’aujourd’hui l’Assemblée débat d’un sujet qui n’est plus tabou.

Les alinéas 40 et 41 de la proposition de résolution européenne me semblent particulièrement bienvenus. Ils appellent notamment à « un assouplissement de la réglementation européenne sur les aides d’État investies dans l’innovation des entreprises, d’une part, et sur les concentrations d’autre part afin de favoriser la constitution de “champions européens” d’envergure internationale ». Comment pouvons-nous garantir que la Commission européenne appliquera à l’avenir ce principe de bon sens qu’elle n’a de cesse de piétiner aujourd’hui ?

Selon l’alinéa 61, « l’Union européenne doit limiter les prises de positions pour les activités spéculatives sur les marchés dérivés de matières premières agricoles dans le cadre de la réforme de la directive relative aux marchés d’instruments financiers ». La spéculation sur le blé, le colza ou le riz est inacceptable tant sur le plan moral que sur le plan économique. Ces pratiques ont en effet des conséquences directes sur le quotidien des producteurs et des consommateurs. Elles dérégulent les marchés et peuvent susciter des révoltes comme celles qui se sont déroulées au Moyen-Orient. Tout l’objet de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires votée l’été dernier consistait d’ailleurs à interdire la spéculation aux banques. Il ne saurait donc être question à mon sens que l’Union européenne se contente de « limiter » de telles activités ; elle doit les interdire. Pouvons-nous remplacer un terme par l’autre ?

M. Guy-Michel Chauveau. L’alinéa 60 de la directive précise que l’Union européenne doit « participer à la lutte contre la volatilité des prix agricoles, en améliorant le suivi des marchés agricoles ». Alors que les prix se forment souvent en dehors de l’Union, les marges de manœuvre ne sont-elles pas limitées en la matière ?

Mme Chantal Guittet. Madame Dagoma, dès lors que nous votons une résolution européenne relative au libre-échange, je tiens à ce qu’il soit fait référence à la possibilité de déroger au droit des brevets en matière de santé publique en ayant recours aux licences obligatoires, conformément à la déclaration de Doha de 2001, mise en œuvre par l’OMC en 2003 au terme de luttes acharnées. En cas de crise sanitaire, il est essentiel qu’un pays puisse fabriquer un médicament sans tenir compte des brevets.

Je soutiens M. Gwenegan Bui qui souhaite que l’Union interdise les prises de positions pour les activés spéculatives sur les matières premières agricoles.

Il est demandé à l’alinéa 54 que les exigences de la proposition de directive renforçant l’obligation de transparence et de publication des informations non financières par certaines grandes sociétés et grands groupes « soient précisées et assorties d’indicateurs quantitatifs, d’instruments de contrôle indépendants et de dispositifs de sanction en cas de violation des conventions et principes internationaux ». Je souhaite que soient également fournis des indicateurs qualitatifs. Je m’interroge par ailleurs sur les « instruments de contrôle indépendants ». À qui pensez-vous ? On connaît l’histoire des Big five devenu les Big four après la faillite de l’un des plus gros cabinets d’audit de la place due aux conflits d’intérêts auxquels il n’avait su résister. Qui sera chargé de sanctionner ceux qui sortiraient des clous ?

Mme la rapporteure. Madame Marie-Louise Fort nous interroge sur notre capacité à imposer le « juste échange ». Je ne fais preuve d’aucune naïveté en la matière. J’ai conscience qu’il s’agit d’un objectif à atteindre et qu’il faudra mener des combats, mais j’ai confiance. Il est en revanche certain que nous n’obtiendrons rien si nous ne nous battons pas. Vous avez raison : nous devons aussi « nous attaquer à nos faiblesses ». Il nous faut mener de front des réformes structurelles en interne, et une action au niveau européen. Le multilatéralisme dont vous nous parlez doit rester notre horizon car le bilatéralisme n’est pas favorable au plus faible. Même si le cycle de Doha a été un échec, et que seules les apparences ont pu être sauvées, nous ne devons pas perdre cet objectif de vue.

Monsieur Dupré, la généralisation de la notion de travail décent constitue un objectif. Nous ne devons jamais admettre les arguments de ceux qui considèrent que les règles minimales que nous souhaitons imposer en matière de protection des travailleurs ne seraient que des mesures protectionnistes visant à mettre fin à un « avantage comparatif ».

Monsieur Myard, même si seulement dix États européens sont aujourd’hui favorables à la réciprocité, je reste persuadée que nous devons nous battre. Votre observation concernant les manipulations monétaires est juste, et il est vrai que les statuts du FMI sont obsolètes sur ce point. Pour ce qui concerne l’arbitrage, je défends une position politique. Quant aux conventions d’investissements, elles résultent d’un transfert de compétences effectué par le traité de Lisbonne de 2009.

Je partage le constat de M. Gwenegan Bui sur l’approche rigide de la Commission qui fait obstacle aux concentrations et aux aides d’État en Europe, alors que les pratiques des États-Unis ou de la Chine sont bien différentes. Sur ce sujet aussi la bataille doit être menée et tout dépend d’un rapport de force. Je ne suis pas défavorable à une rédaction demandant l’interdiction des spéculations sur les matières agricoles. L’interdiction constituait évidemment un objectif même si je m’étais contenté à ce stade de demander une limitation.

Madame Guittet, une dérogation en matière de santé étant d’ores et déjà prévues dans les textes, je ne vois pas la nécessité d’en faire état. Je ne suis en revanche pas opposée à une modification de la rédaction de l’alinéa 54 visant à préciser que les indicateurs devront être quantitatifs et qualitatifs.

La Commission en vient à l’examen du texte de la proposition de résolution européenne.

Elle est saisie d’un amendement AE3 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Il s’agit, à l’alinéa 40, dans lequel il est demandé à la Commission européenne de veiller dans les négociations commerciales à la cohérence de la politique commerciale avec les politiques européennes internes ainsi qu’aux intérêts des pays et territoire d’outre mer, de préciser que les négociations concernées peuvent être plurilatérales. Un accord plurilatéral sur les services est par exemple actuellement en discussion.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement AE1 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Alors que l’alinéa 47 demande que le recours à l’arbitrage soit exclu, je propose de le rendre possible « en l’absence de systèmes judiciaires nationaux fiables et impartiaux ».

M. Jacques Myard. Avant de décider de l’installation d’Eurodisney en France, l’entreprise américaine a exigé que le code civil soit modifié pour qu’elle puisse avoir accès à l’arbitrage en cas de conflit juridique sur le sol français. Votre proposition est donc non seulement contraire aux traités mais elle entre également en contradiction avec le droit français en vigueur.

Mme la rapporteure. Je préfère effectuer quelques vérifications avant de vous répondre.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte un amendement rédactionnel AE2 de la rapporteure, à l’alinéa 67.

Elle en vient ensuite à un amendement de M. Gwenegan Bui, à l’alinéa 61.

M. Gwenegan Bui. Il est souhaitable d’« interdire » les prises de positions pour les activités spéculatives sur les marchés dérivés de matières premières agricoles plutôt que de les « limiter ».

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

Elle examine un amendement de Mme Chantal Guittet.

Mme Chantal Guittet. Pour des raisons de santé publique, je souhaite que l’accord sur les aspects des droits de propriété qui touchent au commerce (ADPIC), adopté le 14 novembre 2001 lors de la quatrième conférence ministérielle de l’OMC à Doha, figure parmi les visas de la proposition de résolution européenne.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

Elle adopte enfin l’ensemble de la proposition de résolution européenne modifiée.

*

Examen, pour avis, du projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire (n° 1536).

La commission en vient à l’examen pour avis, sur le rapport de M. Jean-René Marsac, du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif à l’économie sociale et solidaire (n° 1536).

M. Jean-René Marsac, rapporteur pour avis. Pour la première fois, le Parlement examine un projet de loi spécifiquement dédié à l’économie sociale et solidaire (ESS) qui regroupe coopératives, mutuelles, fondations et autres entreprises à finalité sociale. L’ESS constitue dans notre pays un secteur important, dynamique et de mieux en mieux identifié : important car il représente environ 10 % de l’emploi total et 8 % du PIB ; dynamique car pendant la dernière décennie il a connu une évolution de l’emploi plus favorable que le reste de l’économie ; de mieux en mieux identifié car il s’est doté au fil du temps de définitions de plus en plus précises et d’instances de représentation aux niveaux régional et national. Or le texte trace les lignes d’une politique publique destinée à consolider le développement du secteur.

J’ai proposé à notre commission de se saisir pour avis de ce texte parce que les dimensions internationale et européenne de l’ESS méritent d’y apparaître. En effet, d’une part, les ONG sont une composante importante de l’ESS et tout le monde s’accorde pour reconnaître que les coopératives, mutuelles, associations, fondations et autres entreprises sociales sont des structures très efficaces pour le développement des pays pauvres. Il est donc important que l’économie solidaire intègre de manière explicite les acteurs de la solidarité internationale.

D’autre part, l’ESS est de plus en plus confrontée à l’application du droit européen ; elle doit donc se structurer à cette échelle. La France, riche d’une longue histoire en matière d’économie sociale – née au XIXe siècle – doit faire mieux apparaître ses particularités et ses propositions dans la définition des entreprises sociales et de l’innovation sociale. Je propose donc par quelques amendements de renforcer les liens entre les structures organisées aux niveaux français et européen.

En ce qui concerne le développement et la solidarité internationale, nous avions déjà, dans cette commission, affirmé le rôle de l’ESS dans les politiques de développement à l’occasion de l’examen du projet de loi présenté par Pascal Canfin. Je vous propose de poursuivre cette démarche en prenant en compte les actions de développement réalisées par les acteurs de l’ESS.

Le Sénat a introduit un article 50 bis qui traite du commerce équitable, lequel connaît un développement rapide, non seulement pour ce qui est des produits alimentaires, mais aussi dans des branches telles que le textile. Son chiffre d’affaires en France est évalué à plus de 400 millions d’euros et sa croissance estimée à plus de 10 % en 2012.

Un plan d’action national en faveur du commerce équitable a été présenté en avril 2013. Il est placé sous la double responsabilité du ministre délégué chargé du développement, Pascal Canfin, et du ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation, Benoît Hamon. Il est donc nécessaire qu’un projet de loi dédié à l’ESS traite du commerce équitable. Afin qu’il corresponde mieux aux définitions internationales et à l’évolution du droit européen, je vous proposerai une nouvelle rédaction de l’article 50 bis.

En outre, afin d’aller plus loin dans l’exploration de voies nouvelles en matière de coopération Nord-Sud et de co-développement, je vous propose d’introduire une dimension internationale dans les objectifs poursuivis par les sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC) que le texte renforce. Les SCIC regroupent des personnes physiques, des personnes morales privées, des entreprises mais aussi des collectivités territoriales. Il s’agit là de groupes réunissant les parties prenantes des coopérations décentralisées que nous devons encourager.

De son côté, l’Union européenne met en œuvre des politiques de soutien au développement de l’économie sociale et des entreprises sociales, il est donc nécessaire de travailler à une meilleure articulation des politiques conduites par les uns et les autres.

L’« économie sociale » – termes retenus sur le plan européen plutôt que ceux de « sociale et solidaire » – est inégalement présente parmi les États membres de l’Union européenne, mais elle compte de manière significative dans un bon nombre d’entre eux. Un rapport du comité économique et social européen met en lumière la diversité des formes que prend l’économie sociale dans les différents pays, ainsi que le degré très variable de reconnaissance dont elle bénéficie.

C’est aussi en Europe et entre les États membres, un problème de définition. Plusieurs grandes approches coexistent qui créent des clivages selon que l’on prend en compte principalement, voire exclusivement, les finalités sociales des entreprises pour intervenir en faveur de populations fragiles, ou bien l’absence de but lucratif, ou encore le mode de gouvernance des structures – gestion démocratique, indépendance, liberté d’adhésion...

La Commission européenne a choisi pour sa part de s’intéresser de plus en plus à la notion d’« entreprise sociale » en présentant en 2011 une « Initiative pour l’entreprenariat social ». Dans sa définition de l’entreprise sociale, la Commission se concentre essentiellement sur la finalité sociale de l’entreprise – substitut, souvent, à l’affaiblissement de l’État providence et des protections collectives. De plus en plus, l’entreprise sociale est chargée des objectifs d’accès des populations fragilisées à des droits ou des secours.

Cette présentation de l’économie sociale tend à occulter certains critères qui nous semblent, à nous Français, essentiels, à savoir la dimension collective du projet et de la propriété de l’entreprise, et en conséquence l’usage des résultats non partageables, ainsi que la gouvernance démocratique selon le principe « une personne-une voix », quel que soit l’apport au capital des uns et des autres. Il convient de nous montrer vigilants et actifs au niveau européen pour faire valoir nos conceptions.

Le texte proposé par Benoît Hamon trouve un équilibre entre ces objectifs et la volonté de soutenir des initiatives nouvelles, sous des formes entrepreunariales nouvelles ; nous devons nous donner les moyens de promouvoir cet équilibre sur le plan européen. Je vous propose donc de mieux intégrer la dimension européenne de l’ESS dans les missions et le fonctionnement du conseil supérieur de l’ESS mais aussi des chambres régionales de l’ESS.

M. Jean-Paul Dupré. La question est importante pour les pays pauvres mais également pour l’Europe car le secteur coopératif, mutualiste, associatif, ou encore celui des fondations, permet à un grand nombre de nos concitoyens et aux territoires, sur les plans économique, culturel ou sportif, de bénéficier d’un maintien d’activité. L’accès au sport et à la culture par le biais associatif est à prendre en considération, de même que, sur le plan social, le secteur mutualiste. Nous devons donc imposer le maintien de particularités en matière fiscales.

M. Gwenegan Bui. L’importance de l’échelon européen pour l’ESS est incontestable. Aussi, monsieur le rapporteur pour avis, l’actuelle réglementation européenne, en particulier le droit des marchés publics et des aides d’État, constitue-t-elle un risque ou une chance ?

Mme Seybah Dagoma. Je souhaite savoir, pour ma part, ce qu’il en est du tourisme équitable : pourquoi ne l’évoquons-nous pas ?

M. François Scellier. L’article 3 ter (nouveau) institue « un conseil supérieur de la coopération qui inscrit son action en cohérence avec le conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire ». Au moment où l’on critique le nombre d’organismes divers et variés, je m’étonne qu’on crée un nouveau « conseil supérieur ».

Présidence de M. Gwenegan Bui

M. le rapporteur pour avis. Cette saisine ne peut porter sur la totalité du texte, aussi pourrons-nous discuter de la création d’un conseil supérieur de la coopération avec la commission des affaires économiques, saisie au fond.

Pour ce qui est des marchés publics et des interventions financières en direction de l’ESS, si le texte prévoit des dispositions sécurisant la notion de subvention, il convient d’aller plus loin, en particulier au sujet des relations entre l’État et les acteurs de l’ESS, mais aussi, surtout, entre les collectivités locales et ces mêmes acteurs. Nous avons abordé le sujet à Bruxelles la semaine dernière avec nos interlocuteurs de la Commission européenne.

En ce qui concerne la fiscalité en matière de contribution au développement local, certains souhaitaient remettre en cause des dispositions dont bénéficient les coopératives depuis longtemps. De même que pour le CICE, nous pourrons aborder ces questions dans le cadre du débat général.

Par ailleurs, si le Sénat a introduit dans le texte la notion de commerce équitable, il n’y est pas question du tourisme équitable. Je relaierai éventuellement volontiers une proposition allant dans ce sens.

La commission passe à l’examen des articles.

M. Gwenegan Bui, président. Notre saisine porte sur les articles 2, 3, 4, 21, 22 et 50 bis. Nous allons examiner neuf amendements du rapporteur pour avis.

Article 2

La commission examine l’amendement AE1 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. Cet amendement permet la prise en compte de la dimension internationale de l’ESS.

La commission adopte l’amendement.

Elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 2 modifié.

Article 3

La commission est saisie de l’amendement AE2 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. L’article 3 porte sur le fonctionnement et la composition du conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire. L’amendement précise que le Conseil sera chargé d’assurer le dialogue entre les acteurs de l’économie sociale et solidaire et les pouvoirs publics nationaux et européens. Il est important d’affirmer la dimension européenne de l’ESS.

Mme Chantal Guittet. De quels acteurs européens est-il question ?

M. le rapporteur pour avis. Il s’agit essentiellement de la Commission européenne et de son administration. Nous ne pouvons demander à la Commission d’identifier de nouveau une direction spécifique à l’ESS qui a déjà existé. La question de l’économie sociale et des entreprises sociales relève de plusieurs directions au sein de la Commission européenne.

La commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AE7 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. Cet amendement vise, après la première phrase de l’alinéa 2, à insérer les deux phrases suivantes relatives au conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire : « Il veille à améliorer l’articulation entre les réglementations et les représentations de l’économie sociale et solidaire à l’échelon national et à l’échelon européen. Il publie tous les trois ans un rapport sur l’évolution de la prise en compte de l’économie sociale et solidaire dans le droit de l’Union européenne et ses politiques. » Outre une mission générale d’articulation, le conseil supérieur aurait à rendre compte périodiquement de son action européenne.

La commission adopte l’amendement.

Elle en vient à l’amendement AE8 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. Un certain nombre d’études ont été menées sur l’élaboration de statuts au niveau européen. La coopérative européenne existe déjà et un travail important est en cours sur les mutuelles européennes – sans doute plus nécessaire encore car les mutuelles ont vocation à être ouvertes aux marchés européens et à pouvoir associer en leur sein des ressortissants de différents pays européens.

La commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AE6 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. Cet amendement permet de couvrir également le champ international.

La commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AE5 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. Cet amendement propose que certains des membres du conseil supérieur soient nommés en raison de leur expérience européenne.

M. François Scellier. Je suis opposé à cet amendement puisque, j’y insiste, le conseil supérieur n’a selon moi pas de raison d’être.

M. le rapporteur pour avis. Lequel des deux conseils remettez-vous en cause ?

M. François Scellier. J’estime seulement que le conseil supérieur de la coopération et le conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire ne devraient faire qu’un.

La commission adopte l’amendement.

Elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 3 modifié.

Article 4

La commission examine l’amendement AE3 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. L’article 4 porte sur les chambres régionales de l’économie sociale et solidaire. Cet amendement vise à leur confier une mission complémentaire afin qu’elles puissent jouer un rôle d’articulation entre les dimensions nationale et européenne.

La commission adopte l’amendement.

Elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 4 modifié.

Article 21

La commission en vient à l’amendement AE4 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. Cet amendement vise à insérer la phrase suivante : « Ces biens et services peuvent notamment être fournis dans le cadre de projets de solidarité internationale et d’aide au développement. » Il s’agit d utiliser la formule des SCIC pour les actions de développement et de solidarité internationale.

M. Guy-Michel Chauveau. Ne faudrait-il pas remplacer les mots : « être fournis » par les mots : « être proposés » ?

M. le rapporteur pour avis. Nous ferons éventuellement une suggestion de modification rédactionnelle dans le sens que vous indiquez en commission des affaires économiques ou bien en séance.

La commission adopte l’amendement.

Elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 21 modifié.

Article 22

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 22.

Article 50 bis

La commission examine l’amendement AE9 du rapporteur pour avis.

M. le rapporteur pour avis. Il s’agit sans doute d’une rédaction provisoire qui vise, en concertation avec le cabinet de M. Hamon, à modifier le texte du Sénat afin d’en revenir à une expression plus conforme à celle en vigueur au niveau international. Aussi cet amendement, sur proposition du Gouvernement en particulier, est-il susceptible d’évoluer d’ici à son examen en séance publique.

La commission adopte l’amendement.

Elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 50 bis modifié.

Puis elle émet un avis favorable à l’adoption de l’ensemble des dispositions dont elle est saisie, modifiées.

M. Gwenegan Bui, président. Nous en avons terminé avec l’examen des dispositions dont la commission a été saisie.

La séance est levée à onze heures quinze

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 26 février 2014 à 9 h 45

Présents. - M. Pouria Amirshahi, M. Avi Assouly, Mme Danielle Auroi, M. Jean-Paul Bacquet, M. Christian Bataille, M. Jean-Luc Bleunven, M. Gwenegan Bui, M. Guy-Michel Chauveau, Mme Seybah Dagoma, M. Jean-Pierre Dufau, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Jean-Paul Dupré, M. François Fillon, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, Mme Estelle Grelier, Mme Élisabeth Guigou, Mme Chantal Guittet, M. François Loncle, M. Jean-Philippe Mallé, M. Jean-René Marsac, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Jean-Luc Reitzer, M. André Santini, M. François Scellier, M. André Schneider, M. Michel Terrot

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Philippe Baumel, M. Alain Bocquet, Mme Pascale Boistard, M. Jean-Claude Buisine, M. Gérard Charasse, M. Jean-Louis Christ, M. Philip Cordery, M. Michel Destot, M. Paul Giacobbi, M. Jean Glavany, M. Jean-Claude Guibal, Mme Thérèse Guilbert, M. David Habib, Mme Françoise Imbert, M. Serge Janquin, M. Pierre-Yves Le Borgn', M. Jean-Marie Le Guen, M. Pierre Lellouche, M. Pierre Lequiller, M. Lionnel Luca, Mme Marion Maréchal-Le Pen, M. Thierry Mariani, M. Alain Marsaud, M. Patrice Martin-Lalande, M. François Rochebloine, M. René Rouquet, Mme Odile Saugues, M. Guy Teissier, M. Michel Vauzelle