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Commission des affaires étrangères

Mercredi 17 septembre 2014

Séance de 9 heures 45

Compte rendu n° 90

présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente

– Kyoto : ratification de l'amendement au protocole de Kyoto du 11 décembre 1997 (n° 1880) – M. Pierre-Yves Le Borgn’, rapporteur.

– Amérique Centrale : accord établissant une association entre l'UE et l'Amérique centrale (n° 2095) – M. Michel Vauzelle, rapporteur.

Kyoto : ratification de l'amendement au protocole de Kyoto du 11 décembre 1997 (n° 1880).

La séance est ouverte à neuf heures trente.

La commission examine, sur le rapport de M. Pierre-Yves Le Borgn’, le projet de loi autorisant la ratification de l'amendement au protocole de Kyoto du 11 décembre 1997 (n° 1880).

M. Pierre-Yves Le Borgn’, rapporteur. C’est en 1988 qu’a été constitué le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Dès 1990, un premier rapport est publié. Il conclut à une augmentation de la température terrestre et à un changement climatique sous l’effet de la concentration dans l’atmosphère, en raison des activités humaines, de différents gaz à effet de serre. Depuis lors, le GIEC a régulièrement rendu ses conclusions dans le cadre de quatre rapports en 1995, 2001, 2007 et 2014.

Ces rapports ont confirmé le lien entre l’évolution du climat et les émissions de gaz à effet de serre provenant de l’utilisation des combustibles fossiles. Ils ont constaté la nécessité d’en limiter le volume pour maintenir à 2°C le niveau de l’augmentation de la température terrestre par rapport à l’ère préindustrielle, de manière à éviter que les changements ne deviennent incontrôlables et ne menacent même à terme l’habitabilité de la planète.

Tel est l’objet de l’action internationale en la matière, car aucun Etat ne peut agir seul. Le climat relève par nature de l’action collective de la société internationale.

C’est quelques années après la création du GIEC, en 1992, qu’a été adoptée, au Sommet de la Terre, à Rio, la convention cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques (CNUCC). Une instance de suivi a ensuite été créée pour examiner annuellement la question climatique, la Conférence des Parties (COP). Elle comprend aujourd’hui 195 membres.

C’est en 1997, sur la base du deuxième rapport du GIEC, qu’est adopté le protocole de Kyoto. Il prévoit, selon les cas, une réduction ou une limitation des émissions de gaz à effet de serre pour les pays industrialisés et les pays à économie en transition de l’ancien bloc de l’Est. Entré en vigueur en 2005, il porte sur la période 2008-2012, dite « première période d’engagement ».

La conférence de Copenhague en 2009 aurait dû permettre l’adoption du dispositif applicable à l’après-2012. Cela n’a pas été le cas. C’est en 2011, lors de la Conférence de Durban, qu’une procédure de négociation est décidée en vue d’un accord universel et contraignant. Cette procédure est assortie d’un calendrier : 2015 pour l’adoption du futur accord ; 2020 pour son entrée en vigueur.

Ces échéances font dès lors apparaître la nécessité de couvrir la période intermédiaire comprise entre la fin de 2013 et 2020 par un instrument ad hoc. C’est l’objet de l’amendement au Protocole de Kyoto, adopté lors de la COP 18 de Doha, fin 2012, qui prévoit une prolongation et, pour les Etats européens, un renforcement du dispositif de Kyoto, dans le cadre d’une « deuxième période d’engagement », ainsi que différents aménagements.

Il faut rappeler que le protocole de Kyoto est le seul instrument international juridiquement contraignant visant à limiter les émissions de gaz à effet de serre. Il est articulé autour de deux objectifs : un objectif global de réduction de 5 % des émissions par rapport à 1990, pendant la période 2008-2012, pour les pays économiquement les plus forts, visés à l’annexe 1 de la CNUCC ; des objectifs obligatoires sur les émissions de gaz à effet de serre pour ceux de ces pays qui les ont acceptés, ces objectifs variant de -8% à +10% par rapport aux émissions individuelles de ces mêmes pays en 1990.

Sur le plan technique, le protocole de Kyoto a prévu trois éléments essentiels : une liste des gaz à effet de serre concernés, car, même si le dioxyde de carbone (CO2) est de loin le plus important, d’autres gaz plus ou moins complexes ont également un effet de serre ; une liste des sources d’émissions, distinguant notamment l’énergie, les procédés industriels, l’usage des solvants, l’agriculture et aussi le secteur des déchets ; des flexibilités permettant aux pays d’atteindre leurs objectifs.

Par ailleurs, a également été prévue la prise en compte de l’utilisation des terres, des changements d’affectation des terres et de la forêt.

Les engagements du Protocole de Kyoto ont scellé le principe de différentiation des obligations des Etats à deux niveaux. D’abord, les obligations de réduction ou de limitation des émissions concernent les pays aux économies les plus avancées, soit les pays occidentaux et les anciens pays du bloc soviétique aux économies alors en transition. Ensuite, pour les pays qui s’engagent sur des objectifs chiffrés, le niveau des objectifs individuels varie.

Les Etats-Unis ont signé, mais n’ont pas ensuite ratifié le protocole de Kyoto. Il faut le regretter. Ils ont été le principal émetteur de gaz à effet de serre jusqu’en 2005, date à laquelle la Chine les a dépassés.

Plus récemment, en décembre 2011, le Canada a fait part de son intention de se retirer du Protocole de Kyoto. Cette décision a pris effet le 15 décembre 2012.

L’amendement de Doha vise précisément à prolonger dans le cadre d’une deuxième période d’engagement (2013-2020), avec des obligations renforcées pour certains Etats pour assurer la transition avec le futur accord climatique

De même que pour la première période, les objectifs chiffrés sont à deux niveaux avec un objectif global de -18% pour les émissions de gaz à effet de serre des pays de l’annexe 1, toujours par rapport à l’année 1990 et de nouveaux engagements chiffrés pour 38 pays, dont les vingt-huit de l’Union européenne, ainsi que l’Islande et d’autres Etats tiers ayant souhaité s’engager de nouveau.

Pour l’Union européenne et ses Etats membres, la réduction des émissions est de 20%, conformément à l’objectif défini par le paquet « énergie-climat » de 2008. Pour les autres pays, les niveaux sont voisins.

Plusieurs Etats n’ont pas souhaité s’engager dans une deuxième période : la Russie, le Japon et la Nouvelle-Zélande. On doit le regretter.

L’amendement de Doha a une vertu essentiellement pédagogique, car il ne couvre que 15% des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

L’effet de la réduction du nombre des grands pays concernés est en outre accru par deux éléments : l’apparition, depuis 1990, des pays émergents a mécaniquement réduit le poids des pays de l’annexe 1 du seul fait du rééquilibrage vers le Sud de l’économie mondiale ; seuls les pays de l’Union européenne ayant mené une politique volontariste de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, coordonnée à grande échelle et par conséquent efficace, leur part tend de fait à décroître.

La portée de la deuxième période d’engagement n’est cependant pas à négliger car elle montre qu’un haut niveau de développement n’est pas contradictoire avec la sobriété énergétique, bien au contraire.

En outre, il ne faut pas méconnaître qu’au total 60 pays ont pris des mesures d’atténuation, dont les Etats-Unis, l’Afrique du Sud, l’Inde et le Brésil.

L’amendement de Doha ne se limite pas à une actualisation arithmétique. Il introduit dans le dispositif de Kyoto plusieurs éléments d’amélioration. Ainsi, la procédure permettant à un pays de relever son niveau d’ambition et de diminuer le pourcentage de ses émissions par rapport à l’année de référence est allégée. La question dite de « l’air chaud », c’est-à-dire des quantités excédentaires d’émissions attribuées au cours de la première période d’engagement, est également abordée avec un dispositif d’annulation.

D’autres aménagements techniques visent à renforcer le contrôle des émissions : un ajout à la liste des gaz à effet de serre, avec le trifluorure d’azote ; la modification des règles relatives à l’utilisation des terres, changements d’affectation des terres et de la forêt (UTCATF).

A ce stade, treize Etats seulement ont transmis leur instrument de ratification de l’amendement : le Bangladesh, la Barbade, la Chine, les Emirats arabes Unis, le Honduras, le Kenya, le Maroc, Maurice, Monaco, la Fédération des Etats de Micronésie, la Norvège, les îles Salomon et le Soudan.

Une proposition de décision du Conseil a été présentée par la Commission européenne le 16 décembre 2013. Elle prévoit la date du 16 février 2015 pour la ratification, échéance que les Etats membres doivent s’efforcer de respecter.

L’amendement de Doha est un texte opportun.

D’abord, il est conforme aux engagements de la France et de l’Union européenne en matière de lutte contre le changement climatique

L’Union européenne a progressivement mis en place, à partir de 2005, le système européen d’échange de quotas d’émissions pour les grandes installations émettrices de CO2, au-delà avec le paquet énergie-climat en 2008, elle a adopté une stratégie intégrée de lutte contre le réchauffement climatique. Son objectif a été de permettre la réalisation des « 3 fois 20 » pour 2020 consistant à faire passer à 20 % la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique européen ; à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 20 % par rapport à 1990 et accroître l'efficacité énergétique de 20 %.

Il ressort des derniers éléments de suivi publiés par la Commission européenne que pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’objectif global de -20% est acquis. Il est même probable que le niveau atteint en 2020 sera de l’ordre de -24%. Ce succès est le fruit d’un effort particulièrement appuyé puisque de 1990 à 2012, le PIB a augmenté de 44% dans l’Union.

Pour ce qui concerne les énergies renouvelables, le niveau global a été de 14,8% en 2012 contre 8,3% en 2004, soit un gain qui permet d’envisager d’atteindre l’objectif en 2020, d’une manière générale.

Pour ce qui concerne en revanche l’efficacité énergétique, l’objectif pourrait ne pas être atteint. Si le secteur des transports est en phase avec les objectifs, tel n’est pas le cas pour le bâtiment où le niveau des coûts de l’isolation est très élevé. Le niveau global devrait rester en 2020 un peu en-deçà de 20%.

Par ailleurs, le budget de l’Union européenne, et plus précisément le cadre financier pluriannuel 2014-2020, prévoit que les dépenses en faveur du climat devraient représenter au moins 20% des dépenses de l’Union, ce qui est très significatif compte tenu des conditions d’engagement en complément des crédits nationaux et de ceux des collectivités décentralisées.

Enfin, le rôle moteur de l’Union européenne est réaffirmé par les débats en cours sur le cadre énergie-climat 2030. La Commission européenne a notamment proposé 40% de réduction des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990 et 27% d’énergies renouvelables dans le mix énergétique.

La ratification de l’amendement de Doha est une étape importante dans la perspective de deux échéances majeures : le sommet climat du 23 septembre prochain à New York et la COP 21 de 2015 à Paris. Elle s’inscrit dans le calendrier très dense des échéances préparatoires à cette dernière. Après la Pré-COP 20 au Vénézuela en novembre prochain puis le COP 20 de Lima en décembre, il y aura, au cours du premier semestre 2015, le recueil des contributions des Etats, qui constitueront la base du processus d’adoption des objectifs chiffrés lors de la Conférence de Paris.

Il faut donc bien conforter l’engagement moteur de l’Union européenne. Ceci est d’autant plus nécessaire que la Conférence de Doha n’a pas donné lieu à la seule adoption de l’amendement, mais a également conduit à un autre compromis essentiel sur la question du financement.

En effet, les pays développés ont pris l’engagement d’un financement de 30 milliards de dollars entre 2010 et 2012, avec la perspective d’une montée jusqu’à 100 milliards par an à l’horizon 2020, de même que la création de la structure pour les recevoir, le Fonds vert pour le Climat, qui avait été esquissé dès Copenhague et lancé à Cancun en 2010.

Sur le fond, l’urgence à agir pour le climat est indéniable.

Le volume des émissions s’est sans cesse accru et doit être impérativement réduit. Le monde n’a pas encore franchi le cap du pic des émissions de gaz à effet de serre. Or, c’est ce pic qui caractérisera la décroissance nécessaire des émissions.

Dans l’ensemble le bilan du protocole de Kyoto s’avère aussi très mitigé. Si les émissions des 36 pays de l’annexe B du Protocole de Kyoto ont diminué de 24 % par rapport à 1990, seuls les pays d’Europe occidentale et centrale ont réussi à la fois à se conformer à leurs engagements et à diminuer leurs émissions depuis 1997.

L’objectif global a pu être atteint, mais huit pays ont dû avoir recours aux mécanismes de flexibilité pour se conformer à leurs engagements individuels. Et finalement, c’est surtout le résultat de la tertiarisation des économies développées qui a joué plutôt qu’une modification profonde du mix énergétique.

Cette urgence à agir est maintenant reconnue même aux Etats-Unis.

Le climato-scepticisme y a en effet perdu du terrain. Sans mesure législative d’ensemble, mais sous l’effet de la modification des normes relatives aux automobiles et de la substitution du gaz au charbon dans la production d’électricité, les Etats-Unis devraient en 2020 respecter leur projet d’engagement de réduction de 17% des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 2005, avancé dans la perspective de Copenhague.

Le président Obama a présenté en juin 2013 un plan d’action pour le climat comprenant plusieurs volets, notamment le renforcement de 50% de l’efficacité énergétique des véhicules et des poids lourds d’ici 2025, la réduction des émissions de CO2 des centrales électriques utilisant les combustibles fossiles avec l’objectif de les réduire de 30% d’ici 2030 et l’efficacité énergétique des bâtiments, essentiellement des bâtiments fédéraux avec des normes plus exigeantes.

La question essentielle pour le futur accord climat de 2015 est de savoir quelle sera la nature de l’engagement des Etats-Unis. Tout dépend étroitement de la capacité de dégager au Sénat la majorité exigée pour autoriser la ratification d’un traité climatique qui serait contraignant.

Enfin, plusieurs questions de fond cruciales sont encore en suspens, qui conditionnent la réussite de la Conférence de Paris et l’adoption du futur accord climatique.

La première question est relative aux règles de vérification et de transparence des mécanismes de limitation des émissions de gaz à effet de serre.

La seconde concerne le rétablissement d’un marché carbone avec un prix significatif qui encourage les industriels à faire les investissements nécessaires dans les technologies moins carbonées.

Au niveau de l’Union européenne, le système d’échange de quotas d’émissions qui s’applique à plus de 11 000 installations industrielles, n’a pas convaincu. En 2008, le prix de marché de 27 euros la tonne de CO2 assurait l’intérêt de certains investissements en technologies moins polluantes. L’effondrement rapide du prix, qui a même atteint un minimum de 5 euros la tonne en début d’année, a mis en péril toute cette stratégie. Cet effondrement est dû à l’apparition d’un excédent de quotas initialement attribués, dans le contexte notamment de la crise économique, qui a conduit à un excédent de 2 milliards de crédits, soit une année.

Cet échec est regrettable car le recours aux technologies de captage et séquestration de CO2 est extrêmement coûteux et exige donc un prix du carbone élevé. C’est certainement la technique qui sera impérative pour atteindre à terme une économie totalement décarbonée.

Le rétablissement d’un prix minimal de CO2 est d’autant plus nécessaire que c’est également lui qui donnera la légitimité pour l’inclusion de deux secteurs encore hors champ et pourtant gros émetteurs de gaz à effet de serre : le transport maritime et le transport aérien.

Enfin, la troisième question en suspens concerne le Fonds vert. En l’état, sans un effort majeur, l’objectif de 100 milliards de dollars annuel d’ici 2020 ne sera pas atteint. Les contributions actuellement enregistrées sont loin d’atteindre les niveaux attendus. La principale crainte est que certains pays veuillent s’en tenir à l’écart. C’est ce qu’ont déjà annoncé l’Australie et le Canada. Ni la Chine ni l’Inde ne sont non plus pour l’instant parties prenantes. Des réunions préparatoires sont en cours pour préparer la prochaine échéance qui est la réunion des donateurs, en novembre, avant la COP 20 à Lima.

La France apportera naturellement sa contribution. Une partie du produit de la taxe sur les transactions financières est en principe affectée au Fonds vert. L’aboutissement de ce processus financier avant la fin de l’année est essentiel pour la réussite de la Conférence climat de 2015.

Dans cette perspective et pour toutes ces raisons, l’adoption du projet de loi de ratification de l’amendement de Doha au protocole de Kyoto par la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale est clairement indispensable, et ceci, symboliquement, avant la réunion du Sommet climat à New York le 23 septembre.

Mme Elisabeth Guigou, présidente. Merci M. le Rapporteur pour cet exposé que j’ai trouvé pour ma part très convaincant.

Il est important en effet que notre commission examine ce texte aujourd’hui, quelques jours avant le sommet climat de l’ONU auquel le Président de la république participera et qui sera pour la France l’occasion de lancer un message fort en vue de l’adoption d’un accord sur le climat lors de la prochaine conférence Climat qui se tiendra à Paris en décembre 2015.

Notre commission va suivre de près la préparation de cette dernière conférence. Avec mes collègues Jean-Paul Chanteguet et Danièle Auroi, nous avons créé à cet effet un groupe de travail qui a tenu sa première réunion la semaine dernière. Les trois commissions auditionneront conjointement sur ces négociations Laurent Fabius et Ségolène Royal ainsi que d’autres personnalités comme Nicolas Hulot ou Laurence Tubiana. Par ailleurs, en marge de la conférence ministérielle, l’Assemblée nationale recevra les 6 et 7 décembre 2015, une conférence interparlementaire qui réunira des délégations parlementaires d’environ 80 pays.

En accueillant cette conférence, la France entend parvenir à un accord normatif universel et différencié, c’est-à-dire un accord qui s’applique à tous les émetteurs de gaz à effets de serre tout en tenant compte des différences de développement des pays. Il s’agit d’atteindre l’objectif maximum de deux degrés de hausse de la température mondiale par rapport à l’ère pré-industrielle. C’est un objectif très ambitieux par rapport à la trajectoire actuelle qui est catastrophique. Le GIEC estime dans son 5ème rapport qu’il conviendrait de réduire les émissions de 40 à 50% par rapport à 2010 d’ici 2050.

La moindre des choses pour que cette conférence soit un succès, c’est d’être soi-même, exemplaire.

Je note avec satisfaction que dans ce domaine, l’Union européenne a été efficace. Le système d’échange de quotas qu’elle a mis en place a clairement failli, mais une réglementation européenne sans cesse plus sévère a permis de réduire significativement les émissions européennes et la Commission a fait de nouvelles propositions qui permettraient d’améliorer encore ces résultats.

Le problème, c’est que l’Europe est encore bien seule.

Vous notez que le climato-scepticisme perd du terrain aux Etats-Unis et que des mesures internes vont se traduire par une réduction des émissions américaines. Mais dans quelle mesure les Etats-Unis accepteront-ils un accord international contraignant ?

Vous soulignez aussi à juste titre que beaucoup dépendra du succès du Fonds vert. Celui-ci n’est opérationnel que depuis l’année dernière et les contributions enregistrées sont en deçà des niveaux attendus.

En tout état de cause, la ratification de cet amendement est un pas positif.

M. Noël Mamère. Je remercie à mon tour le rapporteur pour la qualité et la clarté de son propos. Il a très bien posé les limites du texte qui nous est soumis aujourd'hui en retraçant le long chemin de croix du Protocole de Kyoto depuis 1997. Certains pays s’en sont d'ores et déjà retirés, et la réussite dépend largement de l’Union européenne et des Etats-Unis qui, eux, ne l’ont pas ratifié.

Vous avez bien souligné que le respect de l’engagement de baisser les émissions de gaz à effet de serre de 20 % que l’on a constaté n’était pas dû à notre volonté politique mais au seul effet de la crise économique qui a permis ce résultat. Nous ne sommes pas encore aux objectifs de moins 30 % de gaz à effet de serre annoncés d’ici 2030 ; et nous ne serons pas non plus à leur division par quatre d’ici à 2050, comme l’a recommandé le GIEC. Nous sommes loin du compte, comme sur le marché du carbone qui n’a pas fonctionné compte tenu du fait que le prix de la tonne est passé de 27 euros à 5 euros, ce qui a cassé le mécanisme.

Par conséquent, le contexte international et les perspectives de la Conférence de Paris l’an prochain ne sont pas sur de bons augures. Il y a des réticences très fortes de la part de nombreux pays, ne serait-ce que des émergents, à s’inscrire dans cette logique. On aurait cependant tort de les montrer du doigt, dans la mesure où, depuis 1997, nous ne respectons pas nous-mêmes nos engagements.

Nous ne sommes pas non plus à la hauteur, que ce soit l’Union européenne ou la France, sur le volet des énergies renouvelables, ou en ce qui concerne notre efficacité énergétique. Je rappelle à ce sujet que l’Allemagne, que l’on critique si facilement pour son retrait du nucléaire, consomme 20 % d’énergie en moins que la France ! Des pistes existent que nous n’explorons pas suffisamment sur la question centrale de l’efficacité énergétique qui suppose de passer à une logique de sobriété énergétique.

J’ajoute que ce n’est pas seulement d’une problématique environnementale qu’il s’agit. Nous abaissons au niveau technique un débat éminemment politique. Je vous renvoie au journal Libération de ce matin qui publie une étude aux termes de laquelle il ressort que le nombre des réfugiés climatiques est d'ores et déjà trois fois supérieur à celui des réfugiés dont l’exode est dû aux conflits. Se posent donc des questions tenant à nos capacités d’accueil et à la redéfinition du statut de réfugiés, dans la mesure où la Convention de Genève ne pourra s’appliquer à des personnes provenant de pays qui demain n’existeront plus, car noyés sous les eaux ou désertifiés. Il est par conséquent urgent de s’engager sur d’autres logiques, de transition énergétique.

Sur ces sujets, ni l’Union européenne ni la France n’ont de réponses à la hauteur des enjeux : c’est notamment le cas du projet de loi sur la transition énergétique dont nous allons débattre d’ici peu. De même, au niveau de ce qui est proposé par la communauté internationale, rien de ce qui est avancé n’a de caractère contraignant. Devra-t-on attendre d’être face à la catastrophe pour s’engager dans des politiques autoritaires ? Doit-on attendre les atteintes à la démocratie qui ne manqueront pas alors de survenir ou essaie-t-on de s’organiser avant, démocratiquement, avec une acceptation sociale des contraintes au niveau mondial, alors que cette transition énergétique est indispensable pour notre survie ? Je crains que nous soyons dans une perspective de voir émerger des sociétés de contraintes. Pourtant le rapport Stern indique que cette transition comporte des gisements d’emplois importants tout en favorisant la compétitivité. M. Mario Draghi a prévu que la BCE finance de grands projets d’infrastructures ; reste à savoir lesquels. Il faudrait privilégier l’efficacité énergétique, plutôt que des projets inutiles et fort coûteux comme la liaison ferroviaire Lyon-Turin.

Le projet de loi sur la transition énergétique à venir laisse encore une place majeure à EDF quant aux décisions relatives au nucléaire ; ce n’est pas un projet de transition énergétique mais une stratégie bas carbone, ce qui est tout autre chose et ne correspond pas aux enjeux.

Le groupe Écolo votera bien sûr pour l'amendement, mais avec toutes les limites posées par notre rapporteur.

M. Myard. M. Noël Mamère a développé des éléments qui me semblent justes, notamment en ce qui concerne la question des économies d’énergie.

Néanmoins, si la France émet moins de CO2 que ses voisins, c’est précisément grâce au recours à l’énergie nucléaire. Nous nous trouvons là face à un paradoxe. Je trouve la réouverture par les Allemands de leurs centrales à charbon regrettable, car elles constituent malgré tout d’importants émetteurs de gaz à effet de serre.

La norme internationale contraignante que l’on cherche à mettre en œuvre pour lutter contre le réchauffement climatique est en réalité semée de trous comme l’est la couche d’ozone. Un traité contraignant pourrait en outre représenter un frein à l’adoption d’une politique de bon sens et s’avérer contre-productif. Peut-être faudrait-il avoir recours à du « droit mou » qui petit à petit, serait susceptible de créer des obligations pour les États. Souvenons-nous du processus d’Helsinki : au départ il s’agissait d’un engagement politique sans sanction juridique. Est-ce que ça ne serait pas cette perspective d’un accord contraignant qui pousserait les États-Unis et la Chine à refuser de se lier par une norme internationale contraignante telle que celle de Kyoto ?

Par ailleurs, en ce qui concerne l’Annexe B, je souhaiterais savoir quels ajouts ont été faits par rapport à l’ancienne ? A-t-on seulement ajouté le trifluorure d’azote ?

M. Le Borgn’, rapporteur. Oui, il est le seul élément ajouté à la liste.

M. Philip Codery. Je m’inquiète du fossé qui se creuse entre la politique de l’Union européenne et le reste du monde. Le paquet climat européen proposé en juillet 2013 témoigne certes d’un objectif ambitieux mais dans le même temps, plusieurs Etats se désengagent.

La Conférence de Paris est une bonne initiative mais il faudrait une stratégie plus globale. Il ne faudrait pas s’enfermer dans un accord trop spécifique qui serait propre à l’Europe. En l’état, l’Union européenne est la seule à réellement financer et à avoir des objectifs élevés en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Peut-on espérer avoir une stratégie véritablement mondiale ?

M. Pierre Lellouche. Dans le domaine international, la lutte contre le réchauffement climatique reste un sport de riche. Les PED dont l’économie repose en grand partie sur l’industrie, tels que la Chine ou l’Inde et même d’autres comme la Corée du Sud, ne s’embarrassent pas de type d’accord. La réalité c’est que nous Européens, restons seuls dans la poursuite de cet objectif.

Comme le précisait le rapporteur, il faut prendre en considération des facteurs tels que la tertiarisation des économies européennes, la perte de leur volet industriel et la crise économique dont elle est frappée. Les pays européens qui continuent à développer leur industrie, comme les Polonais ou les Allemands, sont en divergence totale avec ceux davantage engagés dans le tertiaire. On a eu des difficultés à obtenir de la Pologne une diminution minimale de ses émissions.

Tout ceci ne concourt pas à envoyer un bon message à l’opinion publique. La Conférence de Paris aura lieu mais je pensequ’elle aura peu de résultats.

Mme la Présidente Elisabeth Guigou. Il vaut tout de même mieux faire quelque chose plutôt que rien: il est nécessaire d’agir sur cette question.

M. Pierre-Yves Le Borgn’, rapporteur. Il est légitime de souligner la nécessité d’atteindre un objectif de sobriété et d’équilibre, et d’évoquer l’exemple de l’Allemagne, laquelle consomme 20% d’énergie de moins que nous.

Comme il a été dit, le nombre de réfugiés climatiques dans le monde actuellement est déjà considérable. Face à la montée des eaux dont beaucoup de micro-Etats du Pacifique sont victimes, l’imminence du danger est avérée. Il importe donc d’agir.

Le rapport Stern a mis en évidence le coût de l’inaction en la matière, à savoir ce que cela nous coûterait quand dans 20 ans, nous nous réveillerons au moment où le drame climatique sera déjà noué.

Il convient de regarder la question du changement climatique non pas simplement comme une menace mais bien comme une opportunité. Cette opportunité est celle de la transition énergétique et des choix politiques qu’elle suppose. Dans quelques jours, un débat aura lieu à l’Assemblée nationale sur le projet de loi sur la transition énergétique. Le gouvernement a le courage de s’attaquer à cette question très complexe.

Pour avoir eu l’occasion de travailler dans ce domaine, je crois qu’il existe un fort potentiel dans le domaine des énergies renouvelables, des réseaux intelligents, de l’efficacité énergétique, et dans la tentative de notre pays d’atteindre une maîtrise de sa consommation d’énergie pour nous rapprocher d’une plus grande sobriété énergétique, comme l’a mentionné M. Noël Mamère.

M. Jacques Myard a fait part de son regret de voir l’Allemagne sortir du nucléaire. L’accélération de la sortie du nucléaire par les Allemands revient, en effet, à troquer un risque pour un autre.

Un traité contraignant, bien qu’il puisse contribuer à dissuader les Etats-Unis à s’engager, me semble nécessaire pour afficher une volonté. En effet, c’est maintenant qu’il faut agir. Cela n’a rien d’hypothétique et ce n’est pas dans 20 ans que la banquise va fondre. Or, des Conférences telles que la COP 21 permettent de mettre en évidence une telle volonté politique. Nous avons bien conscience de la difficulté d’obtenir des résultats en matière de lutte contre le réchauffement climatique, mais sans ce caractère contraignant, on en restera à des voeux pieux et rien ne se passera.

Le paquet énergie climat montre que l’Union européenne consent à beaucoup d’efforts, avec une dimension budgétaire importante. Sans l’Union européenne, il y aurait peu d’action et de mouvements dans la lutte contre le réchauffement de la planète. Il serait judicieux que l’Union européenne se mobilise davantage sur ce sujet dans le cadre des accords d’association et qu’elle parvienne ainsi à arrimer les Etats partenaires à la même logique que la sienne. Cela pourrait permettre un certain alignement dans la perspective de la préparation de la Conférence de Paris.

M. Pierre Lellouche a rappelé que beaucoup de pays ne partagent pas le même sentiment d’urgence, mais ils souffriront eux aussi du changement climatique.

Je fais confiance à la communauté internationale et à la mobilisation des acteurs de la société civile qui se réuniront au Venezuela en novembre afin d’alerter l’opinion publique internationale et les gouvernements sur la nécessité d’agir sans délai.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 1880).

*

Amérique Centrale : accord établissant une association entre l'UE et l'Amérique centrale (n° 2095)

La commission examine, sur le rapport de M. Michel Vauzelle, le projet de loi autorisant la ratification de l'accord établissant une association entre l'Union européenne et ses Etats membres d'une part, et l'Amérique centrale d'autre part (n° 2095).

M. Michel Vauzelle, rapporteur. Le texte dont nous sommes aujourd’hui saisis a été signé le 29 juin 2012 à Tegucigalpa. Les négociations avaient préalablement abouti à Madrid en mai 2010 lors du 6ème sommet Union européenne - Amérique latine et Caraïbes. Il établit une association entre l’Union européenne et ses États membres d’une part, et les pays du Système d’intégration centre-américain ou SICA (Costa Rica, El Salvador, Guatemala, Honduras, Nicaragua et Panama) d’autre part. C’est à ce jour l’un des accords régionaux les plus aboutis passés par l’Union européenne en Amérique latine.

Comme vous le savez, les autorités françaises ont fait de notre relation avec l’Amérique latine une priorité. M. Laurent Fabius l’a rappelé avec force lors de la dernière conférence des Ambassadeurs, nous devons avoir pour ambition d’y renforcer notre présence, qu’il s’agisse des plus grands pays - Brésil et Mexique auxquels tant de liens nous attachent - ou des néo-émergents comme la Colombie et le Pérou, auxquels nous lient des valeurs, une culture et de considérables possibilités communes.

Dans cette région du monde, l’action de la France s’inscrit dans la durée et dans une stratégie de long terme, portée par ses relations amicales avec tous les États de la zone. Elle peut désormais s’appuyer sur une nouvelle dynamique, celle du dialogue institutionnalisé à la fin des années 1990 entre l’Union européenne et la majorité des pays d’Amérique latine. En effet, sans sous-estimer l’influence réelle qui reste celle des Etats-Unis et en ayant à l’esprit que nombre de pays latino-américains se tourne aujourd’hui résolument vers l’Asie, les Européens ont une carte à jouer en Amérique latine. L’influence grandissante de pays émergents tels que le Brésil et le Mexique, la richesse de la région en matières premières et la place croissante de l’Amérique latine dans l’approvisionnement de l’Union en produits agricoles sont autant de raisons de renforcer le partenariat euro-latinoaméricain. Mais au-delà du seul volet économique et commercial, il s’agit aussi pour l'Union européenne de promouvoir les droits de l'homme, la démocratie et le multilatéralisme.

C’est dans cette logique que s’inscrit l’accord qui est aujourd’hui soumis à notre approbation. Le dialogue entre l’Union européenne et l’Amérique centrale a en effet été d’abord et d’emblée politique, avec le dialogue de San José, lancé en 1984, dont l’objectif était de trouver des solutions aux conflits armés par la voie de la négociation.

Les négociations pour la mise en œuvre d’un accord d'association visant à remplacer l’accord-cadre de coopération signé en 1993, et l’accord de dialogue politique et de coopération signé en 2003, ont officiellement été lancées en juin 2007 suite au mandat donné par le Conseil à la Commission en avril. Près de 6 ans de négociations, que le Panama a rejointes en cours de route, ont abouti à la signature de d’un accord particulièrement vaste et ambitieux en 2012.

Pour l’Union européenne, il s’agit avec cet accord, tout d’abord, d’ouvrir de nouveaux débouchés à l’exportation vers l’Amérique centrale dans un contexte économique difficile ; ensuite, de rééquilibrer une balance commerciale structurellement déficitaire depuis plusieurs années avec les pays d’Amérique centrale ; enfin de promouvoir de nouveaux domaines de coopération, correspondant à des enjeux globaux tels que le développement durable ou la paix et la sécurité, la démocratie et les droits de l’Homme ainsi que le développement social.

Pour l’Amérique centrale, les enjeux de l’accord ne sont pas moins grands. Cette région se compose de républiques très différentes qui partagent cependant une histoire commune : certains États ont connu une longue période autoritaire (Guatemala, Salvador), le Costa Rica a vécu une expérience atypique, moulée dans le modèle social-démocrate européen depuis le milieu du XXe siècle, alors que d’autres ont conservé une rhétorique révolutionnaire. Au Guatemala, les Accords de Paix de 1996 ont permis le retour de dizaines de milliers de personnes sur leurs terres. Leurs pratiques et traditions économiques sont tout aussi diverses : républiques caféières pour certaines (Guatémala, Costa Rica, El Salvador), production de bananes au Honduras ou encore économie tertiaire s’agissant du Panama, l’Amérique centrale est aujourd’hui ouverte au commerce comme aux investissements, mais peine à combler un déficit flagrant dans le domaine industriel, même si le Costa Rica et le Guatémala sont, sur ce point, en avance sur leurs voisins. La violence et la pauvreté sont aujourd’hui les deux principaux obstacles au développement dans la région, qui s’alimentent mutuellement. Vingt ans après la fin des guerres civiles, l’Amérique centrale se trouve confrontée à de nombreux défis : outre celui du travail de mémoire, de réconciliation nationale, ou même de l’apaisement politique, l’Amérique centrale doit sortir de la violence hélas quotidienne, et trouver les voies d’un développement juste, inclusif et durable (61 % des Honduriens, 44 % des Nicaraguayens, 55 % des Guatémaltèques vivent sous le seuil de la pauvreté en 2013 selon le PNUD). Il s’agit donc à la fois pour ces pays de diversifier leur économie, de défaire leur dépendance à l’égard de leur puissant voisin états-unien, mais aussi de se libérer des inégalités et de progresser dans l’état de droit.

Pour répondre à ces différents défis, l’accord comporte trois volets. Le volet commercial, tout d’abord, prévoit la libéralisation des échanges pour 95% des lignes tarifaires, dont 100% pour les produits industriels. Le calendrier de diminution des droits de douane est asymétrique afin de prendre en compte les différences de développement économique des deux régions ; certains produits, notamment de première nécessité en sont exclus, afin de ne pas déstabiliser l’économie de certains pays.

En complément, l’accord prévoit des engagements pour une élimination progressive de certains obstacles techniques au commerce et une facilitation de la circulation des marchandises. Il couvre enfin la plupart des sujets commerciaux non tarifaires parmi lesquels les mesures sanitaires et phytosanitaires, les services, les marchés publics et la propriété intellectuelle, qui font l’objet de chapitres spécifiques. L’accord prévoit ainsi la reconnaissance et la protection de plus de 200 indications géographiques européennes.

Le volet politique de l’accord prévoit la mise en œuvre d’un partenariat politique privilégié, fondé sur le respect et la promotion de la démocratie, de la paix, des droits de l’Homme, de l’État de droit, de la bonne gouvernance. Il ajoute aussi plusieurs articles à l’accord-cadre de coopération signé en 2003 entre les partenaires, en particulier sur la lutte contre les armes de destruction massive, le désarmement, la lutte contre le terrorisme et les crimes graves de portée internationale. Il promeut également le renforcement de l’Organisation des Nations unies en tant qu’élément central du système multilatéral.

Le dialogue politique prendra aussi la forme d’une coopération dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité, pour coordonner les positions et prendre des initiatives conjointes au sein des enceintes internationales. On pense notamment aux questions environnementales et climatiques, sur lesquels les pays d’Amérique centrale sont en pointe et qui sont explicitement visés par l’accord.

Le volet coopération a quant à lui pour objectifs de renforcer la paix et la sécurité ; contribuer au renforcement des institutions démocratiques, à l’égalité entre les hommes et les femmes, à la diversité culturelle, à la promotion et au respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, à la transparence et à la participation des citoyens ;

Il s’agit aussi de favoriser la cohésion sociale en luttant contre la pauvreté, les inégalités, l’exclusion sociale et toutes les formes de discrimination. Enfin, l’accord comporte un important volet consacré à la coopération culturelle.

Ce volet gagnerait certainement à mieux afficher ses priorités mais devrait, pour cela, pouvoir les identifier avec ses partenaires. Il nous appartiendra de faire de ces grandes ambitions un peu plus que des mots, car les défis en la matière sont majeurs en Amérique centrale. Il faut saluer à ce titre la création d’un mécanisme économique et financier commun, incluant, entre autres, la Banque européenne d’investissement, la facilité d'investissement pour l’Amérique latine et une assistance technique dans le cadre du programme de coopération régionale centraméricaine, pour lutter contre la pauvreté, favoriser le développement et la prospérité globale de l'Amérique centrale.

Pour la France, l’enjeu de cet accord est double. Il est bien sûr économique. Nous avons des marges de progression importantes en matière d’échanges commerciaux, où nous sommes en deçà des niveaux atteints par nos partenaires européens, l'Allemagne, l'Italie ou le Royaume-Uni. La France est le sixième fournisseur européen d'Amérique centrale et son septième client. Pourtant, le potentiel existe et la France a beaucoup à offrir en termes de développement : ces pays ont besoin d'équipements, de matériel électrique et électronique, d'ingénierie et de technologie. Dans ces domaines, la France dispose de plusieurs références positives dans les pays émergents, en Amérique du sud, en Asie et en Afrique.

Mais il ne s’agit pas d’avoir une vision étroitement économique. Les inégalités et l’absence d’état de droit sont aujourd’hui les deux principaux obstacles au développement en Amérique centrale, qui s’alimentent mutuellement. Là, la France a beaucoup à apporter, que ce soit en matière de coopération dans les domaines de la santé et des politiques sociales, de la lutte contre les inégalités, de la coopération en matière de justice et sécurité, mais aussi de développement durable, sujet de préoccupation crucial pour la population d’Amérique centrale et dans lequel la France a une véritable expertise et pourra donner corps à cet accord. Enfin, l’entrée en vigueur de l’accord devrait favoriser le développement d’initiatives au service de la promotion de la diversité culturelle : traductions d’œuvres littéraires, mise en valeur du patrimoine culturel, apprentissage des langues, etc. Notre pays, à l’origine de la Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, devra ainsi prendre toute sa part à la concrétisation de cette ambition.

Au bénéfice de ces remarques, je vous invite, chers collègues, à adopter ce projet de loi.

M. Jacques Myard. Combien de pays d’Amérique centrale sont-ils concernés par cet accord ?

M. Michel Vauzelle. Six pays : le Guatemala, le Salvador, le Honduras, le Nicaragua, le Costa Rica et le Panama. Le Belize n’est pas inclus dans cet ensemble qui ne compte que des pays de langue espagnole. Cuba et le Mexique non plus. Nous avons avec le Mexique des accords particuliers. Ce pays est par ailleurs très présent dans les autres pays d’Amérique centrale, dont il doit endiguer le flot de migrants, souvent très jeunes, qui cherchent à entrer clandestinement aux Etats-Unis en passant par le Mexique.

Mme la Présidente. Merci de nous faire partager votre intérêt ancien pour les pays d’Amérique latine.

M. Noël Mamère. Cet accord d’association a été soumis au Parlement européen en décembre 2012 et le groupe des Verts a voté contre ; nous ferons de même au sein de cette Assemblée. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’un accord déséquilibré, qui donne la part belle aux multinationales européennes. Je rappelle que les échanges commerciaux entre l’Amérique centrale, qui regroupe 35 millions d’habitants, et l’Union européenne, qui en compte 500 millions, se soldent par un excédent de huit milliards d’euros en faveur de l’Union. Par ailleurs, cet accord ne comporte pas de dispositions contraignantes en matière sociale et environnementale. Vous avez, à raison, pointé l’exemplarité démocratique du Costa Rica, dont l’ancien président, Oscar Arias Sanchez, a d’ailleurs reçu le prix Nobel de la paix en 1987. Le Costa Rica a veillé à protéger son territoire, qui l’était à 60%, mais il est aujourd’hui la cible de multinationales qui veulent y exploiter l’huile de palme et le grignotent progressivement. Il est donc préoccupant que l’accord ne prévoie rien contre ce type de situations. Cet accord est aussi insatisfaisant sur la question de la transparence financière. Il y a quelque temps, le Parlement européen avait demandé une étude sur la mise en œuvre des accords d’association conclus avec le Pérou et la Colombie. Celle-ci avait montré les effets pervers de la libéralisation, en l’absence de transparence financière. Elle avait en effet favorisé le blanchiment d’argent sale tiré du trafic de drogues. Enfin, l’accord prévoit que les pays s’engagent à ratifier le traité de Rome instituant la Cour pénale internationale (CPI). C’est d’autant plus important que plusieurs d’entre eux – notamment le Salvador et le Guatemala – ont été déchirés par des conflits meurtriers. Le Président du Nicaragua, Daniel Ortega, est un ancien chef militaire sandiniste qui s’est battu contre la dictature dont il a dénoncé les procédés. Il les a cependant repris à son compte une fois au pouvoir. Il est donc évident que ces pays n’ont pas l’intention de ratifier le traité de Rome. Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce projet. Nous pensons qu’il est capital que l’Union européenne soit présente dans cette région, qui ne peut être simplement l’arrière-cour des Etats-Unis. Mais cela ne peut se faire sous la forme de cet accord. 50% des populations d’Amérique centrale vivent sous le seuil de pauvreté, et rien n’est prévu pour revaloriser leur condition ; il n’y en a que pour les multinationales.

Mme Nicole Ameline. Cet accord renforce la présence de l’Union européenne dans le monde ; c’est une démarche stratégique utile, que nous soutenons totalement. Nous avons vu que les Caraïbes n’en faisaient pas partie. Quel type d’accord pourrions-nous envisager avec cette région, dont l’organisation tend à s’affirmer ? Pour revenir au présent accord, il est vrai que les pays d’Amérique centrale éprouvent de grandes difficultés sur les aspects sociaux et de gouvernance. Il faut d’ailleurs rappeler que le terme « fémicide » est né dans cette région. Nous devons donc renforcer notre action sur ces sujets, afin que ces pays puissent, à terme, ratifier le traité de Rome. Enfin, je voudrais insister sur la nécessité d’assurer la cohérence de nos actions, s’agissant en particulier du développement. Les ressources sont limitées, et nous avons des priorités en Afrique. Il convient de mieux articuler les actions internationales, européennes et nationales dans ce domaine.

M. Thierry Mariani. Cet accord me conduit à faire un parallèle avec l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis. Où en sommes-nous des négociations ? La presse en dit très peu de choses, et les enjeux sont énormes.

M. Jacques Myard. Je voudrais poser la même question au sujet de l’accord avec le Canada, qui suscite beaucoup d’oppositions sur Internet.

Mme la Présidente. Nous sommes en train d’organiser l’audition de notre nouveau secrétaire d’état au commerce extérieur, afin de faire le point sur ces sujets. Par ailleurs, conformément à l’engagement qui avait été pris ici par Fleur Pellerin, nous avons reçu des informations privilégiées sur le déroulement des négociations, que vous êtes libres de consulter au secrétariat. Nous ne pouvons pas les faire circuler, car il s’agit de documents confidentiels.

M. Michel Vauzelle. Je partage la préoccupation de Noël Mamère sur les questions environnementales. En effet, certains pays avaient été plutôt préservés, mais la logique économique tend à l’emporter sur la logique environnementale. C’est le cas du Panama : c’est en fait surtout la Ciudad de Panama qui est touchée, le reste du pays est encore relativement préservé. Au sujet du blanchiment, je tiens à préciser que l’article 36 de l’accord traite de ce sujet, même si ce n’est sans doute pas suffisant. Quant au volet social, il existe, et nous veillerons à ce qu’il soit développé dans les faits, à l’exemple de ce que fait le programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) au Salvador. Le problème des femmes est en effet gravissime, et l’article 47 y fait spécifiquement mention. Il prévoit une coopération étroite pour développer le respect de la femme et l’égalité homme-femme. Evidemment, il y a fort à faire. La santé n’est pas oubliée non plus. Enfin, l’accord prévoit la création d’un fonds pour lutter contre la pauvreté et les inégalités ; ce sera un argument pour pousser l’Europe à creuser davantage le volet social de sa relation. Il est vrai que nous avons là un problème moral : nous poussons à l’ouverture des marchés, et cela se fait au profit des entreprises plus que des populations. Mais si nous ne sommes pas présents, nous laissons les Etats-Unis, voire la Chine régner en maîtres. Nous cédons la place à d’autres puissances économiques qui n’ont pas toujours notre délicatesse.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 2095).

La séance est levée à onze heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 17 septembre 2014 à 9 h 45

Présents. - Mme Nicole Ameline, M. François Asensi, M. Jean-Marc Ayrault, M. Jean-Paul Bacquet, M. Patrick Balkany, M. Philippe Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Bocquet, M. Jean-Claude Buisine, Mme Marie-Arlette Carlotti, M. Gérard Charasse, M. Guy-Michel Chauveau, M. Philippe Cochet, M. Philip Cordery, Mme Seybah Dagoma, M. Jean-Pierre Dufau, M. François Fillon, Mme Marie-Louise Fort, Mme Valérie Fourneyron, M. Paul Giacobbi, M. Jean Glavany, Mme Élisabeth Guigou, Mme Thérèse Guilbert, Mme Françoise Imbert, M. Pierre-Yves Le Borgn', M. Pierre Lellouche, M. Patrick Lemasle, M. François Loncle, M. Noël Mamère, M. Thierry Mariani, M. Jean-René Marsac, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jean-Claude Mignon, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Didier Quentin, M. Boinali Said, M. André Santini, Mme Odile Saugues, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle

Excusés. - M. Pouria Amirshahi, Mme Danielle Auroi, M. Gwenegan Bui, M. Michel Destot, M. Jean-Paul Dupré, M. Hervé Gaymard, M. Jean-Claude Guibal, Mme Chantal Guittet, M. Serge Janquin, M. François Lamy, M. Pierre Lequiller, M. Lionnel Luca, Mme Marion Maréchal-Le Pen, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, M. François Scellier, M. Guy Teissier