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Commission des affaires étrangères

Mercredi 21 mai 2014

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 62

Présidence de M. Michel Vauzelle, Vice-Président

–  Audition, ouverte à la presse, de M. Harlem Désir, secrétaire d’État aux Affaires européennes, auprès du ministre des Affaires étrangères et du développement international

Audition, ouverte à la presse, de M. Harlem Désir, secrétaire d’État aux Affaires européennes, auprès du ministre des Affaires étrangères et du développement international.

L’audition commence à seize heures trente.

M. Michel Vauzelle, président. Monsieur le secrétaire d’État, nous sommes heureux de vous accueillir pour la première fois. Comme vous le savez, la commission des affaires étrangères s’intéresse beaucoup aux affaires européennes et tient à consacrer à ces questions une part substantielle de ses travaux.

Je reviens d’une réunion de parlementaires méditerranéens organisée dans le cadre du Dialogue 5 + 5. Plusieurs participants s’y sont plaints du manque de lisibilité de la politique de l’Union européenne à l’égard du Sud. Ils ont en effet le sentiment qu’on les abandonne à leurs problèmes, notamment s’agissant des grands mouvements migratoires – vous venez d’ailleurs d’être interrogé sur ce sujet en séance publique –, et jugent l’Europe plus préoccupée par son voisinage à l’Est.

Par ailleurs, ils réclament des explications sur les événements de Syrie et leurs conséquences au Liban et en Jordanie.

Vous avez également été interrogé tout à l’heure sur l’attitude de l’Europe à l’égard de la Turquie, une attitude que l’on peut juger humiliante.

Il en est de même, d’ailleurs, de son comportement à l’égard de la Russie, ce qui ne peut que favoriser les visées agressives de M. Poutine, surtout si l’Europe continue à réagir aussi faiblement à l’annexion de la Crimée et à la politique russe vis-à-vis de l’Ukraine.

Le manque de visibilité de la politique européenne à l’égard des pays situés à nos frontières orientales et méridionales est peut-être une des raisons du désintérêt envers l’Union européenne et de la montée du populisme – outre une gestion des affaires intérieures jugée peu lisible et peu démocratique par les peuples des pays membres. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Quels sont la position et le rôle de l’Union européenne dans la crise ukrainienne ? Quelles conséquences faudrait-il tirer de cette crise pour la définition et la conduite de la politique de voisinage à l’Est ?

Par ailleurs, où en sont les négociations sur l’accord de libre-échange transatlantique, et dans quelles conditions se déroulent-elles ? Sur cette question qui fait l’objet d’un large débat, nous avons besoin – et la population aussi, semble-t-il – d’en savoir plus sur la ligne défendue par la France. À ce sujet, une proposition de résolution européenne adoptée par notre commission va d’ailleurs être examinée en séance publique.

M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des Affaires européennes. Je vous remercie de votre invitation à m’exprimer devant la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, dont je connais l’intérêt porté aux affaires européennes.

Je suis personnellement convaincu de l’importance des parlements nationaux dans le bon fonctionnement de l’Union européenne et du rôle déterminant de l’Assemblée nationale pour la politique européenne de la France. J’entends donc placer la relation avec les parlementaires, qu’ils soient nationaux ou européens, au cœur de la mission qui m’a été confiée. Je suis en effet persuadé qu’une partie de la réponse au besoin d’approfondissement de la démocratie dans l’Union passe par une meilleure association des parlements nationaux aux décisions européennes.

Je tiens donc à vous assurer de ma totale disponibilité, vis-à-vis de votre Commission comme de chacune et chacun de ses membres. Chaque fois que vous le souhaiterez, je viendrai vous informer de l’état d’avancement des négociations sur les dossiers les plus importants, ainsi que des enjeux liés aux grandes échéances, telles que les Conseils européens.

Comme j’ai eu l’occasion de le dire devant la Commission des affaires européennes, mon homologue allemand, Michael Roth, et moi-même sommes également disposés, si vous le souhaitez, à participer à des auditions conjointes devant l’Assemblée nationale comme devant le Bundestag. Une telle initiative permettrait d’illustrer la force de la relation franco-allemande et notre capacité à défendre ensemble certaines priorités à l’échelle européenne.

Nous sommes à la veille d’une échéance majeure pour l’Europe. Le Parlement européen voit en effet sa composition renouvelée à un moment où il n’a jamais eu autant de pouvoir et de compétences. En outre, comme l’a souligné le Président de la République dans sa tribune du 9 mai dernier, les électeurs, par leur vote, vont aussi désigner le futur président de la Commission européenne. Ces élections vont donc déterminer la direction que l’Europe prendra ces cinq prochaines années, et c’est pourquoi la France doit saisir cette occasion de faire valoir ses priorités.

Avant de revenir sur les grands enjeux de la politique interne de l’Union, je voudrais évoquer la situation en Ukraine

Vous connaissez la situation sur place : elle demeure instable, notamment dans les régions de l’est. Le climat sécuritaire continue de se dégrader. Les référendums du 11 mai en faveur de l’indépendance des « Républiques populaires » de Donetsk et Lougansk n’ont pas été organisés dans des conditions juridiques acceptables et leur résultat ne peut donc pas être reconnu ; le Conseil européen l’a affirmé fermement.

Dans ces conditions, l’enjeu essentiel des prochains jours est bien sûr la bonne tenue des élections présidentielles du 25 mai sur l’ensemble du territoire ukrainien – même si l’on peut s’attendre à des difficultés dans les régions citées –, et la poursuite du dialogue national et des tables rondes sur la réforme institutionnelle. Telle est la feuille de route proposée par l’OSCE et soutenue unanimement par le Conseil des affaires étrangères du 12 mai. Sur ce point, nous partageons la même approche avec nos partenaires – le maintien d’une position commune entre les 28 États membres est d’ailleurs un enjeu décisif.

Nous devons faire preuve de fermeté, en particulier à l’égard des séparatistes de l’est de l’Ukraine et de la Russie, tout en prônant la désescalade, la diminution des tensions et de la violence, et la recherche d’une solution par le dialogue, que ce soit au sein même de l’Ukraine ou entre ce pays et la Russie.

Nous avons par ailleurs décidé, avec plusieurs partenaires internationaux, de renforcer l’aide économique attribuée à l’Ukraine. La Commission évalue à 11 milliards d’euros les besoins du pays pour la période 2014-2020, dont 3 milliards seraient à la charge de l’Union européenne. Le 13 mai, un protocole d’accord sur l’assistance financière, comprenant un prêt de 1,61 milliard d’euros, a été signé. Une première tranche d’aide de 100 millions d’euros a été versée cette semaine.

Vis-à-vis de la Russie, nous devons faire preuve de fermeté, car nous ne pouvons pas accepter l’annexion de la Crimée, la déstabilisation du Sud-Est de l’Ukraine et les pressions de toutes sortes exercées sur le pays. Dans ses conclusions du 12 mai, le Conseil « affaires étrangères », où je représentais Laurent Fabius, a donc étendu les sanctions à 13 nouveaux ressortissants russes et, pour la première fois, à des entités commerciales situées en Crimée. Nous n’excluons pas que des sanctions supplémentaires soient prises contre la Russie s’il était démontré qu’elle tente de perturber le processus électoral du 25 mai.

Pour autant, nous pensons que la solution de la crise ne peut qu’être diplomatique. Seul un dialogue politique permettra d’assurer des relations pacifiques entre l’Ukraine et la Russie.

L’Union européenne est ainsi mobilisée pour mener des négociations sur l’énergie, et en particulier sur la fourniture de gaz à l’Ukraine par la Russie. La Russie passera au système de prépaiement en Ukraine à partir du 1er juin. L’Union européenne tente donc de résoudre le différend entre les deux pays sur le prix du gaz.

J’en viens à la politique intérieure de l’Union européenne, en commençant par l’enjeu décisif de la politique énergétique commune.

Le sujet a été à l’ordre du jour du Conseil européen de mars, et le sera à nouveau en juin. La crise ukrainienne souligne en effet davantage encore la nécessité d’assurer la sécurité de l’approvisionnement de l’Union et d’affirmer la solidarité entre les différents États membres.

Or cette question de la politique énergétique commune est fortement liée à celle du changement climatique, et nous souhaitons donc qu’elles soient appréhendées ensemble.

Pour l’instant, les travaux du Conseil s’articulent autour de trois enjeux.

Le premier est la préparation d’un accord pour le régime post-2020 à l’horizon 2030, sur la base des propositions de la Commission de réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre et de porter à 27 % la part des énergies renouvelables. Cela implique de bien évaluer les conséquences de cette politique pour chaque État membre, de s’accorder sur le partage de l’effort, de prendre des mesures afin d’éviter les fuites de carbone et d’assurer la compétitivité de nos industries énergivores, et de revoir, à partir de juillet, la directive sur l’efficacité énergétique.

Le deuxième est la préparation d’objectifs spécifiques d’interconnexions – un sujet auquel le Portugal et l’Espagne, « îlots énergétiques », attachent beaucoup d’importance, de même que les pays de l’est de l’Europe, exposés à des risques de coupures dans la livraison de gaz. Il convient d’investir ensemble dans des réseaux permettant d’assurer les échanges énergétiques entre les différents pays de l’Union.

Enfin, le troisième est l’adoption d’un plan d’action en matière de sécurité et de dépendance énergétique. Les pistes explorées portent sur les mesures d’efficacité énergétique, la diversification des sources d’approvisionnement ou les mécanismes de solidarité tels que l’achat groupé. C’est dans ce contexte que les échanges entre le Président de la République et le Premier ministre polonais ont permis d’enregistrer des avancées et de proposer des pistes très concrètes.

Deux points me paraissent devoir être soulignés.

D’abord, nous voulons que le Conseil européen de juin ne soit pas seulement une étape procédurale, mais l’occasion pour les pays membres de s’engager sur des objectifs concrets. Nous voulons en effet être prêts à prendre des décisions lors du Conseil européen d’octobre, mais aussi présenter une position commune dans le cadre de la réunion organisée en septembre par le Secrétaire général des Nations unies, à New York. Nous devons aussi aboutir à un accord international ambitieux lors de la COP 21 qui se tiendra à Paris en 2015.

Ensuite, et je l’ai dit, nous plaidons auprès de nos partenaires pour que soient traitées ensemble la question de la sécurité de l’approvisionnement et celle de la lutte contre le changement climatique. Tous les pays, en effet, sont concernés par ces deux dimensions. Même si nous comprenons l’urgence de prendre des dispositions au bénéfice des États très dépendants d’un seul fournisseur – certains importent de Russie la totalité de leur gaz –, tout le monde doit prendre sa part dans le mouvement de transition énergétique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Le troisième sujet que je souhaitais évoquer, c’est bien sûr notre priorité consistant à remettre la croissance et l’emploi au cœur de l’agenda européen. Cette préoccupation figure d’ailleurs au premier rang de celles qui inspirent l’action du Président de la République et du Gouvernement depuis maintenant deux ans.

Beaucoup a été fait : l’euro, qui était, il y a peu encore, menacé d’implosion, a été sauvé ; les deux premiers piliers de l’Union bancaire, relatifs à la supervision et à la résolution, ont été adoptés par le Parlement européen sortant ; les capacités d’intervention de la Banque européenne d’investissement ont été augmentées de 10 milliards d’euros, ce qui donne à l’Union la possibilité d’investir 60 milliards d’euros supplémentaires, et se traduit en France par une augmentation du volume de prêts, lesquels passent de 4,5 à 7,8 milliards d’euros en 2013, au bénéfice notamment les petites et moyennes entreprises, du plan campus et du plan Hôpital avenir ; les premiers project bonds ont été lancés par la BEI, avec bientôt un projet français ; des avancées ont été obtenues en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, grâce à un accord sur les échanges automatiques de données, et de lutte contre le dumping social, via la directive sur le détachement des travailleurs ; une « garantie jeunesse » est créée, adossée à un fonds de 6 milliards d’euros, afin d’accompagner les jeunes vivant dans les régions où le taux de chômage est supérieur à 25 % et de les aider à trouver un emploi, une formation ou une qualification.

Ces grands chantiers doivent encore connaître des développements importants dans les prochains mois.

Sur l’union bancaire, suite à l’accord sur les textes relatifs au mécanisme de résolution unique, le Conseil devra adopter dès cet été un acte d’exécution pour répartir entre les banques européennes leur contribution à la constitution du fonds de résolution. Ensuite, il nous faudra doter l’union bancaire de son troisième pilier, c’est-à-dire d’un mécanisme européen de garantie des dépôts. Il s’agit d’aller au bout de notre démarche de sécurisation et de régulation, d’éviter que puisse se reproduire une crise similaire à celle que nous avons connue en 2008, et de s’assurer que la spéculation ne pourra plus avoir de prise sur le système bancaire et financier en Europe.

Le renforcement de la zone euro est aussi pour nous une priorité. Le sujet a d’ailleurs été au centre des rencontres entre le Président de la République et la chancelière Angela Merkel, ainsi que du dernier conseil des ministres franco-allemand. Nous souhaitons pour la zone une gouvernance renforcée, un président stable, une dimension parlementaire, mais aussi, à terme, une capacité financière, comme l’a proposé le Président de la République. Cette gouvernance rénovée devra permettre à ce qui constitue le cœur de l’Union de soutenir les investissements et la croissance, mais aussi de rechercher une convergence sociale et fiscale.

Concernant la taxe sur les transactions financières, un accord a été trouvé entre dix pays. Elle s’appliquera à partir du 1er janvier 2016 aux transactions portant sur les actions et certains dérivés. L’objectif est que d’autres pays viennent progressivement se joindre à cette initiative.

La présidence italienne, qui débute le 1er juillet, constitue une opportunité pour ce qui concerne la priorité donnée à la croissance et à l’emploi, comme j’ai pu le constater lors de mon déplacement à Rome le 23 avril dernier.

De ce point de vue, le Conseil européen d’octobre, traditionnellement dédié aux questions économiques, sera un rendez-vous important. Certes, la question des contrats de partenariat et des mécanismes de solidarité associés figure à son agenda. Mais la présidence italienne – et nous partageons sa préoccupation – voudrait également faire de ce sommet un « Conseil européen de l’économie réelle », destiné à concentrer tous les efforts sur une croissance encore trop faible. Ce sera également une bonne occasion de revenir sur les enjeux industriels, l’objectif étant de porter à 20 % du PIB européen la part de l’industrie dans l’économie. Toutes les politiques européennes doivent y concourir, y compris la politique de la concurrence et la politique commerciale.

De même, nous devons prolonger l’action engagée dans des domaines essentiels pour l’avenir, comme le numérique ou la défense.

J’en viens aux négociations sur le partenariat commercial transatlantique, lesquelles doivent être à la fois abordées de façon pragmatique et fondées sur des principes. Un partenariat commercial entre l’Union européenne et les États-Unis présente un intérêt économique dans la mesure où il offrira aux entreprises européennes et françaises la possibilité de pénétrer davantage sur le marché américain. C’est vrai dans une multitude de secteurs, qu’il s’agisse de l’agriculture – je pense ainsi aux produits laitiers, pour lesquels le marché américain est d’un accès peu aisé –, de l’industrie ou des marchés publics, encore très fermés, au niveau fédéral comme à celui des États. La négociation vise donc à réduire les barrières, tarifaires ou techniques, qui font obstacle aux échanges commerciaux.

Mais nous sommes attentifs à ce que soit conservée la capacité normative de l’Union européenne en matière de protection des consommateurs ou de sécurité sanitaire des aliments. Comme l’a rappelé la secrétaire d’État au commerce extérieur, nous n’accepterons évidemment pas que soient remises en cause l’interdiction du bœuf aux hormones ou celle du poulet chloré. De même, nous avons été très fermes en matière de protection de la diversité culturelle, et c’est pourquoi les services audiovisuels ont été exclus de la négociation. Nous sommes prêts à discuter de l’adoption de normes industrielles communes afin de favoriser les échanges commerciaux, mais sans compromettre nos grandes préférences collectives.

Par ailleurs, nous considérons que la négociation doit être menée dans la transparence. Non seulement nous plaidons en ce sens auprès de la Commission européenne, mais nous informerons le Parlement de chaque étape de la discussion.

Rappelons en tout état de cause que cet accord, lorsqu’il sera établi, ne pourra entrer en vigueur qu’après avoir été signé et ratifié par tous les États membres, et une fois recueillie l’approbation des parlements nationaux comme du Parlement européen. Le contrôle démocratique sera donc assuré.

Vous avez parfaitement raison, monsieur le président, de souligner la nécessité pour l’Union européenne de continuer à faire de la politique de voisinage en direction du sud une priorité. Nous sommes désireux de maintenir l’équilibre trouvé lors de l’adoption du budget pluriannuel de l’Union, qui consacre aux pays situés au sud de la Méditerranée deux tiers du financement de la politique de voisinage. Au moment où les printemps arabes ont permis à certains pays comme la Tunisie de franchir des étapes très importantes en direction de la stabilité politique, il est en effet indispensable de soutenir leur développement. La future présidence italienne y attache également une très grande importance. Il faut développer les ambitions de l’Union pour la Méditerranée, investir en commun dans des secteurs d’avenir comme l’énergie, les échanges culturels et la formation des jeunes, mais aussi aider les pays concernés à faire face aux questions migratoires, notamment grâce au renforcement de l’agence Frontex.

Vous avez évoqué, monsieur le président, le lien entre politique de voisinage et élargissement. Pour nous, il s’agit clairement de deux politiques différentes. La première est nécessaire dans la mesure où elle contribue à la paix, à la sécurité et à la stabilité, mais elle ne doit pas être confondue avec la seconde.

S’agissant de la Turquie, les négociations en vue d’une adhésion ont été entamées en 2005, et un certain nombre de chapitres ont été ouverts. Le pays enregistre des progrès dans certains domaines, mais sur d’autres plans, les choses n’ont pas beaucoup avancé. Compte tenu des difficultés qu’il rencontre, le pays est encore très loin de voir aboutir la procédure, dont personne ne peut prédire quelle en sera l’issue. La priorité, pour l’Union européenne, est de connaître un approfondissement, d’améliorer sa cohésion, de devenir un espace de croissance et de rechercher une convergence économique et sociale – quitte à prendre le chemin d’une Europe différenciée si les pays souhaitant aller plus loin parviennent à trouver la dynamique nécessaire.

Le Conseil européen de juin sera l’occasion de fixer des orientations pour l’établissement du programme « post-Stockholm », qui couvre, pour les cinq prochaines années, toutes les politiques qui relèvent du champ de la justice et des affaires intérieures. Au sujet du parquet européen, qui fait partie des projets importants, notons qu’une large majorité d’États membres s’est ralliée à notre position en faveur d’un fonctionnement collégial.

Je ne saurais conclure sans évoquer la question de la défense, l’actualité des derniers mois ayant montré la nécessité, pour l’Europe, de se doter d’une véritable politique de sécurité et de défense commune (PSCD).

Le Conseil européen de décembre 2013 a fixé trois priorités : l’amélioration des capacités européennes en matière de défense, notamment par un investissement accru dans certains armements modernes comme les drones ; un soutien européen plus marqué à l’industrie de défense, en particulier en matière de recherche et développement ; une réflexion sur le renforcement de l’efficacité des missions de PSDC et sur la refonte de leur mode de financement. La mise en œuvre de ces conclusions doit être notre priorité.

La situation en Afrique, et en particulier au Mali, nous a conduits à mobiliser nos partenaires, lesquels sont désormais à nos côtés dans le cadre de la mission de formation de l’armée malienne, EUTM Mali. La brigade franco-allemande est également déployée dans ce pays. Quant à la crise ukrainienne, elle n’a fait que souligner la nécessité pour l’Europe de se doter d’une politique étrangère et de défense autonome, même si elle continuera évidemment à travailler dans le cadre de l’OTAN.

Tels sont les sujets que je souhaitais aborder en introduction à cet échange. Vous pouvez compter sur mon engagement et ma mobilisation à vos côtés pour faire avancer la construction européenne, plus indispensable que jamais, et relever les défis qui se présentent à nous.

M. Michel Destot. Tout le monde reconnaît depuis très longtemps l’intérêt pour l’Union de se doter d’une politique énergétique commune, mais on ne voit pas bien comment elle pourrait y parvenir.

En effet, s’il existe une demi-douzaine de pays européens totalement dépendants des ressources énergétiques de la Russie, et une douzaine qui le sont partiellement, les autres ne partagent pas cette préoccupation. De même, la volonté de réduire les émissions de gaz à effet de serre est plus marquée dans les pays d’Europe du Nord que dans ceux de l’Est ou du Sud. Enfin, sur le plan de la politique énergétique, il n’existe pas de pays plus dissemblables que l’Allemagne et la France, ce qui les empêche de jouer un rôle moteur dans l’adoption d’une politique énergétique commune : la première est en effet sortie du nucléaire et a désormais recours au charbon. Dans ces conditions, quelle stratégie pourrions-nous adopter ?

Ma deuxième question concerne l’organisation du ministère des affaires étrangères après le rattachement du secrétariat d’État au commerce extérieur. Le commerce extérieur, en effet, ne concerne pas seulement nos relations économiques avec les États-Unis, la Chine ou les pays émergents, mais aussi, et pour une grande part, le marché européen lui-même. Comment se joue la diplomatie économique en Europe compte tenu de cette nouvelle organisation ?

M. Axel Poniatowski. Merci, monsieur le ministre, de votre exposé très complet, qui a couvert sur un spectre très large les discussions en cours. Nous pouvons cautionner vos positions sur de nombreux sujets, qu’il s’agisse de la politique énergétique commune, de votre approche du partenariat atlantique ou de la politique de voisinage avec les pays du Sud. Je me réjouis de constater qu’on s’intéresse davantage aux problèmes de défense qui, bien qu’essentiels, ont été trop délaissés dans les discussions strictement européennes – on voit bien aujourd’hui que l’Europe est inexistante dans ce domaine et que l’« Europe de la défense » ne désigne, en fait, que la France et la Grande-Bretagne. J’espère que vous parviendrez à sensibiliser l’Allemagne et d’autres pays de l’Union européenne, mais c’est là une tâche difficile.

En revanche, le groupe auquel j’appartiens ne peut évidemment pas souscrire aux conditions que vous évoquez pour le retour de la croissance. C’est là un point de complète divergence avec vous – ce serait trop beau si cela pouvait ne se faire qu’au niveau de l’Union européenne : la problématique est avant tout française et il s’agit de permettre à nos entreprises de redevenir compétitives ce qui n’est nullement l’orientation prise aujourd’hui par le Gouvernement.

Vous n’avez pas répondu à la question que vous a posée tout à l’heure M. Pierre Lequiller sur la Turquie. Ce n’est pourtant pas compliqué : à quatre jours des élections européennes, cela intéresse beaucoup les Français de savoir quelle est, in fine, la position du Gouvernement. La négociation est certes encore en cours et certains chapitres n’ont pas étés ouverts, tandis que d’autres sont bloqués, mais souhaitez-vous – oui ou non – qu’à l’issue des négociations, la Turquie intègre l’Union européenne ? Du reste, comme dans le cas du partenariat transatlantique, cette intégration serait soumise à référendum, comme le prévoit désormais la Constitution. Il ne vous est donc pas difficile de répondre à la question : quel est le souhait du Gouvernement sur ce sujet ?

Quelle est, par ailleurs, la position du Gouvernement quant au choix du président de la Commission européenne ? S’agira-t-il automatiquement du représentant de la tendance qui arrivera en tête des élections européennes – M. Juncker ou M. Schulz ? Estimez-vous plutôt qu’à l’issue des élections, le Conseil européen pourrait faire un autre choix et présenter une autre proposition au Parlement européen ?

Pourquoi, enfin, M. Laurent Fabius, qui a déclaré voici quelques heures que la jeune Leonarda et sa famille n’avaient pas leur place en France, a-t-il tenu ces propos contredisant la position et la parole du Président de la République, qui avait déclaré que cette jeune fille était la bienvenue, mais pas sa famille ?

M. Philippe Baumel. On ne voit guère se mettre en chantier une politique commune de l’énergie, en particulier pour ce qui concerne son volet industriel. Il faut notamment, dans le domaine des énergies nouvelles et durables, construire des filières pour le solaire et l’éolien et nous avons besoin de partenariats entre de grands groupes européens pour que ce processus soit efficace et compétitif à l’échelle internationale, mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. De quelles capacités disposons-nous pour organiser de telles filières à l’échelle continentale ?

Quelles sont par ailleurs les perspectives de la politique de voisinage avec le Sud, particulièrement avec les pays du Maghreb – l’Algérie, le Maroc et la Tunisie ? Dans leur recherche de partenariats nouveaux, notamment pour la création d’infrastructures nouvelles, ces pays, qui rencontrent chacun des difficultés différentes, ont malheureusement tendance, du fait d’un déficit de dialogue avec l’Europe – et même parfois avec la France –, à se tourner vers d’autres partenaires, comme des pays du Moyen-Orient ou la Chine. Il nous faut donc renforcer nos capacités d’offre et de dialogue avec ces pays. Pouvons-nous aujourd’hui envisager une nouvelle étape de cette politique de voisinage, qui conforterait ces relations et nous placerait dans une dynamique gagnant-gagnant, ouvrant des perspectives de développement et d’emploi des deux côtés de la Méditerranée ?

M. Boinali Said. Compte tenu de la diversité des situations africaines liées notamment aux problèmes de sécurité, de développement et de migration, pouvez-vous nous éclairer sur les orientations de la politique africaine de l’Europe, notamment vis-à-vis de l’Afrique australe et de la zone de l’océan Indien ?

M. Pierre-Yves Le Borgn’. Monsieur le ministre, je vous remercie pour le large panorama que vous venez de nous présenter des sujets européens et vous félicite de votre maîtrise de ces sujets.

À quelques jours d’élections européennes dont le résultat pourrait, selon les sondages, se jouer à quelques sièges, pouvez-vous nous indiquer quelle serait la position de la France dans l’hypothèse où le résultat serait serré et où un ou plusieurs États membres refuseraient de tenir compte du résultat des élections pour désigner le président de la Commission et définir l’orientation politique de celle-ci pour les cinq prochaines années – puisque tel est désormais le cadre juridique posé par le traité de Lisbonne ? La presse se fait ainsi l’écho de l’immense scepticisme du Premier ministre britannique quant à une désignation – qu’il s’agisse de celle de Martin Schulz ou de celle de Jean-Claude Juncker – qui épouserait une logique pro-européenne, ou même fédéraliste. De même, depuis le traité de Lisbonne, la chancelière Angela Merkel a toujours manifesté peu d’enthousiasme à l’idée que la nomination du président de la Commission européenne pourrait être une émanation du scrutin européen. Quelle serait donc la position de la France dans l’hypothèse d’un blocage, en particulier si le Parlement européen nouvellement élu se rebellait contre le Conseil ? C’est là une question à laquelle nous devons préparer.

Nous ne devons pas nous retrouver une fois encore avec le plus petit dénominateur commun désigné par le Conseil européen, sans lien avec élections européennes, car il s’agit de réorienter la conception européenne dans le sens de la croissance et de l’emploi.

Par ailleurs, comment entendez-vous aider la France à mieux appliquer le droit européen ? De fait, notre pays se classe à cet égard parmi les derniers dans le rapport annuel sur l’application du droit de l’Union. Nous avons beaucoup à faire en la matière – je pense en particulier à la directive Nitrates, au titre de laquelle, depuis plus de vingt ans, la France est régulièrement condamnée à payer des astreintes par la Cour de justice européenne. Il en va de même dans d’autres domaines, comme la reconnaissance des diplômes ou la fiscalité. Que pouvons-nous faire pour mieux appréhender la réalité du droit européen et, surtout, pour la faire entrer dans la pratique de nos administrations et de notre vie civile ?

M. le secrétaire d’État. Pour ce qui est, monsieur Destot, de la politique énergétique, il faut d’abord rappeler que la situation du mix énergétique est très différente dans les différents États membres, car l’Union laisse chaque pays libre à l’égard, par exemple, du choix du nucléaire, et parce que les dépendances sont différentes en matière d’approvisionnement.

Deux enjeux sont cependant communs. Le premier consiste à assurer la solidarité entre les États membres en développant ensemble des interconnexions, au moyen par exemple de gazoducs permettant des livraisons de l’Ouest vers l’Est, en direction des pays d’Europe centrale et orientale, notamment de la Pologne, et non pas seulement de l’Est vers l’Ouest. J’ai également évoqué tout à l’heure la question de la connexion à l’électricité dans la péninsule ibérique. Il faut créer une solidarité européenne en matière d’énergie, et non pas seulement un marché européen de l’énergie, et assurer une plus grande indépendance énergétique en développant des ressources parfois désignées comme « indigènes ».

Ces ressources peuvent être très variées – dans certains pays, on pense au gaz de schiste ou au charbon, mais il peut s’agir également des sources d’énergies renouvelables, comme la géothermie, le solaire ou l’éolien, qui permettent également d’accroître l’indépendance énergétique de l’Union européenne.

Cependant, la principale source d’indépendance énergétique reste probablement l’efficacité énergétique, c’est-à-dire la capacité à consommer moins d’énergie. Des évaluations sont en cours à cet égard, mais on sait déjà que, si toute l’Europe se mobilise conjointement au cours des prochaines années pour l’isolation thermique des logements et des bâtiments, il y a là un potentiel considérable d’activité économique et de création d’emplois – de l’ordre de un million – difficilement délocalisables, car cette activité fait appel à de petites entreprises et à des matériaux que nous pouvons fabriquer nous-mêmes.

Le deuxième enjeu commun à tous les pays de l’Union est la lutte contre le changement climatique et la réduction de l’émission de gaz à effet de serre. C’est là encore un objectif à partager. À cette fin, il faut nous donner des cibles – 40 % de réduction des émissions de gaz et 27 % d’énergies renouvelables –, mais surtout des instruments, et investir ensemble. Ainsi, comme l’indique le document que nous soutenons ensemble auprès de nos partenaires, la Pologne propose que nous utilisions davantage les fonds structurels européens pour soutenir ses objectifs de politique énergétique commune : alors qu’en règle générale, un projet financé avec des fonds européens suppose des financements nationaux à hauteur de 50 % du total, on pourrait imaginer que, pour des projets destinés à bâtir des infrastructures de transport d’énergie et d’interconnexions, la part de financement européen pourrait être portée à 70 %, permettant, puisqu’il s’agit d’investissements européens, d’utiliser à plein les capacités d’investissement européennes sans contraindre les États membres à trouver des ressources dans leurs budgets nationaux.

Nous voulons également, comme l’indiquent les conclusions du dernier conseil des ministres franco-allemands, investir davantage ensemble dans la recherche et l’innovation dans le domaine de l’énergie, notamment dans le stockage de celle-ci, qui sera l’un des éléments essentiels du développement du véhicule électrique. À ce propos, nous devons nous fixer pour objectif de tracer des autoroutes électriques, c’est-à-dire de faire en sorte que toutes les grandes liaisons autoroutières européennes disposent de bornes de rechargement électrique respectant les mêmes normes européennes, afin que le véhicule électrique ne soit pas utilisé seulement pour le transport de proximité, mais pour une utilisation ordinaire.

Ces domaines doivent être couplés avec une ambition industrielle. Nous sommes convaincus que, si nous pouvons, notamment au moyen des budgets de soutien à la recherche et à l’innovation, encourager les industriels des différents pays européens à mettre ensemble leur capacité dans ces domaines, nous construirons des géants industriels qui permettront de répondre aux besoins nouveaux de l’Europe de l’énergie, qui est le grand projet européen des cinq prochaines années et doit être le cœur de la mobilisation européenne avec la prochaine Commission européenne.

Pour ce qui est de l’organisation du ministère, le rattachement du commerce extérieur au ministère des affaires étrangères et la volonté de mettre la diplomatie économique au cœur de nos affaires étrangères concernent aussi le secrétariat d’État aux affaires européennes. Nous travaillons en étroite liaison avec la secrétaire d’État au commerce extérieur et au tourisme et, à chacun de mes déplacements, comme la semaine dernière à Varsovie, je rencontre la communauté d’affaires française, avec laquelle nous travaillons à développer la présence des entreprises françaises sur le marché européen, car nous avons des capacités, des savoir-faire et des technologies qui peuvent répondre à de nombreux besoins. C’est également le cas dans la politique de voisinage : j’ai eu l’occasion de rencontrer à Bruxelles les représentants des différents secteurs économiques de la France, qui sont également très présents auprès des institutions européennes, et nos entreprises ont beaucoup à apporter à cette politique par la qualité de leurs services.

Monsieur Poniatowski, je vous remercie de vos commentaires sur les objectifs que nous pouvons partager. Du reste, même le point que vous avez évoqué comme un point de différence n’est pas un point de contradictions, car nous sommes nous aussi pleinement convaincus que la politique de soutien à la croissance tient à la fois à la politique qu’il faut mener en France et au soutien à la croissance en Europe. Nous sommes à cet égard pleinement mobilisés grâce au pacte de responsabilité, pour renforcer la compétitivité des entreprises françaises et leur capacité à investir et à moderniser leur outil de production, pour rattraper notre retard dans ce domaine et pour gagner la bataille de l’innovation, car c’est ce qui nous permettra de gagner la bataille de l’emploi. Cependant, nous voulons aussi que, soient créées sur le plan européen les conditions du soutien à la croissance, car les politiques d’austérité très durement imposéed après la crise de 2008 ont finalement aggravé la récession. Il faut donc à la fois nous employer à la consolidation budgétaire dans chacun de nos pays et réduire les déficits et les endettements, et le faire à un rythme et dans des conditions compatibles avec le soutien à l’économie réelle, c’est-à-dire aux entreprises, aux ménages et à la relance de la croissance. Sur ce point donc, nous ne divergeons pas.

Pour ce qui est de la Turquie, il me semble avoir déjà répondu à votre question. Le processus suit son cours. Certains chapitres sont ouverts, comme celui consacré à la politique régionale, qui a été ouvert à la demande de la France, et d’autres ne le sont pas. Ce processus de modernisation permet à la Turquie de faire des progrès.

En revanche, dans de nombreux domaines liés au droit, aux libertés et à la justice, la Turquie est encore très loin de répondre aux critères européens. Il n’y a pas aujourd’hui de perspective de voir déboucher rapidement ce processus. En outre, comme vous l’avez rappelé, si cette question se posait, elle donnerait lieu à un référendum. Au demeurant, elle n’est pas d’actualité et ne le sera pas au cours du prochain mandat de la Commission européenne.

Nous souhaitons cependant entretenir de bonnes relations avec la Turquie, qui est un partenaire important sur le plan stratégique dans la région méditerranéenne, face aux troubles que connaît son voisinage – en Syrie, mais aussi en Libye, la Turquie peut jouer un rôle de stabilité important.

La Turquie est également pour la France un partenaire économique très important, lié avec nous par une union douanière et avec lequel les relations doivent se poursuivre, en souhaitant que ce pays connaisse une démocratisation continue au cours des prochaines années.

La position des autorités françaises quant à la présidence de la Commission européenne a été exprimée très clairement par le Président de la République dans sa tribune du 8 mai, où il a rappelé que pour la première fois, en élisant le Parlement européen, les électeurs allaient également désigner le futur président de la Commission européenne en vertu de l’article 17 du traité de Lisbonne, qui dispose que le Conseil propose un candidat à la présidence de la Commission en tenant compte du résultat des élections européennes, c’est-à-dire de la formation politique que le vote des citoyens européens a portée en tête.

Telle est bien la dynamique de cette élection, durant laquelle des débats entre les cinq candidats des partis européens ont été retransmis dans l’ensemble des pays de l’Union européenne. Il faut souhaiter que le prochain président de la Commission européenne soit une personnalité forte, issue de ce soutien citoyen, et que s’établissent entre lui et le Conseil européen des relations de travail. Autant que le choix du futur président, qui relèvera pour l’essentiel du résultat de l’élection, il faudra engager, dès le lendemain de celle-ci et du choix du candidat, qui sera soumis vote du Parlement européen, un débat sur les priorités de la future Commission européenne. La France juge essentiel que la future présidence de la Commission et le futur collège des commissaires travaillent selon une feuille de route qui soit celle d’une ambition pour l’Europe – ambition de croissance et d’emploi et ambition de développer l’Europe de l’énergie et de la défense, dont vous avez souligné l’importance et l’urgence – certains de nos partenaires ont encore besoin d’en être convaincus.

Quant à la déclaration du ministre des affaires étrangères, elle ne présente pas de contradiction avec ce qui avait été dit, car elle prend simplement en compte l’évolution de la situation cette famille. Le ministre s’est borné à rappeler que, s’il y avait tentative de fraude, la réponse ne pourrait être que négative. Cette question est maintenant derrière nous.

Monsieur Baumel, vous m’avez interrogé sur les alliances entre groupes européens. De fait, si nous n’avons pas de stratégie industrielle commune dans le domaine du solaire, aussi ambitieux que soient nos objectifs, ce seront des industriels chinois qui capteront ce marché. Ce serait un paradoxe, car nous avons les savoir-faire et les technologies, mais n’avons pas été capables de protéger nos industriels par une politique commerciale et de les inciter à constituer des alliances. La France est évidemment favorable à des regroupements industriels, car le marché européen est, en termes généraux, le premier marché mondial mais, à la différence du marché américain ou chinois, il est très morcelé et il ne suffit pas de fixer des règles de libre circulation des biens, des services et des capitaux : il faut aussi aider à constituer des géants industriels.

La doctrine de la concurrence de l’Union européenne doit prendre en compte le fait que, bien que certains regroupements semblent occuper des positions très fortes sur le marché européen, il convient de les rapporter au marché mondial, car ils doivent permettre à des industries européennes de continuer à faire face à la concurrence mondiale. Ainsi, nul ne remettrait aujourd’hui en cause la pertinence de la constitution du groupe Airbus. Celui-ci a certes une position dominante en Europe mais, face à un concurrent tel que Boeing, il était important que les industries aéronautiques française, allemande, britannique et espagnole se regroupent pour créer un géant européen capable de faire face à la concurrence à la fois au niveau mondial et au niveau européen. Dans le domaine de l’énergie, c’est à cette échelle que se constitueront les groupes du futur. Je partage donc pleinement votre préoccupation à cet égard.

La politique de voisinage doit permettre aux pays du Maghreb de développer encore leurs relations avec l’Union européenne. J’ai participé la semaine dernière à Bruxelles à une réunion du conseil d’association avec l’Algérie, représentée par son ministre des affaires étrangères. Les accords privilégiés que nous avons noués l’Algérie, ainsi qu’avec le Maroc et la Tunisie, portent sur les échanges commerciaux, mais aussi culturels et technologiques. La rive Sud de la Méditerranée est notre partenaire le plus étroit pour l’avenir.

L’Afrique est confrontée de très grave crise, à une très grande instabilité et à des risques de terrorisme, comme on le voit au Nigéria et comme on l’a vu au Mali, mais ce continent possède également une formidable dynamique de croissance, avec une jeunesse qui accède à des niveaux de formation de plus en plus élevés et qu’il ne faut pas laisser partir se former ailleurs, par exemple aux États-Unis ou au Canada. Vous avez souligné à juste titre qu’il ne fallait pas laisser les investisseurs chinois, indiens latino-américains exploiter seuls ce potentiel de développement. L’Afrique a envie de renouveler ses relations avec l’Europe, mais il faut pour cela nouer une alliance euro-africaine qui contribue au développement de ce continent tout en se révélant très bénéfique pour notre propre croissance.

Monsieur Saïd, nous avons demandé à nos partenaires et à la Commission européenne, et obtenu d’eux, que la politique africaine de l’Europe lie en permanence trois grandes dimensions : la sécurité et la stabilité, les échanges commerciaux et la démocratie. C’est en avançant selon ces trois dimensions que nous pourrons faire face à des crises comme celle qu’a connue le Mali, où il nous a fallu répondre à une situation sécuritaire et assurer l’organisation d’élections démocratiques, et où il nous faut maintenant être présents, même si tous les problèmes de sécurité ne sont pas encore réglés dans le Nord, pour accompagner le développement économique et les échanges commerciaux. C’est parce que ces trois pieds seront solides que la situation s’améliorera.

Monsieur Le Borgn’, vous avez vous aussi demandé quelle serait la position de la France en cas de blocage dans la désignation du président de la Commission européenne au lendemain des élections. En réalité, il nous faut souhaiter qu’il n’y ait pas de crise institutionnelle entre le Conseil européen et le Parlement européen à l’issue des élections et que le Conseil européen, qui a la prérogative de désigner le candidat à la présidence de la Commission, tienne compte du résultat de l’élection, comme le prévoit le traité, et engage avec le futur président de la Commission européenne une relation de travail sur les priorités des cinq prochaines années. Le président de la Commission européenne doit avoir une forte légitimité et doit pouvoir s’appuyer sur une bonne relation avec le Parlement européen pour donner les impulsions nécessaires.

Quant à savoir comment assurer une meilleure transposition des directives, c’est sans doute en travaillant plus étroitement encore avec l’Assemblée nationale. Je propose que nous fassions régulièrement le point sur l’état des transpositions.

L’Europe doit être efficace sur les grands enjeux tels que la politique énergétique, le soutien à la croissance et les politiques de défense, de voisinage et de sécurité, mais elle doit aussi être moins tatillonne sur certains sujets. S’il est normal que l’Europe ait édicté des normes en matière environnementale, comme elle l’a fait à propos des nitrates, il n’était pas indispensable que certaines directives soient surtransposées – je pense notamment aux élevages de porcs en Bretagne. Il faut bien transposer et les normes européennes doivent être utiles à l’intérêt commun européen, mais nous n’avons pas besoin de directives européennes réglementant la façon de servir l’huile d’olive dans les restaurants ou la taille des concombres.

Ce que l’on attend aujourd’hui de l’Union européenne, c’est qu’elle nous aide à faire face ensemble aux grands défis que chacune de nos nations doit surmonter et que nous serons plus forts pour surmonter ensemble, à 28, que séparément. Il s’agit là, bien évidemment, de l’un des grands enjeux du rendez-vous de dimanche prochain, auquel il nous faut tous, au-delà de nos différences, inviter les Français à participer massivement pour donner du poids à la voix de la France en Europe.

M. Michel Vauzelle, président. Monsieur le ministre, vous avez répondu avec précision à chacun des orateurs, et je vous remercie. Nous souhaitons vous voir souvent ici, comme vous l’avez proposé, pour répondre à nos questions.

La séance est levée à dix-sept heures quarante.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 21 mai 2014 à 16 h 30

Présents. - M. Philippe Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, M. Jean-Paul Dupré, Mme Marie-Louise Fort, M. Jean Glavany, M. Pierre-Yves Le Borgn', M. Pierre Lequiller, M. Jean-Philippe Mallé, M. Jean-René Marsac, M. Patrice Martin-Lalande, M. Axel Poniatowski, M. Boinali Said, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle

Excusés. - Mme Danielle Auroi, Mme Élisabeth Guigou, Mme Chantal Guittet, Mme Françoise Imbert, M. Pierre Lellouche, M. François Loncle, M. François Rochebloine, M. François Scellier