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Commission des affaires étrangères

Mercredi 10 septembre 2014

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 89

présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente

– Etats-Unis d'Amérique : accord en vue d'améliorer le respect des obligations fiscales à l'échelle internationale et de mettre en œuvre la loi relative au respect des obligations fiscales concernant les comptes étrangers (dite « loi FATCA »), (n° 2179).

Etats-Unis d'Amérique : accord en vue d'améliorer le respect des obligations fiscales à l'échelle internationale et de mettre en œuvre la loi relative au respect des obligations fiscales concernant les comptes étrangers (dite « loi FATCA ») (n° 2179).

La séance est ouverte à seize heures trente.

La commission examine, sur le rapport de Mme Estelle Grelier, le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique en vue d'améliorer le respect des obligations fiscales à l'échelle internationale et de mettre en œuvre la loi relative au respect des obligations fiscales concernant les comptes étrangers (dite « loi FATCA »), (n° 2179).

Mme Estelle Grelier, rapporteure. L’accord dit FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) entre la France et les Etats Unis fait partie de l’ensemble des conventions fiscales conclues par les Etats-Unis pour assurer l’échange automatique des informations bancaires entre administrations fiscales sur une base bilatérale.

C’est une révolution sur le plan international et pour la lutte contre la fraude fiscale à cette échelle.

En effet, l’échange automatique de données en grand nombre et chaque année modifie considérablement les conditions d’accès du fisc aux informations étrangères.

Actuellement, celui-ci se fait sur demande préalable et au cas par cas.

La seule exception à ce principe est prévue par la directive 2003/48/CE dite épargne qui organise entre les Etats membres de l’Union européenne la transmission automatique des revenus de l’épargne, et pour être très précis, des seuls produits de taux (revenus d’obligation, de compte épargne et autres). Et encore, ce dispositif est-il assorti d’une dérogation pour les Etats à secret bancaire, ce qui permet à l’Autriche et au Luxembourg de ne pas communiquer ces informations en prélevant en remplacement une retenue à la source au taux de 45%.

FATCA résulte d’une initiative législative américaine de 2010 intervenue en réaction aux affaires bancaires qui ont été mises au jour par la justice américaine au cours des années 2000, notamment l’affaire UBS.

En effet, les banques suisses ont organisé, de manière illégale par démarchage sur le territoire américain, au bénéfice des contribuables américains, des mécanismes destinés à faire échec au dispositif permettant de taxer les revenus à l’étranger de l’épargne américaine investie en produits américains.

En 2010 donc, les Etats-Unis ont adopté une législation extraterritoriale et unilatérale imposant aux banques étrangères de transmettre les données relatives à leurs clients américains, pour échapper à une retenue à la source de 30% sur les versements financiers versés depuis les Etats-Unis en leur faveur. Ils ont pu le faire car il y a à la clef l’accès au marché américain.

La perspective d’une mise en application de ce dispositif n’a pas été sans poser de difficulté pour les banques européennes, notamment françaises, car exigeant des banques communication d’éléments qu’elles n’avaient pas forcément.

Aussi, cinq des principaux pays partenaires des Etats-Unis, engagés dans la lutte contre la fraude fiscale internationale et contre les paradis fiscaux, le G5 – la France ainsi que l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni –, ont entamé des discussions avec les Etats-Unis de manière que FATCA soit mis en œuvre dans le cadre d’accords internationaux et non pas sur une base unilatérale.

Cette démarche a été couronnée de succès, car les Etats-Unis ont accepté de conclure des accords d’Etat à Etat.

C’est ce qu’ont fait 37 pays à ce jour, dont la France, en concluant des accords FATCA de type 1 où les transmissions de données bancaires se font d’Etat à Etat, d’administration fiscale à administration fiscale, ce qui laisse à l’administration nationale le soin de collecter les éléments concernant les comptes domiciliés sur territoire.

L’accord FATCA conclu par la France est bien de ce type. Il sera complété par un accord technique non soumis à ratification parlementaire, mais les difficultés se nichant dans les détails, son dispositif devra faire l’objet d’une vigilance dans le cadre du contrôle parlementaire.

Quelques autres pays, dont la Suisse, le Japon, le Chili, l’Autriche et les Bermudes, ont un accord d’une autre nature, dit de type 2, selon lequel les banques transmettent directement à l’administration fiscale américaine, à l’Internal Revenue Service (IRS), avec en complément l’échange de renseignements sur demande au cas par cas entre administrations fiscales.

Au-delà, FATCA a été à l’origine d’un développement extrêmement rapide de l’échange automatique d’informations au niveau international et européen.

D’abord, sous l’impulsion du G5, le G20 a imposé l’échange automatique en septembre 2013, alors que c’est en 2009 seulement qu’il avait décidé que l’échange d’informations sur demande serait la norme de transparence fiscale internationale.

L’OCDE, qui héberge le Forum mondial sur la transparence et l’échange automatique d’informations en matière fiscale, a été chargée d’établir un standard mondial. Celui-ci va être présenté au prochain G20 des ministres des finances et des banques centrales à Cairns, les 20 et 21 septembre.

Sur le plan juridique, la mise en œuvre en est facilitée par le nombre croissant d’adhésion d’Etats, sous la pression internationale, et de l’opinion publique, en raison notamment des travaux d’évaluation et de revue par les pairs du Forum mondial, à la convention multilatérale du Conseil de l’Europe et de l’OCDE sur la coopération fiscale.

Les premiers échanges automatiques sont prévus pour être mis en place par la France et 45 pays ou territoires, selon un calendrier précis, entre 2015 et 2017.

Ensuite, au niveau européen, en parallèle à la révision de la directive « épargne » de 2003, pour l’étendre aux produits de taux qui y échappaient encore, notamment l’assurance vie, et pour faire obstacle à la technique de l’interposition de sociétés écrans ou structures de type trusts, le G5 a obtenu du Conseil européen le principe d’une révision rapide de la directive de 2011 sur la coopération administrative en matière fiscale entre Etats membres de manière à y intégrer, sur une base plus large et conforme au standard OCDE, l’échange automatique d’informations.

On assiste donc à un mouvement de transparence fiscale qui concerne même la Suisse, le Luxembourg et l’Autriche, et les autres pays ou territoires traditionnellement non coopératifs en raison de leur secret bancaire.

Celui-ci laisse clairement entrevoir la fin des paradis fiscaux. C’est un élément essentiel à prendre en considération et à mettre en balance avec d’éventuels doutes.

Dans ce contexte, la ratification de l’accord FATCA conclu en novembre 2013 par le Gouvernement et l’Administration du Président Obama appelle peu de réserve.

C’est bien un accord entre Etats avec des dispositions classiques et la communication des données fiscales se fera bien entre administrations. Pour les comptes américains en France, ce sera donc la DGFiP qui sera chargée de la collecte auprès des établissements financiers concernés, banques et assurances.

Cet accord est l’une des modalités de mise en œuvre de la convention fiscale franco-américaine de 1994 destinée à éviter les doubles impositions et qu’organise la coopération pour prévenir la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale.

C’est certainement un cadre beaucoup plus satisfaisant que les accords de type 2 où des données à caractère personnel sont transmises directement à l’IRS.

Concrètement, les autorités françaises collecteront et transmettront, selon un calendrier progressif, les informations financières sur les citoyens et résidents des Etats-Unis : identification, comptes, soldes des comptes, valeur de rachat des contrats d’assurance, revenus financiers.

La base juridique permettant aux banques françaises de collecter ces données sera assurée tant par le texte de l’accord, et plus précisément par l’annexe 1 qui prévoit les modalités de mise en œuvre de l’obligation de diligence (due diligence) vis-à-vis des comptes dont les titulaires présentent des indices d’américanité (passeport, résidence aux Etats-Unis, numéro de téléphone), que par l’article 1649 AC du code général des impôts, qui vient d’être modifié en conséquence par la loi de finances rectificative du 8 août dernier.

La première transmission de données par l’administration fiscale est prévue pour le 30 septembre 2015 au plus tard, sur les données afférentes à l’année 2014. Il y aura ensuite une transmission annuelle.

Pour les banques et assurances françaises, cette obligation d’identification des comptes américains commence en principe au 1er juillet 2014, mais une disposition de l’accord prévoit qu’elles n’encourent cependant pas de sanction tant que l’accord n’est pas ratifié.

Il devient nécessaire de ratifier maintenant à bref délai, car il s’agit de ne pas prendre de retard.

Pour être tout à fait clair, le point de l’accord qui mérite explication est la dissymétrie entre les obligations prévues pour la partie française et celles prévues pour la partie américaine.

Notamment, les dispositions relatives à l’obligation de diligence des banques américaines ne figurent pas dans l’accord et les soldes des comptes américains détenus par des contribuables français ne seront pas communiqués d’emblée par les Etats-Unis.

Sur le premier point, on peut simplement rappeler qu’il s’agit en fait d’appliquer les règles déjà en vigueur pour la lutte contre le blanchiment, qui impose aux établissements financiers de connaître leurs clients.

Sur le second point, on peut observer que l’essentiel pour l’administration fiscale française est de détenir le numéro de compte et le niveau des revenus. Si le dossier du contribuable pose problème, une demande de renseignement ad hoc pourra alors être transmise à l’administration fiscale américaine.

En outre, trois éléments font que la dissymétrie devrait se résorber.

D’abord, les Etats-Unis se sont engagés à modifier leur législation interne pour que l’IRS dispose des soldes bancaires, mais les difficultés actuelles entre le Congrès et le président Obama n’ont pas permis aux initiatives en ce sens d’aboutir.

Ensuite, le texte de l’accord comprend un principe général de réciprocité entre les deux pays.

Enfin, il confère à la France le droit de bénéficier de toute clause plus favorable qui serait contenue dans un autre accord FATCA conclus par les Etats-Unis avec un autre pays. Actuellement, il n’existe pas de clause plus favorable et ce principe de la Nation la plus favorisée n’a donc pas à s’appliquer.

Au-delà de ces éléments qui plaident en faveur de la ratification, nous constatons que la perspective de la transparence fiscale internationale a conduit un grand nombre de Français à rapatrier leurs avoirs de l’étranger et notamment de Suisse. Fin juillet ainsi, 29.024 demandes de régularisation avaient été enregistrées. Le montant moyen par dossier des avoirs révélés à l’administration fiscale s’élève à 1 million d’euros permettant à ce stade d’estimer qu’environ 28 milliards d’euros détenus à l’étranger étaient « sortis de l’ombre » et venaient accroître les bases fiscales pour l’avenir.

Le rythme d’arrivée des dossiers restait très soutenu. Les sommes recouvrées en impôts et pénalités atteignaient 1,336 milliard d’euros, contre 1 milliard d’euros mi-juin garantissant d’atteindre l’objectif de 1,8 milliard fin 2014 et de disposer encore de recettes en 2015.

D’ailleurs, ce surcroît de recettes a permis dès le mois de mai dernier d’alléger l’impôt.

Je rappelle enfin que la commission des finances s’est saisie pour avis de cet accord et qu’elle a donné un avis favorable à sa ratification ce matin-même, sur le rapport de M. Yann Galut.

Mme la présidente Elisabeth Guigou. Je remercie Estelle Grelier d’avoir accepté d’être rapporteure en remplacement de Pascale Boistard, nommée au Gouvernement. Je voudrais souligner après elle à quel point l’accord FATCA est important, car il s’inscrit dans un ensemble de textes internationaux et européens qui engagent une vraie lutte contre la fraude fiscale internationale.

Mais, au préalable, je vais répondre aux interrogations que Pierre Lellouche a émises ce matin. FATCA doit être distingué de la législation anticorruption FCPA (Foreign Corrupt Practice Act), qui date dans sa première version de 1977). L’accord conclu avec la France vise à appliquer sur une base bilatérale d’Etat à Etat, consentie et symétrique, le dispositif de transfert de données bancaires étrangères à l’administration fiscale, et non à appliquer la loi américaine FATCA de 2010 de manière unilatérale et extraterritoriale, ce qui était prévu à l’origine. Les mécanismes et les noms sont les mêmes, mais les fondements de la démarche bilatérale sont très différents.

C’est un accord fiscal dont la base juridique est la convention fiscale bilatérale de 1994 et qui ne vise qu’à assurer le transfert automatique de données bancaires entre administrations fiscales : l’administration américaine (IRS) recevra les données relatives au nationaux américains, car l’impôt sur le revenu dépend de la nationalité aux Etats-Unis, et le fisc français recevra les données relatives aux contribuables français. Les données bancaires sont les suivantes : comptes, soldes, revenus financiers. Elles sont de nature fiscale.

L’échange automatique d’informations est un pas essentiel, au moins dans la lutte contre la fraude des particuliers, car il permettra de traiter le grand nombre et épargnera aux administrations l’obligation de procéder à des demandes d’informations au cas par cas.

Le FATCA est, nous le savons, une initiative américaine. Mais l’idée de l’échange automatique a aussi été portée par la France et en particulier par notre Assemblée. Elle figurait ainsi dans un rapport que j’ai présenté en 2009 avec Daniel Garrigue à la commission des affaires européennes et dans la résolution européenne adoptée consécutivement. Celle-ci recommandait en particulier que l’échange automatique devienne la « norme internationale de transparence ».

Nous avons également progressé dans le cadre international. L’OCDE élabore actuellement un standard international pour inscrire l’échange automatique dans toutes les conventions fiscales. Et, dans l’Union européenne, l’échange automatique a été prévu sur les revenus des produits de taux par la directive dite « épargne » de 2003, qui a été révisée cette année pour la rendre plus efficace, tandis que la directive de 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal a étendu cet échange, à compter du 1er janvier 2015, aux revenus professionnels, aux jetons de présence, aux revenus fonciers et aux pensions.

Il nous reste cependant à étendre cet échange aux dividendes et plus-values, mais, sur ce point, la Commission européenne a proposé l’an dernier une réforme de la directive de 2011 pour les couvrir aussi, à la suite d’une demande commune exprimée le 9 avril 2013 par les cinq principaux Etats membres, dont naturellement la France. Je souhaiterais savoir où nous en sommes précisément de ce processus d’adaptation du droit européen.

Je m’interroge aussi sur la façon dont ce droit va s’articuler avec les accords FATCA passés par plusieurs Etats membres avec les États-Unis mais pas tous, sachant qu’une clause de la directive de 2011 a pour effet qu’un Etat membre passant un accord FATCA avec les États-Unis est en principe tenu d’offrir les mêmes facilités d’accès aux informations à ses partenaires communautaires.

Ma dernière question porte sur l’état d’avancement des autres grands chantiers de la lutte contre la fraude fiscale internationale. Il s’agit notamment de la manière d’imposer une plus grande transparence sur les propriétaires ou ayants-droits réels des actifs gérés par des fondations, des fiducies ou autres instruments opaques. Il s’agit aussi et surtout de la lutte contre les pratiques des grandes entreprises qui amoindrissent leur base d’imposition par des montages complexes. L’échange automatique est principalement un instrument de lutte contre la fraude des particuliers ou des petites entreprises. Les grandes entreprises utilisent des procédés plus sophistiqués. Nous devons aussi, parallèlement, avancer rapidement sur ce volet.

Si l’accord qui nous est soumis ne règle pas totalement les problèmes de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale internationales, il constitue au moins un progrès.

Mme Chantal Guittet. En principe, la réciprocité est le pilier fondamental des accords internationaux. Le Trésor américain avait accepté de l’inscrire ; or dans cet accord la réciprocité n’est pas pleine et entière. Pourquoi la France donne-t-elle plus que les Etats-Unis et ne peut-on pas modifier cet aspect ?

M. Jacques Myard. Nous sommes tous d’accord pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. Le problème est que l’on ne fait, après lecture de l’accord, qu’approuver et signer le texte américain. Le principe de l’ordre des parties selon les versions n’est même pas respecté puisque, par exemple, les Etats-Unis viennent en premier dans les Définitions. Il n’y a aucune réciprocité et la lecture des Annexes 1 et 2 qui listent le champ est tout simplement choquante. Je ne peux approuver ce texte car il est déséquilibré.

On sait très bien, particulièrement vous Mme Guigou qui avez signé l’Anti-trust Act, que les Américains vont utiliser les données transmises dans les procès anti-trusts. Les deux textes vont se superposer et je ne sais pas comment cela va être utilisé. Cet accord acte l’extra-territorialité de la législation américaine ; il produit certes des effets positifs pour les acteurs, mais il y a des limites à la « volonté impériale » des Etats-Unis. On l’a vu dans l’affaire BNP-Paribas et on le voit ici.

M. Jean-Pierre Dufau. Je remercie Estelle Grelier d’avoir présenté ce texte. Effectivement, tout le monde est favorable à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Mais il y a une contradiction qu’il faut m’expliquer : comment peut-on affirmer à la fois qu’il y a échange automatique et dissymétrie ?

Ayant dit cela, on ne peut pour autant opposer à ce texte des dérives comme l’affaire BNP-Paribas et la question est de savoir si l’accord aura une efficacité. Je le crois pour ma part et le fait que plusieurs pays européens, qu’ils soient anglo-saxons ou latins, aient choisi cette démarche devrait nous rassurer. Cet accord n’est certes pas la panacée, mais un élément dans la lutte engagée et il s’inscrit en outre dans une démarche européenne partagée par cinq Etats. Mieux vaut avancer dans ce dossier que de s’en tenir au statu quo, qui nous ferait accuser d’immobilisme.

M. Pierre Lellouche. Je ressens un véritable malaise par rapport à ce texte pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce qu’il s’inscrit dans un contexte de stratégies d’extraterritorialité de la loi américaine au sens large. Soixante ans après, on retrouve l’application d’anciens textes dans l’Affaire BNP Paribas, tels que les Trading with the Ennemy Act adoptés au moment de la crise de Cuba. Tout établissement bancaire opérant aux Etats-Unis se voit appliquer la loi américaine sur l’ensemble de ses activités mondiales. La FCPA, portant sur la corruption, constitue un moyen de mener des poursuites contre des sociétés qui sont aussi des cibles d’OPA menées par des grands groupes américains. L’actualité récente en donne de nombreux exemples.

En ce qui concerne la Convention fiscale, son objectif de transparence est louable et légitime. Comme le disent les Américains : « Motherhood and Apple pie », tout le monde aime la tarte aux pommes et la mère patrie. De la même façon, tout le monde est en faveur de la transparence.

La Convention de double imposition de 1994 évoquée par Mme la Présidente, n’a rien à voir avec l’accord qui, en créant une obligation de déclaration, consiste à faire du fisc et des banques françaises les agents supplétifs de l’IRS américain. Or la plupart des institutions financières françaises sont soumises à cette obligation de déclaration dès lors qu’elles ont à faire à des clients américains ; seules sont exclues par une liste limitative à l’annexe II de la Convention, certaines institutions qui n’ont pas d’activités internationales, ainsi qu’un petit nombre de produits qui n’attirent pas les clients américains, comme le livret A, le livret jeune ou le plan d’épargne-logement.

Il n’y a en réalité aucune réciprocité dans ce texte. En effet, il demande à la France d’appliquer la loi américaine, ce qui est manifeste dès le préambule. Par ailleurs, selon le rapport, cela impliquerait un coût considérable de 300 millions d’euros pour les banques françaises.

L’exigence du régime déclaratif et le degré de détails requis sont tels que les banques françaises risquent d’inviter leurs clients à s’adresser à un autre établissement bancaire.

Est-on sûr que ce texte sert bien l’objectif affiché, à savoir la transparence et la moralisation des transactions financières, ou implique-t-il une forme de pénalisation de l’activité des banques françaises ? Qui plus est, en ce qui concerne nos citoyens, nous n’avons pas les moyens de regarder ce qui ce qui se passe au sein de l’IRS.

Comment un Etat souverain tel que la France pourrait-il accepter un accord aussi déséquilibré ? En fin de compte, rédigé en l’état, cet accord consiste purement et simplement à appliquer le droit américain.

Certes, il existe des intérêts politiques et économiques qui sont en jeu mais ce qu’il faudrait alors, c’est connaître la position de la Commission des finances sur cette question. A-t-on auditionné les banques françaises et nos institutions financières afin de chercher à savoir si cet accord était réellement utile ou s’il était contre-productif ?

En tant que Français et juriste, un accord de cet ordre, dont je parviens mal à saisir quelles pourraient être les conséquences me choque. Des banquiers ont avancé qu’il serait tellement répressif qu’il signifierait l’entrée de l’IRS sur le territoire français, ce qui risque d’amener les banques à ne plus vouloir de clients américains.

J’exprime donc ma très forte réserve à l’égard de ce texte.

Mme la Présidente Elisabeth Guigou. Il se trouve que la Commission des finances a émis un avis favorable à l’adoption du texte aujourd’hui même.

Mme Estelle Grelier. La question des données personnelles et de l’extraterritorialité de la législation américaine sont des points qui ont aussi appelé ma vigilance. Cet accord prévoit le passage général d’un contrôle au cas par cas avec demande préalable à un système d’échange automatique de données bancaires.

M. Pierre Lellouche. Il s’agit en réalité d’un système de déclaration obligatoire.

Mme Estelle Grelier. Certes mais qui est dénommé « système d’échange automatique de données ». Le système automatique d’échanges de données est voué à devenir la norme mondiale. L’impulsion en a été donnée en 2010 par les Américains à l’occasion de l’adoption du texte.

Néanmoins, au sein de l’Union Européenne, les Etats mènent d’ores-et-déjà des échanges automatiques de données à l’exception notable du Luxembourg et de l’Autriche. Cette résistance peut en partie expliquer pourquoi nous ne disposons pas à l’heure actuelle d’un cadre commun avec les Etats-Unis sur cette question.

Il existe une réciprocité vis-à-vis de l’IRS car les données seront transmises par Bercy. Cet accord place donc l’Etat au contrôle du transfert de données. Les citoyens américains seront déclarés par nos banques mais les citoyens français eux aussi le seront par les banques américaines. En outre, on parle ici de fiscalité personnelle et non pas d’impôt sur les sociétés.

La réciprocité des informations sera obtenue à terme. Aujourd’hui, il est vrai que le texte pourrait avantager les Américains en termes d’échange de données. En réalité, il existe un blocage intellectuel du fait que l’impulsion soit venue des Etat-Unis : l’idée de nous aligner sur un modèle qui a été élaboré pour les Américains nous heurte.

Pourtant, l’échange des données entre Etats pourrait permettre d’atteindre l’objectif de lutte contre la fraude internationale.

Je voudrais préciser que nous traitons là de la « petite » et de la « moyenne » fraude qui nécessite des dispositifs tout de même moins complexes que les moyens relatifs à la grande fraude.

Il convient de rester vigilant, notamment quant aux accords techniques, ainsi qu’à la manière dont ils sont mis en place et à la façon dont la norme OCDE va être appliquée.

L’OCDE met en œuvre un plan d’action qui va aboutir entre septembre et décembre 2015 sur l’impôt sur les sociétés.

M. Jacques Myard. Dans les années 80, un Code de bonne conduite a été négocié à l’OCDE sur les flux transfrontières de données. L’objectif des Américains était alors de piocher dans les comptes des banques françaises.

L’article 4 de la Convention s’intitule : « Application de la loi FATCA aux institutions financières françaises » ; l’article 6 : « Engagement réciproque à poursuivre l’amélioration des échanges de renseignements et favoriser la transparence » et dispose que « le gouvernement des Etats-Unis convient de la nécessité de parvenir à des niveaux équivalents d’échange ». Le texte de la Convention impliquerait donc que d’un côté, on applique directement la loi FATCA en France mais que de l’autre, en l’occurrence aux Etats-Unis, on s’en tienne simplement à parvenir à un niveau équivalent.

Avons-nous la garantie que les éléments transmis vont être strictement utilisés pour servir l’objectif de lutte contre la fraude fiscale ou pourront-ils être utilisés dans d’autres cas litigieux, y compris relativement à des problèmes de concurrence commerciale ? En réalité, par manque de garanties, on se met en position de faiblesse.

Mme Estelle Grelier. Bercy transmettra des éléments bancaires relatifs à des citoyens américains.

M. Jacques Myard. Quid d’un citoyen franco-américain ? Les informations sont-elles alors transmises ?

Mme Estelle Grelier. S’il est obligé de faire une déclaration à l’administration fiscale américaine, alors il sera concerné.

Une déclaration d’intention accompagne l’accord mais cet engagement à la réciprocité n’est toujours pas tenu car le Président Obama n’a pas été en mesure de réunir la majorité requise au Congrès.

L’article 6 précité prévoit une réciprocité pour la transmission des données. Elle sera possible, moyennant une modification de leur législation par les Américains.

M. Pierre Lellouche. Il faut distinguer la lutte contre la fraude fiscale des paradis fiscaux et autres délits et grande délinquance. Certains pays membres de l’Union européenne favorisent l’évasion et la fraude fiscales mais cela n’a rien à voir avec les motifs de l’accord.

Par cet accord, les institutions financières françaises vont être tenues de fonctionner comme les banques américaines, sur la base des critères établis par l’IRS. En échange, la France n’obtient qu’une vague promesse qu’un jour une législation américaine va permettre à une autorité étrangère d’obtenir ces mêmes informations à partir de banques se trouvant sur le territoire américain. Selon moi, une telle législation ne verra jamais le jour car les Etats-Unis sont très protectionnistes concernant leur marché intérieur. L’hypothèse de voter une loi américaine qui permettrait au fisc français d’appliquer ses critères aux institutions financières américaines, avec une obligation de déclaration est tout à fait improbable.

Mme Esteller Grelier. La donnée que l’administration française n’obtiendra pas, c’est seulement le solde des comptes. La dissymétrie est donc à relativiser. En effet, selon l’article 2 (b), lui seront transmis le nom, l’adresse, le numéro de compte, le nom et le numéro d’identification de l’institution financière déclarante, le montant brut des intérêts versés sur un compte de dépôt, le montant brut des dividendes des sources américaines crédités sur le compte, le montant brut des autres revenus de sources américaines.

Mme la Présidente. Toutes ces interrogations sont légitimes et il existe une certaine dissymétrie. Cependant, grâce à ce texte, la France pourrait obtenir des renseignements pertinents sur des contribuables soupçonnés de vouloir tromper le fisc. Par conséquent, même si la réciprocité n’est pas absolument équivalente, il existe un véritable échange d’informations. Même dans le cas de renseignements incomplets, la France ne devra plus passer par des investigations aussi laborieuses qu’avant pour obtenir des informations. Enfin, certes, il ne faut pas confondre la question de la fraude fiscale avec celle des paradis fiscaux mais il y a tout de même des connexions évidentes. L’une d’entre elles est le secret bancaire et aussi les montages juridiques opaques.

Nous pouvons comprendre que les banques soient devenues soupçonneuses et ce d’autant plus après des affaires comme celle de BNP Paribas. Néanmoins, je ne vois pas au nom de quoi nous rejetterions un projet d’accord qui constitue un progrès contre la fraude fiscale. C’est bien parce qu’il y a eu cette loi FATCA qu’il a été possible d’ouvrir une brèche dans le secret bancaire au Luxembourg.

Mme la rapporteure. Nos institutions bancaires se sont déjà placées dans la perspective de cet accord. Si elle n’était pas approuvée, au demeurant, l’administration fiscale américaine appliquerait une taxation à la source de 30 % sur les versements effectués depuis les Etats-Unis au profit des banques françaises. C’est la loi américaine qui s’appliquera.

M. Pierre Lellouche. Soit les banques coopèrent, soit elles paient une taxation de 30 %. Est-ce vraiment une négociation équilibrée ?

Mme la rapporteure. Le Luxembourg a signé un accord FATCA de type 1 et la Suisse celui de type 2. Le secret bancaire est donc en train de voler en éclats sous l’impulsion donnée par les Etats-Unis.

Suivant les conclusions de la rapporteure, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 2179).

La séance est levée à dix-sept heures quarante.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 10 septembre 2014 à 16 h 30

Présents. - M. Jean-Claude Buisine, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, Mme Estelle Grelier, Mme Élisabeth Guigou, Mme Thérèse Guilbert, Mme Chantal Guittet, M. Pierre Lellouche, M. Pierre Lequiller, M. Jacques Myard, Mme Odile Saugues, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle

Excusés. - Mme Danielle Auroi, M. Jean-Paul Bacquet, M. Patrick Balkany, M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Bocquet, M. Guy-Michel Chauveau, M. Philip Cordery, Mme Seybah Dagoma, M. Jean-Paul Dupré, M. Hervé Gaymard, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Françoise Imbert, M. François Lamy, Mme Marion Maréchal-Le Pen, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jean-Luc Reitzer, M. René Rouquet, M. André Santini