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Commission des affaires étrangères

Mercredi 30 novembre 2016

Séance de 9 heures 45

Compte rendu n°025

Présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente

– Audition de M. Jean-Pierre Lacroix, directeur des Nations unies au Ministère des affaires étrangères et du développement international.

Audition de M. Jean-Pierre Lacroix, directeur des Nations unies au Ministère des affaires étrangères et du développement international.

La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Préalablement à notre audition, je souhaitais mentionner ici que notre collègue Nicole Ameline, qui était candidate à la présidence de l’assemblée parlementaire de l’OTAN, a malheureusement perdu l’élection qui s’est tenue à Istanbul le 21 novembre. Il semblerait que cela soit dû à des défections de certaines délégations au sein du groupe politique censé la soutenir. C’est dommage car nous connaissons l’engagement de longue date de Nicole Ameline au sein de l’OTAN, mais certains partenaires européens ne partageaient visiblement pas ses vues. Cela aurait pourtant été une occasion formidable d’avoir une personnalité extrêmement compétente à la tête de cette assemblée et qui, de surcroît, soit une femme.

Mme Nicole Ameline. Merci, madame la présidente, pour votre intervention, à laquelle je suis très sensible. Il y aurait beaucoup à dire sur cette élection, qui s’est jouée hors de l’enceinte de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN et que les stratégies entre États ont empêché de se dérouler dans des conditions habituelles. Je le regrette vivement, car c’était une vraie chance qui nous était donnée d’accompagner l’effort de défense. Nous aurons en tout cas des leçons à tirer de ces négociations qui se sont déroulées à une double échelle.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je souhaite à présent la bienvenue à M. Jean-Pierre Lacroix, directeur des Nations unies au ministère des affaires étrangères et du développement international. Il est accompagné de M. Jean-François Calvez, conseiller militaire.

Nous avons, avec François Loncle et Philippe Cochet, conduit il y a quelques semaines la traditionnelle délégation annuelle de notre commission aux Nations unies, où nous avons pu constater que notre pays était très engagé et très écouté au sein du Conseil de sécurité sur des sujets majeurs comme la lutte contre le terrorisme, qui prend une place grandissante dans l’agenda, la question des migrations, avec l’organisation de deux sommets, ou encore le développement durable, avec la mise en œuvre de l’accord de Paris, et bien entendu les crises.

Votre propos, monsieur Lacroix, portera essentiellement sur les crises au Proche et au Moyen-Orient, et d’abord sur la Syrie, où la situation humanitaire empire chaque jour, tandis que notre impuissance à secourir la population fait face aux progrès des forces gouvernementales appuyées par les Russes dans la partie est d’Alep. Sur ce plan, il semble que nous assistions à un blocage au Conseil de sécurité, en tout cas depuis le dernier veto russe au projet de résolution franco-espagnol du 8 octobre dernier. Une dizaine de villes restent par ailleurs assiégées. Que peut-on encore espérer, sinon parvenir à acheminer de l’aide humanitaire vers les populations civiles qui vivent une véritable tragédie ?

En Irak, l’armée progresse vers Mossoul où la situation humanitaire est également très alarmante. Plus de trois millions de civils ont quitté leur foyer, tandis que trois autres millions se trouvent dans des zones contrôlées par Daech.

En Libye, Daech recule mais l’accord politique interlibyen n’est toujours pas mis en œuvre, chaque partie campant manifestement sur des positions figées.

En ce qui concerne le Yémen, comment analysez-vous la situation ? Là-bas aussi, les hostilités se poursuivent et la situation humanitaire est très dégradée ; Ryad intensifie ses frappes et la menace terroriste, incarnée par une filiale d’Al-Qaïda, Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA), mais également par Daech, progresse également. Quant au plan de paix présenté par l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies, il a été rejeté par le président Hadi et par les Houthis.

Enfin, le processus de paix au Proche-Orient est toujours dans l’impasse. Que pensez-vous des chances de voir aboutir l’initiative de paix portée par Pierre Vimont ? Après beaucoup de déconvenues, peut-on encore espérer quelque chose du président Obama ?

Le dernier point sur lequel nous souhaiterions vous entendre est l’évolution interne des Nations unies. Nous y sommes influents, mais nous avons eu le sentiment que la Chine surtout, dont le représentant permanent nous a fait forte impression, y étendait fortement son influence. Elle investit beaucoup dans le maintien de la paix et se considère comme un pivot du Conseil du sécurité. Se pose également la question de l’attitude qu’adoptera M. Trump, au-delà de la méfiance de principe qu’il a manifestée jusqu’ici à l’égard de l’institution.

Dans ce tableau très sombre, je trouve néanmoins une petite lueur de réconfort dans l’élection du prochain secrétaire général, António Guterres, que nous connaissons bien et dont les positions sont proches des positions françaises et européennes, ce qui est peut-être une chance de voir avancer certains des dossiers que nous allons évoquer ensemble.

M. Jean-Pierre Lacroix, directeur des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l’homme et de la francophonie au ministère des affaires étrangères et du développement international. Je vous remercie, madame la présidente, de nous avoir invités, le colonel Jean-François Calvez, conseiller militaire à la direction des Nations unies, et moi-même. C’est l’occasion pour moi de souligner la qualité de la coopération – quotidienne – entre le ministère de la défense et le ministère des affaires étrangères, et plus spécifiquement la direction des Nations unies.

Je souhaite insister, en préambule à mon propos, sur l’importance qu’il y a à ce que les parlementaires se mobilisent en faveur de l’action de la France aux Nations unies. Compte tenu de notre statut particulier, les Nations unies sont un effet pour nous un démultiplicateur de puissance, un vecteur qui nous permet de prendre l’initiative et de peser sur le cours de nombreuses crises. J’ajoute que le soutien parlementaire doit également porter sur les efforts financiers que nous pouvons consentir en matière de contributions volontaires au système des Nations unies car, si l’influence de la France est d’abord liée à son statut et à ce qu’elle en fait, c’est-à-dire aux initiatives que nous prenons et à notre capacité à être moteur, il ne faut pas non plus négliger le complément d’influence que peuvent apporter nos contributions aux différentes agences des Nations unies.

Cela étant dit, je concentrerai mon propos sur les crises au Proche-Orient. Avant de les aborder spécifiquement, je voudrais souligner que jamais le Conseil de sécurité n’a vu s’inscrire à son ordre du jour autant de crises : le nombre de décisions et de réunions a doublé en dix ans ; deux fois plus de textes ont été adoptés. Cette prolifération des crises n’a pas été sans conséquence en termes de moyens, puisqu’elle a augmenté le nombre d’opérations de maintien de la paix et le nombre de casques bleus déployés dans le monde, ne faisant qu’accroître la tension qui pèse sur le système.

J’insiste également sur un autre point, à savoir notre capacité à travailler avec nos partenaires du Conseil de sécurité. La valeur ajoutée des Nations unies, c’est que l’institution vaut mieux que la somme des États qui la composent, à condition toutefois que les membres du Conseil de sécurité – et notamment les membres permanents – parviennent à s’entendre. Or c’est compliqué. Sur certains sujets – et c’est malheureusement le cas pour la Syrie –, nous ne somme pas en mesure de prendre des décisions permettant d’aboutir à un processus de paix. Quant aux sujets sur lesquels le dialogue reste possible, les échanges ne sont pas non plus exempts de tensions – je pense entre autres à la question des sanctions ou à certaines prises de position que certains de nos partenaires, notamment les Russes et les Chinois, considèrent comme de l’ingérence, au Burundi, par exemple. Travailler quotidiennement avec ces partenaires pour tenter de surmonter ces difficultés partout où cela est possible nous impose donc des efforts toujours accrus.

Vous avez évoqué le terrorisme. Il s’agit pour le coup d’un ciment important qui fédère les membres du Conseil de sécurité. La lutte contre le terrorisme emporte l’unanimité et nous permet de travailler non seulement sur cette menace directe mais également sur les crises susceptibles de la nourrir. Je pense notamment à la crise malienne, dans laquelle la France a, dès le début, pris l’initiative et à propos de laquelle nous avons pu obtenir un consensus, en faisant valoir la menace terroriste dont la situation était porteuse.

J’aimerais pouvoir en dire autant de la Syrie, compte tenu de la menace terroriste qui pèse sur nous. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Je ne reviendrai pas sur ce qui a conduit à cette situation : l’engagement russe subitement accru aux côtés du régime, le retrait américain à certains moments cruciaux, doublé d’un refus de s’engager sur le terrain, à quoi il faut ajouter, pour parler clair, le manque de cohésion de l’opposition non terroriste, à la fois au plan politique et sur le terrain. Si l’on considère de surcroît le jeu complexe des différents acteurs régionaux, on aboutit à un tableau particulièrement sombre.

La phase qui s’ouvre pour l’heure est une période d’atonie ou de transition que le régime syrien et ses soutiens entendent mettre à profit pour modifier le rapport de forces en leur faveur et pouvoir ainsi aborder en position de force l’étape suivante, qui débutera avec l’entrée en fonction de la nouvelle administration Trump. C’est dans ce contexte que nous assistons à une intensification de leur action militaire, notamment à Alep.

Que pouvons-nous faire dans ces conditions ? Pour ce qui concerne notre action dans le cadre des Nations unies, nous pouvons préparer l’avenir, c’est-à-dire les conditions qui mettront fin à l’impunité pour ceux qui se sont rendus coupables de crimes graves. Nous devons également continuer d’user de notre position au Conseil de sécurité pour exiger à la fois la cessation des hostilités et l’acheminement de l’aide humanitaire.

C’était l’objectif du projet de résolution que nous avons déposé au Conseil de sécurité et qui a réuni le soutien de onze membres, mais s’est vu opposer le veto de la Fédération de Russie. Il est clair que la position russe est minoritaire et que notre message, qui exige, conformément au droit international, que l’aide humanitaire puisse être acheminée sans entraves et que soient respectées les résolutions du Conseil de sécurité prévoyant la cessation des hostilités et une transition politique, recueille l’adhésion de la plupart de nos partenaires.

Le scénario qui semble malheureusement se dessiner aujourd’hui et peut donner l’illusion de permettre un retour à la stabilité est celui d’une partition de la Syrie en plusieurs zones : l’une contrôlée par le régime, l’autre par les Kurdes, une petite zone frontalière contrôlée par la Turquie, et enfin une dernière zone sous influence de l’opposition sunnite. Or nous avons la certitude que ce n’est pas une solution stable, car les conditions d’une partition selon des lignes qui garantiraient un arrêt des combats et la résorption du risque terroriste ne sont pas réunies, et une partition du pays risque, au contraire, d’exacerber la menace terroriste.

C’est la raison pour laquelle, même si cela semble aujourd’hui un objectif fort éloigné, il est de notre devoir de continuer à plaider pour le bon sens, c’est-à-dire pour une transition politique qui garantisse l’unité de la Syrie, ce qui ne passe pas nécessairement par la disparition du régime mais par l’effacement progressif de Bachar el-Assad.

L’attentisme américain est évidemment au cœur du problème. Nous le ressentons non seulement sur le terrain mais également pour ce qui concerne la question des armes chimiques. Sur ce point, nous insistons pour que soit dénoncée leur utilisation et surtout pour que les coupables soient traduits devant la justice internationale. Nous avons plaidé auprès des Américains pour qu’ils soutiennent le combat que nous menons en la matière avec nos partenaires britanniques, au motif qu’il ne s’agit pas d’une question strictement syrienne mais de la lutte globale contre la prolifération. Certes, il y a encore une marge de progression importante s’agissant du soutien qu’ils peuvent nous apporter, mais nous continuerons d’agir très résolument dans les jours qui viennent pour faire adopter une résolution – ou en tout cas pour accroître la pression des Nations unies au sujet des armes chimiques, dont les utilisateurs ne doivent en aucun cas rester impunis. C’est en tout cas la position de la majorité des membres du Conseil de sécurité.

S’agissant de l’aide humanitaire, depuis un peu plus d’un mois elle s’est quasiment tarie, parce que le régime ne délivre plus d’autorisations. Les Nations unies avaient développé un plan d’assistance pour Alep, comprenant notamment un volet d’assistance médicale et d’évacuation des victimes ; il n’a pu être mis en œuvre faute d’autorisations. Par ailleurs, quand ces autorisations sont délivrées, le régime les assortit souvent de telles restrictions que les livraisons ne peuvent s’opérer.

En Irak, la coordination entre les différentes forces militaires engagées dans la reconquête de Mossoul est bonne, ce qui est plutôt positif. De même, la coordination entre le gouvernement irakien et les Kurdes est satisfaisante, et les autres éléments militaires, notamment les milices populaires chiites, semblent jusqu’à présent sous contrôle.

Le gouvernement irakien a par ailleurs élaboré un plan pour la gouvernance de Mossoul après la reconquête. Une réunion ministérielle a récemment été organisée à Paris pour faire le point sur la question. Tout cela est bien sûr encourageant, mais à suivre malgré tout de très près.

Au plan humanitaire, le nombre de personnes déplacées depuis Mossoul est à l’heure actuelle sensiblement inférieur à nos prévisions, puisqu’il oscille, selon les estimations, entre 50 000 et 70 0000 personnes. Les Nations unies et les différentes agences engagées sont d’ores et déjà en capacité d’accueillir jusqu’à 100 000 déplacés, sachant que des camps supplémentaires sont en cours de construction, ce qui permettra de tripler ou de quadrupler ce nombre.

L’essentiel demeure qu’au-delà des opérations militaires, dont nul ne peut exactement prédire le terme et les conditions dans lesquelles elles s’achèveront, le gouvernement irakien soit capable de restaurer l’unité d’un pays dans lequel les facteurs de tension sont importants, notamment entre les Kurdes, les milices chiites et la Turquie, dont les forces militaires sont présentes au nord-ouest de l’Irak, ce qui suscite de fortes protestations dans la population.

Pour ce qui est du Yémen, j’insisterai d’abord sur la situation humanitaire, extrêmement critique, dans un pays qui est déjà l’un des plus pauvres de la région. Par ailleurs, les protagonistes du Golfe, au premier rang desquels l’Arabie saoudite, souhaitent en finir avec la belligérance. Nos amis saoudiens ont en effet compris qu’il n’y aurait pas de solution militaire, de même que leurs partenaires émiriens, qui semblent s’orienter de plus en plus vers la stricte défense de leurs intérêts et de leur sécurité, en particulier la protection du détroit de Bab-el-Mandeb, leur objectif étant plus largement de contenir la réelle menace que constitue le développement d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique.

Cela étant et malgré les efforts déployés par l’émissaire des Nations unies, le Mauritanien Cheikh Ahmed, homme de très grande qualité, et par John Kerry, les deux parties en présence continuent de camper sur des positions antagonistes qui ne laissent nullement présager la conclusion d’un accord. Du côté des Houthis et du président Saleh, on a le sentiment que, malgré de nombreuses concessions des Saoudiens, qui font pression sur le président Hadi et sur son vice-président, la volonté de parvenir à un accord de paix est assez faible. Cela peut s’expliquer par le fait que la rébellion houthiste, qui, au départ, n’avait pas grande envergure, s’est trouvée plutôt grandie par la guerre et la nouvelle importance que celle-ci lui confère. Ils n’ont rien cédé sur l’essentiel, refusant le retrait de leurs forces de Sanaa, qu’ils entendent marchander contre des gains politiques en permanence revus à la hausse. Il faut ajouter que le président Saleh a tous les moyens financiers d’entretenir l’instabilité. Il est assez difficile de voir clair dans son jeu, mais beaucoup considèrent qu’il joue le pourrissement de la situation. Du côté de la coalition, il semble que les Saoudiens et leurs alliés souhaitent parvenir à un règlement. Mais ils doivent tenir compte du président Hadi et de son vice-président Mohsen, dont le retrait est, semble-t-il, préalable à toute forme d’accord.

J’en viens à la Libye. L’accord de Skhirat et la formation du gouvernement d’entente nationale avaient constitué une avancée considérable, bien supérieure aux espoirs que nourrissaient alors les Nations unies. Nous nous trouvons malheureusement aujourd’hui face à un gouvernement qui a du mal à établir son autorité, tandis qu’à l’extérieur, les acteurs régionaux – l’Égypte, l’Algérie – qui, au lendemain de Skhirat, avaient joué la carte de l’entente, se recentrent sur leurs propres intérêts, avec toutes les conséquences que cela emporte en termes de flux migratoires et de danger terroriste.

Du fait de la faiblesse de la Ligue arabe et de la division des pays arabes, les Nations unies ont un rôle à jouer en Libye, mais le Conseil de sécurité aura peu de latitude pour faire davantage que ce qu’il a déjà fait – avec un succès qui est loin d’être total –, à savoir définir les principes qui fondent la mise en place du nouveau régime, soutenir le gouvernement d’entente nationale issu de l’accord de Skhirat, mettre enfin en place des mesures permettant de mieux contrôler l’embargo sur les armes et les flux de migrants.

Il y a là un défi majeur pour le futur secrétaire général, qui devra tenter de remobiliser les partenaires régionaux, de mettre fin à leurs divergences et de les réunir autour d’un objectif commun qui va dans le sens de leurs intérêts : le retour de la Libye à la stabilité, sous l’autorité d’un gouvernement. Pour cela, un gouvernement a besoin de s’appuyer sur des forces militaires crédibles, ce qui ne repose pas uniquement sur Haftar, qui n’est pas le général en chef de l’armée libyenne, mais seulement le commandant d’une force importante, qui compte pour beaucoup mais n’est pas la seule sur le terrain.

Pour ce qui concerne le processus de paix au Proche-Orient, notre initiative a eu le mérite de remettre en lumière la dimension politique d’une question qui occupe tous les esprits dans la région mais qui, par réalisme diront certains, parce que des crises plus brulantes en avaient détourné l’attention, diront les autres, n’avait pas connu d’évolution significative dans la période récente.

Nous avions pu réunir en juin les ministres des affaires étrangères des principaux pays concernés, l’objectif étant de préparer la voie à une conférence internationale dans le cadre de laquelle les parties seraient à même de réengager un processus politique.

Nous considérons particulièrement important de réaffirmer la pertinence et la préférence internationale pour la solution pérennisant deux États, dans la mesure où ni le contexte politique israélien ni sans doute le nouveau contexte politique aux États-Unis ne sont les plus propices à cette solution, cependant que la progression sur le terrain de la colonisation constitue un obstacle supplémentaire.

Quoi qu’il en soit, l’ambassadeur Pierre Vimont poursuit ses consultations dans le but de réunir une conférence avant la fin de l’année. Se pose d’emblée la question de la participation des protagonistes, puisqu’il est vraisemblable qu’Israël ne souhaitera pas y participer.

En parallèle, le Conseil de sécurité peut à tout moment se saisir de la question pour, éventuellement, comme le souhaitent les Palestiniens, condamner l’accélération de la colonisation ou réaffirmer le principe de deux États, étant entendu qu’il ne faudrait pas qu’une intervention du Conseil interfère avec la préparation de notre conférence internationale. Par ailleurs, une grosse incertitude demeure sur la position que pourrait adopter l’administration Obama, qui est sur le départ, par rapport à de tels projets de résolution. De même, l’Égypte, qui siège actuellement au Conseil, s’inscrit plutôt dans une logique de coopération avec Israël pour ce qui concerne les questions de sécurité. Elle a par ailleurs d’autres soucis, soit à l’extérieur avec la Libye, soit internes, et l’ensemble de ces raisons font qu’elle ne manifeste pas beaucoup d’enthousiasme à l’idée que le Conseil de sécurité prenne une nouvelle initiative. Cela ne nous empêche pas d’avancer sur notre projet de conférence, qui devra également aborder la question du soutien économique et le soutien aux institutions palestiniennes.

Vous m’avez enfin interrogé sur l’évolution interne des Nations unies. Vous avez très justement observé que la Chine développait son influence au sein des Nations unies, en augmentant sa participation aux opérations de maintien de la paix, en multipliant sa présence à la tête de plusieurs agences des Nations unies, à travers enfin des contributions financières volontaires importantes. Récemment encore, Hervé Ladsous m’expliquait que les Chinois avaient signé un chèque de 200 millions de dollars sur cinq ans au bénéfice de son département, pour financer des programmes et des actions de soutien et de préparation au maintien de la paix.

L’ancien Premier ministre australien Kevin Rudd, bon connaisseur de la Chine, explique que cette dernière perçoit les Nations unies comme un possible vecteur d’influence sans oublier qu’elles sont également une création des Occidentaux et des anciennes puissances coloniales. D’où le dessein qu’elle poursuit non seulement d’y accroître son influence, mais également de transformer à terme l’organisation en infléchissant ses priorités.

Il faudra donc compter avec la Chine, dont le poids de plus en plus déterminant aura nécessairement des incidences sur toutes les questions relatives aux droits de l’homme, qui ne sont pas nécessairement parmi ses préoccupations prioritaires. De même, bien que la Russie semble en première ligne sur les questions de souveraineté et de non-ingérence, les positions des Chinois en la matière seront déterminantes et devront être prises en compte.

Quant à l’attitude de la future administration américaine, nous n’avons pour l’heure que les déclarations globalement assez négatives faites par Trump sur les Nations unies. La nouvelle représentante permanente est une jeune gouverneure pleine d’entrain, figure montante du parti républicain, sans expérience. Reste à découvrir la personnalité du futur secrétaire d’État, qui sera évidemment déterminante, en particulier s’il s’avérait qu’il s’agit de John Bolton, dont le nom est cité.

Si Donald Trump ne s’est pas fait élire sur un programme interventionniste mais plutôt sur la promesse d’un retrait des affaires internationales, il est à l’heure actuelle difficile de décrypter quelles seront les orientations de sa politique étrangère. Reste que nous partageons de forts intérêts communs, s’agissant notamment de la lutte contre le terrorisme. Par ailleurs, une puissance qui ne souhaite pas s’exposer en première ligne sur tous les fronts doit compter sur des relais, et les pays comme la France n’ont pas les moyens, ni politiques, ni matériels, d’assumer seuls le règlement de certains conflits. En d’autres termes, il y a sans doute moyen de faire comprendre à nos partenaires américains que les Nations unies ont un vrai rôle à jouer en matière de sécurité et de paix internationale.

Dans ces conditions, le risque majeur est financier, car il est facile de dresser le Congrès américain contre les Nations unies : au cours du dernier quart de siècle, les années où les États-Unis ont été en retard dans leurs contributions ont été plus nombreuses que celles où ils étaient à jour – et je ne parle pas uniquement d’administrations républicaines. Nous sommes donc à la merci de voir des slogans aussi simplistes que ceux qui dénoncent dans les Nations unies un ennemi des États-Unis ou d’Israël faire preuve de leur efficacité. C’est un risque à ne pas négliger mais sur lequel nous avons peu de prise.

C’est la raison pour laquelle il est important d’engager très en amont les discussions avec la future administration. En ce qui concerne les Nations unies, cela sera surtout de la responsabilité d’António Guterres.

Vous avez raison, sa nomination est une bonne nouvelle. La nouvelle procédure de sélection du secrétaire général, qui contraint tous les candidats à exposer leur projet devant l’Assemblée générale, a montré de manière éclatante que c’était un candidat de très grande qualité, à qui ses compétences, sa hauteur de vue, sa connaissance du système et sa profondeur d’analyse ont valu un très grand succès.

Ce sera un atout très important. Il est proche de la France et francophone, et ce retour du multilinguisme au plus haut niveau des Nations unies est essentiel. Ne nourrissons pas cependant l’espérance irréaliste qu’il puisse être assimilé à un secrétaire général français, ce serait en décalage avec la réalité. Redisons néanmoins qu’il s’agit d’une très bonne nouvelle, en particulier au regard de la mission qui l’attend dans les toutes prochaines semaines et qui consistera à convaincre la nouvelle administration américaine et le Congrès que les Nations unies ont un rôle à jouer, et ce dans l’intérêt des États-Unis et de leurs alliés.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Merci beaucoup, monsieur le directeur. C’était passionnant. Tous les dossiers que vous avez à traiter demandent une grande ténacité et une grande patience.

Mme Odile Saugues. Ma question portait sur les moyens et la volonté de l’ONU s’agissant du conflit israélo-palestinien, mais vous y avez répondu par anticipation, monsieur le directeur ; je vous en remercie.

M. Jacques Myard. Monsieur le directeur, cher collègue, vous savez ce que l’on dit au Quai d’Orsay de la diplomatie du multilatéral : que c’est la diplomatie des paresseux ! Ce n’est pas la paresse de nos diplomates qui est ici visée, mais la longueur des processus et le fait que les « coups » sont parfois téléphonés, ce qui demande un travail de coordination avec des forces multiples et variées.

Cela étant, vous avez parlé à juste titre de notre capacité d’entraînement et de notre statut. À ce propos, où en est-on des billevesées sempiternelles concernant l’abandon par la France de son siège de membre permanent du Conseil de Sécurité au profit de l’Union européenne, qui constituerait à mon avis un non-sens complet ?

En ce qui concerne les contributions, vous avez raison de dire que notre capacité à financer certains organismes nous donne une influence sur eux : d’une manière ou d’une autre, qui paie commande. Mais – je l’ai déjà dit au ministre des affaires étrangères – nous consacrons beaucoup d’argent au multilatéral au niveau européen, et il serait bon que nous puissions en rapatrier un peu pour agir directement avec nos propres moyens. Je songe au service diplomatique européen, lui aussi un non-sens, qui fait doublon avec les diplomaties nationales et nous coûte 20 % de son budget total de 800 millions d’euros, soit 160 millions.

S’agissant du Rwanda, je suis tout à fait scandalisé des agissements de M. Kagame, qui relèvent de la Cour pénale internationale. Va-t-on donc entreprendre une action multilatérale pour contrer cet individu peu recommandable qui a du sang sur les mains ?

En ce qui concerne la Syrie, que cherche-t-on exactement ? La paix ? Il y en a un qui doit partir, nous dit-on ; mais s’il fallait faire la liste de tous les criminels de guerre sur la planète, elle serait longue, et on y trouverait même d’anciens Présidents de la République française ! Aux termes de la convention portant statut de la CPI, certaines frappes qui ont eu lieu en ex-Yougoslavie en relèvent, et nos officiers pourraient être poursuivis à ce titre ; c’est pour cette raison que nous avions émis des réserves concernant l’article 8 du statut. On dit aussi que des civils meurent, et c’est vrai ; mais la batterie de Caesar, à Mossoul, fait-elle la différence entre les combattants de Daech et les civils ? Et ce sont nos armements ! Soyons donc cohérents – ce n’est pas à vous que je m’adresse, monsieur le directeur, mais à tout le monde ici. Quand les Américains ont débarqué, la propagande de Vichy ne les accusait-elle pas de tuer des civils ? Ne nous prenons pas les pieds dans le tapis avec un double langage !

Mme Chantal Guittet. J’aimerais vous interroger sur l’efficacité de la grande organisation qu’est l’ONU. On entend beaucoup de communications indignées sur tous les sujets, de condamnations assorties de sanctions qui restent sans effet. S’agissant de la politique migratoire, dans le texte final, les intérêts nationaux ont bien plus pesé que la prise en considération des migrants.

Où en est donc la proposition française de réforme du Conseil de sécurité, qui consistait notamment à encadrer le droit de veto ? Le débat n’est pas nouveau, mais la récente nomination du Tunisien Khaled Khiari à la présidence des négociations internationales permet-elle d’espérer que l’on donne enfin à l’ONU les moyens d’être adaptée à notre temps et efficace ?

J’ai lu dans la presse que l’Union africaine – présidée, je crois, par Paul Kagame –parlait de quitter l’ONU pour fonder une autre organisation qui donnerait plus de place aux États africains. Ne s’agit-il que de rumeurs ?

M. Philippe Cochet. Je tiens à souligner la grande qualité de notre représentation permanente auprès de l’ONU, que j’ai eu l’occasion de vérifier sur place ; notre équipe est petite mais très déterminée. Je regrette simplement que le travail de fond qu’elle accomplit soit relativement peu connu en France. Il s’agit pourtant de l’un des rares lieux où le poids de notre pays soit encore reconnu.

L’arrivée de la nouvelle administration américaine risque d’entraîner une remise en question qui se traduirait financièrement alors que les États-Unis sont un bailleur important des Nations unies. Qu’en pensez-vous ?

Le nouveau secrétaire général a-t-il déjà indiqué quelles seraient ses priorités ?

Mme Nicole Ameline. Monsieur le directeur, vous savez combien nous soutenons votre action à tous les niveaux. Elle est essentielle : nous avons besoin d’une diplomatie d’influence et de puissance dans un monde devenu totalement instable. Or le système international est exposé au risque d’un affaiblissement financier – vous en avez parlé –, mais aussi d’un affaiblissement du droit. Je suis frappée par le retour de la puissance et de la force dans le monde, au détriment du droit. En témoignent la transgression des frontières en Crimée, mais aussi l’éventualité du rétablissement de la peine de mort en Turquie ou les annonces de retrait de la CPI. Tout cela m’inquiète, car ce système, s’il est certainement critiquable sous certains aspects, demeure essentiel.

J’aimerais moi aussi connaître les priorités du nouveau secrétaire général.

Comment l’état d’esprit propre à l’école jacksonienne qui inspire Trump va-t-il se traduire dans les faits ? Le président nouvellement élu va-t-il malgré tout soutenir le système multilatéral ?

Surtout, un axe stratégique entre l’Union européenne et l’ONU ne serait-il pas utile pour relever le défi à la fois géostratégique et idéologique auquel nous sommes confrontés ? Si un basculement s’opère vers la Chine, ce qui est le cas au moins du point de vue financier, voire en termes de puissance, je crains une remise en cause des principes fondamentaux de l’ONU, auxquels nous sommes particulièrement attachés.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je m’associe entièrement aux propos de Nicole Ameline – et, comme d’habitude, je suis en total désaccord avec ceux de Jacques Myard. (Sourires.)

M. Jean-Pierre Lacroix. Monsieur le député Jacques Myard, cher collègue, l’idée d’un siège permanent pour l’Union européenne – qui n’est plus guère évoquée – impliquerait une modification radicale de l’esprit fondateur des Nations unies, organisation fondée sur les États et dont sont membres des États, non des organisations régionales. D’ailleurs, quand l’Union européenne a cherché à se rendre plus visible au sein des Nations unies, notamment à l’Assemblée générale en y demandant une capacité d’expression renforcée, cela a suscité des résistances. La vigilance à ce sujet est donc grande. En outre, pour opérer au sein du Conseil de sécurité, il faut une diplomatie unique et unifiée, afin de pouvoir réagir au jour le jour. Ainsi, nous recevons le matin de New York des demandes d’instruction que nous devons traiter dans la matinée en consultant tout le monde, des directions géographiques au cabinet du ministre et éventuellement à l’Élysée ; une telle démarche serait totalement incompatible avec une diplomatie aussi éclatée que celle de l’Union européenne.

Cela étant, madame Ameline, l’Union européenne est partout présente à l’ONU, et de manière très positive. Elle joue un rôle dans les crises, en amont et en aval de chaque décision des Nations unies, et sur le terrain pour mettre en œuvre les décisions prises, qu’il s’agisse d’appuyer l’action d’une opération de maintien de la paix, comme au Mali avec la formation des forces de sécurité, ou d’être donateur, comme lors de la récente conférence organisée au bénéfice de la République centrafricaine. De plus, lorsque, comme cela arrive souvent s’agissant des enjeux globaux, les pays membres de l’Union parviennent à une position unique, nous cumulons l’effet d’entraînement que nous pouvons exercer au travers de l’Union à celui que nous produisons par le biais des Nations unies. L’Union européenne est donc un atout pour nous, en même temps qu’une force en soi, reconnue comme telle, qui contribue notablement à la paix en complément des efforts déployés par les Nations unies.

Madame Guittet, nous avons tout intérêt à une réforme du Conseil de sécurité qui y accroîtrait le nombre de sièges, permanents et non permanents. Le système actuel est critiqué par de nombreux pays, notamment par d’importants pays émergents qui voudraient un rôle accru, ainsi que par de petits pays, dont le nombre a triplé ou quadruplé depuis 1960. Or, pour que le système reste crédible, légitime et fort, il doit être satisfaisant pour la plupart des grands acteurs. À long terme, ce que risquent les Nations unies – particulièrement le Conseil de sécurité –, c’est de devenir non pertinentes, irrelevant, donc de ne plus être acceptées par la communauté internationale. Imaginons que, dans trente ou quarante ans, l’Inde, devenue la première puissance démographique au monde, et peut-être la troisième puissance économique, n’ait toujours pas de siège permanent et se retire de facto du système onusien : c’est un danger.

Si nous avons donc intérêt à promouvoir cette réforme, les divisions sont telles qu’il est très difficile d’y parvenir. Elles opposent les pays qui souhaitent la création de nouveaux sièges permanents et ceux qui ne le veulent pas, notamment parmi les pays africains qui jouent un rôle important dans ce processus. De plus, dans les principaux pays qui voudraient obtenir un siège de membre permanent, la mobilisation politique qui serait requise au plus haut niveau fait défaut. Peut-être le Japon fait-il exception, probablement parce que c’est le pays qui sent le plus que le temps joue contre lui ; mais ce n’est pas le cas de l’Allemagne, qui dispose aujourd’hui d’autres moyens d’affirmer sa puissance, ni du Brésil, confronté à bien des difficultés, ni de l’Inde qui considère qu’elle a de toute façon le temps pour elle. Quant à l’Afrique, si certains pays nourrissent des ambitions, aucun ne veut créer trop de discorde au sein de la maison africaine, pour ne pas remettre trop visiblement en cause la construction lente, mais progressive et régulière de l’unité africaine par le biais de l’Union africaine.

L’Union africaine, justement, aujourd’hui présidée par le président tchadien Idriss Déby, souhaite – et nous la soutenons – renforcer encore son rôle dans le traitement des crises en Afrique, ainsi que sa capacité à déployer des opérations, ce qui est tout à fait positif. La France forme d’ailleurs chaque année 20 000 soldats africains au maintien de la paix ; le colonel Calvez connaît parfaitement ce dossier. Il existe aussi des projets visant à développer les moyens dont disposent les Nations unies pour soutenir techniquement et financièrement les opérations de l’Union africaine.

Tout cela est souhaitable à terme. Il faut simplement veiller à ne pas légitimer le discours de certains Africains selon lequel l’Afrique concerne l’Union africaine, non les Nations unies. Outre que ce discours n’est pas réaliste, il est profondément contraire aux intérêts même des Africains. De plus, la logique très réaliste qui a présidé à la fondation des Nations unies consistait à tenir compte du fait – dont nous sommes quotidiennement témoins – que ce qui se passe dans une région ou dans un continent donnés a souvent des conséquences sur les autres régions, notamment sur leur sécurité. Cela s’applique évidemment au Mali, à la République centrafricaine et à la corne de l’Afrique, comme au Moyen-Orient. Il est donc faux de dire qu’il revient aux seules organisations régionales de traiter les crises qui s’y déroulent.

Par ailleurs, si les Nations unies renforçaient leur soutien aux opérations de l’Union africaine, cela nécessiterait certaines garanties en matière de contrôle politique et de contrôle d’efficacité, notamment.

J’en viens à la Syrie. Supposons que l’on puisse s’abstraire du droit et de la morale – ce que l’on ne saurait faire entièrement, car je rejoins ce qui a été dit sur la nécessité d’insister sur le respect du droit humanitaire et d’empêcher l’impunité, ce à quoi nous œuvrons résolument. C’est par réalisme que nous sommes réservés quant à la partition qui, malheureusement, se profile : cette solution ne serait pas la plus favorable à nos intérêts de sécurité. C’est à ce titre que nous n’avons cessé de plaider pour une transition politique et que nous continuerons de le faire. Ce n’est que si nous parvenons à rétablir l’unité du pays que ses différentes composantes, notamment sunnite, se reconnaîtront dans ses institutions politiques, ce qui les dissuadera de choisir l’option radicale incarnée par les mouvements terroristes. L’instabilité, la faiblesse, l’inefficience des régimes, parfois leur corruption produisent les révolutions que l’on a pu observer dans le passé, mais également les mouvements terroristes – même si l’analyse du phénomène doit évidemment être plus complexe.

Monsieur Myard, je ne suis pas un expert en matière d’opérations militaires, mais – je le dis en présence du colonel Calvez – lors de nos échanges avec l’état-major, qui sont très fréquents, il apparaît clairement et en permanence que nos soldats font la guerre selon des règles. Cela nous empêche d’ailleurs de faire certaines choses qui pourraient être très destructrices pour le potentiel des forces adverses. Je songe en particulier à la prudence de nos forces lorsqu’il s’agit de s’attaquer aux convois pétroliers, constitués de camions conduits par des chauffeurs qui sont souvent des civils rackettés par les terroristes. Très honnêtement, je doute que le régime syrien s’impose les mêmes règles.

M. Jacques Myard. Je vous l’accorde !

M. Jean-Pierre Lacroix. Quant à l’efficacité des Nations unies, c’est un vaste sujet. Les Nations unies constituent un instrument dont l’activation ne peut être efficace que lorsque la volonté politique des États membres est au rendez-vous.

J’observe tout de même que les Nations unies ont obtenu l’année dernière deux succès dans des domaines importants. D’abord, l’accord de Paris : la France y a joué un rôle essentiel, mais dans le cadre de l’ONU, dont le secrétaire général nous a d’ailleurs apporté une aide décisive. Ensuite, les objectifs de développement durable figurant dans le programme adopté en septembre 2015. Celui-ci définit une stratégie mondiale pour le développement qui permet aux différents pays d’élaborer ensuite leur propre politique dans ce domaine en bénéficiant d’un suivi et de la garantie que leurs partenaires partagent leurs priorités, notamment les partenaires financiers et les grandes institutions financières internationales.

En outre, l’action des Nations unies a permis de résoudre plusieurs crises. En Côte d’Ivoire, l’opération onusienne quittera le territoire au début de l’année prochaine, car le pays a retrouvé la stabilité ; ce changement est lié à l’action de la France, mais celle-ci ne pouvait absolument pas agir seule – comme au Mali, pour des raisons politiques et de capacité. Le Libéria voisin a lui aussi connu une évolution positive ; la situation reste délicate, mais il va être possible de laisser partir les casques bleus et parler d’un succès, à l’aune de ce pays très fragile. Haïti, qui a de grandes difficultés, a néanmoins progressé considérablement, notamment grâce aux Nations unies. Le passé fournit bien d’autres exemples : l’Angola, le Cambodge, etc.

Je le répète, quand la volonté politique est là, quand les membres du Conseil de sécurité ou de l’Assemblée générale partagent un même objectif, les Nations unies peuvent être efficaces.

À quel point ? Il existe évidemment des lourdeurs bureaucratiques, des déficiences au niveau de la machine elle-même, des opérations de maintien de la paix, ou résultant d’un manque de coordination. Ce sera d’ailleurs l’un des grands défis qu’António Guterres devra relever – même si Ban Ki-moon a déjà fait des efforts pour moderniser la maison et les opérations de maintien de la paix – et cela fait partie de ses priorités.

Plus généralement, ses priorités seront celles que la réalité du monde lui imposera : les grandes crises que nous avons évoquées, non seulement au Moyen-Orient, mais en Afrique où, dans plusieurs cas, les Nations unies sont lourdement impliquées sur le terrain et conduisent de nombreuses opérations de maintien de la paix dont certaines n’ont plus d’orientation politique. Ce problème préoccupe beaucoup António Guterres, car il menace grandement les ressources et, à terme, la crédibilité des Nations unies.

La présence à la tête des Nations unies d’un secrétaire général fort, d’un interlocuteur qui sera reconnu comme crédible et utile par les chefs d’État et de gouvernement, peut représenter un véritable atout. Je viens de le dire : sans volonté politique commune, nous ne progressons pas dans le règlement des crises. Or le secrétaire général peut justement jouer, dans certaines limites, le rôle de go-between de luxe entre les dirigeants des principaux protagonistes des crises, grâce à sa connaissance approfondie des priorités de chacun et à la légitimité que lui confère l’organisation. C’est un aspect essentiel de son rôle, qui occupera certainement la majeure partie de son temps.

S’agissant des enjeux globaux, notamment le climat et le développement, ce qui compte pour lui est de réussir à donner aux Nations unies un rôle moteur dans la mise en œuvre des décisions prises. La mission des Nations unies dans ces domaines consiste d’abord à aider les pays, surtout les plus faibles, à mettre en place les stratégies nécessaires pour atteindre les objectifs fixés, ensuite à mobiliser les acteurs non étatiques, la société civile, les entreprises. Le rôle de l’organisation résulte également de l’expertise de ses différentes agences, qu’il convient toutefois de bien utiliser et coordonner – c’est aussi un axe essentiel aux yeux du secrétaire général.

Une autre plate-forme, quasiment devenue le quatrième pilier des Nations unies – aux côtés de la sécurité, du développement et des droits de l’homme –, est le défi humanitaire que représente la crise des migrants et des réfugiés. D’abord, comment les Nations unies réagissent-elles à leur afflux ? Dans ce domaine, Guterres est particulièrement qualifié par son expérience à la tête du Haut Commissariat pour les réfugiés, et il a une réflexion très aboutie sur la nécessité de trouver de nouvelles sources de financement et de mieux connecter l’action en faveur du développement international et l’action humanitaire, beaucoup moins bien dotée. Cette idée se fonde sur le constat qu’à l’évidence, la situation de nombreux réfugiés est durable : les problèmes des populations de réfugiés qui existent depuis dix ou vingt ans, voire trente ans, doivent être traités comme des problématiques de développement. Guterres est le mieux placé pour préparer la transition nécessaire vers ce nouveau mode d’action.

Par ailleurs, la question des migrants et des réfugiés a fait l’objet de deux réunions internationales qui se sont tenues aux Nations unies en septembre. La première, organisée à l’initiative des Américains, visait à obtenir des contributions au financement et à l’accueil, notamment. La seconde, qui a eu lieu à l’Assemblée générale, avait pour but de lancer la préparation de textes internationaux et de pactes sur la question. L’idée est d’essayer de déterminer des stratégies internationales consensuelles à ce sujet : il ne s’agit pas de réécrire le droit international humanitaire, mais de faire en sorte que les États du monde s’accordent sur une stratégie pour traiter les différents aspects de cette crise, à l’horizon de deux ou trois ans à partir de septembre 2016. Nous allons naturellement apporter à cette entreprise une contribution résolue.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Merci beaucoup de cette audition très intéressante.

Notre intérêt national veut que nous continuions non seulement à agir, mais aussi à promouvoir le système multilatéral. Celui-ci est critiqué pour les raisons que vous avez citées, au premier rang desquelles la lourdeur bureaucratique. Mais il représente un important vecteur d’influence pour notre pays, et je vois mal par quoi nous pourrions le remplacer, sinon par une multitude de coopérations bilatérales dans lesquelles nous serions ballottés sans pouvoir peser comme nous le faisons aujourd’hui, c’est-à-dire d’une manière disproportionnée à notre puissance économique et militaire réelle.

Naturellement, on peut toujours, dans une perspective de très court terme, se focaliser sur les motifs de critique et sur les dysfonctionnements, voire agiter des épouvantails pourtant réduits en poussière depuis bien longtemps, comme l’éventualité d’un siège unique pour l’Union européenne ou la menace d’une Europe fédérale qui anéantirait nos États-nations. Mais tout cela ne nous donne pas une vision prospective, moins encore la capacité d’envisager sereinement notre intérêt national. Celui-ci doit évidemment être défendu ; encore faut-il savoir l’analyser et le situer. Ce n’est pas en sautant sur sa chaise comme un cabri en disant « la nation ! », « la nation ! », « la nation ! » que nous le protégerons le mieux.

La séance est levée à onze heures.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 30 novembre 2016 à 9 h 45

Présents. - Mme Nicole Ameline, M. Kader Arif, M. Jean-Paul Bacquet, M. Philippe Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, M. Jean-Louis Christ, M. Philippe Cochet, M. Édouard Courtial, Mme Seybah Dagoma, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, Mme Cécile Duflot, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Jean-Paul Dupré, M. Éric Elkouby, M. François Fillon, Mme Marie-Louise Fort, Mme Valérie Fourneyron, M. Hervé Gaymard, M. Jean-Marc Germain, M. Jean Glavany, Mme Linda Gourjade, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Chantal Guittet, Mme Françoise Imbert, M. Pierre-Yves Le Borgn', Mme Marylise Lebranchu, M. Pierre Lellouche, M. Patrick Lemasle, M. Pierre Lequiller, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, M. Noël Mamère, M. Thierry Mariani, M. Jean-René Marsac, M. Alain Marsaud, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Didier Quentin, M. Jean-Luc Reitzer, Mme Marie-Line Reynaud, M. François Rochebloine, Mme Odile Saugues, M. François Scellier, M. André Schneider, M. Michel Terrot

Excusés. - M. Christian Bataille, M. Alain Bocquet, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Gérard Charasse, M. Guy-Michel Chauveau, M. Paul Giacobbi, M. Philippe Gomes, M. Meyer Habib, M. Serge Janquin, M. Jean Launay, M. Bernard Lesterlin, M. Jean-Claude Mignon, M. Boinali Said, M. André Santini, M. Michel Vauzelle