Accueil > Travaux en commission > Commission des affaires étrangères > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires étrangères

Mardi 27 mai 2014

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 63

présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente, puis de Mme Odile Saugues, Vice-présidente

– Compte rendu du déplacement au Mali de MM. Pierre Lellouche et François Loncle, président et rapporteur du groupe de travail sur le Sahel

Compte rendu du déplacement au Mali de MM. Pierre Lellouche et François Loncle, président et rapporteur du groupe de travail sur le Sahel

La séance est ouverte à seize heures trente.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Mes chers Collègues, la réunion de cette après-midi est consacrée au déplacement effectué la semaine dernière, au Mali, par Pierre Lellouche et François Loncle, respectivement président et rapporteur du groupe de travail sur la situation au Sahel.

Vous savez tous que notre commission suit avec attention les événements de la région et notamment au Mali. Nous avons récemment entendu le ministre de la défense qui a fait le point sur l’opération Serval et nous a présenté le nouveau dispositif militaire dans la « bande sahélo-saharienne ». Mercredi dernier, nous avons également pu interroger le ministre des affaires étrangères sur les troubles frappant le Mali.

Car, en effet, votre déplacement a été concomitant de grave incidents survenus à Kidal, dans le nord du pays. Cette ville a vu s’affronter les forces armées maliennes aux groupes armés présents dans la ville depuis plusieurs mois. Peut-être aurez-vous l’occasion de revenir sur ces faits ainsi que sur les conséquences qu’ils ont eues ou auront ?

Nous serions également désireux d’avoir des précisions sur notre présence militaire dans la région. Je crois savoir que vous avez rencontré le commandant de la force Serval et que vous vous êtes rendus à Gao, là où nos principaux éléments sont basés. Où en est l’opération ? Dans quelles conditions se passe la traque des groupes terroristes ? Quelles difficultés rencontrent nos soldats dans un environnement extrêmement hostile ?

Enfin, il serait intéressant que vous fassiez le point sur la reconstruction du Mali. L’an dernier, vous aviez évoqué les élections qui devaient se tenir au cours de l’été. Aujourd’hui, le Mali est doté d’un président et d’un Parlement démocratiquement élus, un gouvernement est au travail. Vous deviez d’ailleurs rencontrer plusieurs ministres et hauts responsables du pays. Comment jugez-vous le fonctionnement de l’appareil étatique malien ? Avez-vous noté des progrès par rapport à votre dernière visite ?

De même, il y a un an, vous nous aviez fait part de l’enjeu de la participation des entreprises françaises à la reconstruction du Mali qui, on le sait, doit recevoir plus de 3 milliards d’euros d’aides de la part de la communauté internationale. Nos entreprises sont-elles présentes ? D’une manière plus générale, où en est l’économie malienne ?

Enfin, il me paraît indispensable de faire le point sur le processus de réconciliation. Les événements de Kidal de la semaine dernière montrent sa fragilité. A-t-il un avenir ? Plus largement, comment voyez-vous l’avenir du Mali et des Maliens ?

M. François Loncle, rapporteur. Nous étions sur place lorsque les très graves événements de Kidal se sont produits. Nous avons maintenu notre déplacement car la gravité des faits justifiait qu’il y ait un regard parlementaire sur cette crise. Notre programme a d’ailleurs été respecté totalement et même renforcé d’entretiens qui n’avaient pas été prévus initialement. Grâce à l’armée française, nous sommes allés à Gao, où la situation, comme à Tombouctou, est relativement calme, s’améliore depuis un an, et n’a rien à voir avec Kidal.

Quelques mots en premier lieu sur les événements de Kidal. Après être allé à Tombouctou, le Premier ministre, Moussa Mara, s’est rendu à Kidal le 17 mai, pour une réunion au gouvernorat puis il a rejoint le camp de la MINUSMA afin de quitter la ville en hélicoptère. Une fois le cortège parti du gouvernorat, ce dernier est tombé entre les mains de groupes armés. De violents combats ont eu lieu, une trentaine d’otages ont été pris, six préfets et sous-préfets ont été exécutés ; il y a eu 35 morts en tout. La MINUSMA a obtenu un cessez-le-feu et la libération des otages, mais cela a été un fiasco total pour les forces maliennes et le Mali, compte tenu de la volonté des autorités de remettre les choses en ordre dans cette zone. Je fais un aparté pour souligner que nous avons libéré trois régions où il y avait des terroristes. Kidal est resté aux mains du MNLA, mouvance armée qui lutte pour l’indépendance de l’Azawad. Faire de Kidal un cas particulier lorsque nous y avions des otages était compréhensible, c’était aussi utile pour les contacts que nous pouvions y avoir. Dès lors que cette question est réglée, il n’est plus compréhensible que l’on considère que Kidal doive rester toujours sous la coupe de cette mouvance et que la France et les Nations Unies s’abstiennent d’y mettre bon ordre. Le pouvoir malien nous reproche aujourd'hui notre inertie.

Le deuxième événement grave est intervenu mardi lorsque le pouvoir malien a essayé de laver cet affront en envoyant les forces armées, 1500 hommes. Cela a été fait dans l’improvisation la plus totale, les combats ont été engagés sans doute imprudemment. Cela s’est traduit par une débandade et les militaires se sont repliés sur Tombouctou et Gao. Le pouvoir dit que le feu vert du gouvernement n’avait pas été donné, mais on ne sait pas ce qu’il en est, et l’ONU a été critiquée, la France un peu aussi, pour n’avoir pas été suffisamment en appui. Tout cela est très mal vécu par tout le monde, car on a l’impression d’avoir reculé de quelques mois par rapport à tout le travail de la sécurisation de la région. La MINUSMA et les FAMA se renvoient la balle.

On assiste aussi à une résurgence de sentiments anti-français à cause de cet échec, de la part des jeunes, et même du pouvoir ; il y a des manipulations sur cette question et c’est un comble, lorsqu’on sait l’implication de notre pays au Mali ! Pierre Lellouche reviendra sur les dysfonctionnements divers, en posant la question de savoir si ce qui s’est passé n’est finalement pas un mal pour un bien.

S’agissant de Serval, les militaires ne sont plus que 1600, après avoir été 4000. Ils sont pour la plupart à Gao et vont être redéployés dans une configuration à venir sur la Bande Saharo-sahélienne, la BSS, comme Jean-Yves Le Drian l’a annoncé. C’est un nouveau dispositif qui concernera plusieurs pays, avec des pôles à N’Djamena et à Ouagadougou et non le seul Nord-Mali. Mille soldats seront à Gao.

Le gros d’AQMI a été éliminé, il y a eu quelque 1000 tués ; je rappelle qu’en 2012, on estimait qu’AQMI comptait environ 300 terroristes. Il y a eu dispersion des mouvances terroristes, afflux de ceux de Libye, qui ont profité du chaos pour essaimer dans le Nord Mali, dont Kidal, à 24 heures de la Libye.

S’agissant de l’armée, à titre personnel, compte tenu de ce que nous avons vu sur place, j’approuve totalement la lettre de Jean-Yves Le Drian sur le budget militaire : il faut respecter ce qu’il demande ou dire clairement que l’on n’est plus en mesure de faire d’OPEX.

Pour le reste, la question politique est extrêmement délicate : la gouvernance reste problématique, je renvoie à la question de l’achat du Boeing présidentiel, pointé par le FMI, à celle de la démission du Premier ministre Ly, qui avait une image d’intégrité. Cela fait des dégâts dans l’atmosphère de la politique intérieure malienne. Le nouveau Premier ministre en est conscient. Il faut mener à bien la lutte contre la corruption, procéder à la décentralisation, mener à bien la réconciliation qui devait intervenir selon les accords de Ouagadougou dans les 60 jours après l’élection présidentielle, mais qui n’a été qu’à peine entamée. Un haut représentant vient d’être nommé, qui s’est engagé à publier une feuille de route d’ici à dix jours pour lancer le processus et à engager avec les groupes armés, les populations du Nord, les Touaregs, un processus de négociation pour le développement. Mais il y a un retard considérable.

Le jugement global est que la France continue d’agir au mieux, elle a sauvé le pays. La communauté internationale s’est engagée, il faut que les responsables maliens soient attentifs aux attentes françaises et internationales qui sont des plus légitimes, compte tenu des moyens engagés, de nos morts aussi. Il n’est pas acceptable qu’il y ait ces manifestations contre notre pays, et que les retards soient aussi nombreux pour la réconciliation, comme pour le lancement des actions de développement.

M. Pierre Lellouche. Les incidents qui se sont déroulés à Kidal sont en réalité le reflet des problèmes auxquels l’Afrique centrale est confrontée depuis 60 ans et plaident pour une solution rapide de sortie de crise.

Cette zone échappe totalement au contrôle de l’armée malienne. Quant à l’armée française, elle s’est arrêtée aux portes de la ville, qui se trouve donc entièrement aux mains du MNLA. L’accord signé le 18 juin à Ouagadougou prévoyait certes le cantonnement des combattants du nord du pays et un redéploiement des forces de sécurité du Mali dans la zone, le tout sous l’encadrement de la MINUSMA et de la force française Serval. Mais la zone ne sera pas sous contrôle en l’absence d’un véritable accord avec le MNLA, qui seul pourra pacifier le pays.

La situation sécuritaire s’est améliorée depuis un an. Le pays reprend confiance et le Gouvernement ne veut qu’une chose, c’est « remonter le drapeau ». Mais cela suppose une réconciliation du Nord et du Sud et je ne suis pas certain que l’opinion malienne y soit favorable.

Nous avons entendu des versions contradictoires sur le déroulement de la visite du Premier ministre à Kidal et les raisons de son échec. Le Chef d’État-major de l’armée malienne a accablé les militaires français. Dans les faits, la force Serval est intervenue, à la demande des autorités maliennes, pour fournir une escorte armée à l’hélicoptère de la MINUSMA transportant le Premier ministre malien et sa délégation. Le 18 mai dans la matinée, la force a de nouveau escorté l’hélicoptère transportant la délégation officielle malienne sur son trajet retour vers Gao.

L’armée malienne, incapable d’une opération intégrée, a ensuite été envoyée à Kidal sans préparation, conduisant au désastre que l’on sait. L’échec de cette opération a signé le divorce patent des deux armées et renforcé le sentiment anti-français. La France est désormais considérée par une partie de la population comme complice des terroristes.

L’opération Serval doit théoriquement toucher à sa fin et les 1 600 hommes qui sont sur le terrain devraient désormais être affectés à la lutte contre les groupes armés terroristes (GAT). Mais la bascule du PC de Serval vers N’Djamena, qui était planifiée fin mai, a été reportée. La France risque donc de s’engluer dans ce conflit et d’être instrumentalisée à des fins politiques. Il nous faut à tout prix éviter qu’Ibrahim Boubacar Keïta nous utilise dans la lutte qui l’oppose aux Touaregs.

Que faire pour cela ? D’abord et avant tout, ne pas rester « mariés » avec la politique intérieure malienne, ce qui passe par le transfert de la responsabilité de ce dossier à l’ONU, qui d’ailleurs dispose des moyens financiers dont nous manquons. Ensuite, travailler à un plan de sortie de crise, surtout si nous voulons prendre part aux travaux du Département de la sûreté et de la sécurité (DSS) de la MINUSMA.

J’aimerais rapidement évoquer l’état préoccupant de nos forces armées. Notre matériel est ancien – à titre d’exemple, je rappelle que nos VAB ont 50 ans d’âge, et se dégrade vite. Ce n’est pas en réduisant les crédits du budget de la défense que nous pourrons les renforcer. Les VBCI n’ont toujours pas été livrés. Quant aux 500 millions d’euros de surcoût liés aux crises malienne et centrafricaine, ils ne sont pour l’heure pas budgétés.

Pour terminer, il semble que les Maliens aient décidé de sous-traiter leur sécurité à la France. Il me semble donc nécessaire de recadrer notre stratégie au Mali, sans quoi nous allons nous perdre dans un conflit qui risque de durer des années. Au passage, je souligne l’absence totale d’effets induits de l’intervention française sur la signature de contrats, que ce soit dans le domaine de l’énergie ou de l’eau. Faut-il rappeler à titre d’exemple que la fourniture de nourriture de la MINUSMA est assurée par une entreprise suisse ?

M. François Loncle, co-rapporteur. Je vais surtout soulever quelques questions. Nous sommes d’accord, avec Pierre Lellouche, sur beaucoup de points et nous faisons en sorte de restituer un compte rendu objectif de notre déplacement. Je ne partage pas tout ce qu’il a dit néanmoins. Je voudrais donc nuancer ou préciser certaines choses et expliciter mon point de vue.

Il y a nécessité à respecter ce qu’a dit et écrit Jean-Yves Le Drian; c’est très clair. Je ne comprends pas pourquoi nous avons décidé de laisser Kidal dans la situation où elle se trouve désormais. Le MNLA est un groupe armé particulier. Ce n’est pas AQMI, ce groupe décimé, venu de tous lieux, groupe international renforcé par l’opération libyenne. Le MNLA porte cet objectif spécifique qu’est l’indépendance du nord de cette région. Ce n’est pas AQMI qui est à Kidal. Pour autant, quand le MNLA agit de manière aussi radicale qu’à Kidal, il est rejoint par des groupes extrémistes tels que le Mujao et Ansar Eddine qui sont « anti-républicains », anti-Mali, anti-Français....

Je pense que le dispositif qui était mis en place était approprié en englobant plusieurs pays. On ne peut pas se désengager car cela ajouterait une difficulté supplémentaire à la reconstruction civilo-militaire. Il est vrai que les évènements de Kidal ont conduit le ministre de la Défense à repousser de quelques semaines la réorganisation du nouveau dispositif BSS. Il ne faut pas baisser les bras ni abandonner le terrain aux groupes armés.

Il me semble indispensable de relancer les efforts de médiation de pays tiers. Celle du Burkina Faso fut remarquable et a permis d’aboutir à l’accord de Ouagadougou, que le MNLA a violés. Il faut noter aussi que c’est le président mauritanien qui a obtenu un cessez-le-feu à Kidal. Des concours de cette sorte sont plus efficaces que l’intervention de la partie française.

Mme Odile Saugues, présidente. Je n’aurai qu’une question à Pierre Lellouche. Vous avez parlé des efforts de négociation qui n’ont pas été menés correctement. Pourriez-vous nous préciser qui étaient les négociateurs?

M. Pouria Amirshahi. Je formulerai deux remarques. Tout d’abord je veux réagir à ce qu’a dit M. Lellouche concernant les divisions au Mali. Le Mali n’est pas un pays opposant deux ethnies : les Bambaras et les Touaregs, c’est un pays multi-ethnique, incluant des arabes au sud de la «ligne» classique. C’est très important de le rappeler car si nous en avons conscience, nos propos peuvent être trop simplement interprétés. Cela explique d’ailleurs pourquoi 90 % de la population du Mali est très attachée à l’unité. Et ce n’est pas un hasard si 90 % de la population vit sur 10 % du territoire.

Ensuite, on pourra concevoir tous les dispositifs militaires - et je me demande ce que fait l’Union européenne pour nous soutenir dans nos efforts - que l’on n’arrivera à rien si nous ne conduisons pas une politique ambitieuse d’aide au développement.

M. Jacques Myard. Pour faire suite à ce qui vient d’être dit, plusieurs personnes s’interrogent sur la création d’un Etat au nord pour établir la paix : est-ce iconoclaste? N’y-a-t-il pas des précédents? La rivalité entre Touaregs et Bambaras n’est pas nouvelle ; certes il y a de nombreuses autres ethnies et des mariages mixtes, mais cela ne suffit pas.

M. Jean-Paul Bacquet. Il me semblait qu’il existait un axiome bien connu en matière d’intervention militaire : il faut partir le plus rapidement possible, les Américains l’ont appris en Somalie et je croyais que nous l’avions appris en Côte d’Ivoire. J’entends bien que rien ne bouge, les négociations sont bloquées, la décentralisation ne fonctionne pas ... , mais quand part-on?

Par ailleurs je constate moi aussi que l’Union européenne est absente et que nous sommes seuls.

Quant à l’aide au développement, nous avons rencontré à sa nomination la directrice générale, que nous n’avons pas vue depuis. Nous lui poserons la question demain: si on sait ce que font les forces françaises, on ne sait pas ce que fait l’AFD.

Je suis d’accord pour dire qu’il ne faut pas amputer le budget de la défense. Je rappellerai seulement que les dépassements sur les OPEX sont financés hors budget de la défense.

Je souhaiterais enfin souligner, comme je l’ai fait dans un courrier à la Présidente de la Commission, qu’une deuxième mission en Centrafrique ne serait pas inutile. Une intervention humanitaire peut se transformer en opération contre la France.

M. Pierre Lellouche. J’ai été frappé par l’improvisation totale qui règne du côté de l’Etat malien comme du côté de la France et de la MINUSMA, toutes deux obligées de jouer en défense, les Maliens les informant plus ou moins de leurs initiatives, tout en se plaignant de ne pas être soutenus par la partie française.

La réconciliation n’a pas avancé. Tout est pourtant prévu dans l’accord de Ouagadougou, qui désigne deux « facilitateurs », Goodluck Jonathan et Blaise Compaoré, et précise le rôle de l’Union européenne, de l’Union africaine, de la CEDEAO et de l’ONU dans l’élaboration d’un accord politique, qui devrait permettre de régir le cantonnement des forces et l’organisation territoriale du Nord du pays. Ce n’est pas très compliqué s’il y a une volonté politique. Mais existe-t-elle vraiment ? Les dirigeants du MNLA apparaissent comme des terroristes aux yeux des dirigeants maliens. Le MNLA, ayant montré sa supériorité sur le terrain, s’estime lui-même en position de force. Enfin, on voit mal quelles distinctions établir précisément entre le MNLA et les autres groupes armés que François Loncle a évoqués. Tout étant très fluide, on ignore où commencent les Touaregs et où s’arrête AQMI.

On ne peut pas installer, dans un environnement aussi pauvre, des bases militaires isolées sans entreprendre des actions d’accompagnement en direction de la population. Il faudrait que l’AFD réalise des micro-projets sur le terrain. La stabilisation passe par le développement.

Je rejoins Jacques Myard sur la question de la division entre le Nord et le Sud.

Quant à l’Europe, l’affaire est entendue. S’il y a 400 soldats néerlandais au Mali, c’est parce que le représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies, Bert Koenders, est un ancien député et un ancien ministre des Pays-Bas. Il a fait jouer tout son poids politique pour engager son pays. Les Géorgiens, pour leur part, ont réagi à la crise ukrainienne en envoyant des soldats en RCA pour démontrer qu’ils sont européens.

Sans nécessairement fixer tout de suite une date, nous devons travailler à un plan de sortie, afin d’éviter un ancrage de long terme. Comme le dit Hubert Védrine, à juste titre, des interventions de cette nature se retournent toujours contre leurs auteurs, même s’ils sont animés des meilleures interventions.

M. Serge Janquin. Les recommandations de nos collègues, qui sont allés observer comment on perd le Nord à Bamako, me paraissent plutôt justes. Il y a néanmoins une faiblesse dans le raisonnement, car le problème ne se résume pas au Mali. Il s’étend de la Mauritanie jusqu’au Golfe de Guinée, avec les trafics de drogue et les enlèvements que l’on connaît, mais aussi avec les effets de la crise libyenne, dont la sortie a été mal gérée et qui a conduit à une diffusion d’armes dans toute la zone du Sahel. Boko Haram dispose ainsi de missiles sol-air de moyenne portée.

La situation est explosive de l’Est à l’Ouest. Chacun sait ce qui vient de se passer au Kenya. Quant à l’Ethiopie, le jour où la population musulmane y prendra le pouvoir, tout l’axe médian allant de l’Afrique blanche et arabe du Nord jusqu’à l’Afrique noire, chrétienne et animiste, sera déstabilisé. Il faut prendre le problème à cette échelle. Boko Haram n’est qu’un acteur parmi d’autres, avec AQMI, le MUJAO et la Séléka. Ils sont assurément peu coordonnés, mais tout de même solidaires, car leur stratégie est identique. Il s’agit de déstabiliser l’Afrique, dans une sorte de jeu de dominos.

Le pire est probablement à venir. L’immense frontière mauritanienne est une vraie passoire et les Mauritaniens, qui ont des intérêts à défendre au plan intérieur, ne sont pas pleinement engagés dans la lutte actuelle. Le Mali a servi de déversoir pour les djihadistes qu’on ne voulait pas garder dans le pays, même si les Algériens ont joué le jeu correctement dans la phase de conflit au Mali. Le Tchad est notre allié dans ce pays, mais son rôle est très contreproductif en Centrafrique. Le Soudan du Nord accueille des katibas près de Khartoum. Le Nigéria et le Cameroun entretiennent des relations exécrables, et le Nord du Cameroun ne peut pas être mis à l’abri de Boko Haram, pas plus que le Bénin.

Quand l’Union africaine saura-t-elle donc se mobiliser et se donner les moyens nécessaires pour gérer ces problèmes de sécurité intérieure en Afrique ? Quand l’Union européenne prendra-t-elle suffisamment en compte les intérêts de sa propre sécurité en adoptant une attitude concertée et homogène ? Enfin, quand l’ONU mesurera-t-elle l’effort qu’elle devrait consentir dans cette région de l’Afrique, au lieu d’envoyer 22 000 militaires au Sud Soudan pour soutenir un pays qu’elle a artificiellement créé contre toute logique ? Son effort au Mali et en Centrafrique reste très en deçà de ce qu’il faudrait.

Jean- Paul Dupré. Il n’est pas seulement question de l’avenir du Mali. Ce qui se passe en ce moment semble confirmer que la France n’a pas vocation à agir seule en tant que force armée. Il faut qu’il y ait des forces internationales sur le terrain.

Compte-tenu de tout ce qui a été dit précédemment, on peut se demander ce qu’il en est de l’avenir du Mali. Peut-on parler d’un risque majeur de partition entre le Nord et le Sud du pays ?

Jean Glavany. Il faut tout de même rappeler que l’objectif initial de la visite que le ministre de la défense devait faire la semaine dernière n’était pas seulement de mettre en place le nouveau dispositif BSS, mais de clore l’opération Serval et de fermer son état-major à Bamako. Cela a été empêché par les évènements de Kidal et donc reporté.

Au début de l’opération Serval, le Président de la République avait été accueilli triomphalement à Bamako. Aujourd’hui, il semblerait qu’il en serait peut-être autrement en raison d’un début de retournement de l’opinion. Qu’en est-il exactement ? On a entendu des propos de responsables politiques et de journalistes maliens et il y a eu des débuts de manifestions contre les militaires français. Quelle est l’exacte ampleur de ce phénomène ?

Sans prétendre égaler la clairvoyance de notre collègue Pierre Lellouche, depuis le début de cette intervention, nous étions nombreux à souligner le risque de partition et l’importance de la question touareg. Nous devons cependant faire une distinction. Le MNLA a été en collaboration avec AQMI mais il a également coopéré avec les forces françaises dans la lutte contre ce mouvement. Aujourd’hui, nous devons savoir si la collaboration du MNLA avec AQMI a repris ou si le MNLA peut être un allié ou une force neutre. Si le MNLA redevient un allié d’AQMI, alors il devient pour nous un adversaire alors qu’il a été plutôt un allié pendant l’opération Serval.

François Loncle. Jean Glavany a posé la question centrale de ce dossier. Il est exact que le MNLA a été dans certaines circonstances un allié. En revanche quand une partie de ce mouvement s’attaque au gouvernorat de Kidal, c’est insupportable. Il convient donc d’évaluer précisément le comportement de ce groupe.

Les manifestations anti-françaises au Mali, comme dans beaucoup de pays d’Afrique, varient d’un jour à l’autre. Là-bas, la presse écrite est très libre. Elle peut dire n’importe quoi et écrire ce qu’elle veut. Tout ça est un jeu. Ceux qui criaient « Vive la France » peuvent être ceux qui quarante-huit heures plus tard, sur tel ou tel évènement, vont dire « A bas la France », puis revenir à nouveau avec le drapeau français ultérieurement. Pierre Lellouche et moi avons averti les dirigeants maliens à ce sujet mais pour l’instant cela reste sporadique et relève davantage de l’effervescence. Nous avons été bien accueillis partout au Mali.

Concernant la séparation Nord-Sud, la zone sahélienne et le Mali tel qu’il est évoqué par Jean-Paul Dupré et Jacques Myard, je pense qu’il n’est pas possible d’imaginer l’indépendance de l’Azawad. Cela reviendrait à mettre le doigt dans un engrenage et à provoquer un désordre inouï en Afrique. On sait qu’il y a des incohérences dans le tracé des frontières et que la géographie commande l’histoire. Cependant, le peuple touareg n’aspire même pas à gouverner. C’est un peuple de commerçants. Quant au Sud Soudan, est-ce réellement un modèle à suivre ? Aujourd’hui, il faut un nombre considérable de soldats de l’ONU pour y éviter les tueries.

En ce qui concerne la stratégie de sortie, je peux vous confirmer qu’il en existe bien une. Mais il faut absolument éviter une sortie précipitée et non préparée, notamment après les évènements de la semaine dernière. La première étape de cette stratégie de sortie est d’ailleurs le plan BSS annoncé par le Ministre.

Par ailleurs, je suis moins pessimiste que mon collègue Pierre Lellouche et j’aimerais insister sur les aspects positifs réels qui caractérisent aussi la situation sur le terrain. Ces aspects concernent autant les ressources présentes dans le pays qu’une gouvernance qui s’améliore, comme on peut le voir à travers la tenue d’élections qui sont mieux organisées qu’auparavant. Plus fondamentalement, la compréhension que la sécurité et le développement vont de pair se fait de plus en plus nette. Enfin, les pays d’Afrique de l’Ouest (Mali, Mauritanie, Tchad, Niger) agissent aujourd’hui à peu près de concert, ce qui est une nouveauté. Ils ont compris que leur priorité commune était la sécurité de la région.

Pour finir, contrairement à ce qu’a dit mon collègue Pierre Lellouche, les entreprises françaises sont fortement impliquées dans la reconstruction du pays. Il s’agit d’ailleurs de l’une des priorités de notre Ambassade sur place, reflétant la priorité donnée par le Quai d’Orsay à la diplomatie économique.

M. Jean Glavany. Y-a-t-il des signes de contacts ou de reconnexions entre le MNLA et AQMI ?

M. François Loncle. Oui, il y a des interpénétrations entre le MNLA, AQMI, Ansar Dine et le Mujao. AQMI a été presque décimée au Mali mais il reste des éléments épars sur cet immense espace de terrorisme et de trafics.

M. Jacques Myard. Combien y-a-t-il d’hommes dans le MNLA, et dans l’armée malienne régulière ?

M. François Loncle. Il y a 2 000 hommes dans le MNLA, et environ un millier dans l’armée malienne régulière, mais celle-ci est mal organisée.

La séance est levée à dix-huit heures.

_____

Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 27 mai 2014 à 16 h 30

Présents. - M. Pouria Amirshahi, M. Jean-Paul Bacquet, M. Christian Bataille, M. Gwenegan Bui, Mme Marie-Arlette Carlotti, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, M. Jean-Paul Dupré, M. Hervé Gaymard, M. Jean Glavany, Mme Élisabeth Guigou, Mme Thérèse Guilbert, M. David Habib, M. Serge Janquin, M. Pierre Lellouche, M. François Loncle, M. Jean-Philippe Mallé, M. Jean-René Marsac, M. Alain Marsaud, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, Mme Odile Saugues, M. Michel Terrot

Excusés. - Mme Danielle Auroi, M. Alain Bocquet, M. Jean-Claude Buisine, M. Gérard Charasse, Mme Seybah Dagoma, M. Jean-Claude Guibal, Mme Chantal Guittet, Mme Françoise Imbert, M. Lionnel Luca, M. Jean-Luc Reitzer, M. Michel Vauzelle