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Commission des affaires étrangères

Mercredi 2 juillet 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 78

présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Anne Paugam, directrice générale de l’Agence française du développement, et de M. Claude Périou, directeur général de PROPARCO

Audition, ouverte à la presse, de Mme Anne Paugam, directrice générale de l’Agence française du développement, et de M. Claude Périou, directeur général de PROPARCO.

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous recevons ce matin Mme Anne Paugam, directrice générale de l’Agence française de développement (AFD), et M. Claude Périou, directeur général de Proparco, accompagnés de M. Éric Baulard, directeur exécutif en charge des risques à l’AFD, ainsi que Mme Marie Hélène LOISON, Directeur général délégué de la Proparco en charge des opérations pour une audition, ouverte à la presse, qui sera essentiellement consacrée au rôle du secteur privé dans la politique d'aide au développement.

Le développement économique durable des pays partenaires passe par le développement du secteur privé local. La contribution des entreprises étrangères au développement est désormais reconnue officiellement, notamment par la loi d’orientation et de programmation que nous avons adoptée il y a quelques jours.

Par ailleurs, l'AFD est un outil de la diplomatie économique. C’est la raison pour laquelle nous avons conditionné notre avis favorable au contrat d’objectifs et de moyens (COM) de l'AFD au souhait que l’agence définisse dans ses appels d’offre des critères précis permettant de cibler autant que faire se peut les compétences et savoir-faire des entreprises françaises.

Vous nous direz à ce propos quel dialogue l'AFD a noué avec les milieux d’affaires français et avec les entreprises présentes dans les pays où elle intervient, et quels mécanismes l’agence met en œuvre pour cet objectif, avec quels résultats, et quelles sont aussi les comparaisons que l’on peut faire avec les pratiques des institutions comparables à l'AFD.

Par ailleurs, selon votre dernier rapport d’activité, les interventions du groupe AFD au profit du secteur productif ont représenté près de 720 millions d’euros en 2013. Elles ont pour l’essentiel concerné le secteur bancaire et financier, l’agro-industrie, le tourisme, la formation professionnelle, le renforcement des capacités commerciales et le transport. Nous serons intéressés par la présentation que vous nous ferez de la mission de Proparco, de ses objectifs et mécanismes d’intervention, tout particulièrement en Afrique subsaharienne, qui constitue la zone prioritaire de notre politique d'aide au développement.

Enfin, je ne peux évidemment clore ce propos introductif sans mentionner la question de la transparence et des juridictions non coopératives, qui est l’expression pudique pour désigner les paradis fiscaux, contre lesquels j’ai un tropisme particulier. Car c’est par eux que transitent toutes les formes d’argent sale, qu’il s’agisse de la fraude, de l’évasion fiscale légale ou du blanchiment d’argent du crime.

Alors que j’avais institué, il y a douze ou treize ans, avec le ministre des finances de l’époque, Dominique Strauss-Kahn, les premières listes à l’OCDE contre les paradis fiscaux, celles-ci ont disparu dans les dix ans qui ont suivi, puis réapparu après la crise économique de 2008. Il est vrai que la situation a changé et beaucoup de ces paradis se conforment aux nouvelles règles imposées par la communauté internationale. Deux de nos collègues de la commission ont d’ailleurs rendu un rapport sur ce sujet.

Vous comprenez donc bien, qu’après l’article récemment publié dans Le Canard enchaîné, selon lequel beaucoup des interventions de Proparco passent par des fonds d’investissement localisés dans des paradis fiscaux, nous nous interrogions. Si les fonds d’investissement sont très utiles, en prenant des risques que les banques ne veulent pas courir, pourquoi faut-il qu’ils soient immatriculés dans des juridictions considérées encore comme non coopératives – en l’occurrence Chypre, Jersey, le Luxembourg, l’île Maurice, les îles Caïman et les îles Vierges britanniques –, même si elles ont fait quelques progrès pour se conformer aux règles internationales ?

Quels sont les montants localisés par Proparco dans les paradis fiscaux et quelle politique met-elle en place dans ce domaine ? De quelle manière celle-ci a-t-elle évolué depuis qu’en 2009 le G20 a chargé l'OCDE de renforcer la mise en place des normes en matière de transparence ? Et quelles mesures concrètes le groupe AFD a-t-il pris pour s’y conformer ?

Par ailleurs, quelle est la position de vos deux tutelles sur la question des investissements dans des paradis fiscaux ? Dans un rapport que j’avais rendu avec d’autres collègues dans le cadre de la commission des affaires européennes lors de la précédente législature, nous avions identifié cette fameuse maison des îles Caïman, qui immatriculait quelque 90 000 sociétés et que le président Obama a récemment qualifiée comme il le fallait.

N’y a-t-il pas dans le fait d’investir dans des paradis fiscaux pour des raisons d’évitement fiscal une contradiction grave avec l’objectif même de l’aide au développement ? Si ces investissements permettent d’être moins taxé, ce sont nécessairement des recettes fiscales en moins pour certains pays : lesquels ?

Je rappelle que si les îles Caïman sont passées en phase 2 en 2012, Proparco y aurait investi en 2008, c'est-à-dire juste avant que les listes de l'OCDE soient rétablies.

Mme Anne Paugam, directrice générale de l’Agence française du développement (AFD). Notre mission est de favoriser le développement. Nous cherchons donc à générer des « impacts » de développement au bénéfice des populations et des pays partenaires.

Les leviers pour financer ce développement consistent à soutenir les politiques publiques, favoriser l’accès aux services essentiels et conforter la création d’emplois et l’essor du tissu économique local.

Les acteurs dans ce domaine – avec lesquels le groupe AFD doit travailler – sont l’État, les collectivités locales, des entreprises publiques, les organisations non gouvernementales (ONG), mais aussi les entreprises privées et le système bancaire local censé les financer et permettre leur développement.

Le secteur privé constitue en effet un des vecteurs du développement. Je me réjouis d’ailleurs de voir que ce sujet soit redevenu une évidence dans la réflexion sur le développement, alors qu’avec l’emploi, il a longtemps été absent des Objectifs du Millénaire pour le Développement. Ainsi, en Afrique, on estime qu’il y a 200 millions de personnes de 15 à 24 ans et, récemment, une experte nous a livré un chiffre stupéfiant, selon lequel 95 % des jeunes de 15 à 30 ans seraient africains en 2035. On voit donc l’ampleur du défi pour intégrer ces générations sur le marché du travail et faire en sorte que ces phénomènes démographiques soient positifs.

De même, en Afrique, le secteur privé représente deux tiers de l’investissement et 70 % de la production, mais plus des trois quarts des emplois sont informels. La formalisation de l’économie constitue donc un enjeu important.

Le secteur privé est l’assise même des politiques publiques car il constitue la base fiscale sur laquelle les États peuvent de manière durable et autonome conduire celles-ci. Il a aussi un rôle important à jouer pour l’accès aux services essentiels.

En outre, dans l’agenda du développement, l’aide publique au développement (APD) ne constitue qu’une petite partie des financements à mobiliser pour atteindre les différents objectifs en termes d’infrastructures, d’accès à l’eau, à l’éducation ou aux transports. Un des enjeux pour les acteurs publics est donc de mobiliser les financements privés – que ce soit au travers d’investissements directs ou par le biais du système bancaire – là où ils n’ont pas forcément envie d’aller. Notre rôle est en effet d’être subsidiaire, c’est-à-dire d’investir là où le financement est insuffisant ou d’une durée trop courte, sans y perdre – ce qui est essentiel pour entraîner les autres financeurs.

En France et en Europe, on a d’ailleurs ressenti le besoin d’un outil de ce genre, comme la Banque publique d’investissement (BPI) pour les PME ou la Banque européenne d’investissement (BEI) pour les grandes infrastructures du continent.

Les entreprises ont non seulement besoin d’un environnement sain mais aussi de ressources financières que ni le secteur privé ou l’épargne locale, ni les financeurs extérieurs privés ne leur apportent suffisamment. Il y a à cet égard une coalition européenne de bailleurs de fonds homologues de Proparco, qui apporte des financements à moyen et long terme.

Les orientations stratégiques du COM s’appliquent à Proparco, notamment la priorité accordée à l’Afrique, l’importance attachée aux projets ayant des « cobénéfices » sur le climat, la promotion des bonnes pratiques de la responsabilité sociale et environnementale (RSE) et la prise en compte de l’influence et de la diplomatie économique.

De même, les principes généraux de responsabilité du groupe s’appliquent à Proparco, que ce soit en matière de standards environnementaux et sociaux ou de sécurité financière, sur laquelle l’AFD a une politique qui va au-delà de la réglementation française, en particulier depuis 2013, où nos règles ont été renforcées sous l’impulsion notamment de Pascal Canfin.

L’AFD, qui est un outil bilatéral, n’a jamais été aussi mobilisée qu’aujourd’hui sur la diplomatie économique. Non seulement les directeurs d’agence participent aux réunions d’ambassade, mais ils ont aussi pour instruction d’organiser régulièrement des réunions avec les entreprises, les bureaux d’études et les acteurs français dans leur pays pour développer une forme d’intelligence économique en amont et éclairer les choix de stratégie. Mais si, dans un pays pauvre, on nous demande de travailler sur la santé maternelle et infantile et qu’il n’y a pas d’entreprise française dans ce domaine, il fait partie de notre mission d’y répondre, sachant que notre mandat n’est pas celui de la BPI, d’Ubifrance ou de la Coface.

J’observe, par exemple, que notre ministre des affaires étrangères a annoncé en Inde que l’AFD allait mettre en place 1 milliard d’euros de financements dans les années à venir avec ce pays sur des priorités partagées avec lui, pour lesquelles les entreprises françaises ont des savoir-faire.

En outre, en accompagnement des opérations que nous finançons, nous avons développé des appels d’offre avec des exigences renforcées en matière de normes environnementales et sociales, pour éviter que des chantiers soient attribués à des entreprises tierces de pays émergents, ce qui donne parfois lieu à de très mauvais résultats en raison d’une sous-estimation des coûts et d’une qualité de prestations médiocre. Nous avons déjà une dizaine de projets pilotes en la matière. Mais ce travail doit être fait avec d’autres bailleurs comme la BEI ou la KfW allemande. Un des enjeux est de convaincre les grandes banques multilatérales comme la Banque mondiale de faire de même.

Par ailleurs, le financement de l’expertise française est un de nos outils majeurs de promotion de l’influence de notre pays et de diplomatie économique indirecte. Je ne reviens pas sur l’importance du Fonds d'expertise technique et d'échange d'expériences, le FEXTE, qui nous a été donné au travers du COM : il est essentiel pour nous permettre de remplir notre mission. La question se posera de son renouvellement.

S’agissant de la politique de sécurité financière, notre dispositif tient compte non seulement de la liste des juridictions non coopératives du code général des impôts mais aussi de celle du Forum de l’OCDE sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales. Certains pays ont été considérés comme en faisant partie dans le passé, comme les îles Caïman, mais ont passé le test de la phase 1 de cette organisation. Pour nous, les pays qui n’ont pas passé ce test sont bannis. Reste à savoir comment on traite les pays qui ne sont pas ressortis de façon pleinement satisfaisante de la phase 2, comme Chypre ou le Luxembourg. Nous en discutons avec nos tutelles, sachant qu’il faudra fixer des délais, au terme desquels les pays qui n’ont pas franchi cette phase s’excluent. Or si le Luxembourg ne passe pas le test, la BEI devra déménager, ce qui fait porter sur ce pays une forte pression pour que les résultats de l’examen de la phase 2 soient satisfaisants..

Les institutions financières de développement, n’arrivent pas à toucher directement le tissu des PME et il est donc indispensable de passer par des échelons intermédiaires – les banques pour les prêts et les fonds d’investissement pour les fonds propres. Nous ne cherchons en aucun cas à faire de l’évitement fiscal au sens où on voudrait réduire ce que le tissu économique que nous soutenons doit payer comme impôts.

La France est l’un des pays à avoir le mieux compris le sujet : nous avons un fonds commun de placement à risque (FCPR) qui permet , en cas d’intermédiation par un fonds d’investissement, que les PME ne soient pas pénalisées et qu’il n’y ait pas un double niveau d’imposition.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Cela est bien compréhensible, mais pourquoi aller chercher des fonds d’investissement localisés dans des juridictions douteuses ?

Mme Anne Paugam. Nous les localisons pour l’essentiel au Luxembourg ou à l’île Maurice, car il n’existe pas de FCPR à l’échelle multilatérale ou de dispositif de la sorte assurant une neutralité fiscale. Les investisseurs comme Proparco placent ainsi les fonds dans un endroit ayant une fiscalité modeste.

Par ailleurs, en tant que cofinancier, la Banque africaine de développement exige que les fonds dans lesquels elle intervient soient logés en Afrique, et cela se traduit souvent à l’Ile Maurice. En outre, si la règle du FCPR français était généralisée des investisseurs d’autres pays l’utiliserait.

L’idée n’est pas de faire des gains fiscaux, mais seulement de ne pas être pénalisé. Si on ne pouvait procéder ainsi, cela nous empêcherait d’accorder des financements internationaux en Afrique, comme nous le faisons pour les PME françaises.

M. Claude Périou, directeur général de Proparco. Au-delà de la localisation des fonds d’investissement, nous essayons de sélectionner des co-investisseurs et des équipes de gestion ayant des stratégies qui respectent notre dispositif de sécurité financière. D’une part, nous veillons au respect de la thèse d’investissement des fonds, qui doit correspondre aux objectifs de notre groupe en matière de développement – nous disposons par exemple, pour certains pays africains, du Fonds d'investissement et de soutien aux entreprises en Afrique (FISEA). D’autre part, nous portons une attention forte à la qualité professionnelle et à l’éthique des équipes de gestion, qui doivent être capables de gérer des entreprises et de leur apporter une valeur ajoutée. Proparco serait incapable, depuis son siège parisien, d’assurer la gestion d’une centrale hydroélectrique en Zambie.

Nous nous assurons aussi que les investisseurs et les gestionnaires ne sont pas dans des listes interdites et n’ont pas un passif nous permettant de douter de leur intégrité. De même, nous veillons au respect des règles dictées par le Groupe d'action financière (GAFI) pour que les gestionnaires des fonds s’assurent de leur connaissance des bénéficiaires effectifs des entreprises qu’ils financent et de ce que les règles environnementales et sociales soient respectées. Nous essayons donc de faire en sorte que le dispositif dans lequel l’AFD et Proparco interviennent soit le plus sécurisé possible.

S’agissant des missions de notre filiale, je rappelle que Proparco signifie « Société de promotion, de participation et de coopération », qui est le bras armé de l’AFD dédié au financement du secteur privé. Créée par celle-ci en 1977 pour y loger son activité de prise de participation dans le capital d’entreprises privées, à l’époque exclusivement situées en Afrique subsaharienne francophone, elle est devenue, à partir des années 1990, un établissement de crédit à part entière. Elle a d’ailleurs été agréée par les instances réglementaires pour accorder des prêts, ce qui s’est avéré utile pour accroître l’impact de ses opérations en faveur du développement.

Proparco est majoritairement détenue par l’État, au travers de l’AFD, qui est son opérateur pivot. Elle met en œuvre la politique définie au travers de nombreux documents stratégiques, dont certains ont été présentés ici.

L’originalité de son modèle de fonctionnement consiste à mener des actions de développement mais aussi à bénéficier de revenus lui garantissant sa pérennité.

Proparco a d’ailleurs réussi à attirer un certain nombre de partenaires, notamment des banques de développement multilatérales ou bilatérales, comme la Banque ouest-africaine de développement, qui est un de nos actionnaires depuis longtemps, la Banque de développement d’Afrique du Sud, la DBSA, avec laquelle nous avons des relations étroites depuis les années 2000, ou la Caisse andine de développement, institution bilatérale en charge du développement en Amérique latine. Ces acteurs nous ont permis de bénéficier d’autres expériences et d’une meilleure connaissance des régions et des secteurs. Leur contribution est très appréciée de la part des autres membres du conseil d’administration et des missions d’inspection.

Notre filiale n’a pas de stratégie propre : elle poursuit le déploiement du secteur privé dans les grands domaines de développement de l’agence. L’AFD lui apporte un soutien considérable : tout notre personnel est détaché par elle et un certain nombre de procédures, notamment en matière de sécurité financière, sont partagées, de même que l’éthique et les engagements pris en matière de RSE.

L’État est bien présent dans les instances de Proparco, avec des représentants des tutelles, aussi bien du ministère des affaires étrangères que du ministère des finances. Le contrôle d’État est assuré par un commissaire du Gouvernement désigné par le directeur général du trésor. C’est le cas dans le Conseil d’administration, le Comité d’investissement consultatif, qui prend les décisions d’investissement, et le Comité d’audit, qui assure un contrôle a posteriori et permanent de nos activités.

Au moment où les budgets publics sont en restriction, le financement du développement est assuré de manière croissante par des opérateurs privés. C’est dans ce contexte que Proparco a trouvé sa place, qui est appréciée depuis trente-sept ans.

Nous essayons de combler des défaillances de marché en portant attention aux faibles niveaux de bancarisation des pays générant une économie informelle importante, à l’insuffisance de capitaux à long terme, notamment pour les gros projets d’infrastructures, en particulier en Afrique, au manque de devises pour réaliser des opérations de commerce indispensables au développement de ces pays, à l’inexistence ou à la faible taille des marchés boursiers, empêchant aux personnes gagnant de l’argent de le placer dans leur pays de manière sécurisée, et au manque d’appétit des investisseurs locaux à investir dans leur pays.

Au niveau macroéconomique, nous cherchons à favoriser l’émergence de réseaux bancaires indispensables ainsi que des bonnes pratiques pour les bourses de valeurs ou les métiers de la finance. À un niveau plus meso économique, Proparco essaie de soutenir des entreprises au travers de divers outils : des prêts à long ou moyen terme – de cinq à dix-huit ans –, sachant qu’elle n’ajoute aucun élément de concessionnalité dans son intervention et se refinance de façon transparente. Elle accorde en effet 3 milliards d’euros de prêts à des entreprises, pour lesquels elle se refinance auprès de l’AFD à hauteur équivalente. Elle dispose également d’un portefeuille de 500 millions d’euros d’investissement refinancé sur ses fonds propres pour un même montant. L’équilibre de nos opérations est donc assuré.

Proparco accorde également, en concertation avec l’Agence, des garanties à des entreprises n’ayant pas accès au marché financier au travers du dispositif ARIZ, permettant de partager les risques avec les banques commerciales implantées localement en Afrique.

Par ailleurs, nous nous sommes engagés dans la microfinance, dans laquelle l’AFD et Proparco sont devenus des acteurs importants, que ce soit en Afrique ou au Cambodge. Dans ce pays, la plupart des grands établissements financiers en sont issus et nous avons été soit actionnaires soit financeurs de ces opérations. Lorsque nous le faisons, nous demandons à nos partenaires d’accepter les principes sur la microfinance responsable pour qu’il n’y ait pas des taux d’intérêt abusifs ou des pratiques de gestion critiquables.

Enfin, pour les acteurs les plus fragiles, nous travaillons à une stratégie en faveur des acteurs de l’entreprenariat social et solidaire.

Nous essayons de ne financer que des entreprises viables. Je rappelle que le niveau de prêts non performants est de seulement 1,7 % ce qui est historiquement un niveau très bas.

50 % de notre activité sont dédiés à l’Afrique subsaharienne et 30 % des opérations ont un co-bénéfice climat. Proparco est, on l’a vu, active pour favoriser les intérêts français, que ce soit sous forme de partenariat dans le capital ou sur le terrain. Nous investissons aux côtés des entreprises françaises et répondons à leur besoin de financement dans des pays parfois difficiles.

Nous avons donc des outils performants, que nous essayons d’améliorer pour rendre l’ensemble de notre action mesurable. Et nous agissons, avec les 150 personnes qui sont à mes côtés, avec beaucoup de passion et le sens du service public.

M. Jean-Pierre Dufau. Une nouvelle loi vient d’être adoptée sur le développement et la solidarité internationale, qui insiste notamment sur l’évaluation et la responsabilité sociale et environnementale des entreprises et acteurs du développement. Comment évaluez-vous cette responsabilité dans les choix que vous faites et les contrôles a posteriori que vous exercez ?

Mme Danielle Auroi. Vous ne nous avez pas suffisamment éclairés sur les questions de transparence et de paradis fiscaux. Pouvez-vous être plus précis, notamment s’agissant des montages financiers ?

Par ailleurs, pourquoi privilégier des pays comme le Chili ou le Brésil, qui ne sont pas des pays en développement, le Brésil étant sur le plan agroalimentaire l’un des États connaissant la plus forte croissance ?

M. Pierre Lellouche. Cela fait la deuxième fois que je vous entends vous exprimer devant notre commission et je ne parviens toujours pas à comprendre comment évaluer l’action de l’AFD et de Proparco par rapport à nos principaux compétiteurs dans ce domaine. Peut-on avoir une évaluation précise sur ce point ? D’autre part, Peut-on évaluer l’impact de vos fonds sur le développement des pays cibles de notre diplomatie ?

Il arrive à l’AFD de prêter de l’argent qui finit par bénéficier à des entreprises chinoises, dont certaines publiques – comme si le contribuable français devait prendre en charge le financement d’entreprises assises sur le tas d’or accumulé par la Chine ! Avez-vous mis en place des systèmes efficaces permettant de garantir que cet argent profite à des entreprises françaises, ce qui pose le problème de l’aide liée ?

Enfin, s’agissant de pays comme le Mali et la Centrafrique, dont je m’occupe notamment avec François Loncle, on ne peut engager l’armée française sans action de développement économique, faute de quoi elle risque d’être mal perçue. Des pays comme le Canada et les Pays-Bas relèvent très bien ce défi. Cela implique d’avoir du personnel sur place, alors que pour l’instant n’existent que les programmes civilo-militaires, en général menés par un officier changeant tous les quatre mois. Comment l’AFD peut-elle accompagner nos forces armées ?

Gwenegan Bui. Lors du débat sur la loi sur le développement que nous avons eu il y a quelques mois, nous avons été nombreux à avoir des doutes et interrogations sur le rôle de l’AFD et de Proparco, qui ont été balayés par le ministre Pascal Canfin.

Or Le Canard enchaîné du 11 juin remet tout en question : 400 millions d’euros sont visés ainsi que 70 sociétés offshore. Vous nous dites que la Banque africaine de développement exige que les fonds soient logés en Afrique, sauf que Jersey, qui abrite 15 millions d’euros, n’est pas en Afrique ! Dans le document que vous nous avez envoyé, vous expliquez quels sont les pays bénéficiaires et la ventilation entre les différents types d’intervention, mais vous ne précisez pas les véhicules que vous utilisez à cette fin, et ceux évoqués par la presse vont à l’inverse de l’objectif de moralisation de la finance que nous avons adopté notamment lors de l’examen de la loi bancaire.

Quelle est donc la réalité des révélations faites par ce journal ? Quel a été le montant total engagé ? Les investissements mentionnés ont-ils eu lieu ? Dans combien de sociétés ou fonds établis dans des paradis fiscaux Proparco est-il impliqué ? Pouvez-vous nous en transmettre la liste ? Quelles sont les raisons et motivations ayant guidé le choix d’investir dans de telles sociétés ?

Vous avez par exemple donné votre accord pour une ligne d’investissement de 20 millions de dollars pour financer l’agroindustrie au Brésil. Or Brasil Foods et FDS taillent des croupières aux sociétés françaises et européennes : pourquoi des fonds publics français viennent-ils armer des concurrents directs de nos entreprises ?

Enfin, quel dispositif de contrôle avez-vous prévu pour que ces problèmes ne se reproduisent pas ?

M. Michel Destot. Je voudrais vous faire part de ma perplexité, qui est liée à la complexité du système, reposant sur la multiplicité des acteurs, des procédures et des thématiques de notre action. Il ne suffit pas de définir un bon COM, encore faut-il se poser la question de sa déclinaison dans les pays concernés en fonction de leurs attentes et de leurs besoins.

Se pose également la question de la coordination entre les acteurs : PME, grands groupes, réseau diplomatique, Ubifrance, collectivités locales – lesquelles interviennent souvent au même endroit sur les mêmes thématiques. D’autant que leurs priorités diffèrent.

Mme Odile Saugues. J’ai reçu hier la présidente de l’association « Un cœur pour la paix », qui œuvre depuis neuf ans pour permettre aux enfants palestiniens d’avoir accès à une chirurgie cardiaque de pointe. Elle m’a fait part de ses problèmes de financement, notamment de l’absence d’intervention de l’AFD, alors qu’elle cherche à récolter des fonds pour ouvrir une salle d’opération à cœur fermé en Cisjordanie, permettant de rendre plus autonome le système de santé local. Quels sont les moyens de l’AFD pour répondre à de telles demandes ?

M. Jean-Luc Bleunven. Le projet de loi qui vient d’être évoqué soulignait bien l’importance d’avoir une action cohérente. De fait, l’AFD s’engage avec les collectivités territoriales, qui sont des acteurs majeurs : il y a plus de 13 000 projets de coopération conduits avec 5 000 d’entre elles et des partenariats sont noués avec environ 10 000 collectivités étrangères dans 145 pays.

Ce texte a permis aussi d’étendre la loi Oudin-Santini aux déchets. Or le 1 % déchets répond à des besoins immenses dans ces pays. Dans votre rapport annuel, vous évoquez le lancement d’une phase pilote concernant les démarches de financement direct des collectivités française en faveur de leurs partenaires du sud. Dans quelle mesure l’AFD va-t-elle poursuivre ce soutien aux collectivités et les accompagner pour mettre en œuvre ce 1 % déchets ?

M. Philippe Baumel. Il y a une certaine opacité car, dans les documents que vous nous avez communiqués, on ne trouve aucune trace de l’usage des paradis fiscaux et de la liste des investissements qui y sont réalisés. Cela est très contrariant et on est loin de l’esprit qui a prévalu lors de l’examen du projet de loi présenté par Pascal Canfin. Pourquoi cette opacité ? S’il y a une volonté de dissimulation, c’est probablement parce qu’il y a une culpabilité.

M. Jean-Paul Dupré. Je suis ahuri, madame Paugam, par le chiffre que vous évoquez sur le nombre de jeunes de 15 à 30 ans qui seront Africains en 2035.

Mme Anne Paugam. Cette donnée doit être vérifiée.

M. Jean-Paul Dupré. D’autant qu’à cette date, il y aura environ 9 milliards d’êtres humains sur la planète !

Monsieur Périou, vous dites veiller à soutenir des entreprises performantes : j’espère que vous n’allez pas aussi loin que les banques, françaises notamment, dans le soutien qu’elles apportent aux entreprises dans le contexte économique actuel. Les concours financiers du système bancaire relevant du secteur public sont-ils également dirigés vers des pays africains dont on nous a souvent dit ici qu’ils n’avaient plus de structure d’État ? Veille-t-on à ce qu’ils ne soient pas détournés ?

M. Philip Cordery. Quelle est votre évaluation sur la politique européenne de développement ? Le Parlement européen est en effet très critique sur l’efficacité de l’action de la Commission européenne dans ce domaine.

Mme Chantal Guittet. Le scandale évoqué par Gwenegan Bui, qui fait suite à un scandale belge du même type l’année précédente, soulève en effet beaucoup de questions. Comment évaluez-vous l’impact de vos placements sur le développement et le bien-être des populations ?

Vous avez par exemple fortement investi dans une multinationale d’huile de palme, la société Socapalm, alors qu’on sait que l’utilisation accrue des agrocarburants a provoqué une flambée des prix sur les marchés mondiaux et mis en péril la sécurité alimentaire. Ce type d’investissement me paraît inadmissible : il faut que vous appliquiez des règles strictes, qu’il y ait plus de transparence et qu’on sache quels sont les bénéficiaires finaux de vos aides.

M. Guy-Michel Chauveau. Il peut arriver qu’une thématique nous paraissant prioritaire soit traitée par un autre partenaire. La complexité du système nécessite une information d’autant plus large. Ainsi, les 56 projets évoqués dans les documents que vous nous avez envoyés devraient-ils être annexés. Il en est de même par exemple des débouchés producteurs en Afrique.

M. Jacques Myard. La croissance démographique est en effet un enjeu majeur du développement et du déséquilibre mondial. Quels programmes mettez-vous en œuvre pour essayer de la maîtriser, sachant qu’à plus de 2 %, elle empêche tout développement ?

Par ailleurs, je m’interroge sur l’intervention de l’AFD ou de Proparco en Inde, en dehors du soutien aux exportations, qui ne relève pas à proprement parler du développement.

Enfin, monsieur Périou, je suis étonné quand vous dites qu’il faut développer le système boursier en Afrique. Si l’économie informelle est efficace et permet aux gens de vivre, je ne vois pas l’intérêt de développer le CAC 40 des quarante voleurs ! Il existe d’autres systèmes de développement plus adapté à ces pays.

M. François Loncle. Je m’associe à la question posée par Pierre Lellouche sur l’accompagnement de notre action militaire dans des pays comme le Mali ou la Centrafrique. Par ailleurs, comment évaluez-vous et traitez-vous les phénomènes de corruption ?

Mme Anne Paugam. Merci pour vos questions.

En matière d’évaluation, nous avons tout un dispositif, aussi bien à l’AFD que chez Proparco. Il y a un service interne des évaluations et notre conseil d’administration a créé un comité des évaluations présidé par l’économiste François Bourguignon. Les évaluations se trouvent sur notre site Internet, je les ai transmises à votre commission et je suis disposée à ce que nous ayons des réunions dédiées spécifiquement à ce sujet. Ce dispositif est indispensable en termes de responsabilité. Si l’État voulait le rationaliser, nous souhaitons pouvoir y participer, sachant qu’il faut distinguer l’évaluation interne, nécessaire pour la direction générale et le conseil d’administration, et l’évaluation des politiques publiques, qui relève de dispositifs dont la loi a voulu traiter.

Quant à la responsabilité sociétale, nous la prenons en compte de plusieurs manières. D’abord, tous les processus d’instruction des projets donnent lieu à un second avis sur le développement durable porté à la connaissance du conseil d’administration – dispositif inédit à ma connaissance, développé sous l’impulsion de Pascal Canfin. Par ailleurs, nous tenons compte des diligences environnementales et sociales dans l’instruction des projets et, lorsque ceux-ci sont particulièrement risqués, nous finançons des plans environnementaux et sociaux, dont nous suivons l’exécution. Ce dispositif est identique à Proparco et à l’AFD. Enfin, nous réalisons des évaluations a posteriori.

Lors de ma dernière audition, je vous ai donné les chiffres du groupe AFD sur nos impacts en termes d’emplois, d’accès aux transports ou d’enfants scolarisés.

Monsieur Lellouche, on peut évaluer notre action par rapport à celle des autres bailleurs : ce travail, dont nous pourrons vous faire part, est présenté au conseil d’administration de l’AFD. Mais on ne peut faire de comparaisons que sur la base des rapports publics, dont le périmètre peut différer : l’AFD doit en effet se comparer en Allemagne à la KfW, organisme équivalent à la Caisse des dépôts et consignations et à notre agence.

En matière de diplomatie économique, le Gouvernement a choisi de confirmer que l’aide bilatérale devait être déliée, ce qui favorise in fine le plus les entreprises et l’influence françaises. Si nous faisions le choix inverse, nous aurions trois ou quatre fois moins de volume de financement à mettre en place, car il faudrait bonifier de façon importante ces crédits – sauf à ce que la France s’affranchisse des règles collectives de l’OCDE, qui prévoient dans ce cas une bonification de 35 % en dons. Or celles-ci gouvernent la concurrence entre pays en matière de commerce international. En outre, pour les pays dans lesquels nous intervenons en Asie ou en Amérique latine, c’est avec peu ou pas du tout d’argent du contribuable. Quant à Proparco, elle ne mobilise pas le moindre centime public, alors que ce qu’elle fait est aussi favorable au développement que les dons et débouche sur des résultats indirects au bénéfice des entreprises françaises. Il vaut mieux avoir un pourcentage de quelque chose que zéro pour cent de rien !

Si on décidait de revenir à une aide liée, nous ne pourrions plus travailler dans un grand nombre de pays, soit que cette aide y soit interdite en vertu des règles de l’OCDE – notamment pour les pays à revenus intermédiaires ou de tranche supérieure –, soit qu’ils la refusent. Si on veut directement attribuer des financements à des entreprises françaises pour leurs projets à l’export ou à l’international, sans que ce soit de l’aide liée, cela relève d’une banque française du commerce extérieur. Je n’ai pas d’objection à dire que la France en a besoin, mais il ne m’appartient pas d’indiquer comment elle doit être structurée.

M. Pierre Lellouche. Je ne suis pas du tout d’accord avec ce raisonnement.

Mme Anne Paugam. Des objectifs précis sont fixés au groupe AFD dans le COM, notamment sur le pourcentage d’entreprises françaises susceptibles de se positionner sur les appels d’offre financés par le groupe. Nous disposerons d’éléments de ce type nous permettant de mesurer si les positionnements effectués le sont dans des domaines où il y a effectivement de la compétence française.

Lors de ma dernière audition devant vous, je vous ai communiqué des chiffres précis sur le secteur de l’eau et de l’assainissement, où l’on constate que sur plus des trois quarts de nos financements sur appels d’offre, les entreprises françaises viennent se positionner et, dans 75 % des cas, emportent les marchés.

Cela étant, l’influence française ne se borne pas à la diplomatie économique. Il existe des pays fragiles, ceux dans lesquels il faut travailler sur les secteurs sociaux, quand bien même il n’y a pas d’entreprises françaises. Si on ne retenait que les projets mobilisant les entreprises françaises, bien des missions de l’AFD au service de l’Afrique disparaîtraient. Il faut donc trouver des points d’équilibre et des stratégies d’influence indirectes. Or, en termes de stratégie d’influence, nos homologues sont mieux armés que nous dans certains domaines : ils bénéficient en Allemagne d’un milliard d’euros pour le financement de l’expertise de la part du budget fédéral, sans parler de plus d’un milliard d’euros de subventions dont la KFW dispose par ailleurs. Les Japonais savent aussi jouer de leur influence au travers du financement de l’expertise.

Si nous nous réjouissons des 20 millions d’euros du FEXTE – lesquels ont été déjà engagés pour moitié –, ce montant demeure faible.

S’agissant des pays fragiles, il est difficile de gérer durablement une situation qui appelle en même temps des besoins militaires, humanitaires et de développement. Nous avons récemment renforcé notre cellule crises et conflits, qui est engagée dans une réflexion active avec l’ensemble des parties prenantes, et nous sommes ouverts à améliorer la façon dont on travaille. Je rappelle que nous avons des financements et des projets à effet démonstratif rapide au Nord du Mali.

S’il est vrai que le dispositif français est complexe, le monde l’est aussi. Le principal besoin est la coordination et nous y contribuons autant que possible.

Madame Saugues, un de nos services est dédié au travail avec les associations. Il fonctionne bien, mais il y a beaucoup de demandes. Il y a eu une large concertation l’an dernier avec toutes les parties prenantes pour fixer le cadre d’action des prochaines années. Nous mettons par ailleurs en œuvre pour le compte du Gouvernement une initiative des ONG françaises en relation avec des homologues étrangers.

Le travail avec les collectivités locales est une dimension très importante. Nous avons déjà beaucoup de partenariats avec elles. Depuis quelques années, nous avons développé la coopération avec ces acteurs majeurs et, cette année, nous avons lancé un financement original, appelé Ficol, consistant à financer des initiatives prises par les collectivités locales françaises. La limite de cette action est que ces financements s’imputent sur l’enveloppe de dons de 200 millions d’euros devant bénéficier par ailleurs aux seize pays pauvres prioritaires ainsi qu’aux pays fragiles qui n’en font pas partie.

M. Jean-Paul Bacquet. Il faut qu’il y ait aussi une coordination en amont. Vous pourriez susciter une cellule de réflexion avec les collectivités locales dans ce domaine.

Mme Anne Paugam. Oui, mais nous devons en discuter avec notre ministère de tutelle.

Quant à la politique européenne, elle justifierait qu’on y consacre une réunion spécifique, car elle recouvre de gros enjeux. Nous avons essayé de construire une architecture de l’aide européenne, dans laquelle il y ait de la synergie et de la complémentarité, de sorte que la Commission européenne ne soit pas un énième bailleur, mais joue un rôle « faîtier ». La programmation conjointe ne doit pas conduire pour autant à ce que tout le monde fasse la même chose. Nous avons par ailleurs œuvré en faveur d’une bonne complémentarité des outils, en particulier avec les facilités mises en place au niveau européen. Il y a à cet égard une tentation de l’Europe d’ouvrir à l’ensemble des opérateurs de la terre entière la mise en œuvre des fonds d’aide européens pour s’assurer que ceux-ci décaissent rapidement, ce qui s’oppose à l’architecture que nous défendons. Faut-il mettre l’AFD ou la KfW sur le même pied que la Banque mondiale et l’ONU dans l’attribution des fonds européens ? C’est une des questions qui va se poser.

Sur la croissance démographique, j’aimerais que nous puissions faire davantage ; nous allons relancer la réflexion dans ce domaine. Nous faisons déjà beaucoup de choses sur les projets en santé maternelle et infantile et avons été partie prenante d’un certain nombre de conférences qui ont permis de faire en sorte que ce sujet ne soit plus tabou – je pense notamment à la conférence de Ouagadougou. Nous travaillons aussi avec de grandes fondations engagées dans ce domaine, notamment la Fondation Gates, mais ce sujet dépasse la question de la santé. Ce que nous faisons en matière d’accès à l’éducation ou à l’eau a également un impact. Reste que nous devons formuler une politique plus volontariste et faire revenir ce sujet davantage sur le devant de la scène, car certains pays n’en ont pas ouont peu entamé leur transition démographique. La jeunesse africaine peut être un atout pour autant qu’elle ait des perspectives.

S’agissant de la lutte anticorruption, je rappelle que nous disposons d’un corpus de règles.

Enfin, en ce qui concerne les fonds d’investissement, Proparco applique strictement la politique de sécurité financière de l’AFD, qui prévoit l’identification des investisseurs du fonds à partir d’un seuil de détention défini en fonction du risque associé au pays d’immatriculation du fonds, afin de nous assurer de l’identité des bénéficiaires effectifs. Or ces seuils vont bien au-delà de ce qu’exige la réglementation bancaire européenne et française.

Cette politique de sécurité financière repose aussi sur l’analyse d’une procédure très rigoureuse en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, conforme aux exigences du GAFI. Le fonds doit appliquer à ses propres investissements le même degré de vigilance que le nôtre à l’égard de nos partenaires ou de nos investissements directs. L’analyse de la structure du fonds requiert de notre part une attention particulière : nous cherchons à détecter et bannir les montages artificiels évoqués par la loi. Nous vérifions que celui-ci n’est pas immatriculé dans une juridiction non coopérative (JNC) et qu’aucune entité impliquée dans les équipes de gestion ou l’actionnariat ne figure dans les listes de sanctions de l’ONU, de l’Union européenne et de la France.

Je rappelle que la politique de sécurité financière, récemment renforcée par l’AFD, définit comme JNC la liste des pays non coopératifs visés par le code général des impôts et, depuis avril 2013, les pays que le Forum mondial de l’OCDE sur la transparence et l’échange des renseignements à des fins fiscales considère comme ne pouvant pas passer à la phase 2.

Or les juridictions mentionnées dans l’article du Canard enchaîné, à savoir l’île Maurice, les îles Caïman, le Luxembourg et Chypre, ne font partie d’aucune de ces deux listes et ne sont donc pas considérées comme des JNC, ni par la France, ni par le Forum de l’OCDE au titre de la phase 1. L’AFD est par conséquent en mesure d’y investir, sous réserve d’effectuer les diligences que je viens d’évoquer. Je ne reviens pas sur les raisons de ces investissements, qui tendent à éviter une double imposition. Mais si le Luxembourg et Chypre ne se mettent pas en conformité au titre de la phase 2, toute l’activité de financement des PME en Afrique risque d’en souffrir.

L’alternative serait d’imaginer une convention fiscale internationale favorable au développement, mais elle est compliquée à mettre en œuvre.

Cela étant, la description de deux projets, en Tunisie notamment, faite par ce journal est aux antipodes de la réalité.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Pourquoi Proparco a-t-il investi en 2008 aux îles Caïman, qui ont ensuite été classées dans les listes noires ? En matière de transparence, il faudra que la transmission d’informations soit beaucoup plus précise entre nous, ce qui est parfaitement possible.

M. Claude Périou. Je laisserai Éric Baulard, responsable de la sécurité financière du groupe, répondre sur les îles Caïman.

Quant à l’article du Canard enchaîné, il a choqué un certain nombre de lecteurs mais aussi l’ensemble de l’équipe de Proparco car il donne le sentiment que nous n’avons pas agi de manière régulière. En outre, il comporte plusieurs erreurs. Il laissait ainsi supposer que Proparco finançait une clinique faisant exclusivement de la chirurgie esthétique en Tunisie : or cette activité ne représente que 1,9 % du chiffre d’affaires de cette entreprise , l’essentiel étant généré par la cardiologie, l’oncologie et à des soins divers. Cette clinique, qui est l’une des plus grandes cliniques privées de ce pays, accueille en outre une partie de personnes venant de Libye et ne disposant pas d’un système de soins efficace.

De même, l’opération du fonds d’investissement « RIF II » est consacré au financement d’institutions de microfinance dans les pays en développement, notamment en Afrique : en quoi financer la microfinance est-il répréhensible, d’autant que 75 % des partenaires servis par ce fonds sont des femmes, conformément à la politique du genre que nous avons mise en place ? De plus, 70 % des financements accordés dans ce cadre bénéficient à des zones rurales. Il y a donc un décalage entre l’image donnée de ces opérations et la réalité.

M. Jean-Paul Bacquet. Pourquoi n’avoir pas demandé un droit de réponse ?

Mme Anne Paugam. Il ne m’a pas paru nécessaire d’alimenter la polémique. Je préfère répondre aux élus de la République.

M. Jean-Paul Bacquet. Les élus ne font que répercuter en l’occurrence les questions qu’on leur pose. Je regrette que vous n’ayez pas exercé ce droit de réponse.

Mme Anne Paugam. Nous le faisons aujourd’hui devant vous.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse, ce qui n’interdit pas bien sûr Mme Paugam et M. Périou d’envoyer une réponse au Canard enchaîné.

M. Jean Glavany. Si vous aviez exercé ce droit de réponse, les parlementaires en auraient été informés et l’affaire aurait été close : cela nous aurait fait gagner beaucoup de temps !

M. Claude Périou. Je comprends.

L’AFD et Proparco sont des établissements de crédit réglementés dans le cadre du code monétaire et financier : nous sommes donc tenus à des règles de confidentialité. Cependant, lorsque les bénéficiaires finaux des opérations acceptent que nous délivrions plus de détails sur les opérations, il est alors possible de disposer d’une plus large information. Nous publions, dans notre rapport d’information annuel, l’ensemble des opérations signées par Proparco au cours de l’année et, depuis 2011, nous avons rendu publics une cinquantaine de communiqués de presse sur notre site Internet. Nous essayons également d’accroître le nombre d’informations sur ces opérations au travers de presque 150 fiches disponibles. En outre, dans notre rapport financier, nous publions la liste des fonds dans lesquels nous détenons plus de 10 % des avoirs.

Proparco n’est pas un instrument opaque : je rappelle que l’ensemble de ses opérations est géré par un comité d’investissement consultatif composé de dix-sept personnes et que, quand un dossier dépasse la compétence de celui-ci, il est présenté au conseil d’administration, auquel participent les ministères de tutelle.

Pour chaque dossier difficile où il peut y avoir une marge d’interprétation, nous sommes en discussion permanente avec ceux-ci.

Cela dit, nous pouvons probablement faire mieux – et nous nous y attachons. Nous allons ainsi élargir notre capacité d’information sur nos opérations. Nous travaillons également à un mécanisme de gestion des plaintes et des controverses, permettant à quiconque de signaler des opérations qui poseraient des problèmes. Ce mécanisme, qui existe dans d’autres institutions, rendra compte régulièrement au travers de structures indépendantes des constats et améliorations proposées sur les projets mis en cause.

M. Éric Baulard, directeur exécutif en charge des risques à l’AFD. S’agissant de l’investissement en 2008 aux îles Caïman, avant 2009, l’AFD ne disposait pas de politique d’encadrement de ses relations avec les JNC. La première lettre de cadrage et d’instruction du ministère de l’économie et des finances sur ce point remonte en effet à 2009 et ne vise que les États et territoires non coopératifs au sens du code général des impôts.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Il y a donc eu un manque de vigilance sur ces questions pendant des années.

M. François Loncle. Vous n’avez pas répondu à ma question sur la corruption.

M. Éric Baulard. La prévention de la lutte contre la corruption est un élément important de notre système de sécurité financière, présenté au conseil d’administration de l’AFD en novembre 2012 puis de Proparco. Il est accessible sur notre site Internet – de même que la politique d’encadrement de nos relations avec les JNC.

Ce dispositif comporte un ensemble de procédures précises et une organisation interne chargées de prévenir tout au long de l’instruction, en relation avec le dispositif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, les risques éventuels de corruption – et de les traiter. Nous disposons également d’ un corps de conventions avec les contreparties qui comportent des clauses visant les risques de corruption ou de fraude et prévoyant qu’en pareil cas, nous puissions être amenés à suspendre nos versements ou à demander un remboursement anticipé du concours qui a été versé – ce que nous avons déjà été amenés à faire.

Si nous sommes confrontés à une suspicion, le département de la conformité du groupe a la responsabilité d’instruire le dossier et de proposer à la direction générale les actions à engager. En cas de soupçon de corruption et de blanchiment de corruption, nous effectuons une déclaration de soupçon auprès de Tracfin, qui est habilité à mener une enquête et à transmettre cette déclaration au procureur de la République. Enfin, si nous disposons d’indices graves ou concordants, nous transmettons directement le dossier à celui-ci – ce que nous avons également été amenés à faire.

M. François Loncle. Pendant toute la présidence d’Amadou Toumani Touré au Mali, à laquelle il a été mis fin par un coup d’État, votre dispositif a paru totalement inefficace. Tous les records ont été battus à cette époque-là et vous avez quitté ce pays au moment précis de ce changement de régime.

Mme Anne Paugam. Au-delà de la grande vigilance des équipes et des procédures mises en œuvre, nous travaillons par définition dans des environnements complexes. D’autant que nous n’avons de prise que sur ce qui relève strictement de la mise en œuvre de nos financements. Et si personne ne nie que nous intervenons dans des pays confrontés à une mauvaise gouvernance, nous n’avons pas compétence pour travailler sur les sujets de gouvernance financière.

La question se pose d’ailleurs de savoir si on doit cesser d’intervenir dans certains de ces États, ce qui pose le problème des pays orphelins. Une partie des acteurs administratifs français pense qu’il faut retenir un critère de bonne gouvernance pour allouer notre aide. Je n’y suis pas opposée, mais cela implique une réforme en profondeur. Cela signifierait par exemple que dans certains pays prioritaires, nous ne devrions plus intervenir qu’au travers des ONG.

M. Claude Périou. Proparco intervient au Brésil depuis 2008 dans certains secteurs, dont les énergies renouvelables et l’agroindustrie. Dans ce dernier domaine, nous n’avons financé directement que le groupe français Tereos, qui est l’un des plus gros producteurs de sucre du pays. Nous avons par ailleurs mis en place une ligne de crédits de 20 millions d’euros en faveur de la banque Banco Pine, qui s’intéresse à des entreprises de petite et moyenne taille dans les régions rurales, pour permettre à des exploitations agricoles d’améliorer leurs procédés de culture durable.

Quant à Socapalm, c’est l’un des plus gros producteurs d’huile de palme au Cameroun – à l’origine un groupe public qui a été privatisé au début des années 90 et que l’AFD accompagne pour le faire progresser dans ses pratiques. Proparco est intervenu par un apport en capital en 2009 pour deux raisons : contribuer au financement d’un programme d’investissement et permettre au groupe d’être côté à la bourse de Douala. Nous avions alors fait une évaluation en fonction des risques environnementaux et sociaux, qui avait conduit à un plan d’actions environnementales et sociales, lequel a tardé à se mettre en place. Mais, depuis 2012-2013, nous avons entrepris des relations fréquentes avec des dirigeants de Socapalm et sa maison mère en collaboration avec une ONG qui s’appelle Sherpa, pour que les dispositifs notamment en matière de droit du travail soient bien appliqués dans les plantations. Nous avons estimé notre action utile car elle consistait à accompagner un acteur important en termes d’exportations d’huile de palme et de création d’emplois, dans la diffusion des bonnes pratiques dans la manière de réaliser ces productions de manière durable et acceptable.

S’agissant des marchés boursiers, il me semble important que l’Afrique arrive à se financer elle-même et que ces marchés deviennent efficients. Les bourses de Douala, d’Abidjan et de Tunis ont à cet égard une importance particulière.

Mme Anne Paugam. Depuis 2009, nous avons renforcé nos exigences en termes environnementaux et sociaux : je pense qu’aujourd’hui nous instruirions donc le dossier de Socapalm avec encore plus de rigueur. Cela illustre d’ailleurs la difficulté de notre métier, où le risque zéro n’existe pas. C’est inévitable si l’on veut soutenir le développement dans des pays dont les structures de gouvernance et l’environnement sont instables. Notre vigilance nous amène à passer déjà beaucoup de temps à instruire les dossiers – douze à dix-huit mois et encore plus à suivre leur exécution. L’important est d’être capable de détecter l’acteur qui ne se comporte pas comme on le souhaitait. D’où l’importance d’élargir les informations publiées mais aussi de la mise en place du processus de gestion des plaintes et controverses, qui va enrichir les capteurs d’alerte, même si nos équipes sur le terrain suivent déjà quotidiennement les projets.

Mme Chantal Guittet. Si le risque zéro n’existe pas en effet, je conteste que vous ayez eu l’idée d’investir dans une multinationale fabriquant des agrocarburants au détriment de la sécurité alimentaire du pays et en accaparant les terres, d’autant que tout le monde sait que cette multinationale réinvestit ses bénéfices au Luxembourg.

Mme Anne Paugam. À un moment, les agrocarburants ont été considérés comme la panacée, y compris en Europe.

Mme Chantal Guittet. En Europe, en 2007, cela a cessé d’être le cas ! Vous êtes intervenus après…

M. Claude Périou. Je ne suis pas convaincu que la part de la production consacrée aux agrocarburants soit importante dans cette entreprise. Nous le vérifierons néanmoins. Lorsque nous avons financé cette opération, il s’agissait de mettre en place des moyens permettant de fournir de l’huile végétale aux populations.

S’agissant de l’accaparement des terres, il donne lieu à un débat récent au niveau international. Dès que l’Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a pris ses directives, sur l’initiative du ministre Pascal Canfin, nous nous sommes intéressés bien avant les autres bailleurs de fonds à la mise en œuvre de procédures et de pratiques pour veiller à la bonne utilisation des terres. J’ai l’exemple d’un projet que nous avons financé dernièrement dans le domaine agroindustriel, où nous avons passé beaucoup de temps à examiner cet aspect et détaché sur place des spécialistes pour savoir quels étaient les droits coutumiers, fonciers, réels et secondaires ; ce travail est en phase de consolidation et permet de renforcer notre dispositif sur la protection de nos investissements et leur intérêt pour les populations locales.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous allons poursuivre avec vous ce travail sur la transparence et sur la coordination des instruments français, mais aussi avec l’Union européenne et les outils multilatéraux.

On ne peut pas rendre l’AFD ou Proparco responsables de ne pas avoir appliqué des législations qui n’existaient pas. On s’est réveillé après la crise financière de 2008 en abordant des sujets qu’on avait oubliés. Il est important pour nous de dire, en tant que responsables politiques, que nous allons maintenir une vigilance sur le respect des législations existantes, et il nous appartient de les faire évoluer si nous les estimons insuffisantes. Toutes les informations complémentaires que vous nous avez annoncées nous seront donc très utiles.

M. Jean-Paul Bacquet. Si cette réunion a eu parfois un aspect inquisitoire, l’AFD a, il est vrai, souvent été vécue comme un sous-traitant du Gouvernement et n’a, dès lors, guère donné lieu par le passé à un véritable contrôle parlementaire. Or il est intéressant que le Parlement essaie de mieux comprendre, mieux être associé et mieux coordonner les différentes interventions.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je vous remercie.

La séance est levée à onze heures quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 2 juillet 2014 à 9 h 30

Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Jean-Marc Ayrault, M. Jean-Paul Bacquet, M. Patrick Balkany, M. Christian Bataille, M. Philippe Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, Mme Pascale Boistard, M. Gwenegan Bui, M. Jean-Claude Buisine, Mme Marie-Arlette Carlotti, M. Gérard Charasse, M. Guy-Michel Chauveau, M. Philippe Cochet, M. Philip Cordery, M. Jean-Louis Destans, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, M. Jean-Paul Dupré, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, M. Jean Glavany, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, Mme Chantal Guittet, M. Serge Janquin, M. Pierre-Yves Le Borgn', M. Pierre Lellouche, M. François Loncle, M. Jean-Philippe Mallé, M. Noël Mamère, Mme Marion Maréchal-Le Pen, M. Alain Marsaud, M. Jean-Claude Mignon, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, M. Boinali Said, Mme Odile Saugues, M. François Scellier, M. Michel Terrot

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Alain Bocquet, M. Édouard Courtial, Mme Seybah Dagoma, Mme Thérèse Guilbert, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Françoise Imbert, M. Lionnel Luca, M. André Santini, M. André Schneider, M. Guy Teissier, M. Michel Vauzelle