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Commission des affaires étrangères

Mercredi 16 juillet 2014

Séance de 9 heures 45

Compte rendu n° 83

Présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente
de Mme Catherine Quéré,
Vice-présidente de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
et de Mme Danielle Auroi
Présidente de la commission des affaires européennes

– Table ronde, ouverte à la presse et conjointe avec la Commission du développement durable et la Commission des affaires européennes, sur le changement climatique, à la suite du rapport du GIEC, en présence de MM. Philippe Ciais, directeur adjoint, LSCE (Laboratoire des sciences, du climat et de l’environnement), Philippe Dandin, directeur adjoint scientifique de la recherche, Centre national de recherches météorologiques, Jean-Louis Dufresne, directeur de recherche au CNRS, membre de l'équipe Etude et Modélisation du Climat et du Changement Climatique du LMD (Laboratoire de météorologie dynamique), David Salas Y Melia, responsable de l’équipe de recherche « Assemblage du Système-Terre et Etude des Rétroactions climatiques » du Groupe de Météorologie à Grande Echelle et Climat (GMGEC)

– Informations relatives à la commission.

Table ronde, ouverte à la presse et conjointe avec la Commission du développement durable et la Commission des affaires européennes, sur le changement climatique, à la suite du rapport du GIEC, en présence de MM. Philippe Ciais, directeur adjoint, LSCE (Laboratoire des sciences, du climat et de l’environnement), Philippe Dandin, directeur adjoint scientifique de la recherche, Centre national de recherches météorologiques, Jean-Louis Dufresne, directeur de recherche au CNRS, membre de l'équipe Etude et Modélisation du Climat et du Changement Climatique du LMD (Laboratoire de météorologie dynamique), David Salas Y Melia, responsable de l’équipe de recherche « Assemblage du Système-Terre et Etude des Rétroactions climatiques » du Groupe de Météorologie à Grande Echelle et Climat (GMGEC).

La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Nous avons le plaisir d’accueillir ce matin plusieurs experts du changement climatique, sujet important qui intéresse depuis quelque temps déjà les trois commissions qui organisent conjointement cette table-ronde.

L’objet de la COP 21 – ou plutôt de la conférence climat 2015, formulation plus claire pour l’opinion publique – est de prévoir le régime des réductions d’émissions de gaz à effet de serre pour l’après-Kyoto. Or dans le cadre du protocole de Kyoto, en 1997, seuls les pays industrialisés s’étaient engagés sur des objectifs de réduction pour la période 2005-2012. Notre Assemblée devrait prochainement adopter un amendement au protocole qui en prolongera l’application jusqu’en 2020, mais Kyoto ne concerne aujourd’hui que 15 % des émissions mondiales. Il faudra donc, dans le cadre du nouvel accord, aller beaucoup plus loin en mobilisant toute la communauté internationale.

C’est une urgence et une nécessité vitale. Aujourd’hui, plus personne, heureusement, ne conteste la réalité du changement climatique, dont les conséquences, déjà sensibles, ne vont faire que s’amplifier au cours des années et des décennies à venir : élévation du niveau des mers, accentuation des phénomènes climatiques exceptionnels, désertification, risque de multiplication des guerres de l’eau. L’expression de « changement climatique » tient d’ailleurs de l’euphémisme : nous sommes confrontés à un véritable dérèglement climatique dont il s’agit d’éviter qu’il ne dégénère en chaos. Le dernier rapport du GIEC le montre sans concessions et en attribue sans conteste la responsabilité à l’homme. Rejoignez-vous tous ses conclusions, messieurs ?

Il ne s’agit toutefois pas de se lamenter, mais de saisir la chance qui s’offre à nous pour plusieurs raisons. D’une part, je l’ai dit, le diagnostic semble globalement partagé. D’autre part, la transition énergétique en vue de passer à des économies sobres en carbone, pourrait bien se révéler un jeu à somme positive. Un nombre croissant de pays en ont conscience. Ce n’est pas un hasard si la Chine, premier émetteur mondial de gaz à effet de serre, est aussi devenue récemment le premier marché pour les énergies renouvelables. Enfin, nous autres députés en sommes particulièrement conscients, la transition énergétique représente une opportunité en matière d’emploi et d’investissement.

Voilà pourquoi nous ne devons pas rater le rendez-vous de Paris en 2015. La tâche ne sera pas facile, car il faudra un accord large, je l’ai dit, et contraignant. Tous les pays doivent s’engager sur des objectifs de réduction de leurs émissions, différenciés selon les capacités nationales, et compatibles avec l’objectif global d’augmentation maximale de la température terrestre de 2 degrés en 2100 par rapport à l’ère préindustrielle.

La capacité d’entraînement de l’Union européenne est de ce point de vue essentielle. L’Union devrait atteindre son objectif de réduction de 20 % d’émissions en 2020 par rapport à 1990 – « devrait », dis-je, car de récentes évolutions permettent de nourrir quelques doutes. La Commission a proposé de porter cet objectif à 40 % en 2030 ; il serait bon que le Conseil européen reprenne à son compte un objectif au moins égal à 30 % à cet horizon. La France plaide pour 40 % et considère que cette trajectoire doit s’inscrire dans l’élaboration d’une politique européenne de l’énergie liant efficacité et sécurité énergétiques. Il nous reste à rallier nos partenaires à cette approche stratégique globale.

Au-delà de l’Union européenne, qui a un devoir d’exemplarité, il nous faudra également répondre aux préoccupations exprimées par les autres pays. Les pays en développement, en particulier, souhaitent que nous nous engagions sur une trajectoire permettant une capitalisation annuelle de 100 milliards d’euros du Fonds vert destiné à financer leurs investissements en faveur du climat. Nous sommes également très attendus à propos de l’adaptation, c’est-à-dire de la gestion préventive des conséquences du changement climatique, auxquelles certains de ces pays sont particulièrement exposés. L’objectif général doit être de construire des partenariats équilibrés et structurants pour nos relations bilatérales et régionales – je pense évidemment en particulier aux relations euro-africaines.

Tels sont, brièvement résumés, les enjeux du débat, vitaux pour la planète, sociaux, économiques, diplomatiques, politiques au sens le plus élevé du terme. La négociation connaîtra de nouveaux développements lors du sommet de l’ONU sur le climat, en septembre prochain.

Quelles seront les conséquences climatiques d’une augmentation de 2 degrés de la température terrestre à l’horizon 2100 ? Cet objectif est-il atteignable ? Quel niveau d’émissions global, comparé au niveau actuel, implique-t-il ? Quel effort supposera-t-il de la part des grands pays émetteurs ?

Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes. La commission des affaires européennes a beaucoup travaillé sur ce sujet fondamental. Nous partons du principe qu’une grande partie des émissions de gaz à effet de serre est liée aux activités humaines présentes, mais aussi passées. Dès lors, lorsque nous mettons la Chine en cause – à juste titre d’ailleurs –, n’oublions pas, que depuis un siècle ou deux, l’Europe fait partie des plus gros pollueurs au monde. Ce n’est pas parce que nous sommes moins nombreux aujourd’hui que nous n’avons pas notre part de responsabilité, notamment historique.

Le cinquième rapport du GIEC est particulièrement alarmant. Il me semble à le lire que la limite des deux degrés est déjà dépassée ; suis-je trop pessimiste de le penser ? De ce point de vue, et même si l’objectif a été martelé lors des conférences successives des Nations unies sur le climat, serons-nous dans les clous en 2030 ?

Comment concevez-vous les caractéristiques et les enjeux actuels de l’évolution climatique, sa suite prévisible et les conséquences qui en découleront ? Le fait que les contrées européennes subissent des tempêtes plus souvent qu’avant est-il imputable au dérèglement climatique ?

Les polémiques semblent s’être apaisées et les tentatives de désinformation sont moindres, mais les médias relayent encore des mises en cause, ce qui s’explique notamment par le fait que, dans la grave crise économique que nous vivons, certains États membres de l’Union européenne cherchent à retarder la réalisation de l’objectif « 20-20-20 ». Nous confirmez-vous qu’en en restant à la proposition actuelle, les politiques publiques vont vers un échec, au moins partiel ?

En matière d’efficacité énergétique, la Commission européenne semble vouloir proposer un objectif non contraignant de 25 à 27 % d’économie d’énergie, en deçà de ce qu’elle envisageait il y a peu et du taux de 40 % défendu par plusieurs États membres comme par les organisations non gouvernementales qui suivent ce dossier depuis longtemps. Les ONG souhaitent en outre que ce taux soit contraignant. Qu’en pensez-vous ? Par quels moyens pourrait-on y parvenir ?

La conférence climatique prévue à Paris en 2015 sera précédée de deux événements : le sommet de l’ONU en septembre prochain et la conférence de Lima en décembre. Tous les pays concernés y seront représentés, de sorte que les Européens y seront confrontés à d’autres gros émetteurs de gaz à effet de serre, en particulier les émergents : la Chine, mais aussi le Brésil, et les pays d’Amérique latine en général. Nous espérons que vos éclaircissements nous permettront de formuler des propositions concrètes et acceptables par tous. Il y va de l’avenir des générations futures, de nos réserves en eau, en matières premières, en énergie, et de l’indépendance des peuples.

Mme Catherine Quéré, vice-présidente de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence du président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire Jean-Paul Chanteguet, qui copréside en ce moment même au Sénat une commission mixte paritaire sur le projet de loi portant réforme ferroviaire.

Le changement climatique est un sujet particulièrement important pour la commission du développement durable. Celle-ci a ainsi créé récemment une mission d’information sur les conséquences géographiques, économiques et sociales du changement climatique en France, à laquelle s’ajoute un groupe de travail tripartite sur la préparation de la conférence des parties à la convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques, dite « COP 21 ».

Notre commission s’est par ailleurs saisie, pour la deuxième fois en quelques mois, d’un projet de loi de ratification d’un accord international. Il nous a en effet paru pertinent d’évoquer l’état des discussions sur le régime international du climat à travers la ratification de l’amendement au protocole de Kyoto adopté lors de la conférence de Doha en 2012. Enfin, la commission a organisé au cours des derniers mois plusieurs tables-rondes et auditions sur le changement climatique.

M. Philippe Dandin, directeur scientifique adjoint de la recherche au Centre national de recherches météorologiques (CNRM). MM. Jean-Louis Dufresne et David Salas y Melia, spécialistes de la modélisation du système planétaire, pourront répondre à l’essentiel des questions scientifiques que vous avez soulevées et qui relèvent du rapport du GIEC.

J’ai pour ma part dirigé pendant quelques années les équipes de climatologie de Météo-France. Celle-ci est chargée du diagnostic – que s’est-il passé hier, au cours des cent cinquante dernières années ? –, de la modélisation, avec nos collègues de l’Institut Pierre-Simon Laplace, et de la diffusion de l’information. Dans ce dernier domaine, la vulgarisation à l’intention des citoyens et des décideurs me paraît essentielle – comme vous l’avez dit, madame la présidente, à propos de l’appellation de la conférence de 2015.

M. David Salas y Melia, responsable de l’équipe de recherche « Assemblage du système Terre et étude des rétroactions climatiques » du Groupe de météorologie à grande échelle et climat (GMGEC). Avant de laisser M. Jean-Louis Dufresne vous parler de l’avenir, je vous propose de jeter un regard sur les évolutions intervenues dans le passé et leurs conséquences actuelles.

Aujourd’hui, le système climatique retient de la chaleur. Il est comparable à un poids lourd lancé à grande vitesse, dont il s’agit d’interrompre la course ou d’infléchir la trajectoire. 90 % de cette chaleur va dans les océans, qui se sont déjà réchauffés de 6 dixièmes de degré depuis une centaine d’années. D’autres compartiments consomment de la chaleur en fondant : les glaces marines qui flottent sur l’Arctique et autour de l’Antarctique, et fondent aujourd’hui rapidement, surtout du côté de l’Arctique ; les glaces des régions continentales qui stockent de l’eau et fondent également à grande vitesse, ce qui est plus gênant dans la mesure où cette eau vient s’ajouter à celle des océans dont le niveau s’élève de plus en plus vite. Ainsi, le Groenland perd environ 200 milliards de tonnes de glace par an, soit environ 200 kilomètres cubes, c’est-à-dire un gros glaçon de 20 kilomètres par 10 kilomètres par 1 kilomètre : ce volume est massif. La hausse du niveau des océans, qui atteint 3 millimètres par an, est due pour moitié environ à la fonte des glaces continentales et à de l’eau pompée dans le sous-sol qui finit par se déverser dans l’océan, et pour moitié à la dilatation de l’océan sous l’effet du réchauffement.

On entend plus souvent parler du réchauffement de la température en surface. Depuis le début du xxe siècle, celle-ci a augmenté de presque 9 dixièmes de degré à l’échelle mondiale, et d’un peu plus d’un degré en France. Ce dernier chiffre peut ne pas paraître très élevé au regard des échelles géologiques, mais il convient de le rapporter au réchauffement de 4 degrés survenu entre le dernier âge glaciaire et la période actuelle, et qui aura pris dix mille ans !

Le réchauffement climatique fait également sentir ses effets sur les précipitations, mais d’une manière qui n’est pas uniforme : les précipitations ont tendance à augmenter dans certaines régions, par exemple au Nord de l’Europe, mais à diminuer au Sud du continent ou dans des régions semi-arides, ce qui pose aux habitants les problèmes que l’on imagine.

Les événements extrêmes, comme le cyclone Haiyan qui a ravagé les Philippines l’an dernier, sont-ils une manifestation du changement climatique ? À cette question fréquente, nous avons un peu de mal à répondre. M. Jean-Louis Dufresne pourra vous donner quelques éléments concernant l’avenir, mais, pour l’instant, nous n’avons pas l’impression que les tempêtes en France, par exemple, aient été de plus en plus nombreuses au cours des cinquante dernières années : les statistiques de Météo-France ne montrent rien de tel. Le nombre de cyclones ne semble pas non plus avoir augmenté, à la différence peut-être de leur intensité.

Enfin, depuis le début du xixe siècle, nous avons émis environ 1 800 milliards de tonnes de gaz carbonique – le gaz à effet de serre dont l’ajout dans l’atmosphère a le plus d’effet sur le changement climatique – et nous continuons d’en émettre 35 milliards de tonnes par an. 40 % du gaz ainsi émis se retrouve stocké dans l’atmosphère et devrait y persister quelques siècles ; il continuera donc de réchauffer le climat même si nous cessons d’émettre. 30 % est absorbé au niveau des surfaces continentales, et 30 % va dans l’océan qu’il contribue à acidifier – de 0,1 unité de pH –, ce qui est néfaste pour nombre d’organismes marins.

L’émission de gaz carbonique se poursuit donc, à un rythme qui est en train d’accélérer. Que va-t-il se passer à l’avenir ? Pourrons-nous continuer d’émettre à ce rythme tout en maintenant les objectifs actuellement en vigueur ?

M. Jean Louis Dufresne, directeur de recherche au CNRS, membre de l'équipe « Étude et modélisation du climat et du changement climatique » (EMC3) du LMD (Laboratoire de météorologie dynamique). La prévision des changements climatiques futurs repose sur des modèles climatiques, subordonnés à des scénarios : il s’agit de prévoir ce que seront les changements climatiques si les émissions continuent de croître, si elles diminuent, etc.

En vue du dernier rapport du GIEC, la communauté scientifique a élaboré quatre scénarios. Le rapport met en avant les deux scénarios « extrêmes ». Dans le premier, dit scénario RCP8.5, ou scénario « haut », les émissions continuent de croître, donc les concentrations de gaz à effet de serre et la température également. Le second, dit RCP2.6, repose sur l’hypothèse d’une politique extrêmement volontariste de réduction des émissions de gaz à effet de serre en vue de respecter l’objectif de limitation à deux degrés de la hausse de température par rapport à l’époque préindustrielle : c’est une grande nouveauté de ce rapport. Ce scénario suppose une diminution très rapide et très importante des émissions : la réduction devrait débuter dès maintenant, jusqu’à quasiment atteindre à la fin du siècle des émissions négatives, c’est-à-dire que l’on capterait une partie du CO2 présent dans l’atmosphère, par différents systèmes qui n’existent d’ailleurs pas nécessairement aujourd’hui.

Ces scénarios sont ensuite intégrés aux modèles climatiques, qui calculent en conséquence les évolutions des concentrations de CO2, de méthane, d’aérosols, etc., puis la hausse de température, les changements affectant les précipitations, la fonte de la glace de mer et des calottes polaires. Ces modèles étant par essence imparfaits, la pertinence de ces résultats et leur degré de certitude constituent l’une de nos principales préoccupations.

Selon le scénario « haut », si l’on continue d’émettre des gaz à effet de serre, les températures augmenteront de quatre degrés au cours du xxie siècle, auxquels il faut ajouter 0,6 ou 0,7 degrés de hausse par rapport à l’ère préindustrielle. Nous avons également appliqué au passé, notamment aux paléoclimats, les modèles que nous utilisons pour prédire les changements futurs. Si l’on intègre à ces modèles les conditions du dernier maximum glaciaire, il y a environ vingt mille ans, on obtient un refroidissement moindre que le réchauffement futur. En d’autres termes, le réchauffement survenu entre le dernier maximum glaciaire – époque où il y avait des calottes polaires sur tous les pays scandinaves, en Amérique du Nord, etc. – et aujourd’hui est moindre que le réchauffement simulé dans le scénario « haut ». Cette simulation rétrospective nous montre qu’une élévation de quatre degrés, apparemment très faible, produit des changements climatiques majeurs – fonte des calottes polaires, mais aussi migration des espèces végétales, entre autres.

En ce qui concerne les précipitations, on sait aujourd’hui que leur évolution ne sera pas uniforme : les pluies vont augmenter en certains endroits, diminuer ailleurs, ce qui, pour le dire de manière un peu schématique, va renforcer les contrastes, à la fois géographiques et saisonniers.

Les constantes de temps posent un autre problème. Pour commencer à limiter la concentration de CO2, il faut déjà réduire les émissions ; mais si l’on maintient la concentration de CO2 à un niveau constant, la température va continuer d’augmenter, de sorte que, pour stabiliser la température, il faut réduire la concentration, donc réduire encore davantage les émissions. Nous le savions auparavant, mais nous sommes désormais capables de le calculer bien plus précisément. La hausse récente est limitée puisqu’elle est inférieure à un degré, à rapporter aux quatre degrés simulés pour l’avenir. Mais l’anticipation des changements nous confronte à une véritable difficulté, dans la mesure où il faut s’inscrire dans une échéance de plusieurs dizaines, voire cinquantaines d’années.

M. Philippe Dandin. Les chiffres que nous citons sont inconcevables au sens où l’on ne sait pas exactement de quoi on parle quand on évoque des milliards de tonnes de carbone. La température étant un paramètre très familier, la hausse de quatre degrés de son niveau planétaire moyen depuis l’ère glaciaire nous permet de mesurer un peu mieux la portée de chiffres apparemment modestes quant à l’évolution de l’environnement et des écosystèmes de la planète.

Or le réchauffement va se poursuivre, jusqu’à produire une hausse de température de deux à cinq degrés au cours du xxie siècle par rapport à l’ère préindustrielle. Cela implique des ruptures et des bouleversements que nous avons beaucoup de mal à concevoir, à décrire et à expliquer. À titre d’illustration, lors de la canicule de 2003 en France, l’anomalie de température était de 3,1 degrés sur les trois mois d’été ; sur l’année, elle a été de 0,5 degré à l’échelle planétaire. En d’autres termes, les variations de la température moyenne globale par rapport à la normale sont localement parfois atténuées, parfois amplifiées, et les valeurs peuvent encore augmenter à mesure que l’on se rapproche de l’échelle saisonnière, voire quotidienne. Autrement dit, une hausse de deux ou quatre degrés de la température moyenne globale pourrait se traduire chez nous par des températures estivales supérieures de dix degrés aux moyennes mesurées jusqu’à présent.

Par ces chiffres, je cherche à vous donner une idée de l’ampleur de la rupture à laquelle nous sommes confrontés. Nous observons aujourd’hui un système climatique dont nous n’avons pas l’histoire, pour lequel nous n’avons pas de climatologie. Les 8.5 du scénario RCP8.5 correspondent à 8,5 watts supplémentaires par mètre carré à l’échelle planétaire, soit une modification assez subtile du bilan radiatif de la planète ; une ampoule de 8,5 watts pour chaque mètre carré de la planète suffit à produire ces résultats considérables.

Les observations réalisées et les travaux scientifiques qui les expliquent sont peut-être plus préoccupants encore que le rapport du GIEC, lequel consiste en une synthèse des publications scientifiques des années passées. Les travaux d’Anny Cazenave, de l’Académie des sciences, sur le niveau de la mer nous montrent par exemple que les résultats publiés dans le dernier rapport du GIEC à propos de la célérité, de l’amplitude de la fonte des glaces et de la montée de la mer sont déjà dépassés.

Notre travail scientifique consiste à améliorer le diagnostic. On parle souvent de l’augmentation du nombre de tempêtes en France, mais nous n’en avons aucune preuve statistique solide. L’ensemble de la communauté travaille sur les événements extrêmes, sur des paramètres que nous avons encore du mal à documenter, se replonge dans les archives des décennies et des siècles passés et tente de reconstituer les climats d’alors, jusqu’aux paléoclimats les plus anciens, pour comprendre le fonctionnement du système planétaire. Nous espérons ainsi améliorer notre capacité de modélisation et de projection fine des évolutions du climat de la planète et de ses conséquences dans tous les compartiments, les écosystèmes, la biosphère, la végétation, les océans, la vie océanique, etc.

Toutefois, la principale incertitude qui affecte nos prévisions n’est pas liée à notre capacité de compréhension du système et de modélisation, mais bien aux scénarios d’émissions de gaz à effet de serre que l’homme choisira et à leurs conséquences sur la planète. D’où l’importance de la conférence dite « COP 21 », pour que l’humanité tout entière décide d’une trajectoire qui atténue cette évolution.

Enfin, ce travail doit être traduit et communiqué à nos concitoyens – population, entreprises, élus – afin que des mesures d’adaptation soient prises. Même si l’avenir reste très incertain, les résultats fournis par la communauté scientifique comportent des éléments tout à fait robustes concernant l’augmentation des températures et ses effets, de sorte qu’il est dès à présent possible de prendre des décisions que nous n’aurons pas à regretter, dussions-nous cheminer à petits pas. Tels sont les principes fondamentaux de l’adaptation. La hausse de la température dictant l’évaporation et la réponse du cycle de l’eau quelle que soit l’évolution des précipitations, il va y avoir davantage de sécheresse et de difficultés d’accès à l’eau, ce qui nous impose une gestion plus intelligente, plus rigoureuse et plus économe de cette ressource.

Voilà le type d’informations que nous nous efforçons de diffuser dans le cadre des « services climatiques », sur lesquels nous pourrons revenir.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous allons maintenant entendre les porte-parole des groupes, puis les autres orateurs inscrits.

M. Philippe Plisson. Le rapport du GIEC fait un constat sans appel et, selon moi, édifiant. Le diagnostic étant posé, il convient de mettre les solutions en perspective. Une vingtaine de pays se sont réunis les 11 et 12 juillet à Paris et à Berlin. À cette occasion, l’Allemagne a souhaité que l’Union européenne s’engage à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40 % et promette de verser 750 000 millions d’euros au Fonds vert pour le climat. La Chine a déclaré pour sa part qu’elle se fixerait un objectif de plafonnement de ses émissions. Néanmoins, de nombreuses difficultés demeurent pour engager de réelles négociations sur les éléments clés du futur accord : limitation des émissions et mécanismes de financement. Les prochains rendez-vous seront le sommet des chefs d’État organisé par le secrétaire général de l’Organisation des Nations-Unies Ban Ki-Moon à New York en septembre, une nouvelle session technique à Bonn du 20 au 25 octobre, la conférence annuelle de l’ONU sur le climat à Lima au début du mois de décembre et, enfin, la conférence Paris Climat 2015, en vue de laquelle chaque pays devra proposer un objectif de réduction de ses émissions, ainsi qu’un processus d’évaluation.

L’enjeu est d’abord de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cependant, l’accord est loin d’être acquis, d’autant que, lors de la conférence de Varsovie en 2013, on a substitué au terme « engagements » la notion beaucoup plus floue de « contributions ». Or, comme les trois intervenants l’ont justement rappelé, pour contenir l’augmentation de la température dans la limite de deux degrés, il convient de diviser par deux – voire par trois – les émissions d’ici à 2050.

Se pose ensuite la question déterminante des financements. Les principaux pays riches et, espérons-le, la Chine s’apprêtent à prendre des engagements en la matière. Lors de la conférence de Cancún en 2010, les pays riches avaient promis de mettre en place un Fonds vert pour le climat doté de 100 milliards de dollars par an à l’horizon 2020 et, à plus court terme, de 30 milliards. Pour l’instant, cet engagement ne s’est pas concrétisé. Or telle est la condition que posent de nombreux pays du Sud pour s’engager à réduire leurs émissions. Ainsi, le ministre indien de l’environnement Prakash Javadekar a déclaré que les contributions nationales des pays en développement seraient probablement très basses si les pays développés ne versaient pas des montants substantiels à ce Fonds avant septembre 2015. À cet égard, est-il opportun de conserver la distinction traditionnelle entre pays en développement et pays développés ? Celle-ci est remise en question par les progrès impressionnants de certains pays dits en développement, à commencer par la Chine, devenue le premier émetteur mondial de gaz à effet de serre.

Les sociétés occidentales sont aujourd’hui confrontées à un triple problème : la crise climatique, la crise du capitalisme – avec ses conséquences économiques, sociales et politiques – et la croissance de la population mondiale et de ses besoins – alors même que les ressources naturelles de la planète sont limitées. Dans ces conditions, il est indispensable de promouvoir d’autres modes de production et de consommation, tâche qui ne peut être laissée au marché. Les négociations internationales sur le changement climatique se sont engluées lors de la conférence de Copenhague à la fin de l’année 2009, notamment en raison de la violence de la crise économique. Néanmoins, en 2011, la conférence de Durban s’est conclue par l’annonce qu’un accord serait trouvé à Paris en 2015. Selon vous, la communauté internationale a-t-elle tiré les leçons de l’échec de Copenhague ? Espérons que la prochaine crise économique ne surviendra pas plus rapidement que prévu ! S’agissant du Fonds vert, la Commission européenne a annoncé qu’elle ne participerait pas à sa dotation en capital, ce que nous déplorons. Néanmoins, de nombreux pays promettent de le faire. Qu’en est-il de la France ? Quel sera le montant de son financement ? Comment sera-t-il abondé ? Le produit des taxes sur les billets d’avion et sur les transactions financières sera-t-il suffisant ?

Enfin, quel sera l’impact du changement climatique sur l’emploi et sur la distribution des revenus ? Quels seront ses effets sur les dispositifs fiscaux de soutien aux énergies renouvelables ? Faut-il craindre des interférences avec les politiques de sécurité alimentaire et de développement ? Tous ces sujets, peu abordés dans le rapport du GIEC, seront-ils évoqués ?

M. Pierre Lellouche. Je remercie  les différents intervenants pour leurs présentations. Les constats dont vous nous avez fait part sont aujourd’hui admis par la communauté scientifique internationale et entérinés par les gouvernements. Ils ont d’ailleurs servi de base à la litanie de conférences qui se sont tenues ces dernières années.

Au vu de mon expérience – j’ai participé à la préparation des conférences de Copenhague et de Durban –, le problème de fond me paraît le suivant : même si les Européens parviennent à mettre en place une politique concertée et à se doter d’objectifs ambitieux – ce qui suppose une convergence énergétique loin d’être évidente entre la France et des pays tels que l’Allemagne et la Pologne, qui continuent à utiliser du charbon en quantité –, plusieurs grands pays, à commencer par les États-Unis, premier émetteur de gaz à effet de serre, ne partagent pas cette vision. Pour leur part, la Chine et les autres pays émergents objectent que les pays riches cherchent à leur interdire de se développer alors qu’ils ont eux-mêmes consommé massivement pendant de nombreuses années. Ensuite, on en vient généralement à discuter des financements. Or le Fonds vert n’a pas été abondé. Et là, le processus s’arrête. Voilà ce qui s’est passé à Copenhague comme à Durban, et qui risque de se répéter à Paris en 2015.

Le problème est en réalité politique : il existe un décalage entre le constat dressé par les experts et notre capacité à décider et à mettre en œuvre une baisse programmée des émissions de gaz à effet de serre. Je suis très pessimiste sur ce point. La course à la croissance est, somme toute, humaine, et il n’y a guère de raison d’interdire aux Chinois d’utiliser des automobiles ou aux Brésiliens de vivre comme les Français. Je ne vois se dégager aucune stratégie globale qui permettrait de préserver les chances de la planète, ce qui est très angoissant. Auriez-vous, messieurs, en votre qualité d’experts, des préconisations précises à formuler – le changement de tel comportement ou tel mode de consommation – qui seraient compréhensibles tant par les peuples que par les gouvernements ? Faute de quoi, nous allons continuer à tourner en rond, à organiser de jolies conférences et à nous faire plaisir en affichant des objectifs vertueux et très ambitieux. La France a d’ailleurs toujours été en pointe en la matière : le précédent gouvernement préconisait une réduction des émissions de 30 % et l’actuel plaide pour 40 %.

En définitive, il ne se passe pas grand-chose et la température continue à augmenter. Tel est le drame, et il n’y a pas de quoi être fiers : nous sommes collectivement responsables des échecs successifs des conférences sur le climat. À Copenhague, la décision a été prise notamment par les présidents américain, chinois, sud-africain et brésilien, hors de la présence des chefs d’État européens qui n’ont même pas été invités dans la salle des discussions ! La conférence s’est soldée par un échec, personne n’ayant voulu prendre d’engagements contraignants.

Mme Élisabeth Guigou. L’enjeu est en effet de dépasser le stade du diagnostic et de passer à l’action. Nous en sommes tous convaincus.

M. Yannick Favennec. Je vous remercie à mon tour, messieurs, au nom des députés du groupe UDI. Quelles sont vos préconisations pour que la conférence Paris Climat 2015 puisse aboutir à un accord international viable et que l’on cesse de perdre du temps ?

Outre l’augmentation de la température de un à trois degrés dans les Alpes depuis 1958, quels sont les grands témoins du changement climatique en France ? Quelles ont été les conséquences sanitaires du réchauffement dans notre pays ? Quelles seront-elles à moyen et long termes ? Quels sont les effets sur la nature elle-même, en particulier sur la biodiversité et sur les écosystèmes ? Quelles solutions préconisez-vous pour nous adapter et limiter les impacts du changement climatique ?

En termes de gouvernance, comment faire en sorte que tous les acteurs concernés – hommes politiques, citoyens, chercheurs, agriculteurs – travaillent main dans la main pour réduire les risques induits par le changement climatique ? Comment les territoires se sont-ils approprié ces enjeux ? Les actions territoriales sont-elles, selon vous, bien coordonnées ? Les citoyens sont-ils eux aussi suffisamment impliqués ?

S’agissant de l’adaptation au changement climatique, l’échange de données entre les différents organismes concernés est-il efficace ou bien convient-il de l’améliorer ? Est-il opportun, selon vous, de développer la notion de compensation ? Faut-il compenser systématiquement toutes les destructions ? Enfin, comment expliquez-vous qu’il y ait encore tant de climato-sceptiques dans notre pays ?

M. Noël Mamère. Les experts sont des lanceurs d’alertes : il leur appartient de dresser un état des lieux – leurs projections sont d’ailleurs plutôt effrayantes –, mais pas d’apporter des réponses politiques. Ainsi, ce n’est pas à eux qu’il reviendra de prendre des décisions lors de la conférence Paris Climat 2015.

L’enjeu est de dépasser le fiasco de Copenhague. Il convient de prendre des décisions à l’échelle non seulement européenne, mais aussi mondiale. L’Union européenne a-t-elle eu raison d’adopter des directives non contraignantes ? Les menaces sont aujourd’hui telles, non seulement sur l’homme, sur l’économie et sur les modes de développement, mais aussi sur les êtres vivants et sur les écosystèmes, que nous serons sans doute amenés à prendre des dispositions à caractère contraignant, voire autoritaire. Or comment amener à les faire accepter ? Comment concilier la réduction des menaces pesant sur nos petits-enfants ou nos arrières petits-enfants avec le respect de la démocratie ?

« Nous n’avons qu’un seul monde », disent à juste titre les écologistes. Les projections du GIEC mettent en lumière les interactions à l’échelle de la planète. Certaines parties du monde seront d’ailleurs victimes d’une double peine : les pays les plus vulnérables socialement seront aussi les plus touchés par les effets du bouleversement climatique. D’où les questions qui se posent en termes de développement, d’inégalités et de rapports entre les pays riches et les pays pauvres.

Le principal enjeu de la conférence Paris Climat est sans doute l’engagement des pays émergents. Nous avons une dette écologique à l’égard de ces pays, dont nous avons largement exploité les ressources. À cet égard, l’un des enjeux de demain est celui de l’extractivité des terres rares, qui entrent dans la composition de nombreux petits objets non recyclables. Cela nuance ce que l’on dit sur l’économie circulaire. Nous devrions également réfléchir à la question de la dispersivité. Reste que les pays émergents sont apparemment prêts à faire des efforts. Est-ce là, selon vous, une des clés pour l’avenir ?

Tous les ministres invoquent à l’envi la croissance, que l’on pensait pourtant une notion du passé. Afin de relancer l’économie, certains vont jusqu’à proposer de construire à nouveau des grands barrages, en contradiction avec les orientations que nous avons prises. Le Gouvernement a décidé de transférer 280 millions d’euros du budget de l’écologie à celui de la défense. Le projet de loi sur la transition énergétique n’en a que le nom : il s’agit seulement d’une stratégie « bas carbone », qui n’est pas à la hauteur des enjeux. Qu’en pensez-vous en tant qu’experts ? Une véritable transition énergétique implique un autre mode de développement, un changement de logiciel dans le fonctionnement de nos sociétés.

Enfin, on présente le gaz de schiste comme la solution, alors que le GIEC souligne, rapport après rapport, la nécessité de sortir des énergies carbonées. Même si nous disposions de millions de tonnes de gaz de schiste sous nos pieds, il ne faudrait pas les exploiter ! Êtes-vous d’accord avec cette réflexion ? Sans doute exciperez-vous de votre droit de réserve, en votre qualité d’experts. Mais quand l’homme est passé de l’âge de la pierre à l’âge du fer, ce n’est pas parce qu’il manquait de pierres : il a purement et simplement basculé dans un autre modèle.

M. Patrice Carvalho. Le cinquième rapport du GIEC a confirmé la responsabilité des activités humaines dans le changement climatique. Bien que nous en ayons conscience, la dérive se poursuit. Quelle contradiction, alors qu’il est question de la survie de la planète !

La consommation du charbon explique 44 % des émissions de dioxyde de carbone. J’aurais d’ailleurs aimé entendre M. Mamère sur ce point, le charbon constituant la seule alternative au nucléaire. Depuis 2000, la production mondiale de charbon a progressé de 70 %, pour atteindre 16,9 milliards de tonnes par an. Le charbon est la source d’énergie privilégiée non seulement par les pays émergents, mais aussi par certains pays développés tels que l’Allemagne, où l’on ouvre des centrales au charbon pour compenser la fermeture des centrales nucléaires. Belle avancée !

Il serait urgent d’entendre, avant la conférence Paris Climat 2015, l’alarme sonnée par les experts du GIEC. Comme j’ai pu le constater en assistant avec d’autres parlementaires à la conférence de Varsovie en nombre 2013, l’engagement de tous est loin d’être acquis : d’une part, les pays développés refusent de se lier par des obligations ; d’autre part, les pays émergents ne veulent pas compromettre leur développement. Pourtant, des milliardaires de ces pays dépensent des sommes considérables dans nos grands magasins. Nous devrions être capables de les inciter à investir autrement les bénéfices qu’ils dégagent !

Des engagements ont été pris lors des conférences précédentes. À Copenhague, on a fixé l’objectif de limiter le réchauffement climatique à deux degrés d’ici à la fin du siècle. Or, au rythme actuel, l’augmentation de température atteindra 4,6 degrés. Et, d’après ce que je comprends de vos propos, messieurs, ce scénario demeure lui-même incertain.

Les phénomènes climatiques tels que le typhon qui a ravagé les Philippines constituent des signaux d’alerte. Le niveau des océans s’est élevé de 19 centimètres entre 1901 et 2012. Cette hausse pourrait atteindre 26 à 96 centimètres d’ici à 2100. Une grave menace pèse donc sur les zones côtières les plus peuplées, qu’il s’agisse de New York, Miami ou Bombay. On nous dit également que l’augmentation de la température des océans et de l’intensité des pluies va accroître les risques de cyclone. Enfin, les vagues de chaleur – telle celle qui a touché l’Europe en 2003 – ou de froid – à l’instar de celle qu’ont connue les États-Unis en 2012 – seront plus fréquentes.

Si nous voulons conjurer cette dégradation accélérée, le débat doit porter avant tout sur le mode de développement actuel : la production effrénée épuise les ressources de la planète et les écosystèmes. Si nous n’avons pas ce débat et si l’intérêt général ne l’emporte pas sur les intérêts mercantiles et, surtout, financiers, les intentions affichées ne resteront que des vœux pieux. Tel est le cas depuis déjà quelques décennies.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Michel Vauzelle va me remplacer à la présidence de cette table ronde au titre de la commission des affaires étrangères. Par ailleurs, j’indique aux membres de la commission des affaires étrangères que j’ai décidé d’annuler l’audition de M. Emmanuel Bonne programmée cet après-midi, car notre présence est requise en séance pour un débat important.

M. David Salas y Melia. Comme cela a été dit très justement, nous ne pouvons pas répondre à toutes les questions, notamment à celles qui concernent les négociations internationales. En tant que physiciens, il ne nous appartient pas de dire si telle ou telle politique est mauvaise d’un point de vue idéologique, mais seulement si elle a des implications positives ou négatives en termes de flux de carbone. Nous nous efforçons de quantifier l’impact des politiques, c’est-à-dire de déterminer, en prenant en compte tous les paramètres, si elles conduisent à une augmentation ou à une réduction des émissions de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Et pour ce qui est l’exploitation du gaz de schiste, les choses sont claires : elle va à l’encontre des objectifs fixés.

Pour répondre à M. Favennec, l’un des grands témoins du changement climatique en France est tout simplement l’augmentation de la température moyenne annuelle depuis 1900. Météo-France la calcule tous les ans à partir des relevés effectués par ses nombreuses stations météorologiques. Or nous observons des années plus chaudes que précédemment, plus particulièrement depuis le début des années 1990. Ainsi, l’année 2011 a été la plus chaude jamais observée en France. En 2014, au regard des six premiers mois de l’année, nous sommes de nouveau partis sur une température relativement élevée.

D’autres communautés que celle des climatologues se sont penchées sur les impacts sanitaires futurs du changement climatique, notamment dans le cadre des travaux du GIEC. Selon leurs conclusions, le principal danger viendrait des températures très élevées qui prévaudront dans l’avenir, comme nous en avons été témoins lors de la grande canicule de l’été 2003 sur l’Europe de l’Ouest. En revanche, les dangers liés aux vagues de froid semblent moindres. Certes, contrairement à ce qui a pu être dit, les vagues de froid ne disparaîtront pas complètement, notamment aux États-Unis et en Europe, mais elles seront probablement moins longues et moins intenses. Enfin, pour ce qui est des maladies à vecteurs, les conséquences sanitaires du changement climatique semblent plutôt à relativiser.

Quant aux écosystèmes, ils ne peuvent tout simplement pas suivre certains rythmes d’évolution climatique. Dans l’hypothèse d’un scénario « haut » tel que le RCP8.5, beaucoup d’espèces, européennes ou autres, semblent menacées de disparition : elles ne pourront pas migrer suffisamment rapidement pour trouver des contrées plus fraîches. D’où l’objectif fixé de ne pas dépasser une augmentation de deux degrés par rapport à l’ère préindustrielle : une telle évolution limiterait les problèmes pour de nombreuses espèces et permettrait à l’agriculture de s’adapter dans une certaine mesure. Au-delà, les possibilités d’adaptation semblent beaucoup plus aléatoires.

En notre qualité de climatologues, il ne nous appartient pas non plus d’évaluer la coordination des différentes politiques à l’échelle nationale. Le plus important, à mes yeux, est de quantifier l’impact des politiques. Nous devons éviter les mesures d’ordre symbolique. En particulier, il ne faut pas réduire les émissions de gaz à effet de serre d’un côté pour les augmenter de l’autre.

M. Jean-Louis Dufresne. En tant que physiciens du climat, nous sommes peu engagés dans les négociations. Nous sommes en effet des lanceurs d’alerte : notre rôle est d’indiquer s’il existe un risque et de déterminer sa nature.

En ce qui concerne les climato-sceptiques, il convient de distinguer leur nombre et le bruit qu’ils font. En France, il n’y a pas, à ma connaissance, de climato-sceptiques au sein de la communauté des scientifiques qui travaillent sur le climat. Personne parmi nous ne conteste le constat général : la quantité de dioxyde de carbone dans l’atmosphère s’accroît, ce qui amplifie l’effet de serre et aura un effet de premier ordre sur le climat, à savoir une augmentation très importante de la température au regard des évolutions passées. Cela ne signifie pas pour autant que nous soyons d’accord sur tout : nous pouvons avoir des débats sur la précision de tel résultat ou les changements induits à tel endroit. Mais il s’agit de nuances.

En revanche, il arrive que des personnes s’expriment au nom d’une autre communauté scientifique sur tel ou tel aspect du sujet. Pour ma part, en ma qualité de scientifique – il n’en va pas nécessairement de même en tant que citoyen –, je refuse de m’exprimer sur des questions qui sortent de ma sphère de compétence. Or les compétences des climato-sceptiques dans le domaine du climat sont souvent faibles. Il existe bien quelques exceptions, non pas en France mais à l’étranger, par exemple Richard Lindzen, qui se rend régulièrement dans notre pays et avec lequel nous avons des échanges. Mais si vous discutez avec ces personnes de manière approfondie, vous vous rendrez compte que leur contestation porte sur d’autres points que sur les aspects fondamentaux, tel l’accroissement de la quantité de gaz à effet de serre.

Comme cela a été dit, le changement climatique aura probablement des effets très différenciés en fonction des régions, celles-ci n’étant pas vulnérables aux mêmes phénomènes – élévation du niveau des mers ou variation du volume des précipitations, par exemple. Reste que l’augmentation de la température va poser un problème sanitaire majeur : l’organisme humain ne peut pas résister à des changements de température trop marqués ; il a besoin de se refroidir. Si la température augmente de quatre degrés, des zones entières deviendront inhabitables alors que, pour l’heure, les régions où l’homme ne peut pas vivre à l’extérieur se limitent à quelques poches. Nous travaillons également sur ces questions.

Pour ce qui est de la biodiversité, comme l’a indiqué David Salas y Melia, il se produira des changements de climat. Mais c’est surtout la vitesse de ces changements qui posera un véritable problème, d’ailleurs difficile à quantifier.

S’agissant des émissions de dioxyde de carbone, le GIEC ne prescrit pas telle ou telle politique pour les réduire. Sa philosophie a été de définir non pas des scénarios contraignants ou normatifs, mais des chemins possibles, des pathways qui décrivent ce qui se passera probablement si les émissions évoluent de telle ou telle manière. À partir de là, différentes politiques peuvent être menées pour suivre un chemin déterminé. Mais c’est plus aux hommes politiques qu’aux scientifiques qu’il revient de travailler sur ce point.

M. Philippe Dandin. Je vous invite à consulter les indicateurs publiés par l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC) sur son site Internet. Il s’agit tant de paramètres physiques concernant l’atmosphère ou les océans que de données relatives au vivant. L’un de ces paramètres est la zone d’expansion de la chenille processionnaire du pin, attentivement surveillée par l’Institut national de la recherche agronomique depuis quelques décennies. La présence de cette chenille est fortement déterminée par la température moyenne. Or elle remonte régulièrement vers le Nord. Voilà un phénomène visible par tous, qui peut être attribué à l’évolution du climat.

L’amplitude et la vitesse des évolutions climatiques produisent également des déphasages de nos cycles saisonniers bien ordonnés, qui peuvent être à l’origine d’une « dette climatique » entre les espèces : l’évolution plus rapide de certaines d’entre elles, en général les moins complexes, perturbe les chaînes alimentaires et provoque une rupture des écosystèmes. Une étude publiée en avril dernier dans la revue PLOS Biolology, dont les médias se sont fait l’écho, montre par exemple que la floraison trop précoce des jeunes pousses ne permet plus aux chevreuils de nourrir les faons.

Ces exemples illustrant les théories scientifiques permettent au public de prendre conscience de l’impact du changement climatique dans son environnement direct.

Monsieur Favennec nous a interrogés sur l’implication de l’ensemble des acteurs, sur le rôle des territoires et sur la coordination des diverses strates administratives. La France a la chance de bénéficier d’une stratégie d’adaptation au changement climatique aujourd’hui pilotée par le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Pour notre part, dans le cadre des actions dites de « services climatiques », nous consentons de réels efforts pour former des intermédiaires qui mettent l’information scientifique à disposition des territoires et des entreprises.

En 2010, le ministère du développement durable avait chargé le climatologue Jean Jouzel de diriger des travaux consacrés au climat de la France au xxie siècle afin de disposer des indices climatiques de référence susceptibles de permettre l’élaboration de plusieurs scénarios. Les suites de ce travail d’expertise et de synthèse seront publiées d’ici à la fin de l’été et les indicateurs nécessaires à l’élaboration des plans climat-énergie territoriaux (PCET) et des schémas régionaux du climat, de l’air et de l’énergie (SRCAE) seront consultables sur le portail DRIAS.

S’il est essentiel de réduire les émissions de gaz à effet de serre, il n’est pas moins indispensable d’entrer dans une logique d’adaptation car, en matière climatique, nous sommes confrontés à une inertie extrêmement forte. Cet impératif se comprend mieux si l’on pense à la nécessité de s’adapter face aux risques – il suffit de comparer les effets d’une forte tempête sur un territoire préparé et sur un autre qui ne l’est pas. De la même façon que Météo-France travaille avec la sécurité civile et avec la direction générale de la prévention des risques pour préparer les populations et les territoires, il appartient aux scientifiques de faire des recommandations en matière d’adaptation au changement climatique.

Mme Martine Lignières-Cassou. Messieurs, le scénario de changement climatique le plus pessimiste semble devoir se traduire par une élévation du niveau de la mer de sept mètres, ce qui ferait disparaître un certain nombre de zones habitées ou non. Cette hypothèse est-elle sérieuse ?

Mes chers collègues, je ne vois pas à quel titre nous pourrions exiger de pays en plein développement qu’ils changent de modèle. Je reviens de Chine, et j’ai pu prendre la mesure des efforts que l’on y déploie pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et développer les énergies renouvelables. Un consensus mondial peut se dégager pour miser sur des technologies propres.

M. Jacques Myard. Messieurs, en vous écoutant, il m’a semblé comprendre que la température avait augmenté en moyenne de quatre degrés par rapport à l’époque glaciaire. Est-ce à dire qu’aujourd’hui, une réduction de température de la même amplitude nous permettrait de voir un glacier s’installer jusqu’à Lyon ? Je reste dubitatif…

Existe-t-il un procédé physique qui permettrait de « casser » les molécules de dioxyde de carbone contenues dans l’atmosphère ? Une telle solution est-elle utopique ?

Certains pays ont abandonné l’énergie nucléaire au profit du charbon ou du lignite. Quel est l’impact d’un tel choix sur le réchauffement climatique ? Il me semble en effet contradictoire de renoncer au nucléaire pour une solution énergétique qui compromet tous les objectifs de lutte contre le réchauffement.

M. Arnaud Leroy. Il faut combiner urgence et réalisme. Il ne suffit plus de tenir un discours sur l’atténuation des effets des changements climatiques car nous sommes rattrapés par la réalité. L’adaptation n’est pas un renoncement, mais un complément nécessaire. Dans ce cadre, les scénarios élaborés par les scientifiques et les informations qu’ils collectent jouent un rôle majeur.

Comme vous le savez, l’Assemblée nationale vote le budget. À l’aune des responsabilités qui sont celles des organismes pour lesquels vous travaillez, estimez-vous qu’ils disposent de moyens suffisants pour fournir une information incontestable ? Les océans pourront-ils encore longtemps jouer le rôle majeur qui est le leur dans l’équilibre du climat ? Dans quel délai atteindront-ils leur capacité maximale d’absorption des gaz à effet de serre ?

Que pensez-vous des espoirs que fait naître la bio-ingénierie ? On parle de « casser » le gaz carbonique, d’en stocker dans les anciennes mines… Avons-nous affaire à des solutions miracles ou risquons-nous de perdre du temps avec des nouvelles technologies purement fantasmagoriques ?

M. Jean-Marie Sermier. À l’époque de Pasteur, né dans la ville de Dole dont je suis l’élu, le travail des scientifiques se traduisait par des découvertes qui faisaient progresser toute la société. Aujourd’hui, on constate une vraie fracture entre la société et les scientifiques. Pourtant, messieurs, vous ne pouvez pas vous contenter de vous conduire en simples techniciens des sciences – même si l’un de mes collègues a défendu la thèse contraire il y a un instant ! Certes, il revient aux élus de prendre des décisions, mais la responsabilité de faire des propositions à la société vous appartient.

Le nucléaire ne constitue-t-il pas à vos yeux une source d’énergie bien moins risquée que le charbon ? Sachant que, selon le rapport du GIEC, le changement climatique exacerbe l’insécurité alimentaire de la planète, ne devrait-on pas recourir aux OGM qui permettent par exemple de réduire la consommation d’eau des cultures ? Si l’on s’entoure de toutes les garanties nécessaires afin de ne prendre aucun risque, ces évolutions technologiques ne sont-elles pas des solutions d’avenir ?

Mme la présidente Danielle Auroi. Lorsque l’on parle du réchauffement climatique, on pense d’abord aux territoires, à leurs habitants, à leur faune et à leur végétation, ou à la température de l’air, mais on n’oublie souvent les océans qui s’acidifient. L’alimentation humaine est pourtant autant liée au milieu marin qu’au milieu terrestre. Qu’en est-il de la biodiversité des océans ? Ne faut-il pas poser la question de l’eau de façon globale ? Monsieur Sermier, je vous rappelle que l’influence du réchauffement des eaux douces à proximité des centrales nucléaires n’est pas sans effet sur la biodiversité des fleuves – il n’y a qu’à voir le cas de la Loire.

Nous avons besoin des modèles que vous nous proposez pour faire des choix. Si nous ne devions mettre en place qu’une seule mesure contraignante, laquelle faudrait-il retenir ?

M. David Salas y Mélia. Madame Lignières-Cassou, l’hypothèse d’une élévation du niveau de la mer de sept mètres n’est pas absurde, à ceci près qu’elle correspond à la fonte totale de la calotte glaciaire du Groenland au terme d’un processus qui durerait environ mille ans. Dans le cadre du scénario du pire, dit RCP8.5, le niveau de la mer augmenterait en moyenne d’un mètre en 2100 et continuerait sa progression par la suite. Dans le scénario le plus favorable, dit RCP2.6, l’inertie ne permettrait pas que l’élévation du niveau de la mer s’interrompe en 2100, et le mouvement se poursuivrait durant quelques siècles, mais dans des proportions bien moindres. Au final, on serait très loin de parvenir au niveau que vous évoquiez.

Le scénario bas, qui suppose que nous parvenions en 2100 à des émissions globales proches de zéro, voire légèrement négatives, ne pourra se réaliser que si des actions délibérées visant à réduire les flux de carbone sont menées à l’échelle globale, en particulier grâce à la géo-ingénierie. Il s’agira de récupérer le carbone contenu dans l’atmosphère pour le stocker par exemple en enterrant des arbres ou en le conservant sous forme liquéfiée dans les océans ou dans des gisements pétrolifères épuisés… D’autres méthodes relèvent quasiment encore de la science-fiction comme la gestion du rayonnement solaire : il serait possible de renvoyer une fraction de l’énergie solaire vers l’espace, par exemple en peignant les routes et les toits en blanc. En tout état de cause, les climatologues ne peuvent qu’évaluer l’efficacité et l’intérêt des mesures proposées.

Monsieur Jacques Myard, je vous confirme qu’une réduction de quatre degrés de la température entraînerait à terme le retour des glaciers à Lyon, mais cela prendrait quelques dizaines de milliers d’années. Je rappelle que si l’histoire de la terre a vu alterner des périodes froides et d’autres plus chaudes, le climat « normal » depuis un million et demi d’années correspond à une ère glaciaire. Ainsi, le dernier âge glaciaire a duré cent mille ans pour s’interrompre il y a environ dix mille ans, et la période chaude qui le précédait n’avait duré que quinze mille ans. La déglaciation peut se faire assez rapidement alors que l’entrée en glaciation est un peu plus longue.

M. Jean-Louis Dufresne. L’océan est un facteur d’inertie thermique. Il absorbe en effet actuellement la moitié du réchauffement lié au gaz à effet de serre. Même en cas de stabilisation des concentrations des gaz, le réchauffement se poursuivra en raison du déséquilibre créé. L’océan constitue aussi un puits à carbone qui retient environ un quart des émissions de gaz carbonique, ce qui a des conséquences en termes d’acidification, et un impact sur la biodiversité marine. Pour en prendre conscience, il suffit de savoir que les scientifiques reconstituent les climats du passé en observant les micro-organismes marins conservés dans les sédiments.

Les modèles dont nous disposons permettent d’affirmer qu’une baisse moyenne de la température mondiale de quatre degrés entraînerait, à terme, la formation d’un glacier alpin qui descendrait jusqu’à Lyon. Dans une telle hypothèse, les glaces seraient également présentes dans les pays scandinaves ou en Amérique du nord. Une chute globale de la température recouvrirait des réalités diverses : la baisse serait beaucoup plus forte dans le cercle arctique que partout ailleurs, et une fois et demi plus importante sur les continents que sur les océans.

Plusieurs technologies sont à l’étude pour « casser » le CO2. En tout état de cause, il faut bien mesurer les effets sur les milieux concernés – ceux d’un stockage dans l’océan par exemple – et, surtout, avoir conscience que le processus chimique demande quoi qu’il en soit de fournir de l’énergie – ce qui ne fait que « boucler » le cycle énergétique et ne répond pas aux objectifs poursuivis.

À côté de nos activités scientifiques, nous sommes en permanence à la recherche de moyens nécessaires à leur financement. Les diverses simulations à mener ont par exemple un coût, de même que le stockage de résultats qui irriguent même les bureaux d’études ou les collectivités locales au-delà de la communauté scientifique.

Nous devons avancer sur l’adaptation en ayant conscience de nos lacunes. Nous manquons en la matière d’une assise scientifique solide, et les Européens oublient parfois qu’ils ne savent pas tout sur le changement climatique. Si nos connaissances sont indiscutables sur certains points, elles restent limitées sur d’autres, en particulier concernant l’adaptation. Certes, nous sommes en mesure d’affirmer que les changements climatiques récents sont dus aux activités humaines, mais cela ne signifie pas que nous en connaissons tous les mécanismes. La distance qui reste à franchir est énorme.

M. Philippe Dandin. La question des budgets est évidemment essentielle. Météo-France travaille sous l’autorité du ministère, et signe avec l'État un contrat d'objectifs et de performance qui fixe les orientations stratégiques à cinq ans et conditionne la mise à disposition de ses moyens. Pour demeurer à la pointe de notre activité au niveau international, nous recherchons aussi en permanence des financements extérieurs notamment européens et locaux. Le programme Copernicus de la Commission européenne vise, par exemple, à mettre en place des services opérationnels à l’échelle de l’Union. Nous y participons même s’il ne s’agit pas pour nous d’une démarche originale, car la mutualisation des services météorologiques se pratique depuis très longtemps. Les contrats de plan État-région peuvent aussi apporter des cofinancements.

La question de la géo-ingénierie sera posée dans le cadre des négociations internationales. Pour la traiter de façon efficace, les équipes françaises devront impérativement disposer des moyens leur permettant de prendre une position. Lorsque des « Géo Trouvetou » nous proposerons demain de modifier la composition de notre atmosphère et d’y ajouter des composants, elles devront en effet être capables de mesurer les risques encourus, les dommages collatéraux potentiels et les bénéfices à en tirer.

Nous découvrons progressivement les conséquences du changement climatique, et nous sommes en permanence confrontés à de nouveaux sujets d’une redoutable complexité. Pour y faire face, nous avons besoin de toujours plus de moyens humains et financiers.

Les divers organismes scientifiques travaillent ensemble et partagent leurs ressources, en particulier au niveau européen. Nous cherchons ainsi à développer des services agro-hydro-climatiques qui permettraient de surveiller de façon coordonnée la production agricole, les intrants chimiques dans les sols, la qualité des eaux, la température de celles qui servent au refroidissement des centrales nucléaires…

Des pas de géants ont été accomplis collectivement par les divers organismes scientifiques pour informer sur les données climatiques – nous appelons le transfert de ces informations « services climatiques ». Le portail DRIAS participe de notre volonté de diffuser l’information le plus largement possible. Les divers scénarios climatiques ont ainsi été mis librement à disposition, et les données du passé sont en passe de l’être intégralement. Nous répondons aussi aux questions des collectivités locales pour que les diagnostics ne soient pas remis en cause et que chaque territoire comprenne les enjeux climatiques qui le concernent. Quoi qu’il en soit, tous les travaux actuels confirment que la réduction des émissions de carbone et l’adaptation doivent constituer les deux volets indispensables de notre action collective.

Les scientifiques sortent désormais de leurs laboratoires pour rencontrer la population. Il nous faut en effet passer de nos modèles théoriques au vécu de terrain des agriculteurs ou des élus. Nous en venons alors rapidement au constat que le climat, c’est le monde dans sa complexité avec ses enjeux politiques. Nos discussions commencent par porter sur la calotte polaire, puis les élus finissent par nous expliquer que, tandis qu’ils versent le RSA aux ébénistes qui ne travaillent plus, ils voient passer des camions chargés de billes de bois qui se dirigent vers Fos-sur-Mer et d’autres en revenir remplis de meubles. Ces rencontres nous aident à rendre plus utiles les données que nous élaborons. Après avoir constaté que les tempêtes de décembre 1999 avaient causé plusieurs décès sans être à l’origine d’aucun accident industriel, les météorologues ont décidé d’adopter un langage compréhensible par le public : plutôt que de parler de paramètres météorologiques, les schémas de vigilance utilisent désormais les niveaux de risque et des codes couleurs. De la même façon, nous devons traduire pour le grand public les informations relatives au changement climatique. Les données que nous fournissons aujourd’hui le laissent en effet trop souvent dubitatif parce qu’elles ne lui parlent pas – après tout, une augmentation de quelques degrés peut paraître relativement insignifiante.

J’indique enfin que les pays du Sud, qui rencontrent déjà des difficultés considérables, verront ces dernières exacerbées par les effets du réchauffement climatique. Cela dit, comme Mme Lignières-Cassou a sans doute pu le constater, les Chinois évoluent déjà très rapidement pour la simple et bonne raison qu’ils prennent conscience que leur modèle de développement n’est pas durable.

Mme la vice-présidente Catherine Quéré. Comme viticultrice, je puis témoigner qu’en quarante-cinq ans, la date des vendanges a été avancée de quinze jours à trois semaines. Si cette tendance doit se poursuivre, il nous faudra peut-être changer de cépages. Lors du voyage en Chine que j’ai effectué en compagnie de plusieurs collègues, nous avons été très frappés de constater que dans le vieux Pékin ne circulaient plus que des mobylettes électriques ne produisant ni bruit ni pollution. Nous ne nous attendions pas à une telle avance par rapport à nous.

Messieurs, nous vous remercions pour l’ensemble de vos interventions.

La séance est levée à onze heures quarante-cinq.

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Informations relatives à la commission

Au cours de sa réunion du mercredi 16 juillet 2014 à 9h45, la commission des affaires étrangères a nommé :

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 16 juillet 2014 à 9 h 45

Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Jean-Marc Ayrault, M. Jean-Paul Bacquet, M. Philippe Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, M. Jean-Claude Buisine, M. Gérard Charasse, M. Guy-Michel Chauveau, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, Mme Marie-Louise Fort, Mme Valérie Fourneyron, M. Jean Glavany, Mme Élisabeth Guigou, Mme Chantal Guittet, M. Pierre-Yves Le Borgn', M. Pierre Lellouche, M. Pierre Lequiller, M. Jean-Philippe Mallé, M. Noël Mamère, M. Jean-René Marsac, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. François Rochebloine, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Patrick Balkany, M. Christian Bataille, M. Alain Bocquet, M. Gwenegan Bui, Mme Marie-Arlette Carlotti, Mme Seybah Dagoma, M. Jean-Paul Dupré, M. Jean-Claude Guibal, Mme Thérèse Guilbert, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Françoise Imbert, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, M. Jean-Luc Reitzer, M. André Santini, Mme Odile Saugues, M. Guy Teissier